ÉTUDES DE MŒURS ET DE CRITIQUE SUR LES POÈTES LATINS DE LA DÉCADENCE

 

PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION.

 

 

J’ai longtemps hésité à faire réimprimer ces Études. L’ouvrage relu sans illusion, après tant d’années, me laissait trop de scrupules. Il a fallu, pour les lever, me rappeler les jugements, si honorables qu’en ont portés, dans différents recueils, le critique le plus éminent de notre temps, M. Villemain[1] ; le plus vif et le plus agréable de nos écrivains solides, M. Saint-Marc Girardin[2] ; un de nos érudits les plus littéraires, feu Daunou[3]. J’ai dû croire que sous les imperfections si nombreuses de cet ouvrage, ils avaient trouvé, soit dans les doctrines, soit dans quelques peintures de la société romaine sous l’Empire, un principe de vie. Le souvenir de leurs éloges a vaincu mon hésitation ; et un retour de tendresse paternelle y aidant, je me suis résolu à donner cette seconde édition.

L’ouvrage a été réduit de près d’un quart, et corrigé dans tout le reste. J’y ai fart droit à la plupart des critiques qu’il a eu l’honneur de susciter. On m’avait justement reproché l’ambition et le vague de certaines théories : elles ont disparu. Dans la jeunesse, par ignorance et bonne foi tout ensemble, on croit inventer ce que l’on répète ; au lieu d’exposer ses idées, on les annonce ; on prend le ton du maître qu’on a encore dans les oreilles ; tout se sent, dans les écrits de la jeunesse, de cette douceur de ses prétentions infinies dont parle Bossuet. J’avais donné dans cette illusion ; les années, l’étude de moi-même, un goût pour la vérité qui me la fait aimer même quand elle m’est contraire, m’en ont corrigé. Le style de ces Études n’était que trop souvent marqué des défauts que je reproche aux poètes de la décadence latine ; j’en ai effacé les plus grossiers, et généralement tout ce que j’en ai pu.

Peut-être n’approuvera-t-on pas cette révision, soit à cause de ce que j’y laisse de fautes, soit parce que j’y ai mêlé des pensées de deux époques de ma vie littéraire, si éloignées l’une de l’autre. J’oserai répondre qu’il n’eu est pas de la critique comme des ouvrages d’imagination : ce qu’on demande à un livre de critique, ce sont de bons jugements et des doctrines saines. Deux idées justes qui se suivent, fussent-elles de dates différentes, valent mieux que deux idées, venues le même jour à l’esprit de l’écrivain, dont l’une serait une vérité et l’autre une sottise.

On pourra faire à ces Études un reproche plus grave : c’est d’être trop sévères pour les poètes que j’y examine. Inspiré par une pensée de polémique contemporaine, si ce livre en a eu les avantages un peu fragiles, je sais qu’il n’en a pas évité les inconvénients. Le temps qui rend plus indulgent, c’est-à-dire plus équitable, m’a fait reconnaître que les défauts dont j’accuse ces poètes y sont ou moins fréquents, ou plus excusables, ou mêlés de plus de beautés dont je ne leur ai pas toujours tenu compte. Mais si je n’ai pas assez loué leurs qualités, je crois n’avoir pas été trop sévère pour, leurs défauts considérés comme symptômes ou comme effets d’un état de décadence. Ces défauts, je persiste à leur en vouloir pour deux raisons ; d’abord, par un tendre intérêt pour la gloire des poètes illustres qui n’ont pas su ou n’ont pas voulu s’en défendre ; ensuite, pour tout ce que j’en ai imité, à mon insu, dans un livre où je prétendais les démasquer et les combattre.

Enfin, malgré tout ce travail de révision, ces Études sont et resteront un ouvrage de jeune homme ; et peut-être les travaux de mon âge mûr ne me donnaient-ils pas le droit de réimprimer ceux de ma jeunesse.

Une analyse détaillée de quelques chants de la Pharsale terminait, en manière de pièce justificative, la première édition. J’avais cru devoir au public, qui avait alors des raisons d’être défiant, cette preuve de la sévérité de mon travail préparatoire. Peut-être lui ai-je assez témoigné de respect, depuis lors, pour être dispensé de preuves de ce genre. J’ai refondu cette analyse, en l’abrégeant, dans mon travail sur Lucain, oit elle vient, en son lieu, confirmer les remarques par des exemples.

Tous ces retranchements laissaient, à la fin du second volume, une place que j’ai remplie par des jugements sur les quatre grands historiens de la latinité, César, Salluste, Tite-Live et Tacite. L’intérêt du sujet, un peu plus de solidité dans des travaux plus récents[4], feront peut-être approuver cette addition. Il y a d’ailleurs un double lien entre les Études et ces jugements ; on n’y sort pas de Rome, et les mêmes principes de goût m’ont guidé dans mon admiration pour les chefs-d’œuvre du génie latin, et dans mes critiques sur les monuments de sa décadence.

Avril 1849.

 

 

 



[1] Revue de Paris, numéros de mai 1834.

[2] Journal des Débats, numéro du 17 août 1834.

[3] Journal des Savants, numéro de janvier 1835.

[4] Ces morceaux ont été lus au collège de France de 1845 à 1848.