L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

TROISIÈME SECTION. — RÈGNE DE CHARLES-QUINT - 1506-1555

 

CHAPITRE XI. — CONTINUATION DU CHAPITRE X : DEPUIS LA PAIX DE CRESPY JUSQU'A LA BATAILLE DE MUHLBERG ET LA RÉUNION DES PAYS-BAS SOUS LE NOM DE CERCLE DE BOURGOGNE. AFFAIBLISSEMENT DE LA SANTÉ DE CHARLES-QUINT.

 

 

La paix de Crespy signée et jurée, l'empereur licencia une partie de ses troupes et assigna des quartiers divers aux autres. Le 19 septembre, il quitta Crespy et coucha, le 22, à Cateau-Cambrésis. Le lendemain il alla voir sa sœur Marie à Cambrai ; il était accompagné de l'archiduc Maximilien et du duc d'Orléans, auquel il prodiguait les marques d'amitié[1]. L'entrevue de l'empereur et de la reine fut des plus cordiales ; celle-ci embrassa tendrement le duc d'Orléans. On dîna à la même table, où s'assirent en même temps les archiducs Maximilien et Ferdinand[2]. Le licenciement de l'armée ramena Charles-Quint à Cateau-Cambrésis. Il rejoignit ensuite la reine Marie à Valenciennes, après avoir visité en passant Landrecies, qui venait de lui être restitué, et Le Quesnoy. Le Ier octobre, il arriva à Bruxelles ; le duc d'Orléans avait pris congé de la reine, le 25 septembre, à Cambrai et était rentré en France.

La reine Éléonore, heureuse de voir la paix rétablie entre son frère et son mari, ne tarda pas à arriver à Bruxelles avec une suite brillante et nombreuse. Charles-Quint avait envoyé au devant d'elle, jusqu'aux frontières de nos provinces, le duc d'Arschot, l'évêque de Cambrai, le prince de Chimai et plusieurs autres personnages de distinction. Lui-même alla la recevoir à une demi-lieue de Mons, ayant en sa compagnie, avec les archiducs Maximilien et Ferdinand, les cardinaux français de Lorraine et de Meudon. La reine Marie attendait sa sœur à Soignies ; elle lui offrit l'hospitalité en cette ville, tandis que l'empereur, les archiducs, les cardinaux allaient coucher à Braine-le-Comte, où le duc d'Orléans arriva dans la soirée du 21 octobre. La reine Éléonore fit son entrée solennelle à Bruxelles, le 22, vers les cinq heures de l'après-diner. Elle fut reçue à la porte d'Obbrussel (de Hal) par les chefs de la commune, le chapitre de Sainte-Gudule, les ordres mendiants, une foule de seigneurs, auxquels s'étaient joints le duc d'Orléans, les deux fils du roi des Romains et le prince de Piémont. Deux cent quarante-six confrères des serments, six cent quatre-vingt quatre membres des métiers, des torches ardentes à la main, formaient la haie. Après avoir été complimentée, la reine monta dans une riche litière, placée sous un dais que portaient les échevins ; le cortège, précédé de trompettes, de massiers, de rois d'armes, se rendit au palais. Charles-Quint et Marie de Hongrie y attendaient leur sœur au bas de l'escalier d'honneur, pour la conduire dans ses appartements avec toutes les cérémonies de l'étiquette sévère observée dans la maison de Bourgogne[3].

Les fêtes ne cessèrent point pendant le séjour de la reine Éléonore à Bruxelles. Dès le lendemain de son entrée, il y eut sur la grande place une joute brillante suivi d'un souper somptueux à l'hôtel de ville. Pendant le bal, qui termina cette fête et se prolongea fort avant dans la nuit, le magistrat présenta à la reine une fontaine de vermeil, qui avait coûté au delà de quatre mille florins[4]. On rapporte, ajoute M. Henne[5], que Charles-Quint, charmé de cette réception, permit aux magistrats de lui demander une faveur, s'engageant d'avance à l'octroyer, moins qu'elle ne fût bien grande. Mettant une sotte vanité au dessus des intérêts de la ville, ils sollicitèrent pour eux-mêmes des distinctions personnelles et, séance tenante, l'empereur conféra l'ordre de chevalerie à Jean Van den Eycken, Jean de Brecht, seigneur de Dieghem, Arnoul de Heetvelde et Jean Pipenpoy.

Le 26 octobre, il y eut un tournoi au palais, et un autre, le 28, à Grœnendael, qui fut précédé d'une partie de chasse. Quelques jours après, le 2 novembre, le comte de Feria en donna un troisième sur la grande place de Bruxelles, où l'on vit combattre deux bandes, chacune de vingt cavaliers costumés en Maures et armés de larges dagues. Cette fête coûta dix mille couronnes d'or. Éléonore et ses dames furent comblées de présents estimés à plus de cinquante mille écus d'or : quant à la suite fort nombreuse de la reine, les seigneurs de la cour et les riches bourgeois la défrayèrent généreusement[6]. La princesse quitta Bruxelles le 3 novembre, et fut reconduite jusqu'aux frontières par Marie de Hongrie, qui alla ensuite visiter Namur. Dans toutes les villes, les portes des prisons s'ouvrirent sur le passage de la reine de France ; on ne fit d'exception, dit M. Henne, que pour les luthériens détenus[7].

Charles-Quint se montra d'une reconnaissance très généreuse envers la reine de Hongrie. Il lui donna, pour en jouir sa vie durant la ville et terre de Binche (1545)[8], mais là ne se borna pas sa munificence. L'année suivante, sur le point de quitter les Pays-Bas, il voulut davantage encore reconnoitre les grands, notables et très agréables services que cette princesse lui avoit rendus, depuis le commencement de sa régence, et surtout dans la guerre de 1542. A cet effet, il lui céda et transporta les ville, châtel, terre et seigneurie de Turnhout, avec leurs appartenances et dépendances, avec toute justice, haute, moyenne et basse, domaines, revenus, sans y rien réserver, fors seulement les aides, ressort et souveraineté, pour par elle en jouir le cours de sa vie durant[9]. Ces magnifiques donations s'accordaient avec les goûts de Marie de Hongrie. Tandis qu'à Turnhout elle élevait son beau bétail blanc, le territoire de Binche abondant en gibier satisfaisait sa passion pour la chasse. Elle se fit construire dans cette dernière ville un splendide palais, où furent réunis une foule de précieux objets d'art. En 1548, Jacques Du Brœucq lui bâtit, à une lieue de Binche, le célèbre château de Mariemont, dont le luxe répondait à la beauté de ses jardins et de ses chasses[10].

Le 2 décembre 1545, Charles-Quint se rendit à Gand. A peine y était-il depuis deux jours qu'il fut pris d'un accès violent de goutte, qui le retint durant six semaines en cette ville. Aussitôt qu'il fut en état de supporter le voyage, ses médecins lui conseillèrent de retourner à Bruxelles, dont l'air, disaient-ils, lui convenait mieux que celui de Gand, bien que cette dernière ville fût le lieu de sa naissance. Il se mit en route le 15 janvier. Navagero était présent à son départ. Le pauvre prince, écrit celui-ci au doge[11], a excité la compassion de tous ceux qui l'ont vu, tant il était faible, pâle et en mauvais état. Il est monté dans une litière tout enveloppé ; c'est avec beaucoup de peine, et en s'appuyant sur un gros bâton, qu'il a pu aller jusqu'à l'endroit où la litière l'attendait.

Le 5 février, un nouvel accès envahit en même temps l'épaule, le bras, la main et l'un des pieds. Les médecins n'étaient pas d'accord sur le traitement à opposer au mal : les uns préconisaient l'emploi de l'eau de bois des Indes ou de Gaïac[12] ; les autres préféraient un cautère à la jambe[13]. L'avis des premiers prévalut. L'empereur commença, le 10 février, l'usage de l'eau de bois en se prescrivant une diète rigoureuse. Il s'en trouva bien. Depuis huit jours, écrivait l'ambassadeur de Venise à la date du 22 mars, l'empereur mange de la viande et boit du vin à son dîner. Il prend l'eau de bois deux fois dans la matinée et une fois le soir. Sa couleur naturelle lui est revenue, mais il est encore bien faible. Il remue difficilement l'épaule gauche, et ne peut plier le gros orteil du pied droit qu'avec l'aide de la main. Ces renseignements Navagero les tenait des personnes du palais ; trois jours plus tard, il fut reçu par l'auguste malade et voici le compte qu'il rend des impressions reçues dans cette visite : Quant à l'état de l'empereur — c'est toujours au doge qu'il écrit[14]je puis dire à Votre Sérénité que je l'ai trouvé très maigre et très pâle. Il avait au cou une bande de taffetas noir qui lui sert, je suppose, à appuyer le bras gauche. Les doigts de la main m'ont paru fort amaigris et fort dissemblables à ce que j'en ai vu d'autres fois. Comme il était assis et appuyé à une petite table couverte de velours noir placée devant lui, je ne saurais rien dire de plus de sa personne.

Aux douleurs physiques se joignait chez l'empereur la peine d'esprit qu'il éprouvait pour se décider sur l'alternative laissée à son choix par le traité de Crespy[15]. Parmi les peuples que la Providence avait placés sous son sceptre, dit M. Gachard, il n'en était aucun pour lequel il eût une affection égale à celle qu'il portait aux Belges. Les Pays-Bas étaient sa patrie ; c'était là qu'il avait passé ses jeunes années ; c'était l'ancien patrimoine de sa maison. Depuis son avènement au trône, il avait été témoin du dévouement que ces provinces avaient montré, des sacrifices qu'elles avaient faits, des maux qu'elles avaient soufferts pour lui dans ses luttes contre la France ; il se sentait par là plus obligé encore d'assurer leué conservation et leur prospérité. Il ne se dissimulait point que ce double but serait difficilement atteint, tant qu'elles n'auraient pas un souverain qui ferait sa résidence continuelle au milieu de ses vassaux ; il reconnaissait aussi qu'il lui serait impossible, et plus encore au prince son fils après lui, de s'absenter longtemps de l'Espagne[16]. Ces différents motifs avaient fait naître, dans sa pensée, depuis son passage par la France en 1539, le dessein de substituer à la cession du duché de Milan, qui était convenue entre lui et François Ier en même temps que le mariage du duc d'Orléans avec l'une de ses filles ou de ses nièces[17], celle des Pays-Bas et du comté de Bourgogne[18]. De là l'alternative à laquelle la paix de Crespy avait donné une forme solennelle.

Pour que la nouvelle combinaison pût se réaliser, il fallait qu'elle fût agréée des peuples des Pays-Bas ; il fallait aussi que le roi des Romains ne s'y montrât pas trop contraire ; il fallait enfin qu'elle eût l'assentiment de l'héritier présomptif de la couronne. Aussitôt après la conclusion de la paix, Charles-Quint avait envoyé en Espagne le secrétaire Alonzo de Idiaquez pour en faire connaître les stipulations à son fils, et lui rapporter l'opinion de ce prince et celle de ses ministres sur l'alternative ouverte par le traité. Chose étrange, dit toujours M. Gachard, on ne sait pas encore aujourd'hui quels avis vinrent à l'empereur de ce côté-là, Sandoval, en général si bien informé, ne nous en apprend rien : Ce qui, en Castille, dit-il, fut résolu par le prince et son conseil, je l'ignore[19]. Et cette lacune historique n'a pas été comblée par M. Lafuente, qui a eu pourtant à sa disposition les archives de Simancas[20].

Le roi des Romains exprima son avis dans une lettre écrite à l'empereur le 11 décembre. Dans cette lettre, il se déclarait absolument contre la cession des Pays-Bas, laquelle, selon lui, aurait eu les inconvénients les plus graves pour son frère, pour ses enfants, pour sa maison et pour ses autres états[21]. Bernardo de Meneses, chambellan de Ferdinand, vint, de sa part, trouver l'empereur à Gand, au mois de janvier[22], avec l'ordre d'insister sur ses représentations à cet égard.

Quant aux peuples des Pays-Bas, si nous en croyons Navagero, ils désiraient voir s'accomplir le mariage du duc d'Orléans avec la fille aînée de l'empereur, car ils voulaient avoir leurs souverains propres, et non des princes éloignés, comme l'étaient les rois d'Espagne. Ils considéraient en outre que, par la cession du pays à un prince de la maison de France, ils demeureraient affranchis du gouvernement des femmes, lequel ils supportaient mal volontiers[23]. Un document authentique fait foi cependant que les principaux seigneurs des Pays-Bas, consultés par Charles-Quint, se prononcèrent contre l'aliénation de ces provinces[24], en exprimant le vœu, il est vrai, que l'empereur prît les arrangements nécessaires pour qu'il pût, ou le prince son fils, y résider habituellement.

Après de longues hésitations, Charles-Quint se décida à donner au duc d'Orléans la seconde fille du roi des Romains avec le Milanais. Un courrier parti de Bruxelles le 23 mars et arrivé le 30 à Amboise, où était la cour de France[25], porta à son ambassadeur, le sieur de Saint-Mauris, sa résolution finale sur l'alternative. Cette déclaration[26] fut tenue secrète jusqu'au moment où l'on connaîtrait l'accueil que lui réservait le roi de France. Navagero avoue qu'il ne parvint pas à en connaître le contenu, et il écrit à ce propos : Dans la même ignorance où je me suis vu, ont été le nonce et tous les autres ambassadeurs, auxquels l'empereur ne communique jamais rien[27].

Le jour de Pâques, 5 avril, l'empereur se crut assez bien rétabli pour aller entendre la messe à Sainte-Gudule ; il s'y rendit accompagné de sa cour, du nonce et de l'envoyé de Venise. Des questions de préséance avaient empêché les autres ambassadeurs de se joindre au cortège. Cette sortie le fatigua beaucoup. Cependant il voulut se donner le plaisir de la chasse à Tervueren, avant de partir pour Malines, où l'attendaient la reine de Hongrie et les archiducs Maximilien et Ferdinand. Après une semaine passée dans cette ville, il se rendit à Anvers le 20 avril. Le lendemain il inspecta minutieusement la forteresse. Le 23, il donna audience à l'ambassadeur de Venise Navagero, chargé de lui exprimer la gratitude de la seigneurie, à laquelle il avait fait notifier sa déclaration sur l'alternative[28].

La déclaration fut bien accueillie à la cour de France : François Ier en fit remercier l'empereur par le secrétaire d'état de l'Ambespine, en son nom et en celui de son fils. Le jeune prince voulut venir en personne exprimer sa reconnaissance au chef de l'empire. Le duc d'Arschot alla à la rencontre du duc d'Orléans jusqu'à Mons. Celui-ci arriva à Anvers le 24 avril, avec une suite de trois cents cavaliers, lesquels, dit Navagero, n'étaient ni bien brillants ni en très bon ordre. L'empereur le reçut à la porte extérieure du palais avec toute sorte de démonstrations d'amitié, auxquelles il répondit par de grandes marques de respect. Le 29 avril, toute la cour partit pour Lierre. Le lendemain, Charles-Quint alla coucher à Diest avec les archiducs, tandis que la reine Marie et le duc d'Orléans se dirigeaient vers Bruxelles, d'où le duc repartit pour la France.

Si l'on en croit l'envoyé vénitien, le prince n'aurait pas été très satisfait du résultat de son voyage. Navagero cite, à ce sujet, un propos tenu par Louis de Flandre, seigneur de Praet, à Jean Baptiste Gastaldo. Ces deux personnages étaient logés à Anvers dans la même maison. Malades tous les deux, ils ne sortaient guères et discouraient souvent et longtemps ensemble. Gastaldo parlant un jour de la cession de l'état de Milan, de Praet lui répondit : Il y a bien des choses entre la bouche et le morceau. Navagero crut devoir rendre compte de ces paroles au conseil des Dix ; il y attachait de l'importance parce qu'elles venaient, disait-il, d'une source si grave, et que si quelqu'un était initié en ce moment à la pensée de l'empereur, c'était bien monsieur de Praet[29]. L'ambassadeur de Venise paraît cependant avoir été mal informé, et une lettre de Saint-Mauris à l'empereur lui-même s'exprime dans un tout autre sens sur les impressions du duc d'Orléans à la suite du voyage fait par le prince à Anvers[30].

L'empereur avait convoqué une diète impériale à Worms au mois de décembre 1544. L'accès de goutte qui le surprit à Gand et sa rechute à Bruxelles l'empêchèrent de se mettre en route à cette date. Le roi des Romains était lui-même empêché par de graves questions qui se débattaient entre les états d'Autriche et de Bohême et qui ne lui permettaient pas d'être à Worms avant le mois de mars. Dans cette situation, Charles songea à se faire remplacer par sa sœur Marie de Hongrie, mais il s'en abstint sur l'avis de son frère, qui lui remontra qu'il était sans exemple qu'une femme eût été commise pour négocier les affaires de l'empire et qu'une telle innovation pourrait scandaliser les princes et les états de l'Allemagne. Il se contenta donc d'envoyer à Worms, en qualité de ses commissaires, le seigneur de Granvelle, l'évêque d'Arras et le vice-chancelier de Naves[31].

Après son rétablissement, l'empereur, nous l'avons vu, s'était rendu en dernier lieu à Diest. Dans cette ville, il fit célébrer, le 1er et le 2 mai, un service anniversaire pour le repos de l'âme de l'impératrice, fidèle en cela à une coutume à laquelle il ne manqua jamais. Il partit ensuite pour Worms, où il arriva le 16 accompagné du roi des Romains, qui était allé à sa rencontre jusqu'à Alzei, maison de plaisance de l'électeur palatin[32]. L'évêque d'Augsbourg, créé depuis peu cardinal, et tout le clergé se rendirent au devant des deux princes. Charles s'était fait suivre de six cents chevaux des bandes d'ordonnances des Pays-Bas ; il était encore légèrement souffrant, et portait le bras en écharpe[33].

La diète avait été ouverte le 24 mars par Ferdinand, assisté des commissaires spéciaux. Elle était peu nombreuse, et l'on n'y voyait aucun des électeurs ni des princes de l'Allemagne. Le troisième jour de son arrivée, l'empereur manda auprès de lui les représentants des princes catholiques et des protestants ; il s'excusa, en faisant valoir son indisposition, de n'être pas venu plus tôt. Le jour suivant il appela les catholiques seuls, les entretint de l'obstination des protestants et leur demanda de l'éclairer sur ce qu'il y avait à répondre à ces derniers. Les catholiques lui présentèrent, le 23 mai, un très long mémoire, dans lequel ils exprimaient l'avis que les controverses sur la religion fussent remises à la décision d'un concile général, que la paix publique de l'Allemagne s'observât conformément au règlement ancien, que la chambre impériale se réglât dans ses jugements sur les statuts en vigueur, enfin que le recez de Spire ne fût point confirmé par l'autorité impériale. Charles se montra disposé à donner toute satisfaction aux catholiques, mais il croyait devoir user de ménagements envers les protestants, avec lesquels il évitait de rompre. Un fait que rapportent les ambassadeurs vénitiens[34] montre, dit M. Gachard, combien était grande sa circonspection à cet égard.

Il avait défendu à un prédicateur luthérien qui, avant sa venue à Worms, y prêchait en public, de le faire dorénavant. Ce prédicateur, un jour qu'un prêtre, compagnon du confesseur de l'empereur, s'apprêtait à célébrer une grand' messe en l'une des églises de la ville, y entra avec la connivence de quelques membres du magistrat, monta dans la chaire et prêcha, ce qu'il fit non seulement le matin, mais encore l'après-dîner : de sorte que le prêtre catholique fut contraint de s'enfermer dans le chœur et de se borner à dire une messe basse. Quoiqu'il y eût là une sorte de mépris de son autorité, Charles ne jugea pas à propos d'en faire éclater son mécontentement[35].

Dans l'entrevue de Creuznach avec le cardinal Farnèse, les rapports entre Charles-Quint et Paul III ne s'étaient pas améliorés. Au moment où la paix de Crespy venait de se conclure, le pape avait envoyé à Bruxelles un de ses camériers, porteur d'un bref, dans lequel il se plaignait, en termes amers, de la faveur montrée à Spire envers les protestants par l'empereur ; il avait fait faire les mêmes plaintes au roi des Romains par son nonce en Allemagne[36] ; dans une nombreuse promotion de cardinaux[37], il n'avait pas compris l'évêque de Pampelune, don Pedro Pacheco de Villena, dont la nomination était désirée de l'empereur[38]. Charles, de son côté, se plaignait du pape mal disposé, selon lui, envers lui-même, envers sa maison et envers les états placés sous son sceptre[39].

Cependant le Saint-Père avait convoqué un concile universel à Trente, dans le Tyrol[40] ; il avait besoin, pour le succès d'une entreprise si importante au point de vue religieux et social, de l'empereur. Voulant par une démarche spontanée témoigner son désir de rétablir une entente si nécessaire au bien de la chrétienté, il députa de nouveau le cardinal Farnèse, qui lui tenait de très près, vers Charles-Quint. Ce prince de l'Église arriva à Worms le 17 mai ; il y fut reçu avec tous les honneurs dus à sa dignité et aux liens étroits de parenté qui l'unissaient au souverain pontife. Le roi des Romains alla à sa rencontre, accompagné des archiducs ses fils, du grand maître de l'ordre teutonique et de plusieurs évêques[41]. Reçu le lendemain par l'empereur, à peine eut-il voulu excuser le passé, que son auguste interlocuteur l'interrompit de bonne grâce en disant qu'il ne fallait pas revenir sur ces vieilles choses, mais commencer à faire un livre nouveau[42]. Les jours suivants, le cardinal eut de longues conférences avec Granvelle, avec l'évêque d'Arras et avec le secrétaire Idiaquez. Il partit de Worms, après avoir pris congé de l'empereur, dans la nuit du 27 au 28 mai ; il avait été obligé de se déguiser, et n'emmenait avec lui que trois de ses serviteurs, le duc de Wurtemberg ayant refusé de lui donner un sauf-conduit.

Le plus grand secret avait été observé sur ces négociations, et les ambassadeurs vénitiens étaient réduits eux-mêmes aux conjectures sur ce sujet. Toutefois, le jour qui suivit le départ du cardinal, Granvelle déclara spontanément à Navagero el, à Morosini que les communications pontificales avaient porté sur deux points. Le Saint-Père avait fait offrir à l'empereur cent mille ducats et plus, si c'était nécessaire, pour la guerre contre les Turcs ; il lui avait demandé ensuite d'agréer l'ouverture du concile, d'y envoyer les prélats de ses états et de prendre des mesures rigoureuses contre les protestants. Charles accepta les cent mille ducats, malgré l'espoir où il était que la Hongrie ne serait pas attaquée cette année, parce que, disait-il, contre un ennemi si puissant et si perfide il fallait toujours être en garde, et c'était pour cela qu'il avait donné l'ordre de diriger sur Vienne trois mille Espagnols, sans compter d'autres troupes[43]. Sur le second point, l'empereur, après avoir promis d'envoyer au concile les évêques de ses états, avait déclaré qu'à la vérité les luthériens faisaient preuve d'une obstination extrême, mais que pourtant il jugeait préférable de recourir des moyens d'accommodement avec eux plutôt que d'avoir recours à des moyens de rigueur, et que, dans cet esprit, il était prêt à tout faire[44].

Nous avons vu que l'une des stipulations du traité de Crespy obligeait François [er à fournir à Charles-Quint, sur la première réquisition de celui-ci, des secours en hommes contre les Turcs. Sans décliner l'obligation ainsi contractée, le roi de France proposa à l'empereur d'envoyer au sultan un ambassadeur accompagné d'un chargé de pouvoir impérial, afin de négocier une longue trêve entre eux. Après avoir pris l'avis de son frère, de Marie de Hongrie et de Granvelle, Charles-Quint accepta cette proposition, et fit choix, pour ce voyage de Constantinople, d'un des secrétaires de son conseil privé aux Pays-Bas, Gérard de Veltwyck[45]. Celui-ci reçut à Worms, le 22 mai, ses instructions de l'empereur[46], et alla rejoindre à Venise le protonotaire Montluc, plus tard évêque de Valence, ambassadeur de François Ier auprès du sultan. Les deux diplomates avaient ordre d'agir de concert.

A la diète, une question dominait toutes les autres : c'était celle de savoir si le concile s'ouvrirait et si les protestants s'y feraient représenter. Navagero raconte qu'ayant cherché à connaitre là-dessus la pensée des ambassadeurs français, Mesnage et Grignan, ce dernier lui avait répondu[47] : Par ma foi, je n'ai jamais été astrologue. Ce sont là des choses qui dépendent de diverses volontés, et chacun en parle et en pense à sa guise. En attendant, Granvelle se donnait toutes les peines imaginables pour persuader aux représentants des princes protestants d'accepter le concile, mais sans rien gagner sur eux, tant leurs prétentions étaient excessives. Suivant eux, le concile convoqué n'était pas l'assemblée libre et chrétienne qu'on leur avait promise ; laquelle devait être un concile de la nation germanique et aurait dû être indiquée dans l'une des quatre villes de Cologne, Mayence, Trèves ou Metz[48]. Ils disaient de plus que l'empereur avait fait imprimer à Louvain certains articles[49], tous contraires à leur doctrine, un surtout qui attribuait au pape une prééminence qu'ils ne lui reconnaissaient point ; qu'il avait par là manifesté son opinion et rendu ainsi le concile inutile[50].

Le 11 juin, les ambassadeurs de François Ier se présentèrent en personne devant la diète et lui firent donner lecture d'un écrit portant, en substance, que le roi très chrétien, comme l'ami naturel de la nation germanique, exhortait les princes et les états de l'Allemagne à soumettre leurs différends au concile général. Cette exhortation produisit peu d'effet sur les protestants, qui n'étaient pas persuadés qu'elle fût bien sincère[51]. Rien n'avançait donc quand, le 23 juin, un courrier expédié de Rome apporta au nonce accrédité à la cour impériale des dépêches d'une haute importance. Paul IV, à la suite du rapport que lui avait fait le cardinal Farnèse sur les résultats de sa mission à Worms, offrait à Charles-Quint, s'il se décidait à faire la guerre aux protestants, deux cent mille écus pour les préparatifs de l'expédition, et un corps auxiliaire de douze mille hommes de pied et de cinq cents chevaux, qui serait à la solde du Saint-Siège ; il mettait en outre à la disposition de l'empereur une partie des revenus ecclésiastiques de tous ses royaumes, et l'autorisait à vendre certaines propriétés en terres et en vassaux des monastères, moyennant une compensation à leur donner en rentes[52].

Ces offres du Saint-Père donnèrent lieu à de longues délibérations dans le sein du conseil impérial ; Charles-Quint en conféra aussi avec son frère Ferdinand. Tous deux jugèrent que l'entreprise proposée était le seul moyen d'empêcher la religion de se perdre en Allemagne, mais il ne leur parut point qu'on pût y songer pour l'année courante, les préparatifs à faire exigeant trop de temps et la saison étant trop avancée. L'empereur envoya le seigneur d'Andelot au pape pour lui soumettre ces considérations, et en même temps l'entretenir dans les dispositions où il était jusqu'à ce que les circonstances fussent plus propices[53].

Le 18 juillet, le marquis del Guasto, gouverneur de l'état de Milan, amena à l'empereur cinq cents chevaux[54], et, trois jours après, Ruy Gomez de Silva lui apporta l'heureuse nouvelle que la femme du prince d'Espagne, Marie de Portugal, lui avait donné un fils[55]. Cette nouvelle réjouit extrêmement Charles-Quint ; les ambassadeurs des puissances étrangères s'empressèrent d'aller le visiter. En recevant les félicitations de ceux de Venise, il leur dit : J'espère que mon petit fils, s'il vit, s'emploiera pour le service de Dieu, et qu'il sera l'ami de mes amis[56].

Aucun des électeurs ni des princes allemands n'avait paru à Worms jusqu'au 9 juin. Ce jour-là, le comte palatin Frédéric, qui avait épousé la nièce de l'empereur, Dorothée, fille de Christiern II, y arriva[57], mais n'y séjourna que très peu de temps. Le 15 du même mois, il apprit la mort du duc François de Lorraine, qui avait succombé le 12 à Remiremont[58]. Sa femme était sœur de la veuve de ce prince, et ce lui fut un prétexte pour quitter Worms sur le champ. Au reste, pendant le peu de jours qu'il y passa, il n'avait voulu assister aux réunions ni des catholiques ni des protestants, affectant de se tenir neutre entre eux[59]. A l'empereur qui l'entretenait de l'opiniâtreté des luthériens il avait répondu qu'on n'avait aucune opposition à craindre de sa part, pourvu qu'on ne fit pas entrer des troupes étrangères en Allemagne, car, dans ce cas, ajoutait-il, il ne pourrait ni ne devrait manquer à ce qu'il devait à sa patrie[60].

Depuis le départ du prince palatin, nul autre prince allemand n'était arrivé. L'empereur, voyant que la diète ne pouvait aboutir, résolut d'y mettre fin. Le 28 juillet, le vice-chancelier de Naves fit connaître, par son ordre, aux états assemblés que sa volonté était d'en convoquer une autre, laquelle serait précédée d'un colloque au même lieu. Le 30, le roi Ferdinand partit de Worms, mais il avait à peine quitté la ville que des dépêches expédiées de Valladolid vinrent apprendre à Charles-Quint la perte de la princesse d'Espagne, morte quatre jours après sa délivrance. Une estafette atteignit le roi des Romains à deux lieues de Nuremberg et lui fit connaître la fatale nouvelle. Il revint sur ses pas pour consoler son frère, qui avait en effet grand besoin de consolation. Il avait été informé tout récemment d'une autre mort, celle de la princesse de Pologne, fille aînée de Ferdinand, et il était profondément affligé de cette double perte. Navagero lui présenta, le 1er août, les compliments de condoléance de la république vénitienne. Charles répondit : Je remercie la seigneurie de l'affliction qu'elle a ressentie de la mort de ma nièce, et je suis certain que celle qu'elle éprouvera de la perte de la princesse, ma fille, sera grande. Il faut se conformer à la volonté de Dieu, et louer toujours et supporter tout ce qui plaît à Sa Majesté Divine[61].

Le recez de la diète fut lu le 4 août. L'empereur y déclarait que l'absence des principaux membres des états n'ayant pas permis à la diète de décider les affaires importantes pour lesquelles elle avait été réunie, il l'avait transférée à Ratisbonne pour le jour des Trois Rois de l'année suivante. Il invitait les électeurs et les princes de l'Allemagne à s'y rendre en personne, vu la gravité des questions qui devaient y être résolues, et, donnait l'assurance qu'il s'y trouverait lui-même. Il annonçait qu'il serait tenu, avant la diète prochaine, sur les matières religieuses, un colloque[62] entre un petit nombre de personnes pieuses, savantes, éclairées, d'une bonne conscience et amies de la paix ; que ces personnes seraient désignées, en nombre égal, par lui et par les protestants. Enfin il confirmait les précédents recez, tels qu'ils avaient été généralement reçus[63].

Charles-Quint quitta Worms le 7 août, accompagné de l'archiduc Ferdinand et du prince de Piémont, Emmanuel Philibert, qui, depuis peu, était venu l'y joindre. Le même jour, le marquis del Guasto repartit pour l'Italie, et le seigneur de Granvelle, avec l'évêque d'Arras, prit la route du comté de Bourgogne, où l'appelait le mariage d'une de ses filles. Ce n'était pas sans peine que l'empereur avait consenti à se priver, pendant quelque temps, des services de son premier ministre : à trois reprises différentes, il avait voulu revenir sur le congé qu'il lui avait donné[64]. Le 9, Charles s'embarqua sur le Rhin, à Bingen, après y avoir eu une entrevue avec le duc Jean de Bavière. Il voyagea, sans s'arrêter jusqu'à Cologne, oh il descendit à deux heures du matin, ayant fait ainsi, selon la remarque de Navagero, plus de chemin en un jour que les personnes de sa cour en deux. Il séjourna à Cologne jusqu'au 17, et y reçut la visite de l'archevêque apostat Herman de Wède, qui résidait à Bonn. L'empereur ne voulut entendre ni ses essais de justification ni ses excuses, et lui signifia nettement qu'il avait à rétablir dans sa principauté l'ancienne religion, et à destituer les mécréants et les prêcheurs appelés par lui ; qu'à défaut de le faire, le pape procéderait contre sa personne et qu'il pourrait perdre en même temps sa dignité épiscopale et celle de prince de l'empire. Pour sa part, ajouta l'empereur en terminant, il était bien décidé à ne plus tolérer les excès de ce scandaleux prélat[65].

Le 17 août, Charles-Quint était à Juliers, le 18 à Maëstricht, le 19 à Saint-Trond, le 20 à Louvain, où l'attendaient la reine Marie et les principaux seigneurs des Pays-Bas. De Louvain il se rendit avec la reine au château de Tervueren. Le 25 et le 26, furent célébrées à Bruxelles les obsèques de la princesse d'Espagne, auxquelles ils assistèrent. Quelques jours après, l'empereur réunit les députés des états des Pays-Bas, et, après avoir rappelé les dangers qui avaient menacé ces provinces pendant la dernière guerre, il leur demanda une aide annuelle de trois cent mille florins destinée à l'entretien de trois mille hommes d'infanterie. Navagero, en rapportant la chose au doge, ajoute : On croit que les états accueilleront cette demande, car ceux qui y seraient contraires seront, par toute sorte de moyens, réduits à voter comme les autres[66].

Le moment cependant était bien peu favorable. A peine échappés aux horreurs de la guerre, les Pays-Bas s'étaient vus en proie à d'autres fléaux. L'hiver de 1544 à 1545 avait été si rude qu'au rapport des historiens, le vin gela dans les tonneaux et se vendit à la livre[67]. La disette suivit comme d'habitude, et livra le peuple à d'affreuses souffrances. En vain le gouvernement fit-il acheter des blés à l'étranger[68], prescrivit-il le recensement des grains existant dans le pays[69], défendit-il aux marchands d'exporter ceux qu'ils avaient en magasin, leur ordonna-t-il de les vendre en détail sur les marchés[70], rien ne fut assez puissant contre cette lamentable situation. En 1545, comme l'empereur se disposait à traverser le Luxembourg, il fut averti qu'il ne s'y procurerait des vivres qu'à un prix exorbitant, attendu que faute de gens, peu de terres avoient été cultivées[71]. A Bruxelles, le setier de froment coûtait deux florins du Rhin seize sous ; les pauvres étaient réduits à se nourrir de pain de fèves et de son[72].

Les maladies contagieuses, la peste, comme on disait alors, compagne trop fidèle de la faim, désola aussi la plupart de nos provinces. Dans le Luxembourg, oui la guerre en avait propagé les germes, la capitale, Thionville, Arlon, les villages environnants furent décimés. Elle sévit avec tant de fureur parmi les ouvriers employés aux fortifications des places frontières qu'il fallut interrompre les travaux[73]. L'épidémie n'épargna pas davantage la Flandre, où, comme trop souvent dans ces malheureuses circonstances, on l'attribua à la malveillance et à de mystérieuses influences. A Courtrai, plusieurs personnes, accusées de l'avoir propagée, furent arrêtées, mises à la torture et bannies. Les sœurs grises même qu'on y avait appelées pour nettoyer la ville de la peste, n'échappèrent pas aux soupçons d'une foule méfiante jusqu'à l'ingratitude ; quelques femmes furent condamnées au bannissement pour avoir outragé de paroles ces héroïques religieuses[74]. Navagero constate, dans l'une de ses dépêches[75], qu'à Bruxelles dix ou douze maisons étaient infectées, que l'on ne s'en préoccupait pas et que l'on ne faisait rien pour y remédier. Le 16 septembre il écrit : La peste va ici plutôt en augmentant qu'en diminuant. Selon ce que m'a rapporté un des membres du magistrat chez lequel je suis logé, il y a maintenant quinze maisons infectées, tandis qu'à mon arrivée il n'y en avait qu'une dizaine. Comme je désirais savoir quelles mesures on prenait dans ces circonstances, il m'a dit qu'on se bornait à envoyer les pestiférés à un hôpital de la ville où d'autres malades sont aussi soignés.

Le retour de Charles-Quint à Bruxelles était regardé comme le moment où la déclaration de ce monarque sur l'alternative stipulée par la paix de Crespy allait produire ses effets dans les régions politiques. Le duc d'Orléans était dans l'attente ; il avait refusé, pour rester libre, le commandement de l'armée levée par le roi son père pour reprendre Boulogne sur les Anglais[76]. La Providence, qui se plaît souvent à confondre les desseins, des hommes, comme le remarque M. Gachard, ne voulut pas que les destinées promises à ce jeune prince s'accomplissent. François Ier, sur la fin d'août, était allé avec ses deux fils à Forêt-Moutiers, près d'Abbeville, d'où il comptait se rendre à son camp devant Boulogne. Des maladies contagieuses infectaient aussi cette contrée : le duc d'Orléans fut atteint, mais il se rétablit promptement, et, le 29 août, les ambassadeurs de l'empereur, Saint-Mauris et Noirthond, purent l'en féliciter[77]. Malheureusement ce rétablissement ne fui que momentané. Le 4 septembre, la fièvre reprit le jeune prince avec une telle violence qu'il fallut le saigner coup sur coup. Les médecins n'étaient pas d'accord sur la nature de la maladie : pour les uns c'était une pleurésie, c'était la peste pour les autres. Le 9 septembre, à trois heures après midi, Charles de Valois, duc d'Orléans, expira. L'autopsie constata une altération complète du sang[78]. Le roi était à la chasse au moment où son fils rendait le dernier soupir. Au retour, il fit éclater un grand désespoir ; il était comme hors de lui-même, criant : Mon Dieu, que t'ai-je fait ! Il s'enferma dans une abbaye, prés de Pecquigny, à deux lieues d'Amiens, et là encore on l'entendit répétant : Mon Dieu, pourquoi ne m'as-tu pas pris plutôt que mon fils ? En réalité, fait observer M. Gachard — et cette remarque, ajoute-t-il, ce n'est pas nous qui la faisons, mais ses courtisans eux-mêmes — il était aussi affligé de la perte de l'état de Milan que de celle de son fils[79]. Ici encore quel contraste entre cette façon de supporter la douleur et le calme résigné de Charles-Quint !

La nouvelle de la mort du duc d'Orléans parvint à Bruxelles le 11 septembre. Charles-Quint, en la recevant, fit porter ses compliments de condoléance aux ambassadeurs français, Grignan et Mesnage ; il les assurait en même temps de son intention de maintenir la paix entre lui et le roi très chrétien, car, en ce qui le concernait, disait-il, il n'avait pas fondé cette paix sur la vie seule du prince que la France venait de perdre[80]. Il fit partir ensuite Philippe de Lannoy, seigneur de Molembais, chevalier de la Toison d'or, pour la cour de France, avec la mission d'exprimer au roi et à la famille royale la part qu'il prenait au coup qui les avait frappés. Il adressa en même temps des instructions à Saint-Mauris sur la conduite qu'il aurait désormais à tenir. Il lui recommandait de ne plus se préoccuper et de parler le moins possible du traité de Crespy ; de répondre au roi et à ses ministres, si on lui en parlait, que la volonté de l'empereur était de remplir toutes ses obligations, et qu'il ne désirait rien autant que de vivre en bonne amitié avec le roi son beau-frère. Il le chargeait enfin de mettre sur le tapis comme pouvant servir de base à une nouvelle convention, le mariage du prince d'Espagne avec madame Marguerite de Valois, deuxième sœur du dauphin[81]. Le 25 et le 26 septembre, on célébra, à Sainte-Gudule, pour le prince défunt, des obsèques auxquelles l'empereur assista en personne, accoustré, dit Vandenesse, de longue robe de deuil, le chaperon sur l'épaule.

Si nous nous en rapportons au témoignage de Navagero, la mort du duc d'Orléans causa à Bruxelles une satisfaction générale, chacun s'imaginant que d'autres arrangements entre l'empereur et le roi, plus avantageux pour le premier, en seraient la conséquence[82]. Était-ce, se demande M. Gachard, le sentiment de la nation que l'ambassadeur vénitien interprétait ainsi ? N'était-ce pas plutôt, comme j'inclinerais à le croire, dit-il, celui des personnes attachées à la cour et au gouvernement ? Car les Belges n'étaient pas intéressés à la conservation par l'empereur du duché de Milan ; ils devaient craindre, au contraire, qu'elle ne fût la cause, entre lui et le roi de France, de nouvelles guerres dont ils supporteraient encore le principal poids. Le langage des ambassadeurs français était peu de nature d'ailleurs à autoriser ces espérances flatteuses ; ils disaient à un ami particulier de Navagero : Nous avons toujours déclaré que si l'empereur veut, comme il l'affirme, continuer à vivre en paix avec le roi, il est en son pouvoir de le faire : il n'a pour cela qu'à donner l'état de Milan. Que si Sa Majesté n'est pas d'avis d'entretenir la paix par ce moyen, nous avons entre les mains un très bon gage[83]. C'était une allusion fort claire au Piémont et à la Savoie, dont la France ne s'était pas dessaisie jusqu'à ce moment.

Le 16 septembre était arrivé à Bruxelles un personnage fameux plus tard dans notre histoire, Fernando Alvarez de Tolède, duc d'Albe. On savait qu'il avait été appelé par l'empereur dès le 3 septembre, et Navagero, en l'annonçant au doge, ajoutait : De toute la noblesse d'Espagne c'est le duc qui lui est le plus cher ; c'est lui qui a toujours désigné les commandants de ses armées[84]. Cette venue du duc d'Albe faisait du bruit à la cour. J'ai, écrit deux jours plus tard Navagero, j'ai pris à tâche d'en connaître la cause. Les uns disent qu'au départ de l'empereur de ces provinces, il y restera comme gouverneur ; aux autres il parait peu vraisemblable que le gouvernement du pays soit confié à un seigneur étranger, avec lequel plusieurs de ces grands, qui se réputent sinon supérieurs à lui, tout au moins ses égaux, auraient journellement à discuter. Pour ce motif, je crois plus facilement à ce que m'a dit un gentilhomme espagnol considérable, que l'empereur seul, et nul autre, sait pourquoi il a mandé le duc, et en quoi il veut se servir de lui[85]. Le duc alla loger au palais même de l'empereur, dont il était le grand maître d'hôtel.

Ici se place, par sa date, continue M. Gachard, une importante communication de Navagero au conseil des Dix. Il voyait beaucoup le secrétaire de la légation de Florence, dont il ne nous fait pas connaître le nom. Ce secrétaire, depuis que l'ambassadeur auquel il était attaché avait pris congé de la cour impériale, à Worms, vivait chez don Francisco de Tolède, neveu du vice-roi de Naples, parent et ami intime de don Enrique de Tolède, gentilhomme de la chambre de l'empereur, qui lui portait une affection particulière et n'avait pas de secret pour lui[86]. Personne ne pouvait donc être mieux instruit des desseins de leur maître que ces deux personnages, et l'arrivée à la cour du duc d'Albe, qui leur était uni par les liens du sang, ajouta encore au crédit dont ils jouissaient. Or le secrétaire en question confia à Navagero que l'intention de l'empereur était de se déclarer ennemi des luthériens ; que si l'électeur de Saxe et le landgrave de Hesse venaient à la diète de Ratisbonne, il les ferait arrêter ; que si ces princes n'y venaient pas, après y avoir été appelés, il prendrait les armes contre eux ; que c'étaient là les propres paroles sorties de la bouche de l'empereur[87].

Navagero fit, dit-il, des objections à son interlocuteur, et ce dernier reconnut qu'elles étaient graves. Mais il lui paraissait manifeste d'un autre côté, et l'empereur était de cet avis, que si celui-ci s'éloignait de l'Allemagne, laissant les choses dans l'état où elles étaient, cette contrée tout entière serait bientôt en proie à l'hérésie, et que la même peste ne tarderait pas à corrompre les Pays-Bas, qui en étaient déjà infectés. Il ajouta que le confesseur dont l'influence sur l'esprit de l'empereur était grande, ne cessait de l'exciter à une entreprise à laquelle étaient intéressées la foi et la religion du Christ ; que le pape lui faisait de grandes promesses ; qu'il trouverait, pour le servir, même des gens de guerre allemands ;. que du reste il n'en aurait pas besoin, car, avec les Italiens dont il pourrait se procurer le nombre qu'il voudrait, et les Espagnols qui ne lui manqueraient pas, il serait en état de faire beaucoup. La conclusion du discours répondait au commencement. Que vous semblerait-il, ajoutait le Florentin[88], si le duc d'Albe eût été mandé pour être le chef de cette entreprise, car le pape, vous le savez, est peu ami de don Fernand de Gonzague, les Italiens ne l'aiment pas, les Espagnols, pour plusieurs raisons, se tiennent offensés par lui, les Allemands ne veulent pas lui obéir ?... Et tout ce que je vous dis est au cas que la paix ou une trêve se fasse avec le Turc. Il faut en convenir, dit M. Gachard en terminant ce récit, ce secrétaire florentin était parfaitement renseigné, et l'on ne peut, que partager son avis.

Le 3 octobre, un envoyé spécial de Paul III, Jérôme Dandino, évêque de Cassano, arriva à Bruxelles. Il venait mettre la dernière main aux négociations entamées à Worms. Le secret fut sévèrement gardé sur les particularités de cette mission ; seulement l'ambassadeur de Venise apprit de l'envoyé pontifical qu'il était en mission pour l'affaire du concile principalement, et pour exhorter l'empereur à conserver la paix avec le roi de France, car, sans l'accord entre ces deux souverains, il ne pouvait y avoir de concile et rien ne pouvait se faire de bon[89]. Le 10 octobre, le secrétaire Marchina, qui accompagnait l'évêque de Cassano, repartit pour Rome. Navagero apprit du secrétaire de Florence désigné plus haut que Marchina y était renvoyé parce que le pape offrait de payer douze mille fantassins et six cents cavaliers pour la guerre contre les luthériens pendant quatre mois, et que l'empereur voulait être assuré de ce payement pendant toute la durée de la guerre[90].

Quelques jours après, Granvelle revint à Bruxelles. L'empereur avait beaucoup souffert de son absence : à peine était-il parti de huit jours, qu'un courrier était expédié pour le rappeler. Il arrivait à l'empereur tant de lettres auxquelles il fallait répondre, il y avait tant d'audiences à donner aux ambassadeurs que le prince ne pouvait se passer de son habile et fidèle ministre. Mais Granvelle, malgré toute sa bonne volonté, était dans l'impossibilité de le satisfaire. Il avait souffert de la fièvre quatorze jours durant, et sa faiblesse était extrême[91]. Quand Charles apprit que ce conseiller si nécessaire allait mieux, il lui écrivit de sa main pour l'inviter à revenir au plus tôt[92]. Granvelle arriva à Bruxelles le 14 octobre. On se figure aisément l'accueil qu'il reçut de l'empereur ; toute la cour voulut lui rendre visite[93]. Le lendemain, Charles-Quint partit pour visiter la Flandre. Il séjourna à Gand du 23 octobre au 2 novembre, et à Bruges du 3 au 16 de ce dernier mois. Le jour même où il entrait à Bruges, l'évêque de Winchester, ambassadeur extraordinaire de Henri VIII, y arrivait ; quatre jours après, on y vit arriver également trois ambassadeurs de François Ier, le chancelier de France Olivier, l'amiral d'Annebault et le secrétaire Bayard.

Depuis la paix de Crespy, l'empereur avait fait des efforts incessants pour amener un accommodement entre François Ier et Henri VIII. Tous ces efforts avaient échoué devant la volonté bien arrêtée des Français de ravoir Boulogne et la prétention non moins obstinée des Anglais de ne pas la rendre. Pendant le séjour de la cour impériale à Bruges, les ambassadeurs de France et d'Angleterre eurent des conférences fréquentes, à l'intervention de Granvelle, du seigneur de Praet et du président Van Schore, que Charles avait choisis pour leur servir d'intermédiaires. On discuta beaucoup ; on ne put se mettre d'accord sur rien. Le 16 novembre, l'empereur se rendit de Bruges à Anvers ; les ambassadeurs l'y suivirent, continuant leurs négociations sans s'entendre mieux qu'auparavant. Le 25, les ambassadeurs français reprirent le chemin de leur pays. Deux jours après, Granvelle donna lecture à Navagero d'une dépêche adressée à l'ambassadeur impérial à Venise, don Diego de Mendoza. Cette dépêche portait en substance que la paix entre les Anglais et les Français avait rencontré un obstacle insurmontable dans la question relative à Boulogne. Quant aux relations de l'empereur lui-même avec la France, il y était dit que les Français proposaient le mariage de madame Marguerite avec le prince d'Espagne, et offraient une dot considérable en argent ; que l'empereur n'exigeait point de dot, mais voulait que les Français restituassent au duc de Savoie tous ses états, ce à quoi ceux-ci consentaient pour la Savoie seulement. On n'était pas parvenu non plus à se mettre d'accord sur Hesdin. Néanmoins les ambassadeurs étaient partis en protestant des dispositions pacifiques de leur maître[94]. L'empereur avait fait les mêmes protestations, ajoutant que, tenant le roi pour un prince chrétien, il était persuadé que ce prince ne voudrait pas troubler la tranquillité publique[95]. L'évêque de Winchester prit congé de l'empereur quelques jours plus tard, en se montrant très satisfait, au rapport de Navagero, de ses derniers rapports avec ce monarque[96].

Depuis le chapitre de la Toison d'or célébré à Tournai en 1531, il n'y avait pas eu d'assemblée des chevaliers de cet ordre illustre. Le jour de la Saint-André, 30 novembre 1543, l'empereur, étant à Bruxelles, avait décidé que le 3 mai de l'année suivante un chapitre général s'ouvrirait à Utrecht. Il avait choisi cette ville comme la plus convenable, tant par sa situation au centre des Pays-Bas, que parce qu'elle avait été soumise depuis peu à son obéissance. A l'époque fixée, Charles retenu à Spire par les affaires de la diète remit le chapitre à la Saint-André suivante. De nouveaux obstacles l'ayant forcé à l'ajourner de nouveau, il déclara, au mois d'octobre 1515, que la prochaine assemblée se tiendrait définitivement à Utrecht le 30 novembre prochain[97]. Cette fois encore, retenu à Anvers par les négociations entre la France et l'Angleterre, il ne put se mettre en route que le 1er décembre. Ce voyage était loin de plaire à la cour à cause de l'hiver ; les routes étaient détestables[98]. Arrêté à Bois-le-Duc, Charles fut obligé d'y séjourner pendant tout un mois : la goutte l'avait repris à un bras d'abord, puis au genou. Ses médecins furent d'avis alors qu'à l'avenir il devrait tâcher de se reposer pendant l'hiver, et ne voyager, si cela lui plaisait, que dans la belle saison[99]. Les pilules qu'ils lui firent prendre le guérirent cependant, et, le jour de Noël, il fut en état d'assister à la messe dans la grande église. Il quitta Bois-le-Duc le 28, et, le 30, il fit son entrée dans Utrecht[100].

Le chapitre de la Toison d'or s'ouvrit le 2 janvier 1546. Un nouvel accès de goutte vint surprendre l'empereur au milieu des délibérations de l'assemblée ; durant plusieurs jours, les chevaliers furent contraints de se réunir dans sa chambre. Conformément aux statuts de l'ordre, le chapitre consacra trois séances à l'examen de la conduite de chacun des chevaliers présents et absents. Plusieurs reproches furent faits, par l'organe du chancelier, à Charles-Quint lui-même. On l'accusait notamment d'avoir manqué aux statuts en exécutant des entreprises importantes sans que ses confrères en eussent été avertis au préalable ; de s'exposer trop à la guerre ; d'être fort lent dans l'expédition des affaires publiques. L'empereur écouta gracieusement le chancelier : il répondit que les expéditions de Tunis et d'Alger, auxquelles il avait été fait allusion, avaient dû être préparées avec une grande circonspection et dans le plus profond secret, de peur que les ennemis ne les traversassent ; que néanmoins il en avait donné connaissance à quelques-uns des chevaliers qui étaient en ce temps là auprès de lui ; à l'égard de la lenteur dans les affaires, il déclara que cette façon d'agir lui avait toujours été avantageuse. Il promit ensuite à l'assemblée d'être désormais plus attentif à remplir ses devoirs. L'élection des nouveaux chevaliers eut lieu le 15 et le 16 janvier. Vingt-deux places étaient vacantes : quatre furent, conférées à des Espagnols, trois à des Italiens, trois à des Allemands, et les douze autres à des seigneurs des Pays-Bas. Parmi les nouveaux élus, on distinguait Maximilien d'Autriche, fils aîné et futur successeur de Ferdinand ; Albert III de Bavière, don Ferdinand Alvarez de Tolède, duc d'Albe ; Lamoral d'Egmont, prince de Gavre ; le comte Pierre Ernest, de Mansfelt ; Philippe de Lalaing, comte d'Hoogstraeten ; Jean de Ligne, comte d'Aremberg.

L'empereur se rétablissait lentement, mais son énergie lui fit surmonter ses douleurs physiques. Le 3 février, il se mit en route pour la Gueldre, et visita successivement Wageninghe, Arnhem, Zutphen, Nimègue, Venloo, Ruremonde. Il alla ensuite à Maëstricht, où il prit congé de la reine Marie, après avoir réglé avec elle toutes les affaires de son gouvernement. Il avait appris avec satisfaction que les provinces des Pays-Bas, malgré leur pénurie, lui avaient accordé des secours généreux pour ses premiers armements. Le Brabant avait donné sept cent cinquante mille livres, la Flandre trois cent mille carolus d'or, Malines six mille, Namur trente-deux mille, le duché de Limbourg trente mille, le pays de Fauquemont vingt, mille, celui de Daelhem six mille, Sprimont deux mille, etc. Pour obtenir des subsides aussi considérables, il avait fallu que le gouvernement s'engageât à ne plus réclamer d'aides extraordinaires durant un terme de trois années[101]. De Maëstricht, où il avait passé une dizaine de jours ainsi occupé de nos affaires, l'empereur se dirigea vers Ratisbonne en passant par Liège, Aix-la-Chapelle, la Roche, Bastogne, Arlon, Montmédy, Luxembourg, Saarbrück et Spire. Le 10 avril il arriva à Ratisbonne[102].

Dans les précédentes diètes, Charles-Quint s'était efforcé de ramener l'union et la paix en Allemagne en recourant toujours aux voies de douceur et d'accommodement, à des explications réciproques et bienveillantes entre les esprits divisés ; il n'avait rien épargné pour atteindre ce but si désiré par lui : ni les écrits, ni les discussions publiques, ni le prestige de son éloquence. Il allait inaugurer la diète de Ratisbonne dans des dispositions bien différentes. Il était maintenant convaincu qu'il fallait renoncer à l'espoir de ramener par la persuasion les protestants à l'unité doctrinale. Il voyait le luthéranisme s'étendre chaque jour en Allemagne et se propager de là dans les Pays-Bas. Il avait acquis la certitude que, s'il n'en arrêtait point les progrès par des mesures énergiques, Il ne pourrait plus s'éloigner de ces contrées qu'avec la crainte de les voir bientôt tout entières en proie à l'hérésie. Les circonstances d'ailleurs lui paraissaient favorables : une trêve avait été conclue avec les Turcs ; il n'avait rien à, craindre de François Ier, toujours en guerre avec les Anglais ; un concours puissant lui était offert par le saint père. A ces raisons déduites par Charles-Quint lui-même dans une lettre au prince son fils[103], il s'en joignait d'autres qu'expose très bien un ambassadeur de Venise accrédité auprès de lui depuis l'année 1546 jusqu'en 1548 : Le landgrave de Hesse, le duc de Wurtemberg, le duc de Saxe, s'étaient faits si grands et étaient entourés d'une telle renommée en Allemagne que, quand ils étaient appelés aux diètes par l'empereur, ou ils ne daignaient pas y venir, ou, s'ils y venaient, ils y étaient plus honorés et plus respectés que l'empereur lui-même et le roi des Romains, desquels ils faisaient paraître qu'ils tenaient peu de compte, contredisant audacieusement ce que Sa Majesté Impériale proposait ; de sorte que voyant qu'il ne pouvait rien obtenir sans leur appui, l'empereur était contraint de recourir aux caresses, aux marques d'honneur et souvent aux prières, pour obtenir des diètes ce qu'il en désirait[104].

D'après le dernier recez, la diète de Ratisbonne avait dû être précédée d'un colloque dans la même ville. Convoqué par l'empereur pour le 4 décembre, ce colloque s'était ouvert seulement le 27 janvier. Quatre théologiens catholiques y avaient disputé contre quatre protestants, sous la présidence de Maurice, évêque d'Eichstaedt, et de Frédéric, comte de Furstemberg, auxquels l'empereur avait adjoint plus tard Jules Pflug, évêque de Naumbourg[105]. Les discussions avaient duré plusieurs semaines sans amener de résultat, et le colloque avait cessé à la fin de mars, les théologiens luthériens ayant quitté Ratisbonne sur l'ordre de leurs maîtres, sans attendre la présence de l'empereur et sans son autorisation.

Aucun des princes protestants n'était présent à la diète lorsque l'empereur y arriva. Il leur écrivit en termes affectueux pour les engager à y assister : ni le landgrave de Hesse, ni l'électeur de Saxe, ni le duc de Wurtemberg, ni même l'électeur palatin[106], neveu par alliance de l'empereur, ne se rendirent à son invitation ; tous se contentèrent de se faire représenter par des commis, gens, au témoignage de l'ambassadeur vénitien, dépourvus d'autorité, de basse condition et ayant des instructions fort restreintes[107]. Plusieurs princes et évêques catholiques étaient arrivés, entre autres les cardinaux de Trente et d'Augsbourg, ainsi que les évêques de Würtzbourg et de Bamberg. Maurice de Saxe y arriva aussi le 24 mai, au grand étonnement de tout le monde, et ses entretiens avec l'empereur fournirent matière à beaucoup de discours et de conjectures. Les plus avisés attribuaient sa venue au désir de servir l'empereur, mais dans son propre intérêt. Il l'avait assuré, prétendaient-ils, de son regret de s'être fait luthérien, et cela dans l'espoir que l'électeur de Saxe, Jean Frédéric, son cousin, serait privé de l'électorat comme hérétique, et qu'il pourrait être appelé à le remplacer[108].

L'empereur ouvrit la diète le 5 juin, et témoigna son mécontentement de ce que le colloque avait été rompu avant que les états de l'empire fussent réunis ; il demanda ensuite l'avis des états sur les moyens de pacifier le corps germanique. Les catholiques, après avoir délibéré, répondirent que le moyen le plus propre de rendre la paix à l'Allemagne était de remettre au concile assemblé à Trente la décision de toutes les questions religieuses, mais les protestants soutinrent que l'assemblée de Trente n'était ni libre ni telle qu'ils l'avaient demandée et qu'elle leur avait été promise. En présence de sentiments si contradictoires, il était manifeste qu'on ne parviendrait pas à s'entendre.

Mais Charles-Quint n'avait plus qu'un médiocre souci des délibérations de la diète ; ses préoccupations étaient ailleurs. Aussitôt après l'arrivée du roi des Romains et de l'électeur de Bavière, il avait conféré avec eux sur la situation des affaires publiques, et ces deux princes l'avaient confirmé dans sa résolution de recourir aux armes pour réduire les protestants. Il avait ensuite envoyé à Rome le cardinal de Trente, chargé de prier Paul III de faire diriger sans délai vers l'Allemagne les douze mille hommes d'infanterie et les cinq cents chevaux que le pontife avait promis de prendre à sa solde. il avait mandé à la reine Marie de lui envoyer un corps de dix mille fantassins et de trois mille cavaliers, qui seraient commandés par Maximilien d'Egmont, comte de Buren, et auxquels seraient joints deux cents arquebusiers à cheval et cent hommes d'armes des ordonnances des Pays-Bas. Il avait appelé de Hongrie don Alvaro de Sande, qui avait sous ses ordres deux mille huit cents Espagnols, et il en faisait venir six mille du Milanais et du royaume de Naples. Il avait donné commission aux colonels Madrutz, Georges de Regensbourg, Georges, comte de Schauwembourg, et marquis de Marignan, d'enrôler chacun quatre mille lansquenets. D'autre part, l'archiduc Maximilien s'était chargé de lever quinze cents chevaux, le marquis Albert de Brandebourg deux mille cinq cents, le marquis Jean de Brandebourg six cents, le grand maître de Prusse mille, le duc Éric de Brunswick quatre cents[109]. A ces forces devaient se réunir celles du roi des Romains et du duc Maurice de Saxe. Pour obtenir le concours de ce dernier, dont l'ambition égalait les talents militaires, l'empereur avait été contraint de lui promettre la dignité électorale, qu'avait possédée jusque là son cousin Jean-Frédéric[110].

Tous ces préparatifs ne pouvaient échapper à l'attention des confédérés de Smalkade. Le 16 juin, leurs députés à la diète exprimèrent à l'empereur, au nom de leurs maîtres, le désir de connaître le but dans lequel se faisaient des armements qu'on ne s'expliquait point, puisqu'il n'était en guerre ni avec les Turcs ni avec aucun prince de la chrétienté. Charles leur répondit, par l'organe du vice-chancelier de Naves, que, depuis le commencement de son règne, il n'avait cessé de travailler à entretenir la paix en Allemagne ; que tout son désir, en ce moment encore, était d'y établir la paix, la concorde et la justice ; que ceux qui lui obéiraient et le seconderaient en cela devaient compter sur toute sa bienveillance, mais qu'il agirait avec rigueur contre les autres. Le lendemain, il écrivit à la plupart des villes de la ligue protestante, notamment à celles de Strasbourg, de Nuremberg, d'Augsbourg et d'Ulm, pour les prémunir contre les rumeurs qu'on ferait courir pour dénaturer ses intentions. Il leur donnait l'assurance que s'il prenait les armes, c'était pour faire rentrer dans le devoir ceux qui témérairement ne cherchaient qu'à détruire son autorité et à s'assujettir tous les ordres de l'empire ; que c'étaient les mêmes qui s'étaient emparés du bien d'autrui, et qui, pour garder le fruit de ces spoliations, conspiraient la suppression des tribunaux appelés à rendre la justice à la nation allemande. Le 4 juillet, l'électeur de Saxe et le landgrave de Hesse adressèrent une lettre de protestation à l'empereur. Ils se plaignaient d'être accusés sans avoir été admis à se défendre, déclaraient qu'ils remettaient leurs intérêts entre les mains de Dieu, et ajoutaient que l'antéchrist romain et l'impie concile de Trente avaient pu seuls lui suggérer le dessein d'opprimer la doctrine de l'évangile et la liberté germanique. Quelques jours après, ils publièrent un long manifeste où ils reproduisaient ces reproches odieux et si peu justifiés. La réponse de l'empereur ne se fit pas attendre. Le 20 juillet, un décret solennel mit au ban de l'empire l'électeur et le landgrave, les déclarant rebelles, criminels de lèse-majesté et perturbateurs du repos public ; défendant de les assister en rien sous peine de la vie et de confiscation des biens ; déliant la noblesse et le peuple de leurs états du serment de fidélité prêté par eux[111]. Le 23, la diète fut close ; les représentants des princes protestants étaient partis depuis plusieurs semaines. Les affaires sur lesquelles l'assemblée n'avait pas statué furent renvoyées à une diète qui se réunirait à la Chandeleur prochaine.

Les protestants n'avaient pas attendu jusque là pour commencer les hostilités[112]. Dès la fin de juin, douze mille fantassins et quinze cents chevaux, avec vingt pièces d'artillerie[113], sous Je commandement de Sébastien Schertlin, capitaine général d'Augsbourg, étaient sortis de cette ville et s'étaient portés sur Füssen, où le marquis de Marignan et le colonel Madrutz étaient occupés à lever leurs lansquenets. Ils s'en emparèrent sans peine ; les lansquenets opérèrent leur retraite sur Ratisbonne. Le but des protestants était de fermer le passage aux troupes qui venaient d'Italie. De Füssen ils se dirigèrent vers Chiusa, forteresse du Tyrol, qui leur ouvrit ses portes. Poursuivant leur marche, ils s'approchèrent d'Insprück, dont la possession les aurait rendu maîtres des communications du Tyrol avec la Bavière, et de la route conduisant de cette capitale du Tyrol jusqu'à Trente. Mais des mesures de défense avaient été prises par le roi Ferdinand, et elles étaient si vigoureuses qu'il ne restait aucun espoir de s'en emparer. Schertlin fut donc obligé de retourner sur ses pas, après avoir mis garnison dans Füssen et Chiusa ; il s'établit à Donawerth, où bientôt le duc de Saxe, le landgrave, le duc de Wurtemberg vinrent le joindre avec leurs troupes réunies. L'armée de la ligue était forte en ce moment de cinquante-cinq à soixante mille hommes d'infanterie et de six à sept mille chevaux, avec cent dix pièces de canon[114]. Outre les princes que nous venons de nommer, cette armée comptait dans ses rangs Jean-Ernest, frère, et Jean-Frédéric, fils de l'électeur de Saxe ; le duc Philippe de Brunswick et ses quatre fils, Ernest, Albert, Jean et Wolfgang ; le duc François de Lunebourg, le prince d'Anhalt, le comte Louis d'Oettingen, le comte Albert de Mansfelt et beaucoup d'autres seigneurs de marque.

Charles-Quint, au moment où les protestants levaient l'étendard de la guerre, n'avait avec lui à Ratisbonne que deux compagnies d'hommes d'armes des Pays-Bas, les Espagnols qu'il avait appelés de Hongrie, et quelques enseignes d'Allemands nouvellement levées. Il n'y était pas en sûreté avec si peu d'hommes, et il prit le parti de quitter la ville le 4 août. Il était parvenu à réunir une partie de ses forces, et il put laisser à Ratisbonne une garnison de deux cents fantassins espagnols et de quatre mille lansquenets sous les ordres de Pierre Colonna. Avec le reste consistant en cinq à six mille hommes de pied et quinze cents chevaux, il résolut d'aller au devant des troupes qu'il attendait d'Italie, car il était décidé, quoiqu'il advint, à ne pas s'éloigner de l'Allemagne[115]. Arrivé près de Landshut, à neuf lieues de Ratisbonne, il y prit position. Un héraut vint l'y trouver, porteur d'une déclaration de guerre du duc de Saxe, du landgrave et des autres confédérés. L'empereur refusa de la recevoir, l'avertit qu'il ferait pendre quiconque serait encore assez hardi pour se présenter devant sa personne de la part de ces princes, et lui remit, avec injonction de la leur exhiber, une copie du décret qui les proscrivait.

Le 13 août, arrivèrent à Landshut les troupes papales, sous le commandement d'Octave Farnèse, neveu de Paul III et gendre de l'empereur. Elles formaient un corps magnifique de onze à douze mille fantassins et six cents chevau-légers ; deux cents chevau-légers du duc de Florence et cent du duc de Ferrare s'y étaient joints. Octave Farnèse avait avec lui le cardinal Alexandre, son frère, nommé par le pape son légat près de l'empereur. Les Espagnols de Naples, venus par la mer adriatique, et ceux du Milanais, qui avaient traversé le Tyrol, ne tardèrent pas à faire leur entrée au camp impérial ; il en fut de même des lansquenets levés sur la Montagne Noire par le comte de Schauwenbourg. Charles-Quint avait enfin une armée : il voyait sous ses drapeaux treize mille lansquenets, huit mille fantassins espagnols, toute l'infanterie italienne que nous avons dite, et trois mille chevaux. C'étaient les plus belles troupes qu'il eût jamais commandées. Il nomma l'archiduc Maximilien général en chef de la cavalerie allemande, et le prince de Piémont, Emmanuel Philibert, capitaine de sa maison, ainsi que de la cavalerie flamande et bourguignonne[116]. Le 15 août, il reprit le chemin de Ratisbonne, pour en retirer l'artillerie, les munitions et les hommes qu'il y avait laissés. Apprenant que les confédérés s'étaient portés sur Ingolstadt, il se décida à marcher droit sur eux. Le 24 août, il passa le Danube à Neustadt et, le surlendemain, il campa en vue d'Ingolstadt ; il avait cette ville à dos, le Danube à gauche, un marécage à sa droite, et devant lui une plaine entièrement découverte. Cette nuit-là même, il se produisit dans son camp une agitation désordonnée, dont la cause n'est pas bien connue, mais qui eût été de nature à le compromettre sérieusement, si l'ennemi s'en était aperçu[117].

L'armée de la ligue n'était qu'à trois lieues de distance ; une petite rivière coulait entre elle et le camp impérial. Pendant quatre jours, on se borna des deux parts à des reconnaissances et à des escarmouches. Le 31 août, avant l'aube, les confédérés se mirent en mouvement, traversèrent le cours d'eau et s'avancèrent jusqu'à un mille et demi italien[118] du camp sans être aperçus. Le marquis de Marignan, averti le premier, courut prévenir l'empereur, qui était encore au lit[119]. Charles se leva aussitôt, revêtit son armure, et donna l'ordre que chaque régiment vint occuper le poste de bataille assigné d'avance à son action. Les confédérés firent halte alors, se déployèrent en bataille, disposèrent leur artillerie sur un mamelon- situé en face de l'armée impériale et dans tous les endroits, à droite et à gauche, où les habitations pouvaient leur servir d'abri. Une canonnade terrible commença à foudroyer les troupes impériales. Celles-ci étaient fort inférieures en nombre ; Charles-Quint n'avait qu'une quarantaine de bouches à feu[120] ; son armée était en rase campagne, à peine protégée par des tranchées improvisées. Mais il était bien déterminé à ne pas lâcher pied. La canonnade dura depuis huit heures du matin jusqu'à quatre heures de l'après-midi ; les plus vieux soldats ne se souvenaient pas d'avoir entendu rien de pareil : huit à neuf cents coups de grosse artillerie furent ainsi tirés par les confédérés. Les boulets, dit un témoin oculaire, tombaient comme une grêle au milieu des bataillons et des escadrons[121]. Dans ses Commentaires, l'empereur fait l'éloge de ses soldats ; aucun, dit-il, ne montra le moindre semblant de peur. Il y avait cependant de quoi effrayer les plus braves[122], mais chacun fit son devoir et tint ferme au poste qui lui avait été assigné. Les paroles de Charles et surtout son exemple ne contribuèrent pas peu à affermir les courages. On le voyait choisir de préférence les endroits les plus exposés au feu de l'ennemi. Une trentaine de boulets tombèrent entre les pieds, à la tête, à la croupe de son cheval, et l'effleurèrent lui-même ; en les voyant venir il souriait et restait immobile comme un roc[123]. Le duc d'Albe et plusieurs de ses capitaines le suppliaient de s'éloigner : il répondit à leurs instances qu'il avait mis toute sa confiance en Dieu, la sainte Église et la juste cause duquel il combattait ; que Dieu le préserverait, comme il l'avait préservé jusque là de toutes les machinations de ses ennemis. Le ciel voit, disait-il, la droiture de mes intentions et le fond de mon cœur. Tant d'héroïsme fut couronné de succès. Les confédérés regagnèrent leur camp, laissant à l'armée impériale l'honneur de la journée : on n'avait fait que des pertes insignifiantes[124]. La nuit fut employée à fortifier les tranchées. Le 2 et le 3 septembre, l'ennemi recommença la canonnade contre le camp, et avec une telle furie, le 3 particulièrement, que plus de mille coups furent tirés sans causer grand mal aux Impériaux. Charles-Quint ; dit le témoin oculaire déjà cité, se tenait dans les tranchées, observant quand les artilleurs ennemis mettaient le feu à leurs pièces ; alors il criait à ceux qui l'entouraient de se baisser, tout en restant debout lui-même.

Les chefs de l'armée confédérée avaient compté sur un succès facile : leur déception fut complète. Ils commencèrent immédiatement leur retraite, qu'ils opérèrent d'ailleurs dans le meilleur ordre. L'empereur ne pouvait songer à les suivre, aussi longtemps que le comte de Buren ne lui eut pas amené les forces qu'il attendait des Pays-Bas. Buren était parti du Luxembourg dans les premiers jours du mois d'août. On avait voulu lui disputer le passage du Rhin avec des forces considérables, mais, déjouant la surveillance de l'ennemi, il était parvenu à franchir le fleuve près de Neubourg, entre Brisach et Bâle, et, le 15 septembre, il arriva à Ingolstadt, par Nuremberg et Ratisbonne ; il amenait à Charles-Quint son corps d'armée, non seulement intact, mais augmenté de plus de deux mille cavaliers allemands ralliés en route[125]. Cette marche hardie, on l'a remarqué avec raison, exécutée à travers des contrées hostiles, dans un pays coupé de rivières, et dans le voisinage d'une armée formidable, est une des plus belles opérations de guerre de cette époque[126]. Le corps d'armée de Buren ne comptait pas moins de douze mille hommes d'infanterie et de cinq mille chevaux, tous soldats d'élite[127], avec douze pièces de canon. Le brave général apportait en même temps trois cent mille écus, qui venaient on ne peut plus à propos pour la solde des troupes. Aussi l'empereur témoigna-t-il une vive joie de son arrivée et le reçut-il avec la plus grande distinction.

Rejoint par ses Belges, en qui il mettait la plus grande confiance, dit Robertson, Charles-Quint reprit immédiatement l'offensive. Après avoir donné deux jours de repos aux troupes du comte de Buren, il passa le Rhin le 17 et marcha sur Neubourg, capitale des états du comte palatin. A son approche, les habitants et la garnison se rendirent à discrétion. Cet évènement, au rapport de l'ambassadeur Mocenigo, produisit un grand effet en Allemagne. On ne comprenait pas que les protestants n'eussent pas tenté de défendre une position si importante pour eux, car elle les rendait maîtres du cours du Danube et assurait leurs communications et leurs approvisionnements en vivres et en fourrages. Ils s'étaient retranchés près de Donawerth et ne bougeaient pas. Charles marcha sur eux et s'efforça pendant dix jours de les attirer hors de cette position inaccessible sans y réussir. Il se porta de là, le 2 octobre, sur Nordlingen, ce qui força les confédérés à abandonner Donawerth pour venir défendre cette ville. Les deux armées se retrouvèrent une seconde fois en présence, et, le 4, une nouvelle bataille paraissait imminente. Charles ne demandait pas mieux, et, quoiqu'il eût souffert de la goutte pendant la nuit, il monta à cheval[128], parcourut tous les rangs, animant ses soldats et leur faisant partager sa propre ardeur. Mais l'ennemi refusa le combat : tout se borna à des marches, des contre-marches et des escarmouches. Le 8, Charles envoya Octave Farnèse avec une partie de ses forces attaquer Donawerth, qui capitula après une courte résistance ; Höchstadt, Dillingen, Lauingen, Gundelingen se rendirent sans attendre qu'on les y forçât. Charles marcha ensuite sur Ulm, et il était arrivé à trois lieues de cette ville quand il apprit que les tètes de colonnes des ennemis se montraient à une lieue de l'endroit où il se trouvait. Il alla lui-même les reconnaître avec deux escadrons de cavalerie, et constata qu'il était impossible dé les attaquer dans la position très forte qu'ils avaient choisie. Après de vains efforts pour la leur faire abandonner, il résolut de faire attaquer leur camp de nuit par le duc d'Albe. Lui-même se tenait préparé comme pour une bataille, et, selon sa coutume, il s'était confessé et avait communié la veille. Toute la nuit, il resta armé, se contentant de prendre quelques heures de repos dans un chariot couvert. Malheureusement l'ennemi avait été averti par ses espions. Quand le duc d'Albe s'approcha, il le trouva préparé : le camp était éclairé par des torches et des fallots allumés en si grand nombre qu'on y voyait comme en plein jour.

Cependant l'hiver commençait à exercer ses rigueurs : les nuits étaient très froides ; il pleuvait presque tous les jours ; les chemins devenaient impraticables, et, dans le camp impérial, il y avait plus d'un pied de boue. A ces incommodités se joignait la difficulté de se procurer des vivres. Beaucoup de monde mourait au camp de peste, de froid et de faim. Les soldats italiens, qui avaient à se plaindre de leur paye insuffisante[129] et des traitements de leurs chefs, abandonnaient successivement leurs drapeaux ; trois mille partirent le jour où le cardinal Farnèse, rappelé par le pape, prit le chemin de l'Italie[130]. Dans ces circonstances, les chefs de l'armée conseillaient à l'empereur de lui faire prendre des quartiers d'hiver, mais Charles s'y refusa absolument et, comme on insistait, il défendit qu'on lui en parlât davantage[131]. Il considérait, lui-même nous l'apprend dans ses Commentaires[132], que tout le bon effet de son entreprise consistait à disperser l'armée des protestants et à diviser leurs forces. Placer son armée dans des garnisons, c'était à ses yeux la rendre impuissante.

Chaque jour qui s'écoulait ajoutait aux souffrances de son armée, quand, le 8 novembre, un courrier lui apporta l'heureuse nouvelle que le roi Ferdinand et le duc Maurice s'étaient emparés d'une grande partie de la Saxe. Cet événement, qui présageait la séparation prochaine de l'électeur, obligé de voler à la défense du reste de ses états, d'avec les confédérés, fut annoncé aux troupes par des salves d'artillerie. Le 13, l'empereur, qui avait reconnu par lui-même tous les environs, transporta le camp impérial du lieu bas et fangeux qu'il occupait, sur des collines à deux milles seulement de l'électeur et du landgrave. Ce mouvement qui constatait chez l'empereur la résolution de tenir la campagne fit une grande impression sur l'esprit des confédérés. Des démarches furent faites de la part des princes protestants pour entrer en négociations. Charles fit répondre que si les villes libres lui envoyaient des députés, il les recevrait avec plaisir, mais qu'avec l'électeur de Saxe et le landgrave il ne se prêterait à aucun accord qu'après que ces princes auraient posé les armes et seraient venus personnellement se remettre entre ses mains.

Comme on le prévoyait, l'électeur Jean-Frédéric avait été obligé d'annoncer aux autres chefs de la ligue la nécessité où il se trouvait de regagner la Saxe avec ses troupes, et, le 23 novembre, toute l'armée protestante décampa. Charles poursuivit les confédérés dans leur retraite, mais sans leur causer aucun dommage sérieux. Le temps était devenu de plus en plus mauvais : le froid était excessif ; il tombait une neige épaisse ; les soldats succombaient épuisés, de fatigue[133]. La plupart des généraux renouvelèrent leurs instances pour que l'empereur se contentât des succès obtenus et mît ses troupes en garnison. Charles l'eût fait volontiers, dit-il, tant pour ménager ses troupes que pour ne pas être seul de son opinion. Mais il était convaincu que ce serait renoncer à tous les fruits de la guerre déjà obtenus, et, bien malgré lui, il se détermina à persister dans son avis[134].

Le 25 novembre donc, l'armée impériale quitta son camp pour marcher sur Nordlingen, qui se rendit à la première sommation. Plusieurs villes et châteaux des environs suivirent cet exemple. L'empereur s'arrêta à Rottenbourg du 3 au 15 décembre. L'armée des confédérés étant dispersée, il jugea à propos de renvoyer aux Pays-Bas le comte de Buren avec les troupes de ces provinces. Il avait ordonné au brave général de prendre son chemin par Francfort, et d'essayer de réduire cette ville en passant, ce à quoi Buren n'eut garde de manquer, et où il réussit parfaitement. Charles se transporta ensuite dans la ville de Hall en Souabe, laquelle lui avait fait sa soumission, et où l'électeur palatin vint le trouver.

Le landgrave de Hesse et l'électeur de Saxe avaient prié ce prince de s'interposer pour que l'empereur consentit à traiter avec toute la ligue de Smalcalde, mais le pauvre comte palatin eut assez de peine à obtenir un accord pour lui-même, et il n'y serait point parvenu s'il n'avait eu pour femme une nièce de Charles, et s'il n'avait su mériter à un haut point son amitié dans le passé[135]. L'empereur avait la goutte depuis plusieurs jours ; il reçut l'électeur palatin assis dans son fauteuil, et à ses excuses, à l'expression de son repentir, il répondit : Mon cousin, il m'a déplu extrêmement qu'ayant été nourri en ma maison, vous ayez, sur la fin de vos jours, fait contre moi, qui suis de votre sang, la démonstration que vous avez faite, en envoyant du, secours à mes ennemis : mais ayant égard à ce que nous avons été si longtemps élevés ensemble et à votre repentir ; espérant qu'à l'avenir vous me servirez comme vous le devez, je suis content de vous pardonner et de mettre en oubli le passé, me confiant que vous vous rendrez digne de la grâce que je vous fais en vous rendant mon amitié. L'électeur renouvela ses excuses ; il avait des larmes dans les yeux et son attitude était si humble que tous les assistants en étaient touchés. Des députés d'Ulm vinrent aussi à Hall implorer à genoux la clémence de l'empereur, qui fit grâce à leurs concitoyens à la condition de payer soixante-dix mille florins pour les frais de la guerre.

Charles avait résolu de contraindre le duc de Wurtemberg à s'humilier à son tour. Il donna ordre au duc d'Albe d'entrer dans les états de ce prince avec les Espagnols, les Italiens, les lansquenets de Madrutz et de Schauwenbourg, quelques cavaliers allemands et les hommes d'armes napolitains ; lui même se mit en route le 23 décembre, emmenant ce que lui restait de troupes. Le lendemain, il entra dans Heilbronn, cité impériale qui avait fait partie de la ligue de Smalcalde. A l'approche du duc d'Albe, la plupart des villes du Wurtemberg avaient ouvert leurs portes. Aussi, dès le 29, des ambassadeurs du duc Ulric arrivèrent à Heilbronn pour négocier un accommodement. Charles n'y consentit qu'avec peine[136]. Le traité, signé le 3 janvier 1547, portait que l'état de la santé du duc ne lui permettant pas de venir à Heilbronn, il y enverrait des députés pour implorer en son nom la clémence de l'empereur, et que lui-même accomplirait ce devoir dans le terme de six semaines ; qu'il observerait les décrets impériaux concernant la chose publique en Allemagne ; qu'il ne donnerait de secours ni à l'électeur de Saxe ni au landgrave, mais qu'au contraire il aiderait l'empereur à faire exécuter le ban décerné contre eux ; qu'il délivrerait à l'empereur toute l'artillerie et les munitions des confédérés qui avaient été laissées dans ses états ; qu'il lui payerait, pour les frais de la guerre, trois cent mille écus, la moitié immédiatement et l'autre moitié dans vingt-cinq jours ; qu'en garantie de l'exécution de ses engagements il lui remettrait trois de ses principales forteresses. Cinq jours après, trois députés du duc Ulric furent admis en audience publique par l'empereur ; l'électeur palatin était présent. Ces députés lui présentèrent à genoux les excuses de leur maitre, qui reconnaissait avoir offensé gravement l'empereur, et le suppliait, en considération de son repentir, de pardonner à lui et à ses sujets. Charles leur répondit, par la bouche du vice-chancelier de Naves, qu'il accordait le pardon demandé et qu'il traiterait désormais le duc et les siens comme un bon prince doit traiter ses bons sujets.

Le même jour, l'empereur admit à son audience les bourgmestres de la ville de Francfort venant aussi faire leur soumission et implorer sa clémence. Le jour suivant, ce fut le tour des députés de sept autres villes de la ligue, dont les principales étaient Memmingen et Kempten. Charles les accueillit tous avec la même indulgence, exigeant seulement que ces villes lui prêteraient serment de fidélité, accepteraient les garnisons qui leur seraient envoyées et payeraient une contribution de guerre proportionnée à leurs ressources. Le 18 janvier, il quitta Heilbronn et arriva à Ulm le 25. Il fut reçu aux limites de leur territoire par les magistrats de cette ville impériale, et harangué par eux en langue espagnole, attention délicate que les historiens du temps n'ont pas oubliée[137]. Ce fut à Ulm que les représentants de la ville d'Augsbourg firent réclamer le pardon de l'empereur et l'obtinrent moyennant cent cinquante mille écus. Charles se proposait en ce moment de prendre le chemin de Francfort, où il avait convoqué les députés des princes et des villes de l'empire soumis à son obéissance[138], quand une nouvelle fâcheuse et inattendue vint l'empêcher de mettre ce projet à exécution.

Des lettres du roi des Romains et du duc Maurice lui apprirent inopinément que l'électeur Jean-Frédéric avait non seulement reconquis ce qu'ils lui avaient pris en Saxe, mais s'était emparé de plusieurs de leurs possessions à eux. Une partie de la Bohême venait aussi de se mettre en révolte contre Ferdinand, et celui-ci écrivait à son frère que, s'il ne venait en personne à leur aide, tout allait être perdu[139]. L'empereur fit partir d'abord, au secours du roi des Romains, le marquis Albert de Brandebourg avec dix-huit cents chevaux et quinze enseignes d'infanterie ; le marquis de Marignan et Jean de Brandebourg le suivirent bientôt avec huit enseignes de lansquenets et six cents chevaux ; enfin, le 4 mars, lui-même se dirigea vers la Saxe avec le reste de ses troupes, qui était peu considérable, car le pape venait de rappeler les Italiens demeurés à son service, et il avait fallu détacher deux régiments pour mettre des garnisons à Ulm et à Augsbourg[140].

A Nordlingen, où il arriva le 5 mars, Charles-Quint fut repris de la goutte. Plusieurs de ses conseillers étaient d'avis qu'il retournât à Ulm pour se faire soigner, et qu'il chargeât le duc d'Albe de continuer l'expédition. L'empereur en était d'autant plus contrarié qu'il venait d'apprendre la défaite et la prise du marquis Albert de Brandebourg par l'électeur Jean-Frédéric[141]. En cette occasion, dit M. Gachard, son médecin, le Brugeois Corneille Baersdorp, montra qu'il était tout autant jaloux de la gloire que de la santé de son maître. Interrogé par l'empereur, il lui conseilla de suivre l'inspiration de son cœur et de marcher au secours de son frère. Selon lui, le résultat de l'expédition dépendait grandement de la présence de Charles, et il valait mieux que l'honneur en revint au prince plutôt qu'à ses capitaines. A son avis d'ailleurs, l'accès de goutte ne devait pas inspirer des craintes sérieuses[142]. L'empereur le crut, et reprit sa route, le 28 mars, en litière. Il avait reçu ce jour-là le serment d'obéissance des bourgmestres de Strasbourg au nom de la cité confiée à leur administration.

Charles, arrivé de Nordlingen à Nuremberg, eut une rechute dans cette dernière ville, ce qui ne l'empêcha pas de recommencer sa marche à la tète de ses troupes, le 29 mars, cheminant tantôt à cheval, tantôt en litière. Il comptait en ce moment sous ses drapeaux cinq mille hommes d'infanterie espagnole, huit à neuf mille lansquenets et environ deux mille chevaux. Quatre à cinq mille hommes de pied, dont il avait ordonné la levée dans cette partie de l'Allemagne, devaient le suivre à quelques jours d'intervalle. Le 5 avril, il entra dans Egra. Il avait été joint à trois lieues de cette ville par le roi des Romains, qui lui amenait dix-sept cents cavaliers, dont neuf cents hongrois[143]. Le duc Maurice et le marquis Jean-Georges de Brandebourg, fils de l'électeur, lui en amenèrent aussi, le premier mille et le second quatre cents.

C'est à Egra que Charles-Quint apprit la mort du roi de France. François Ier avait succombé à Rambouillet le 31 mars. Cet évènement, dit M. Gachard, ne pouvait manquer d'avoir une grande influence sur les affaires de l'empereur. Pendant plus d'un quart de siècle, François Ier avait été pour lui non seulement un rival envieux de tout ce qui devait contribuer à sa prospérité et à sa grandeur, mais encore un ennemi déclaré. L'absence de loyauté et de franchise avait toujours caractérisé la politique de ce monarque : il n'avait observé ni le traité de Madrid, ni celui de Cambrai ; il avait violé la trêve de Nice, au moment où il protestait contre l'intention qu'on lui attribuait d'y contrevenir. A la vérité il n'avait pas enfreint ouvertement la paix de Crespy, il ne cessait même de déclarer officiellement qu'il avait à cœur de l'entretenir, mais il n'attendait qu'une occasion favorable pour la rompre[144]. Il avait approuvé l'empereur de faire la guerre aux protestants ; il avait trouvé très raisonnable que Charles les châtiât[145], et à chaque incident de cette guerre qui était favorable aux armes impériales, il en témoignait son dépit dans le cercle de ses familiers. Lorsqu'il fut atteint de la maladie qui l'emporta, il y avait à sa cour des envoyés de l'électeur de Saxe et du landgrave de liesse qu'il ne se bornait pas à recevoir de la manière la plus gracieuse, mais auxquels il promettait des secours efficaces[146].

François Ier, dit M. Guizot, parlant de ses derniers jours et le jugeant à lm autre point de vue, François Ier était malade, triste, découragé, et pourtant il n'était préoccupé que de préparer une cinquième grande campagne contre Charles-Quint. Depuis sa glorieuse victoire de Marignan au début de son règne, la fortune avait presque constamment abandonné sa politique et toutes ses entreprises guerrières ou diplomatiques ; mais tantôt dominé par les défauts de son esprit et de son caractère, tantôt entrait-lé par ses qualités et les sympathies de son peuple, il ne se rendait nul compte sérieux des vraies causes ni des conséquences inévitables de ses revers, et ne les acceptait qu'en apparence, en persistant toujours dans les mûmes illusions d'espérance et les mêmes voies de gouvernement. Heureusement pour l'éclat de son règne et l'honneur de son nom, il avait d'autres désirs et d'autres goûts que ceux de la politique vaniteuse et imprévoyante qu'il pratiquait avec des alternatives de témérité et de faiblesse plus nuisibles au succès de ses desseins qu'à sa renommée personnelle, qui se relevait incessamment par l'éclat de son courage, les élans généreux, bien que superficiels, de son âme, et le charme de son esprit animé d'une sympathie sincère, bien que souvent inconséquente, pour toutes les belles œuvres humaines dans les lettres, les sciences, les arts, et pour tout ce qui honore et embellit la vie humaine.

Dans sa vie royale et guerrière, dit encore M. Guizot, François Ier a eu deux bonnes fortunes rares : deux grandes victoires, Marignan et Cérisoles, sont placées au début et à la fin de son règne ; et, dans sa plus triste défaite, à Pavie, il a été, de sa personne, un héros. Hors de là, dans son gouvernement, sa politique n'a été ni habile, ni heureuse ; pendant trente-deux ans, il a projeté, tenté, guerroyé, négocié ; il a échoué dans tous ses desseins ; il a fait je ne saurais compter combien de campagnes ou d'expéditions vaines ; il a conclu quarante traités de guerre, de paix ou de trêve, changeant sans cesse de but, de cause, d'alliés ; et dans ce mouvement incohérent, il n'a su conquérir ni l'Empire ni l'Italie ; il n'a ni agrandi, ni pacifié la France[147]. On dit qu'à la fin de son règne, malgré toutes les ressources de son esprit et toutes les facilités de son caractère, François était abattu, et qu'il mourut triste et inquiet de l'avenir. J'incline à croire que, dans son égoïsme, il était plus triste pour lui-même qu'inquiet pour ses successeurs et pour la France[148].

L'empereur fit partir pour la France le seigneur d'Humbercourt, gentilhomme de sa maison, chargé de présenter à la reine douairière sa sœur et au nouveau roi Henri II ses compliments de condoléance. Lui et le roi des Romains passèrent à Egra la semaine sainte et les fêtes de Pâques. Le 13 avril, ils se remirent en marche pour pénétrer en Saxe ; le duc d'Albe avait été envoyé en avant avec toute l'infanterie et une partie de la cavalerie. Ayant cheminé dix jours sans s'arrêter, les deux monarques arrivèrent, le 22, à trois lieues de Meissen sur l'Elbe, où se trouvait l'électeur Jean-Frédéric avec le gros de son armée. Les Impériaux prirent un jour de repos ; ils étaient au nombre de vingt-trois mille hommes d'infanterie espagnole, allemande, bohémienne, avec six mille chevaux[149]. Les forces de l'électeur étaient beaucoup inférieures, et ne s'élevaient pas au dessus de six mille fantassins et de trois mille cavaliers[150]. Le 23, à l'approche de quelques détachements envoyés en éclaireurs, l'électeur abandonna sa position de Meissen, après avoir mis le feu au pont de la ville. Dans la persuasion que l'empereur se porterait sur Wittemberg, il alla camper à Mühlberg, à deux lieues plus bas sur l'Elbe, et y fit jeter un pont de bateaux, pour pouvoir au besoin passer sur l'autre rive. L'empereur eut connaissance de ce mouvement dans la soirée du 23[151], et fit immédiatement partir dans cette direction son artillerie et les pontons qu'il menait avec lui. Le 24, aux premières lueurs de l'aube, il fit prendre le même chemin à toute son armée ; il était sur pied depuis minuit, et il avait veillé en personne à l'exécution de ses ordres[152]. Vers neuf heures du matin, son avant-garde se trouva en face du pont de bateaux construit par les Saxons et défendu par dix enseignes de gens de pied[153]. Les Espagnols attaquèrent ceux-ci vigoureusement et en mirent un grand nombre hors de combat. Voyant que le pont allait être pris, les Saxons le coupèrent en trois parts, et en emmenèrent deux au bas du fleuve, mais quelques arquebusiers espagnols[154] se précipitèrent dans l'eau, tenant leurs épées entre les dents, massacrèrent ceux qui conduisaient les bateaux, et ramenèrent les débris du pont. Pendant qu'on s'occupait à le refaire, le duc d'Albe introduisit auprès de l'empereur un homme du peuple, qui lui indiqua un gué pour le passage de la cavalerie[155].

Charles avait hâte de passer la rivière, car il ne voulait pas laisser à l'électeur le temps de s'éloigner. Sans attendre que le pont fût reconstruit, et après avoir fait sonder le gué par une vingtaine de hussards qui le reconnurent praticable, il ordonna à la cavalerie hongroise, aux chevau-légers du prince de Sulmone, aux hommes d'armes de Naples, tous ayant à leur tête le duc d'Albe, et à Maurice de Saxe avec ses gens, de se mettre en devoir de traverser le fleuve. Il s'y élança[156] après eux avec son frère et tous leurs gentilshommes. Quatre mille cavaliers les suivirent et gagnèrent l'autre rive en une demi heure : les hussards hongrois et les chevau-légers du prince de Sulmone avaient pris en croupe cinq cents arquebusiers. Les Saxons lâchèrent pied devant ces assaillants, qui se mirent à leur poursuite. Dans l'intervalle, le pont avait été rétabli : le reste de l'armée traversa le fleuve, et se mit aussi à la poursuite de l'ennemi. L'électeur croyait n'avoir affaire qu'à une avant-garde : il pensa pouvoir s'arrêter et se fortifier dans un bois coupé de marécages et d'un accès difficile, d'où il espérait pouvoir opérer, la nuit, sa retraite sur Wittemberg. Dans cette vue, il fit faire volte-face à sa cavalerie et à ses arquebusiers, puis commanda une charge. Charles-Quint était là ; il ordonna lui-même une charge contre les Saxons, et sa cavalerie se précipita sur eux avec une telle impétuosité qu'ils se jetèrent en désordre dans le bois, où. les Impériaux entrèrent avec eux et en firent un grand carnage. Il y eut plus de mille hommes tués, et un nombre considérable de blessés et de prisonniers. L'électeur lui-même[157] et, le duc Ernest de Brunswick figuraient parmi ces derniers. La poursuite des Saxons dura jusqu'à minuit.

Ainsi finit la bataille de Mühlberg. La victoire de Charles-Quint était complète ; par ses résultats elle était plus grande, plus importante que celle qu'avaient remportée jadis ses lieutenants en faisant prisonnier le roi de France[158]. A partir de cette journée en effet, quoique le landgrave de liesse eût encore ses troupes sur pied, et que plusieurs villes de la ligue de Smalcalde n'eussent pas fait leur soumission, on put considérer la guerre des protestants comme terminée, et comme désormais établie la suprématie impériale en Allemagne. L'empereur en rendit grâce à Dieu, et répéta les célèbres paroles de César, mais en changeant la dernière : Je suis venu, j'ai vu, Dieu a vaincu[159]. Avant de quitter le champ de bataille, l'empereur s'était fait amener l'électeur de Saxe par le duc d'Albe. Jean-Frédéric avait été blessé à la joue gauche et avait encore le visage couvert de sang. Sa contenance était ferme malgré son malheur[160]. Se découvrant, il dit à l'empereur : Très puissant et très gracieux empereur, je suis votre prisonnier. — Vous m'appelez empereur maintenant, répondit Charles ; il n'y a pas longtemps que vous me donniez un nom bien différent... Il faisait allusion aux écrits où l'électeur et le landgrave, parlant comme chefs de la ligue, ne le désignaient pas autrement qu'en l'appelant Charles de Gand, celui qui se croit empereur. L'électeur demanda d'être traité en prisonnier de guerre. Vous serez traité selon vos mérites, répondit l'empereur, et il le fit conduire au camp sous bonne garde.

Charles-Quint était très courroucé contre l'électeur, dans lequel il ne voyait qu'un vassal rebelle et hérétique. Il voulait lui faire trancher la tête[161], ce qui était aussi l'avis du roi Ferdinand et de plusieurs de ses ministres. Le duc d'Albe et l'évêque d'Arras, déterminés par des considérations militaires et politiques, lui conseillèrent de faire grâce de la vie à son prisonnier[162]. L'électeur de Brandebourg, le duc de Clèves, beau-frère de Jean-Frédéric, les ambassadeurs du roi de Danemark supplièrent l'empereur de prendre en pitié le malheureux prince, qui s'en remettait entièrement à son bon plaisir, pourvu qu'il eût la vie sauve. Le chancelier de l'électeur avait été pris en même temps que lui ; l'évêque d'Arras fut chargé de s'aboucher avec tous deux : des ministres de l'empereur il était le seul qui possédât la langue allemande. Après de longs pourparlers, un arrangement fut conclu le 18 mai. Jean-Frédéric renonçait, pour lui et ses successeurs, à l'électorat de Saxe, dont l'empereur disposerait selon sa libre volonté. Il s'obligeait à remettre aux alliés de l'empereur les possessions dont il les avait dépouillés, à rendre leur liberté au marquis Albert de Brandebourg et aux ducs de Brunswick, père et fils, Les biens de l'électeur passaient au roi des Romains et au duc Maurice, mais ce dernier s'obligeait à payer aux enfants du prince dépossédé une rente annuelle de cinquante mille florins du Rhin, et prenait de plus à sa charge, jusqu'à concurrence de cent mille florins, les dettes contractées par Jean-Frédéric avant le commencement de la ligue de Smalcalde. Moyennant ces conditions, l'empereur commuait la peine de mort que le ci-devant électeur avoit méritée par sa rébellion, et le condamnait à demeurer en la cour de Sa Majesté ou en celle de monseigneur le prince son fils en Espagne, au choix de Sa Majesté, et pour tel temps qu'il plairoit à icelle, obligeant pour ce sa foi ; et seroit sous garde[163].

Dès le mois de novembre, le landgrave, on s'en souvient, avait tenté d'entrer en arrangement avec l'empereur. Il avait depuis, par l'intermédiaire du duc Maurice, son gendre, renouvelé à plusieurs reprises cette tentative. Il faisait toutes sortes de propositions ; mais l'empereur exigeait qu'il se rendit à sa volonté, et à cette condition là le landgrave avait déclaré constamment qu'il ne se soumettrait jamais. Après la défaite et la prise de Jean-Frédéric, Maurice et le marquis Joachim de Brandebourg, qui avaient eu une conférence à Leipzig avec le landgrave et avaient consenti à lui servir de médiateurs, vinrent apporter au camp impérial de nouvelles propositions de sa part[164]. L'empereur les rejeta comme les précédentes, et se disposa à aller l'attaquer sur son propre territoire. Le 2 juin, il leva son camp devant Wittemberg, et, repassant l'Elbe, il se dirigea vers la ville de Halle sur la-Sale. Le 4, en présence de l'électeur de Brandebourg, de l'archiduc Maximilien et de plusieurs autres grands personnages, il constitua publiquement le duc Maurice électeur de Saxe aux lieu et place de Jean-Frédéric. Charles arriva le 10à Halle. Alors le landgrave, contraint par la nécessité, se résigna à subir la loi du vainqueur. Le duc Maurice et le marquis Joachim souscrivirent, en son nom, à tout ce qui était exigé de lui. Par le traité conclu entre ses mandataires et les ministres impériaux, Philippe de Hesse remettait entièrement sa personne et ses états au pouvoir de l'empereur ; il s'engageait à lui demander pardon à genoux et à lui rendre à l'avenir toute obéissance ; il promettait en outre de lui payer cent cinquante mille écus d'or pour les frais de la guerre, de lui délivrer toute son artillerie et de faire raser toutes ses citadelles, à la réserve de deux, Ziegenhain et Cassel.

Maurice et Joachim décidèrent le landgrave à se rendre sans délai à Halle. En annonçant à l'empereur que ce prince se remettait à sa discrétion, gnade und ungnade, ils l'avaient prié de leur délivrer un écrit[165] signé de sa main et exprimant l'intention de faire grâce de la vie au landgrave, de ne pas le réduire à une prison perpétuelle et de fui laisser toutes ses possessions patrimoniales. Soit que, par une légèreté ou une méprise également inconcevable, selon la juste remarque de M. Gachard, ils eussent mal lu ou mal interprété cet écrit, soit qu'ils se fissent illusion sur le crédit dont ils jouissaient auprès de l'empereur, les deux électeurs assurèrent le landgrave qu'il n'avait pas à craindre d'être retenu prisonnier ; ils lui en donnèrent leur parole, ajoutant que si on voulait le garder en prison ou lui imposer des conditions plus rigoureuses que celles dont ils étaient convenus en traitant, ils seraient prêts à courir la même fortune que lui. Ils consignèrent cet engagement dans des actes en forme auxquels ils apposèrent leurs signatures et qu'ils revêtirent du sceau de leurs dignités[166].

Le landgrave arriva à Halle, le 18 juin, accompagné des électeurs de Brandebourg et de Saxe, qui étaient allés au devant de lui jusqu'à Naumbourg ; il avait une suite de soixante chevaux. Une heure après, arrivèrent le duc Henri de Brunswick et le prince Charles son fils, que Frédéric de Hesse retenait en prison depuis cinq ans et qu'il s'était engagé à mettre en liberté. Le jour suivant, les deux électeurs conduisirent le landgrave à. l'audience de l'empereur. Celui-ci était assis sur son trône, dans la salle la plus spacieuse du palais ; cette salle avait été choisie pour donner plus d'éclat à la cérémonie, laquelle était publique et où l'on était accouru en foule. L'on y voyait les principaux personnages de la cour, l'archiduc Maximilien, le prince Emmanuel-Philibert de Savoie, le grand maître de Prusse, le duc d'Albe, les évêques d'Arras, de Naumbourg et d'Hildesheim, le duc et les princes de Brunswick, les ambassadeurs du pape, des rois de Bohême et de Danemark, du duc de Clèves et de plusieurs villes d'Allemagne, un grand nombre de seigneurs et de gentilshommes accourus pour être témoins d'un spectacle aussi inattendu[167].

Frédéric de Hesse, introduit avec beaucoup d'appareil, s'avança vers le trône, se mit à genoux, les mains jointes et la tête baissée. A sa gauche, un peu derrière lui, s'agenouilla son chancelier Guntherode, qui, sur l'ordre de son maitre, donna lecture d'un écrit qu'il tenait à la main. Le landgrave y déclarait qu'il avait offensé gravement l'empereur dans la guerre précédente et qu'il se reconnaissait digne d'une punition exemplaire ; il suppliait très humblement Sa Majesté de pardonner à son repentir, de lui laisser ses pays et de recevoir ses sujets en sa grâce. L'empereur répondit, par l'organe du vice-chancelier de l'empire, que quoiqu'il pût condamner Frédéric à la peine la plus grave, il voulait bien, prenant égard à sa soumission et à son repentir, ainsi qu'aux prières de plusieurs princes de l'Allemagne, lui faire grâce de la peine de mort encourue par sa rébellion, et se. contenter de lui faire subir l'emprisonnement et la confiscation d'une partie de ses biens, conformément à l'arrangement récemment conclu. Le landgrave, qui était resté à genoux jusque là, se leva sur un signe de l'empereur et prononça quelques paroles de reconnaissance[168].

Cette émouvante cérémonie terminée, le duc d'Albe invita le landgrave et les deux électeurs à souper au château oh il était logé. Après le repas, Frédéric se disposait à se retirer, mais le duc lui signifia qu'il avait ordre de le retenir prisonnier, et le remit à la garde du capitaine espagnol don Juan de Guevarra. Le landgrave se récria vivement ; les deux électeurs protestèrent ; on appela l'évêque d'Arras, qui discuta avec ces derniers jusqu'à deux heures du matin. Ils finirent par déclarer qu'ils n'étaient pas des docteurs ; qu'ils n'avaient pas bien compris l'écrit. de l'empereur, mais qu'ils demandaient, en invoquant leur honneur, qu'on leur remit la garde du landgrave qu'ils ne relâcheraient qu'après l'accomplissement de toutes les stipulations du traité. L'empereur, à qui l'évêque d'Arras rendit compte de la chose le lendemain, fut très blessé de l'espèce de doute qu'on semblait vouloir jeter sur sa fidélité à tenir sa parole[169] : il fit dire aux deux électeurs qu'il fallait avant toute autre question examiner si, oui ou non, il avait le droit, en vertu du traité, de retenir le landgrave prisonnier, et si eux avaient pu lui promettre le contraire. A la suite d'un long débat, le duc Maurice et le marquis de Brandebourg durent reconnaître, et reconnurent en effet, par trois fois que l'empereur avait plein droit de retenir Frédéric de liesse captif, pourvu que la prison ne Mt pas perpétuelle, et que, s'il y avait eu un malentendu, c'était à eux qu'il devait être imputé[170]. Dans une audience où ils furent reçus par l'empereur, ils lui firent leurs excuses, en le priant de vouloir bien abréger la durée de l'emprisonnement et d'en fixer le terme dès ce moment. Sans prendre d'engagement à cet égard, Charles sut cependant faire agréer sa réponse par ces deux hauts personnages de façon à obtenir leurs remerciements[171].

Charles quitta Halle le 23 juin. Cette petite ville eut à payer quinze mille florins, en punition de la part prise par elle à la guerre. On a calculé que les conditions imposées aux princes et aux villes de la ligue de Smalcalde avaient fait entrer dans le trésor impérial près de quinze cent mille florins. Les vaincus avaient eu, en outre, à livrer une partie plus ou moins considérable de leur artillerie. Cinq cents pièces de canon servirent ainsi de trophée à l'empereur. Il en était provenu cent du Wurtemberg : cinquante furent envoyées à Milan et cinquante à Naples. Toutes les autres furent rassemblées à Francfort, d'où on les dirigea sur les Pays-Bas, pour servir à l'armement des places fortes de ces provinces, ou pour être transportées en Espagne.

Arrivé à Bamberg le 3 juillet, l'empereur y trouva le cardinal Sfondrato, que Paul III lui envoyait avec le titre de légat ; le cardinal avait la mission de l'entretenir spécialement des affaires du concile général, réuni à, Trente dans les derniers mois de l'année 1545, et récemment transféré à Bologne par suite de l'invasion par une épidémie de la première de ces villes. C'est ici le lieu de nous étendre un peu sur les débuts de cette grande assemblée, dont l'action fut si puissante sur le monde catholique, et dont nous avons pu jusqu'ici à peine dire un mot en passant dans cette histoire. Charles-Quint y fut mêlé pour une grande part, et il importe de définir avec quelque netteté jusqu'à quel point son influence y nuisit ou y fut utile. On ne peut nier la piété et l'orthodoxie de notre grand empereur. Les prescriptions ecclésiastiques étaient une loi sainte pour lui. Il assistait avec une grande assiduité au saint sacrifice, et honorait la sainte Vierge d'un culte particulier. Néanmoins, il faut bien le dire, l'Église n'eut pas toujours à se louer de lui. Charles-Quint semble avoir considéré sa politique comme indépendante de sa foi personnelle, et en avoir fait, parfois du moins, deux choses non seulement distinctes, mais séparées. Ses plans, dans ses relations avec l'Allemagne surtout, paraissent avoir eu un peu trop exclusivement pour but l'extension de sa puissance et l'élévation de sa propre maison. Dans les discussions religieuses qui affligeaient l'empire à cette époque, il usa souvent de temporisations et de ménagements, habiles peut-être au point de vue humain, mais que les papes eurent souvent à blâmer, et qui affaiblirent notablement la situation du catholicisme en Allemagne. C'est ce que les détails qui vont suivre ne nous montreront que trop.

Depuis la fin du quinzième siècle, le vœu de la célébration d'un concile général destiné à apporter un remède aux maux introduits par le schisme et le relâchement, avait été à plusieurs reprises hautement exprimé. La division causée par le protestantisme fit sentir plus que jamais le besoin d'une assemblée œcuménique, à laquelle Luther lui-même en avait plus ou moins sincèrement appelé. A la diète de Nuremberg, qui dura de septembre 1522 à mars 1523, et à laquelle le pape Adrien VI avait envoyé son nonce Chieregati[172], les princes allemands demandèrent la convocation, dans le délai d'un an, d'un concile dans une ville importante de leurs états. Adrien étant mort dès le 14 septembre 1523, son successeur Clément VII fit de vains efforts pour mettre un terme à ces funestes divisions ; il fut entravé par les guerres entre Charles-Quint et François Ier, ainsi que par l'invasion des Turcs dans les états autrichiens.

Les états de l'empire, réunis à Spire en 1529, insistèrent de nouveau sur la tenue d'un concile général en Allemagne, et le recez de la diète d'Augsbourg en 1530 déclara que le jugement des doctrines luthériennes serait soumis à un concile à venir. Il faut reconnaître toutefois qu'à cette époque déjà la demande d'un concile n'était pour les protestants qu'un moyen de guerre, dont ils se réservaient de faire beau jeu plus tard. Si ces diables de fourbes, écrivait Luther à Mélanchton dans le langage cynique dont il s'était fait une habitude, nous abusent avec leur promesse de concile, je les abuserai à mon tour en appelant de leurs menaces à ce concile imaginaire qui n'aura jamais lieu ; tâchons en attendant d'avoir la paix. Il disait, vers le même temps, dans un Mémoire détaillé sur la question : Il faut admettre le concile dans ce sens que notre doctrine est vraie même sans le concile, que les anges du ciel n'y peuvent rien changer, que l'ange qui l'oserait devrait être frappé d'anathème et excommunié ; à plus forte raison l'empereur, les évêques, le pape ne peuvent-ils en juger[173].

En 1530, Clément VII proposa un concile qu'on réunirait, non dans une ville des états de l'Église, mais dans une ville italienne, telle que Milan ou Mantoue, lesquelles appartenaient à l'empereur, mais en même temps il faisait remarquer les difficultés que rencontrerait ce concile à une époque et dans les circonstances comme celles où l'on se trouvait. Le 31 juillet, dans une lettre écrite à Charles-Quint, le pape ajoutait avec infiniment de raison : Il est inutile d'examiner et de juger de nouveau dans une assemblée de l'Église des erreurs déjà condamnées. Il est à craindre aussi que les novateurs n'aillent plus loin, une fois au concile, et n'attaquent aussi bien les institutions temporelles que les institutions spirituelles. Cependant, tout en admettant qu'il faut d'abord opposer une défense aux entreprises des Turcs, je me rends aux raisons de l'empereur et suis prêt à convoquer l'assemblée. Seulement il faut que l'empereur avise à ce que les protestants se prêtent réellement à ce qu'on exigera d'eux, qu'ils se soumettent au concile, et que les questions en litige soient résumées le plus brièvement possible. Que si ce qui sera légalement décrété reste douteux pour eux, toutes les lois perdront leur puissance, toutes les décisions manqueront de la confiance publique. Quand même on prétendrait ne faire valoir que la Bible, et une Bible traduite par les luthériens, en écartant toute autre autorité, les luthériens n'en rejetteraient pas moins tout concile institué conformément au droit et à la tradition, sous prétexte que ce concile ne serait ni libre, ni régulier, et un concile organisé comme ils l'entendent ne ferait que porter le mal à son comble, et soumettrait tout ce qui est temporel et spirituel au tribunal de la multitude[174].

A l'entrevue de Bologne, il fut convenu que le pape enverrait un nonce, et l'empereur un ambassadeur aux princes allemands, pour les inviter à admettre le projet de concile sous les conditions considérées comme nécessaires par le pape ; que le souverain pontife leur adresserait, en outre, dans le même but, un bref, qui en effet parut le 10 janvier 1533. Clément VII y rappelait que l'empereur avait, montré un zèle si ardent pour la célébration d'un concile que cela seul aurait suffi pour l'y décider, s'il n'avait été décidé d'avance ; que toutefois il trouvait indispensable que les autres princes chrétiens y prissent également part, et il déclarait qu'il chercherait à les y amener par ses lettres et par ses envoyés. Le pape envoya en conséquence l'évêque de Reggio, Hugues Rangone, aux princes allemands, et son camérier secret, Ubald Ubaldini, aux rois de France et d'Angleterre.

Le légat du pape et l'ambassadeur de l'empereur, Lambert de Briarède, président du conseil de Flandre, se rendirent d'abord auprès de l'électeur Jean-Frédéric de Saxe, à Weimar. Les articles écrits qu'ils lui remirent furent confiés à l'examen de Luther, de Mélanchton, et de deux autres thé6logiens protestants ; ceux-ci y répondirent d'une façon tout à fait injurieuse[175]. Les opinions émises et développées par ces théologiens devinrent la règle des villes et des princes protestants réunis à Smalcalde au mois de juin 1533, et leurs réponses furent, s'il est possible, encore plus blessantes que celles des théologiens[176]. Il n'était plus difficile de comprendre que le moyen si généralement prôné jusqu'alors rétablirait aussi peu l'unité de l'Église et de la foi que les diètes et les conférences tenues antérieurement. Les protestants n'entendaient qu'une chose : ne tenir aucun compte de la tradition, proclamer juge souverain de toutes les questions la lettre morte de l'Écriture, qui pouvait être, qui était interprétée de mille manières. Ils entendaient par liberté du concile l'absence du chef de l'Église, et ils ne voulaient accepter les décisions de ce concile qu'autant qu'ils seraient convaincus que ses décisions étaient d'accord avec l'Écriture sainte interprétée par eux.

Après la mort de Clément VII, Paul III travailla avec le plus grand zèle à la réunion du concile. Il écrivit à cette fin aux princes chrétiens, leur envoya des nonces pour leur faire connaître son intention et les engager à l'appuyer vigoureusement, afin qu'elle pût réellement aboutir. Il choisit pour remplir cette mission en l'Allemagne Pierre-Paul Vergerio, évêque de Capo d'Istria, qui était connu du roi des Romains aussi bien que des princes allemands, et que son caractère conciliant et loyal faisait aimer de tout le monde. Luther avait déclaré à l'électeur de Saxe qu'il ne pouvait croire que le pape voulût sérieusement un concile. Convaincu maintenant du contraire, il changea de langage et persuada l'électeur que les protestants n'en avaient pas besoin. L'électeur chercha à se soustraire à la visite du nonce ; le prélat ne l'ayant pas trouvé à Halle, le suivit jusqu'à Prague, en passant par Dresde et Berlin. Jean-Frédéric finit par se retrancher derrière l'obligation où il était de consulter ses alliés. Ceux-ci se réunirent en effet à Smalcalde le 6 décembre 1535 pour délibérer sur les propositions du nonce, mais ils montrèrent dans leur réponse une arrogance qui dépassa toutes les anciennes manifestations[177].

Moins les protestants avaient été disposés à se soumettre à un concile, moins les circonstances avaient été favorables à la convocation, plus ils avaient mis d'acharnement et d'arrogance à réclamer ce qu'ils n'avaient nulle envie d'obtenir. Plus la chose leur paraissait d'une exécution difficile, plus ils se plaignaient hautement du pape, qui, disaient-ils, trompait indignement la chrétienté. Mais Paul III finit par les prendre au mot. Le 2 juin 1536, le pape publia une bulle par laquelle le concile était convoqué, pour le 22 mai 1537, dans la ville de Mantoue. Il écrivit en même temps à tous les souverains de la chrétienté, leur donnant connaissance de cette décision, recommandant la paix et la conciliation, et s'entourant d'hommes solides et capables qui avaient déjà, sous Adrien VI, travaillé sérieusement à une véritable réforme, et qui, par leur piété, leur intelligence, leur expérience et leur modération, étaient parfaitement propres à. cette difficile entreprise. En même temps le pape nomma une commission de cardinaux et d'évêques qui devaient faire disparaître les abus de l'administration aussi bien spirituelle que temporelle de Rome et de la cour pontificale. Il était résolu d'abolir ainsi à jamais les griefs que les protestants avaient exploités avec une si visible satisfaction.

Dès que Luther eut connaissance des propositions de réforme de la commission, il les fit imprimer, en les accompagnant d'une préface et de gloses à la marge, dans lesquelles il tournait en outrages les aveux des commissaires, et ne voyait dans leurs projets que ruse, fraude et hypocrisie. De son côté, l'électeur de Saxe, immédiatement après la bulle de convocation, avait chargé Luther de résumer les articles de la doctrine protestante pour la prochaine réunion de Smalcalde, qui devait se tenir au mois de février 1537, et d'indiquer ce qu'on pouvait concéder au pape, ce qu'on était résolu de maintenir et de défendre. Cet écrit de Luther, en vingt-cinq articles, était, au fond, d'accord avec la confession d'Augsbourg, mais on n'y cachait pas, comme dans celle-ci, l'opposition à la foi catholique ; au contraire, il était rédigé dans un esprit absolument hostile à l'Église et dans un langage plein d'amertume. Luther avait dépouillé alors toute espèce d'artifice. En se séparant malade de ses amis de Smalcalde, il leur laissa pour adieu ces mots qui le peignent tout entier : Deus vos impleat odio Papœ ! Ses amis ne l'écoutèrent que trop. Ils accablèrent d'ennuis et d'outrages le nonce Pierre Vorstius[178], évêque d'Acqui, et interprétèrent de la façon la plus perfide ses démarches en faveur du concile.

A l'opposition des protestants vinrent s'ajouter d'autres difficultés. Le duc de Mantoue souleva inopinément des objections au sujet du choix de sa ville capitale pour siège du concile. Le saint père fut obligé de tenir, le 21 avril 1537, un consistoire auquel furent appelés les ambassadeurs des puissances étrangères. Il déclara en leur présence qu'il se voyait contraint de proroger le concile au 1er novembre, sans déterminer la ville dans laquelle on s'assemblerait. Enfin, ayant décidé le gouvernement de Venise à permettre au concile de se réunir dans la ville de Vicence, qui appartenait à la république, le pape publia, le 8 octobre 1537, une bulle qui annonçait cette décision à la catholicité, et convoquait l'assemblée pour le 1er mai 1538, fête des saints Apôtres Philippe et Jacques. Mais la guerre qui s'éleva de nouveau entre l'empereur et le roi de France, à propos du duché de Milan, empêcha encore cette fois le concile de se réunir. Le 25 avril 1538, il fut décidé, dans un nouveau consistoire, que le concile serait prorogé à un jour qu'on fixerait plus tard.

Cependant le saint père ne négligeait point la réforme des abus existants. Déjà, plusieurs années auparavant, il avait publié une bulle où, parlant spécialement de Rome et de la cour pontificale, il disait qu'il voulait nettoyer sa propre maison avant de se mettre à nettoyer celle des autres. Une commission nommée par lui avait fait des propositions de réforme, qu'il soumit à l'examen de plusieurs cardinaux et aux délibérations d'un consistoire. Tout semblait en ce moment conspirer contre la célébration du concile. Les deux monarques, qui venaient de conclure la trêve de Nice, avaient exprimé le désir qu'on le renvoyât à l'époque de la paix définitive. L'empereur et le roi des Romains, préoccupés des périls qui les menaçaient du côté des Turcs et de la France, se croyaient plus que jamais obligés de se maintenir en bonne intelligence avec les états protestants de l'Allemagne. Ils voulaient de nouveau, dans des vues d'apaisement, recourir à des conférences entre catholiques et protestants.

Le cardinal Aléander[179] fut, à la demande de Ferdinand, envoyé en qualité de légat en Allemagne. Une réunion eut lieu à Francfort-sur-le-Mein, au mois de février 1539, pour tâcher de s'entendre, et l'on aboutit à une conclusion, dont le pape ni les états catholiques ne purent s'accommoder[180]. Fatigué de tous ces délais, le pape voulait, malgré tout, ouvrir le concile le 1er mai 1539 ; les catholiques d'Allemagne déclarèrent en grand nombre qu'il ne devait se laisser détourner par aucun obstacle. Cependant la majorité des cardinaux fut d'un avis contraire, et Paul III, cédant à leur conseil, prorogea de ce chef, par sa bulle du 31 mai, le concile pour un temps indéterminé. Peu de temps après, la sédition des Gantois et la guerre contre le duc de Juliers appelèrent l'empereur dans les Pays-Bas, où le roi des Romains se rendit également pour y traiter des affaires religieuses de l'Allemagne avec son frère.

Profitant de la circonstance, le pape envoya le cardinal Farnèse à Paris et à Bruxelles pour travailler à la consolidation de la paix. Avant le départ du légat, l'empereur lui fit connaître que le repos de l'Allemagne exigeait qu'une réunion de la diète eût lieu à Spire dans le courant du prochain mois de décembre et qu'une conférence religieuse s'y tînt sous sa présidence. Le légat protesta contre ce projet et remit à l'empereur un écrit sincère et courageux, dans lequel il démontrait l'inutilité d'une conférence de ce genre, tandis que le concile était un remède canonique ; Hie proposait donc de nouveau au nom du pape, en demandant à l'empereur de mettre immédiatement la chose 'à exécution. Mais l'empereur ayant persévéré dans son projet, on envoya le cardinal Cervini en Allemagne, pour l'assister de ses conseils dans la diète, mais sans prendre part aux séances. Par suite d'une épidémie, la diète se réunit à Haguenau, mais elle n'eut aucun résultat, et l'on convint de recourir encore une fois à une conférence religieuse à Worms.

Le pape se décida, à la demande de l'empereur et du roi des Romains, à y envoyer Thomas Campeggi, évêque de Feltre, avec quatre savants théologiens. La conférence, fixée au 28 octobre 1540, ne s'ouvrit à Worms que le 14 janvier 1541, et fut bientôt après transférée à Ratisbonne par ordre de l'empereur. A la demande du nonce Morone, qui résidait auprès du roi des Romains, le pape y délégua le cardinal Contarini, avec des instructions très précises sur les points fondamentaux à exiger préalablement des protestants. Tout cela n'aboutit point. Les états et les princes catholiques, sauf les électeurs, qui se rangèrent du côté de l'empereur toujours disposé à temporiser, déclarèrent qu'ils formaient le vœu de voir un concile universel mettre un. terme à cette situation déplorable. Le pape insistait également sur la nécessité de ce remède suprême. On ne peut imaginer de situation plus triste que celle de la papauté à cette époque. L'union étroite entre les intérêts religieux et les intérêts politiques entraînait les plus graves complications : du moment où le pape voulait céder au désir d'une nation ou d'un parti, il s'aliénait par là même une nation adverse et un parti contraire.

Rien ne prouve mieux combien le pape désirait la réunion du concile que le voyage qu'il fit en Toscane, contre l'avis des médecins et au risque de sa vie, malgré ses soixante-quatorze ans et ses souffrances, afin de s'entendre avec l'empereur, revenant de l'expédition d'Alger. Il chargea, dans le même but, son secrétaire Nicolas Ardinghelli, habile homme d'affaires, d'une mission auprès du roi de France. Cet envoyé proposa à ce prince, pour le siège du futur concile, Mantoue, Ferrare ou Cambrai. Cette dernière ville était vaste, riche et bien choisie à cause de sa situation entre la France et l'Allemagne. Le roi de France ne fit pas la moindre opposition[181]. Le nonce Jérôme Varalli, évêque de Caserte, entama une négociation analogue avec le roi des Romains. Celui-ci fut d'avis que le concile devait se tenir en Allemagne, afin que le médecin appliquât le remède là où était le mal.

La diète de Spire s'ouvrit le 9 février 1542. On y vit bientôt arriver le nonce Morone, que le pape avait rappelé à Rome afin d'être instruit de l'état de l'Allemagne et de lui donner des instructions verbales. Morone, sachant que les Allemands n'accepteraient aucune ville soumise au pape, proposa Cambrai ou Trente. Trente, située aux confins de l'Allemagne et de l'Italie, appartenant aux états héréditaires de l'Autriche, et placée sous l'autorité d'un évêque qui était en même temps prince de l'empire[182], parut réunir tous les avantages désirables et fut choisie ; mais les protestants ne prirent aucune part à cette résolution. Dans le consistoire du 22 mai 1542, l'ouverture du concile fut fixée au 1er novembre suivant, jour de la Toussaint, et cette décision fut signifiée au monde catholique par une bulle publiée le jour de la fête des apôtres saint Pierre et saint Paul.

Cependant le roi de France, résistant à toutes les représentations du pape, avait recommencé les hostilités et provoqué même les Turcs à déclarer la guerre à l'empereur. Il avait osé, chose inouïe jusqu'alors, accueillir à Marseille et à Nice l'amiral turc Barberousse avec une flotte de quatre-vingts à cent vaisseaux. On vit, qui plus est, un ambassadeur français venir à bord des bâtiments, qui pillèrent les rivages de l'Italie et réduisirent cinq mille chrétiens en esclavage. Néanmoins les cardinaux-légats, Morone, Parisio et Poole, après avoir reçu la croix des mains du pape, purent quitter Rome le 16 octobre, et arrivèrent à Trente le 22 novembre. Ils étaient chargés d'annoncer immédiatement leur arrivée aux souverains et de les inviter à envoyer les évêques de leurs états. Le concile ne devait s'ouvrir que lorsqu'il y en aurait un nombre suffisant d'Allemagne, d'Italie, de France et d'Espagne. Durant les premiers mois, il n'arriva à Trente qu'un petit nombre d'évêques allemands et italiens. Le roi de France, qui était très mécontent, n'engagea pas les évêques français à s'y rendre, et Charles-Quint, auquel certains points de la bulle de convocation déplaisaient, négligea d'inviter les évêques espagnols à partir.

Le pape, profondément chagrin de la nouvelle explosion de la guerre, avait adressé, le 11 novembre 1542, à l'empereur et au roi de France, un bref dans lequel il les priait instamment de conclure la paix et d'envoyer leurs évêques au concile. L'année suivante, le vieux pontife partit encore une fois de Rome, le 26 février 1543, arriva vers le milieu de mars à Bologne, y réunit les cardinaux et les engagea à introduire parmi eux la réforme désirée. A la fin de juin, il eut une conférence de trois jours, au château de Busséto, entre Parme et Plaisance, avec l'empereur ; le roi de France ne se rendit pas à l'invitation qu'il avait reçue. Tous les moyens de rétablir la paix avaient été essayés vainement ; les légats attendaient depuis six mois à Trente les évêques qui n'arrivaient pas. Force fut donc de publier une nouvelle bulle de suspension le 6 juillet 1543. Pendant ce temps, on tint en Allemagne plusieurs diètes, qui furent aussi stériles que celles du passé. La plus importante fut celle de Spire en 1544. L'empereur, toujours en guerre avec la France et les Turcs, se crut obligé d'y faire aux protestants des concessions inconnues jusqu'alors, au grand mécontentement des états catholiques et du pape. Celui-ci adressa, le 24 août 1544, à Charles-Quint un bref qui le blâmait sérieusement, mais avec une sage douceur, d'avoir prétendu décider les affaires de la religion de son chef et sans s'inquiéter de l'autorité ecclésiastique[183].

Le 18 septembre 1544, la paix si longtemps désirée avait été enfin conclue à Crespy, et l'on y avait décidé le recours à la célébration d'un concile universel. Dès que le pape en fut averti, il ordonna à Rome de solennelles actions de grâces, et envoya ses félicitations à l'empereur et au roi de France par l'évêque d'Amalfi, Jean-François Sfondrate. Après s'être entendu avec les deux souveraine, le saint père révoqua la suspension par sa bulle du 49 novembre 1544, et convoqua le concile pour le 15 mars 1545. Il désigna ensuite pour ses légats à cette assemblée Jean-Marie del Monte, cardinal-évêque de Palestrina ; Marcel Cervini, cardinal prêtre du titre de la Sainte-Croix, et Réginald Poole, cardinal-diacre du titre de Sainte-Marie in Cosmedin. Les légats reçurent un bref qui leur donnait des pouvoirs particuliers, notamment celui de transférer le concile dans une autre ville, si la guerre, la peste, ou un autre évènement imprévu rendait cette translation nécessaire ; d'autres instructions écrites leur furent adressées en date du 14 mars.

L'ambassadeur de l'empereur, Mendoza, arriva l'un des premiers à Trente ; il fut suivi par les envoyés du roi des Romains. On était fort indécis sur le point .de savoir si l'on ouvrirait immédiatement le concile, à cause du petit nombre de prélats présents. Le pape manda aux légats de ne pas s'arrêter à cette considération ; il craignait qu'il ne se formât dans quelque ville d'Allemagne une réunion hostile. Et en effet, au printemps de 1545, une diète fut convoquée à Worms. Les protestants, tout en mettant en avant quelques concessions superficielles, se montraient plus que jamais passionnés contre l'autorité du pape et celle d'un concile dans lequel le pape et les évêques allaient formuler la doctrine de la foi. Ce fut alors que parut, sous le titre de la Papauté de Borne fondée par le diable, un écrit de Luther, dans lequel le fougueux sectaire dépassa en licence tout ce que depuis vingt-huit ans il avait dit et écrit contre Rome et le sacerdoce catholique. Après s'être entendus entre eux à Francfort, les princes protestants refusèrent formellement de prendre part au concile de Trente.

Dans un consistoire du G novembre, le pape arrêta que le 17 décembre suivant aurait lieu l'inauguration de l'assemblée. Ce jour-là donc, qui était le troisième dimanche de l'avent, après un jeûne et une procession publique, le concile œcuménique de Trente fut solennellement ouvert. Ce n'est pas ici le lieu d'exposer en détail les travaux de cette illustre réunion, qui fait époque dans l'histoire de l'Église et dont le nom n'est prononcé qu'avec respect et reconnaissance dans le monde catholique. La septième session solennelle avait été tenue le 3 mars 1547, et la suivante était fixée au 21 avril, quand un évènement soudain vint interrompre les travaux des pères. Les prélats furent surpris de là mort subite d'un de leurs collègues et de plusieurs personnes de la ville ; les décès se multiplièrent tellement en quelques jours que le bruit d'une maladie épidémique prit de plus en plus de consistance ; une impression de terreur s'empara de tout le monde, et plusieurs évêques quittèrent la ville. Le pape avait été, dès le G mars, averti de la situation et prié de donner ses instructions. Les légats, sons les attendre, proposèrent, dans les congrégations générales du 9 et du 40 mars, la translation du concile à Bologne. Sur les cinquante-six évêques présents, trente-huit opinèrent sans condition pour la translation ; quinze votèrent absolument contre ; les autres, avec Madruz, réservèrent leur voix jusqu'à ce que le pape et l'empereur se fussent prononcés. Ainsi le pape n'eut point de part à cette translation, il n'en eut connaissance que lorsque les pères étaient déjà partis pour Bologne ; mais, naturellement et avec la prudence qu'on devait en attendre, il approuva la conduite de ses légats et en prit publiquement la défense dans le consistoire du 23 mars[184].

Dans la huitième session, tenue le 41 mars 1547, on lut la résolution relative à la translation du concile. Dès le lendemain, les légats se rendirent à Bologne, et les prélats qui avaient consenti à la mesure les suivirent. La nouvelle de cette translation contraria fort l'empereur. Il se plaignit du pape et prétendit reconnaître dans ce qui se passait la politique française. Il voulait que le concile revînt à Trente, mais on ne pouvait violer la liberté des pères, qui, en très grande majorité, avaient volontairement quitté cette ville, et ne pouvaient y revenir que librement. Le pape proposa que ceux qui étaient restas à Trente allassent à Bologne, afin qu'on pût y prendre une résolution commune, mais l'empereur ne voulut point accepter cette proposition raisonnable. Ces difficultés se seraient probablement aplanies, si le nouveau roi de France, fidèle à la politique de son père, n'était intervenu pour traverser les plans de l'empereur. Henri Il se prononça résolument en faveur de Bologne et y envoya les ambassadeurs qu'il avait eus à Trente.

Les légats, dès leur arrivée à Bologne, s'efforcèrent de faire reconnaître l'autorité du concile transféré. Le pape, de son côté, y envoya, avec un bref du 29 mars qui les recommandait au concile, plusieurs savants évêques, et fit même savoir qu'il était disposé à s'y rendre personnellement. Les pères eux-mêmes ne restaient pas inactifs ; ils se formèrent en congrégations, s'adjoignirent des théologiens, qui se trouvèrent au nombre de plus de soixante de diverses nations dans une seule congrégation et de soixante-dix dans une autre ; ainsi entourés de toutes les lumières désirables, ils se livrèrent à l'examen de presque Unités les matières qui, plus tard, furent proclamées dogmatiquement à Trente. La neuvième session du concile fut tenue à Bologne le 21 avril 1547, et la dixième le 2 juin. Dans celle-ci, la prochaine session fut renvoyée au 10 novembre. Mais l'absence d'un grand nombre de pères et les misères du temps rendaient de plus en plus toute cette activité stérile. Le pape cependant n'omettait rien pour réunir les pères de Trente et ceux de Bologne. N'y réussissant point, et voulant éviter toute occasion de schisme, il résolut de suspendre les travaux conciliaires. Le 19 septembre 1549, le légat del Monte renvoya provisoirement les prélats, en vertu d'un bref du 13 du même mois. En ce moment, l'irritation était grande entre le pape et l'empereur, et elle alla croissant jusqu'à la mort de Paul III, qui succomba aux infirmités d'une vieillesse si laborieuse et si agitée le 10 novembre suivant. Nous reviendrons plus tard sur l'histoire de cette grande assemblée menée à bonne fin par la Providence qui veille sur l'Église, malgré les temps critiques et pleins de dangers au milieu desquels elle eut à résoudre tant de questions d'un intérêt suprême au point de vue dogmatique et moral. Nous n'avons pas dissimulé les torts de l'empereur, mais nous devons dire aussi que ses meilleures intentions pour défendre et relever l'autorité de l'Église ne furent pas toujours appréciées comme elles le devaient, et que leur efficacité par là même fut entravée. Retournons maintenant au point où nous avons laissé notre récit interrompu par cet épisode nécessaire.

Charles-Quint, avons-nous dit, en arrivant à Bamberg, y avait trouvé le cardinal Sfondrate[185], légat pontifical. Ici nous laissons parler M. Gachard : L'accueil, dit-il, que Charles fit au légat fut froid et sévère. Aux compliments de félicitations que Sfondrate lui adressa sur ses victoires, il répondit que les succès obtenus il les devait à Dieu et non aux hommes, car Dieu seul ne l'avait pas abandonné ; que le pape, au contraire, après l'avoir entraîné dans une entreprise pleine de périls, l'avait délaissé,-espérant peut-être qu'il ne s'en tirerait pas. Sfondrate, voulant justifier le rappel des troupes papales et la suppression des subsides promis, observa que l'empereur, dans les conditions imposées aux princes et aux villes de l'Allemagne, n'avait point compris le rétablissement de l'ancienne religion, mais n'avait exigé que la reconnaissance de sa propre autorité ; que jamais il n'avait fait part au cardinal Farnèse ni au nonce apostolique des choses qui se passaient ni des opérations militaires projetées ; que tout cela avait convaincu le saint père que l'empereur ne faisait point la guerre en Allemagne pour restaurer le catholicisme ; qu'il la faisait pour soumettre ses sujets désobéissants et rebelles, c'est à dire, pour son avantage tout personnel, et que par conséquent l'argent qu'on lui aurait envoyé dans ce but aurait été employé sans utilité pour l'Église. Charles répartit que les prétextes ne manquaient jamais à qui voulait abandonner un ami ; que les ménagements qu'il avait gardés envers les protestants étaient dictés par la prudence et par la crainte de pousser les choses jusqu'aux dernières extrémités ; qu'il avait promis de perdre sa vie et ses états, s'il le fallait, pour restaurer la religion en Allemagne ; que le pape devait avoir foi en sa parole comme il avait eu confiance dans celle de Sa Sainteté en s'engageant dans ce labyrinthe. Il s'excusa de n'avoir rien communiqué des opérations militaires au légat ni au nonce, en alléguant la nécessité de les tenir secrètes pour tout le monde, excepté pour ceux qui devaient concourir à l'exécution. Il repoussa le reproche de n'avoir fait la guerre que pour châtier les princes et les villes rebelles, disant que, sans sa préoccupation des intérêts religieux, il n'aurait pas eu contre lui la moitié de ceux qui avaient figuré dans les rangs de ses ennemis. Il accusa le saint père d'avoir manqué à la foi promise, en payant mesquinement ses troupes, d'abord en vue peut-être de les pousser à la désertion et en les rappelant ensuite. L'entretien se continua quelque temps, prenant un caractère de plus en plus acerbe et irrité du côté de l'empereur. Celui-ci s'étant plaint de la translation du concile à Bologne, le légat, après en avoir donné les raisons, lui demanda ce qu'il ferait pour l'amour du pape et le maintien de l'autorité pontificale : il répondit durement qu'il ferait ce qui serait juste et d'accord avec sa conscience. Engagé par le cardinal à conclure la paix avec la France et à protéger le catholicisme en Angleterre[186], il ne donna que des assurances vagues et très peu encourageantes pour le pontife. Il finit par déclarer qu'il prendrait plutôt les armes pour le dernier des Romains qu'au profit du pape, qui l'avait abandonné dans sa récente guerre d'Allemagne[187]. Ce furent là à peu-près les dernières paroles de Charles-Quint au cardinal Sfondrate, qui prit congé de lui sans reporter de sa mission au Saint-Père que de nouveaux et douloureux motifs d'inquiétude et de mécontentement[188].

Reprenons notre récit. L'empereur, poursuivant son chemin, arriva le 6 août à Nuremberg, où il s'arrêta douze jours et reçut la soumission des villes de Hambourg, Brème et Lubeck, ainsi que des ducs de Poméranie et de Lunebourg. Une diète convoquée à Ulm, pour le 25 mars, étant restée sans résultat, il en convoqua une nouvelle à Augsbourg, pour le 1er septembre, en annonçant qu'il y présiderait lui-même. Il avait été pris de la jaunisse en arrivant dans cette ville[189], mais cela ne l'empêcha pas d'ouvrir la diète au jour fixé. La réunion était plus nombreuse que d'habitude. La plupart des princes et des députés de presque toutes les villes de l'empire assistaient à la séance d'ouverture. Les électeurs de Mayence et de Saxe étaient présents, et l'on attendait l'arrivée dans la semaine même de ceux de Trèves et de Cologne, et de l'électeur palatin, retenus tous par des affaires importantes. L'électeur de Brandebourg et le roi des Romains n'arrivèrent que plus tard.

Après quelques paroles adressées aux états par l'archiduc Maximilien de la part de l'empereur, le vice-chancelier Seldt donna lecture d'une proposition de celui-ci. Charles rappelait d'abord l'affection qu'il n'avait cessé de porter à la nation germanique, ses efforts pour faire régner la paix, la justice, la concorde dans l'empire, le peu de fruit produit par les diètes de Worms et de Ratisbonne. Après ce préambule, il disait qu'il avait réuni les états pour les consulter sur le fait de la religion et de tout ce qui touchait au bien commun de l'Allemagne, et que son intention était de prendre, avec leur conseil et leur assistance, les mesures les plus profitables à la nation. Les différends religieux étant la cause principale des maux dont elle souffrait, il croyait nécessaire avant tout de rechercher les moyens d'y mettre un terme. La réorganisation de la chambre impériale étant un second point également urgent, il demandait à la diète le pouvoir de la réorganiser. L'empereur terminait en exhortant les représentants de l'Allemagne à exprimer franchement leur avis en congrégation générale, sans tenir, comme par le passé, des conventicules séparés[190].

Les états ne perdirent pas de temps, et, dès les premiers jours d'octobre, ils présentèrent à l'empereur leur réponse sur la question religieuse. Cette réponse ne le satisfit pas entièrement ; il s'en ouvrit aux électeurs, aux princes et aux autres membres principaux de la diète. Ces entretiens eurent l'effet qu'il s'en était promis. Le collège électoral et le collège des princes déclarèrent qu'ils étaient prêts à soumettre les différends en matière de religion à la décision du concile, dès que les séances auraient été reprises à Trente, et qu'en attendant ils se reposeraient sur l'empereur du soin d'assurer la paix publique en Allemagne. Les villes, après quelques difficultés, se conformèrent à cette détermination. Ces arrangements pris, l'empereur fit partir pour Rome, le 5 novembre, le cardinal de Trente, Christophe de Madrutz, afin d'informer le pape de ceste très bonne et sainte œuvre[191], et de lui demander de prendre sans délai des mesures conformes au vœu de l'Allemagne ; en même temps il donna l'ordre à son ambassadeur auprès du Saint-Siège, D. Diego Hurtado de Mendoza, d'appuyer énergiquement les démarches du cardinal.

Pendant l'hiver de 1547 à 1548, Charles fut attaqué de la goutte d'une manière assez sérieuse pour en éprouver des inquiétudes. Considérant que cette maladie pourrait le conduire au tombeau lorsqu'il s'y attendrait le moins, il dicta des instructions pour le prince Philippe sur la conduite que ce prince aurait à tenir, si ces craintes se réalisaient, dans le gouvernement de ses états, dans ses négociations avec les puissances étrangères et dans ses rapports avec les membres de sa famille. La prévoyance, la sagacité, la sagesse de Charles-Quint, dit M. Gachard, sont empreintes dans ces instructions[192], comme dans celles qu'il avait laissées à son fils à son départ d'Espagne.

Le pape, comme il fallait s'y attendre, répondit aux sollicitations du cardinal Madrutz qu'il ne pouvait rétablir le concile à Trente sans avoir préalablement entendu les pères assemblés à Bologne. Le cardinal revint à Augsbourg avec cette réponse le 5 janvier. Le 14 l'empereur réunit la diète. Madrutz rendit comte de sa négociation ; l'archiduc Maximilien, au nom du chef de l'empire, exposa que l'époque où le concile pourrait reprendre ses délibérations à Trente étant incertaine, il convenait d'adopter des mesures qui assurassent la paix religieuse de l'Allemagne. Malgré les preuves multipliées fournies par l'expérience de l'inefficacité de ce moyen, il demanda que la diète désignât quelques théologiens choisis parmi les plus gens de bien, les plus savants et les plus modérés, pour préparer un projet de nature à concilier les catholiques et les protestants. Charles ne s'en tint pas là. Il envoya à Bologne le docteur Velasco et le fiscal Vargas pour protester contre la continuation du concile en cette ville, et il fit renouveler cette protestation, en plein consistoire, à Rome, par son ambassadeur Mendoza.

Les états avaient confié à l'empereur le choix des personnes auxquelles serait confiée la délicate et, à vrai dire, l'inexécutable mission de rédiger un projet convenable sur la solution des différends religieux. Il désigna à cet effet deux prélats catholiques, Jules Pflug, évêque de Naumbourg, Michel Helding, évêque-coadjuteur de Mayence, et un pasteur luthérien, Jean Schneider, dit Agricola. Pendant que ces délégués travaillaient à la rédaction du formulaire qui devint célèbre sous le nom d'Intérim, et qui constituait une sorte de transaction entre les anciennes et les nouvelles doctrines, Charles-Quint s'occupait d'une imposante cérémonie, qui eut lieu, le 24 février 1548, sur l'une des places principales de la ville d'Augsbourg. L'empereur, entouré du roi des Romains, des électeurs et des princes de l'empire, donna au duc Maurice l'investiture de l'électorat de Saxe, appelant à lui succéder, à défaut de postérité mâle, le duc Auguste son frère et les descendants de celui-ci. Cette substitution éventuelle avait été vivement sollicitée par Maurice et, pour se rendre l'empereur favorable, il avait pris l'engagement solennel, par écrit et avec serment, d'accepter sans aucune réserve les décisions du concile de Trente[193]. Le même jour le général de Vogelsbergen, qui, l'année précédente, au mépris des mandements impériaux, avait levé des troupes en Saxe pour le compte du roi de France, eut la tête tranchée ; deux de ses capitaines périrent en même temps par le gibet.

Le travail préparé par les théologiens formant, si l'on peut parler ainsi, la commission mixte créée par l'empereur, fut revu et amendé par les conseillers impériaux, et ainsi communiqué aux électeurs et aux membres influents des états. Les trois électeurs luthériens l'acceptèrent sans contradiction. Forts de leur assentiment, Charles réunit la diète le 15 mai. Le vice-chancelier Seldt donna lecture du formulaire proposé ; les électeurs et les princes se retirèrent ensuite pour en délibérer ensemble. Ils rentrèrent ensuite, et l'archevêque de Mayence déclara, au nom des états, qu'ils agréaient le projet qui venait de leur être proposé, et qu'ils demandaient seulement à en recevoir copie. L'empereur fit répondre qu'une copie leur serait délivrée en latin et en allemand.

Le système de doctrine ou formulaire, célèbre sous le nom d'Intérim parce qu'il ne devait rester en vigueur que jusqu'à la conclusion du concile général, renfermait vingt-six articles, et ne rappelait que trop certains édits des césars byzantins flétris par l'histoire[194]. Il fut rendu public précédé d'une déclaration de l'empereur qui en préconisait l'opportunité et requérait tous les membres de l'empire non seulement de l'observer, mais de ne pas permettre, pour le bien de la paix, qu'on écrivît ou qu'on prêchât contre son contenu. En proposant l'intérim, l'empereur avait promis aux états de pourvoir à la réforme de la discipline ecclésiastique : un règlement rédigé à cet effet par Pflug, Helding et Agricola fut communiqué à la diète, qui l'accepta.

L'empereur parvint enfin, dans cette diète d'Augsbourg, à mener à bonne fin une œuvre entreprise depuis longtemps, et qui avait rencontré jusqu'alors des obstacles insurmontables : ce fut là que furent fixées définitivement les relations politiques de nos provinces avec l'empire d'Allemagne. Ces provinces, berceau de la grandeur des Carlovingiens, avaient subi toutes les vicissitudes de leur grandeur et de leur décadence, et quoique restées de droit vassales de l'empire, elles n'étaient plus de fait depuis longtemps rattachées à l'Allemagne que par des liens purement nominaux. En 1438 pourtant, lorsque Albert d'Autriche divisa l'empire en quatre cercles, il forma le troisième de la Hollande, de la Gueldre, d'Utrecht et du Brabant. Maximilien y ajouta, l'an 1500, le cercle des pays d'Outre Meuse, en même temps qu'il érigeait une chambre impériale à Spire ; puis, par un second partage des pays soumis à l'empire, il les divisa en six cercles : Franconie, Bavière, Souabe, Rhin, Saxe et Westphalie. En 1512, reprenant un projet conçu par Charles le Téméraire, il chercha à relier les domaines de la maison de Bourgogne à l'Allemagne, et, dans cette vue, il ajouta aux six cercles existants quatre cercles nouveaux, en divisant ceux de Saxe et du Rhin, et en y joignant ses pays héréditaires et ceux de son petit-fils, sous les noms de cercle d'Autriche et de cercle de Basse Bourgogne — Neder-Burgondie. Mais cette mesure rencontra une invincible opposition dans les Pays-Bas. Les états soutinrent unanimement que ce prince n'avait pas le droit de disposer des états de son petit-fils, pour les assujettir à des charges auxquelles ils s'étaient soustraits depuis longtemps. En vain leur objecta-t-on que l'empereur pouvait toujours rappeler à leurs obligations les contrées qui les avaient méconnues, il fut impossible de triompher de leur résistance[195].

Lorsque Charles-Quint fut élevé à la dignité impériale, le corps germanique renouvela ses réclamations, et le jeune empereur, entouré d'embarras et de dangers, se vit obligé de les appuyer. Il l'avait promis, écrivit-il à sa tante Marguerite, juré et accordé en la journée impériale de Worms, toutefois sous protestation de non préjudice des libertés et exemptions que pouvoient avoir ses pays d'en bas de non être contribuables, tant pour garder son autorité, que pour ne pas mettre en rupture les bonnes conclusions et ordonnances obtenues en cette journée. Cette mise en demeure de Charles-Quint, renouvelée le 16 mars 1523, n'aboutit point : l'opposition qu'elle rencontra dans les conseils de la régente et dans les états en arrêta encore l'exécution. Ils m'ont écrit une seconde fois, écrivait Marguerite à son neveu, pour avoir dix mille florins pour la quote de ces pays de par deçà dans la dépense de la guerre de Turquie... mais je vous ai dit comment ceux de ces pays, pour chose quelconque, ne voudroient contribuer aux charges de l'empire. Qui plus est, ils ne voudroient permettre qu'en votre nom j'y contribuasse, hors que sans leur assistance je le pusse faire. L'empereur se décida à ne pas insister alors sur les exigences du corps germanique.

L'incorporation du pays d'Utrecht et de l'Overyssel aux Pays-Bas fit renaître la contestation avec une vivacité nouvelle. En 1541 et 1542, les états de l'empire poursuivirent, dans tous les territoires des cercles de Westphalie et de Bourgogne, le' recouvrement des contributions et du contingent votés pour la guerre contre la Turquie. En ce moment, les Pays-Bas assaillis de toutes parts avaient eux-mêmes grand besoin d'aide et n'étaient guère en situation de participer aux charges de l'empire. Néanmoins Marie de Hongrie, qui désirait les voir placés sous la protection de l'Allemagne, ne déclina pas formellement ces injonctions. Elle chargea successivement Viglius et le sire de Creheuges d'excuser, près de la diète de Nuremberg, l'inexécution du recez de Spire. Après avoir établi d'abord que ces provinces étaient unanimes à repousser l'obligation qu'on voulait leur imposer, ces envoyés exposèrent la situation critique où elles se trouvaient, désolées qu'elles étaient par des invasions combinées, disaient-ils, pour empêcher les peuples des Pays-Bas de s'armer contre les ennemis de la chrétienté[196]. Ils ajoutèrent que la reine était toutefois décidée à obtempérer au recez et à envoyer lé contingent d'Utrecht et d'Overyssel, qui faisaient partie du cercle de Westphalie, dès qu'elle aurait repoussé l'ennemi, et que, quant au cercle de Bourgogne, elle allait ordonner une enquête pour s'enquérir des pays, nobles et gens d'église qui y étaient compris.

Utrecht et l'Overyssel fournirent en effet de l'argent et des hommes pour la guerre contre les Turcs, mais ce contingent fut incorporé dans l'armée du prince d'Orange. Quant au cercle de Bourgogne, on répondit qu'il ne pouvait comprendre les Pays-Bas, qui n'étaient en rien sujets du duché de ce nom, occupé d'ailleurs par le roi de France. Ne trouvant dans nos provinces aucun renseignement pour établir l'assiette de la contribution réclamée, Marie de Hongrie voulut s'en procurer en Allemagne. Mais on ne put lui fournir d'autre document que l'acte de 1512. Les états répétèrent que cet acte avait été émis à leur insu, qu'ils n'y avaient jamais donné leur assentiment, et que Maximilien n'avait pu le décréter que par un abus de droit, puisque ce prince n'était pas alors seigneur de leurs pays. Les choses en restèrent encore là cette fois.

Cependant la reine Marie, de plus en plus désireuse de relier les Pays-Bas à l'Allemagne, fit déclarer à la diète par ses ambassadeurs que, si l'empire voulait s'engager à secourir ces provinces contre les attaques de la France, ils étaient autorisés à traiter sur cette base. Dans le plan de la régente, les Pays-Bas, sans être en aucune manière soumis à l'empire ni ressortissants à la chambre impériale, contribueraient dans les guerres contre les Turcs et dans les grandes charges de l'empire autant qu'un prince électeur. En revanche, le corps germanique les secourrait s'ils étaient envahis, et ils seraient représentés aux diètes de l'empire par des députés prenant rang après les princes électeurs. Quant au contingent et à la contribution qui avaient soulevé le débat actuel, les Pays-Bas en seraient exempts durant la guerre qu'ils soutenaient contre la France, à moins que l'Allemagne ne les secourût sur le champ.

La diète fit un accueil peu favorable au projet de la régente des Pays-Bas ; elle y vit une source d'embarras pour l'empire sans compensation suffisante. Laissant en suspens, faute de preuves, la question des contributions en ce qui concernait les Pays-Bas en général, elle restreignit ses prétentions actuelles au pays d'Utrecht. On ne pouvait nier que l'évêque Henri de Bavière, à l'exemple de ses prédécesseurs, avait reconnu sa dépendance de l'empire, et la diète se fonda sur ces précédents pour solliciter un mandement impérial ordonnant à ceux d'Utrecht d'obéir au recez de Spire. Mais Charles-Quint, intéressé à ne pas laisser confondre ses états héréditaires avec ceux de l'empire, éluda la difficulté. Marie de Hongrie fit représenter à la diète qu'il ne serait pas équitable d'imposer aux gens d'Utrecht des sacrifices pour des guerres étrangères à leur pays, alors qu'on les avait laissés sans secours contre les invasions réitérées de leurs ennemis. Sans répondre à cet argument, et tout en menaçant de livrer Utrecht aux poursuites du fiscal de l'empire, la diète décida que l'empereur pouvait et devait employer les revenus de ses états particuliers à repousser les infidèles. Par cette déclaration ambigüe, ceux d'Utrecht, à titre de sujets particuliers de Charles-Quint, étaient implicitement. séparés de l'empire, dont les ambassadeurs de la régente eux-mêmes reconnaissaient les légitimes prétentions[197].

La question principale fut reprise en 1545 par la diète de Worms, où l'on rechercha quelles avaient été les anciennes relations des Pays-Bas avec l'empire. Viglius soutint le principe de l'indépendance absolue de ces provinces. Il établit qu'elles avaient leurs parlements et ressorts de justice, sans en reconnaître aucun autre ; que si le corps germanique avait certaines prétentions sur le duché de Gueldre, le comté de Zutphen, Utrecht et l'Overyssel, ces pays cependant, par privilège spécial et ancienne jouissance, étaient exempts des contributions de l'empire. Attaquant ensuite la validité de l'acte de 1512, il démontra que ni le gouvernement ni les états n'en avaient jamais reçu la communication officielle, que cet acte avait été dressé à leur insu, sans que les états eussent jamais été invités en aucune`manière à l'accepter ; enfin que les Pays-Bas n'avaient jamais été astreints de ce chef à payer aucune taxe ou contribution. Enfin il se prévalut de l'incertitude existante au sujet des territoires compris dans le cercle de Bourgogne, et, rappelant l'objection déjà présentée en 1512, il conclut que, depuis l'occupation du duché de Bourgogne par la France, cette appellation même n'avait plus d'objet par rapport aux Pays-Bas. Mais Marie de Hongrie tenait à ménager à ces provinces la protection de l'empire ; elle prescrivit à Viglius de ne pas insister davantage sur le fond de la question et de se borner à donner à la diète l'indication des provinces qu'on prétendait comprendre dans le cercle de Basse Bourgogne.

Les débats qui s'élevèrent sur ce dernier point arrêtèrent la délibération, et la guerre de Smalcalde la suspendit jusqu'en 1547. Marie de Hongrie crut alors le moment venu de résoudre définitivement la question, et de graves intérêts personnels l'ayant appelée à Augsbourg[198], elle y travailla activement à cette solution. La discussion s'ouvrit en 1548. L'avocat de l'empire rappela que le duché de Gueldre, le comté de Zutphen et la seigneurie d'Utrecht appartenaient d'ancienneté au cercle de Westphalie et supportaient leur part de ses contributions. L'empereur Maximilien, ajouta-t-il, en créant le cercle de Bourgogne, a assujetti les autres provinces des Pays-Bas aux mêmes charges. De plus Philippe le Beau a assisté aux diètes en personne ou par procureur, et la plupart des villes ont comparu devant la chambre impériale. Elles en ont ainsi reconnu la suzeraineté, et c'est sur ce fondement que je requiers la condamnation des provinces qui se sont soustraites à leurs obligations. — Maximilien, répondit Viglius, a conçu à la vérité le projet d'incorporer les Pays-Bas à l'empire, mais l'opposition de ces provinces, où il n'avait d'autres droits que ceux de tuteur de son petit-fils, a arrêté l'exécution de ce projet. Si Philippe le Beau a assisté à des diètes, ce prince l'a fait de son plein gré ; il en est de même des sommes que le même prince a libéralement fournies dans les besoins urgents. L'envoyé de la régente convint ensuite de la mouvance de la Gueldre et de l'investiture donnée par Maximilien, mais il soutint que ce duché ne devait que la bouche et les mains, c'est à dire la foi et l'hommage, sans être tenu à aucune redevance. Il représenta qu'en se donnant à la maison d'Autriche, les Gueldrois avaient expressément stipulé la conservation de leurs privilèges ; qu'Utrecht jouissait des mêmes privilèges ; que si ces contrées avaient été comprises dans le cercle de Westphalie, elles ne figuraient pas sur les rôles des taxes. En terminant il fit valoir cet argument que les Pays-Bas n'ayant demandé ni reçu aucun secours de l'empire, ne pouvaient être obligés d'en supporter les charges.

Après cette réponse, Viglius déclara qu'afin de conserver et entretenir bonne et mutuelle amitié et intelligence avec les empereurs et les états de l'Allemagne, de mettre un terme à toutes discussions, d'obvier et de résister aux invasions tant des étrangers que des domestiques et des rebelles qui adviendraient à l'empire, et quoique les Pays-Bas n'y fussent pas tenus, la reine douairière de Hongrie, comme gouvernante générale de ces provinces, ne refusait pas de traiter avec la diète, à l'effet de consentir à la contribution de quelque aide raisonnable et limitée, en ayant égard aux charges et frais généraux supportés par ces pays pour la garde des frontières communes. Cette contribution devait s'étendre à toutes les provinces des Pays-Bas conjointement, tant à celles qui pouvaient reconnaître la suzeraineté de l'empire qu'aux autres, sans apporter ni dérogation, ni préjudice à leurs libertés et franchises, à leur ancienne nature, prééminence et exemption. La reine demandait en outre qu'elles fussent toutes comprises en un seul cercle, et que l'empereur, pour lui aussi bien que pour ses successeurs, et les états de l'empire s'engageassent à maintenir, défendre, assister et conserver ces pays, comme ils étaient tenus et accoutumés de défendre, maintenir et conserver les autres seigneuries, terres et pays de l'Allemagne[199].

Après avoir reçu lecture de cette déclaration, la diète pria Charles-Quint d'indiquer, en sa qualité de souverain des Pays-Bas, les territoires à comprendre dans le traité ; le taux de la contribution à leur imposer ; l'aide et l'assistance que le corps germanique serait tenu de leur donner ; les pays qui seraient exempts de la juridiction, du ressort et de l'appel de l'empire. Charles-Quint répondit que le cercle comprendrait les duchés de Lothier, Brabant, Limbourg, Luxembourg, Gueldre ; les comtés de Flandre, Artois, Bourgogne, Hainaut, Hollande, Zélande, Namur, Zutphen et Charolois ; le marquisat du Saint-Empire ; les seigneuries de Frise, Utrecht Overyssel, Groningue, Fauquemont, Daelhem, Salins, Malines et Maëstricht, avec toutes leurs appartenances, terres et seigneuries y comprises, incorporations, annexions tant anciennes que nouvelles, évêchés, abbayes, etc., sans aucune en excepter. Il offrit de contribuer aux aides et contributions communes autant que deux électeurs, soit en gens de guerre de pied ou de cheval, soit en deniers qui se payeraient par ses mains ou celles de ses successeurs, sans qu'aucune autre imposition quelconque pût être levée sur ses sujets. Dans le cas où les états de l'empire voteraient des impôts extraordinaires, les Pays-Bas en seraient exemptés en payant le Roemerzug : on appelait ainsi la contribution imposée à tous les états d'Allemagne, lorsque le roi des Romains allait recevoir la couronne impériale des mains du pape. Au prix de ces charges, ces pays seraient placés sous la protection et la garde des empereurs et rois des Romains et de l'empire, défendus, gardés et soutenus, comme devait l'être, en vertu d'un semblable traité, le duc de Lorraine.

Charles-Quint déclara aussi qu'il entendait voir les Pays-Bas exempts de la juridiction ainsi que de l'appel de l'empire, comme l'étaient les maisons d'Autriche, de Lorraine et autres, attendu que, de temps immémorial, nos contrées avaient joui de cette liberté ; qu'elles avaient pour la plupart parlements, conseils, officiers et justiciers propres. Il fit remarquer que si certaines parties des Pays-Bas avaient reconnu une juridiction en France, elles en avaient été affranchies par les traités de Madrid, de Cambrai et de Crespy. Quant aux autres parties, qui lui étaient advenues par succession du vrai tronc et e toc de Charlemagne, du roi Lothaire et de leurs descendans, elles étaient de franc alleu, dépendantes pour la plupart de la succession de la maison et du royaume de Lotharingie. Enfin les contrées ayant pu mouvoir du fief de l'empire avaient obtenu la même exemption par privilèges spéciaux et par jouissance invétérée et immémoriale. — J'espère, ajouta-t-il, que vous vous contenterez de ma déclaration, sans vous arrêter à de tels scrupules dans une chose profitable à l'empire[200].

La diète demanda alors la production de ces privilèges, ou du moins une enquête sur laquelle elle pût asseoir sa résolution. L'empereur répondit qu'il ne tenoit pas convenable d'entrer en dispute au sujet de l'exhibition de titres ou de privilèges qu'il n'avoit pas entre les mains. La diète insista, mais il passa outre, et personne n'osa s'opposer à la volonté du vainqueur de la ligue de Smalcalde. Ayant tout examiné avec les électeurs, dit-il dans son projet de traité, et considérant le grand bien, l'utilité qui par l'amitié, intelligence et alliance de nos pays patrimoniaux avec le Saint-Empire, peut sourdre et advenir ; de l'avis et du commun consentement des états de l'empire, nous acceptons les offres de la reine notre sœur de la manière suivante : Nous empereur et avec nous les électeurs, princes et autres états de la Germanie, avons pris et reçu, prenons et recevons en notre tutelle et protection et celle du Saint-Empire les duchés de Lothier, de Brabant, de Limbourg, de Luxembourg, de Gueldre ; les comtés de Flandre, d'Artois, de Bourgogne, de Hainaut, de Hollande, de Zélande, de Namur, de Zutphen et de Charolois ; le marquisat du Saint-Empire ; les seigneuries de Frise, d'Utrecht, d'Overyssel, de Groningue, de Fauquemont, de Daelhem, de Salins, de Malines et de Maëstricht, avec toutes et quelconques leurs appartenances, terres et seigneuries y enclavées, incorporations, connexions ou annexions, tant anciennes que nouvelles, duchés, marquisats, principautés, comtés, baronnies et seigneuries quelconques, sans en excepter ni réserver aucune. Nous nous obligeons et engageons à les défendre, maintenir, assister et conserver contre quiconque les voudroit envahir et molester. Ces pays jouiront et useront du fruit et bénéfice de la paix commune, des privilèges et prérogatives de la nation germanique, sans que nous puissions y acquérir aucune sujétion ou servitude pour le Saint-Empire. En toutes choses, leurs anciennes libertés et franchises, notamment les droits de principauté, de souveraineté, de juridiction et autres prérogatives en dépendantes, demeureront entièrement séparées de la juridiction de la chambre impériale, du juge curial de Rothwyl, des jugements de la Westphalie, du siège royal d'Aix, et de tous autres juges, cours et sièges de l'empire, en premier, second et dernier ressort.

La justice sera administrée dans lesdits pays comme par cy-devant et de toute ancienneté a été accoutumé par nous, nos prédécesseurs, vassaux et sujets dont le ressort sera conservé tel qu'il étoit précédemment. En conséquence nuls mandements, commissions, inhibitions, compulsoriales, ajournements ni autres quelconques procédures et exploits ne se pourront décerner contre nosdits Pays-Bas, les princes, vassaux, villes et communautés d'iceulx comme notoirement exempts de ladite chambre et autres cours, sièges et jugements de l'empire. Aucun appel, pour quelque chose que ce soit, ne sera admis ou reçu contre eux, leurs libertés et leurs franchises. Semblablement, ni par nous ou nos successeurs, ni par les états de l'empire, rien ne sera statué, dérogé, fait ni attenté contre eux, ni au préjudice des privilèges, immunités, exemptions, libertés, franchises et coutumes de nos Pays-Bas, soit par constitution impériale ou royale, par pragmatique décernée par le conseil desdits états de l'empire ou recez qui faire se pourroit. Toute action à intenter contre nous, comme souverain des Pays-Bas, contre nos vassaux ou sujets de ces provinces, sera adressée à la justice ordinaire et poursuivie devant elle, à moins qu'il ne s'agisse de contestations de limites, auquel cas, le jugement sera remis à des arbitres.

Le duché de Gueldre, le comté de Zutphen, les seigneuries d'Utrecht et d'Overyssel seront distraits du cercle de Westphalie et réunis avec les autres provinces au nouveau cercle. Toutes journées, assemblées et réunions d'état de la Germanie pour affaires de l'empire, seront notifiées aux Pays-Bas, pour que nous y comparaissions par nous ou par nos députés ; ceux-ci y auront voix et siège convenable. Par réciprocité, les Pays-Bas fourniront et contribueront aux aides et communes impositions votées par les états de l'empire, sur le pied de deux électeurs, soit en gens de guerre, soit en argent ; et sur le pied de trois électeurs, en cas de guerre contre les Turcs. Leur quote-part de contribution sera acquittée par nos mains, et ils seront exempts de toute imposition extraordinaire, en payant le Roemerzug.

Nous et nos successeurs relèverons de l'empire le duché de Gueldre, le comté de Zutphen et les pays d'Utrecht et d'Overyssel. Moyennant ces dispositions, tous différends, querelles, poursuites, demandes, procédures concernant les points et articles susdits, seront abolis, assoupis, éteints, annulés et cassés[201].

Ce projet fut adopté et décrété le 26 juin 1548[202]. Le même jour, fut conclu un second traité comprenant la Franche-Comté dans le nouveau cercle de Bourgogne comme ancien fief de l'empire[203]. Le traité de confédération d'Augsbourg excita des mécontentements des deux côtés. Les états de l'empire se plaignirent de partager leurs droits et leurs prérogatives avec des peuples participant faiblement aux charges communes et restant en dehors de leur action. Dans les Pays-Bas, l'adoption du traité rencontra de sérieuses difficultés, dit M. Henne, et le Brabant n'y adhéra que le 21 janvier 1549[204]. On n'éprouva pas moins d'embarras à remplir l'engagement de le faire signer par quatre prélats, quatre nobles et quatre villes du nouveau cercle Charles-Quint eut beaucoup de peine à obtenir ces signatures, que donnèrent enfin les évêques d'Utrecht, de Tournai, d'Arras et l'abbé de Saint-Pierre à Gand ; les comtes d'Egmont, du Rœulx, d'Hoogstraeten et le seigneur de Raye ; Louvain, Gand, Nimègue et Dordrecht[205]. L'empereur n'avait pas attendu ces adhésions pour apporter des changements à la constitution de la chambre impériale : avant de quitter Augsbourg, il donna pouvoir à Viglius de l'augmenter de treize assesseurs, parmi lesquels se trouva Barthélemi Le Masson, qui siégea au nom du cercle de Bourgogne[206] ; en outre, le 16 septembre 1549, il y commit un avocat et procureur à la conservation de ses intérêts comme souverain des Pays-Bas[207].

Ainsi, dit M. Henne en terminant l'exposé clair et complet que nous lui devons de cette importante affaire, ainsi retournèrent en quelque sorte à l'empire des provinces qui, la plupart, s'en étaient détachées de temps immémorial. Cette réunion laissait leur indépendance intacte, et Charles-Quint qui, par un article supplémentaire au traité du 26 juin, stipula que le prince souverain des Pays-Bas acquittait, de sa libre volonté, par amour et par bienveillance, les charges de l'empire, sans que ses sujets pussent y être contraints ; qui, dans l'acte d'érection du nouveau cercle inséra encore les réserves les plus formelles pour le maintien de leur condition antérieure, Charles-Quint saisit avec empressement la première occasion qui se présenta pour la consacrer d'une manière authentique. Peu de temps après la promulgation du traité d'Augsbourg, des Brabançons emprisonnés par le magistrat de Dordrecht, à la demande de marchands de Middelbourg et de Malines, ayant réclamé le bénéfice de la Bulle d'or, qui ne permettait pas de les poursuivre pour dettes hors de leur pays, les Hollandais soutinrent que les constitutions impériales n'avaient aucune autorité sur leurs villes : Nos comtes, disent-ils, n'ont jamais demandé d'octroi, ni de relief, ni d'investiture aux souverains d'Allemagne ; notre province n'a jamais été sujette aux charges des autres membres, ni participante à leurs privilèges, et nous ne pouvons être justiciables de la chambre impériale. Ces allégations étaient contraires aux preuves historiques fournies par les états de Brabant ; Charles-Quint néanmoins prononça en faveur des Hollandais[208], et il chercha constamment à exempter nos provinces de la supériorité et juridiction de la chambre impériale. Quant aux subsides imposés au nouveau cercle, et déterminés par une ordonnance du 22 novembre 1548, ils furent régulièrement payés[209] : il résulte d'une lettre de Marie de Hongrie, du 24 mai 1552, qu'à cette date les Pays-Bas avaient déjà versé soixante mille florins carolus pour les aides de l'empire[210]. C'est en vertu du traité d'Augsbourg que nos souverains eurent à la diète impériale des ministres natifs des Pays-Bas, à titre du cercle de Bourgogne[211] ; c'est alors aussi, parait-il, que Marie de Hongrie créa la secrétairerie d'état allemande, dont les archives ont fourni tant de précieux documents à l'histoire du XVIe et du XVIIe siècle[212].

Charles-Quint quitta Augsbourg le 13 août, et arriva à Ulm le lendemain. Il passa dix jours dans cette ville et, le jour de l'Assomption, assista à la messe dans la grande église, où, depuis plus de quinze ans, le saint sacrifice n'avait pas été célébré. Avant de prendre le chemin des Pays-Bas, il renvoya en Hongrie le régiment espagnol de don Alvaro de Sande, et en Piémont sa cavalerie légère. Il entra à Maëstricht le 12 septembre, menant à sa suite ses deux prisonniers, Jean-Frédéric de Saxe et Philippe de Hesse. Là il licencia quatre enseignes de lansquenets, qui avaient formé jusque là une partie de leur escorte. La reine Marie l'attendait à Louvain ; elle lui offrit le plaisir d'une chasse magnifique à Héverlé, terre du duc d'Arschot, à quelques pas de cette ville. De là ils se rendirent ensemble au château de Tervueren ; les deux princes prisonniers furent dirigés sur Bruxelles ; l'ancien électeur de Saxe resta en cette ville[213] ; le landgrave fut conduit à Audenarde. Après s'être livré au plaisir de la chasse, pendant plusieurs jours, dans les bois de Tervueren et de Grœnendael, l'empereur fit, le 22 septembre, son entrée à Bruxelles. Des réjouissances publiques, des processions, des illuminations célébrèrent le retour du souverain qui revenait comblé de gloire et plus puissant qu'il n'avait jamais été.

Le 26 octobre 1548, Charles-Quint réunit, dans son palais, les états généraux des Pays-Bas. Il avait à leur demander des subsides et la ratification de la transaction conclue avec les états de l'empire à Augsbourg ; il les remercia, par l'organe de Philippe Negri, chancelier de la Toison d'or, du concours prêté par eux à la reine régente pendant son absence ; il leur montra la grande utilité de la protection de l'empire que leur garantissait la confédération contre toutes les attaques du dehors ; il leur dit que, voulant manifester d'une manière encore plus éclatante l'amour qu'il leur portait et le cas qu'il faisait de leur fidélité et de leur dévouement, il avait mandé le prince son fils, afin que celui-ci les visitât, et, en prenant connaissance du pays, partageât son affection pour eux. Il leur annonça aussi le prochain mariage de la princesse Marie, sa fille, avec l'archiduc Maximilien. Le pensionnaire de Bruxelles remercia l'empereur au nom de l'assemblée. Tous les états particuliers donnèrent leur assentiment à la convention d'Augsbourg ; tous aussi accordèrent les subsides demandés. Ceux du Brabant accordèrent quinze cent mille livres[214] ; ceux de la Flandre, quinze cent mille écus[215] ; ceux de la Gueldre et du comté de Zutphen, trois cent mille livres de 40 gros de Flandre[216] ; ceux de Namur, trente-deux mille livres[217].

La santé de l'empereur était en ce moment assez satisfaisante. Tout homme, écrivait, le 5 octobre, à Henri II Charles de Marillac, son ambassadeur à la cour impériale, tout homme qui le voit maintenant, ne l'ayant auparavant vu, peut aisément juger qu'il porte visage et contenance de ne la faire longue ; mais ceux qui l'ont vu, l'an passé, en Auguste, s'aperçoivent qu'il se porte encore moins mal qu'il ne faisoit en Allemagne, et mêmement à Spire et à Cologne, où il avoit un piteux et pauvre visage, lequel maintenant il semble avoir amendé de beaucoup depuis qu'il est ici[218]. A la fin du mois, la goutte le reprit, et, pendant plusieurs jours, le fit cruellement souffrir aux bras, aux mains et aux épaules[219]. Le 16 novembre, il se mit à la diète, son remède ordinaire, mais il fut contraint de la laisser, s'en trouvant trop affaibli et plus mal que les autres fois[220] ; les médecins durent avoir recours à d'autres moyens plus efficaces. Il put, au commencement de décembre, assister à la messe[221] ; il attendait en ce moment la visite de la reine douairière de France, et il se réjouit d'être en état de recevoir sa meilleure sœur[222].

La reine Éléonore n'avait pas été heureuse avec François Ier, et, depuis la mort de son mari, sa situation était devenue plus triste encore. Henri II avait peu d'égards pour elle, et son entourage, selon l'éternel exemple des courtisans, ne lui témoignait qu'une médiocre déférence[223]. Aussi désirait-elle vivement quitter la France, et venir vivre aux Pays-Bas avec la reine douairière de Hongrie. Charles-Quia ne condescendit point d'abord au vœu qu'elle lui en fit exprimer par sa sœur Marie[224] : il craignait que le départ d'Éléonore ne fût mal interprété par le roi, et ne voulait donner aux Français aucun prétexte de rupture. Mais, après son retour à Bruxelles, pressé par les instances de cette sœur chérie, il fit demander, pour elle, à Henri II, l'autorisation de venir le visiter à Bruxelles, ce que le roi accorda sans difficulté[225]. Éléonore quitta Paris le 16 novembre ; le roi ne la vit point et ne lui envoya pas même quelqu'un à sa place au moment du départ, quoiqu'il fût près de Paris. L'empereur lui dépêcha le seigneur de la Chaulx, l'un des premiers gentilshommes de sa chambre, pour lui exprimer le plaisir qu'il éprouvait de sa venue et le regret d'être empêché par la goutte de lui écrire[226] ; il chargea le prince de Piémont d'aller à sa rencontre hors de la. ville, et il l'attendit dans l'appartement qu'il avait fait préparer pour elle au palais. La pauvre Éléonore n'avait pas été sans vexations pendant le voyage : on avait poussé l'indignité jusqu'à visiter ses bagages. Après s'être arrêtée trois jours à Hal, souffrante de la fièvre dont elle était atteinte au moment du départ, elle arriva, dans la soirée du 5 décembre, à Bruxelles, où elle fut reçue avec de grands honneurs[227]. La même réception l'attendait dans, les autres villes de la Belgique qu'elle visita ensuite ; à Gand, entre autres, lors de son entrée, le magistrat lui offrit une coupe, un bassin et une aiguière d'argent[228].

La goutte continuait de tourmenter l'empereur ; elle le força de garder le lit pendant les fêtes de Noël[229]. S'étant trouvé un peu mieux, il voulut aller à la chasse, imprudence qui lui causa une rechute[230]. Un médecin napolitain, venu en ce moment à Bruxelles, lui fit espérer une prompte guérison. Tout d'abord il se trouva bien de ses soins, mais l'amélioration ne fut pas de longue durée[231]. Il put néanmoins assister, dans sa chapelle, le 22 janvier 1549, au mariage de Nicolas de Lorraine, comte de Vaudemont, avec mademoiselle d'Egmont, sœur du comte Lamoral[232] ; ce mariage donna lieu, pendant plusieurs jours, à des tournois, des festins, des bals, auxquels les deux reines présidèrent[233]. L'ambassadeur Marillac instruisait régulièrement et minutieusement le roi de France des vicissitudes que subissait la santé de l'empereur. Voici une de ses lettres où il représente l'état de Charles-Quint comme à peu près désespéré : On peut en juger, dit-il, à voir qu'il a l'œil abattu, la bouche pâle, le visage plus d'homme mort que vif, le cou exténué et grêle, la parole foible, l'haleine courte, le dos fort courbé et les jambes si foibles qu'à grand'peine il peut aller avec un bâton de sa chambre jusques à sa garde-robe. Et combien qu'il fasse encore parfois contenance de rire, et qu'il essaye de sortir dehors, disant qu'il ne sent point de mal, ceux qui le peuvent bien savoir m'ont affirmé que cela provient de ce que toutes les parties de son corps sont si affoiblies, et lui en somme si usé, qu'il ne peut avoir le sentiment si vif qu'un autre. Marillac ajoute qu'avant qu'il ait terminé les affaires de l'Allemagne et du concile, l'heure viendra vraisemblablement d'aller voir ce qui se fait en l'autre monde, car tous ceux qui se mêlent d'en juger estiment que nature, sans grâce spéciale de Dieu, ne le sauroit supporter plus de dix-huit mois[234].

Louis Van Schore, qui avait contribué puissamment aux ré formes judiciaires et législatives de Charles-Quint, était mort à Anvers, le 25 février 1548, laissant vacantes les doubles fonctions de président du conseil d'état et du conseil privé, qu'il avait exercées jusqu'à son dernier jour. Après en avoir longtemps délibéré avec la régente, l'empereur résolut de séparer de nouveau ces deux charges. Par lettres patentes du 1er janvier 1549, il nomma Jean de Saint-Mauris, seigneur de Montbarrey, président du conseil d'état, et Viglius chef-président du conseil privé. Saint-Mauris, né à Dole, était professeur de droit à l'université de cette ville, lorsqu'il épousa Étiennette Bonvalot, sœur cadette de la femme de Granvelle, ce qui fut l'origine de sa fortune. Nommé conseiller au parlement de Dole par le crédit de son beau-frère, il fut appelé ensuite au conseil d'état, et, bientôt après, envoyé en qualité d'ambassadeur à la cour de France[235]. Viglius ab Aytta, né au château de Barrahuys, en Frise, le 19 octobre 1507, s'était distingué de bonne heure dans l'étude du droit. Après avoir occupé la chaire de l'illustre Alciat à Bourges, découvert et publié la paraphrase des institutes de Théophile, parcouru différentes contrées de l'Europe, servi l'évêque de Munster, rempli les fonctions d'assesseur près la chambre impériale de Spire, professé à Ingolstadt, défendu les droits de Charles-Quint sur la Gueldre, et les intérêts des Pays-Bas contre les prétentions de l'empire, il avait vu ses services récompensés par son admission dans le grand conseil de Malines et au conseil privé[236]. Nous retrouverons souvent cette grande figure dans la suite de cette histoire, où nous verrons Viglius mêlé activement aux luttes sanglantes qui vont bientôt déchirer la patrie.

L'empereur se trouva assez bien, au mois de février, pour solenniser l'anniversaire de sa naissance : il alla, le 24, suivi de toute sa cour, entendre la messe à .l'église de Saint-Dominique, et offrir, selon sa coutume, cinquante pièces d'or, nombre égal à celui de ses années. Il diva ensuite en public, mais bientôt sa santé empira de nouveau. Au mois de mars, la goutte l'attaqua d'abord à la tête, lui faisant souffrir d'atroces douleurs ; elle descendit ensuite au cou, puis aux genoux, remonta dans les bras et dans les épaules. Il resta à la diète pendant tout ce mois, usant de son remède habituel, le bois de china[237].

 

FIN DU QUATRIÈME VOLUME

 

 

 



[1] On ne pourrait exprimer, écrit Navagero au doge, les faveurs que l'empereur a faites au duc. II a voulu le faire manger à sa table ; il l'a eu sans cesse à ses côtés pendant le voyage, lui parlant familièrement et riant avec lui plus qu'il n'a l'habitude de le faire ; plusieurs fois même il est allé le trouver dans sa chambre. Dépêche du 23 septembre, de Cateau-Cambrésis.

[2] Dépêche du 25 septembre, de Cateau-Cambrésis.

[3] M. Henne, ouvrage cité, VIII, 241-242.

[4] 4.320 florins, selon l'Histoire de Bruxelles.

[5] M. Henne, ouvrage cité, VIII, p. 213.

[6] Histoire de Bruxelles.

[7] D'après F. Duchesne (Enzinas), De l'état du païs bas et religion d'Espagne.

[8] M. Gachard, Inventaires, II, 201.

[9] Lettres patentes du 1er mars 1546, datées de Maëstricht. Registre aux chartres de la chambre des comptes de Brabant, n° 139. Citation de M. Henne.

[10] M. Henne, ubi supra, p. 215-216.

[11] Dépêche du 18 janvier, de Bruxelles.

[12] Gaïac, Guajacum, genre de végétaux composée de grands arbres des Antilles, à bois très dur et à filioles coriaces. Le type du genre est le Gaïac, officinal, appelé vulgairement Bois de Gaïac : c'est un arbre de 15 mètres de hauteur, dont la médecine utilise le bois et l'écorce. On compose de la résine que ces parties renferment une teinture qui entre dans la composition de plusieurs sudorifiques puissants.

[13] Dépêche du 8 février.

[14] Dépêche du 27 mars, de Bruxelles.

[15] Una forse delle principali cause di questa sua indispositione sono li travagli della mente, écrivait Navagero au conseil des Dix, le 8 février.

[16] Voir, à ce sujet, dans les Papiers d'état de Granvelle, t. III, p. 78, le Discours et arraisonnements des considérations que l'on peult prendre sur l'alternative, etc. Note de M. Gachard.

[17] Voyez Lettres et Mémoires d'Estat, de Ribier, t. I, pp. 269, 291, 365, 468. Note de M. Gachard.

[18] Lettres et Mémoires d'Estat, de Ribier, t. I, pp. 509, 514, 520, 522. Note de M. Gachard.

[19] Historia de Carlos V, t. II, p. 380. Note de M. Gachard.

[20] Voyez le tome XII de son Historia general de España, publié en 1853. Note de M. Gachard.

[21] Cette lettre, dont l'original doit se trouver aux archives impériales de cour et d'état, à Vienne, est analysée dans les manuscrits du comte de Wynants. Note de M. Gachard.

[22] Dépêche du 10 janvier, de Gand. Note de M. Gachard.

[23] Dépêche du 17 octobre, de Bruxelles.

[24] On lit, dans une pièce de la main de Viglius, intitulée : Copie du billet que l'Empereur communiqua aux seigneurs principaux de par deçà, au mois d'avril XVe XLV, pour y penser, à Malines : L'Empereur, suyvant l'advis des principaux seigneurs des Pays-Bas, et soy conformant à icelluy, comme très raisonnable. a, par son ambassadeur résident en France, fait déclarer au roy très chrestien sa résolution de l'alternative des mariages mentionnez au derrenier traieté de paix d'entre S. M. I. et ledict seigneur roy, et accordé le mariage d'entre le duc d'Orléans et la seconde fille du roy des Romains, avecq l'estat de Milan, etc. (Archives du royaume, Collection de documents historiques, t. VII, fol. 143). Note de M. Gachard.

[25] Lettre de Saint-Mauris à la reine de Hongrie, analysée dans les manuscrits du comte de Wynants. Note de M. Gachard.

[26] Elle est dans Léonard, Traités de paix, t. II, p. 406-416 ; dans Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. II, p. 228, et dans les Papiers d'état de Granvelle, t. III, p. 87.

[27] Dépêche du 25 avril, d'Anvers.

[28] Dépêche du 25 avril, d'Anvers.

[29] Dépêche du 1er mai, d'Anvers. — M. Gachard remarque qu'en ce moment Granvelle était absent de la cour.

[30] Dans cette lettre écrite de Verneuil, le 28 mai, Saint-Mauris rapporte que le duc avoit dit à l'ambassadeur de Venise (à la cour de France) qu'il étoit parti aussi content qu'il eût pu le désirer de lui empereur, lequel lui avoit dit qu'il vouloit lui-même encheminer son affaire, sans l'entremise de ses ministres. Analyse empruntée par M. Gachard aux manuscrits du comte de Wynants.

[31] Lettre de Charles à Ferdinand, du 1er février 1545. Mss. du comte de Wynants.

[32] Journal de Vandenesse.

[33] Dépêche du 8 mai, de Cologne.

[34] Navagero avait précédé de quelques heures l'empereur à Worms. Il y trouva Domenico Morosini, accrédité par la sérénissime république auprès du roi des Romains ; les dépêches qu'ils adressèrent à leur gouvernement furent communes tant que dura la diète.

[35] Dépêche du 25 mai, de Worms.

[36] Lettre de Ferdinand à Charles-Quint, du 24 septembre, analysée dans les manuscrits du comte de Wynants. Note de M. Gachard.

[37] Faite en l'année 1514, la huitième du pontificat de Paul III. Note de M. Gachard.

[38] Dépêche du 23 janvier 1545, de Bruxelles.

[39] Lettre de Charles-Quint à Ferdinand, du 10 février 1545. Mss. du comte de Wynants.

[40] Sur l'Adige, à 186 km. S. d'Insprück ; c'est aujourd'hui une ville de 15.000 habitants. Paul III, par une bulle du 15 novembre 1544, y avait convoqué le concile pour le 15 mars suivant.

[41] Dépêche du 20 mai, de Worms. — Journal de Vandenesse.

[42] Dépêche du 20 mai.

[43] Dépêche du 28 mai.

[44] Dépêche du 28 mai. — Charles-Quint lui-même, dans une lettre du 2 juin à la reine Marie où il l'instruisait de la mission remplie par le cardinal Farnèse auprès de lui, disait : Touchant le concilie et la religion, l'on luy a amplement déclaré et fait entendre et apparoir évidemment la perplexité où l'on se trouvoit en ceste diète, et mesmes que les protestants persistoient obstinément d'estre asseurez par moy et les autres estatz de l'empire contre ledict concilie, avant que d'entendre en aucuns affaires de ceste Germanie, ny contre le Turcq ny aultres : dont ledict cardinal s'est montré esbahy, affirmant que Sa Saincteté ne sçavoit que les choses fussent en si mauvais termes ; et s'est party en diligence devers Sadicte Saincteté, pour regarder et sçavoir ce que s'y pourra faire.

[45] Papiers d'état de Granvelle, t. III, p. 106 et 108.

[46] Lanz, Correspondenz des kaisers Karl V, t. II, p. 435.

[47] Dépêche du 7 juin, de Worms.

[48] L'empereur répondait avec beaucoup de raison que cette objection était déraisonnable : Trente était une ville allemande, où leurs mandataires pourraient aller et d'où ils pourraient partir en toute liberté.

[49] Les articles dont il s'agit, au nombre de trente-deux, avaient été arrêtés par la faculté de théologie, à Louvain, le 6 décembre 1544, et l'empereur, par une ordonnance du 14 mars 1545, en avait prescrit l'observation dans toutes les provinces des Pays-Bas. Cette ordonnance est aux Placards de Brabant, t. III, p. 85, sous le titre de Articuli orthodoxam religionem sanctamque fidem nostram respicientes, a sacrœ theologiœ professoribus Lovaniensis universitatis editi, per sacratissimam Cœsaream Majestatem confirmati. L'article dont les protestants se plaignaient surtout était le 23e, ainsi conçu : Unus est Ecclesiæ summus pastor, cui omnes obedire tenentur : ad cujus judicium controversiæ quæ super fide et religione existunt, sunt referendæ. Note de M. Gachard.

[50] Dépêche du 7 juin.

[51] Dépêche du 12 juin, de Worms.

[52] Dépêche du 27 juin, de Worms.

[53] Lettre de Granvelle à la reine Marie, du 8 juillet.

[54] Dépêche du 20 juillet, de Worms. — Journal de Vandenesse.

[55] Dépêche du 21 juillet.

[56] Dépêche du 25 juillet, de Worms.

[57] Dépêche du 9 juin, de Worms.

[58] Dépêche du 20.

[59] Dépêche du 20 juin.

[60] Dépêche du 20 juin.

[61] Dépêche du 1er août.

[62] Le recès de la diète, rapporte M. Gachard, souffrit quelques difficultés, les catholiques disant qu'ils dépendaient du pape, et qu'ils ne voulaient ni ne pouvaient consentir au colloque, si le pape n'y consentait préalablement ; mais enfin, malgré leur opposition, il fut lu le 4 août.

[63] Schmidt, Histoire des Allemands, t. VII, p. 201. Citation de Gachard.

[64] Papiers d'état de Granvelle, t. III, p. 178.

[65] Lettre de Charles-Quint à Granvelle, du 30 août.

[66] Navagero parle spécialement de Bruges. Dépêche du 1er septembre, de Bruxelles.

[67] De Boussu, Histoire de Mons, 184.

[68] 23 juillet 1545. Reg aux dép et mand. des finances, n° 20738. Citation de M. Henne.

[69] 6 octobre 1545. Compte de P. E. de Mansfelt. Citation de M. Henne.

[70] Placard du 12 décembre 1545. Compte de J. B. de Werchin. Citation de M. Henne.

[71] Lettre de J. de Lyere à l'empereur, 28 juillet 1545. Correspondenz, II, 460.

[72] Histoire de Bruxelles.

[73] Lettre citée de J. de Lyere.

[74] Compte de J. de la Vichte.

[75] Dépêche du 1er septembre.

[76] Lettre de Saint-Mauris à l'empereur, du 28 mai, analysée dans les manuscrits du comte de Wynants. Citation de M. Gachard.

[77] Lettre de ces ambassadeurs à l'empereur, du 1er septembre. Citation de M. Gachard.

[78] Lettre de Saint-Mauris à l'empereur, du 9 et du 16 septembre. Citation de M. Gachard.

[79] Lettre citée de Saint-Mauris, du 16 septembre.

[80] Dépêche du 16 septembre, de Bruxelles.

[81] Lettre de Charles-Quint à Saint-Mauris, du 15 septembre, analysée dans les manuscrits du comte de Wynants.

[82] Dépêche du 16 septembre.

[83] Dépêche du 16 septembre.

[84] M. Gachard traduit : c'est un seigneur qui a toujours désiré de commander des armées. Nous ne pensons pas que ce soit là le sens de ce membre de phrase.

[85] Dépêche du 5 septembre, de Bruxelles.

[86] Dépêche du 27 septembre, de Bruxelles.

[87] Dépêche du 27 septembre, de Bruxelles.

[88] Dépêche du 27 septembre, de Bruxelles.

[89] Dépêche du 9 octobre, de Bruxelles.

[90] Dépêche du 21 novembre, d'Anvers.

[91] Dans une lettre de Granvelle à l'empereur, du 31 août (Mss. du comte de Wynants), ce ministre lui dit que ses médecins s'étonnaient qu'il ne fût pas tombé en une plus grave maladie, étant rempli de mauvaises humeurs engendrées par les colères et mélancolies que les affaires lui avoient données depuis longtemps.

[92] Dépêche de Navagero, du 23 septembre, de Bruxelles.

[93] Dépêche de Navagero, du 23 septembre, de Bruxelles.

[94] Dépêche du 30 novembre, d'Anvers.

[95] Lettre de Charles-Quint à Saint-Mauris, du 25 novembre.

[96] Dépêche citée du 30 novembre.

[97] Histoire de l'ordre de la Toison d'or, par le baron de Reiffenberg, p. 396-400.

[98] Dépêche du 30 novembre, d'Anvers.

[99] Dépêche du 18 décembre, de Bois- le-Duc.

[100] Journal de Vandenesse.

[101] M. Henne, ouvrage cité, VIII, 274-275.

[102] Journal de Vandenesse.

[103] Cette lettre, datée du 16 février 1516, à Venloo, est dans les Documente zur Geschichte Karl's. Philipp's II, und ihrer zeit, publiés par Döllinger, p. 40. Note de M. Gachard.

[104] Relation inédite de Mocenigo sur Charles-Quint. Citation de M. Gachard. — C'était alors un rude métier, dit le savant archiviste, que celui d'ambassadeur, surtout auprès d'un prince tel que Charles-Quint, qui était toujours en route, quand la goutte ne le clouait pas dans son lit. Aussi, depuis longtemps, Navagero sollicitait son rappel. Au mois de janvier 1545, il avait renouvelé ses instances, invoquant le mauvais état de sa santé, mais sans parvenir à convaincre le sénat. Nouvelles instances au mois de septembre, avec prière de hâter l'arrivée de son successeur, car on eût dit qu'il avait le pressentiment de ce qui allait lui advenir. En se rendant de Harlem à Nimègue, il fut pris d'une fièvre si violente qu'à grand'peine il put continuer sa route jusqu'à Nimègue. Là son état devint tellement grave que Charles-Quint, en quittant cette ville, voulut y laisser un de ses plus habiles médecins, le docteur Vésale, afin de donner ses soins au malade. Vésale était grand serviteur de la république de Venise, se ressouvenant qu'il avait acquis à l'université de Padoue la réputation dont il jouissait ; il était de plus ami particulier de l'ambassadeur. Dépêche du 14 février, de Nimègue. La fièvre retint deux mois Navagero à Nimègue. Quoique non encore entièrement rétabli, il remonta le 11 avril le Rhin jusqu'à Cologne. A Cologne, il prit un bateau qui le conduisit à Francfort. De là, consultant plus son zèle pour le service de la république que ses forces, il se fit transporter en chariot à Nuremberg. Il arriva enfin à Ratisbonne dans les premiers jours de mai, et y trouva son remplaçant à la cour impériale. C'était Alvise Moncenigo, successivement sage aux ordres, capitaine de Vicence et sage de Terre-Ferme, qui avait été nommé ambassadeur ordinaire de la république près de Charles-Quint, le 29 septembre de l'année précédente. Navagero ne put toutefois, à cause de la fièvre qui ne l'avait pas abandonné, prendre immédiatement congé de l'empereur, et, pendant tout le mois de mai, il signa, avec Mocenigo, les dépêches que celui-ci envoya à Venise, et, par ce motif, il en garda copie.

[105] Les théologiens catholiques étaient Pedro Malvenda, Espagnol, docteur de Paris ; Éverard Billiek, carme ; Jean Hoffmeisters, augustin, et Jean Cochlée. Les protestants étaient Bucer, Brentius, Georges Major et Érard Schnepff. Chacun d'eux était accompagné d'un assistant.

[106] Il avait récemment embrassé le luthéranisme. En se faisant excuser auprès de l'empereur de ne pouvoir venir à la diète par suite d'une indisposition, ce prince ajoutait : Dites à l'empereur que j'ai changé la religion et le mode de faire le service divin dans les églises, comme vous pouvez le voir et comme le devrait faire tout bon chrétien. (Dépêche du 17 mai, de Ratisbonne). C'est l'expression naïve ou cynique, comme on voudra, de ce principe adopté par les gouvernants protestants d'alors : cujus est regio, hujus est religio. Jamais l'oppression des consciences n'a été avouée avec un pareil sans-gêne.

[107] Dépêche du 25 mai, de Ratisbonne. — Lettre de Charles-Quint à la reine Marie du 9 juin 1546, dans Lanz, t. II, p. 486.

[108] Dépêche du 30 mai, de Ratisbonne. — La maison de Saxe est divisée en deux branches ou deux lignes, selon l'expression consacrée. Albert de Saxe, aïeul de Maurice, était le second fils du duc Frédéric II, mort en 1464, et tige de la branche ou de la ligne appelée Albertine de son nom, laquelle règne encore aujourd'hui en Saxe ; Ernest, le frère aîné d'Albert, était l'aïeul de l'électeur Jean-Frédéric, et chef de la ligne Ernestine, aujourd'hui partagée entre les maisons de Saxe-Meiningen, de Saxe-Altenbourg et de Saxe-Cobourg-Gotha.

[109] D. Luiz d'Avila, Comentario de la guerra de Alemaña, fol. 5 v°. Citation de M. Gachard.

[110] Dans sa relation, Mocenigo rapporte que Charles-Quint ne voulut pas d'abord entendre parler de cet accord avec Maurice, par la raison que celui-ci était un luthérien enragé (lutheranissimo), et qu'il avait pour femme une fille du landgrave, lequel il honorait et respectait comme un père. Mocenigo ajoute : Cette résolution (de traiter avec Maurice) fut véritablement la plus prudente et la plus avantageuse que l'empereur eût pu prendre, car on peut dire que la victoire obtenue par S. M. en fut en grande partie le résultat.

[111] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. II, pages 314 et suivantes.

[112] Nous continuerons à suivre, dans ces détails, M. Gachard. Le récit que nous donnons de la guerre d'Allemagne, dit ce laborieux écrivain, est emprunté principalement au Comentario de D. Luis de Avila y Cuñiga, imprimé à Anvers en 1549 (83 ff. petit in-8°) ; à la Relation d'Alvise Mocenigo, qui la raconte jour par jour et qui était à la suite de l'empereur ; enfin aux Commentaires de Charles-Quint.

[113] Mocenigo. — Selon d'Avila, les protestants avaient 14.000 piétons et 1.000 chevaux avec 28 pièces d'artillerie.

[114] Ce sont les chiffres que donne Mocenigo. Selon d'Avila, les protestants avaient 70.000 à 80.000 piétons, 9 à 10.000 chevaux et 130 pièces d'artillerie. — Mocenigo fait cette observation que, pendant la guerre, on disait l'armée de la ligue plus forte qu'elle ne l'était réellement.

[115] Commentaires, p. 129. — Je l'entendis souvent dire, rapporte d'Avila, que, mort ou vif, il demeurerait en Allemagne.

[116] Lettre adressée au duc de Savoie Charles III, le 16 août 1546, par le comte de Stroppiana, son ambassadeur auprès de l'empereur. J'aurai l'occasion plus d'une fois encore, dit M. Gachard, de citer la correspondance de Stroppiana, que M. le comte Giuseppe Greppi, ministre d'Italie à la cour de Munich, a fait connaître par d'intéressants extraits insérés au tome XII, 2e série, des Bulletins de la Commission royale d'histoire de Belgique.

[117] Mocenigo écrivait à Venise. — Charles-Quint, dans ses Commentaires, ne donne pas une telle importance à la chose : Pendant toute cette nuit qui ne se passa pas sans quelque bruit, parce que la multitude qui suivait pouvait difficilement durant l'obscurité reconnaître ses quartiers, l'empereur fit creuser des tranchées autant que le temps le permit, etc. — D'Avila s'exprime ainsi : Il me paraît, sauf meilleur jugement, que si les ennemis eussent marché ce jour-là et nous eussent attaqués en chemin, ils auraient pu nous mettre en grand hasard.

[118] C'est la distance donnée par Mocenigo. D'après Stroppiana, dans sa lettre du 6 septembre, elle aurait été d'un demi-mille seulement : un mezzo miglio. Dans ses Commentaires, Charles-Quint dit que l'ennemi s'avança jusqu'à une portée de canon.

[119] Mocenigo.

[120] Quarante-neuf d'après Stroppiana ; selon Mocenigo, trente-deux seulement, dont huit crevèrent pendant l'action.

[121] Stroppiana. — D'Avila dit la même chose en d'autres termes : L'artillerie des protestants tirait avec tant de furie qu'il semblait véritablement qu'il plût des boulets.

[122] Mocenigo dit qu'il n'y eut personne dans l'armée impériale qui n'avouât avoir eu plus de peur ce jour-là qu'en aucune autre circonstance de sa vie. — Stroppiana dit que le cœur trembla à plus de trois. — Il n'y a pas là de contradiction avec le témoignage de l'empereur : le courage, le sentiment du devoir, la force morale, en un mot, avaient dominé l'impression physique.

[123] Stroppiana. — Mocenigo rend le même témoignage à la bravoure de l'empereur.

[124] Mocenigo estime les pertes en tués et blessés à trois cents hommes environ.

[125] C'était une partie de la cavalerie d'Albert de Brandebourg, du duc Henri de Brunswick et du grand-maître de Prusse, qui n'avait pu traverser les pays occupés par les protestants.

[126] M. Henne, VIII, 293.

[127] M. de Buren marcha passé six jours et a la plus belle armée que on scauroit veoir, souffisante pour battre tout le monde pour ung jour. Je le tiens aujourd'hui passé Coblens ; je ne scais quel chemin il ira, mais selon le rapport de tous qui l'ont vu marcher, quand il sera passé la rivière, il passera partout où il voudra en despit des ennemis, oires qu'ils fussent en plus grand nombre, car ses gens sont à l'eslite, et a cassé tout ce que sembloit non aguerroyé, et il n'y a point une enseigne qui n'ait soubz elle souldars qui aultrefois ont esté capitaines. Son armée est de douze mille testes et de plus de cinq mille chevaulx et douze pièces d'artillerie ; chacun dist que c'est la plus belle trouppe que l'on pouvroit veoir. Lettre du président Van Schoore à Viglius, du 14 août 1546. Reg. Coll. de doc. hist., VII, f° 465. Citation de M. Henne.

[128] Sa jambe était soutenue par un linge au lieu d'étriers, dit D'Avila.

[129] Dans sa lettre du 6 septembre, Stroppiana dit que leur solde ne suffisait pas pour le vin qu'ils buvaient.

[130] Commentaires de Charles-Quint, p. 161.

[131] Mocenigo.

[132] P. 163.

[133] Mocenigo trace ce triste tableau de l'armée de Charles-Quint en ce moment là : J'ai vu en divers endroits des soldats rester par les chemins et dans la boue, les uns par maladie, d'autres par faiblesse, car ils n'avaient pas de pain à manger, et plusieurs ressemblaient plutôt à des momies qu'à des corps vivants, tant ils étaient desséchés et noircis par le froid... Je me rappelle encore avoir vu, dans des bois, trois, quatre et cinq soldats morts sur place autour d'un feu éteint : ce qui certes était un affreux spectacle.

[134] Commentaires, p. 171-172. — L'empereur, dit Mocenigo, voulait poursuivre la victoire sans attendre le printemps, où il voyait très bien qu'il pourrait être empêché par plusieurs et que les ennemis se pourraient remettre ensemble. — François Ier, ajoute M. Gachard, en apprenant les succès de l'empereur, en avait été irrité au point qu'il avait défendu qu'on lui en parlât et qu'il était resté trois jours dans sa chambre, sans dîner en public. Lorsqu'il sut que la rigueur de la saison n'empêchait pas l'empereur de poursuivre les opérations militaires, il en témoigna sa surprise, disant que c'était agir contre les lois de la guerre. (Lettres de l'ambassadeur Saint-Mauris à Charles-Quint, des 1er et 14 janvier 1517).

[135] Mocenigo.

[136] Il en déduit les raisons dans une lettre du 9 janvier 1547 à son frère Ferdinand. J'ay, avant d'y condescendre, dit-il, pensé et repensé là dessus et le pesé beaucoup. Lanz, t. II, p. 524.

[137] D'Avila. — M. Gachard rappelle que Charles-Quint ne savait pas l'allemand.

[138] Lettre de Charles à Ferdinand du 19 février 1547, dans Lanz, t. II, p. 539.

[139] Lettre de l'évêque d'Arras à son père du 12 février 1547, dans les Papiers d'état de Granvelle, t. III, p. 240.

[140] Commentaires de Charles-Quint, p. 178.

[141] Le marquis occupait, avec dix-huit cents chevaux et dix enseignes d'infanterie, Rochlitz, sur la frontière de Saxe, appartenant à une sœur du landgrave de liesse. Cette dame lui témoignait beaucoup d'amitié, lui offrait des banquets et des bals ; en même temps elle donnait avis de tous ses mouvements, du nombre et de la qualité de ses gens, au duc de Saxe, qui était à trois lieues de là avec des forces supérieures. L'un des premiers jours du mois de mars, elle invita le marquis et ses principaux officiers à un festin, où elle fit si bien qu'ils s'enivrèrent. Les Saxons avertis se mirent en marche avant le jour et arrivèrent à Rochlitz, lorsque Albert était encore au lit. Il se leva précipitamment et combattit avec courage à la tête de ses troupes ; mais il ne put tenir contre les assaillants. Il perdit dans cette affaire quatre à cinq cents hommes morts ou pris ; lui-même fut fait prisonnier. Le duc Jean-Frédéric l'envoya à Gotha, Note de M. Gachard.

[142] Lettre de Baersdorp à la reine Marie du 25 juillet 1547, aux archives impériales de Vienne. — Lettre de Charles à la reine, du 20 mars, dans Lanz, t. II, p. 552.

[143] Les meilleurs cavaliers du monde, dit D'Avila.

[144] C'est ce qui ressort des dépêches du sr de Saint-Mauris, ambassadeur de Charles-Quint en France.

[145] Lettres de Saint-Mauris des 5 et 22 juillet 1546.

[146] Lettres de Saint-Maurice des 19 août, 25 novembre 1546 et 1er janvier 1547. — Dans une lettre de François Ier au sr de Saintail, son ambassadeur en Allemagne, du 17 mars 1517, le monarque français disait, parlant de l'électeur et du landgrave, qu'ils le trouveront leur bon, certain et entier amy à leur besoin. — Le jugement de M. Gachard sur François Ier se lit dans la Biographie Nationale, t. III, col. 731-732.

[147] L'Histoire de France racontée à mes petits enfants, t. III, p. 126-127. — L'ambassadeur Marino Cavalli, dans un rapport au sénat de Venise, cité par M. Guizot, et où ce diplomate fait d'ailleurs un portrait flatteur de François Ier, dit de lui : Son tempérament est robuste, malgré les fatigues excessives qu'il a toujours endurées, et qu'il endure encore dans tant d'expéditions et de voyages. Il mange et boit beaucoup, il dort encore mieux, et, qui plus est, il ne songe qu'à mener joyeuse vie... Autant ce roi supporte bien les fatigues corporelles et les endure sans jamais plier sous le fardeau, autant les soucis de l'esprit lui pèsent, et il s'en décharge presque complètement sur le cardinal de Tournon et sur l'amiral Annebault.

[148] L'Histoire de France racontée à mes petits enfants, t. III, p. 214.

[149] Mocenigo.

[150] D'Avila. — Mocenigo ne donne à l'électeur que deux mille cinq cents hommes d'infanterie et autant de cavalerie ; mais il est évident qu'il se trompe, dit M. Gachard.

[151] Ce fut à cinq heures du soir que Charles reçut cet avis, et Dieu sait, dit-il dans ses Commentaires, p. 183, combien il se repentit de s'être arrêté ce jour-là, parce qu'il lui semblait que le lendemain il serait trop tard pour atteindre les ennemis. Mais Dieu y pourvut par sa bonté. — Plus loin, p. 84, il dit encore : Afin de balancer et de réparer la faute qu'il croyait avoir commise en ne se mettant pas en route ce jour-là, il voulait partir, sans hésiter, à l'heure même avec toute son armée, laissant en arrière les hommes inutiles et les bagages, mais en cela il trouva des contradicteurs, et voyant que leur opinion était raisonnable, il résolut de remettre le départ au lendemain.

[152] Commentaires, p. 185.

[153] Lettre de Charles à la reine Marie, du 25 avril. D'après la relation insérée dans les Papiers d'état de Granvelle, les enseignes saxonnes n'étaient qu'au nombre de sept.

[154] Six, d'après la lettre de Charles à Marie du 25 avril, dix, suivant D'Avila, trois seulement, d'après la relation des Papiers d'état de Granvelle. Dans ses Commentaires, Charles-Quint dit : quelques arquebusiers espagnols.

[155] D'Avila ajoute que cet homme voulait se venger des soldats de l'électeur, qui, la veille, lui avaient pris deux chevaux.

[156] Cette action de l'empereur, dit Mocenigo, fut réputée de tout le monde un acte de grand courage ; plusieurs de ses gentilshommes avouaient qu'ils avaient eu une très grande peur dans le passage de l'Elbe, et que, si l'empereur ne leur avait donné l'exemple, jamais ils n'auraient osé s'exposer à tant de péril. — D'après D'Avila, dans l'endroit où passa la cavalerie impériale, la rivière avait trois cents pas de largeur ; le fond était bon, mais la profondeur était telle que les cavaliers avaient de l'eau jusqu'au dessus des genoux ; il y avait même des endroits où les chevaux durent nager. Ces dernières circonstances sont rapportées aussi par Mocenigo.

[157] L'électeur assistait au prêche quand on vint lui dire que l'empereur traversait l'Elbe ; il n'en voulut pas moins entendre le sermon jusqu'à la fin. C'est ce que rapporte Mocenigo. D'Avila s'exprime ainsi à ce propos : On dit que, quand l'empereur arriva au gué, le duc entendait le sermon selon la coutume des luthériens ; mais je pense qu'après avoir su notre venue, le temps qu'il consuma encore à entendre son prêcheur ne dut pas être long. (Commentario, fol. 63).

[158] Mocenigo.

[159] Vine y vi y Dies vinciô. D'Avila, fol. 69.

[160] D'Avila rend hommage à la constance que Jean-Frédéric montra dans son infortune, Commentario, fol. 69.

[161] L'évêque d'Arras écrivait le 25 avril à la reine Marie : A ce que je puis appercevoir, S. M. a voulonté de tost faire trancher la teste à Jehan-Frédéric de Saxe. Archives impér. à Vienne.

[162] Le secrétaire Bavo écrivait à la reine Marie le 21 mai : Il y a eu de la payne beaucoup avant que venir en ces termes, car le personnaige qui n'est amy des Mendis a fait tout ce qu'en luy a esté pour l'empescher et faire mourir le prisonnier, et en avait gagné deux à sa part : mais messieurs le duc d'Albe et d'Arras y sont esté contraires, y ayant fait très bon office. (Arch. impér. de Vienne.) — Sleidan, de Thou, Robertson, Sismondi et d'autres historiens parlent d'une sentence de mort qui aurait été rendue contre l'électeur de Saxe ; Robertson et Sismondi font rendre cette sentence par une cour martiale ou un conseil de guerre composé d'officiers espagnols et italiens et que présidait l'impitoyable duc d'Albe, instrument toujours prêt à servir pour un acte de violence. Nous ne savons sur quel témoignage ces historiens se sont fondés pour avancer ce fait. On vient de voir que l'impitoyable duc d'Albe contribua, au contraire, à ce que la vie fût conservée à Jean-Frédéric, et dans les correspondances des ministres de Charles-Quint avec la reine Marie qui sont aux archives de Vienne, il n'y a pas un mot qui se rapporte soit à une sentence qui aurait été rendue contre ce prince, soit à un tribunal qui aurait été réuni pour le juger. Note de M. Gachard.

[163] Archives impériales à Vienne.

[164] Lettre de Charles à Ferdinand du 1er juin 1547, dans Lanz, t. II, p. 572. — Relation de ce qui s'est passé au sujet de la prinse du landgrave de Hesse, Ibid., p. 589. — L'évêque d'Arras écrivait à la reine Marie, le 20 mai, du camp devant Wittemberg : S. M. est délibérée passer outre contre le landgrave, en cas qu'il ne viengne en appointement, comme il se démonstre fort désirer et en fait grand instance le duo Mauris. Archives impériales à Vienne.

[165] Dans la Relation de ce qui s'est passé, etc., (page 592), on lit que les deux électeurs eux-mêmes firent dresser cet écrit, et qu'il fut accepté par l'empereur, sans y adjouter n'y diminuer une syllabe. Si cela est vrai, comme il y a lieu de le croire, — surtout en présence des pièces que donne Bucholtz (Geschichte der Regierund Ferdinand des Ersten, t. IX, pp. 425 et 426), c'est-à-dire des articles d'accommodement que Maurice et Joachim proposèrent à l'empereur le 2 juin, et de la lettre écrite par Charles au roi Ferdinand le 12 — la conduite de ces princes paraît encore plus inexplicable. — On a accusé le cardinal de Granvelle, sans que jamais on en ait administré la preuve, d'avoir, dans l'écrit que signa l'empereur, substitué au mot einige (aucune) celui de ewige (perpétuelle). Mais comment une aussi audacieuse et aussi indigne supercherie aurait-elle échappé aux deux princes, lorsque cet écrit leur fut délivré ? Note de M. Gachard.

M. Henne dit aussi : Les historiens protestants et les historiens français ont accusé Charles-Quint d'avoir employé un stratagème infâme pour s'emparer de la personne de ce prince (le landgrave). Ils rapportent que, dans la convention pour amener le landgrave aux pieds de l'empereur, Granvelle substitua aux mots einige Gefangenschaft (quelque détention) ceux de ewige Gefangenschaft (détention perpétuelle). Mais cette odieuse imputation est démentie par les détails donnés par ce ministre sur les négociations qui amenèrent cette convention. Voir les lettres qu'il écrivit à ce sujet à Marie de Hongrie, le 20 et le 21 juin 1547. Documents relatifs à la réforme, et Reg. Coll. de doc. histor., VII, f° 219. Règne de Charles-Quint en Belgique, t. VIII, p. 307-308 en note.

[166] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, part. II, p. 336. — Ces actes sont du 4 juin.

[167] D'Avila, fol. 76.

[168] Dans une lettre écrite à Côme de Médicis, le 20 juin 1547, par Bartolomeo Concino, son chargé d'affaires à la cour impériale, on lit : Allo quali parolo havendo reso lantgravio quelle gratie che si convenivano... Archives de Florence.

[169] Il déclara, à cette occasion, que plutôt que de faillir à sa parole, il était prêt à rompre le traité fait avec le landgrave, à le mettre en liberté et à reprendre les opérations militaires contre lui, nonobstants le temps et l'occasion perdue, encoires qu'il luy deust couster ung royaulme. Relation de ce qui s'est passé, etc., p. 594.

[170] L'envoyé de Côme de Médicis lui écrivait le 22 juin : Les électeurs de Brandebourg et de Saxe, ayant reconnu que la fauté en est à eux, pour n'avoir pas bien interprété la concession de la grâce que l'empereur leur fait en dispensant le landgrave d'un emprisonnement perpétuel, se sont apaisés, et, convaincus de leur erreur, ont maintenant recours aux prières.

[171] Lanz, t. II, pp. 586-588, 593-594. — Journal de Vandenesse. — Les pièces publiées par Bucholtz et par Lanz réduisent à néant le reproche que Robertson fait à Charles-Quint d'avoir trompé les électeurs de Brandebourg et de Saxe sur ses intentions à l'égard du landgrave, et les réflexions de l'historien anglais à propos de cette honteuse perfidie. — Dans sa relation au sénat de Venise, Mocenigo se fait l'écho du bruit qui était alors très répandu en Allemagne, et d'après lequel Charles ou ses ministres auraient promis aux deux électeurs qu'il ne retiendrait pas prisonnier le landgrave : L'empereur, il est vrai, dit-il, affirme que jamais il ne fit telle promesse, mais seulement celle de ne pas réduire le landgrave à une prison perpétuelle, d'où l'on infère que quelques paroles allemandes à double sens, dites dans les pourparlers qui eurent lieu, peuvent avoir prêté à une équivoque. Mocenigo ajoute : Ce qui est certain, c'est que jamais l'empereur n'avait voulu auparavant consentir à traiter avec le landgrave, à moins que la personne de ce prince ne fût remise à la discrétion de Sa Majesté. Note de M. Gachard.

[172] François Chieregati, d'une noble famille de Vicence, évêque de Jeramo, dans les Abruzzes. Le pape Adrien l'avait chargé de déterminer les princes allemands à faire la guerre aux Turcs et à se prononcer nettement contre Luther, qui devenait de plus en plus audacieux. Sa mission ne fut pas heureuse ; il se montra timide et s'humilia par des prières là où il fallait une parole énergique et décisive ; il se laissa aller à des aveux intempestifs sur les causes des maux qui affligeaient l'Église : ces aveux, dans la disposition d'esprit où l'on était en Allemagne, n'étaient propres qu'à accroître les tendances à la rébellion contre le Saint-Siège, malheureusement trop dominantes dans ces contrées.

[173] Bucholtz, Histoire du règne de Ferdinand Ier, t. III, p. 657.

[174] Raumer, Histoire de l'Europe depuis la fin du XVe siècle, t. I, p. 425.

[175] Riffel, Histoire de l'Église chrétienne des temps modernes, t. II, p. 485.

[176] Riffel, Histoire de l'Église chrétienne des temps modernes, t. II, p. 489.

[177] Riffel, Histoire de l'Église chrétienne des temps modernes, t. II, p. 493.

[178] Pierre Vorstius ou Vander Vorst était anversois. Élève de Louvain, il avait suivi en Espagne son ancien professeur Adrien Florent Boyensi et il devint son chapelain domestique, quand ce dernier fut élevé à la papauté. Clément VII le nomma auditeur de Rote pour la nation germanique (auditor causarum palatii apostolici), et Paul III lui conféra l'évêché d'Acqui, suffragant de la métropole de Milan. Envoyé en qualité de nonce en Allemagne, il fut accueilli très favorablement par le roi Ferdinand et par les princes et prélats catholiques, mais les protestants lui signifièrent leur opposition au concile dans l'assemblée de Smalcalde, où Vorstius s'était rendu. Les détails de l'itinéraire du nonce, depuis le 6 novembre 1516 jusqu'au 23 juillet 1537, sont relatés dans le journal de son secrétaire Corneille Ellenuis. Mgr de Ram a publié ce journal dans les Mémoires de l'Académie sous ce titre : Nonciature de Pierre Vander Vorst d'Anvers, évêque d'Acqui, en Allemagne et dans les Pays-Bas, en 1536 et 1537 ; M. Arendt en a inséré une analyse dans l'Annuaire historique de Frédéric von Raumer, Historisches Tasschenbuch ; zehñter Jahrgang. Leipzig, 1839, pp. 465-556.

[179] Jérôme Aléander, né le 13 février 1480 à Motta, près de Trévise, en Lombardie, est très connu dans l'histoire de la réforme. Il était très versé dans la connaissance des langues classiques et orientales, dans la théologie aussi bien que dans la musique et dans les mathématiques. Après avoir longtemps enseigné la philologie à Venise et s'être lié avec Érasme, il fut appelé à Paris par Louis XII, et y conquit rapidement une grande renommée par la supériorité de son enseignement. Érard de la Marck l'attira à Liège en 1514 ou 1515, le fit son chancelier et chanoine de sa cathédrale. Nommé plus tard bibliothécaire du Vatican par Léon X, Aléander fut envoyé comme nonce en Allemagne, et y remplit sa mission en 1520 avec un zèle infatigable. Il chercha avant tout à faire prendre des mesures énergiques et décisives contre les novateurs, ce qui le brouilla avec Érasme. Il remplit d'autres missions du même genre avec un zèle égal, et conserva constamment l'amitié de Léon X et de ses successeurs Adrien VI et Clément VII. Paul III le créa cardinal en 1538. Aléander mourut à Rome le 11 janvier 1542. Il est auteur d'un lexique grec-latin et de poésies religieuses.

[180] Riffel, Histoire de l'Église chrétienne des temps modernes, t. II, p. 528.

[181] Pallavicini, Histoire du concile de Trente.

[182] C'était en ce moment Christophe de Madruz, cardinal, évêque de Trente et de Brixen, qui jouit d'une grande autorité au concile.

[183] Rien de plus touchant que ces représentations du Saint-Père à l'empereur. Charles-Quint, il faut lui rendre cette justice, accueillit avec un respect filial les plaintes du vieux pape. Excepit benevola mente pontificia monita Cæsar, dit le continuateur de Baronius.

[184] Un écrivain sérieux et très au courant des choses explique ainsi la conduite des légats : Il faut reconnaître que les circonstances ne rendaient pas la translation absolument nécessaire ; cependant on manquerait à la vérité historique si l'on prétendait que cette épidémie n'était qu'un prétexte allégué par les légats. La maladie et lés circonstances générales étaient de nature à faire hésiter si l'on resterait ou si l'on partirait. Les motifs qui décident en général dans des cas de ce genre exercèrent nécessairement aussi leur influence sur les légats. Le pape était vieux, infirme ; on s'était plusieurs fois déjà attendu à sa mort. Comment le concile aurait-il pu continuer pendant la vacance du Saint-Siège ? N'était-il pas à craindre que l'empereur n'exerçât cette fois une influence abusive sur l'élection du pape et ne voulût ensuite faire peser le choix nouveau sur le concile ? L'empereur, abstraction faite de cette crainte, n'avait-il pas entravé jusqu'alors la liberté du concile ? Les légats ne pouvaient ignorer que l'empereur plaçait les intérêts politiques avant ceux de la religion, à en juger d'après sa conduite dans la guerre de Smalcalde. On peut par conséquent voir à bon droit dans la résolution des légats une courageuse défense de la liberté de l'Église, le désir de ne pas livrer le fond même de la question, et de ne pas faire dépendre les décrets du concile et l'élection du pape des décisions de l'empereur, tout en reconnaissant que les légats se défiaient trop du caractère de Charles-Quint, jugeaient trop superficiellement ses démarches, et n'examinaient pas si les actes extérieurs du prudent empereur n'avaient pas pour motifs, outre l'intérêt politique, un intérêt profondément religieux. Dictionnaire encyclopédique de la Théologie catholique, traduit de l'allemand, t. XXIV, p. 108.

[185] François Sfondrate ou Sfondrati, né à Crémone en 1593, enseigna pendant plusieurs années le droit civil dans les universités de Padoue, Pavie, Bologne, Rome et Turin. François Sforza et Charles-Quint se servirent de son habileté dans les affaires pour diverses négociations politiques. L'empereur récompensa ses services en le nommant gouverneur de Sienne. Il administra si prudemment cette ville, divisée par l'esprit de parti, que la république lui décerna le titre de père de la patrie. Après la mort de sa femme, Anna Visconti, Sfondrate entra dans l'état ecclésiastique et obtint du pape Paul III le siège de Crémone. Peu de temps après, il fut créé cardinal. Il mourut à Crémone, le 31 juillet 1550. On a de lui un poème intitulé : De raptu Helenæ, poema hervicum, libri III.

[186] Henri VIII, après avoir, poussé par une passion impudique, précipité l'Angleterre dans le schisme, était mort dans la nuit du 28 au 29 janvier 1547 ; son fils Édouard VI régnait à sa place.

[187] Il avait dit quelque temps auparavant, ajoute en note M. Gachard, au nonce résidant à sa cour, que non seulement il ne prendrait pas les armes pour le pape contre le roi d'Angleterre, mais qu'il ne les prendrait pas en sa faveur contre le plus méchant homme du monde. Voir sa lettre du 17 mars 1547 à D. Diego Hurtado de Mendoza, dans Karl V de Maurenbrecher, p. 99.

[188] Tous ces détails de la conversation de Charles-Quint avec le cardinal Sfondrate nous sont fournis par le comte de Stroppiana, dans une lettre du 5 juillet 1547 au duc de Savoie Charles III. Stroppiana les tenait du prince de Piémont, Emmanuel-Philibert, qui était présent à l'audience que l'empereur donna au légat. Note de M. Gachard. De longs extraits de la correspondance diplomatique de Jean-Thomas de Langosco, comte de Stroppiana, et de Claude Malopera, ambassadeurs du duc de Savoie à la cour de Charles-Quint, de 1546 à 1559, ont été publiés par le comte G. Greppi dans les Bulletins de la commission royale d'histoire, 2e série, t. XII, pp. 117-270. — Cette correspondance, au moment de la publication, reposait aux Archives générales du royaume de Sardaigne.

[189] Son médecin, le docteur Baersdorp, écrivait, le 14 août 1547, à la reine Marie : Toute ma difficulté est sa subjection de ses voluntez. Je ne luy puis donner ce que convient sans en user grande industrie, jusques à le mettre qu'il le demande mesmes, et que je face semblant à priser son intention, en moy y accordant. Archives impériales à Vienne.

[190] Journal de Vandenesse. — Sommaire de la proposition faite par l'empereur aux estatz de l'Empire assemblez en la cité d'Augspurch, le premier de septembre 1547. (Archives impér. à Vienne). — Cette proposition était l'ouvrage de Granvelle et de l'évêque d'Arras, son fils. Granvelle écrivait, le 1er septembre, à la reine Marie, qu'il avoit été assez empesché pour la dresser, et tant plus pour les divers advis que l'on a baillé pour l'importance de l'affaire. Et y en y avoit qui vouloient obliger l'empereur à faire célébrer le concile à Trente et que l'on proposast précisément que tout le différend de la religion y fût remis, avec submission de tous les estatz, et que cependant l'ancienne religion se observast d'oires en avant par toute ceste Germanie. Mais S. M. l'a mieulx entendu, et je suppose que ceulx qui se veullent demonstrer par parolles et, par adventure, par faulte de bon jugement et expérience, meilleurs catholiques que les aultres, me publieront aultre fois pour luthérien et mon filz aussi. Toutesfois, ny pour cela délaisserayje de dire tousjours plainement ce qu'il me semble pour le service de Sa Majesté, que je tiens estre celuy de Dieu. (Arch. impér. à Vienne). Note de M. Gachard. — Les paroles de Granvelle nous semblent très significatives. Même dans les choses religieuses, on tient le service de Sa Majesté être celui de Dieu, et l'on agit en conséquence. Qui s'étonnerait, après cela, de voir le pape témoigner de la méfiance et craindre l'absolutisme impérial jusque dans le domaine des croyances et de la discipline ecclésiastique !

[191] Expressions de Granvelle dans une lettre du 4 novembre à la reine Marie.

[192] Ces instructions, datées du 18 janvier 1548, ont été données par Sandoval, l. XXX, § 5, et reproduites, avec une traduction française, dans les Papiers d'état de Granvelle, t. III, pp. 267-318.

[193] Ce fait était resté, croyons-nous, dit M. Gachard, ignoré jusqu'ici ; il est consigné dans une dépêche qu'adressa de Bruxelles, le 15 août 1553, au pape Jules III, le cardinal d'Imola, son légat près de Charles-Quint, dépêche que nous avons vue aux archives du Vatican. Voici à quelle occasion le cardinal le rapporte. A la mort de Maurice, la cour de Rome aurait souhaité que l'empereur transférât l'électorat de Saxe à un prince catholique ; le légat entretint de cet objet l'évêque d'Arras (depuis cardinal de Granvelle). Perrenot lui répondit qu'il était impossible de satisfaire au vœu du pape. Pour l'en convaincre, il lui rapporta ce qui s'était passé lors de l'investiture de Maurice... — Biographie nationale. — Maurice mourut en 1553, ne laissant qu'une fille, Anne de Saxe, qui fut la seconde femme de Guillaume le Taciturne. Le frère de Maurice, Auguste, lui succéda dans l'électorat.

[194] M. Gachard cite, à propos de l'Intérim, un long passage de Robertson, dans lequel cet historien protestant et rationaliste, très peu lu du reste aujourd'hui, apprécie à sa façon cet acte de Charles-Quint. M. Gachard n'a pas toujours la main heureuse en pareil cas, et ce n'est pas à lui qu'il faut s'adresser, en dehors des faits, pour se faire une idée exacte des doctrines et des principes. Nous allons essayer de suppléer ici à cette lacune. Les vingt-six articles de l'Intérim concernaient l'état du premier homme avant et après la chute ; la rédemption des hommes par Jésus-Christ ; la justification des pécheurs ; la charité et les bonnes œuvres ; la confiance que Dieu a pardonné les péchés ; l'Église et ses marques, sa puissance, son autorité, ses ministres, le pape et les évêques ; les sacrements en général et en particulier ; le sacrifice de la messe ; la commémoration que l'on y fait des saints ; leur intercession et leur invocation ; la prière pour les morts et l'usage des sacrements. L'Intérim tolérait le mariage des prêtres qui avaient renoncé au célibat, et la communion sous les deux espèces partout où elle s'était établie. — Quoique les théologiens qui avaient dressé cette profession de foi assurassent l'empereur qu'elle était très orthodoxe, le pape ne voulut jamais l'approuver, dit Bergier, non seulement parce que ce n'était point à l'empereur de prononcer sur les matières de foi, mais encore parce que la plupart des articles étaient énoncés en termes ambigus, aussi propres à favoriser l'erreur qu'à exprimer la vérité. Plusieurs catholiques refusèrent de s'y soumettre ; ils le comparèrent à l'Henoticon de Zénon, à l'Ecthèse d'Héraclius, et au Type de Constant. — L'Intérim ne fut guère mieux reçu par les protestants. Bucer, Osiander et d'autres le rejetèrent sous prétexte qu'il rétablissait la papauté, que ces réformateurs croyaient avoir détruite (Luther était mort le 18 février 1516) ; il y en eut qui écrivirent pour le réfuter. Une division en résulta parmi eux : les uns, appelés rigides, étaient opposés à l'Intérim ; les autres, les mitigés, prétendaient qu'il fallait se conformer aux volontés du souverain. En résumé, l'Intérim est un de ces actes par lesquels, en voulant ménager deux partis opposés, on arrive à les mécontenter tous deux, et souvent à les aigrir davantage. a Certes, dit à son tour M. Haas dans le Dictionnaire encyclopédique des docteurs Wetzer et Welte, les protestants auraient pu être satisfaits, mais leur opiniâtreté ne fit qu'augmenter par ces demi-mesures. Leurs théologiens se déchaînèrent contre l'Intérim ; on le calomnia, on exprima la défiance qu'inspirait ce prétendu piège tendu à la bonne foi protestante par le dicton :

Habt Acht vor dem Interim ;

Es hat den Schalck hinter ihm.

(Prenez garde à l'Intérim : il y a un traquenard par derrière). Charles-Quint le fit lire, le 5 mai 1548, aux états réunis ; l'électeur de Mayence, comme chancelier et président du collège des électeurs, remercia l'empereur au nom des états et promit assentiment et obéissance. Charles-Quint dut croire cet assentiment unanime, personne n'ayant pris la parole pour s'y opposer ; mais les théologiens étaient loin d'avoir donné leur consentement, et ceux des protestants ne perdirent pas de temps à travailler contre l'œuvre de l'empereur : le lendemain l'électeur Maurice remit sa protestation, et il partit deux jours après ; les électeurs palatin et de Brandebourg admirent l'Intérim ; le markgrave Jean de Custrin et le comte palatin Wolfgang des Deux Ponts le rejetèrent. Les deux bourgmestres d'Augsbourg hésitèrent, se prononcèrent d'une façon équivoque le 25 juin, et, forcés de se décider, finirent par l'adopter et le faire lire le 8 juillet dans les chaires d'Augsbourg. Le 20 juillet, le duc Ulrich le fit aussi promulguer dans tout le Wurtemberg. Strasbourg, Constance ne purent être amenés de leur gré à l'adhésion désirée. Constance y fut enfin forcée, et son exemple fut enfin suivi par les autres villes impériales libres, notamment par Strasbourg, et par le palatinat électoral. Charles-Quint avait eu une intention excellente, mais il avait oublié que les princes ne sont pas appelés à décider les affaires de l'Église. — Le texte de l'Intérim se trouve dans Goldast, Constitutions impériales, Francfort, 1615 ; tome I, pages 518-536.

[195] M. Henne, VIII, pp. 318-319. — L'auteur ajoute en note : Longtemps les souverains des divers états de la Belgique, de même que les comtes de Hollande, assistèrent aux diètes, prirent part aux guerres des empereurs. La plus ancienne des matricules de l'empire, dressée à la diète tenue à Nuremberg en 1431, pour l'expédition de Bohême, fixe à 200 lances le contingent du Brabant. La Hollande et la Zélande ensemble sont également taxées à 200 lances, la Gueldre à 100, Utrecht. et les trois villes du diocèse à 50, les seigneurs de Batenbourg, de Culembourg, de Buren et de la Leck, chacun à 50. (Dumont, Suppl., 2e part., 353.) S'il n'est pas prouvé que ce contingent ait été fourni, il est constant, du moins, qu'en 1421 le Brabant avait envoyé à Sigismond une troupe nombreuse commandée par Wenceslas T'Serclaes. (Mss. de la bibliothèque de Bourgogne, n° 7013, 10281 et 17123). — On trouve aussi alors dans l'armée impériale 5G bourgeois de Dordrecht. Wagenaar. — Il est vrai qu'en cette circonstance les Brabançons obéirent peut-être moins aux injonctions de l'empereur qu'à l'entraînement (M. Henne emploie un mot que je supprime par respect pour la dignité de l'histoire) produit par le cardinal de Castillon, chargé de prêcher, dans les Pays-Bas, la croisade contre les Hussites (Histoire de Bruxelles, I, 213).

[196] Instructions données à ces ambassadeurs, le 21 octobre 1542. Staatspapiere, 296.

[197] La source principale pour ces négociations est la vie de Viglius, Viglii Vita, dans les Analecta belgica de Hoynck Van Papendrecht, et les lettres du même, Viglii Epistolæ, n° CCXXVIII.

[198] Le 13 octobre 1547, la régente informa de son départ le grand conseil de Malines et les conseils provinciaux, en leur notifiant qu'elle avait établi les membres du conseil d'état pour vaquer et entendre à la consultation, délibération et expédition de toutes et quelconques affaires qui surviendraient en son absence, sans déroger aux instructions et aux ordonnances qui avoient réglé les attributions de ce conseil, et comme ils le jugeroient convenir pour le bien, repos et tranquillité du pays. M. Gachard, Analectes belgiques, 434. — Par lettres patentes du même jour, elle confia le gouvernement intérimaire au duc d'Arschot, aux comtes du Rœulx et de Lalaing, au seigneur de Praet, à Louis Van Schore. Il leur fut prescrit d'adresser à la régente de fréquents rapports sur la situation des affaires, et de l'informer sur le champ de tout événement pouvant intéresser le service de l'empereur et les sujets des Pays-Bas. (Cette dernière recommandation fut également faite aux ambassadeurs de l'empereur en France et en Angleterre). Ce comité était autorisé à ouvrir les lettres à l'adresse de la reine. Il était spécialement recommandé à d'Arschot et à du Rœulx de faire bon guet et bonne garde aux frontières, afin de se prémunir contre toute surprise. En cas d'urgente nécessité, le comité pouvait lever des troupes pour la défense du pays, consacrer à ces armements les revenus ordinaires et extraordinaires, au besoin même contracter des emprunts. Archives de l'Audience, carton Comm. des gouverneurs généraux. Note de M. Henne.

[199] Projet de traité à conclure entre Sa Majesté Impériale, comme souverain des Pays-Bas et du comté de Bourgogne, et les états de l'empire. Papiers d'état de Granvelle, III, 322.

[200] Déclaration de Sa Majesté l'Empereur, comme souverain des Pays-Bas et du comté de Bourgogne, remise aux princes et états de l'empire assemblés à la diète d'Augsbourg. Papiers d'état de Granvelle, III, 319.

[201] Papiers d'état de Granvelle, III, 322.

[202] Dumont, Corps diplomatique, IV, 2e partie, 340.

[203] Dumont, Corps diplomatique, IV, 2e partie, 340.

[204] Aden van de dry Stasten, f° CLXVII. Citation de M. Henne. — Nous verrons cependant tout à l'heure qu'au rapport de M. Gachard, aucune opposition ne se produisit dans la réunion générale des états du mois d'octobre 1548 ; et M. Henne dit lui-même, un peu plus loin, que les états autorisèrent l'empereur à désigner tels prélats, nobles et villes qu'il jugeroit à propos pour ratifier de leur part l'acte de confédération.

[205] Wagenaar.

[206] Viglii Epistolœ, n° CXLVI.

[207] Le premier pourvu de cette charge fut un docteur en droit nommé Wolfgang Breynningh. Consulte du conseil privé sur l'origine et les fonctions de l'avocat et procureur établi pour les Pays-Bas près la chambre impériale de Wetzlar, du 8 avril 1750. M. Gachard, Analectes historiques, VII, 205.

[208] Sentence du 18 mars 1549. Placards de Brabant, VII, lib. V, titre Ier, ch. XIII ; Groot Placaert Boeck van Holland, II, 2065.

[209] Compte de H. de Boulogne de 1550, n° 4892, art. Dépenses. Reg. aux dép. et mand. des finances, n° 20742. Citation de M. Henne.

[210] Correspondenz, III, 200.

[211] De Nény, I, 32.

[212] M. Henne, ouvrage cité, VIII, 337-338.

[213] MM. Henne et Wauters (Histoire de Bruxelles, t. Ier, p. 367), rapportent que l'empereur fit partir, le 20 septembre, le prince saxon pour Pamele. Ce fait ne peut pas être exact, Marillac, dans sa lettre du 28 septembre à Henri II, disant positivement que le duc de Saxe est encore à Bruxelles. On peut supposer même qu'il n'avait pas quitté cette capitale à la date du 3 février 1549, d'après la manière dont le même ambassadeur parle de lui dans l'Advis de la court de l'empereur (Ms. 8625 de la Bibliothèque nationale à Paris). — Note de M. Gachard.

[214] Payables en six ans. Acten van de dry Staelen, f° 163. — Compte de N. Nicolaï. Citation de M. Henne.

[215] Payables en six ans. Acte d'acceptation du 15 décembre 1548. M. Gachard, Lettre aux questeurs.

[216] Payables en quatre ans. Compte du receveur général Gramaye.

[217] Payables en quatre ans. Comptes de Jacques Bizet.

[218] Manuscrit cité, p. 16. Citation de M. Gachard.

[219] Lettre de Marillac au roi, du 6 novembre (ms, p. 60). Il a toujours gardé le lit avec une telle impatience, pour le grant doleur qu'il en sentoit, qu'on ne l'avoit encores veu au passé si affligé et tourmenté.

[220] Lettre de Marillac, du 26 novembre. Ms., p. 82.

[221] Lettre de Marillac, du 6 décembre.

[222] Charles-Quint, lorsqu'il écrivait à la reine Marie, l'appelait : Madame ma bonne sœur ; il disait Madame ma meilleure sœur à Éléonore, qui était leur aînée à tous deux. Note de M. Gachard.

[223] Il y a, aux archives impériales de Vienne, une longue lettre d'Éléonore à la reine Marie sur les désagréments de sa position en France. Cette lettre est datée du 9 mai 1548. Note de M. Gachard.

[224] Lettres de Charles-Quint à Marie de Hongrie des 12 juin et 13 août 1518. Il lui dit dans celle du 13 août : Tout considéré, il me semble que pour tous respects, il importe que nostre sœur se comporte le mieux qu'elle pourra jusques l'on voye quelle conclusion l'on pourra prendre en ses affaires. — Marie lui avait écrit le 28 juillet : Elle es en une si merveilleuse crainte que V. M. la veuille faire demeurer en France, qu'elle en prent un bien fort grand regret et tel quy luy fait bien souvent venir son mal ; et luy semble que sa longue demeure luy fera abrévier ses jours (Archives impér. de Vienne).

[225] Lettre de Charles-Quint à son ambassadeur, le sieur de Saint-Mauris, du 26 septembre 1548 ; lettre de Saint-Mauris à l'empereur, du 13 octobre. (Mss. du comte de Wynants.) — Saint-Mauris, avant de voir le roi, avait parlé au cardinal de Guise, qui avait trouvé quelque chose de suspect dans la demande de l'empereur. Note de M. Gachard. — Éléonore n'avait point eu d'enfant de son mariage avec François Ier ; Henri II était fils de la première femme de ce monarque, morte en 1521.

[226] Instruction au seigneur de la Chaulx, du 24 novembre. (Archives impériales de Vienne.)

[227] Lettres du comte de Stroppiana, des 3, 5 et 9 décembre 1518.

[228] Reg. n° 122, f° 17 v°. Citation de M. Henne.

[229] Lettre de Marillac à Henri II, du 28 décembre 1548 (Ms. cité, p. 112).

[230] Lettre de Marillac à Henri II, du 9 janvier 1549. Ms. cité, p. 115.

[231] Lettre de Marillac à Henri II, du 15 janvier. Ms. cité, p. 121.

[232] Lettre de Marillac, du 23 janvier. Ms. cité, p. 128.

[233] Journal de Vandenesse.

[234] Lettre du 3 février 1549. (Ms. cité, p. 133).

[235] Saint-Mauris n'était bien vu ni du roi ni du connétable de Montmorency. Celui-ci écrivait à Marillac : Le roy est bien aise de ce que l'on remplace l'ambassadeur qui estoit près de luy, car il ne parle jamais que de querelles particulières, et jamais encores ne l'ay oy dire chose qui servist ni approchast de vouloir maintenir ces princes en amitié. (Ms. cité, p. 157). Ce fut Simon Renard, Franc-comtois comme lui, qui le remplaça.

[236] M. Henne, ouvrage cité, VIII, 364-365. — Viglius était parvenu par son talent, il grandit par la servilité, ajoute l'auteur, en faisant suivre ces lignes accusatrices de reproches tout au moins fort exagérés sur le caractère privé de cet illustre personnage. Nous examinerons cela plus tard. — Nous avons une autobiographie de Viglius dans les Analecta belgica de Hoynck Van Papendrecht. On peut consulter sur lui M. Backuysen Van den Brinck, Messager des sciences historiques, 1848 et 1849 ; M. Alph. Wauters, Introduction aux Mémoires de Viglius, édités par la société de l'histoire de Belgique ; M. Goethals, Lectures, III, 26.

[237] Lettres de Marillac à Henri II, des 5, 21 et 30 mars 1549. (Ms. cité, pp. 169 à 188.) — Journal de Vandenesse.