LOUIS XV ET MARIE LECZINSKA

VERSAILLES ET LA COUR DE FRANCE

 

SOURCES.

 

 

Ce livre raconte la jeunesse de Louis XV et de la reine Marie Leczinska et en conduit le récit jusqu'au moment où les incidents du voyage de Metz amènent la définitive séparation du ménage royal. Il n'était peut-être pas sans nouveauté d'essayer de présenter le tableau de la Cour de France à cette époque, en mettant au centre la figure un peu effacée de la femme de Louis XV et en recherchant, à la lumière de documents inédits, les véritables traits de son caractère. Elle n'eut, à ce qu'il semble, ni la perfection un peu convenue dont la parent ses panégyristes, ni les insuffisances et les ridicules que lui prêtèrent, dès le siècle dernier, des philosophes peu capables de comprendre les vertus d'une âme religieuse et même tout simplement les délicatesses d'une honnête femme. Quant à son rôle, il n'est point dépourvu de tout intérêt, si modeste que l'aient rendu ses dispositions naturelles et les circonstances de sa pie.

 Une centaine de lettres autographes de Marie Leczinska au cardinal de Fleury, deux cent vingt-huit lettres du roi Stanislas à sa fille, presque toutes de sa main, telles ont été les principales pièces qui m'ont renseigné directement sur la Reine et m'ont aidé à me faire une idée de sa personne morale. Les lettres de Stanislas se trouvent aux Archives nationales (K 141), où je les ai transcrites en 1897, aidé de Constantin Gorski pour la lecture des parties en langue polonaise. Depuis la première édition de cet ouvrage, cent trente de ces documents ont été mis au jour avec une copieuse annotation, par Pierre Boyé : Lettres inédites du roi Stanislas, duc de Lorraine et de Bar, à Marie Leszczynska, Paris et Nancy, 1901. Cette publication comprend les lettres du duc de Lorraine de 1754 à 1766 ; les plus anciennes, qui vont du 3 octobre 1733 au 27 février 1736, ont été utilisées par l'auteur pour l'ouvrage d'histoire militaire et diplomatique cité plus loin.

Les lettres de Marie Leczinska à Fleury, que m'a fait connaître Frédéric Masson et que j'ai citées d'après une excellente copie prise de sa main, appartiennent à la collection Morrison ; elles sont particulièrement intéressantes en ce qu'elles se rapportent à la jeunesse de la Reine, c'est-à-dire à l'époque de sa vie sur laquelle les renseignements font le plus défaut. Elles ajoutent beaucoup, par conséquent, aux séries de lettres déjà connues, qui sont dispersées dans un certain nombre de publications. Rappelons notamment qu'on rencontre une partie de la correspondance adressée par la Reine au duc et à la duchesse de Luynes, dans l'édition des Mémoires du duc de Luynes — extraits reproduits à la suite de la brève biographie de Marie Leczinska, publiée par la comtesse d'Armaillé — ; d'importantes lettres, trop peu connues, au comte d'Argenson sont au tome IV de l'édition partielle des Mémoires du marquis d'Argenson, faite par le marquis René d'Argenson et remplacée aujourd'hui dans l'usage par l'édition Rathery ; une lettre au cardinal de Fleury, de date antérieure aux nôtres, est publiée par les Goncourt, en note de leur livre sur la duchesse de Châteauroux ; une autre a été donnée, en 1895, à l'Intermédiaire des Chercheurs et des Curieux par Mlle C. d'Arjuzon ; plusieurs billets au même personnage se trouvent dans l'ouvrage de la marquise des Réaulx, intitulé : Le Roi Stanislas et Marie Leczinska, Paris, 1895 ; la lettre citée de la Reine à Maurepas, écrite de Metz, a été publiée par le duc de Broglie, dans son livre sur Frédéric II et Louis XV : M. le vicomte de Cormenin a inséré quelques billets de la Reine dans les Lettres des Leczinski à la comtesse d'Audlau et au maréchal Du Bourg, éditées en 1901 dans la Revue rétrospective et intéressantes surtout pour Catherine Opalinska ; enfin, une correspondance familière, mais tout entière postérieure à l'époque que nous étudions ici, forme la première partie du recueil publié par Victor des Diguères : Lettres inédites de la reine Marie Leczinska et de la duchesse de Luynes au président Hénault, Paris, 1886. Aux Mémoires du président Hénault, qu'on cite d'ordinaire sur l'intimité de Marie Leczinska, doivent être joints aujourd'hui les Souvenirs du comte de Tressan, publiés d'après ses papiers par le marquis de Tressan, Versailles, 1897. — Le marquis d'Argenson a publié récemment un abondant recueil où les lettres de la Reine et du roi Stanislas tiennent une grande place : Correspondance du comte d'Argenson. Lettres de Marie Leczinska et du Cercle de la Reine, Paris, 1922.

 

Quelques correspondances inédites du temps ont fourni des détails à notre récit ; telles sont les lettres du roi Stanislas au maréchal Du Bourg, conservées à la Bibliothèque de l'Arsenal ; les lettres du cardinal de Fleury et de Mlle de Charolais, entrées dans la collection Morrison ; enfin les correspondances du service des Bâtiments du Roi, que j'ai dépouillées pour écrire un livre d'érudition locale intitulé : Le Château de Versailles au temps de Louis XV, Versailles, 1898, et qui sont pleines de renseignements sur les intérieurs royaux. Des documents de même source ont été mis en œuvre dans mon étude sur Nattier peintre de Mesdames, dans la Gazette des Beaux-Arts de juin et juillet 1895, à laquelle j'ai fait ici quelques emprunts. Je me suis servi, au chapitre troisième, du manuscrit de la Bibliothèque nationale contenant les Anecdotes de Toussaint sur la Cour de France, des premiers cahiers encore inédits des Mémoires du duc de Croy, retrouvés par le vicomte de Grouchy à la Bibliothèque de l'Institut [édités en 1906], et de l'inventaire des objets existant dans les cabinets de la Reine, après sa mort, document dressé par M. de Saint-Florentin, le 25 juin 1768, et conservé aux Archives nationales (K 147).

Pour le chapitre relatif au mariage de Louis XV, j'ai utilisé, outre les papiers Du Bourg à la Bibliothèque de l'Arsenal, le carton spécial des Archives nationales, qui se rapporte à cet événement (K 139 B), et le registre tenu par les Premiers gentilshommes de la Chambre (O1 822). Les documents des Archives des Affaires étrangères avaient été fort bien mis en œuvre par Paul de Raynal, dans Le Mariage d'un Roi, 1887 ; des papiers du chevalier de Vauchoux, récemment retrouvés, ont permis à M. Henry Gauthier-Villars de reprendre le sujet dans Le Mariage de Louis XV, Paris, 1901, et j'ai pu me servir très utilement des renseignements nouveaux que fournit l'auteur sur cet épisode. — La polémique qui s'est élevée entre quelques médecins, à propos du prétendu haut-mal de Marie Leczinska, me paraît bien résumée et conclue par l'article du docteur Cabanès, dans la Gazette des Hôpitaux du 4 avril 1901. — Les mémoires si autorisés du maréchal de Villars, ceux de Marais, Barbier, Duclos, Saint-Simon, la correspondance de Voltaire, permettent d'ajouter l'attrait de l'anecdote authentique aux narrations officielles de la Gazette et du Mercure de France. Il faut y joindre l'ouvrage peu connu du chevalier Daudet, Journal historique du Voyage de S. A. S. Mlle de Clermont depuis Paris jusqu'à Strasbourg et du Voyage de la Reine depuis Strasbourg jusqu'a Fontainebleau, Châlons, 1725. Rappelons enfin, par un devoir de reconnaissance, le premier volume de l'Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, par le comte d'Haussonville, le livre d'Albert Vanda' sur Louis XV et Élisabeth de Russie, Paris, 1882, et surtout l'importante thèse de M. Pierre Boyé, Stanislas Leszczynski et le troisième Traité de Vienne, Nancy, 1898, qui renouvelle entièrement, et avec beaucoup de critique, la documentation sur le roi Stanislas.

J'ai tiré grand parti de la biographie écrite par l'abbé Proyart, et dont la première édition a paru en 1784, dédiée à Mesdames de France, filles de la Reine. Mainte pièce originale, mainte tradition provenant directement de la famille royale s'y trouve rapportée dans un but d'édification. Les autres éloges contemporains sont sans valeur. Le plus important, celui de l'avocat Aublel de Maubuy, qui est de 1773 et forme le tome VII des Vies des Femmes illustres et célèbres de France, porte sur l'ensemble de la vie de Marie Leczinska le jugement que voici : Sous quelque aspect qu'on l'envisage, ou comme fille ou comme reine, soit comme épouse, soit comme mère, on verra que rien ne manqua à sa félicité.

 

Ces niaiseries n'offrent aucun danger pour la vérité historique. Il n'en est pas de même d'une série de Mémoires, qui sont les plus lus du XVIIIe siècle, et que j'ai consultés, pour ma part, avec une grande prudence, tout en les tenant sans cesse sous les yeux. Tels sont le journal du marquis d'Argenson et les charmants souvenirs de la duchesse de Brancas, qui ont fourni tant de racontars connus contre la Reine. C'est pour des documents de ce genre qu'un rigoureux contrôle est nécessaire, car il n'est pas rare de les trouver en défaut, même pour l'exactitude matérielle des faits.

Le Journal d'Argenson est d'une information peu sûre : il connaît très mal les choses de la Cour, même au temps où il y vit, à plus forte raison quand il n'a pour se renseigner que des ouï-dire légers et suspects. On veut croire tout ce qui est mal, écrit-il lui-même, le jour où il nie la liaison du Roi avec Mme de Vintimille ; mais il tombe sans cesse dans ce travers de l'époque. Il accepte les fables les plus étranges, par exemple la succession des empoisonnements dans la famille de Louis XIV, à la fin de son règne. A chaque instant, l'imagination l'emporte et le trompe il annonce tous les huit jours, pendant des années, la disgrâce de Fleury et le retour de Chauvelin. Plus d'une tradition malveillante sur Marie Leczinska n'a pour garant que le seul Argenson. On croit trop volontiers sur parole les gens d'esprit.

Les Mémoires du duc de Luynes méritent une tout autre confiance. S'ils pèchent parfois par bienveillance, où le marquis pèche par aigreur, ils n'en apportent pas moins la plus fidèle image et la plus sincère de la Cour de France et de l'entourage de la Reine, à partir de 1735. Même pour la période antérieure, ils ont souvent recueilli des souvenirs précis, dont la confirmation se trouve ailleurs. La monotonie et le style desséché de ce journal lui enlèvent, il est vrai, beaucoup d'intérêt littéraire ; c'est exactement, suivant le mot de Frédéric Masson, l'herbier de la Cour de Louis XV. Mais, pour qui sait y bien chercher, tout s'y retrouve. Luynes demande à être lu entre les lignes. Personne n'est plus discret, plus prudent, mais personne aussi ne sait mieux noter au passage, de façon voilée, le renseignement qu'il peut y avoir intérêt à conserver.

Les mémoires de Luynes se substituent à ceux du maréchal de Villars, à peu près au moment où ces derniers cessent de servir de guide. L'autorité de tels témoins est indiscutable, pour les matières traitées dans ce livre ; l'un et l'autre sont des gens de cour qui ne disent pas toujours la vérité tout entière, mais qui n'enregistrent jamais que des renseignements sérieux.