L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

TROISIÈME SECTION. — RÈGNE DE CHARLES-QUINT - 1506-1555

 

CHAPITRE II. — DEPUIS L'AVÈNEMENT DE CHARLES-QUINT JUSQU'À LA FIN DE LA MINORITÉ DE CE PRINCE.

 

 

CHAPITRE III. — DEPUIS LA MAJORITÉ DE CHARLES JUSQU'À SON ÉLÉVATION À L'EMPIRE

 

Au moment où le jeune Charles sorti de tutelle entra sur la scène politique, rien n'annonçait très-sensiblement encore la place importante qu'il allait bientôt y occuper. Un prélat contemporain nous le montre à cette date doué de très heureuses dispositions et d'un grand caractère, mais il regrette qu'on l'eût élevé loin du monde et sans fréquente relation avec les gens du dehors[1]. Toutefois Charles avait appris, dans cette retraite, deux choses précieuses : il savait réfléchir et écouter. Dans les premières années de son adolescence, il s'était livré avec ardeur aux exercices qui donnent au corps de la vigueur et de l'agilité ; il maniait avec une égale dextérité la lance et l'épée, l'arc, l'arbalète et l'arquebuse. Il avait été proclamé roi des couleuvriniers de Malines en 1508, des arbalétriers de Bruxelles en 1512, des archers de Malines en 1514. Il y avait dès lors en lui l'étoffe d'un grand roi, également propre aux occupations de la guerre et de la paix, et du moment où il fut appelé à prendre part aux affaires publiques, il s'y livra avec la plus parfaite assiduité. Guillaume de Croy, seigneur de Chièvres, qui avait remplacé, en 1509, le prince de Chimai, son oncle, dans la place de gouverneur et de premier chambellan de l'archiduc, s'était acquitté avec un zèle intelligent de ces importantes fonctions. Il s'était appliqué à faire naître, dans cet enfant appelé à de si hautes destinées, avec le goût des choses sérieuses, des sentiments conformes à la grandeur de sa naissance et à l'avenir qui l'attendait ; il y avait réussi[2].

Le 8 janvier 1515, Charles notifia son émancipation aux cours de justice, et ordonna d'expédier dorénavant toutes les affaires en son nom. Par lettres du 9, il fit la même communication au grand conseil de Malines, et lui envoya le formulaire suivant de ses titres : Charles, par la grâce de Dieu, prince d'Espagne, des Deux-Siciles, de Jérusalem, etc. ; archiduc d'Autriche ; duc de Bourgogne, de Lothier, de Brabant, de Styrie, de Carinthie, de Carniole, de Limbourg, de Luxembourg et de Gueldre ; comte de Flandre, de Habsbourg, de Tyrol, d'Artois, de Bourgogne, palatin, et de Hainaut ; landgrave d'Alsace ; prince de Souabe ; marquis de Burgan et du Saint-Empire, de Hollande, de Zélande, de Ferrette, de Kybourg, de Namur et de Zutphen ; comte seigneur de Frise, des Marches d'Esclavonie, de Pertenauw, de Salins et de Malines.

Le 17, de l'avis et délibération de sa très chère tante, des seigneurs du sang, chevaliers de l'ordre et autres du conseil privé, il nomma grand chancelier Jean le Sauvage, seigneur d'Escaubeque, ancien président du Conseil de Flandre et du conseil privé. Ce conseil intime était très nombreux ; il y avait fait entrer notamment, avec le grand chancelier, le comte palatin Frédéric, duc de Bavière ; Philippe de Clèves, seigneur de Ravenstein ; le prince de Chimai, le comte 'Henri de Nassau, le seigneur de Chièvres, grand chambellan ; le seigneur du Rœulx, grand maitre d'hôtel ; Charles de Lannoy, grand écuyer ; le seigneur de Beveren, Adolphe de Bourgogne, Jean de Berghes, le seigneur de Sempy, le seigneur de Montigni, Antoine de Lalaing, Mercurino de Gattinara, Adrien d'Utrecht, le prévôt d'Oudmunster, le bailli de Hainaut et le procureur. de Béthune.

Le 24 janvier, Charles fut inauguré à Louvain comme duc de Brabant ; le 28, il fit son entrée à Bruxelles, et prêta serment le lendemain. A l'occasion de sa Joyeuse Entrée, les états votèrent un subside de quatre mille livres au seigneur de Chièvres, en récompense des services qu'il avait rendus au Brabant pendant la minorité de l'archiduc[3]. Le 4 février, le prince fut reçu à Malines en grande pompe, et, à la suite d'un souper donné à l'hôtel de ville, le magistrat lui offrit, outre un présent pécuniaire, trois muids et cinq mesures de vin du Rhin. Marguerite, les sœurs du jeune prince et les seigneurs de sa suite ne furent point oubliés. Chièvres eut pour sa part une coupe en vermeil et quatre cents Philippus ; l'audiencier Philippe Hanneton, cent Philippus, pour l'acte de confirmation des privilèges de la ville ; l'huissier qui l'avait assisté, une robe de camelot doublée de peau blanche d'agneau et bordée de satin. Le magistrat fit distribuer à la foule des vivres et des rafraîchissements[4].

De Malines Charles se rendit à Anvers le 11 février et y séjourna jusqu'au 23. Il fit son entrée à Gand le 28, et y resta plus de six semaines au milieu de fêtes brillantes. Le 13 avril, veille de son départ, il soupa avec les arbalétriers. Il fit la même chose à Bruges[5], où il arriva le 18. Le 11 mai, il se remit, en route pour aller se faire reconnaitre en Zélande et en Hollande. Il ne rentra à Bruxelles que le 25 juillet. Fatigué sans doute des harangues et des réceptions officielles, le prince s'en délassa dans des parties de chasse à Nederockerseel, Hever, Tervueren, Enghien et Grœnendael.

Le 7 novembre, Charles reprit le cours de son voyage inaugural, et le 10 il arriva à Mons. Le 12, après avoir reçu le serment de fidélité des états du Hainaut, mettant la main au chef et corps de sainte Waudru, il jura à son tour par sa foi, par ces reliques et par les saints évangiles, de maintenir les franchises, privilèges et usages des églises, des nobles et des bonnes villes du comté, et de ne jamais départir ni désunir les seigneuries et pays de Hainaut, Hollande et Zélande. La chevaleresque noblesse du comté donna, ce jour-là, le spectacle d'un tournoi, dont le seigneur de Senzeilles, Charles de Lannoy, remporta le prix. A la demande des états, des lettres patentes du 15 décembre 4515, confirmant un acte antérieur de Charles le Téméraire, statuèrent que les douze pairs, les prélats, barons, nobles, vassaux et tous hommes tenant fief du souverain, ne dépendraient en dernier ressort que de la haute cour de Mons ; que toutes les justices subalternes restaient, soumises, en cas d'appel, à ce tribunal, et que nulle s lettres, mandements ou provisions seroient donnés ou dépêchés de par le souverain en sa chancellerie, ou en son grand conseil de Malines, au moyen et sous ombre desquels les manants et habitants duement sujets du Hainaut seroient ou pourroient être attraits en dehors d'icelui pays.

Le 22 novembre, ce fut le tour de Namur. Charles y arriva ce jour-là, et le lendemain eurent lieu l'inauguration et la prestation des serments accoutumés. Ces cérémonies ne s'accomplirent que l'année suivante dans le Luxembourg. Le prince avait annoncé l'intention de s'y rendre en personne, comme dans les autres provinces, et les états avaient été convoqués à cet effet. Les événements empêchèrent la réalisation de ce dessein, et, le 12 juillet, le comte palatin et le prévôt d'Aire prirent possession, en son nom, du duché et du comté de Chiny.

La joie qui s'était manifestée en Belgique à l'avènement de Charles n'avait pas été provoquée seulement par les espérances qu'éveille tout règne nouveau. On éprouvait le besoin de voir rétablir l'ordre dans les finances, dans l'administration, dans l'armée ; on aspirait vers le moment heureux où, des luttes stériles avec l'étranger venant à cesser, il serait possible d'utiliser et de multiplier les éléments de la prospérité nationale au profit du pays lui-même. Pour cela la paix avec la France était nécessaire, et l'on voyait avec satisfaction le gouvernement de l'archiduc, sous l'inspiration du seigneur de Chièvres, diriger ses vues de ce côté-là. Le 22 janvier 1515, Henri de Nassau avait quitté Bruxelles, à la tête d'une nombreuse ambassade, avec la mission d'aller à Paris représenter l'archiduc, comme duc de Bourgogne et doyen des pairs de France, au sacre de François Ier[6], et de rendre en son nom, à cause des comtés de Flandre et d'Artois, hommage au nouveau monarque. Les ambassadeurs étaient chargés en même temps de négocier le mariage de l'archiduc avec la princesse Renée, belle-sœur de François Ier, âgée alors de six ans[7]. Leurs démarches furent couronnées d'un plein succès. Par un traité signé à Paris le 24 mars 1515, la princesse fut promise à Charles avec une dot de six cent mille écus d'or au soleil, et une alliance offensive et défensive fut stipulée entre les deux pays[8]. Le 24 janvier 1510, des traités signés à Bruges confirmèrent ceux que Philippe le Beau avait conclus avec Henri VII. Ces conventions diplomatiques assuraient la tranquillité des Pays-Bas, et elles y furent accueillies avec une satisfaction universelle. Un dernier acte politique contribua à jeter de l'éclat sur le nouveau règne. Par un arrangement intervenu avec Georges de Saxe le 19 mai 1515, Charles annexa à ses états la Frise occidentale[9].

Le 23 janvier 1515, Ferdinand le Catholique mourut à Madrigalejo dans l'Estramadure. Par son testament daté de la veille, il avait institué la reine Jeanne, sa fille, et l'archiduc Charles, son petit-fils, ses successeurs au royaume de Navarre ; il avait déclaré la reine son héritière universelle dans les royaumes dépendant de la couronne d'Aragon, et, vu l'infirmité mentale de Jeanne, il avait commis le gouvernement général de ces royaumes à l'archiduc, qui devait l'exercer au nom de sa mère. En attendant la venue de ce prince en Espagne, don Alonso d'Aragon, son fils naturel, était chargé provisoirement de l'administration. Quant à la Castille, le défunt avait disposé que Charles gouvernerait pour sa mère, comme il l'avait fait lui-même, et que jusqu'à l'arrivée de ce dernier, le gouvernement serait dévolu au cardinal Ximenès de Cisneros. Charles, quelques semaines avant la mort du roi, lui avait envoyé son ancien précepteur, Adrien d'Utrecht, qu'on appelait le doyen de Louvain, et qui était muni des pouvoirs pour le représenter en Castille le jour où Ferdinand viendrait à manquer. Il n'hésita pas toutefois à confirmer la désignation de Ximénès pour gouverner ce royaume ; seulement il lui adjoignit Adrien, en donnant un pouvoir égal à l'un et à l'autre. Aux termes des constitutions espagnoles, Charles n'était que prince de Castille et d'Aragon ; il se décida, malgré l'avis contraire du conseil de Castille, à prendre le titre de roi, que, sur les instances de l'empereur Maximilien, le pape et le sacré collège venaient de lui attribuer. Ce jour-là même et la veille, 14 mars 1516, des funérailles magnifiques furent célébrées, en l'église de Sainte-Gudule, à la mémoire du roi défunt[10].

En recevant la nouvelle de la mort de Ferdinand, Charles avait annoncé à Ximenès son prochain départ pour l'Espagne, mais l'état des affaires publiques retarda l'exécution de son dessein. Avant de quitter les Pays-Bas, il avait à cœur de les mettre à l'abri de toute entreprise de la part des puissances voisines, et, dans cette vue, une alliance plus étroite avec l'Angleterre et la France lui parut nécessaire. A. cette fin Jean de Hesdin fut envoyé en toute hâte en Angleterre, pendant que le seigneur de Ravenstein allait reprendre avec François Ier des négociations destinées à résoudre définitivement les difficultés que les traités précédents avaient laissées indécises. L'envoyé de Charles fut parfaitement accueilli par Henri VIII, et le traité du 19 avril 1516 renouvela de la façon la plus formelle les anciennes alliances, et assura aux Pays-Bas l'appui de l'Angleterre, s'ils étaient attaqués en l'absence de leur souverain. François Ier, de son côté, adopta avec empressement les propositions du seigneur de Ravenstein, et l'on convint d'ouvrir des conférences à Noyon le 8 mai. On choisit, des deux parts, pour négociateurs le seigneur de Chièvres, et Arthur Gouffier, seigneur de Boissy, grand maitre de France. Ils étaient assistés, celui-ci, par l'évêque de Paris, Étienne Poneher ; le président du parlement de Paris, Jacques Olivier et le seigneur de Genlis ; l'autre par Jean le Sauvage et l'audiencier Philippe Hanneton. Les conférences, interrompues le 13 mai, furent reprises le 1er août, et, le 13 du même mois, le traité fut conclu. Les deux souverains s'engagèrent à s'assister non seulement dans leur mutuelle défense, mais dans leurs conquêtes légitimement entreprises. Pour aplanir les difficultés relatives au royaume de Naples, ils convinrent de substituer à Renée de France la propre fille de François Ier, la princesse Louise, que Charles devait épouser, quand elle aurait douze ans. François Ier lui donnait pour dot tous les droits qu'il s'attribuait sur le royaume de Naples, et y ajoutait vingt-cinq mille écus par an pour son entretien jusqu'au jour de la célébration du mariage. En retour, Charles s'engageait à. payer à son futur beau-père cent mille écus d'or au soleil jusqu'au jour du mariage, et vingt-cinq mille ensuite, sa vie durant, ou jusqu'à ce qu'un enfant fût né de cette union[11]. Quant à la Navarre, dont la moitié — la haute Navarre — avait été enlevée en 1512 par Ferdinand à Jean d'Albret, Charles promettait d'indemniser les héritiers de celui-ci — Jean mourut l'année même où fut conclu le traité —, après avoir pris possession de ses royaumes d'Espagne ; François Ier, de son côté, se réservait le droit de secourir la reine douairière de Navarre et ses enfants, si huit mois après son entrée en Espagne, le roi catholique ne les avait pas contentés selon la raison et de manière qu'ils se dussent contenter.

Au mois de novembre suivant, de nouvelles conférences s'ouvrirent à Bruxelles entre les ambassadeurs de l'empereur Maximilien, de François Ier et de la république de Venise. Charles avait ordonné qu'on fit dans toutes les églises dévotes oraisons et autres prières et dévotions à Dieu, le Créateur pour que, par sa divine providence, il voulait induire les rois et princes à la paix. Par le traité de Bruxelles du 3 décembre 1516, les ambassadeurs de Maximilien adhérèrent au traité de Noyon, et une trêve de dix-huit mois, commençant le 15 janvier suivant, fut conclue entre ce prince et les Vénitiens. Enfin il fut stipulé que Maximilien, Charles et François auraient une entrevue à Cambrai le jour de la Purification (2 février 1517), pour se concerter sur tous les points de nature à assurer le bien de la chrétienté et de leurs états. Les représentants de ces trois princes signèrent, en effet, dans cette dernière ville, le 11 mars 1517, une nouvelle et générale ligue de fraternité, confédération et alliance perpétuelle plus étroite que les précédentes, sous la haute protection du pape et du Saint-Siège établis conservateurs de ce pacte. Les hautes parties contractantes se garantissaient leurs états réciproques, promettaient de ne soutenir en aucune manière leurs ennemis extérieurs ou intérieurs, de s'assister mutuellement, de ne faire de conquêtes que de commun accord, d'assurer à leurs sujets la liberté de circulation et de commerce dans leurs états communs, s'engageant même à réparer les dommages qui pourraient leur être causés. Ils s'obligeaient en outre à attaquer les Turcs ensemble, et à avoir, au mois d'avril suivant, une entrevue pour mieux assurer, confirmer et corroborer les amitiés, confédérations et alliances naguère prises entre eux[12]. Belles promesses, mais qui ne devaient avoir que des résultats bien éphémères.

La sûreté des Pays-Bas étant garantie, au moins pour quelque temps, par ces conventions diplomatiques, rien ne s'opposait plus au départ de Charles pour l'Espagne. Mais il avait voulu, avant ce départ, tenir un chapitre de l'ordre de la Toison d'or. Le 25 octobre 1516, dans l'église de Sainte-Gudule à Bruxelles, il prêta, en présence de onze chevaliers, le serinent exigé du chef et souverain de l'ordre. Le lendemain eut lieu l'ouverture de la réunion capitulaire. Une foule de nobles du pays et de l'étranger étaient arrivés à Bruxelles pour assister à ces magnifiques cérémonies. L'infant Ferdinand, frère de Charles ; François Ier, le comte palatin Frédéric de Bavière ; Jean, marquis de Brandebourg, duc de Stetin et de Poméranie ; le comte de Montrevel, Laurent Gorrevod, Philippe de Gray, seigneur de Porcien ; Jacques de Gavre, seigneur de Fresin, les seigneurs de Sempy, de Montigny, de Senzeilles, de Beveren, Félix de Werdenberg, Philibert de Chalons, prince d'Orange ; Hugues, comte de Mansfeld, furent élus chevaliers en remplacement de ceux qui étaient morts depuis le dernier chapitre.

Adoptant une proposition du chef et souverain motivée sur l'accroissement des états de la maison de Bourgogne, l'assemblée porta à cinquante-un le nombre des chevaliers, limité d'abord à trente-un. Elle mit ensuite à la disposition de Charles dix des nouveaux colliers pour être donnés à des seigneurs espagnols. La première de ces mesures provoqua, le même jour, une nouvelle promotion, dans laquelle furent compris les rois de Portugal et de Hongrie, Guillaume, comte de Ribaupierre de Ferrette ; Michel, baron de Volckenstein ; Maximilien de Horne, seigneur de Gaesbeek ; Jean de Wassenaar ; le comte Jean IV d'Egmont ; Maximilien de Berghes, qui venait de succéder à son père dans la seigneurie de Zevenberghen ; François de Melun, comte d'Épinoy, et Jean, baron de Trazegnies.

Les fêtes capitulaires, interrompues plusieurs fois, duraient encore lorsque l'ambassade chargée de recevoir le serment de François Ier, en confirmation du traité de Noyon, revint à Bruxelles le 26 janvier 1517. Elle était accompagnée du président Olivier, des seigneurs d'Omalle, de Humières et de Rochefort, entre les mains desquels Charles, à son tour, devait faire son serment. Ces envoyés furent reçus en audience solennelle dans la grande salle du palais, et le président Olivier célébra, dans une harangue latine, les bienfaits de la paix qu'allait cimenter une alliance de famille. Le surlendemain, à l'issue d'une grand'messe, eut lieu, à Sainte-Gudule, la prestation du serment. Un religieux cordelier fit un sermon sur la paix et sur la foi des serments. Il avait choisi ce sujet, dit-il, parce que le roi alloit jurer la paix, et qu'il se rappelait que plusieurs traités conclus avec la France avoient été fort mal observés[13]. Il y eut, après la cérémonie, de grandes réjouissances, une joute, entre autres, oh un chevalier espagnol remporta le prix de l'épée, et Charles de Lannoy celui de la lance. Deux troupes, formées chacune de douze chevaliers, simulèrent ensuite l'attaque et la défense d'un fort appelé le château de la Pucelle. Enfin, dans la salle du festin, vingt hommes d'armes combattirent à la lance, montés sur des chevaux courtauds, dont les pieds étaient enveloppés de feutre. C'estoit triomphe, dit un contemporain, de lors estre en la ville de Bruxelles, pour les esbattements que l'on y faisait : nul ne le sauroit narrer, et meisme y donnait le roy de si gros dons que chascun s'en ésmerveilloit[14].

L'empereur Maximilien vint, vers le même temps, visiter les Pays-Bas, à la demande de Marguerite, qui comptait sur les démarches de son père pour rentrer en possession d'une influence qu'elle regrettait, et s'arrêta dans les principales villes. Malines surtout lui fit un excellent accueil, et il y eut, pendant le carnaval, force banquets au Cygne, au Robinet, à l'Ours, à l'Agneau, où furent prodigués les dragées, les sucreries, les écorces de citron confites, l'hypocras, les vins de Beaune et du Rhin. Un brillant tournoi fut donné sur la place du Marché, et l'on conserva longtemps à l'hôtel de ville, dans la salle dite de Beyaert, les armes des seigneurs qui étaient entrés dans l'arène[15]. Maximilien eut à Bruxelles avec son petit-fils de longs entretiens qui ne furent pas sans influence sur la politique de ce dernier. Il le recommanda aux sages conseils de sa fille Marguerite, et, dans les derniers jours du mois de mai, il prit congé d'eux pour regagner l'Allemagne, où il allait bientôt terminer sa longue et aventureuse carrière.

Plus d'une année s'était écoulée depuis la mort de Ferdinand le Catholique, et la présence de Charles en Espagne devenait de plus en plus indispensable pour calmer des dangereuses agitations, que ne contenait qu'à peine le génie de Ximenès. Dans un conseil tenu le 24 février 1517, il avait été décidé que le roi partirait vers la Saint-Jean. Des subsides extraordinaires furent demandés aux provinces pour ce voyage. Les états de Namur consentirent à payer quatorze mille livres en quatre ans. Ceux de Hainaut accordèrent quarante-huit mille livres ; la ville de Valenciennes sept mille. On obtint des états de Brabant une aide de trois cent nonante mille livres payable en trois ans, et trente-deux mille livres comptant. Les membres et états de Flandre votèrent également une aide de deux cent mille écus payable en quatre ans.

Le 16 juin 1517, Charles prit congé des états généraux à Gand ; il leur déclara, par l'organe de son chancelier, que son cœur demeurerait avec eux, et qu'entre tous ses sujets les Belges lui seraient toujours les plus chers. Pendant plus de deux mois les vents contraires le retinrent en Zélande. Le 6 septembre enfin il s'embarqua avec sa sœur aînée, la princesse Éléonore, et le 8 il fit voile de Flessingue, laissant, pour gouverner les Pays-Bas pendant son absence, un conseil privé[16], dont le chef était Claude Carondelet, seigneur de Solre-sur-Sambre[17]. La traversée ne fut pas favorisée par le temps. On fut forcé d'aborder, le 19 décembre, au petit port de Tanzones dans les Asturies. Le 4 novembre, le roi arriva à Tordesillas, résidence de la reine sa mère et de la plus jeune de ses sœurs, l'infante dona Catalina. Il y signala sa présence par un acte de piété filiale, en faisant célébrer clans l'église de Sainte-Claire un service pour son père, dont les restes y étaient déposés. Ximenès avait quitté Madrid pour venir le joindre, mais la maladie arrêta en chemin le magnanime vieillard. Il mourut au bourg de Roa, le 8 novembre, à l'âge de quatre-vingt-un ans. Leibniz en a tracé le plus magnifique éloge, en disant que si les grands hommes pouvaient s'acheter, l'Espagne n'aurait pas payé trop cher, par le sacrifice d'une de ses provinces, le bonheur d'avoir un pareil ministre.

Charles fit,  le 18 du même mois, son entrée à Valladolid, accompagné de l'archiduc Ferdinand, son frère, qui était venu à sa rencontre à Moyados. Huit jours après, en l'église de Saint-Paul, il honora de sa présence la remise du chapeau à son ancien précepteur Adrien d'Utrecht, qu'il avait nommé évêque de Tortose avant son arrivée en Espagne, et que Léon X venait d'élever au cardinalat.

Le 12 décembre, il convoqua les cortès. On doutait en Castille qu'elles lui reconnussent le titre de roi, qu'on ne l'avait pas vu prendre sans mécontentement, alors que dona Juana, sa mère, était vivante. Cette affaire donna lieu en effet à beaucoup de débats dans l'assemblée et avec les ministres. Enfin, le 7 février 1518, les trois états des royaumes de Castille, de Léon et de Grenade reçurent Charles pour leur roi et seigneur, conjointement avec la reine sa mère, et, à partir de ce jour, tous les actes émanés de l'autorité royale portèrent en tète le nom de la reine et le sien. Bientôt après les villes des Pays-Bas reçurent l'ordre de faire cérémonies et festes de ce que le roy leur sire, le septième jour du mois de février, en l'église Saint-Paul, en la ville de Valladolid, avoit esté receu très honorablement et solempnellement pour vrai roy et seigneur de ses royaulmes de Castille, de Grenade et de Léon[18].

Le 22 mars, Charles se mit en route pour l'Aragon, et, le 9 mai, il fit son entrée à Saragosse, la capitale. Ce fut dans la cathédrale de cette ville qu'il jura, en présence de la députation du royaume, des chefs de la cité, de l'archevêque et d'un grand nombre de membres des cortès, au nom de sa mère et au sien, d'observer les lois, privilèges, libertés et coutumes de l'Aragon. Le 20 mai, il ouvrit les cortès, et leur demanda deux choses, leur serment et un subside. Le 29, les cortès prêtèrent serment à la reine Dona Juana et au roi don Carlos, conjointement, après qu'il eut juré lui-même une seconde fois, devant elles, de maintenir les fueros[19] de l'Aragon. Le subside ne fut voté qu'au mois de janvier suivant, au grand déplaisir de Charles, qui se vit forcé de demeurer à Saragosse beaucoup plus longtemps qu'il ne l'aurait voulu. Dans l'intervalle, il conclut le mariage de sa sœur Éléonore avec le roi de Portugal, Emmanuel le Fortuné.

Charles quitta enfin Saragosse le 24 janvier 1519. Il avait perdu dans cette ville son grand chancelier, Jean le Sauvage, qu'il remplaça par un Piémontais, Mercurino di Gattinara, ancien président de Bourgogne, auquel l'archiduchesse Marguerite et l'empereur Maximilien avaient confié d'importantes négociations. Dans le trajet de Saragosse à Barcelone, il apprit la mort de l'empereur, décédé le 12 janvier à Wel, dans la haute Autriche, à l'âge de soixante ans[20]. Charles fit célébrer, le ter mars, les funérailles de son aïeul à la cathédrale ; le 5 et les jours suivants, il tint un chapitre de la Toison d'or, où il appela à prendre séance les chevaliers dont il avait fait choix parmi les grands seigneurs de la Castille et de l'Aragon. Il ouvrit les cortès le 13 avril, et la prestation réciproque des serments s'accomplit le 16. Ce fut dans la capitale de la Catalogne que Charles négocia le mariage de Germaine de Foix, veuve de Ferdinand le Catholique, avec le marquis Jean de Brandebourg, un de ses compagnons de voyage.

Avant de poursuivre ce récit, nous sommes obligé de revenir aux Pays-Bas, et nous avons, en reprenant les faits d'un peu plus haut, à faire connaître leur situation intérieure en ce moment. Charles n'avait pas encore quitté ces régions, quand la guerre se ralluma dans le nord, où l'on avait toujours à redouter les entreprises du duc de Gueldre, que les François tenoient en réserve et qu'ils étoient accoutumés de favoriser lorsqu'ils avoient besoin de lui[21]. L'antipathie des Frisons pour la domination étrangère s'était réveillée, et des soulèvements partiels avaient éclaté sur divers points. Une confédération occulte s'était formée entre les mécontents de la Frise occidentale et quelques populations voisines ; les capitaines gueldrois, sans attendre la présence de leur duc, avaient encouragé le mouvement ; la Hollande était désolée par des irruptions armées ; des pirates infestaient le Zuiderzée, et le Brabant lui-même était menacé. Un de ces pirates, simple paysan de la Frise, surnommé le grand Pierre[22], était devenu l'effroi des Hollandais. Monté sur des petits vaisseaux fins voiliers, il ruinait le commerce, Fût d'amont, fût d'aval, fût du nord, fût du sud, hambourgeois, osterlins et tous autres navires quels qu'ils pussent être, tout lui étoit de bonne prise. Pour réprimer ses brigandages, il fallut équiper une flotte. Elle le poursuivit énergiquement et l'accula dans le port de Workum. Après une lutte acharnée, la victoire se prononça en faveur des Hollandais (13 mai 1516). La plupart des vaisseaux ennemis furent coulés bas ou brûlés ; huit cents Frisons périrent dans le combat, et les prisonniers subirent la peine réservée aux forbans. Mais Grand Pierre échappa avec quelques navires, répara son désastre, et, pour se venger, jeta désormais par dessus bord tous les Hollandais qui tombèrent entre ses mains[23].

Sur terre, les hostilités avaient pris un caractère tout aussi effroyable. Ce n'étaient points des combats, c'était un vaste brigandage. Pour le réprimer, Henri de Nassau recourut à des mesures d'une cruelle énergie. Ordre fut donné aux Hollandais d'exterminer, par tous les moyens en leur pouvoir, le Gueldrois et les Frisons qui violeraient leur territoire. Des nobles Gueldrois, résidant à la Haye, y furent décapités sous l'inculpation d'avoir fourni des vivres à leurs compatriotes. Voulant venger le massacre des habitants de Nieuwpoort, qu'avait surpris une bande gueldroise, le comte se jeta sur la Veluwe avec mille chevaux et six mille fantassins ; il ravagea impitoyablement la contrée jusqu'aux portes d'Arnhem.

Sur ces entrefaites Charles d'Egmont rentra dans ses états, ce qui ne fit qu'imprimer à l'insurrection de la Frise un caractère plus décidé. Il rappela ses lansquenets, forma une nouvelle bande noire, et lorsque vint l'été de 1516, il était à la tête d'une armée considérable. Tandis que ses capitaines menaçaient la Hollande, le Brabant, l'évêché d'Utrecht, il investit tout à coup Leeuwarden. Heureusement le seigneur d'Ysselstein avait eu le temps de se jeter dans la place, et Henri de Nassau s'empressa de le secourir. Son lieutenant, Jean de Wassenaar, débarqua en Frise avec trois mille hommes, et courut aux Gueldrois, qui n'attendirent pas son attaque. A la nouvelle de cette agression, le gouvernement des Pays-Bas ordonna aux officiers du comté de Namur et du Brabant wallon de lever un nombre de compaignons de pied des plus roides et bien en point qu'ils porroient recouvrer, pour ensemble tirer en la ville de Malines, et de là en Frise[24]. Dès qu'ils eurent reçus ces renforts, Ysselstein et Wassenaar prirent l'offensive. Or, dans le même temps, voici que quatre cents lances françoises, qu'on avoit bannies de France, passèrent à Maisieres-sur-Meuse pour aller au pays de Gheldre. Une des bandes d'ordonnance nouvellement levées accourut aussitôt leur défendre l'entrée dans ce pays, ce qui ne lui réussit guère, parce que les François étaient deux contre un avec nombreuse artillerie volante, qui tua beaucoup de Bourguignons. Mais quatre cents piétons des pays, de ce avertis, se vinrent joindre bien à point avec cette ordonnance, fourant sur ces François en telle sorte qu'ils furent contraints de tourner et fuir à Leur grand honte et dommage, en perdant gens et tout leur charroi et artillerie, tant que tous y demeurèrent, ne s'en faillit guère[25].

Par son attaque sur Leeuwarden, Charles d'Egmont avait porté le théâtre de la guerre dans la Frise, où les deux partis occupaient des positions nettement tracées : l'insurrection s'y étendait, sur toute une ligne formée par les villes de Dokkum, Sneek, Staveren, Workum, Hindelopen, Bolsward, Sloten, tandis que les troupes des Pays-Bas occupaient Leeuwarden, Franeker, Harlingen et les cantons de Menaldumadeel et de Baerderadeel. A l'approche de Jean de Wassenaar, les Gueldrois abandonnèrent d'abord Dokkum ; puis, ayant tenté de le reprendre, ils essuyèrent une défaite complète et furent poursuivis jusque sur le territoire de Groningue. Un château où s'étaient fortifiés les insurgés, fut emporté, et la garnison périt par le fer ou la corde. Cet acte de rigueur jeta l'effroi parmi les villes frisonnes : Stavoren, Workum, Hindelopen s'empressèrent de faire leur soumission. Ysselstein alors forma le siège de Sneek, et Wassenaar investit Bolsward. Cette dernière place se rendit le 3 janvier 1517, après une vigoureuse résistance, favorisée par les pluies et par les intempéries de la saison. Wassenaar pénétra ensuite dans la Gueldre, mais les rigueurs de l'hiver l'empêchèrent d'y rien entreprendre d'important[26].

Cet armistice forcé ouvrit le champ aux négociations. Fidèle aux stipulations de Noyon, François Ier obligea le duc de Gueldre à déposer les armes. Le roi de Castille, pressé de se rendre en Espagne, accueillit cette ouverture avec empressement, et une trêve fut conclue jusqu'au mois de mai 1517. Forcé de se soumettre, d'Egmont avait licencié ses lansquenets, mais la bande noire formée par lui, soit par son ordre, soit spontanément, au lieu de retourner en Allemagne, se jeta de nouveau sur la Frise. Grand Pierre, de son côté, n'avait pas renoncé à ses pirateries, et d'Egmont lui-même, sans attendre l'expiration de la trêve, reprit bientôt les armes. Après avoir résisté à deux assauts, la garnison de Dokkum succomba au moment où le lieutenant du seigneur d'Ysselstein, Georges Schenck, accourait pour la secourir. Arrivé trop tard pour sauver la place, ce brave capitaine en forma le siège. Repoussé dans un premier assaut, blessé à l'épaule d'une arquebusade, il ne se rebuta point et déjoua toutes les tentatives de ravitaillement des Gueldrois et de leur nouveau maréchal, Martin Van Rossem. Les paysans de la Frise, fatigués de cette guerre atroce et exaspérés par les excès de la bande noire, harcelèrent les Gueldrois et sonnèrent le tocsin sur leur passage. La garnison de Dokkum perdit vite tout espoir, et se hâta d'accepter une capitulation, que les circonstances ne permirent pas de rendre trop rigoureuse.

Pendant que les troupes frisonnes étaient retenues devant cette place, trois mille hommes de la bande noire s'embarquèrent au Kinder, et vinrent prendre terre à Medemblik, le 25 juin 1517. La ville fut prise d'assaut et réduite en cendres. Quelques soldats qui formaient la garnison sous le commandement de Josse de Buren, enseigne d'infanterie, se retirèrent dans le château et obligèrent les assaillants à la retraite. La bande noire se dirigea alors vers Opperdoes et Twisk, qu'elle livra aux flammes ; Midwoud n'évita le môme sort qu'au prix d'une forte contribution. Longeant ensuite le Zwaaydyk, elle passa devant Hoorn, brûla Berkhout, Averhorn, Ursem ; puis elle traversa le Huigendyk et vint assiéger Alkmaar, où s'étaient réfugiés les habitants des campagnes voisines. Emportée d'assaut, cette malheureuse ville fut saccagée pendant huit jours, et il lui fallut trente ans pour se relever de ce désastre. La ville d'Egmont subit le même sort, et tout le pays fut mis à contribution. Trop faible pour se porter au devant de l'ennemi, le comte de Nassau perça la digue de Huigendyk, et plaça un fort détachement avec de l'artillerie au seul passage resté accessible. La bande se rabattit alors sur Beverwyk et Spaarndam, qui furent pillés. Elle menaça Amsterdam, et repoussée dans une attaque sur le château de Hart qui couvrait cette ville, elle remonta par Utrecht, passa le Leck à Cuilembourg, et se porta sur la ville d'Asperen. Les habitants se défendirent avec intrépidité, mais succombèrent après trois assauts successifs ; l'ennemi, pénétrant dans leurs murs, ne respecta ni l'âge ni le sexe : des enfants réfugiés avec leur maître d'école dans le jubé d'une église, y furent impitoyablement massacrés (juillet 1517).

Les choses n'allaient pas mieux sur mer. Le 14 août, une flotte hollandaise fut attaquée par Grand Pierre près de Hoorn. Elle le repoussa d'abord avec avantage et s'empara d'un de ses meilleurs navires ; mais en voyant jeter par dessus bord le capitaine du vaisseau capturé, Grand Pierre jura qu'il vengerait sa mort, ou que ses jambes ne le reporteraient pas en Frise. Se ruant avec furie sur l'ennemi, il le mit en pleine déroute, et lui enleva onze bâtiments. Des cinq cents hommes d'équipage un seul eut la vie sauve parce qu'il était gueldrois ; les autres furent précipités sans miséricorde dans les flots.

Un cri de douleur, parti de la Hollande, retentit dans toutes les provinces. Ordre fut donné de mettre à mort sur le champ, partout où on les trouverait, les rutters de guerre ayant esté en Frise et à Asperen[27]. Un placard de l'amiral du Zuiderzee, Antoine Van den boute, autorisa les Hollandais et les Zélandais à courir sus aux rebelles, à les tuer et à s'emparer de leur avoir, déclaré de bonne prise et bon butin. Un énergique appel fut adressé à la noblesse du Hainaut et de l'Artois ; Namur envoya à Henri de Nassau mille de ses intrépides piétons ; le comte Félix de Werdenberg et le seigneur d'Ysselstein lui amenèrent six cents lansquenets. Grâce à tous ces secours, et animés par les cris d'une population au désespoir, Nassau, Wassenaar, Ysselstein, Werdenberg poursuivirent les égorgeurs d'Asperen, avec un irrésistible acharnement. Tous les prisonniers faits par eux furent roués ou écartelés, et les vainqueurs, pénétrant à la suite des fuyards dans la Gueldre, y portèrent le ravage et l'incendie. Le château de Hulhuizen fut enlevé, la Weluwe changée en désert, Arnhem investi.

Réduit à ses propres forces, Charles d'Egmont ne tenta pas même de résister à cette furieuse invasion ; il réclama, à défaut de secours, la médiation de la France. François Ier se chargea de lui ménager un accommodement. Des négociations s'ouvrirent à Utrecht. Rendues faciles par les circonstances, elles aboutirent, le 17 septembre 1517, à une trêve de six mois. Par le traité d'Utrecht, d'Egmont se désistait en faveur du roi catholique, comme comte de Hollande, de toute action et prétention sur la seigneurie de Frise, ses appartenances et dépendances, la ville de Groningue exceptée. Il s'engageait à en retirer ses troupes et à délier les habitants de leurs serments et autres engagements, dans les six mois au plus tard. A ces conditions, il obtenait la faculté de reprendre, dans les villes frisonnes qu'il occupait encore, son artillerie et ses munitions de guerre. Le roi promettait, en outre, de lui payer cent mille couronnes en quatre ans. Ce payement était garanti par les villes d'Amsterdam, Dordrecht, Gorcum et Bois-le-Duc. Le traité eut pour conséquence une autre convention toute au profit du souverain de nos provinces. Utrecht consentit à le reconnaître pour avoué, à condition qu'il confirmerait les privilèges de la cité.

Durant ces négociations, le roi avait achevé ses préparatifs de départ, et s'était rendu à Middelbourg pour profiter des premiers vents favorables. Le 12 juillet 1517, il avait établi Henri de Nassau, capitaine général de l'armée et de toute la gendarmerie ordonnée ou à ordonner dans les Pays-Bas, lui conférant plein pouvoir, autorité et mandement de vacquer et entendre tant à la conduite de l'armée, à la garde, tuition et défense des Pays-Bas, qu'au reboutement des ennemis.

Peu de temps après le départ du roi, les états-généraux avaient été convoqués à Bruxelles, On leur communiqua le traité d'Utrecht, qui fut renouvelé pour un an. Le 27 mars1518, les états de Brabant votèrent un aide de trois cent mille livres payable en trois ans, afin de subvenir aux dépenses que le roi avait dû supporter pour retirer la Frise des mains du duc de Saxe, et mettre fin à la rébellion de ce pays. Pour fournir cette aide ils furent obligés d'emprunter à la ville d'Anvers une somme de cent vingt mille florins, et lui donnèrent en garantie le tonlieu dit Riddertol[28]. Les autres provinces furent également mises à contribution. La guerre et l'accroissement des charges publiques avaient fait prendre une mesure, qui fut encore aggravée par un hiver des plus rigoureux. On n'était cependant pas au bout des épreuves. Les restes de la bande noire en partie détruite dans la campagne précédente, étaient venus s'établir dans les environs de Deventer, pillans, mangeans et ravageans le bon homme. Traversant ensuite la Gueldre, ils franchirent le Rhin près de Wezel, et se jetèrent sur le pays de Clèves. Ils poussèrent l'audace jusqu'à prévenir le duc de Clèves et l'archevêque de Cologne de leur prochaine arrivée, les invitant à leur préparer bonne cuisine. Mais le jour de la justice approchait. Le duc de Clèves appela aux armes tous les hommes de fief et d'arrière-fief avec les milices de Clèves et de Juliers ; l'archevêque de Cologne lui envoya cinq cents chevaux et beaucoup de piétons. Le comte de Nassau, accouru avec Jean de Wassenaar et huit cents hommes d'armes des Pays-Bas, pour couvrir le Brabant et le pays de Liège, prit le commandement de toutes ces forces. Les chefs de la bande, effrayés de ce déploiement de forces, demandèrent à capituler. Ils obtinrent, l'autorisation de quitter le pays sans être molestés, en déposant les armes. Douze cents hommes s'étaient déjà mis en route, lorsqu'ils se prirent de querelle avec des paysans, ou, selon d'autres, avec des gendarmes wallons qui voulaient les dépouiller. On en vint aux mains, et foudroyée par l'artillerie des gens de Clèves, chargée par les hommes d'armes des Pays-Bas et par les reitres de Cologne, cette colonne fut abîmée ; les paysans exaspérés en massacrèrent jusqu'au dernier homme. A la nouvelle de ce désastre, ce qui restait de la bande fut pris d'une indicible terreur et se mit à fuir dans tous les sens. Poursuivis à outrance ils furent égorgés sur place ou pendus sans miséricorde. De ce qui faisait naguère l'effroi des populations il ne demeura bientôt plus qu'un nom exécré[29].

La destruction de la bande noire produisit un excellent effet aux Pays-Bas. Le gouvernement prit des mesures pour purger entièrement la contrée des brigands, pillards, rodeurs de chemins, qui journellement fréquentoient les chemins, tellement que les marchands ni autres ne pouvoient bonnement aller ni faire leur besoingne et affaire[30]. Le 25 avril 1518, il défendit sous peine de la hart, de partir sans le congé du roy, hors de ses pays, ni aller quérir aucun service de prince, ni de seigneur étranger[31]. Voulant reconnaître les bons et agréables services de Marguerite, dont les pouvoirs étaient pourtant en ce moment encore fort restreints, les états de Brabant lui accordèrent, le 21 mai, un don gratuit de douze mille livres. Cet exemple fut suivi par quelques autres provinces : le Hainaut, entre autres, lui vota cinq mille livres

Mais un fait qui prouve l'état de gêne où se trouvait une partie du pays, c'est qu'en considération des grandes charges et affaires que les habitants de Bruxelles avaient à supporter, tant à cause des aides, retenues, arrérages, que autrement, madame Marguerite accorda remise à cette ville de sa quote-part, dans le don gratuit du Brabant[32].

L'année 1518 vit aboutir des négociations qui eurent des conséquences extrêmement importantes pour la Belgique. L'évêque de Liège, Érard de la Marck, suivant les traditions de sa famille, qui avait toujours joui de l'appui de la France, s'était attaché d'abord à François Ier. Mécontent de ce monarque, il montra d'autres dispositions, dont le gouvernement des Pays-Bas sut habilement profiter. A la suite de conférences tenues à Sedan et à Saint-Trond, un traité d'alliance offensive et défensive fut définitivement conclu à Diest, le 16 mai de cette année, entre le roi catholique, représenté par Marguerite aidée du prince de Chimai et d'Antoine de Lalaing, d'une part, Érard de la Marck, évêque de Liège, et Robert son frère, seigneur de Sedan, d'autre part. Maximilien ratifia le traité, et, par un diplôme du 24 juin, il confirma les libertés de l'église de Liège, ainsi que les franchises et les bonnes coutumes de la cité. Cette alliance eut pour effet de couvrir les parties les plus vulnérables des Pays-Bas[33], et d'entraîner d'une manière durable dans leur orbite la principauté de Liège, qui jusque là avait paru obéir à d'autres tendances. A partir de cette époque, Liège, sans être annexée au reste de la Belgique, suivit constamment la môme voie, et partagea les mêmes destinées[34].

Le 18 mai 1518, l'infant Ferdinand débarqua à Flessingue accompagné du grand maitre d'hôtel du roi, Ferry de Croy, et du seigneur de Sempy. A son arrivée à Malines, le magistrat lui offrit deux vases d'argent, et il fut reçu avec de grands honneurs dans les autres villes qu'il visita avec sa tante. Le 31 du même mois, le président du conseil privé, Claude Carondelet, mourut ; huit jours plus tard, il fut suivi au tombeau par le chancelier, Jean le Sauvage, ennemi personnel de Marguerite. Dès ce moment, un commencement de réaction en faveur de cette princesse se fit remarquer dans la conduite du roi son neveu : s'il ne lui conféra pas encore le titre de gouvernante générale, il lui rendit du moins, par lettres datées de Saragosse le 24 juillet 1518, la signature de tous les actes, la surintendance du collège des finances et la collation des offices dont elle disposait précédemment avec le conseil privé. Ces lettres furent formulées en décret daté de Malines le 3 octobre suivant, et pour que nul n'en ignorât, toutes les villes et tous les officiers en reçurent des expéditions[35]. Il fut alloué à la princesse un traitement de vingt mille livres par an, et sans avoir encore la plénitude de l'autorité qu'elle avait exercée pendant la minorité de son neveu, elle n'en exerça pas moins une influence prépondérante sur le gouvernement des Pays-Bas.

Les Anglais, on s'en souvient, étaient en possession de Tournai depuis les derniers jours de septembre[36]. Cette ville, convoitée par les Pays-Bas, revendiquée par la France, n'était guère tenable pour eux. Ils y étaient isolés au milieu d'une population hostile, irritée par de nouveaux impôts, diminuée par d'incessantes émigrations, désolée par la peste qui achevait de la ruiner[37]. Dès son avènement, François Ier avait cherché à y rentrer. — En ce temps-là, disent les commentaires de Charles-Quint, le roi de France fit avertir Sa Majesté de certaine intention qu'il avait de faire la guerre au roi d'Angleterre, afin de recouvrer, disait-il, la ville de Tournai. A quoi Sa Majesté répondit conformément aux conventions qu'elle avait faites avec les deux rois. Cette réponse, bien que modérée, juste et conforme à la raison, fut interprétée de telle sorte que le roi de France en conçut du ressentissement. Charles avait donc offert sa médiation, voulant prévenir une querelle funeste à la chrétienté, et dont le sujet étoit futile, car Tournai ne servoit guère ni à l'un ni à l'autre des deux rois, et étoit de si petit revenu qu'il ne valoit la peine d'en faire tant d'estime[38]. Cette offre de médiation fut mal accueillie. Le monarque anglais, ajoutent les commentaires, ne témoigna pas la reconnaissance que méritait la réponse faite au roi de France par Sa Majesté. Car bientôt ces princes s'accordèrent et s'unirent, tenant peu de compte des conventions qui avaient été faits entre eux et le roi catholique.

Le 4 octobre 1518, les ambassadeurs français et les commissaires de Henri VIII signèrent, à Londres, un traité arrêtant le mariage de la princesse Marie, fille da roi d'Angleterre, à peine âgée de quatre ans, avec le dauphin de France, qui n'en avait qu'un. Grâce à ce traité, François Ier rentra en possession de Tournai. Il s'engagea à payer deux cent soixante Mille écus comptant pour le nouveau château avec ses munitions de guerre et de bouche, et il signa une reconnaissance de trois cent mille écus à valoir sur la dot de Marie. Il fut convenu que les Tournaisiens seroient neutres, que le roi de France ne mettroit en leur cité aucuns gens de guerre, et qu'ils ne pourroient recepter ou favoriser les rebelles et fugitifs des pays du roi catholique. Gaspard de Coligny, nommé lieutenant-général aux pays de Tournai et Tournaisis, fut reçu en cette qualité le 8 février 1519, et l'évêque, Louis Gaillard, remonta sur son siège épiscopal. François Ier confirma les privilèges des Tournaisiens[39], qui saluèrent avec enthousiasme le retour des couleurs françaises. Ils étaient loin de prévoir que ce n'était là qu'une rentrée éphémère, et que bientôt elles allaient de nouveau disparaître de leurs murs pour en rester bannies définitivement.

Nous allons maintenant rejoindre le nouveau roi catholique en Espagne, où nous l'avons laissé au moment où il venait d'apprendre la mort de son aïeul Maximilien, et où il se préparait à user de tous ses moyens pour lui succéder sur le trône impérial. Un rival redoutable était tout prêt à lui disputer cette suprême dignité, et nous ne pouvons nous dispenser de retracer les principales phases de la lutte mémorable, qui s'ouvrit alors entre ces deux grands concurrents.

L'empire d'Allemagne, auquel aspiraient en ce moment Charles d'Autriche et François Ier, était, nous l'avons vu[40], très-divisé. Formé d'une multitude de membres mal joints, il renfermait des états héréditaires et électifs, un royaume, des électorats, des duchés, des margraviats, des landgraviats, des comtés, des seigneuries de dimensions variées, des villes libres de diverse importance, des principautés ecclésiastiques d'ordre différent depuis les archevêchés jusqu'aux prieurés souverains. A l'époque où nous sommes, il comptait vingt-neuf princes séculiers, quatre-vingts prélats ou abbés, environ quatre-vingt-dix villes impériales, plus de deux cents comtes territoriaux avec juridiction et plusieurs milliers de seigneurs immédiats. Ainsi composée, l'Allemagne, malgré les récents efforts de l'empereur Maximilien, conservait un esprit d'insubordination que la force fédérale n'avait pu réduire à l'obéissance, et une diversité d'intérêts que rien n'était capable de ramener à l'accord[41].

Lorsqu'il fallait donner un chef à cette vaste et faible confédération, le droit en était dévolu aux sept électeurs. Les archevêques de Mayence, de Trèves, de Cologne, comme archichanceliers de l'empire, pour le royaume de Germanie, d'Arles et d'Italie ; le roi de Bohême, le duc de Saxe, le comte palatin de Bavière, le margrave de Brandebourg, comme archi-échanson, archi-maréchal, archi-sénéchal et archi-chambellan de l'empire, nommaient seuls, au nom de tous les souverains germaniques, le roi des Romains, futur empereur. Ce haut pouvoir, qu'ils exerçaient depuis le XIIIe siècle, avait été réglé en 1356 par la bulle d'or de Charles IV, qui prescrivait de faire l'élection dans la ville de Francfort, et qui rendait cette élection valide à la majorité des suffrages.

Charles, dont les ancêtres paternels avaient porté cinq fois la couronne impériale depuis la chute de la dynastie des Hohenstauffen, semblait destiné à maintenir cette couronne dans la maison chaque jour grandissante d'Autriche, que le choix des sept électeurs en 1439 avait substituée à la maison éteinte de Luxembourg. Héritier, comme archiduc, de l'Allemagne méridionale, souverain des Pays-Bas, de l'Espagne, de Naples, de la Sicile, comme successeur des ducs de Bourgogne, des rois de Castille et d'Aragon, ce possesseur de tant de territoires qui régnait sur les principales îles de la Méditerranée, qui occupait par plusieurs points le littoral de l'Afrique, et pour le compte duquel se découvrait un monde au delà de l'Océan, sans annoncer entièrement ce qu'il fut depuis, le laissait déjà pressentir. Déjà il avait su contenir les premières ardeurs de sa jeunesse, et réfléchi comme celui qui décide, patient comme celui qui commande, il avait acquis une dignité précoce. Ayant un sens naturel supérieur, une finesse d'esprit pénétrante, une rare vigueur d'âme, il s'exerçait à juger, dans chaque situation et sur chaque chose, ce qu'il y avait à faire et comment il le fallait faire ; il s'apprêtait à regarder la fortune en face, sans s'enivrer de ses faveurs, sans se troubler de ses disgrâces, à ne s'étonner d'aucun événement, à se résoudre dans tous les périls. Sa gravité est si grande, et son âme si haute, écrivait vers ce moment un contemporain, qu'il semble tenir tout l'univers sous ses pieds[42].

Son compétiteur, François Ier, était un peu plus âgé que lui. Il avait des états moins nombreux, mais non dispersés, et une puissance plus concentrée. Ce prince était dans tout l'éclat de la jeunesse et de la gloire. Il avait vingt-cinq ans. A peine monté sur le trône, il avait franchi les Alpes par des chemins inaccessibles jusqu'alors, et avait paru en vainqueur dans les plaines de la Lombardie. Il avait reconquis le duché de Milan perdu par Louis XII. Ces redoutables Suisses qui n'avaient jamais été battus, qui avaient successivement triomphé des archiducs d'Autriche, des ducs de Bourgogne, des rois de France, lui seul les avait mis en fuite à Marignan[43]. Durant cette terrible bataille de deux jours, il n'avait pas quitté la selle de son cheval, et, la lance au poing, le casque en tète, il avait reçu, aux premiers rangs, trois coups de pique dans son armure. A ces avantages à la guerre, François joignait un caractère gracieux, des habitudes chevaleresques, l'amour des lettres, le goût délicat des arts et une grande application aux affaires.

Plus de deux ans avant la mort de Maximilien, plusieurs électeurs avaient songé à lui assurer la future possession de la couronne impériale. L'archevêque de Trèves, Richard de Greiffenchau de Wolrath, préoccupé des périls de l'Allemagne, et voyant avec alarme la grandeur toujours croissante de la maison de Habsbourg, avait ouvert les négociations. Le margrave Joachim de Brandebourg était entré dans les vues du prélat, et y avait été suivi assez promptement par son frère, l'archevêque de Mayence, François Ier n'avait donc plus qu'une voix à acquérir pour disposer de la majorité électorale. Il gagna celle du comte palatin, Louis V de Bavière. Se regardant dès lors comme le chef convenu de l'Allemagne, il étendit dans cette vaste contrée ses rapports et son influence pour la mieux préparer à sa prochaine souveraineté. Il se fit ainsi d'utiles alliés et entretint de puissants pensionnaires dans tout le corps germanique.

Cependant le jeune roi catholique ne devait pas se laisser enlever ainsi la couronne impériale, qu'avaient portée, dans le XIIIe et le XIVe siècle, Rodolphe de Habsbourg et Albert Ier, ses ancêtres paternels, et qui depuis quatre-vingt-un ans semblait fixée dans sa maison. C'est au moment où il s'apprêtait à partir pour l'Espagne qu'il fut instruit des dangereuses menées de François Ier. Des côtes de la Zélande, 'où il allait s'embarquer, il chargea un de ses confidents d'informer l'empereur de toutes les pratiques françaises auprès des électeurs. Maximilien, qui, ayant singulièrement accru la grandeur de sa maison, sentait la nécessité de ne pas la laisser déchoir, entra avec son ardeur accoutumée dans les intérêts de son petit-fils. Avant tout, il lui fit connaître ce qu'il devait accorder de faveurs, dépenser d'argent, offrir de pensions, s'il ne voulait pas échouer dans une pareille entreprise[44].

Malgré la pénurie de ses finances, Charles se procura cent mille ducats, qu'il fit porter à l'empereur par son chancelier Jean de Courteville. Il obtint en outre de trois banquiers de Gènes et d'Augsbourg qu'ils en mettraient à sa disposition deux cent mille autres au mois d'avril 1519 ; mais il n'offrit que des pensions de quatre mille florins aux électeurs, et il défendit à Courteville de rien dépenser sans être certain que l'empire lui serait accordé. Maximilien, mécontent de cette parcimonie, écrivit à son petit-fils pour lui en témoigner sa surprise. Il lui dit que les pensions offertes étaient trop petites, que la somme envoyée était insuffisante, et que d'ailleurs il fallait pouvoir s'en servir tout de suite, parce que sans cela les princes allemands croiraient plus à l'argent comptant des Français qu'a ses bonnes paroles. Il insista fortement sur la nécessité de dépenser sans hésitation et d'agir sans retard. Pour gagner les gens, ajouta-t-il, il faut mettre beaucoup en aventure. Veuillez donc bien penser à notre conseil et le suivre, autrement il n'y a pas d'apparence de conduire notre, affaire au désir et à l'honneur de nous deux. Il nous déplairoit fort d'avoir eu tant de peine et de labeur pour faire grande et exalter notre maison et toute notre postérité, et de voir tous mis an hasard par une faute ou une négligence[45]. Il convoqua en même temps les électeurs à Augsbourg pour le mois d'août.

La diète se réunit à l'époque fixée. Elle avait deux grands objets : l'un public, la défense de la chrétienté contre l'invasion imminente des Turcs ; l'autre secret, la succession à l'empire d'Allemagne. Le pape Léon X n'était occupé en ce moment que du péril dont les progrès toujours croissants de l'islamisme menaçaient l'occident. Selim Ier paraissait vouloir continuer l'œuvre de ses plus terribles prédécesseurs. Après trois années de victoires en Orient, de 1514 à 1515, il était rentré à Constantinople, maitre d'une flotte de deux cents voiles, et ne paraissait pas loin de tenter une irruption en Hongrie ou une descente en Italie. Le souverain pontife venait de pousser un nouveau cri d'alarme, et il s'efforçait d'unir les rois et les peuples chrétiens dans une nouvelle guerre sainte contre l'ennemi de leur foi et de leur indépendance. Afin de faire entrer l'Allemagne dans ce projet, Léon X avait envoyé à Augsbourg, comme son légat auprès de l'empereur et de la diète, le dominicain Thomas de Vio, cardinal de Saint-Sixte. Le légat apporta à Maximilien l'épée et le chapeau bénits par le souverain pontife, et conjura la diète germanique de fournir son contingent dans la grande croisade destinée à délivrer l'Europe, à reprendre Constantinople et même à reconquérir Jérusalem[46]. La diète ne prêta qu'une oreille distraite aux prières du légat, et prit à peine quelques mesures tardives et insuffisantes.

Tandis que se discutait cet objet ostensible de la diète, les négociations secrètes pour l'empire se poursuivaient avec les électeurs. Maximilien, arrêté un instant par la défiance parcimonieuse de son petit-fils, avait emprunté à la banque de Fugger trente mille florins d'or[47]. Enfin arrivèrent les nouvelles instructions du roi catholique, qui envoyait une assignation de cent mille ducats de plus sur le royaume de Naples, et qui autorisait à se servir immédiatement de l'argent porté par Courteville. Maximilien se mit alors à l'œuvre vivement, et finit par réussir auprès de cinq électeurs, mais il échoua auprès des deux autres. L'archevêque de Trèves resta fidèle à François Ier, et refusa d'engager d'avance au roi catholique sa voix, que la bulle d'or lui prescrivait de conserver libre jusqu'au jour de l'élection. Sa conduite servit de fondement à celle du duc Frédéric de Saxe, qui se déclara ouvertement contre les engagements proposés. Maximilien passa outre. Il fit signer le 27 août aux quatre autres électeurs et aux représentants du cinquième, le comte palatin, qui ne s'était pas rendu à la diète, la promesse formelle d'élire roi des Romains son petit-fils. Il leur garantit, au nom de celui-ci, par des lettres réversales[48], le maintien de leurs privilèges particuliers et des droits généraux du pays. Il donna, en outre, l'assurance que l'administration de l'empire serait concertée avec les princes allemands et confiée à des mains allemandes.

L'empereur Maximilien fit aussitôt partir pour l'Espagne Jean de Courteville avec les pièces relatives aux engagements pris par lui dans l'intérêt et au nom de son petit-fils. Il invitait celui-ci à les signer sans retard, à n'y introduire aucun changement, à les expédier bien vite, afin de lier définitivement les électeurs envers lui et de ne pas ébranler l'édifice si couteusement élevé de sa grandeur. Il lui représentait de plus comme indispensable l'envoi immédiat de lettres de change sur les banques des Fugger et des Welser à Augsbourg pour quatre cent cinquante mille florins. Sur cette somme le besogneux empereur, que les Italiens appelaient si justement Pochi denari[49], s'attribuait cinquante mille florins. Ils étaient destinés à le défrayer de ses dépenses à la diète prochaine de Francfort, oïl, après avoir reçu la confirmation que le roi Charles donna le 24 décembre, il devait se rendre avec les électeurs pour l'y faire nommer et proclamer roi des Romains.

Mais cette nomination rencontra un obstacle légal. Maximilien, n'ayant pas été couronné empereur, n'était que roi des Romains. Dès lors, un roi des Romains existant déjà, on ne pouvait pas en nommer un second, comme le représentèrent avec force et non sans succès le duc Frédéric de Saxe et l'archevêque de Trèves. Maximilien n'osa point procéder à une élection nouvelle avant d'avoir reçu lui-même la couronne impériale. Ne pouvant se rendre en Italie, il fit demander par son petit fils au pape que la couronne lui fût envoyée dans la ville de Trente, et que deux cardinaux fussent désignés pour y accomplir la cérémonie solennelle de son couronnement. La mort le surprit pendant ces négociations. Tourmenté par la fièvre dans le Tyrol, il était allé pour s'en délivrer dans la haute Autriche. Là, pendant qu'il était à la chasse, il éprouva une soif ardente, qu'il crut apaiser en mangeant du melon avec excès. Cette imprudence augmenta son mal. D'intermittente la fièvre devint continue et l'enleva à Wels, nous l'avons vu plus haut, le 12 janvier 1519. Depuis 1515, il portait toujours avec lui le cercueil destiné à recevoir ses restes, et on l'entendait souvent lui adresser la parole lorsqu'il était seul. Il régla lui-même ses funérailles, et voulut que son cœur Mt porté à Bruges auprès de sa première femme, Marie de Bourgogne.

La mort de Maximilien remettait tout en question. Dès que François Ier en fut informé par la voie de la banque des Fugger, il ne perdit pas un instant pour renouer sa trame brisée. Il fit partir pour les cours de tous les électeurs des hommes habiles pris dans la noblesse et dans la judicature, et il couvrit l'Allemagne de ses agents. Il dépêcha un envoyé en Suisse pour se rendre les cantons favorables. Il fit supplier le pape Léon X de lui accorder l'appui de toute son influence en Allemagne, et prier le roi d'Angleterre Henri VIII de s'y déclarer pour sa candidature. L'ambassadeur de ce prince lui ayant demandé s'il irait faire la guerre en personne aux infidèles dans le cas où il serait élu, il le saisit vivement par la main, et, posant l'autre sur son cœur, il lui dit : Trois ans après l'élection, je jure que je serai à Constantinople ou que je serai mort. Quelques instants après, il ajouta : Je dépenserai trois millions pour être élu empereur[50].

Le roi catholique était au monastère de Montserrat, dans le royaume d'Aragon, lorsqu'il connut la mort de son grand-père. Après les premiers moments donnés à la douleur et au deuil, il transmit en Allemagne les ordres nécessaires pour y reprendre et y poursuivre énergiquement l'entreprise de son élection. Il en confia d'abord la conduite à Mathieu Lang, cardinal de Gurk, très attaché à la maison d'Autriche. Il le remplaça plus tard par le comte Henri de Nassau et le maitre des requêtes, Gérard de Pleine, seigneur de la Roche. Il y employa aussi le prince-évêque de Liège et le seigneur de Sedan, que François Ier avait imprudemment détachés de lui. Il écrivit à Maximilien de Berghes, seigneur de Zevenberghen, qui unissait beaucoup de dextérité à beaucoup d'ardeur, de se rendre en Suisse pour y déjouer les pratiques de l'envoyé français. Il chargea aussi don Luis Carroz, son ambassadeur auprès du Saint-Siège, de lui concilier la faveur du pape, et il demanda à Henri VIII de le préférer à son rival.

Avant que la distance des lieux lui permit de prendre toutes ces mesures, ses intérêts n'avaient pas été négligés en Allemagne. Sa tante Marguerite l'avait habilement suppléé. Cette princesse, forte de l'influence que conservait auprès des princes allemands la fille de Maximilien, avait envoyé en toute hâte Maximilien de Berghes à Augsbourg pour qu'il s'y concertât avec les conseillers principaux de l'ancien empereur, et ceux-ci s'étaient mis à l'œuvre avec ardeur.

La partie était bien liée des deux côtés. Des deux côtés, on était décidé à ne rien épargner pour réussir ; à répandre l'argent, à multiplier les pensions, à promettre les faveurs, à employer même la force. L'Allemagne était dans la plus extrême agitation : elle présentait à la fois l'aspect d'un grand marché et d'un camp. Tout le monde y paraissait à vendre, et tout le monde s'y armait. L'un voulait faire acheter sa voix, l'autre son influence, celui-ci les services qu'il pouvait rendre, celui-là les soldats qu'il proposait d'enrôler. Le territoire de l'empire était incessamment traversé par des courriers qui portaient des dépêches, par des agents des deux rois qui se croisaient dans tous les sens avec leurs brillantes escortes de gentils hommes, par des hommes de guerre qui offraient tantôt à un parti, tantôt à l'autre, des bandes prêtes à en venir aux mains.

Le pape Léon X s'était hautement déclaré en faveur de François Ier ; il n'avait d'espoir qu'en lui pour repousser les Turcs. Dans l'intérêt de la chose publique, lui écrivait-il, et pour le salut commun, nous avons jugé que votre majesté est éminemment propre à l'empire, tant à cause des insignes vertus par lesquelles Dieu, dispensateur de tous les biens, vous a distingué, que parce que, surpassant en richesse et en puissance les autres rois chrétiens, vous tiendrez tête à la fougueuse attaque des barbares, et que vous êtes plutôt en mesure d'abattre l'orgueil et l'insolence des impies Musulmans, et de rétablir la vraie foi dans son ancien éclat. Nous en avons la confiance. C'est pourquoi nous avons donné et donnerons tous nos soins et nous interposerons notre autorité, afin que vous soyez choisi comme le plus utile empereur de la république chrétienne...[51]

Les dangers dont les troubles croissants de l'interrègne menaçaient leurs états, déterminèrent les électeurs des bords du Rhin à se réunir. Le 28 mars, le comte palatin, les archevêques de Mayence, de Cologne et de Trèves arrivèrent à Ober-Wezel. Ils y conclurent le 3 avril un traité réciproque d'union et de défense qui devait durer jusqu'à l'élection, et s'engagèrent à ne rien faire que d'un accord unanime. Pendant les six jours qu'ils passèrent à Wezel, ils furent entourés, priés, pressés par les agents des deux monarques rivaux. L'archevêque de Mayence exhorta en secret l'électeur de Cologne et le comte palatin surtout à préférer le roi Charles, que le vœu des Allemands réclamait pour empereur. En effet, les villes impériales, dont Charles soutenait en ce moment la cause contre les attaques du duc Ulric de Wurtemberg, s'étaient déclarées en sa faveur, ainsi que la plupart des nobles de la Franconie et des bords du Rhin. Ceux-ci avaient pour organes de leurs impérieux désirs à Wezel le comte de Kœnigstein, qui disait avec menaces que si les électeurs songeaient à élire le roi de France, eux mettraient le tout pour le tout jusqu'à la dernière goutte de sang pour l'empêcher, à l'aide de tous ceux en Allemagne qui n'entendaient pas être français[52].

Les troubles dont les villes impériales étaient victimes et qui furent si fatales à la candidature française, remontaient à la fin de janvier. Au sortir même des funérailles de l'empereur Maximilien, le duc de Wurtemberg avait attaqué, pris, pillé et gardé la ville impériale de Reutlingen. C'était un nouvel excès ajouté à tous ceux dont Maximilien, avant sa mort, se proposait de demander compte à ce prince violent et turbulent. La mesure était comble, et il encourut alors les terribles représailles de la ligue de Souabe, composée surtout des villes de la haute Allemagne. L'armée des confédérés, forte de vingt-quatre mille hommes, entra dans le Wurtemberg sans rencontrer de résistance. Stuttgart, Tubingue lui ouvrirent leurs portes, et, le 24 mai, Asperg, dernière forteresse du duché, tomba entre les mains des confédérés, dont l'armée resta à la dévotion du roi catholique,

Le duc Ulric passait en Allemagne pour l'allié de François Ier. Cette alliance supposée fit beaucoup de mal à la cause de ce dernier. Il en fut de même d'une déclaration éclatante faite par les Suisses, que Maximilien de Berghes[53] avait complètement acquis aux intérêts de Charles. La diète de Zurich renvoya l'ambassadeur français, en lui déclarant qu'elle ne voulait pas pour empereur son maitre, qui devait se contenter d'un aussi grand royaume que celui de France, et lui signifia qu'elle l'empêcherait de tout son pouvoir de parvenir à l'empire. En effet elle écrivit aux électeurs pour les détourner de choisir François Ier, et au pape pour l'inviter à ne plus gêner le choix des électeurs. Elle dit que les Suisses ne s'étaient jamais séparés du Saint-Siège ni du corps germanique, et qu'ils demandaient, dans l'intérêt commun de la chrétienté et du saint empire, un chef tiré de la nation allemande et non de la nation welche[54].

Cependant la diète électorale avait été convoquée par l'archevêque de Mayence, en sa qualité d'archi-chancelier de l'empira, pour le 17 juin. Ce grand jour approchait. Dès le 8 juin, les électeurs étaient tous rendus à Francfort. Ils étaient arrivés avec la pompeuse suite de leurs conseillers, de leurs serviteurs et de troupes de cavaliers leur servant d'escorte, dans. cette ville réservée aux élections impériales, et où, depuis l'ouverture de leur conclave jusqu'à son terme, ne pouvait pénétrer aucun autre prince, ni l'ambassadeur d'aucun roi. On ne cessait pourtant pas d'agir des deux parts avec ardeur. Plus de vingt mille hommes de l'armée de Souabe parurent aux environs de Francfort, ce dont furent merveilleusement estonnés ceux qui vouloient bien au roi de France et très fort joyeux ceux qui vouloient bien au roi catholique[55]. Afin d'ajouter à l'influence exercée par la vue de ces troupes, le comte palatin Frédéric, l'évêque de Liège, le margrave Casimir de Brandebourg-Culmbach, le comte Henri de Nassau et Maximilien de Berghes s'étaient établis à Hoechst, à deux lieues de Francfort, tandis que les autres agents du roi catholique demeuraient à Mayence.

La diète s'ouvrit le 18 juin. Aux termes de la bulle d'or, les électeurs entendirent, dans l'église de Saint-Barthélemy, la messe du Saint-Esprit, qui devait inspirer leur choix. Après la messe, ils s'approchèrent tous de l'autel, et là, les trois archevêques de Mayence, de Trèves, de Cologne, la main sur la poitrine, le comte palatin, le duc de Saxe, le margrave de Brandebourg et le nonce du roi de Bohême, la main sur le livre des évangiles, ouvert au premier chapitre de saint Jean, in principio erat Verbum, prêtèrent chacun à son tour le serment qui suit : Je jure, sur les saints Évangiles, ici présents et placés devant moi, que je veux, par la foi qui me lie à Dieu et au sacré empire romain, élire, selon mon discernement et mon intelligence et avec l'aide de Dieu, pour chef temporel du peuple chrétien, c'est à dire roi des Romains, futur César, celui qui convient le mieux à cette charge, et que je lui donnerai ma voix et mon suffrage, libre de tout pacte, de tout prix, de toutes arrhes et de tout engagement. Qu'ainsi Dieu et tous ses saints me soient en aide.

Les conférences entre les électeurs durèrent plusieurs jours. Enfin, le 28 juin, les électeurs, revêtus de leurs costumes de drap écarlate, se rendirent au son des cloches dans l'église de Saint-Barthélemy pour procéder définitivement au choix d'un empereur. Ils s'assemblèrent dans la petite chapelle près du chœur qui leur servait de conclave. L'archevêque de Mayence prit le premier la parole. Il se demanda lequel il fallait élire, du roi très-chrétien, du roi catholique ou d'un prince allemand. Il examina d'abord s'il convenait de choisir François Ier, et dit qu'aux termes de la bulle d'or, les électeurs juraient de ne pas élire un empereur étranger, et qu'ils manqueraient à cette loi et à leur serment, s'ils nommaient le roi de France ; que celui-ci d'ailleurs voudrait accroître son royaume, qui était héréditaire, aux dépens de l'empire qui ne l'était point ; que s'étant emparé de Milan après sa grande victoire sur les Suisses à Marignan, il aspirerait désormais à soumettre toute l'Italie et dirigerait ensuite son ambition contre l'Allemagne ; qu'il chercherait à enlever la Flandre et l'Artois au roi Charles, d'où résulteraient de grands troubles et des guerres civiles dans leur patrie ; que si, dans ce cas, les électeurs et les autres princes s'opposaient à ses desseins en voulant défendre les droits de l'empire et le petit-fils de Maximilien, à qui ils devaient tant, il les déposséderait pour en mettre d'autres à leur place ; qu'ils pouvaient juger de la liberté qui leur serait laissée sur le royaume de France, où se trouvaient naguère encore plusieurs grands princes disposant de beaucoup d'autorité, et où il n'y avait plus aujourd'hui personne qui ne tremblât au plus petit signe du roi.

Discutant alors le choix d'un prince allemand, il ne s'y montra pas moins défavorable, parce qu'un semblable empereur, faible et désobéi, serait hors d'état de conduire, de pacifier, de défendre l'Allemagne, et d'y rétablir l'unité religieuse compromise[56]. Restait le roi catholique. L'archevêque convint que, s'il était élu, les affaires de l'Allemagne paraîtraient exposées à souffrir de son éloignement, et ses libertés à être menacées par sa puissance. Il ajouta toutefois que, lorsqu'il considérait l'origine allemande de ce prince, les états possédés par lui dans l'empire, les heureuses et grandes qualités qui le distinguaient, les ressources considérables qu'il mettrait au service de l'Allemagne et de toute la république chrétienne, les sages précautions à l'aide desquelles on pouvait éviter les dangers de son autorité, nul autre ne lui semblait plus digne de recevoir la couronne impériale.

Ce discours produisit beaucoup d'effet sur les électeurs, qui désirèrent néanmoins entendre l'archevêque de Trèves. Celui-ci, s'étonnant de voir l'archevêque de Mayence préférer le roi catholique au roi très chrétien, dit que la bulle d'or ne les autorisait pas plus à élire un Espagnol qu'un Français, et que si l'on jugeait le premier capable d'être élu parce qu'il possédait des provinces de l'empire, le second ne l'était pas moins comme possédant la Lombardie et le royaume d'Arles ; qu'il fallait donc rechercher lequel convenait le mieux. Il soutint alors qu'en choisissant le roi très chrétien et en l'obligeant à ne point attaquer Naples ni la Flandre, ce prince entreprendrait infailliblement de chasser les Turcs de la Hongrie pour protéger l'Allemagne, qui était l'avenue et le rempart de son royaume, tandis que si l'on nommait le roi catholique, on pouvait être certain que la guerre éclaterait dans les Pays-Bas et en Italie, que le roi Charles s'efforcerait d'enlever Milan à François Ier pour l'annexer à ses états, et que, durant cette lutte des deux plus puissants princes de la chrétienté, les Turcs envahiraient la Hongrie sans résistance. Il insista fortement sur le mérite éprouvé et la valeur connue du roi de France, qu'il opposa à la jeunesse inexpérimentée de son compétiteur, sur le naturel facile des Français et la dureté orgueilleuse des Espagnols. Puis il conclut en disant qu'à choisir un étranger le roi très chrétien valait mieux que le roi catholique, et qu'à exclure les étrangers, il fallait prendre un prince tout à fait allemand par l'origine, par les habitudes, par le caractère, par le langage ; que les trois puissantes maisons de Bavière, de Brandebourg et de Saxe pouvaient donner à l'empire un chef qui, à l'exemple de Rodolphe de Habsbourg et de Maximilien, se ferait respecter non seulement en Allemagne, mais dans le monde entier.

Cette dernière combinaison aurait pu réussir, si l'électeur de Saxe s'y était prêté ; mais, loin de la seconder, il prit la parole pour se ranger de l'avis de l'archevêque de Mayence. Il dit que la loi en vertu de laquelle ils délibéraient ne leur permettait pas d'élire le roi de France, mais qu'elle les laissait libres de nommer le roi de Castille, qui était archiduc d'Autriche et vrai prince allemand ; que, dans les conjonctures présentes, ce choix lui paraissant le meilleur, il voterait en faveur de ce prince, mais en lui imposant des conditions qui assurassent la liberté et l'intégrité de l'empire, et qui prévinssent les périls signalés par les électeurs de Mayence et de Trèves. Son opinion entraîna toutes les autres. L'archevêque de Trèves se rendit lui-même, et le soir, à dix heures, les sept électeurs, réunissant leurs suffrages sur l'heureux Charles, l'élurent roi des Romains et futur empereur sous le nom de Charles-Quint.

Le lendemain, ils s'assemblèrent pour régler les conditions auxquelles ils entendaient le soumettre. Outre la garantie ordinaire des lois, des privilèges et des usages de l'empire, ils exigèrent qu'il ne pùt, sans eux, convoquer aucune diète, établir aucun nouvel impôt, entreprendre aucune guerre, conclure aucun traité ; qu'il n'introduisit point en Allemagne de soldats étrangers, qu'il y donnât tous les emplois publics à des Allemands, qu'il se servit dans ses lettres de la langue allemande, et qu'il vint au plus tôt se faire couronner en Allemagne et y résider. Nicolas Siegler accepta et signa le 3 juillet cette capitulation au nom de Charles-Quint[57]. Les électeurs envoyèrent aussitôt en Espagne le comte palatin Frédéric pour notifier leur choix au nouvel élu et lui signifier leurs vœux.

La nouvelle de l'élection de Charles arriva à Bruxelles le 30 juin, et, par circulaires du même jour, Marguerite ordonna aux officiers et aux magistrats municipaux de faire feux de joye, esbatemens et autres actes et tel cas requis et accoutumés ; de rendre grâces et louanges à Dieu de ce que messieurs les électeurs du Saint Empire avaient unanimement par l'inspiration du Saint-Esprit et sans aucune variation, esleu son seigneur et nepveu roy des Romains (2)[58]. D'autres circulaires invitèrent tous prélats et gens d'église à rendre louanges et grâces à Dieu pour la bonne prospérité du roi[59]. Le serviteur de Marguerite, Guillaume Millo, qui informa de cet heureux événement le magistrat de Malines ; le valet du maître des postes qui l'avait conduit, les serviteurs de Henri de Nassau et d'Antoine de Lalaing qui les premiers en avaient apporté la nouvelle, reçurent tous des gratifications de cette ville[60]. Les états de Flandre envoyèrent à Barcelone une députation pour complimenter le nouvel empereur[61], ceux de Brabant votèrent une aide de cent mille livres, afin de subvenir à l'entretien d'un nombre considérable de gens de guerre et aux dépenses que le roy avait faites pour obtenir la couronne impériale[62].

Charles n'avait pas attendu la nouvelle de son élection pour témoigner sa satisfaction reconnaissante. Des lettres patentes datées de Barcelone, le 1er juillet 1519, avaient rétabli complètement Marguerite dans la haute position d'où l'avaient fait déchoir l'émancipation du jeune prince et la faveur privilégiée dont jouissait auprès de lui le seigneur de Chièvres.

Lors de notre départ des pays d'en bas, pour venir prendre possession de nos royaumes de par deçà, dit ce document, nous avons institué un conseil privé composé de la personne de notre très chère dame et tante, dame Marguerite, avec les princes et seigneurs de notre sang, chevaliers de notre ordre, chefs conseillers, maîtres des requêtes et autres dénommés en l'ordonnance par nous sur ce faite, pour, en notre absence, avoir le gouvernement et administration de nos dits pays d'en bas. Par cette ordonnance, étoit, entre autre choses, dit et déclaré que toutes lettres et provisions, qui se concluroient en notre dit privé conseil, se dépêcheroient sous notre nom ; que les lettres closes se signeroient d'un cachet auquel avions fait imprimer notre nom, et que les affaires de nos finances se conduiroient par le chef et le trésorier général a ce ordonnés. Depuis, dûment et. au vrai informé et averti du grand soin, peine, travail, cure et diligence que notre dite dame et tante avoit faits et pris, et continuoit faire, de plus en plus, à l'adresse et conduite de nos dites affaires de par delà ; la voulant aucunement rémunérer et récompenser de son bon devoir et acquit envers nous, nous lui avons donné pouvoir et autorité de soubsigner de sa main les lettres closes qui se commandoient ou dépêchoient en notre dit conseil privé pour nos affaires et tous autres, ainsi que la superintendance de nos finances avec les dits chef et trésorier général, et la disposition des offices, bénéfices et autres lettres de grâce qui, par la première ordonnance, étoient réservées à notre dit conseil privé conjointement. Aujourd'hui que, par vraie expérience, nous avons connu et connaissons évidemment et notoirement les grands, inestimables et louables services que notre dite dame et tante nous a faits ; le soin, peine et travail qu'elle a pris tant pour élever et instruire notre personne en vertus et bonnes mœurs, que pour dresser et conduire nos affaires au bien et honneur de nous, au salut de nos pays et sujets et de la chose publique, tant durant le temps de notre minorité que durant l'absence de nos dits pays, en bonne raison et par obligation naturelle, nous sommes tenu lui rendre l'honneur qui lui appartient avec le guerdon qu'elle a mérité et mérite envers nous.

A cet effet, savoir faisons que nous, ces choses considérées, mêmement l'amour naturelle que notre dite dame et tante nous a portée et porte ; le soin qu'elle a pris et prend journellement de vaquer et entendre à la conduite de nos affaires ; considérant davantage qu'au moyen des grandes et continuelles occupations que nous avons et qui nous surviennent de plus en plus, pour donner ordre et provision aux affaires tant de nos dits royaumes de par deçà, comme de ceux de notre maison d'Autriche et autres naguères à nous succédés et échus par le trépas de notre feu seigneur et grand'père l'empereur, qu'il est apparent que de longtemps nous ne pensons nous trouver en nos dits pays d'enbas pour, en notre personne, entendre aux affaires d'iceux ; que le gouvernement de nos dits pays de par delà. sera beaucoup mieux et plus sûrement établi en sa personne qu'en nulle autre ; pour ces causes et autres à ce nous mouvans, mêmement pour l'entière et singulière confiance que nous avons toujours eue et avons en sa personne, nous avons, de notre certaine science, propre mouvement, autorité et pleine puissance, fait, créé, ordonné, institué et établi, faisons, créons, instituons et établissons, par la teneur de ces présentes, icelle notre tante, régente et gouvernante, en notre nom, de tous nos pays d'enbas, ensemble de nos sujets et affaires d'iceux.

Nous lui donnons pouvoir, autorité, faculté et pleine puissance de vaquer et entendre au régime et gouvernement de nosdits pays et sujets ; — de faire assembler devers elle et ailleurs, où bon lui semblera et tant de fois qu'elle le voudra, les princes et seigneurs de notre sang, chevaliers de notre ordre, et membres du conseil privé ; — d'y faire proposer, mettre en délibération toutes les matières et affaires qui surviendront ; d'ouïr et entendre leurs opinions ; d'y donner les résolutions et conclusions telles qu'il appartiendra ; de les faire mettre à exécution ; — d'avoir regard et superintendance sur le fait de la justice, des finances, de la gendarmerie, des gouverneurs et capitaines généraux et particuliers ; de tous autres officiers de justice et de recette ; — de promulguer toute espèce d'édits et ordonnances qu'elle jugera convenir au bien, utilité, commodité et police de nosdits pays et sujets et de la chose publique ; — de donner et de disposer de tous offices et bénéfices à notre disposition, venant à vaquer en nosdits pays ; d'accorder à tous délinquants grâce, rémission, abolition et pardon des cas qu'ils auront commis et perpétrés ; — de convoquer et d'assembler les états en général et en particulier, toutes et quantes fois en tel lieu que bon lui semblera ; — de leur faire proposer et exposer les affaires qui surviendront ; de leur demander aides, services ou autres choses ; — d'accepter ou de refuser leurs réponses ; — de faire dépêcher, signer et sceller, sous notre nom et de nos sceaux, toutes espèces de provisions et lettres patentes qui par elle seront délibérées et conclues. — Quant aux lettres closes, nous voulons et ordonnons qu'elles soient dorénavant dépêchées sous le nom de notredite dame et tante, comme régente et gouvernante, et qu'elles soient par elle signées de son propre nom. Ces lettres seront de tel effet, valeur et vertu que si nous même les avions commandées et signées de notre main. Enfin nous autorisons notredite tante à généralement faire, ordonner, commander toutes choses qu'elle verra servir au bien et honneur de nous, à la conservation de nos droits, hauteur, seigneurie, autorité et prééminence, comme nous même ferions, le tout durant notre présent voyage d'Espagne, Nous promettons de bonne foi et en parole de roi, de tenir ferme et établi tout ce qu'elle aura ordonné et exécuté, et ordonnons à chacun de lui obéir comme à nous même[63].

 

Il est vrai que des instructions secrètes du 16 du même mois apportèrent quelques restrictions à ces pouvoirs presque illimités. Charles n'en continua pas moins à se montrer de plus en plus reconnaissant envers une tante si habile et si dévouée. Par lettres du 18 septembre 1520, il lui céda et transporta, pour en jouir sa vie durant, la ville et le territoire de Malines[64].

 

 

 



[1] Lettre de l'évêque de Badajoz à Ximenès, dans les Bulletins de la Commission royale d'histoire, 1re série, X, 8. Ce document important est de 1516 ; l'auteur avait été appelé dans nos contrées en 1509 par Marguerite, qui désirait être renseignée sur la situation de l'Espagne.

[2] Un témoin oculaire, d'une grande autorité, nous en fait ce récit : Pour vous dire ce que j'appris en ce voyage de la façon dont estoit instruit le prince d'Espagne, le seigneur de Chièvres le nourrissoit alors encore qu'il n'eust atteint le quinzième an de son âge, en telle sorte que tous les paquets qui venoient de toutes provinces, lui estoient présentés encore qu'il fust la nuit. Après les avoir vus, il les rapportoit lui mesme en son conseil, ou toutes choses estoient délibérées en sa présence. Et un jour estant M. de Genlis et moi à souper chez le seigneur de Chièvres ; M. de Genlis lui dit qu'il estoit étonné qu'il donnast tant de travail à l'esprit de ce jeune prince, vu qu'il y avoit moyen de le soulager. Le seigneur de Chièvres lui respondit : mon cousin, je suis tuteur et curateur de sa jeunesse ; je veux, quand je mourray, qu'il demeure en liberté, car s'il n'entendoit ses affaires, il faudroit, après mon décez, qu'il eust un autre curateur pour n'avoir entendu ses affaires, et n'avoir esté nourri au travail, se reposant toujours sur autruy. Mémoires historiques de Martin du Bellay. Ces Mémoires d'un habile négociateur et d'un grand capitaine vont de 1543 jusqu'en 1547.

[3] Le personnage qui gouverne et par la main duquel tout se fait absolument ici, est M. de Chièvres, homme prudent et doux ; mais il est bon que le seigneur cardinal sache que la passion qui règne surtout chez les gens de ce pays, c'est la cupidité. Lettre citée de l'évêque de Badajoz. — On doit convenir, remarque M. Gachard, que les actions du seigneur de Chièvres et de ceux qui partageaient le pouvoir avec lui, ne justifièrent que trop cette accusation de cupidité.

[4] Azevedo.

[5] Un ouvrage du temps nous a conservé le récit de rentrée de Charles en cette ville. Voir Remi Dupuy, La triomphante et solennelle entrée faiste sur le nouvel et joyeux advénement de très-haut et très-puissant et très-excellent prince monsieur Charles, prince des Espaignes archiduc d'Autriche, etc., en sa ville de Bruges, l'an MDXV, le 18e jour d'apvril après Pacques, rédigé en escript. In-folio avec figures, Bruges.

[6] François Ier, né en 1494, fils de Charles d'Orléans, comte d'Angoulême, et de Louise de Savoie, arrière-petit-fils de Valentine de Milan, succéda, le 1er janvier 1515, à Louis XII, mort sans enfants mâles. — Charles, invité à son sacre, avait décliné cette invitation, en invoquant des occupations et empêchements qu'il avoit et qu'il alloit sans doute avoir, à cause de plusieurs grandes et urgentes affaires lui survenant journellement, tant par le fait de son entrée et réception à la seigneurie de par deça que autrement en plusieurs et diverses manières. Commission donnée au comte de Nassau, le 22 janvier 1515. Bulletins de la commission d'histoire, 2e série. V, 317-319.

[7] Renée de France était la deuxième fille de Louis XII ; elle épousa, en 1528, Hercule II, duc de Ferrare.

[8] Corps diplomatique de Dumont, IV, le partie, pages 109-203. L'écu d'or au soleil de François Ier de 1519 pesait 3 grammes 25 centigrammes à 3 francs 30 centimes le gramme, ce qui en portait la valeur métallique à 11 fr. 5 cent. Or le pouvoir de l'or et de l'argent étant à cette époque cinq fois plus fort au moins qu'aujourd'hui, un écu d'or au soleil de 1519 avait la valeur relative de 50 fr. 25 c. de notre monnaie actuelle. Depuis 1854, la différence entre le pouvoir ancien et le pouvoir actuel des valeurs métalliques, indiquée par M. Mignet auquel je l'emprunte, n'a fait que s'accroitre.

[9] La Frise occidentale était formée de trois quartiers et comprenait onze villes : Leeuwarden et Dokkum dans l'Oostergoo ; Franeker, Boliward, Sneek, Ylit, Harlinghen, Workum, Hindelopen et Stavoren, dans le Westergoo ; et Sloten, dans le quartier des Sept-Forêts. Ce pays s'était longtemps maintenu dans une certaine indépendance, se réclamant de l'empire pour nier les droits des comtes de Hollande. Charles le Téméraire lui-marne avait échoué dans ses tentatives pour le soumettre. Sous Maximilien, le célèbre Albert de Saxe parvint à obtenir une soumission complète et prit le titre de gouverneur et podestat de tous les districts frisons. Sous son fils Henri un soulèvement général éclata (1499). Henri céda ses droits à son frère Georges (1503). Les Frisons repoussèrent cet arrangement, et une guerre acharnée commença. Georges, désespérant de se maintenir dans un pays qu'il ne nommait plus Fryslandt, mais Fretlandt (pays dévorant), finit par céder tous ses droits à l'archiduc, moyennant cent mille florins d'or.

[10] M. de Saint-Genois en a donné la description dans la Revue de Bruxelles, septembre 1838, d'après l'historien Adrien Van Meerbeek d'Anvers. — Ces funérailles coûtèrent, pour velours et soieries, 1358 livres, 2 sous ; pour ornements, peintures, dorures, plumes, broderies, bannières, 1579 livres, 15 sous ; pour draps employés à la confection des manteaux, chaperons et sayons de deuil, 8920 livres, 12 sous. On remarquait dans le cortège un chariot triomphant, et il avait été alloué au peintre qui avait fait les patrons des personnaiges des painctures de l'arbre doré qu'estoit sur le char, 15 livres. Les personnages du char, serpents, dragons, petits enfants, avaient été exécutés par Jacques Daret, tailleur d'images, au prix de 76 livres, 8 sous. Jean Wattelle, peintre à Malines, dora le char et les personnages pour le prix de 125 livres. Compte de Jean Micault. — Depuis la grande porte latérale de l'église, qui fait face aujourd'hui à la rue des Paroissiens, jusqu'au palais du prince, on avait construit une galerie, élevée de quatre pieds au dessus du sol, entièrement couverte de draperies noires. Plus de mille bourgeois s'y tenaient postés, une torche à la main et un blason sur la poitrine.

[11] Dumont, IV, 1re partie, 221.

[12] Dumont, IV, 1re partie, 256.

[13] Les Français, disait l'évêque de Badajos, n'observent ni la vérité, ni l'amitié ; et il est probable qu'ils l'observeront encore moins envers le prince, notre seigneur, à cause de la jalousie qu'ils de ce qu'il est plus grand et plus puissant seigneur que leur maître. Lettre citée.

[14] Chronique de la maison de Bourgogne, depuis la naissance de Charles-Quint, par Robert Macquéreau, l. IV, c. 3. — Cet écrivain était un bourgeois de Valencienne, fort curieux, qui enregistrait soigneusement tout ce qui se passait sous ses yeux, ou arrivait à ses oreilles. Paroles des souverains et des hommes puissants, lettres publiques et privées, bruits populaires, il donne tout dans un style provincial et diffus.

[15] Azevedo.

[16] Ce conseil était nombreux. Marguerite n'y figurait qu'au même titre que les princes du sang et les chevaliers de la Toison d'or. La seule attribution spéciale que les lettres d'institution conféraient à cette princesse était la garde du cachet que Charles avoit fait graver pour imprimer son nom eu lettres closes. A. Henne, Histoire de Charles-Quint en Belgique, II, 201 et suivantes.

[17] Voir la Biographie nationale publiée par l'Académie royale, t. III, p. 340, article de M. Gachard.

[18] Compte de Jean de Berghes.

[19] Fueros du latin forum. On appelle ainsi en Espagne les droits et privilèges de certaines provinces du nord. L'origine de ces privilèges se perd dans les commencements de la monarchie espagnole. Ils existaient déjà aux premiers temps de la lutte des petits rois de l'Espagne septentrionale contre les Maures, et ils paraissent avoir été modelés sur les lois des Visigoths.

[20] Les restes furent transférés plus tard à Insprück, où l'empereur Ferdinand Ier, son petit-fils, lui fit ériger un superbe mausolée.

[21] Lettre de l'évêque de Badajoz.

[22] Groot ou lange Pier.

[23] A. Henne, ouvrage cité, II, 185-186.

[24] Comptes de Jean de Berghes et de Jean Micault.

[25] Robert Macquéreau, IV, c. 3.

[26] A. Henne, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, II, 190. — Nous suivons ce laborieux écrivain dans tous ces détails, qu'il a étudiés et reproduits avec une exactitude minutieuse.

[27] Compte de Jean Van der Aa, grand fauconnier du roi et écoutète de Malines.

[28] Tonlieu perçu sur toutes les marchandises arrivant par l'Escaut.

[29] Le Petit, La grande Chronique ancienne et moderne de Hollande, de Zélande, etc. Dordrecht 1601 ; VII, 20-21.

[30] Compte de Jean de. Berghes.

[31] Compte de Jean de. Berghes.

[32] Compte de l'hôtel de Marguerite.

[33] Le Pays-Bas est le plus foible vers la Meuse et l'Allemagne, laquelle rivière est en aulcuns lieux guéable, mesmes vers Maseyck et Stockeim en temps d'esté du sec, et sont les pays des deux costes de la rivière illecq appartenant à l'évesché de Liège. Mémoire ms. du seihneur de Glayon aux Archives du royaume, registres intitulés : Lettres des seigneurs, III, f° 312.

[34] M. Moke, Histoire de le Belgique, II, 84.

[35] Maximilien écrivit à ce sujet à sa fille : Je me réjouis d'apprendre que mon petit-fils vous a rendu l'honneur et l'autorité, et je suis certain que vous vous acquitterez si bien de la conduite des affaires que le roi augmentera de plus en plus cette autorité. Le Glay, Correspondance, II, 372.

[36] Voir notre Histoire, VIII, 330.

[37] Un grand nombre de rentiers et presque tous ceux qui faisaient partie de la magistrature, avaient abandonné la ville pour sa retirer à Gand, à Ypres, à Lille ou en d'autres villes de Flandre. Les uns vendaient leurs meubles ; les autres les emmenaient, et partoient tant de bagages de la ville qu'on ne les savoit bouter ès navires. — La peste enleva, dit-on, trente mille âmes. — Henri VIII avait employé les trente mille écus imposés à la ville, à l'érection du château et à de nouvelles fortifications. Pour achever ces travaux, il fallut augmenter les charges et établir de nouveaux impôts sur la mouture, et sur la fabrication de la bière. Chotin, Histoire de Tournai et du Tournaisis.

[38] Dumont, IV, Ire partie, 266 et suivantes.

[39] Par des lettres patentes du 16 février. Gachard, Notice sur les archives de Tournai.

[40] Tome VIII, page 225.

[41] Mignet, Une élection à l'empire en 1519.

[42] Tanta est ejus gravitas et animi magnitude ut hahere sub pedibus mundum universum præ se ferre videatur. Petri Martyris Anglirii Epistolœ. l. XXXII. epist. 643.

[43] Marignan, Marignano ou Malegnano, en italien, sur le Lambre, à 14 kilomètres S. E. de Milan. François Ier y remporta, le 13 et le 14 septembre 1515, une victoire mémorable sur le duc de Milan, Maximilien Sforce, et les Suisses.

[44] Le Glay, Négociations diplomatiques, II, 126.

[45] Lettres de Maximilien au roi Charles, du 18 et du 24 mai 1518 (archives de Lille), imprimées, la première, dans les Négociations diplomatiques, t. II, p. 123 ; la seconde, dans Anzeiger für Kunde der teutschen Vorzeit, par T. J. Mone, Karlsruhe, 1836, p. 14. Note de M. Mignet.

[46] Toutes les pièces relatives à ce projet de croisade sont imprimées dans le volume Ier, p. 10 à 82, des Négociations de la France dans le Levant, publiées par M. E. Charrière, 1848. — Collection des Documents inédits sur l'histoire de France. Ibid.

[47] Estat de l'argent comptant que à cette journée impériale d'Augsbourg a, pour et au nom du roy, esté desboursé. Dans Mone, p 407-411. Le florin d'or valait un peu moins que l'écu au soleil. Il pesait 3gr.225, ce qui lui donnait une valeur métallique de 40 fr. 64 c., qu'il faut multiplier par 5 pour avoir sa valeur relative. Ibid.

[48] Lettres réversales, par lesquelles on fait une concession en échange, en retour d'une autre.

[49] Court d'argent.

[50] Lettre de l'ambassadeur, Thomas Boleyn, au cardinal Wolsey, du 28 février. Dans Ellis, Original Letters, vol. 1, p. 147. Ibid.

[51] Bref du 12 mars 1519. L'original sur parchemin. Archives, Carton J. 952, pièce 5. Ibid. — Léon X avait d'abord montré plus de penchant pour Charles que pour son compétiteur ; à la fin, il les repoussa tous deux et chercha à faire élire un prince allemand. IL prévoyait que le choix de l'un ou de l'autre des deux monarques déjà si puissants mettrait en danger la liberté de l'Europe, l'indépendance du Saint-Siège et la paix de l'Italie.

[52] Lettre de Henri de Nassau à la gouvernante Marguerite, du 11 mars (archives de Lille), publiée dans Mone, p. 124. Ibid.

[53] Les Suisses l'avaient accueilli cordialement, avaient écouté avec faveur ses propositions, et, pour lui prouver encore mieux leurs bons sentiments, ils s'invitaient sans façon chez lui, où ils remplissaient chaque jour trois ou quatre grandes tables. Accablé de leurs demandes, les ayant du matin au soir dans sa maison, obligé de supporter leurs exigences et leurs familiarités, de traiter sans cesse l'argent et le verre à la main, ce seigneur écrivait : Si j'eusse su que l'on eût mené ici une pareille vie, j'eusse mieux aimé porter des pierres que d'y être venu. Lettre de Maximilien de Berghes, de Zurich, le 22 mars 1519, dans Le Glay, Négociations, etc., t. II, p. 364-373.

[54] Lettre du 4 avril 1519 écrite de Zurich par les Suisses aux électeurs. Dans Bucholtz, Histoire de Ferdinand Ier, vol. I, p. 97.

[55] Mémoires de Fleuranges. — L'auteur de ces Mémoires est Robert III de la Marck, dit l'adventureux, né à Sedan vers 4490. Il prit part aux guerres d'Italie, commanda l'avant-garde française à Marignan, et fut fait prisonnier à Paris. En 1519, il avait été envoyé en Allemagne pour gagner des voix à François Ier. Il mourut en 1597. C'est pendant sa captivité qu'il écrivit ses Mémoires ; ils s'étendent de 1499 à 1521.

[56] Luther avait commencé à dogmatiser en 1517.

[57] Dumont, Corps diplomatique, t. IV, p. 1, p. 206.

[58] Compte de Jean de Berghes.

[59] Compte de Jacques de Laitre.

[60] Azevedo.

[61] Cette députation était composée de l'abbé des Dunes, de Louis de Praet, bailli de Gand, et des seigneurs de Blaegvelt et de Boesweghe. Placards de Flandre, II, 421.

[62] Compte d'Adrien Van Heilwygen (n° 15752) aux Archives du royaume.

[63] Archives de l'audience, citation de M. Henne.

[64] L'acte est en original aux archives de Lille.