ÉTUDES DE MŒURS ET DE CRITIQUE SUR LES POÈTES LATINS DE LA DÉCADENCE

 

MARTIAL OU LA VIE DU POÈTE.

 

 

Avant d’avoir lu à fond Martial, j’avais beaucoup de préjugés sur ce poète. Préjugés d’écolier de l’université, préjugés d’enfant d’un pays libre, préjugés personnels ou d’imitation, c’est avec cette sorte de parti pris que j’ai abordé la lecture de Martial, lecture ardue où le livre m’est souvent tombé des mains. Aujourd’hui j’ai meilleure opinion de lui. Je regrette les duretés peu réfléchies qui me sont échappées à son sujet ; je me suis senti parfois de la sympathie pour lui, et même un peu de la tendresse des commentateurs, lesquels appellent leur auteur noster, se font un point d’honneur de le trouver parfait, et l’aiment en proportion de ce qu’il leur en a coûté pour l’entendre.

Peut-être aussi ai-je cédé, à mon insu, au goût de notre époque pour le paradoxe. Voilà si longtemps que ce pauvre Martial est maltraité par les critiques qui ne le lisent pas ! Voilà si .longtemps qu’il court dans les académies et dans les universités des phrases officielles sur ce vil flatteur, qui prodigua l’encens à Domitien vivant et l’outrage à Domitien mort, ce qui n’est pas exact, comme on le verra ! Voilà si longtemps qu’on l’excommunie du haut des chaires de rhétorique ! Calmez-vous, messieurs les docteurs, il n’y a rien de plus beau que les mœurs, si ce n’est peut-être la vérité. Pour mon compte, je ne veux point dire du mal de Martial ; il me peint Rome si au vif, si ordurière, si grande, il me la fait voir si corrompue au milieu de cette race abâtardie dont les vices seuls sont imposants, il m’a tant amusé de ses pointes sur les mœurs des chevaliers, des sénateurs et des valets, que je lui pardonne volontiers d’emphatiques éloges qui lui ont été fort mal payés.

Je n’ai pas la prétention de faire casser l’arrêt qui condamne Martial. Je suis de ceux qui pensent que l’opinion, cette reine du monde, ne se trompe jamais sur le gros des choses ; mais sur le détail elle peut errer. Il y a une morale publique qui réprime le cynisme du poète de Bilbilis : je ne regarde pas si ceux qui ont crié le plus haut contre lui étaient eux-mêmes des anges. La morale publique existe indépendamment de la moralité des temps et des hommes : c’est un jugement sans appel, qui se conserve à travers les siècles, et qui domine toutes les morales particulières, sans doute parce que le premier qui l’a rendu était ou un ange ou un dieu. Mais pour le spéculatif qui tient compte de la faiblesse humaine, qui est plus jaloux d’expliquer les choses que de les juger, et qui ne veut pas accabler ceux qui ont faibli, de l’honnêteté ou de la modération qu’il a plu à la Providence de lui donner, il y a, dans la plupart des jugements sur les personnes, des circonstances atténuantes qui n’infirment pas l’arrêt de la morale publique.

Encore une considération. La postérité n’admet guère, en général, que des jugements absolus sur le caractère moral des événements et des hommes c’est tout mal ou tout bien. Elle s’inquiète assez peu des détails, et elle fait bien, dans l’intérêt de la leçon que l’avenir doit en tirer. Elle a une balance qui ne fait jamais équilibre ; un plateau emporte toujours l’autre. De cette sorte, il n’y a pas d’indécision ni de doute, partant point de demi-morale possible. Une fois donc qu’une dizaine de siècles ont dit la même chose du même homme ou du, même fait, il n’y a plus lieu de contredire ; et, en tout cas, ce n’est pas un écrivain sans autorité qui peut donner utilement un démenti à dix siècles. Et pourtant, il n’y a rien qui soit tout à fait mal, ni, tout à fait bien, ou plutôt il n’y a rien de mal qui ne soit mêlé de quelque bien : et cela peut être bon à remarquer, moins au détriment de la morale publique qu’au profit de la tolérance.

Je ne parle ici que de la réputation de Martial ; considéré comme homme : comme poète, il n’a presque jamais été jugé, quoiqu’il ait été fort commenté. De respectables jésuites allemands se sont donnés beaucoup de peine pour l’éclaircir ; leurs travaux ont servi à m’en épargner. C’est là quelquefois toute la gloire de ces infatigables débrouilleurs, d’énigmes ; faciliter à un oisif la lecture d’un livre, lui fournir les motifs d’un jugement téméraire ; le, prix n’en vaut pas la peine. Rollin a parlé avec beaucoup de convenance de Martial. Je ne ferai pas le même éloge de ce qu’en a écrit La Harpe, si souvent coupable d’avoir jugé ce qu’il n’avait pas lu. Voici son jugement sur Martial :

Martial, chez les Latins, a aiguisé l’épigramme beaucoup plus que chez les Grecs. Il cherche toujours à la rendre piquante ; mais il s’en faut bien qu’il y réussisse toujours. Son plus grand défaut est d’en avoir fait beaucoup trop. Son recueil est composé de douze livres ; cela fait environ douze cents épigrammes : c’est beaucoup[1]. Aussi en pourrait-on retrancher les trois quarts sans en rien regretter. Lui-même s’accuse en plus d’un endroit de cette profusion ; mais cet aveu ne diminue rien de l’importance qu’il a attachée à ces bagatelles. Elles nous sont parvenues dans le plus bel ordre, telles qu’il les avait rangées, et même avec les dédicaces à la tête de chaque livre. Cela est fort consolant sans doute, mais pas assez pour nous dédommager de la perte de tant d’ouvrages de Tite-Live, de Tacite et de Salluste, que le temps n’a pas respectés autant que le recueil de Martial. Le premier livre est tout à la louange de Domitien : la postérité lui saurait plus de gré d’une bonne épigramme contre ce tyran. Au reste, ces louanges roulent toutes sur le même sujet : il n’est question que des spectacles que Domitien donnait au peuple, et Martial répète de cent manières qu’ils sont beaucoup plus merveilleux que ceux qu’on donnait auparavant. Cela fait voir quelle importance les Romains attachaient à cette espèce de magnificence, et en même temps combien il était peu difficile de flatter l’amour-propre de Domitien.

Martial est aussi ordurier que notre Rousseau dans le choix de ses sujets ; mais il y a l’infini entre eux pour le mérite de l’exécution poétique. Rousseau a excellé dans ses épigrammes licencieuses, au point d’en obtenir le pardon, si l’on pouvait pardonner ce qui est contraire aux bonnes mœurs ; Martial, pour être obscène, n’en est pas meilleur, et, condamnable en morale, il ne petit être absous en poésie : autant valait, ce me semble, être honnête. Il dit quelque part qu’un poète doit être pur dans sa conduite, mais qu’il n’est pas nécessaire que ses vers soient chastes. On peut lui répondre qu’au moins il ne faut pas qu’ils soient licencieux. Le petit nombre d’épigrammes qu’on a retenues de lui est heureusement de celles qu’on peut citer partout. J’en ai traduit une qui peut servir de leçon à Paris comme à Rome, et qui ne corrigera pas plus l’un que l’autre ; elle est adressée à un avocat :

On m’a volé : j’en demande raison

A mon voisin, et je l’ai mis en cause

Pour trois chevreaux, et non pour autre chose.

Il ne s’agit de fer ni de poison

Et toi, tu viens, d’une voix emphatique,

Parler ici de la guerre punique,

Et d’Annibal, et de nos vieux héros ;

Des triumvirs, de leurs combats funestes.

Eh ! laisse là les grands mots, tes grands gestes :

Ami, de grâce, un mot de nies chevreaux. (Liv. VI, ép. 19.)

Puisque j’ai touché à l’ignorance de La Harpe, d’ailleurs si judicieux en tout ce qu’il sait bien, c’est le lieu de noter une autre erreur de ce critique, à propos du même Martial. Parlant de la réputation dont Stace a joui pendant sa vie : Martial, dit-il, nous apprend que toute la ville de Rome était en  mouvement pour aller l’entendre, quand il devait réciter ses vers en public, suivant l’usage de ces temps-là, et que la lecture de la Thébaïde était une fête pour les Romains. Or, ce détail n’est point de Martial, mais de Juvénal[2]. On doit excuser d’autant moins la méprise de La Harpe, que le silence absolu de Martial au sujet de Stace, son contemporain, est un fait qui a exercé la sagacité des commentateurs, et qui a reçu différentes interprétations. Il n’y a pas de poète de cette époque, si petit que fût son mérite, qui n’ait été vanté par Martial, et lié avec lui. Stace seul n’a pas même été nommé dans son Recueil. Il est vrai que l’auteur des Silves le lui a bien rendu. J’essaierai d’expliquer ce silence réciproque de deux poètes qui occupaient à peu près au même degré l’attention des Romains. C’est un fait curieux de biographie en même temps que de critique.

 

I. Vie de Martial

Martial (Marcus Valerius Martialis) naquit la première année du règne de Claude, à Bilbilis, ville d’Espagne, dans la province de Tarragone. Qu’est devenue Bilbilis ? Les commentateurs l’ont cherchée avec soin, et ont cru l’avoir trouvée dans une petite bourgade du pays de Catalayud, appelée Banbola ou Bambola : à quoi un Espagnol a objecté que le Catalayud étant un pays plat, et Bilbilis une ville élevée[3], il fallait se résigner à ignorer à tout jamais le lieu de naissance de Martial. Quoi qu’il en soit, Bilbilis n’était pas une ville sans importance ; on y fabriquait d’excellentes armes, d’une trempe estimée ; le fer y était fourbi dans les eaux du Salone, fleuve qui coulait sous les murs de la ville. Martial gante souvent Bilbilis ; il l’appelle la noble ville, la ville fière de son or et de son argent, la ville célèbre par ses eaux et ses armes : Ma Bilbilis, dit-il quelque part[4]. A Rome, il regrette Bilbilis ; il est vrai qu’à Bilbilis il regrette Rome ; inconséquence fort habituelle aux poètes.

Martial vint à Rome à l’âge de vingt et un ans, Néron étant empereur. Il y passa trente-cinq ans ; il en sortit à cinquante-sept. Il ne édit rien de sa jeunesse, qui ne fut pas, comme celle de Stace, couronnée de palmes olympiques ; il ne dit rien de ses parents, sinon qu’ils ont été bien fous de lui avoir enseigné les lettres.

At me litterulas stulti docuere parentes. (Livre IX, ép. 74.)

Cette boutade, assez peu filiale, est provoquée par l’aventure d’un cordonnier devenu possesseur des biens de son patron, qui buvait du falerne, et entretenait un Ganymède dans sa maison de Préneste. S’il faut en croire Martial, ce cordonnier serait parvenu à capter cet héritage par d’indignes moyens. Cette circonstance gâte un peu la belle indignation du poète. Si le cordonnier était devenu riche et faisant des souliers, et, comme dit Martial, en allongeant de vieilles peaux avec les dents, je concevrais que le poète reprochât à ses parents de lui avoir laissé une pauvreté lettrée au lieu d’un métier à argent. Mais si l’honnête artisan était de plus un fripon, volant l’héritage des gens qu’il avait chaussés, la plainte de Martial n’est plus si morale : car autant valait dire : Que ne m’avez-vous appris à capter des testaments ?

Dans le siècle dernier, Gilbert se plaignait aussi de ses parents ; mais quelle différence entre ses plaintes et celles de Martial ! L’un s’irritait de n’être pas assez riche, l’autre de manquer de pain. Le désespoir a inspiré Gilbert :

Père aveugle et barbare, impitoyable mère !

Pauvres, vous fallait-il mettre au jour un enfant

Qui n’héritât de vous qu’une affreuse indigence !

Encor, si vous m’eussiez laissé votre ignorance.

J’aurais vécu paisible en cultivant mon champ.

Mais vous avez nourri les feux de mon génie...

Aux époques où le poète ne peut pas se plaindre sur ce ton, il flatte. Mais, plainte ou flatterie, il y a toujours de la pauvreté au bout : seulement les circonstances et le caractère la font digne ou indigne.

 

II. L’empereur et le poète. - Pourquoi les poètes anciens parlent fort peu de leurs premières années.

Jusqu’au règne de Domitien, époque où Martial commence à écrire, et où il est inscrit comme poète officiel sur le registre des libéralités impériales, il ne nous dit rien de sa vie. Que faisait-il sous Galba, Othon, Vitellius, Vespasien, les uns empereurs de quelques semaines, les autres de quelques jours, au milieu de cette ivresse de révolte et de sédition, qui mit quatre empereurs en dix mois dans la maison des Césars, y faisans les ci soudards entrer l’un, et en sortir l’autre, ne plus ne moins que s’ils eussent joué quelque mystère sur un eschaffault ?[5] Que faisait-il sous Néron ? Il y a dans son immense recueil deux ou trois allusions aux cruautés de cet empereur. Vous me demandez, dit-il à Sévère, comment il se peut que le pire des hommes, Charinus, ait fait une bonne chose. Je vais vous répondre, et sur-le-champ : Quoi de pis que Néron ? quoi de meilleur que les Thermes de Néron ?[6] Ailleurs, il reproche à Néron la mort de Lucain : Cruel Néron, dit-il, hélas ? aucune ombre ne t’a rendu plus odieux ce crime-là du moins n’aurait pas dû t’être permis[7]. Le reproche est court, et en termes assez modérés. Nous qui nous croyons tenus de témoigner une décente indignation au nom seul de cet homme, et qui serions tancés comme partisans du despotisme si nous nous permettions, pour le simple plaisir du paradoxe, de le trouver moins méchant qu’on ne l’a fait, nous pourrions en vouloir à Martial d’en si peu dire contre Néron. Prenons-y garde. Les secousses de ces règnes d’un jour, escaladés à main armée ; cette succession de maîtres, dont les uns avaient des vices monstrueux, qui se satisfaisaient à la hâte, dans l’incertitude du lendemain, les autres des vertus intempestives, lesquelles sont aussi nuisibles que les vices ; pour tout dire, en un mot, le despotisme militaire, la pire des tyrannies, parce qu’elle tue les passions qui sont la vie des sociétés ; toutes ces choses faisaient qu’on ne songeait plus guère, au temps de Domitien, à s’indigner contre Néron.

D’ailleurs, depuis Auguste, la politique s’était retirée du forum au palais des Césars, où elle se traitait comme une intrigue. Peu de gens y prenaient un intérêt réel et de passion. Entre l’empereur, d’une part, possesseur inquiet et non viager, la plupart du temps, de la puissance absolue, intriguant au fond du palais avec des affranchis et des délateurs, espèce de grand parvenu sans passé et sans racine, empereur de hasard, auquel se rattachaient pour un temps quelques enfants de fortune et quelques intérêts privés ; et, d’autre part, des lieutenants d’armée, auxquels l’envie de régner à leur tour pouvait tourner la tête, s’il arrivait que la fortune les trouvât de taille à porter au front le cercle d’or, ou qu’un hardi centurion., pour devenir lieutenant, leur jetât un manteau de pourpre sûr les épaules ; entre le compétiteur couronné et le compétiteur voulant l’être, le débat se vidait au milieu de l’indifférence universelle. Peu de personnages notables se mettaient entre ces deux légitimités de fortune, de peur de ne pas quitter assez tôt l’ancienne, ou de venir trop tôt au-devant de la nouvelle. Pour le gros du peuple, pour tout ce que j’appellerais volontiers du nom moderne de classe moyenne, nom qui représente assez bien ceux qui, dans toute nation, ne sont ni riches ni pauvres, les lettrés surtout et les poètes, qui ne sont pas dignes apparemment d’être riches, les vices et les vertus des empereurs, de ceux surtout qui étaient morts,, ne donnaient matière ni à d’ardents ressentiments ni à de vives sympathies.

Pour cette masse d’indifférents, Néron mort était un empereur comme un autre, un personnage chronologique, placé entre Claude et Galba, une statue dont les débris en avaient été rejoindre d’autres. Ceux qui aimaient le bain, et le nombre en était grand, chacun pouvant s’en passer la fantaisie pour la quatrième partie d’un as, ceux-là disaient, comme Martial, en se faisant oindre les cheveux de parfums par l’esclave favori : Quoi de pis que Néron ? quoi de meilleur que ses Thermes ? Petite critique, où il y a presque plus de reconnaissance pour les bains que de haine pour leur fondateur. Outre qu’il déplaisait peut-être à Domitien que ses poètes le flattassent trop aux dépens de Néron, parce qu’il est un point où la critique d’un méchant prince mort n’est pas à l’éloge d’un méchant prince vivant.

Le silence de Martial sur ses premières années, sur sa jeunesse, est aussi un sujet de réflexions ; réflexions qui ne s’appliquent pas seulement à Martial, mais à presque tous les poètes, tant romains que grecs, tant de son époque que des époques antérieures. Pourquoi ce silence ? Pourquoi ce contraste si frappant avec les poètes de notre temps, par exemple, qui parlent si complaisamment de leurs premières années, de leur naïve enfance ? Notre littérature s’enrichit tous les jours de ces sortes de détails, si c’est une richesse toutefois, pour une littérature, que de s’appauvrir du côté des grandes pensées et de s’enrichir du côté des petites. Maintenant nous savons comment vagit un’ petit poète au berceau et au sein de sa nourrice, de quelle couleur sont ses cheveux ; nous savons quelle espèce de pédagogue de province lui a donné de la férule sur les doigts, la joie de ses parents en le voyant revenir d’une distribution de prix, avec une couronne et une Morale en action sous le bras, les discours de l’aïeule au coin du feu, car un petit poète a toujours une aïeule, ce personnage étant pittoresque ; plus tard, les premières amours avec une paysanne aux mains blanches, quoiqu’au village on les ait plus que brunes ; et puis, les courses à travers champs, les demoiselles qui remontent la rivière, poursuivies, attrapées, relâchées ; enfin, mille autres détails de ce genre, qu’on peut bien appeler des enfantillages sans leur faire injure, puisqu’il s’agit d’amours et de jeux d’enfant.

Dans les poètes anciens, nous ne voyons rien de pareil. A peine y trouve-t-on çà et là quelques traces des souvenirs de la première jeunesse ; encore ces souvenirs se rattachent-ils toujours à un ordre de pensées viriles et philosophiques. Quelle est la principale raison de cette différence ? C’est que la vie, pour les anciens, ne commençait que du jour où elle devenait publique. Jusque-là c’était du temps dépensé à se nourrir et à se fortifier, c’était de la vie physique. Une fois ce temps passé et cette vie devenue assez forte pour n’être pas brisée par les épreuves du forum, le poète n’y revenait plus ; c’était une page fermée pour lui comme pour ceux de son pays.

Regardez le poète romain. Pour lui point de vie de famille, point de foyer domestique ; des dieux lares qui ne lui disent rien ; un père vivant peu chez lui ;’une mère traitée comme une esclave, et quelquefois plus mal ; point d’intimité de père à fils, point d’aïeule en cheveux blancs, assise au foyer, honorée, pouvant imposer silence au père de famille, et faire prévaloir l’autorité de ses cheveux blancs sur les droits que donne à celui-ci la loi civile et religieuse ; lui, dès ses plus tendres années, allant aux écoles pendant que son père est au forum, aux comices, aux armées ; ne se sentant point réellement libre, parce que s’il l’est par rapport à l’homme-chose qui laboure le champ paternel, il ne l’est point par rapport au droit de fer, au droit de vie et de mort que son père a sur lui ; dès lors, soupirant après l’émancipation, après la robe prétexte, après le temps où sa première barbe sera coupée ; rêvant les orageuses libertés de la vie publique ; faisant peu de retours sur sa jeunesse qui passe, qui se traîne à ce qu’il lui semble ; n’ayant point de souvenirs parce qu’il n’a pas eu de liberté.

Mais voilà le poète père de famille à son tour. A quoi sa vie se passe-t-elle ? Dès le matin, visites de Oient au patron, et s’il est patron pour quelqu’un, visites à recevoir des uns après en avoir fait aux autres. Déjà la première et la deuxième heure sont perdues[8] : à quoi ? à user des souliers, dit Martial, à salir sa toge, à essuyer les baisers des allants et des venants, baisers de bienvenue, baisers d’heureuse rencontre, baisers pour ses vers, car c’est une civilité dont on est prodigue à Rome. De la septième à la huitième heure[9], c’est le temps de la méridienne. Il se repose de ses fatigues de client, il essuie son front, il dort. De la huitième à la neuvième[10], les jeux du champ de Mars, auxquels il assiste comme curieux oui comme acteur ; ensuite le bain, le repas toujours en public. Que dis-je ? Regardez sa maison : quel lieu lui parle de ses premières années ? c’est le foyer qui fait penser à l’enfance ; or, le foyer, c’est un cercle autour du feu de gens égaux et libres, et non pas l’autel élevé au fond de la maison, où le père de famille, prêtre et sacrificateur, officie au nom de je ne sais quels dieux sourds, poupées d’or ou de bois, pénates d’Asie, lares d’Italie, auxquels on rend justice d’ailleurs en les enfermant dans la même armoire que la coupe de la première barbe. Le vrai foyer manque au poète enfant, manque au poète père de famille. La muse des souvenirs de jeunesse, des premières amours enfantines à laquelle siérait si bien l’anneau d’or au doigt, et une longue et pure prétexte, n’est pas romaine ; c’est une fille moderne du septentrion.

 

III. Martial pauvre, et flatteur pour avoir du pain.

Martial n’était pas riche ; il fit comme Stace,, il se tourna vers la cour, source des grâces et des honneurs. Il demanda sous toutes les formes et dans tous les styles, tantôt des honneurs, tantôt de l’argent, tantôt simplement la faveur d’être lu de Domitien. Si l’on recherche de quelle nature étaient ses besoins, et pourquoi il mettait tant d’ardeur et de persévérance dans ses demandes, loin de lui en vouloir, on désire qu’il réussisse. Quels sont les vœux de notre poète ? Cultiver un petit champ à lui[11], avoir du loisir dans sa médiocrité, ne point hanter les grands, ni colporter çà et là ses salutations matinales ; vivre de sa chasse ; pêcher à la ligne ; couper ses ruches ; avoir une grosse fermière qui dresse sa table et la couvre de mets simples ; se chauffer avec du bois qui ne lui coûte rien (le bois coûtait horriblement cher à Rome), et faire cuire ses œufs à son feu : voilà tout ce qu’il désire. Et plus tard[12], s’il souhaite encore d’être riche, ce n’est pas pour couvrir d’esclaves les campagnes d’Étrurie, ni pour manger à des tables d’ivoire, ni pour boire du falerne glacé dans des coupes de cristal, ni pour marcher au milieu d’un cortège de clients, ni pour qu’une mule crottée salisse son habit de pourpre ; c’est pour donner et pour bâtir. Pour bâtir ? Pourquoi donc se moque-t-il de Gellius[13], qui avait aussi la manie de bâtir, qui toujours posait des serrures, détruisait, refusait, et donnait pour toute réponse à ceux qui lui demandaient de l’argent : Je bâtis. Ne serait-ce pas une petite flatterie à Domitien qui faisait prodigieusement bâtir ? Martial n’est pas suspect : on peut croire qu’il flatte, même là où il n’en a pas l’air.

Martial est un mendiant intéressant qui s’adresse à la bourse des gens ; il y met peu de pudeur et beaucoup d’esprit. Il varie à l’infini la forme des suppliques ; mais le fonds en est si clair qu’il n’y a pas à s’y méprendre. Il vous pousse au pied du mur, il vous impose la générosité, bon gré mal gré ; et en même temps ses besoins sont si pressants, que la honte est pour celui qui refuse et non pour celui qui demande. Ses prières à Domitien font plus de tort à ce prince qu’à lui.

Comme je demandais naguère à Jupiter quelques milliers de sesterces : Celui-là te les donnera, dit le dieu, qui m’a donné des temples. Oui, il a donné des temples à Jupiter ; mais de milliers de sesterces il ne m’en a pas donné un. Aussi bien je dois avoir honte de demander si peu. Et pourtant, de quel air gracieux, de quel front pur de tout nuage, avec quelle sérénité il avait lu mes prières ! Tel il est, quand il permet aux Daces suppliants d’avoir des rois, ou quand il monte ou descend le chemin du Capitole. Dis-moi, Pallas, toi qui connais la pensée de notre Jupiter, s’il a ce visage quand il refuse, de quel air accorde-t-il ?Ainsi je parlais. Pallas, déposant sa Gorgone, me fit cette courte réponse : Insensé, ce qu’on ne t’a pas encore donné, crois-tu donc qu’on te le refuse ? (Liv. VI, ép.4 0.)

Il y a dans cette épigramme deux Jupiter. Martial traite mieux le second : il l’appelle noster Tonans. Le Jupiter de l’Olympe n’est guère là, que pour mémoire. Ailleurs, il en use encore plus cavalièrement avec lui : Vénérable souverain du palais Tarpéien, lui dit-il, toi que nous reconnaissons pour le Dieu tonnant au soin que tu prends du salut de notre maître, quand chacun te fatigue de ses vœux et te demande tout ce que les dieux peuvent donner, ne t’irrite point contre moi si je ne te demande rien, et n’impute point mon silence à orgueil. Je te prie pour César, ô Jupiter ; je prie ensuite César pour moi. (Livre VII, ép. 60.)

Voici qui va jusqu’à l’impertinence : Si j’étais invité, dit-il, d’une part au nom de Jupiter, d’autre part au nom de César, et que chacun d’eux m’appelât dans son Olympe, quoique le ciel fût plus près et le palais impérial plus loin, je répondrais aux dieux : Cherchez qui aime mieux être le convive de votre Jupiter : le mien me retient sur la terre, j’y reste. (Liv. IX, ép. 91)

Ainsi Martial payait un dîner chez Domitien, par un mauvais compliment à Jupiter. Pauvre religion que celle où le souverain Dieu était sacrifié sans façon au souverain pontife, et où un poète habitué à mal dîner se donnait le ton de mépriser les dîners de Jupiter !

Il faut croire que la munificence de Domitien n’était pas grande, puisque Martial lui demandait sans cesse, et qu’il n’en était pas plus riche pour cela. Les refus ne lassaient pas le pauvre poète

Si tu me refuses, dit-il à l’empereur, permets-moi du moins de t’adresser des demandes. Ce ne sont pas les statues d’or ou de marbre qui font les dieux, c’est ce qu’on leur demande[14]. Il avait une petite maison de ville qui était sans eau ; il prie Domitien d’y faire venir de la fontaine voisine un petit filet d’eau qui sera pour lui la fontaine Castalie ou la pluie de Jupiter[15]. Domitien ne lui accorda pas cette faveur. Ln général, je trouve dans Martial maintes requêtes à Domitien, mais je n’y trouve pas un seul remercîment, si ce n’est toutefois pour des titres, pour des privilèges honorifiques, qui obligeaient notre poète à tenir un certain rang, sans lui donner les moyens d’y pourvoir.

Cela nous blesse aujourd’hui de voir un poète, qui demande l’aumône et qui ne l’obtient pas toujours, enregistrer complaisamment les pétitions qu’il fait et les refus qu’il éprouve. Tant de bassesse ou tant de candeur n’est plus possible dans nos mœurs modernes, et c’est tant mieux. Mais, du temps de Martial, ce rôle du poète n’avait rien de honteux. Il fallait vivre, et vivre comme un homme de goût et de bon ton, chez qui l’exercice de l’esprit et l’habitude des hautes amitiés développaient des besoins délicats, coûteux à satisfaire, sans proportion avec les ressources qu’il pouvait tirer de son talent. Hors de la cour impériale, il n’y avait pas de réputation possible ; il fallait être poète de cour, hanter les hommes puissants, suivre la litière d’un eunuque, ou bien mourir de faim. Un poète ne pouvait pas penser à se créer un public en dehors des personnages privilégiés ; ce public n’existait pas ; il n’y avait de lecteurs que parmi les grands. Quand Martial se vante, à bon droit, d’être lu chez les Gètes, c’est par un centurion, c’est par un lieutenant qui tient sa commission de César, ou qui gouverne la province en son nom.

Ajoutez que ce public même, public d’élite, peu nombreux comme il arrive, ne pouvait pas acheter assez d’exemplaires de Martial pour le faire vivre de sa plume. Ces exemplaires étaient rares, se copiaient lentement, coûtaient fort cher de parchemin et de reliure ; un livre ne faisait pas vivre soit auteur. Il fallait donc végéter sous les combles d’une maison, en porter la clé sur soi, user sa tunique jusqu’à la corde[16] ; il fallait aller dès le matin, sa sportule sons le bras[17], recevoir de l’intendant d’un patron quelques pièces de monnaie, et, pour une si misérable paie, lui faire cortége tout le jour comme à un empereur ; il fallait vivre d’aumônes, aller manger en cachette, dans quelque coin du marché, des poissons rances et des légumes crus, et pourtant savoir qu’on était lu et admiré jusqu’aux confins du monde romain ; ou bien il fallait s’adresser à César : et comment s’adresser à César sans le flatter ?

Sur quoi disputons-nous donc ? Sur le plus ou le moins d’habileté dans la flatterie, sur le plus ou le moins de sobriété et de choix dans les éloges ! Misère que cela. Quelle différence faites-vous entre flatter un peu et flatter beaucoup, entre louer finement et louer grossièrement, entre distiller gracieusement l’encens au nez du prince et le lui jeter au visage ? Quintilien n’a loué Domitien que dans deux ou trois phrases ; mais ces trois phrases en disent tout autant que Martial en cent épigrammes. Il n’y avait que cette alternative : se faire avocat, savetier, architecte, crieur public, et, à ce prix, rester indépendant ; ou bien rester poète et flatter César. Horrible alternative ! Mais qui aurait le courage de blâmer Martial, homme d’esprit et de talent, doué d’un caractère mou, facile, avide de loisir, n’ayant ni assez de cupidité pour entreprendre un état lucratif, ni assez de tenue pour y persévérer, d’être resté poète, au prix même de flatteries à Domitien !

 

IV. Le poète de l’empire a des honneurs, de la réputation, et point d’argent.

 En vérité, je me prends de pitié pour Martial, pour Stace, pour tous les écrivains de la Rome impériale, enfants de leurs œuvres, venus à Rome du fond de leur province, la tête couronnée de lauriers poétiques, et vivant misérablement des bienfaits de la cour, dans la société des grands qui les écrasent de leur luxe et de leur vanité, maîtres par l’esprit, esclaves par l’habit, montrés au doigt pour leur talent et pour leur toge râpée[18] ; je me prends, dis-je, de pitié pour eux, quand je vois quelle belle part fait notre siècle aux hommes de talent, combien richement il les loge, les habille et les voiture ; quand je vois que tout homme qui sait tenir une plume en peut vivre ; qu’un critique peut garder sa conscience, son franc-parler, et cependant subsister honnêtement ; qu’il y a dans ce temps-ci un grand protecteur de tous les talents, auquel on n’a pas besoin de faire la cour, qui donne sans qu’on lui demande, qui renouvelle à temps l’habit du poète, qui fait venir l’eau chez lui, sans qu’il faille comparer cette eau à la fontaine Castalie, ni celui qui la lui donne au grand Jupiter ; qui n’est ni la cour, ni les grands, ni le roi, ni la république, ni la liste civile, ni le budget, mais tout le monde. En vérité, je n’ai pas le courage d’accuser Martial pour ses flatteries, quoiqu’il en ait écrit de bien indignes, quoiqu’il ait dit que Janus, pour voir passer le Germanique (Domitien), se plaignait de n’avoir que deux visages[19] ; que si l’étoile du matin, le jour de l’arrivée de César, mettait quelque lenteur à se lever, César pouvait en tenir lieu[20] ; quoiqu’il ait dit à Jupiter : Venez dîner chez César, si vous avez tant envie de le voir[21] ; quoiqu’il ait appelé prince pudique[22] un homme qui mettait dans son lit sa nièce mariée à un autre, et qui lui élevait des statues où elle était représentée un ceste à la main, ce qui signifiait qu’il lui rendait les armes ; quoiqu’il ait fait dix épigrammes insipides sur le lièvre et le lion apprivoisé de Domitien, lion qui prête sa gueule au lièvre pour y jouer, lièvre qui n’a pas d’autre refuge contre la dent des chiens que la gueule du lion[23].

Martial se plaint sans cesse de sa pauvreté, quelquefois en des termes touchants, quelquefois avec toute l’amertume d’un cœur blessé par le sentiment de son infériorité sociale, et aigri par des besoins réels. Il avait été pauvre avec quelques amis, clients comme lui des mêmes patrons, comme lui faisant cortége aux riches ; alors on se promettait que le premier enrichi partagerait avec les autres. Demandez à Postume comment il a tenu parole. Martial et Postume étaient amis de trente ans[24]. Postume devient riche et puissant, Martial reste pauvre : la fortune a brouillé les amis. Notre poète fait souvent allusion à ces promesses de pauvre qu’on élude étant riche, à cette communauté que la fortune brise, parce qu’en même temps qu’elle donne la richesse à Postume, elle lui met dans le cœur l’égoïsme et l’orgueil.

Ceci est un vice de tous les temps, surtout des sociétés vieilles et corrompues. On fait un pacte entre amis, on promet ce qu’on n’a pas encore, on est généreux de ses espérances : un héritage vient, le pacte est rompu. Postume est Français aussi bien que Romain. Je connais Postume ; avant d’être riche, il avait le cœur large et la bouche pleine de promesses, il me mettait de l’or plein les mains, il me bâtissait des maisons de campagne, il me menait en Italie. Me voyant orphelin, inquiet de l’avenir, il me rassurait. — Mon vieil oncle ne peut pas me manquer, me disait-il ; patiente, tu seras riche. — Oui, l’oncle est mort, Postume se ruine avec des courtisanes et je reste pauvre. Postume m’a pourtant invité deux ou trois fois à venir dîner avec le chien de sa maîtresse ; j’ai prétexté un mal de dents pour ne pas voir Postume, et pour ne pas m’asseoir sur son canapé, à côté du chien de sa maîtresse.

Vous ne savez pas ce que coûte à Martial son amour pour les vers. Presque toujours il est sans argent ; il en emprunte et ne le rend pas. Il a des présents à faire aux Saturnales ; il est d’un rang où les amis comptent sur de riches cadeaux. Que peut donner un pauvre poète ? des vers[25]. Martial offre donc des vers, présent de peu d’usage pour la plupart des amis. Un autre jour, Martial n’a pas un as chez lui. Que faire ? Il lui reste les présents de son ami Regulus, homme puissant et riche ; il va les vendre, et il prie Regulus de les acheter[26].

Domitien lui a donné, je crois, une petite maison de campagne avec un bout de terre planté de sapins. Mais ce n’est pas de sa campagne qu’il tire les poulets, les chevreaux et les olives dont il fait présent à ce même Regulus ; il les achète au marché de Subura[27].

Cette petite maison faisait eau par le toit. Stella, qui -l’apprend, lui envoie des tuiles pour la faire recouvrir. Stella, lui écrit-il, voici décembre arrivé : tu couvres la petite ferme, mais tu ne couvres pas le fermier[28].

Parthénianus lui avait donné une très belle toge. Martial, dans sa joie, l’avait chantée sur un ton épique. De quelle laine veux-tu être ? disait-il à cette toge ; — à peu près comme Virgile disait à Auguste : Quel dieu veux-tu être ?de Tarente ? de Calabre ? d’Espagne ? choisis[29]. Il trouvait sa toge plus blanche que le lis, que l’ivoire blanchi par le ciel de Tibur, que les cygnes de l’Eurotas, que les colombes de Paphos, d’un tissu plus fin que les belles tapisseries de Babylone. Il craignait tant de la déparer, d’être indigne d’elle, qu’il avait demandé à Parthénianus d’y ajouter un vêtement de dessus, pour que le reste de son costume fût en harmonie avec sa toge. Hélas ! les pluies l’ont jaunie ; c’est à peine si le citoyen grelottant d’une tribu la voudrait porter. Cette toge n’est plus la toge de Parthénianus, c’est celle de Martial. Il s’en plaint à son ami[30]. Toujours la pauvreté, le besoin, toujours le poète qui mendie ou des habits ou de l’argent. Blâmez donc celui qui va se trouver demain à la pluie, sous son propre toit, ou sans habit, si Stella ne lui envoie pas de tuiles, ou si Parthénianus fait la sourde oreille au panégyrique de la toge.

Ce qu’il y a de pis, c’est que Martial, outre le rang que lui donnait sa renommée, était tribun honoraire, chevalier honoraire, et jouissait du droit de trois enfants. Sa place de tribun n’exigeait pas qu’il eût vu les camps ; sa place de chevalier n’exigeait pas qu’il payât le cens ; son droit de trois enfants n’exigeait pas qu’il fût père. C’étaient des titres que lui avait conférés Domitien, plus prodigue, à ce qu’il parait, d’honneurs que d’argent. Par celui de tribun, Martial jouissait de tous les droits et privilèges attachés à la place, sauf les appointements ; par celui de chevalier, il avait une place d’honneur au théâtre ; il pouvait s’asseoir sur les quatorze gradins réservés aux grands ; par son droit de trois enfants, il était exempté de certaines charges, et avait quelques privilèges ; s’il briguait les honneurs, il obtenait des exemptions d’âge. Ce droit de trois enfants était fort recherché des Romains. Il n’était même pas besoin d’être père pour l’obtenir. Quand Domitien l’eut donné à Martial, notre poète écrivit à sa femme : Le présent de mon maître ne doit pas être inutile[31]. Ne craignait-il donc plus d’être père, depuis qu’il avait obtenu la prime de César[32] ?

Puisque je viens de parler de la femme de Martial, notre poète a-t-il été marié trois fois ou une seule ? Dans son recueil, il y a trois femmes, toutes trois portant le titre d’uxor, celle d’abord à qui est écrit ce billet, une autre qu’il souille par les sales vers qu’il lui adresse, une troisième, Marcella[33], charmante Espagnole dont il dit le plus grand bien, et qu’il paraît avoir épousée à son retour à Bilbilis. Il vante la maison de Marcella, ses jardins, ses rivières où nagent des poissons apprivoisés, son bois de palmiers, sa fontaine, son colombier, petits royaumes, dit-il, que je tiens de Marcella[34]. Je veux penser que la première est la môme que la troisième, et que la seconde n’est qu’une courtisane pour laquelle Martial prostitue le noble titre d’uxor.

Maintenant que vous connaissez Martial, dites s’il est si fort à blâmer d’avoir flatté Domitien. Représentez-vous un homme d’un talent distingué, un poète à la mode, qui était lu dans tout l’empire, jusque chez les Gètes, jusque sous la tente du centurion qui commandait en Bretagne[35], popularité stérile pour lui, et dont sa bourse s’apercevait fort peu[36] ; un poète qui avait des statues, qui envoyait aux gens des épigraphes pour mettre au bas de ses portraits[37], qui pouvait se vanter que dès les premiers mots tout homme de goût reconnaissait Martial[38], qui s’asseyait sur les gradins des sénateurs et des chevaliers, qui dînait chez Domitien, qui faisait donner le droit de cité à qui il voulait[39], qui tenait un haut rang et avait de puissants amis ; représentez-vous ce poète, pauvre, humilié, obligé de faire le brave en tendant la main comme les mendiants qui chantent des chansons gaies ; se moquant de sa pauvreté, pour n’en pas paraître trop souffrir ; n’ayant pas l’air de demander trop sérieusement, pour se donner le droit de n’être pas trop humilié des refus ; représentez-vous cette position fausse, souffrante, d’un homme condamné par son instinct à la poésie, et préférant son art ingrat aux professions lucratives, ayant des privilèges et pas d’argent, des statues et des dettes, glorieux et nécessiteux ; après quoi, jetez-lui la, première pierre, si vous en avez le courage.

Il a flatté Domitien ! Sans doute. Mais que pouvait-il faire ? — De l’opposition ? — Au profit de qui et de quoi ? Rome ne pouvait pas rebrousser vers la république, et l’empereur régnant n’était guère pis que celui qui pouvait lui succéder. Conspirer était devenu chose peu tentante, depuis les destinées. de Lucain et de Pétrone, hommes de naissance d’ailleurs, qui semblaient y avoir un intérêt de caste, tandis que Martial, pauvre et né de pauvres, étranger, n’avait à Rome ni intérêts de famille, ni intérêts de caste, et était venu d’Espagne pour chercher fortune, non pour conspirer. Comment pouvait-il lui prendre fantaisie d’imiter les Brutus et les Caton, et d’aller rejoindre leurs grandes ombres sur les rives du Styx auxquelles il croyait peu, pour la gloire de la vertu à laquelle il ne croyait guère ? Se taire, en était-il maître ? Le silence d’un homme d’esprit dans ce temps-là pouvait tenter un délateur. Entre se taire et parler, qu’y avait-il à faire ? louer.

Martial loua beaucoup les choses louables ; les crimes, jamais. Il exalta la sagesse des rescrits où Domitien défendait qu’on fît des eunuques et qu’on prostituât les enfants ; il s’extasia sur son goût- pour bâtir, sur les temples qu’il élevait à Jupiter, sur les spectacles qu’il donnait au peuple. Il loua trop ce qui était à louer, il vanta démesurément ce qui valait à peine d’être mentionné ; il changea les escarmouches en batailles, les petits avantages en triomphes, les bons calculs en vertus ; il grossit, il exagéra d’autant plus les mérites qu’ils étaient rares, et que Domitien donnait peu matière à la louange méritée ; il se répéta faute d’avoir du nouveau à dire ; il aima mieux courir le risque qu’on lui fermât la bouche pour trop parler que pour parler trop peu ; il fut immodéré parce qu’il y aurait eu péril pour lui à être sobre.

 

V. Martial et Domitien.

Ce qu’on lui reproche le plus amèrement, c’est moins encore d’avoir flatté Domitien de son vivant que de l’avoir déchiré après sa mort. Je cherche dans son recueil les injures qu’il adresse à Domitien : je trouve une ou deux choses qui pourraient s’appeler des critiques assez décentes et assez nobles, mais qui ne sont point des injures. Il dit à Nerva : Les craintes ont cessé..... Toi, sous un prince dur, et dans de mauvais temps, tu as osé être bon[40]. — Aujourd’hui, dit-il ailleurs, nous sommes tous heureux avec Jupiter. Mais naguère, hélas ! j’ai honte de l’avouer, nous étions tous pauvres avec Jupiter[41]. Il fait ainsi sa cour à Trajan : En vain vous venez à moi, flatteries à la lèvre usée par le mensonge. Je n’ai plus à chanter ni un maître, ni un dieu. Désormais il n’y a plus de place pour vous dans Rome. Allez, honteuses et suppliantes, allez chez les Parthes coiffés en esclaves, baiser les sandales de leurs rois chamarrés[42]. — Loin d’ici, s’écrie-t-il ailleurs, loin, pâles inquiétudes ; disons tout ce qui nous vient à l’esprit, et chassons les sombres pensées[43] ...

C’est à peu près tout ce que Martial a écrit contre Domitien. On serait bien sévère d’y voir de lâches outrages. Ce n’est pas un esclave auquel on a délié la langue pour le jour des Saturnales, et qui se dédommage d’une année de dépendance et de mauvais traitements. C’est un poète qui a peu gagné au métier de flatteur, qui l’a porté comme un joug, et qui conserve une certaine mesure en se retournant contre la mémoire de son maître, parce qu’il sent bien qu’entre celui qui impose le joug et celui qui le porte, la honte est de, moitié. Martial n’outrage pas Domitien ; il le juge en homme qui a perdu le droit d’être très sévère, et qui le sait.

Mais si les flatteries adressées au successeur d’un prince sont des outrages pour ce prince, Martial est bien coupable envers Domitien, car il fait de grands éloges de Trajan. Heureusement qu’il y avait là à louer sans bassesse. Pline le jeune n’a pas perdu sa réputation d’homme de bien, pour avoir fait un panégyrique exagéré de Trajan. Après les mauvais jours de Domitien, on conçoit que les belles qualités de son successeur dussent inspirer de l’enthousiasme, même non doté ni pensionné, comme était celui de Pline. Le hasard avait bien servi Martial en conduisant la main du vieux Nerva. Ses flatteries pouvaient n’être pas des insultes à Domitien.

 

VI. Martial homme candide et bon.

Toute cette justification de Martial peut paraître un paradoxe. Je vais pourtant le pousser plus loin. On lit dans une lettre de Pline le jeune ce jugement sur Martial : C’était un homme spirituel, piquant, vif, qui a mis dans ses écrits beaucoup de sel et de mordant, et non moins de candeur[44]. Candeur vous étonne à propos de Martial. Attendez, cette qualification va s’expliquer par plusieurs passages de son recueil. Martial était bon ami ; ses plus jolies épigrammes sont inspirées par des sentiments doux, délicats, principalement pour ses amis. Il professait quelques maximes générales sur l’amitié, qui devaient paraître du bel esprit dans ce temps d’égoïsme furieux et déhonté. Ce qu’on donne à ses amis, disait-il, est le seul bien qu’on soustrait à la fortune. (Livre V, ép. 42.)

Et quoiqu’il ait été pauvre, et plus prêt à recevoir qu’à donner, sa maxime n’en est pas plus suspecte ; car il donnait ce qu’il n’avait pas. J’aime tes calendes d’avril, dit-il à Q. Ovidius, autant que mes calendes de mars ; jours également heureux dont l’un m’a donné la vie, et l’autre un ami ; mais tes calendes, ô Quintus, m’ont donné plus.

Plus dant, Quinte, mihi tue kalendæ.

Ce vers est charmant comme le précédent, parce que ce n’est pas un trait d’esprit, mais de sentiment. Dans un poète du caractère dont parle Pline le jeune, spirituel, piquant, vif, habitué à tourner tout à la satire, et n’ayant même pour exprimer ses sentiments doux qu’une forme qui les exclut, l’épigramme, quelques vers simples et touchants pont des preuves certaines de bon naturel.

Martial comptait parmi ses amis le célèbre Antonius Primus, chef du parti flavien, auquel Vespasien dut l’empire. Il avait chez lui un portrait de cet homme illustre qu’il couronnait de violettes et de roses. Oh ! disait-il, si l’art pouvait rendre le caractère et les mœurs comme il rend les traits du visage, il n’y aurait pas dans le monde de plus beau portrait que celui d’Antonius ![45] Voici une pensée qui ne peut venir qu’à un bon naturel : L’homme de bien double le temps de sa vie : c’est vivre deux fois que de pouvoir jouir de son passé. »

Ampliat ætatis spatium sibi vir bonus : hoc est

Vivere bis, vira posse priore frui.

La pièce suivante est pleine d’une philosophie douce et honnête, et d’une morale aimable. Le poète définit le bonheur à Julius Martialis, un de ses plus chers amis :

Voici, aimable Martialis, ce qui rend la vie heureuse : une fortune non acquise, mais laissée en héritage ; un champ qui ne trompe pas les espérances ; les besoins de la vie assurés pour toujours ; jamais de procès ; peu d’usage de la toge[46] ; un esprit tranquille ; des forces naturelles ; un corps sain ; une simplicité qui n’exclut pas la prudence[47] ; des amis qui soient nos égaux ; des repas sans appareil ; une table sans art ; des nuits sobres et sans inquiétudes ; une couche qui ne soit pas maussade et qui pourtant soif chaste ; un sommeil qui abrége la longueur des ténèbres ; être content de son sort, et ne lui préférer pas « celui d’autrui ; attendre le dernier jour sans le « craindre, sans le désirer. (Livre X, ép. 47.)

J’ai toujours eu cette idée, vraie ou fausse, mais assurément bien innocente, qu’il n’y a que les bonnes gens qui aiment la campagne et qui sachent en parler avec accent. Or, je trouve cet amour dans Martial, et c’est une preuve de plus de ce caractère candide dont le loue Pline le jeune. Les plus jolis morceaux peut-être du poète bilbilitain ont été inspirés par la campagne. Il y a autant de sentiment que d’esprit dans ces vers où il applaudit au projet de départ de son ami Domitius pour le joli pays de Vercelles[48] :

Que je meure, Domitius, si je ne te laisse pas volontiers partir, quoiqu’il n’y ait pas pour moi de jours agréables sans toi, tant je partage ton désir ardent de soulager, même pendant une seule moisson, ton cou fatigué du joug de la ville ! Va donc, je t’en prie, et laisse-toi pénétrer tout entier des rayons du soleil. Que tu seras beau, Domitius, lorsque tu seras devenu étranger ! (Liv. X, ép. 42.)

Je demande pardon pour ma traduction qui ne rend ni colla perusta, ni avida cute, ni combibe totos soles. Qui est-ce qui oserait écrire en français : Bois le soleil tout entier par tes pores avides ? Mais ce qui ne se traduit pas est ce qui se sent le mieux.

C’est pitié de voir comme ce pauvre Martial était las lui-même de ce joug que Domitius allait secouer pendant un été. Grâce, ô Rome, s’écrie-t-il,  grâce pour un complimenteur épuisé ; grâce pour  un client qui succombe à la fatigue ![49] Et ailleurs : Ô Gallus, si mes tribulations de client ajoutent quelque peu à ton bien-être, oui, dès le matin, dès le milieu de la nuit, je passerai ma toge, je braverai le souffle glacé de l’aquilon, je recevrai la pluie et la neige ; mais si tu n’en es pas plus heureux d’un quart d’as, eh bien ! Gallus, je t’en conjure par ces gémissements que je pousse, par ces croix que j’endure, épargne un client exténué ; fais-lui grâce de fatigues inutiles, puisqu’elles ne te font pas de bien, Gallus, et qu’elles lui font du mal. (Livre X, ép. 82)

Voici des vers délicieux sur la maison de campagne d’Apollinaris à Formies :

C’est là qu’un doux zéphyr ride la surface de la mer. L’eau n’est point languissante ; mais son repos est animé. Une brise légère y fait glisser la barque peinte, pareille au vent frais que la jeune fille fait avec sa robe de pourpre pour se rafraîchir des ardeurs de l’été.... Ô portiers, ô heureux fermiers ! ce sont vos maîtres qui achètent ces merveilles, c’est vous qui en jouissez ! (Livre. I, ép. 30.)

Dans des vers comme ceux-ci, le plus grand charme est la nuance même de l’expression que la traduction ne peut reproduire. Portier est un mot ridicule dans un morceau littéraire ; il gâte l’exclamation de la fin, qui est pleine de sentiment et de naïveté. Janitores est noble en latin. La poésie de Martial, qui est rarement profonde, et où la pensée, dépouillée de l’expression, est assez souvent commune, résiste moins que toute autre poésie aux désenchantements de la traduction. Il n’y a que la langue qui puisse rendre supportable un recueil de traits d’esprit, où les idées mêmes de sentiment ont quelque chose d’aiguisé et d’épigrammatique, par l’habitude du poète de tourner en pointe tout ce qu’il écrit.

 

VII. Des impuretés de Martial.

Maintenant, comment concilier ce caractère de candeur avec les impuretés qui salissent le recueil de Martial ? J’ai honte de dire que j’ai lu une à une toutes les épigrammes libertines, infâmes quelquefois, presque toujours spirituelles, du poète de Bilbilis. L’ennui que cette lecture m’a causé, la monotonie de ce langage cynique, les nausées que donnent à un lecteur honnête, ; ce libertinage de sang-froid, ce cynisme d’un observateur qui se ravale jusqu’à noter curieusement tout ce qui se fait entre quatre murs dans une société pourrie et puante, le dégoût profond qui vous reste æ cette espèce de morale effrontée, qui se fait plus sale que les vices qu’elle accuse ; toutes ces choses sont peu propres à enflammer les sens, et je ne comprends guère, pour mon compte, la peur qu’on a de Martial, ni l’espèce d’indignation que son immoralité inspire à ceux qui ne l’ont pas lu. Vous avez peut-être visité ce cabinet anatomique où sont étalées en cire toutes les maladies du libertinage, où l’on fait saigner et suinter les plaies les plus hideuses que le scalpel du chirurgien ait jamais fouillées ; eh bien ! plus d’un père de famille y a conduit son fils, pour le préserver de la débauche en lui en donnant l’horreur et la crainte. La lecture de Martial aurait cet effet sur bon nombre d’imaginations ; son recueil n’est-il pas une espèce de galerie assez semblable au cabinet dont je parle, où sont consignées et étiquetées toutes les inventions en ce genre d’une société qui n’avait plus guère qu’un génie, le génie de la débauche ? Cependant je ne conseillerais pas de donner Martial à lire aux jeunes gens ; il y a quelque chose qui vaut mieux encore que le dégoût, c’est l’ignorance ; et fort heureusement Martial est assez obscur pour que peu de jeunes gens aient la tentation d’y aller chercher la science du libertinage au prix des difficultés de la lecture.

Je ne veux point justifier les impuretés de Martial, à quoi bon ? Je veux seulement les expliquer par quelques remarques atténuantes.

D’abord, il y a tout lieu de croire que beaucoup d’expressions, dont la malhonnêteté nous choque, n’avaient pas la même portée chez les contemporains, et n’étaient pas si brutales. Martial dit quelque part que les jeunes filles peuvent le lire sans danger. Admettons que ce propos soit une fanfaronnade bilbilitaine, et réduisons l’innocence de son recueil à ce qu’elle est en réalité ; encore est-il vrai qu’on ne se cachait pas pour le lire, que les gens de bon ton, comme on dirait chez nous, gens qui ont d’autant plus de pruderie de paroles qu’ils sont plus libres dans la conduite, avouaient publiquement leur admiration pour Martial. Notre poète parle d’ailleurs très souvent, et avec une honnête franchise, de son respect pour les convenances ; il excuse la liberté de son langage par la retenue de ses intentions : Ma page n’est pas toujours chaste, dit-il, mais ma vie est probe[50]. Comment se serait-il vanté de garder une certaine mesure, au risque de recevoir un démenti universel, si en effet il n’y avait pas eu dans ses épigrammes beaucoup de choses plus hardies qu’impures, plus égrillardes qu’immondes ?

J’ai sans doute bien mauvaise idée de la Rome .impériale, et je crois peu à la chasteté d’une ville où des statues nues de Priape souillaient les palais, les temples, les places publiques, les carrefours ; où, dans les fêtes de Flore, on voyait courir sur le soir à travers les rues de Rome, non pas des prostituées, mais des dames romaines échevelées et nues ; où les femmes se baignaient pêle-mêle avec les hommes ; où les comédiennes se déshabillaient quand on leur avait crié du parterre : Déshabillez-vous ! Mais j’ai peine à croire qu’on pût s’y vanter ouvertement de faire ses délices de Martial, si Martial y eût été aussi impur qu’il nous le paraît aujourd’hui. J’imagine donc que, sauf un certain nombre de gros mots, que la société la plus licencieuse devrait avoir honte de lire, la plupart de ses épigrammes sur certains vices n’offensaient pas le peu qui restait de pudeur publique. Ce qui nous semble des ordures coupables pouvait bien n’y être que des licences permises. Quand les vices sont des habitudes dans un pays, les impuretés n’y sont plus que des peintures de mœurs.

En second lieu, presque toutes les épigrammes érotiques de Martial ne sont en réalité que des satires au petit pied. Notre poète recueillait les mauvais propos, et, comme on dit, les cancans de la bonne et de la mauvaise compagnie. Or, les cancans sont une espèce de satire, qui a peu d’autorité, j’en conviens, mais qui est la seule possible dans certains temps. Martial aiguise en épigrammes tout ce qui se disait çà et là des débauchés, hommes et femmes, qui avaient attiré l’attention publique, précisément par la maladresse de leurs précautions pour l’éviter, ou par l’éclat de leur infamie. Toutes ses épigrammes érotiques ont pu être des propos libres tenus par des hommes d’esprit du temps, gens qui savaient se cacher, et qui médisaient de ceux qui se laissaient voir. Martial en recueillait sans doute un bon nombre, imaginait le reste, et s’appropriait le tout par le style. Puis il lançait de temps en temps ces cancans dans le monde, ce qui n’y changeait rien, et n’empêchait pas les vices d’aller leur train ; d’autant plus que personne n’y était nommé de son nom.

Toutefois, Martial n’en jouait pas moins le rôle de censeur, censeur suspect, je l’avoue, et qui parlait trop en connaisseur des vices qu’il critiquait, mais qui trouvait de temps en temps des accents honnêtes, et un certain dégoût digne de la haute satire. Il y a de l’indignation dans plus d’une de ses épigrammes, et l’on dirait qu’il va prendre au sérieux les turpitudes de ses contemporains ; mais cette indignation finit par une pointe : la colère du poète expire dans un jeu de mots. On sent que Martial a trop de tolérance pour faire de la satire ; il a quelquefois du mépris, du dégoût, jamais de la haine. Il est presque reconnaissant envers les débauches monstrueuses dont il parle, pour les traits heureux qu’il en tire, et il songe bien plus à faire rire que réfléchir son lecteur. Cette espèce d’insouciance nous blesse, il est vrai ; nous ne concevons pas qu’on ne trouve qu’à rire de ce qui fait horreur ; mais telle était la corruption des mœurs, au temps de Martial, que les grands vices pour lesquels la satire se réserve, et qui, dans tout autre temps, marquent d’une certaine célébrité d’ignominie le très petit nombre de ceux qui en sont atteints, étaient communs à presque tous les Romains, et tombaient par là dans le domaine de l’épigramme, du cancan, petites armes qui ne s’emploient d’ordinaire que contre les manies, les préjugés et les travers d’une époque. Tout ce qu’on pouvait exiger de Martial, vivant au milieu de ces vices, dans leur intimité et peut-être dans leur confidence, c’est que ne pouvant pas être leur ennemi ouvert, il ne fût pas leur flatteur, et qu’il eût assez de courage pour faire rire de ceux qu’il n’avait pas le pouvoir de déshonorer. Or, il a rempli cette tâche, quelquefois avec vigueur, quelquefois avec un sentiment qui n’a pas dû sortir d’une âme dépravée.

Reste une dernière remarque sur la partie des épigrammes libres qui regardent personnellement Martial. Ici la justification de notre poète est très difficile. Il y a deux ou trois pièces infâmes, où il est question d’un libertinage raffiné, qui donne une triste idée de celui qui s’y livre, et surtout qui s’en vante. D’après une de ces pièces, la plus abominable de toutes, il paraît que Martial, pour réveiller ses sens usés, frappait à coups redoublés son esclave, afin d’imprimer une sorte d’agitation convulsive à ce triste et apathique instrument de ses dégoûtants plaisirs[51].

Se peut-il que de telles choses aient été publiées, et qu’il n’y ait pas eu dans Rome une censure officielle qui les fît lacérer par la main d’un esclave au pied de quelque vieille statue de Caton ?

A l’exception de cette épigramme et de deux ou trois autres que je ne veux point indiquer ni traduire, toutes les fois que Martial est en scène, il est moins coupable par ce qu’il fait que par ce qu’il dit. C’est de la franchise fort grossière et fort déplacée. Des hommes de son temps, qui faisaient pis que lui, étaient cependant plus honnêtes, parce qu’en se cachant, ils ne gâtaient personne par leur exemple. J’ai entendu beaucoup de déclamations contre l’immoralité de Rousseau. La première faute, sans doute, c’est d’être immoral ; mais la plus grande faute, c’est de s’en vanter. Rousseau se déshonora par orgueil ; il crut racheter ses fautes en les vantant ; il se fit des ennemis pour avoir des confidents. L’immoralité de Rousseau aurait été qualifiée simplement d’irrégularité fâcheuse dans un homme qui aurait tu sa vie.

Il y a deux sortes de morale, l’une particulière, l’autre publique : tel qui blesse la première et ménage la seconde, est, à faute égale, moins nuisible aux mœurs que celui qui les blesse toutes deux, en faisant le mal et en le disant. Martial, à coup sûr, valait mieux que certains de ses amis, hommes impurs, mais cachés, qui riaient entre eux de ce pauvre caractère frivole et vaniteux, ne pouvant garder aucun secret, et se mettant tout nu pour attirer les yeux. Rousseau, tout bourru que je me le figure, tout aigre et inégal qu’il fût pour tous ses amis, avait plus d’honnêteté au fond du cœur, et peut-être dans sa conduite, que la plupart des philosophes beaux esprits qui cachaient, sous un certain dégoût assez raisonnable de l’orgueilleux étalage qu’il faisait de ses fautes, l’envie cuisante et implacable que leur inspirait son talent. Si je dis cela, ce n’est pas pour faire en morale des catégories toujours dangereuses ; c’est parce qu’il arrive bien souvent que de très grosses turpitudes dissimulées avec habileté, et qui ne sortent pas du secret de lac chambre, comme dit Dante, pèsent moins dans la balance des jugements humains que de simples faiblesses, étalées par je ne sais quel besoin malheureux d’occuper le monde de soi à tout prix.

De la part de Martial, ces indiscrétions m’étonnent d’autant moins qu’il avait beaucoup de vanité. Cette vanité éclate à chaque instant, le plus souvent sous les formes de la modestie, comme c’est l’usage ordinaire des poètes. Quelquefois Martial n’y met aucune précaution. Un poète de son temps entremêlait ses fades poésies de quelques vers volés à Martial : Pourquoi cherches-tu, lui dit-il, à faire ressembler des lions et des renards, des aigles et des hiboux ?[52]

Il y avait un certain Fidentinus, plagiaire, qui tantôt donnait comme siennes des épigrammes impudemment dérobées à Martial, et les débitait d’un ton détestable[53], tantôt glissait une page de sa façon dans le recueil de notre poète[54]. Cette page au milieu de mes vers, disait Martial, c’est un corbeau parmi des cygnes, une pie criarde parmi des rossignols, une marmite de brique au milieu de vases de cristal, la bure d’un laboureur gaulois parmi des toges de pourpre. Notre poète se met sans façon au-dessus des poètes épiques qu’on admire fort, dit-il, mais qu’on ne lit pas[55]. Peu rassuré sur le bon goût de Domitien, qu’il croyait médiocre connaisseur, il priait ses protecteurs de lui glisser à l’oreille qu’il faisait grand honneur à son règne, et qu’il n’était inférieur ni à Marsus ni à Catulle[56]. Il promet quelque part[57] à ses vers qu’ils vivront plus longtemps que les peintures d’Apelle, ce qui n’est arrivé qu’à trop de vers qui sont loin de valoir les siens.

 

VIII. Martial et Stace poètes rivaux.

On a cherché les raisons pour lesquelles Martial qui, selon La Harpe, parle des succès de Stace, n’a jamais dit un mot de ce poète, ni même prononcé une seule fois son nom. N’était-ce pas tout simplement affaire de rivalité ? Stace et Martial étaient les deux poètes accrédités auprès de Domitien ; tous deux étaient pensionnés, tous deux tenaient de la cour leur aisance besogneuse, ou plutôt leur demi-misère. Mais Stace, improvisateur distingué, n’avait besoin que d’une mâtinée pour faire un panégyrique en règle ; et il est fort croyable que Martial qui limait ses pointes comme Virgile ses Géorgiques, se voyant souvent devancé par son concurrent, en avait conçu contre lui un de ces dépits d’auteur qui se changent vite en inimitié. Qu’on se figure nos deux poètes faisant assaut de promptitude et d’à-propos pour un prince qui n’aimait point les lettres, et n’avait à coup sûr aucune préférence littéraire pour l’un ni pour l’autre ; qu’on se figure entre deux hommes d’esprit et de talent, cette concurrence pénible d’obséquiosité et de flagornerie, ce défi misérable à qui flatterait le mieux et le plus à temps, et pour quel prix, hélas ! pour obtenir quelques miettes de la table impériale, pour attraper, dans les distributions d’emplois et d’honneurs que faisait César aux Saturnales ou au jour de sa naissance, quelques privilèges honorifiques qui aggravaient leur pauvreté, en la forçant à faire certaine figure ; que sais-je ? pour avoir une mule à eux, et peut-être un bout de champ qui ne pouvait pas nourrir son maître, ou une maison qui ne pouvait pas le couvrir ; — et cependant, pour si peu, deux poètes qui devaient s’estimer et s’aimer, et se partager amicalement le poids de la flatterie, afin de le rendre moins lourd, deux hommes d’un rare talent, qui auraient pu se dédommager, dans de libres et doctes épanchements, des déboires de la flatterie, se jalousaient l’un l’autre, et peut-être amusaient, par le ridicule de leurs rivalités, l’eunuque ou l’affranchi chargé de leur remettre en main les dons de César ! Et comme César était avare, et qu’il aimait mieux dépenser la fortune des Romains à bâtir des temples à Jupiter, ou à élever des statues à sa nièce, qu’à réparer les torts de la fortune envers deux poètes pauvres, Martial et Stace ressemblaient à deux mendiants qui se regardent de travers et se prennent d’injures, si le passant auquel ils tendent la main ne veut faire l’aumône qu’à l’un d’eux. Il n’y a pas d’expressions trop fortes pour s’apitoyer sur le sort de ces deux poètes, à la fois pauvres et vains, que la même nécessité condamnait à vivre des grâces d’un tyran, et, ce qui est bien plus horrible, à disputer à qui les mériterait le plus !

Martial et Stace ont traité deux fois le même sujet. L’extrême différence de leur manière, et la supériorité des deux morceaux de Stace sur ceux de Martial, ont dû, j’imagine, être soigneusement exploités par cette bonne espèce d’amis qui trouve du plaisir à brouiller des hommes faits pour s’estimer. Je crois faire plaisir au lecteur en donnant quelques extraits des pièces de ce concours entre deux flatteurs qui ont également besoin de réussir, et qui se disputent, non pas un laurier, mais une caresse de prince illettré, et un couvert de temps en temps à la table d’un opulent patron.

Le premier de ces sujets est la chevelure d’Earinus, eunuque très aimé de Domitien, qui avait fait couper ses beaux cheveux en reconnaissance et les avait consacrés à Esculape avec le miroir qui servait à sa toilette. Sujet galant, s’il en fut, et parfaitement dans la convenance de nos deux génies. Le second est une petite statue d’Hercule, en bronze, d’un très beau travail, qui se voyait chez Nonius Vindex, riche romain, lequel aimait les arts et les lettres, et qui en eût été le Mécène, si Domitien en avait voulu être l’Auguste. Parlons d’abord du premier.

Martial a fait six épigrammes, tant sur Earinus que sur sa chevelure. Ces petites pièces forment un tout auquel je comparerai plus aisément la Silve de Stace, qui est assez longue, et qui contient toute une histoire.

Dans la première de ces épigrammes Martial joue sur le nom d’Earinus : Beau nom, dit-il, né avec les violettes et les roses, et dont on nomme « la meilleure partie de l’année, nom qui sent l’Hybla, et les fleurs de l’Attique, et le nid parfumé du phénix ; nom plus doux que le nectar ; nom que voudraient porter Atys et le bel enfant qui sert d’échanson à Jupiter ; nom auquel répondent les Grâces et les Amours, quand on le prononce dans le palais des Césars ; nom noble, doux, délicat, que je voulais chanter en vers harmonieux : mais toi, syllabe opiniâtre, tu refuses d’entrer dans la mesure ! (Livre. II, ép. 12.)

Un peu plus loin, Martial, revenant sur ce même nom, appelle encore à son secours d’autres comparaisons mythologiques et continue : Tu portes un nom, ô. Earinus ! qui est celui de la saison riante où les abeilles de Cécrops picorent la fleur dont la vie est si courte, un nom qui méritait d’être écrit avec la flèche de Cupidon ou l’aiguille de Cythérée, un nom que les grues traceraient en volant au haut des cieux, un nom qui ne peut être prononcé convenablement que dans le palais des Césars. (Livre IX, ép. 14.)

Après cet agréable jeu d’esprit sur le nom, notre poète en vient aux cheveux. Il les offre à Esculape : Vénérable petit-fils de Latone, qui désarmes les Parques par des simples adoucissants, l’enfant de Pergame, où tu as un temple, t’envoie ses cheveux admirés de son maître. Il y joint un miroir transparent qui reproduisait avec fidélité son heureux et beau visage. Conserve-lui l’éclat de la jeunesse, et fais qu’il ne soit pas moins beau, quoiqu’il ait les cheveux plus courts. (Livre IX, ép. 11.)

Je vous épargne une dernière pièce, dans laquelle Jupiter s’entretient avec Ganymède d’Earinus et des autres esclaves de Domitien. Ganymède demande à Jupiter la permission de lui offrir ses cheveux, à l’exemple d’Earinus ; à quoi Jupiter répond gravement : Ce n’est pas moi qui te refuse, enfant chéri, c’est la nécessité. Notre César a dans sa cour mille esclaves qui te ressemblent ; à peine son immense palais contient-il cette troupe céleste : si tes cheveux coupés font de toi un homme, qui trouverai je à ta place pour me verser le nectar ? (Livre IX, ép. 37.)

Toutes ces allégories sont si puériles, je devrais même dire si sottes, que c’est presque un honneur pour Martial d’avoir été si mal inspiré pour de si pauvres choses. Il faut lui rendre cette justice, que s’il ne trouve que des flatteries sans délicatesse et sans sel pour César lui-même, il est encore plus malheureux pour les eunuques et les valets de César.

Stace fait plus de frais d’invention que Martial. C’est même une bonne fortune pour Stace que d’avoir à traiter un très petit sujet. Sa grande réputation vient surtout de ce qu’il sait tirer quelque chose de rien. Pour un poète qui trouve à faire des vers par centaines sur un arbre, sur des bains, sur les larmes d’un ami, une chevelure d’eunuque pouvait être la matière d’une épopée. La pièce de Stace sur les cheveux d’Earinus est un poème complet. Ce poème est plein de grâce et d’esprit ; mais c’est de la grâce où il n’y a pas de sentiment, et de l’esprit où il n’y a pas de raison. Il faut moins y chercher des pensées que d’agréables effets de style, des vers harmonieux, une poésie d’images et de rythme plutôt que d’idées ; de l’improvisation italienne étincelante ; un jeu de la mémoire, dans une tête vive.

La pièce commence par une apostrophe à la chevelure qui traverse les mers, enfermée dans une boîte d’or. Le poète lui assure la faveur de Vénus et le silence des vents. Peut-être même, dit-il, la déesse t’enlèvera du navire qui te transporte aux u rivages de Troie, et te placera sur sa conque divine. Après cette première invocation, le poète en adresse une seconde à Esculape, où il le prie de recevoir les cheveux du favori de César, et de les montrer à Apollon, qui n’a jamais vu tomber les siens sous le ciseau ; puis une troisième à Pergame qui a donné le jour au bel Earinus, et qui en a fait don à la ville éternelle ; après quoi commence le récit.

Vénus était descendue des sommets de l’Éryx, et allait visiter les bois sacrés d’Idalie, sur un char traîné par des cygnes amoureux. On dit que, s’arrêtant à Pergame, elle entra dans le temple où réside le dieu qui guérit les maladies, et qui suspend sur la tête des mortels la marche rapide des destins ; dieu bienfaisant dont l’autel repose sur un serpent, symbole de la santé. Là, Vénus aperçut un enfant d’une beauté céleste, qui jouait au pied de l’autel ; et d’abord, un peu trompée par le charme de sa figure, elle croit voir un des amours de sa suite : mais il lui manquait un arc, et des ailes n’ombrageaient point ses épaules éblouissantes.

Vénus contemple cet enfant, ses cheveux, son gracieux visage ; elle ne veut pas qu’il aille en Italie pour servir, sous un toit rustique, un maître vulgaire. Elle lui propose de monter dans son char ; elle le transportera à travers les cieux dans le palais des Césars. Là, du moins, au lieu d’être soumis au caprice d’un plébéien grossier, il fera les délices du maître du monde. A cela elle ajoute les compliments les plus flatteurs : Earinus est plus beau qu’Atys et Endymion, plus digne que Narcisse de mourir d’amour pour sa figure. La naïade aurait quitté volontiers Hylas pour lui. Earinus est plus beau que tous les amours ensemble, il ne le cède en beauté qu’à celui auquel Vénus le destine :

Tu puer, ante omnes ; solus formosior ille

Cui daberis .....

Earinus est placé sur le char de la déesse, et les cygnes légers l’enlèvent dans les airs. Ils arrivent à Rome. Vénus apprête elle-même la toilette de son favori ; elle hésite entre différentes formes à donner à sa chevelure ; elle choisit les pierreries qui doivent parer ses doigts, et le collier qui doit faire valoir la blancheur de son cou. Elle noue elle-même les cheveux d’Earinus, et elle répand sur lui les rayons de sa grâce divine. Earinus fait son entrée à la cour de César : à son aspect disparaissent les anciens favoris ; il devient le Ganymède du Jupiter de Martial. Là-dessus, Stace s’écrie :

Cher enfant, choisi pour goûter le premier le nectar réservé aux dieux, toi qui touches tant de fois la main puissante que le Gète, l’Arménien, l’Indien, le Persan, brûlent de connaître et de toucher ! oh ! quel astre favorable a présidé à ta naissance, et de quelles faveurs les cieux t’ont comblé ! Un jour, le dieu de ta patrie, Esculape, craignant que le premier duvet, en se répandant sur tes joues, n’altérât les grâces de ta jolie figure, quitta Pergame, franchit les mers, et ne voulant confier â personne le soin de changer ton état, te fit sortir, sans blessure, de ton sexe, par un secret de l’art mystérieux qu’il tient d’Apollon. Pendant ce temps-là, Vénus était inquiète pour son favori, et s’effrayait de ses douleurs.

La magnanime clémence de César n’avait pas encore préservé les enfants de cette mutilation. Aujourd’hui, c’est un crime d’attenter à la virilité et de changer le sexe d’un homme : la nature se réjouit de voir ses enfants tels qu’elle les a formés, et les mères esclaves, affranchies d’un usage barbare, ne craignent plus pour le dépôt qu’elles portent dans leur sein.

Stace remarque fort judicieusement que si le pauvre Earinus était venu au monde un peu plus tard, il aurait pu offrir tout à la fois à Esculape et sa barbe et ses cheveux. Les cheveux iront seuls à Pergame, tout parfumés d’essence par Vénus, et peignés depuis longtemps par les trois Grâces. Ces cheveux, qui ressemblaient tout à l’heure à ceux de Bacchus, surpassent maintenant en beauté les cheveux d’or de Nisus, et la chevelure que le bouillant Achille consacrait au fleuve Sperchius. Stace n’oublie, comme on voit, aucunes des chevelures mythologiques ; c’est de l’érudition de coiffeur.

Je reprends le récit. Sitôt qu’on a résolu de dépouiller les épaules d’Earinus de leur plus bel ornement, la nichée des Amours arrive, couvre le jeune homme d’un peignoir de soie, coupe les cheveux avec le fer croisé de plusieurs flèches, et les place dans une boite enrichie de pierreries. Vénus les a reçus au moment de leur chute, et les a arrosés une seconde fois de ses mystérieux parfums.

L’opération terminée, un des Amours qui tenait un miroir tout étincelant de diamants propose à sa mère d’envoyer le miroir en même temps que la chevelure à Esculape : seulement il la prie d’y laisser tomber un de ses regards, et d’ordonner que le miroir conservera toujours l’empreinte de ses traits. Vénus y consent.

La pièce se termine par une prière d’Earinus à Esculape pour la santé et la prospérité de Domitien. Il souhaite à son maître la vieillesse fabuleuse des Priam et des Nestor[58].

Le plus grand mérite de cette Silve est le style. Encore y trouverait-on beaucoup à redire. J’y cherche en vain la propriété d’expression, le tour naturel des poètes du siècle d’Auguste, même de ceux chez qui ce tour est mêlé d’un peu de manière. On sent que la corruption des idées a infecté le langage, et que là où l’inspiration manque, il n’y a plus de netteté dans la langue ni de justesse dans les images. Cette différence ne vient pas uniquement comme l’ont dit quelques critiques, d’un mépris systématique pour les écrivains du siècle d’Auguste, ni de l’espèce d’épuisement qui se fait sentir dans une langue, après que les plus grands écrivains en ont donné les préceptes et fixé irrévocablement le génie. Les poètes romains du second âge reconnaissaient pour maîtres et pour modèles les poètes contemporains d’Auguste. Ils en font souvent l’aveu dans les termes les moins équivoques. Martial en particulier est l’admirateur déclaré des grands poètes qui l’ont précédé, et il met sa gloire à les suivre de loin. Il n’a pas non plus la prétention assez ridicule de vouloir rajeunir la langue avec de vieux mots, ni dé remettre en circulation des locutions qui ont péri par la désuétude ; prétention assez ordinaire aux poètes qui, impuissants pour ajouter aux richesses indigènes d’une langue, tantôt lui imposent des tours étrangers, tantôt exhument des formes mortes que les hommes de génie eux-mêmes n’ont pu sauver des caprices de la mode et de l’oubli du public. Martial ne croit pas que l’obscurité et l’archaïsme donnent de l’originalité au style ; il ne veut pas que ses écrits mettent en défaut la patiente sagacité des Modestus et des Clarinus, pas plus que Boileau ne veut préparer des tortures aux Saumaises futurs. Il se moque de Sextus, qui préférait Cinna à Virgile, parce que Cinna était obscur et inconnu, et parce que c’est assez l’usage des poètes médiocres d’affecter des admirations bizarres pour les auteurs qu’on ne lit pas. Que Sextus trouve ces poésies fort à son gré, parce qu’il est le seul qui les entend ; qu’il aime mieux écrire pour les contemporains de Cinna qui ne peuvent plus le lire, que pour les hommes de son temps qui ne le lisent pas, Martial s’en soucie peu : Je veux, dit-il quelque part, que mes vers plaisent aux grammairiens et sans le secours des grammairiens.

On n’écrivait donc pas mal par plaisir et parti pris, comme cela s’est vu dans d’autres temps ; on écrivait mal, parce qu’on pensait mal. Il ne pouvait y avoir de pensée libre que celle qui savait se taire : celle qui osait se produire n’était jamais d’inspiration. Habillée de ménagements de toute espèce, elle n’affrontait la publicité que sous un déguisement qui la rendait obscure, pour qu’elle fût innocente. Martial et Stace, quoique doués d’imagination et d’esprit, sentant le beau et voulant y atteindre, écrivains habiles et ingénieux, écrivent mal quand ils n’osent ou ne peuvent penser bien. Ils trompent la langue, et faussent son génie pour la forcer à mentir.

Le second sujet où Stace et Martial ont concouru pour le prix de poésie, est l’histoire d’une statue de bronze représentant Hercule, et la nomenclature des différents possesseurs de cette statue. Il y a deux petites pièces de Martial, et une seulement de Stace, qui cette fois encore a l’avantage. Voici d’abord la composition de Martial. Je me sers de ce mot à dessein, parce qu’il s’agit d’une amplification d’école, et d’une joute de bel esprit entre deux grands écoliers.

Ce dieu que vous voyez si grand dans un bloc d’airain si petit, qui s’assied sur un rocher que rend moins dur la peau d’un lion ; ce dieu, dont la face contemple le ciel qu’il a porté sur ses épaules, dont la main gauche est armée d’une massue, et la main droite d’une coupe pleine de vin ; ce dieu  n’est point une merveille de l’art moderne, ni une gloire de nos statuaires nationaux : vous voyez là tout à la fois un ouvrage et un présent de l’illustre Lysippe. Cette divinité décora la table d’Alexandre, qui mourut après avoir dompté a l’univers en courant. C’est à elle qu’Hannibal, enfant, adressa son célèbre vœu devant les autels africains ; c’est par son influence que le farouche Sylla déposa sa terrible autorité. Fatigué d’être témoin des fastueuses tyrannies de ces différentes cours, le dieu se réjouit maintenant d’habiter le foyer d’un homme privé. Et tel il fut jadis le convive du tranquille Molorchus, tel il a voulu être le dieu du savant Vindex.

Hic, qui dura sedens porrecto saxa leone

Mitigat exiguo magnus in ære Deus,

Quæque tulit, spectat resupino sidera vultu,

Cujus læva calet robore, dextra mero ;

Non est fama recens, nec nostri gloria cœli,

Nobile Lysippi munus opusque vides.

Hoc habuit numen Pallæi mensa tyranni,

Qui cito perdomito victor in orbe jacet.

Hunc puer ad Libycas juraverat Hannibal aras ;

Jusserat hic Syllam ponere regna trucem.

Offensus variæ tumidis terroribus aulæ,

Privatos gaudet nunc habitare Lares.

Atque fuit quondam placidi conviva Molorchi,

Sic voluit docti Vindicis esse deus. (Liv. IX, ép. 44.)

La seconde pièce n’est que de six vers.

Je demandais naguère à l’Hercule de Vindex de quel heureux statuaire il était le travail et le chef-d’œuvre. Le dieu sourit (car c’est sa coutume), et me faisant un léger signe de tête : Ô poète, me dit-il, est-ce que tu ne sais pas-le grec ? L’inscription gravée sur le piédestal indique son nom. — Lysippe ! ai-je lu. Je pensais lire Phidias.

Alcidem modo Vindicis rogabam,

Esset cujus opus laborque felix.

Risit (nam solet hoc), levique nutu,

Græce numquid, ait, poeta, nescis ?

Inscripta est basis, indicatque nomen.

Λυσέππου lego, Phidiæ putavi. (Liv. IX, ép. 45.)

Stace a fait la même description et le même historique avec plus de développement. Et d’abord, avant de parler de la statue, il raconte, en vers très spirituels, un dîner chez Vindex son ami. Il paraît qu’à ce dîner, au lieu de se charger l’estomac de mets recherchés et de vins vieux, au lieu de disserter sur l’espèce d’oie qui a le foie le plus large, et de s’inquiéter si la chair d’un sanglier toscan a plus de saveur que celle d’un sanglier d’Ombrie, on avait parlé de littérature et d’art pendant toute la nuit ; « si bien, dit Stace, que la fille de Tithon nous trouva attablés le matin, et sourit de notre petite débauche. » Vindex était un amateur d’objets d’art : il savait distinguer la manière des anciens artistes, et mettre le nom de l’auteur au bas de l’ouvrage. Sa maison était un riche musée d’antiques, où des figures d’airain et d’ivoire, et des modèles en cire, d’une exécution admirable, donnaient matière à de savantes discussions sur leur antiquité. Que pouvait-on faire de plus amusant et de plus inoffensif sous Domitien ?

Après avoir loué le dîner et le bon goût de son hôte, Stace commence l’histoire et la description de l’Hercule :

Cependant le génie et le protecteur de notre table frugale était un Hercule que mes yeux ne pouvaient se lasser de contempler ni mon esprit d’admirer, tant le travail en était parfait, tant il y avait de majesté dans si peu de matière ! C’est un dieu, m’écriai-je, oui, c’est un dieu ! Le voilà tel qu’il se laissa voir à tes yeux, ô Lysippe, lorsqu’il te permit de le représenter petit et de le concevoir grand. Et, quoique ce chef-d’œuvre tienne dans la mesure d’un pied de haut, si l’on porte ses regards sur ses membres, on est tenté  de s’écrier : C’est contre cette poitrine qu’il étouffa le lion de Némée ; ces bras nerveux portèrent la fatale massue et brisèrent les rames des Argonautes.

La physionomie du dieu n’est ni farouche ni ennemie de la joie des festins. Il se présente à nous tel que l’admira le frugal Molorchus ; tel que le vit, dans les bois sacrés d’Aléa, la prêtresse de Tégée ; tel qu’il était, lorsque, du bûcher de l’Œta, emporté vers les astres, il buvait joyeusement le nectar à la face de Junon encore irritée. Son visage est si doux qu’il semble du fond du cœur inviter les convives à la joie. D’une main, il tient la coupe voluptueuse de son frère ; l’autre porte la massue qu’il n’a pas oubliée. Il est assis sur un rocher sauvage que couvre la peau du lion de Némée.

Ce bel ouvrage eut un destin digne de lui. Alexandre en faisait la divinité protectrice de ses joyeux festins, l’emportait avec lui du couchant à l’aurore, et le prenait de la même main qui donnait ou enlevait des trônes et qui renversait les cités puissantes. C’est à lui qu’il demandait toujours des inspirations pour les combats du lendemain ; c’est à lui qu’il racontait ses magnifiques triomphes, soit qu’il eût soustrait les Indiens au sceptre de Bacchus, et brisé de sa grande lance les portes de Babylone, ou bien écrasé l’empire de Pélops, et anéanti la liberté des Grecs.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Bientôt ce merveilleux ouvrage fut possédé par Hannibal, et cet homme parjure, dont la main était si terrible, offrit des libations à ce dieu fort ; mais Hercule le haïssait pour s’être couvert du sang latin, et pour avoir porté l’incendie jusque sous les murs de Rome ; il repoussait les offrandes d’Hannibal, et ne suivait qu’à regret ses étendards criminels, surtout lorsque ce chef lança des flammes sacrilèges sur la ville d’Hercule, profana les temples et les demeures de l’innocente Sagonte, et poussa les habitants à de nobles fureurs. (Silv., liv. IV, 6.)

Après la mort d’Hannibal, notre Hercule orna la table de Sylla ; il passa ensuite à d’autres maîtres, tous de grande maison, jusqu’à ce qu’il se fixât désormais dans la maison de Vindex. C’est là qu’il goûte enfin les douceurs du repos. Il voit, au lieu de la guerre et des combats, une lyre, des bandelettes, et le laurier ami des vers. Stace lui promet en finissant un poème épique que Vindex composera tout exprès pour chanter ses exploits, honneur que n’ont pu lui faire ni Alexandre, ni Hannibal, ni Sylla.

Il y a dans le morceau de Stace, de l’esprit, du mouvement, du style. Donnez à Stace un sujet plus sérieux, plus philosophique ; faites reculer d’un siècle cette brillante faculté d’élever et d’ennoblir de petits détails ; transportez le poète à une époque où, sous la condition de dire quelques flatteries prudentes à César, on pouvait aborder les plus hauts sujets de poésie, et parler innocemment des temps de liberté et de dignité républicaine ; donnez à ce poète pour protecteur auprès de César, un homme délicat et suffisamment lettré, qui sache que la liberté du poète console les époques civilisées de la perte des libertés politiques, et non pas un chambellan capricieux, sans lettres, ni un maître d’hôtel épiant le moment où César est égayé par le vin, pour introduire auprès de lui ce qu’il appelle insolemment son poète ; donnez à Stace un maître qui sache entendre des vers à jeun, et non pas un tyran qui n’ait d’oreille pour le poète que quand il est ivre, et Stace se placera tout près d’Ovide qu’il imite, tout en se piquant de suivre Virgile.

La comparaison de ces deux pièces n’en dit-elle pas plus que toutes les conjonctures sur la rivalité de Stace et de Martial ?

 

IX. Quelques personnages des épigrammes de Martial et leurs analogues de ce temps-ci.

J’ai cru devoir m’étendre plus haut sur la partie du recueil de Martial qui fait allusion au libertinage monstrueux de ses contemporains, parce que son esprit satirique s’est surtout exercé sur ce sale sujet. Les ridicules l’occupaient assez peu, soit que les vices fussent les seuls ridicules de l’époque, soit qu’on ne pût dérider les fronts de la bonne compagnie qu’avec ce qui aurait dû les faire rougir. Il y a pourtant, à côté des visages pâles et tirés qu’il nous dépeint, de ces corps affaissés par la débauche, de ces libertins cruels qui font arracher la langue à leurs esclaves pour que leurs impuretés restent cachées, de ces femmes qui divorcent dix fois et prennent tous leurs amants pour maris, femmes qui sont adultères par la loi, comme le dit énergiquement Martial[59] ; il y a, dis-je, quelques portraits qui sont de tous les temps et qui font rire sous tous les costumes. D’autres ne s’écartent du type universel que par un petit nombre de traits particuliers à l’époque, ce qui leur donne, outre l’intérêt d’une vérité générale, un attrait piquant de vérité locale et contemporaine. Ce sont des originaux sortis du même moule, sur lesquels la diversité des civilisations a jeté des accoutrements divers ; ce sont les .mêmes masques, avec des grimaces différentes.

Cinna a la maladie de tout dire à l’oreille, et pourtant Cinna ne dit rien qui ne pût se dire en présence de la foule. Cinna rit, pleure, gronde, se plaint à l’oreille ; il chante, juge, se tait, crie à l’oreille[60]. Je connais le pendant du Cinna de Martial. C’est un pauvre homme, auquel on a fait une réputation d’homme d’esprit, parce qu’il parle très bas. La première fois que je le vis, j’étais tout oreille, j’écoutais même son silence. Mais comment savoir s’il dit des choses spirituelles ? à peine sait-on s’il a parlé.

Savez-vous pourquoi Sélius est si triste, pourquoi son nez touche presque à terre, pourquoi il se frappe la poitrine et s’arrache les cheveux ? Ce n’est ni son ami, ni son frère qu’il pleure. Ses deux enfants vivent, et je désire qu’ils vivent longtemps ; sa femme se porte à merveille ; sa maison est respectée des voleurs ; son fermier ne lui a pas fait banqueroute. D’où vient donc sa tristesse ? Sélius dîne chez lui. Quand Sélius se voit réduit à dîner à ses dépens, il n’y a rien qu’il ne tente et qu’il n’ose. Il court au Champ-de-Mars ; il loue la vitesse de tes pieds, Paulinus. Du Champ-de-Mars il va au marché, du marché aux bains de Faustus, des bains de Faustus à ceux de Fortunatus, et il se lave à tous les deux, ce qui aiguise d’autant plus son appétit. Il n’est pas possible d’éviter Sélius, quelque soin qu’on y mette et quelque peur qu’on en ait. Jouez-vous à la paume ? il vous la ramasse et vous la présente. Êtes-vous au bain ? s’il vous voit prendre du linge pour vous essuyer, il va s’extasier sur la blancheur de ce linge, fût-il plus sale que les couches d’un enfant. Si vous vous peignez, il dira que vous avez les cheveux d’Achille. Il vous présentera la piquette dont vous arrosez votre corps, et qui vous sert de vomitif avant le dîner ; il recueillera les gouttes de sueur qui tombent de votre front ; il criera, il trépignera, il admirera, jusqu’à ce que, fatigué de ses importunités, vous lui disiez : Viens[61]. »

Mon Sélius à moi, que j’ai eu à dîner aujourd’hui, rie me loue pas de mes pieds, parce que je ne suis pas un coureur, ni de mes cheveux parce que je les porte courts, mais de mon appartement et de ma pendule, de ma lampe, et surtout de mon dîner. Du reste, il ne fait pas la cour à moi seul ; il rend fréquemment visite à ma femme ; il lui demande avec anxiété de ses nouvelles, quoiqu’il la sache très bien portante ; il s’informe aussi de moi, s’il sait que cela est bien pris, et il ne manque pas de dire qu’il m’a rencontré dans la rue, et qu’il m’a trouvé très bonne mine. Il est plein d’égards pour ma cuisinière ; et si je me plains d’un plat devant elle, il a grand soin de dire que le plat n’est pas mauvais, qu’il est très mangeable, et qu’avec un grain de sel de plus il serait excellent. Il sonne doucement ; il est exact à l’heure ; il ne reste que le temps convenable, et s’en va toujours un peu avant qu’il n’ennuie. Il n’oublie pas mon portier ; et au lieu d’entrouvrir prudemment sa loge, et d’y jeter sa carte en retenant son haleine, il entre courageusement, et recommande qu’on dise qu’il s’est présenté en personne. Mon Sélius n’est pas si sot, vraiment, ni si mal avisé de ménager ma cuisinière et mon portier ; il sait très bien qu’il n’est donné à aucun de nous d’échapper à l’influence des subalternes qui nous servent, et qu’en tous cas il vaut mieux les avoir pour amis que pour ennemis.

Le Sélius de Martial est le parasite de l’homme ; mon Sélius, à moi, est le parasite de la maison. Il n’a pas besoin de courir les lieux fréquentés pour m’y rencontrer et y attraper un dîner ; non : à certain jour de la semaine, son couvert est mis, on compte plus sur lui que sur moi. Si ce jour-là taie invitation me force à dîner dehors, j’en fais demander la permission à Sélius. Sélius est le convive de fondation de huit familles : ce qui fait huit dîners pour sept jours. Grand embarras pour Sélius, qui voudrait dîner une fois par semaine chez tous ses amis, et ne donner la préférence à personne. Il s’en tire comme il peut, en déjeunant là où il ne dîne pas. Sélius est discret, prudent ; il ne parait jamais s’apercevoir qu’un mari boude sa femme, ce qui le dispense de prendre parti. Il ne parle politique qu’à son corps défendant ; et, quand on l’y force, sa conclusion, c’est qu’il a toujours cru que Dieu protégeait la liante. C’est l’exergue de notre monnaie. Chacun le prend comme il veut.

Sélius colporte ainsi son ventre d’une table à l’autre, depuis bientôt trente ans. Aussi, n’y a-t-il pas une demoiselle à marier, ni une jeune femme, dont il ne dise avec émotion qu’il l’a vue tout enfant. Jamais il ne nous manque, ni à notre jour de naissance, ni au nouvel an ; il ne se pardonnerait pas qu’un autre l’eût devancé dans une fête à souhaiter ou dans un vœu de bonne année à faire. Sa formule habituelle est : Vous savez tout ce que je vous souhaite. De cette sorte, il ne s’expose pas à souhaiter aux gens ce qui ne serait pas de leur goût. Il n’y a pas d’homme qui soit inquiet d’un plus grand nombre de santés. Dieu veuille que ce souci de tant de vies n’abrége pas la sienne !

Tongilius fait dire à ses amis qu’il est travaillé par la fièvre quarte. Je connais les mœurs de l’homme : il a faim et il a soif. Sa maladie est un hameçon qu’il tend à ses amis, pour en obtenir des poissons de choix et du vieux falerne. Tongilius a est malade dix fois l’an, mais sans qu’il s’en porte plus mal ; ses amis seuls en souffrent, car il leur en coûte des présents à chaque convalescence[62].

Le gourmand est un type qui se perd. De notre temps, il ne ferait pas bon feindre une fièvre quarte pour obtenir des cadeaux qui se mangent, du poisson délicat et de bon vin ; les amis enverraient plutôt des sangsues et de l’eau chaude que du falerne.

Sextus l’usurier, que vous connaissez pour un de mes vieux amis, a si peur que je ne lui demande de l’argent, que, dès qu’il m’aperçoit, il se dit à lui-même assez haut pour que je l’entende : Je dois sept mille sesterces à Secundus, quatre mille à Phœbus, onze mille à Philétus : je n’ai pas la quatrième partie d’un as dans mon coffre. — Oh ! sublime génie de mon ami ! il est bien dur, Sextus, de refuser quand on vous demande ; mais combien n’est-il pas plus dur de refuser avant qu’on vous ait demandé ![63]

Voilà un des types qui s’altèrent le moins.

Tongilianus avait acheté sa maison deux cent mille sesterces : un accident fréquent à Rome a détruit la maison. Une souscription s’est ouverte entre les amis et les clients de l’incendié ; il a touché dix fois le prix de sa maison : n’est-ce pas  Tongilianus qui y a mis le feu ?[64]

Des médisants disent que Tongilianus n’est pas mort. C’est un propos de compagnie d’assurance. Je n’en crois rien.

La galerie de Martial est très variée. Tantôt c’est un patron qui fait boire à ses convives du mauvais vin dans des verres, et qui en boit lui-même d’excellent dans un vase de myrrhe non transparent, pour qu’on ne s’aperçoive pas des deux sortes de vin[65]. Tantôt c’est un certain Symmaque, médecin, qui vient vous voir avec tout le cortége de ses disciples, lesquels, en vous tâtant le pouls l’un après l’autre, vous donnent la fièvre que vous n’aviez pas[66]. Tantôt c’est Lœvinus, qui se glisse sur les gradins réservés aux chevaliers, et qui feint de s’y endormir, afin d’échapper à la surveillance de l’impitoyable Océanus, huissier fort scrupuleux, lequel pourchasse et fait décamper tous les intrus[67]. Cette singulière vanité était fort commune à Rome. Des gens aisés et même des esclaves prenaient souvent l’habit équestre, et se faufilaient sur les bancs réservés, pour être de l’aristocratie. Martial se moque de l’esclave Euclide qui, sourd aux injonctions de l’huissier, et refusant de quitter sa place, est trahi par une clef qui tombe de sa poche au moment où il faisait remonter sa noblesse jusqu’à la belle Léa.

Jamais, dit Martial, vit-on plus méchante clef ?[68]

Tantôt c’est Clytus, qui naît huit fois dans l’année, afin de recevoir de ses amis des cadeaux de jour de naissance[69]. Ou bien c’est Mamurra, qui parcourt les marchés, regardant d’un œil d’acheteur les beaux esclaves qui sont en vente, ou bien les lits incrustés d’écaille de tortue, les tables de citron ou d’ivoire ; flairant des statues pour savoir si l’airain en est de Corinthe, et si elles sont de Polyclète ; choisissant et mettant de côté, comme pour les acheter, des coupes de cristal, de vieilles amphores, des vases ciselés par Mentor ; marchandant des pierreries, des perles, du jaspe ; et finalement, après avoir couru jusqu’à la onzième heure, achetant deux coupes communes de la valeur d’un as, et, faute d’esclave, les emportant lui-même dans sa main[70]. Tantôt c’est Gallicus, l’avocat, qui demande avec instance qu’on soit franc avec lui, qu’on lui dise la vérité sur ses écrits et ses plaidoiries. — Cela me fera grand plaisir, dit Gallicus. — Je ne veux rien vous refuser, Gallicus ; écoutez donc une chose plus vraie que la vérité même : Gallicus, vous n’aimez pas qu’on vous dise la vérité[71].

Gallicus s’appelle chez nous Trissotin.

 

X. Les avocats, les architectes et les crieurs publics.

Du temps de Martial, trois classes d’hommes faisaient sûrement fortune : les avocats, les architectes et les crieurs publics. Ce sont les trois sortes de métiers qui vivent le plus grassement des civilisations avancées, parce qu’il n’y a pas de sociétés où l’on fasse plus de lois, où l’on bâtisse plus de monuments, où l’on vende plus à l’enchère, que celles qui tirent à leur fin.

L’avocat est l’homme par excellence de ces temps-là. Il est doublement nécessaire, en ce qu’il est le seul intermédiaire entre la loi et le citoyen, et en ce qu’il est aussi le seul prêt, le seul disponible en tout événement. L’avocat possède une aptitude spéciale, et en outre une aptitude universelle. Par l’une, il est mêlé nécessairement à toutes les transactions, à tous les procès, à tous les débats civils, qui ne sont nulle part plus fréquents, plus multipliés, plus délicats que dans les sociétés avancées ; par l’autre, il n’y a guère de situation à laquelle il ne touche par quelque lien et où il ne puisse rendre à peu près tous les services que le premier moment exige. L’avocat s’est habitué de bonne heure à parler vite et à parler de tout. Cela fait croire qu’il pense vite et qu’il pense bien. L’avocat a toujours une réponse toute prête, parce qu’il se donne peu la peine d’attendre la bonne, et parce que la première venue satisfait le plus grand nombre. Là où vous hésitez, l’avocat tranche sans coup férir : il ne doute de rien, il ne voit pas la difficulté, ce qui le rend quelquefois plus propre à la surmonter, que celui qui la voit et l’apprécie. Comme il s’est exercé longtemps à traiter le pour et le contre, et qu’il connaît à peu près .tous les côtés superficiels des choses, il comprend suffisamment toute espèce de situation, et il s’y rend utile. Quand vous avez besoin d’un conseil, l’avocat ne vous donne pas le meilleur, mais il est le premier qui vous en donne un : chose inappréciable dans les circonstances où le meilleur parti est le premier qu’on prend.

Les civilisations qui tombent, les sociétés décrépites, tournent nécessairement et invariablement sur l’espèce de factotum qui s’appelle avocat. Lisez les poètes latins du second âge : presque tous parlent de l’importance des avocats ; presque tous font de piquantes allusions à leur médiocrité florissante ; tous se reprochent ou se font reprocher par leurs amis de n’avoir pas embrassé la carrière des lois, qui rapporte des honneurs, des maisons de ville et de campagne, de magnifiques litières entourées de clients, au lieu du triste métier de poète qui ne rapporte que des baisers. L’avocat est l’homme des temps malheureux, en ce qu’il n’est malheureux dans aucun temps. C’est lui qui est chargé de dresser le bilan des nations qui finissent. Il n’est donné à aucun peuple de mourir sans lui ; et quand vient la barbarie, c’est encore l’avocat qui reste le dernier pour lier par le droit le passé à l’avenir.

Le rôle de l’architecte dure moins, car il arrive un temps où l’on ne fait que défaire et démolir. Ce temps-là est celui où l’on bâtit des idées en même temps qu’on jette bas les monuments. L’architecte n’a plus alors qu’à se faire avocat. Le bon temps de l’architecte, c’est principalement aux époques de décadence, lorsqu’une nation, autrefois libre, est tombée, comme Rome, de lassitude et d’épuisement, aux mains d’un seul homme. Or, les princes absolus sont grands faiseurs de monuments : Néron et Domitien couvrirent de beaux édifices des quartiers occupés jadis par les dernières tribus de la république. Quand les nations n’ont plus de vie, elles contractent la manie de bâtir : quand Rome se fut retirée dé la place publique et du Champ-de-Mars, et qu’elle n’eut plus de liberté à conquérir, ni de suffrages à donner en plein soleil, elle se bâtit de belles demeures, elle se logea magnifiquement ; l’office des architectes remplaça celui des tribuns. Autour de Rome, dans cet immense rayon où les anciens consulaires conduisaient la charrue, on ne voyait que des maçons et plus de laboureurs, des architectes et plus de fermiers. Un des embarras des rues de Rome sous Domitien, c’était d’y rencontrer d’immenses blocs de marbre traînés à bras ou sur des chariots, qui menaçaient d’écraser les gens[72]. On élevait des temples aux dieux et des amphithéâtres au peuple. Les maisons des grands et les maisons des dieux enrichissaient également l’architecte. Les avocats surtout lui donnaient de la besogne ; non pas ceux dont parle Juvénal, qui recevaient de leurs clients des poissons desséchés et des oignons d’Égypte, mais ceux qui gagnaient des palais, comme Regulus, à brouiller les familles, qui allaient au barreau en litière, ou sur les bras d’une nombreuse clientèle, et dont le portique était toujours verdoyant des palmes qu’on y suspendait à chaque cause gagnée.

Reste le crieur public pour compléter cette espèce de triumvirat qui exploite la Rome impériale. Le crieur public, c’est le commissaire-priseur de notre temps. Jadis c’était un citoyen obscur, un tribulis des dernières classes ; aujourd’hui le crieur public est riche ; son luxe fait enrager Juvénal et Martial. Ce qui rend sa fortune plus insolente, c’est qu’il est resté facétieux, mais facétieux de meilleur ton que les crieurs dont nous parle Cicéron. Le crieur d’autrefois était un pauvre bouffon de place publique, improvisateur du goût de Paillasse, qui faisait rire les badauds de Rome aux dépens du malheureux dont il vendait les meubles, ou de l’esclave qu’il mettait à l’enchère. Son style était grossier, ses plaisanteries populacières. Aujourd’hui notre bouffon, en s’élevant, en s’arrondissant, est devenu presque un bel esprit : il ne plaisante plus, il raille. Savez-vous, par exemple, quel tour il emploie pour faire valoir les terres de Marius qui sont en vente ? On se trompe, s’écrie-t-il, si l’on croit que Marius a besoin de vendre sa terre pour payer ses dettes. Marius ne doit rien à personne, bien plus, il prête à tout le monde. Pourquoi donc Marius vend-il son domaine ? C’est qu’il y a perdu ses esclaves, ses troupeaux, ses récoltes : depuis lors, il veut s’en défaire. — Votre domaine vous restera, Marius, grâce à votre crieur, bel esprit qui aime mieux nous dire que tout y meurt, que d’avouer que vous êtes endetté.

Un autre crieur, Gellianus, veut nous persuader que la pauvre fille qu’il met en vente, et qui grelotte au milieu de ce marché ouvert à tous vents, est honnête et pure ; et il l’attire vers lui, l’infâme, et il veut l’embrasser malgré sa résistance[73]. — Votre esclave vous restera, Gellianus ; car elle a cessé d’être pure, depuis que vous l’avez souillée de votre souffle.

Eh bien ! tout cela n’empêchera pas Gellianus de faire sa fortune. Attendez quelques années : Gellianus, après avoir vendu vos terres pour votre compte, finira par les racheter pour le sien. La richesse, les nombreux esclaves, les clients qu’il aura enlevés à d’autres, lui donneront un air d’aisance et de dignité suffisante pour cacher l’origine de sa fortune. Pareil à l’esclave fugitif qui a été- stigmatisé au front, et qui, devenu riche, cache sous des mouches la marque du bourreau[74], Gellianus cachera sous une belle toge blanche son ancienne tournure de crieur ; il chargera ses doigts d’anneaux d’or ; il contiendra ses bras habitués à battre les vents pour attirer les acheteurs ; il baissera d’un ton cette voix qui remplissait le marché, et, au lieu de l’avoir rauque et faussée, il l’aura simplement voilée par un rhume. Gellianus se placera sur les quatorze gradins, côte à côte avec vous, Martial, et mieux vêtu que vous ; il achètera fièrement les honneurs que vous demandez, vous, si humblement. Ou si ce n’est Gellianus, ce sera son fils, jeune débauché qui imite tous les vices des hommes de naissance, lequel prendra place sur ces gradins, d’où l’huissier Océanus chasse quiconque ne paye pas le cens de chevalier. Et qui sait si, vous voyant avec votre toge jaunie, Océanus ne vous fera pas sortir quelque jour comme un intrus, pour faire place au fils du crieur devenu chevalier, qui échangera avec lui un de ces sourires d’intelligence auquel les parvenus se reconnaissent.

Quand Martial voulait emprunter de l’argent à Caïus, son vieil ami : Que ne plaidez-vous ? lui disait Caïus. Valerius Flaccus, le poète, se plaignait à Martial de la misère des poètes : Que ne plaidez-vous ? lui disait Martial. Au barreau, l’argent sonne ; mais autour de la chaire stérile où nous récitons nos vers, on n’entend que le bruit des baisers[75]. Il est peu de poètes auxquels on n’ait conseillé de se faire avocat. Boileau répond d’une manière charmante à ces hommes qui veulent faire du poète un marchand de paroles, et qui, en lui conseillant de sacrifier les vers au procès, l’art au métier, le goût des loisirs délicats aux tracas d’une profession vulgaire, s’imaginent fort sottement qu’on donne tout aussi facilement sa démission de poète qu’on peut en prendre la patente :

Faut-il donc désormais jouer un nouveau rôle ?

Dois-je, las d’Apollon, recourir à Bartole,

Et, feuilletant Louet alongé par Brodeau,

D’une robe à longs plis balayer le barreau ?

Mais à ce seul penser je sens que je m’égare.

Moi ! que j’aille crier dans ce pays barbare, etc. (Sat. I.)

 

XI. Les dernières années de Martial.

Martial ne voulut être ni avocat, ni architecte, ni crieur public : il vécut et mourut poète. Il était venu à Rome pauvre ; il en sortit pauvre, après avoir fait, pour être riche, tous les sacrifices que pouvait faire un homme qui n’était pas né méchant ni malhonnête. Quand il fut sur le point de partir pour sa patrie, après trente ans d’un séjour fatigant et sans loisirs à Rome, il fallut que Pline le jeune lui payât les frais de son voyage. C’était une manière délicate de reconnaître l’éloge fin et senti que Martial avait fait quelque part de son caractère et de son talent[76]. De retour à Bilbilis, il resta trois ans sans rien écrire, regrettant Rome[77], ses théâtres, ses bibliothèques, ses mœurs, qui lui prêtaient tant à dire ; ne pouvant supporter la solitude, et ne se pardonnant pas d’en avoir été chercher la chimère dans une petite ville de province sans esprit, sans littérature, et, ce qui arrive, envieuse d’un homme qui avait à un si haut degré de l’un et de l’autre. La petite cabale ameutée contre lui se bornait à deux ou trois personnages, ce qui est un monde dans une petite ville. Il fit en quelques jours son douzième livre, pour le lire à un ami qui lui était arrivé dé Rome, et pour se donner le plaisir de retrouver l’ancien effet de ses vers sur des oreilles exercées.

Ce livre n’est ni gai ni triste ; il se sent de la fausse situation de Martial, forcé de faire rire les autres sans en avoir lui-même la moindre envie. J’y trouve en revanche des sentiments doux, une certaine mélancolie, du désenchantement exprimé plus simplement et dans un meilleur style que ses premiers écrits.

Voilà, dit-il à Jules Martialis, voilà, si je m’en souviens bien, trente-quatre moissons que nous vivons ensemble, dans un mélange de douceur et d’amertume. Cependant les bons moments ont été les plus nombreux, et si nous comptions les jours par des cailloux noirs et blancs, les blancs l’emporteraient. Mais voulez-vous éviter certaines disgrâces, et garder votre âme d’atteintes douloureuses ? Ne vous liez trop étroitement à personne. Moins heureux, vous souffrirez moins.

Triginta mihi quatuorque messes,

Tecum, si memini, fuere, Juli,

Quarum dulcia mixta sunt amaris ;

Sed jucunda tamen fuere plura.

Et si calculus omnis hue et illuc

Diversus bicolorque digeratur,

Vincet candida turba nigriorem.

Si vitare velis acerba quædam,

Et tristes animi cavere morsus

Nulli te facias nimis sodalem.

Gaudebis minus et minus dolebis. (Liv. XII, ép. 34.)

Pauvre poète ! il- en était arrivé à ce point de fatigue morale, qu’il ne pouvait plus jouir du repos d’esprit, ni savourer ses loisirs. Il ressemblait à un homme qui a fait un excès de marche, et qui ne peut pas se reposer la première nuit.

L’amour de la solitude est une disposition délicate qu’il faut ménager. Il y a des hommes qui l’ont conservée, tout en vivant au milieu des affaires et du bruit : ces hommes-là savent être seuls au mi-lieu de la foule. Martial n’avait pas l’âme assez profonde pour se passer du bruit de Rome : habitué à observer les travers des autres, et à n’exercer son esprit que sur des sujets étrangers à lui, une fois qu’il fut seul, il fut vide. Il vivait moitié à Bilbilis, moitié à Rome ; mais le meilleur de lui était à Rome. S’il prenait la plume, c’était pour tracer quelques portraits affaiblis des vices qu’il y avait vus, et il jugeait lui-même son retour dans sa patrie comme un coup de tête sans consolation et sans excuse. Les esprits satiriques sont exposés à cette sorte de découragement ; ôtez-leur la scène, ses acteurs, ses changements de décors, ses ridicules, ils se trouvent dans l’isolement, ils s’agitent, ils s’ennuient. Leurs souvenirs étant tout extérieurs, tout de critique et d’observation, ne les soutiennent pas contre l’affaissement de leur esprit et le froid des dernières années. On ne peut pas toujours vivre sur le fonds des autres, il faut tôt ou tard se suffire avec ses propres ressources : c’est une nécessité contre laquelle les faiseurs d’épigrammes sont peu en mesure. Je ne sais pas de quoi Martial est mort, ni ce qui l’a empêché de vivre les soixante-quinze ans qu’il demandait à Jupiter ; mais j’ai tout lieu de croire que c’est l’isolement et l’ennui.

 

 

 



[1] Le compte de La Harpe n’est pas exact : il y a quatorze livres et près de quinze cents épigrammes. La différence est d’environ trois cents.

[2] Voici les vers de Juvénal, satire VII, vers 82 :

Curritur ad vocero lucundam et carmen amicæ.

Thebaïdos, lætam fecit cum Statius Urbem

Promisitque diem.

[3] Livre I, ép. 50. Livre X, ép. 101.

[4] Livre XII, ép. 8.

[5] Plutarque, Vie de Galba, traduction d’Amyot.

[6] Livre VII, ép. 34.

[7] Livre VII, ép. 21.

[8] Chez nous, de sept à huit heures du matin.

[9] D’une heure à deux heures de l’après midi.

[10] De deux à trois heure.

[11] Martial, livre I, épigramme 46.

[12] Martial, livre IX, épigramme 23.

[13] Martial, livre IX, épigramme 47.

[14] Martial, livre VIII, épigramme 24.

[15] Martial, livre IX, épigramme 98.

[16] Martial, livre VI, épigramme 28.

[17] Espèce de corbeille dans laquelle les clients recevaient les largesses des patrons.

[18] Martial, livre VI, épigramme 82.

[19] Martial, livre VIII, épigramme 2.

[20] Martial, livre VIII, épigramme 21.

[21] Martial, livre VIII, épigramme 39.

[22] Martial, livre IX, épigramme 7.

[23] Martial, livre I, épigrammes 7, 15, 23, 49, 52, 61, 105, etc.

[24] Martial, livre IV, épigramme 40.

[25] Martial, livre V, épigramme 16.

[26] Martial, livre VII, épigramme 16.

[27] Martial, livre VII, épigramme 31.

[28] Martial, livre VII, épigramme 36.

[29] Martial, livre VIII, épigramme 28.

[30] Martial, livre IX, épigramme 50.

[31] Martial, livre II, épigramme 82.

[32] C’est ainsi que Pline le jeune, remerciant Trajan du même privilège, lui dit : Cela redoublera mon désir d’avoir des enfants, désir dont font foi deux mariages, hélas ! oh mes espérances de paternité ont été déçues. (Livre X, lettre II.)

[33] Martial, livre XII, épigrammes 21, 31.

[34] Martial, livre XII, épigramme 31.

[35] Martial, livre XI, épigramme 3.

[36] Martial, livre XI, épigramme 3.

[37] Martial, livre IX, épigramme 1.

[38] Martial, livre XII, épigramme 3.

[39] Martial, livre III, épigramme 95.

[40] Livre XI, ép. 6.

[41] Livre XII, ép. 15.

[42] Livre X, ép. 72.

[43] Livre XI, ép. 6.

[44] Pline le jeune, livre III, lettre XXI.

[45] Martial, livre X, épigramme 32.

[46] C’est-à-dire peu de corvées de client : les clients accompagnaient en toge la litière du patron.

[47] C’est la maxime de l’Évangile : Soyez prudents comme les serpents, simples comme les colombes. Estote prudentes sicut serpentes, simplices sicut columbæ.

[48] Aujourd’hui Vercelli, ville de la Romagne.

[49] Livre X, ép. 74.

[50] Lasciva est nobis pagina, vita proba est. (Livre I, ép. 5.)

[51] Martial, livre V, épigramme 46.

[52] Martial, livre X, épigramme 100.

[53] Martial, livre I, épigramme 23.

[54] Martial, livre I, épigramme 54.

[55] Martial, livre IV, épigramme 46.

[56] Martial, livre VII, épigramme 99.

[57] Martial, livre VII, épigramme 84.

[58] Stace, Silves, livre III, Silve 4.

[59] Martial, livre VI, épigramme 8.

[60] Rides in aurem, quereris, arguis, ploras,

Cantas in aurem, judicas, taces, clamas. (Livre I, ép. 90.)

[61] Livre II, épigramme 2 ; livre II, épigramme 14 ; livre XII, épigramme 14.

[62] Martial, livre II, épigramme 40.

[63] Martial, livre II, épigramme 44.

[64] Livre III, épigramme 52.

[65] Livre IV, épigramme 86.

[66] Livre VI, épigramme 9.

[67] Livre V, épigramme 9.

[68] Martial, livre V, épigramme 31.

[69] Livre VIII, épigramme 64.

[70] Livre IX, épigramme 60.

[71] Martial, livre VIII, épigramme 76.

[72] Martial, livre V, épigramme 22.

[73] Martial, livre VI, épigramme 76.

[74] Livre II, épigramme 29.

[75] Martial, livre I, épigramme 71.

[76] Martial, livre X, épigramme 19.

[77] Préface du livre XII.