L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

PREMIÈRE SECTION. — LA BELGIQUE SOUS LA RÉGENCE DE MAXIMILIEN D'AUTRICHE

 

CHAPITRE II. — REPRISE DES HOSTILITÉS AVEC LA FRANCE ; TROUBLES GRAVES DANS LA FLANDRE ; MAXIMILIEN EST EMPRISONNÉ À BRUGES.

 

 

Le secours envoyé par le roi Charles VIII aux Gantois avait créé entre lui et le nouveau roi des Romains une situation qui n'était ni la paix ni la guerre, mais qui ne devait pas tarder à prendre le caractère d'une inimitié déclarée. Les hostilités commencèrent à la frontière, où les gens de guerre des deux pays firent de part et d'autre des incursions et des coups de main. Le sire de Montigny surprit Mortagne ; Térouane fut escaladée par Salazar le 19 juin 1486, et ce fait d'armes fut suivi de près d'une tentative dirigée contre Saint-Quentin. Mais les chances tournèrent. Le sire de Crèvecœur reconquit l'importante forteresse de Térouane le 26 juillet, et ce premier revers fut suivi d'un second échec plus grave que celui-ci. Les hommes d'armes allemands et bourguignons qui suivaient la bannière du comte de Nassau voulurent réparer la perte de Térouane en enlevant la ville de Béthune ; mais ils se laissèrent surprendre et furent mis en déroute ; plus de neuf cents d'entre eux restèrent. sur le carreau. Le comte de Nassau fut fait prisonnier, et avec lui Charles de Gueldre, Pierre de Hennin, Gérard de Boussut, Georges van der, Gracia, Charles et Philippe de Mœrkerke, Jean de Commines, Jean de Praet, Jean d'Overschelde, bailli d'Ypres ; Jacques de Heere, bourgmestre du Franc, et les principaux chevaliers du parti de Maximilien.

De nouveaux efforts étaient nécessaires. Le roi des Romains écrivit aux états de Flandre afin de réclamer des subsides pour faire face aux exigences de la guerre. Les états, réunis à Termonde, et délibérant sans la participation des députés du Franc, qu'ils refusaient de reconnaître comme quatrième membre malgré une charte récente de Maximilien, déclarèrent qu'ils désapprouvaient la guerre contre la France, et étaient d'avis de maintenir le traité d'Arras de 1482. Le roi des Romains répondit que si les états n'accordaient point un nouvel impôt, il le ferait lever par ses commissaires. Ces menaces produisirent peu d'effet : depuis la défaite du comte de Nassau, on avait cessé de redouter les hommes d'armes allemands. Bientôt on vit Jean de Coppenolle revenir à Gand, où il fut bien vite rejoint par Adrien Vilain, sire de Rasseghem. Celui-ci avait été arrêté à Lille par les archers allemands et conduit à Vilvorde, mais il avait été délivré de sa prison par son parent, sire Adrien de Liedekerke. Il protestait que si l'on croyait avoir quelque chose à lui reprocher, il était prêt à répondre à toutes les accusations.

Les magistrats indécis sur ce qu'ils avaient à faire, envoyèrent, dans le courant du mois de septembre 1487, au roi des Romains une députation composée de l'abbé de Saint-Pierre, de Josse de Ghistelles, de Paul de Baenst et d'Adrien de Raverschot. Maximilien confia le soin d'évoquer cette affaire au grand bâtard de Bourgogne et aux sires de Clèves et de Beveren. Ceux-ci invitèrent les sires de Rasseghem et de Liedekerke à comparaître à Termonde, et trois gentilshommes se rendirent comme otages à Gand, afin de répondre de la sûreté des accusés. Ces derniers ne cherchaient que des prétextes pour ne pas se rendre à Termonde, où ils craignaient quelque trahison. Ils y réussirent, grâce à la convocation des doyens des corporations et des métiers appelés à délibérer sur l'affaire. De leur côté, les otages ne tardèrent pas à quitter Gand, où ils redoutaient les progrès de l'agitation populaire.

Cependant le jour de l'assemblée des doyens des métiers arriva. Ils déclarèrent que les sires de Rasseghem et de Liedekerke ne devaient pas se rendre à Termonde, attendu qu'ils n'étaient justiciables que des magistrats de Gand. Ils ne se contentèrent pas de cela, et formulèrent un exposé des griefs de la commune contre le roi des Romains.

Nous voulons, disaient-ils dans ce document, le maintien du traité conclu à Arras le 23 décembre 1482, et nous ne consentirons point à la continuation de la guerre contre la France, source constante d'impôts toujours détournés de leur légitime destination ;

Nous voulons aussi le maintien du traité de Tournai du 13 décembre 1485, et il faut que les magistrats des villes conservent le droit de sonner les cloches afin de chasser et de mettre à mort, s'il y a lieu, les ennemis du pays[1] ;

Nous réclamons les privilèges qui nous ont été enlevés ;

Nous voulons soumettre à un sérieux examen les dépenses faites par la ville de Gand depuis la mort de Guillaume Rym ;

Nous voulons enfin que l'on démolisse le pont qui se trouve à côté de l'hôtel de Ten Walle[2].

Le peuple accueillit cette déclaration avec des transports de joie. Les partisans du roi des Romains se hâtèrent de sortir de la ville, où l'on pilla leurs maisons. L'argent qu'on y trouva fut employé à réorganiser les associations tristement fameuses des chaperons blancs et des compagnons de la tente verte, qu'on voulait opposer aux Allemands errants aux environs de la ville, et y semant l'effroi et la désolation[3]. Les métiers étaient réunis en armes sous leurs bannières. Des députés furent envoyés à Maximilien, afin qu'il fît choisir, par ses commissaires, de nouveaux magistrats qui jurassent l'observation des traités de 1385 et de 1482. Les métiers ajoutaient que s'il ne le faisait point, ils procéderaient eux-mêmes au renouvellement de l'échevinage conformément au privilège de 1301[4]. En effet ils désignèrent, peu de jours après, des commissaires qui élurent Adrien de Rasseghem premier échevin de la keure.

Le roi des Romains répondit à ces manifestations en essayant de nouveau de surprendre la ville de Termonde. Mais, cette fois, Philippe de Hornes, moins heureux que Jacques de Foucqueroules, fut repoussé par les bourgeois. Le sire de Liedekerke fut aussitôt créé capitaine de Gand, et toutes les villes de Flandre furent instruites de la rupture de la paix par de longues lettres où l'on réclamait leurs conseils et leur secours. Les Gantois n'avaient pris les armes, disaient-ils, que pour défendre leurs privilèges et maintenir la sécurité publique compromise par des mercenaires étrangers[5]. Ils joignirent les faits aux paroles, et on les vit s'avancer en armes jusqu'aux portes d'Anvers, de Bruxelles et de Courtrai.

Ces nouvelles déterminèrent Maximilien à se rendre immédiatement en Flandre. Il arriva à Bruges, après avoir passé par Courtrai, le 16 décembre 1487. Deux cent cinquante mercenaires allemands, tant reitres que gens de pied, l'accompagnaient. Ils étaient, tellement haïs et redoutés, qu'à leur arrivée la plupart des marchands étrangers quittèrent Bruges, et se retirèrent à Anvers pour y former de nouveaux établissements. Un écrivain contemporain nous décrit, en ces termes, la situation des choses et la disposition des esprits à ce inoment de notre histoire : Les Flamans yoyant les pays foullés par faulte de justice, laquelle ils désiroient sommièrement estre entretenue, voloient que le roy se fesist quite des Alemans, lesquels ils voyoient envis et avoient grand regret à la paix faite de l'an quatre-vingt-deux ; et leur sembloient bien que l'infraction d'icelle leur estoit donimaigeable, et que par la nutrition de la guerre, innumérabtes deniers, quasi par millions, s'estoient levés en Flandre, desquels ils vouloient avoir le compte, pensans que tous n'estoient venus à la cognoissance du roy, mais aulcuns gouverneurs, comme ils disoient, les attribuoient à leur profit singulier, et disoient mesme que le duc Philippe ne le duc Charles n'avoir-nt autant tiré de chevance de Flandre comme avoit fait le roy de sa prime venue. La garde du roy, qui sans entretenante avoit foullé et mangé le plat pays de Brabant et de Hollande, se tiroit lors vers lui estant à Bruges et se tenoit à l'environ, au grand desplaisir de ceulx de la ville, qui fort doubtoient d'estre pillés tant par ladite garde que par les Allemands qui lors estoient avec le roy, et qui plus est, ils s'anuyoient parce que le roy, ensemble son estat, s'estoit longtemps tenu à Bruges, à la grande charge des hostellains qui les soustenoient à leurs despens, sans recevoir paye, dont ils estoient fort mal contens ; et n'avoient rien sinon menaces, opprobres et villenies d'aulcuns mauvais garchons qui disoient par manière de dérision que le temps estoit venu qu'ils baigneroient leurs bras au sang des Flamans[6].

Cette situation n'était pas faite pour rassurer le roi des Romains lui-même ; il s'effrayait, des symptômes de désaffection et de résistance qu'il voyait éclater partout autour de lui. Essayant de différents moyens pour ramener la confiance, il commença par convoquer les états des diverses provinces de par deçà, et entretint de son désir de rétablir la paix les députés d'Ypres, de Valenciennes, de Lille, de Douai, d'Orchies, de Bois-le-Duc, de Middelbourg, les seuls qui eussent répondu à son appel. Il assura ensuite les doyens des métiers de Bruges, réunis à l'hôtel de ville, qu'il partageait leur vœu de voir cesser la guerre, et qu'il avait déjà obtenu un sauf-conduit afin d'aller vers le roi de France, pour pratiquer la paix[7].

Mais il n'était plus temps. Les évènements précipitaient la Flandre avec une effrayante rapidité vers une guerre intérieure. Le 9 janvier 1488, le sire de Liedekerke, à la tète de six mille hommes, s'emparait de Courtrai, et, au même moment, Ypres fermait ses portes aux sergents d'armes que Philippe de Clèves et le sire de Polheim amenaient en toute hâte dans ses murailles, afin de les protéger contre les Gantois et contre les Français, déjà maîtres de Bourbourg.

Le 12 janvier, Maximilien, dont les anxiétés allaient toujours croissant, assembla à l'hôtel des échevins les doyens et les hooftmans de la commune de Bruges. Il leur fit connaître qu'il avait envoyé à Gand quelques-uns de ses conseillers, mais que les Gantois ne voulaient traiter qu'avec des mandataires appartenant par leur naissance à la Flandre. Il les pria de désigner eux-mêmes des députés afin de chercher à rétablir la paix. L'assemblée y consentit, mais elle refusa nettement le contingent de deux mille hommes et le subside demandés par Maximilien. Ses membres n'avaient, disaient-ils, aucun pouvoir à ce sujet, et ils voulaient s'en tenir au traité d'Arras, protestant que si le prince s'y conformait lui-même, il trouverait toujours en eux de fidèles sujets. Ils insistèrent surtout pour obtenir l'éloignement des mercenaires allemands, et annoncèrent l'intention de garder dorénavant eux-mêmes les portes de leur ville. Maximilien s'opposa vivement à cette dernière résolution. Malgré les remontrances du président du conseil de Flandre, Paul de Baenst, sire de Vormezeele, et de l'écoutète Pierre Lanchals, il se rendit de sa personne à l'hôtel des échevins, accompagné d'une suite de cinquante chevaux. Tout fut inutile : les doyens et les hooftmans persistèrent dans leur décision, et-exigèrent qu'à l'avenir chaque porte fût gardée par trois bourgeois et douze hommes des métiers[8].

Les députés de Bruges, auxquels s'étaient joints Victor de Lichtervelde et d'autres mandataires de la ville d'Ypres, furent reçus en audience solennelle, le 22 janvier, par les échevins de Gand. Le pensionnaire de Bruges, Jean Rogiers, porta la parole et rappela comment, dans les troubles précédents de la Flandre, les différentes villes s'étaient mutuellement prêté le secours de leur médiation. Mais les magistrats de Gand répondirent qu'ils avaient déjà interjeté appel devant le roi de France, leur souverain seigneur, et que Maximilien, loin d'y répondre, avait violé' le traité d'Arras, en faisant la guerre à Charles VIII. Ils ajoutaient que la médiation des Brugeois était trop tardive pour une autre raison, puisque déjà plusieurs de leurs chaperons blancs avaient été mis à mort[9]. Ils chargèrent ensuite les députés de remettre à la commune de Bruges un long mémoire, où ils exposaient énergiquement leurs griefs : la levée de taxes énormes dont on n'avait jamais rendu compte, l'appauvrissement de toutes les villes, l'appel d'une armée de mercenaires étrangers, l'éloignement du duc Philippe de la Flandre au mépris d'une promesse formelle, la constitution du quatrième membre contre le vœu général du pays.

Les députés revinrent à Bruges le 24 janvier, et communiquèrent immédiatement à Maximilien la réponse des Gantois. Celui-ci s'en montra fort mécontent, et conjura les députés de ne rendre publique que la protestation assez vague en faveur des traités de 1385 et de 1482, en taisant tout le reste. Il obtint ce qu'il demandait, et les magistrats consentirent à ajourner l'assemblée qu'ils avaient convoquée afin de délibérer sur le message des Gantois. Ce n'était là qu'une mesure dilatoire, et Maximilien vit bien qu'il fallait recourir à des moyens plus efficaces, et que le temps d'agir était venu. Il écrivit au sire de Gaesbeek de se diriger vers Bruges à la tête de sa cavalerie hennuyère, et prit soin d'examiner par lui-même la situation des lieux et le nombre des gardes qui veillaient aux portes. Enfin, ayant appris le 31 janvier que le sire de Gaesbeek était arrivé près de la ville, et ayant été informé presque en même temps qu'une seconde députation de Bruges avait échoué à Gand comme la première, il résolut d'exécuter son plan immédiatement.

Le roi des Romains range ses Allemands en ordre de bataille, avec leur artillerie, dans la cour de son hôtel, et envoie des messagers, avec une escorte de trente fantassins, remettre au sire de Gaesbeek l'ordre de se présenter sans retard à la porte des Maréchaux. Le même soir, le roi des Romains, accompagné du bourgmestre Jean de Nieuwenhove et d'une suite peu considérable, se rend à la porte qu'il a désignée au sire de Gaesbeek. Le bourgmestre donne l'ordre de l'ouvrir, mais les gardiens, redoutant quelque trahison, s'y refusent obstinément. Il n'y avait pas de temps à perdre. Maximilien se dirige à la haie vers la porte Sainte-Croix, où l'attendaient Jacques de Ghistelles, Jacques de Heere et Corneille de Metteneye, et de là vers la porte de Gand : il y éprouve le même refus. Il est plus heureux à la porte Sainte-Catherine ; on la lui ouvre, et dès qu'il est sorti de la ville, il fait avertir le sire de Gaesbeek que c'est de ce côté qu'il doit se porter. Lui-même rentre à Bruges, et s'empare du guichet ; mais le cri des gardiens : Trahison ! trahison ! a été entendu ; les bourgeois accoururent des rues les plus voisines, et la herse est abaissée avant l'arrivée du sire de Gaesbeek. Maximilien tente inutilement un dernier effort à la porte de la Bouverie. A bout de ressources, il rentre à son hôtel, où il mande aussitôt Pierre Lanchals et les principaux habitants de son parti. Cependant le bruit de ce qui vient de se passer à la porte Sainte-Catherine se répand partout ; les métiers courent aux armes, et bientôt occupent toutes les portes sous les ordres de leurs doyens.

C'était une lutte suprême ; Maximilien comprenait qu'il fallait. l'emporter ou succomber. Il avait appris que la porte de Gand était confiée à Mathieu Denys, doyen des charpentiers, qu'il croyait lui être plus favorable que ses collègues. La nuit n'était pas finie, lorsqu'il se dirige de ce côté avec quelques-uns de ses partisans et quelques cavaliers allemands. Mais ses espérances sont déçues. Mathieu Denys rejette avec de rudes et violentes paroles toutes les prières qui lui sont adressées. Livrez-moi votre doyen, s'écrie alors le roi des Romains, en se tournant vers les hommes des métiers qui entouraient Mathieu Denys, livrez-moi votre doyen, et je vous comblerai de mes bienfaits. —Et nous, tant qu'il y aura une goutte de sang dans nos veines, répond le porte-étendard Adrien Demuer, nous jurons de ne point l'abandonner. Maximilien insiste pour qu'on le laisse au moins sortir de la ville avec ses cavaliers allemands. On ne le lui permit pas davantage, parce qu'on craignait que son intention ne Mt de rallier les garnisons de Damme et de l'Écluse pour aller rejoindre la petite armée du sire de Gaesbeek.

Cependant l'irritation croissait de moment en moment. Maximilien tint conseil avec ses partisans et ses officiers pour décider ce qu'il y avait à faire. Il faut, dit Salazar, que nous nous armions les premiers avant que ces vilains aient eu le temps de se réunir sur la place du marché. L'avis fut adopté. Pierre Lanchals fit prévenir les bourgeois de son parti qu'ils eussent à se préparer, et Maximilien vint occuper la place avec tout son monde rangé en bataille. Quelques heures s'écoulèrent. Les bourgeois favorables à Maximilien ne se montraient qu'en petit nombre, et le métier des brasseurs, sur lequel on fondait quelques espérances, ne se déclarait point. Les Allemands simulaient des évolutions de combat[10] pour empêcher la foule de se mêler à leurs rangs. Mais comme cette foule, inquiète et curieuse, grossissait sans cesse, les Allemands, se voyant serrés de plus près, baissèrent leurs lances pour la tenir éloignée, en criant : Staet ! staet ! Arrêtez ! arrêtez ! Le peuple comprit : Slaet ! slaet ! Frappez ! frappez ! et se précipita en désordre par toutes les issues du bourg. La terreur alors se répandit dans la cité, et l'on vit les chanoines de Saint-Donat, craignant le pillage, cacher leurs objets les plus précieux et appeler les clercs à la défense de l'église. Le tocsin retentit ; les doyens des métiers et les hooftmans s'assemblent au plus vite de leur côté, et envoient des messagers réclamer l'appui des villes d'Ypres et de Gand ; puis ils se portent aux halles avec quarante-neuf canons et cinquante-deux bannières[11]. A la nouvelle de ces démonstrations, le roi des Romains effrayé renonce à la lutte, et regagne son hôtel, où il se tient renfermé.

Le peuple cherchait Pierre Lanchals pour assouvir sa fureur ; les armes que l'on découvrit dans sa maison parurent une nouvelle preuve des projets qu'on lui attribuait, mais Lanchals -avait disparu, et son absence évita l'horreur d'un crime à la fin de cette journée déjà. si agitée. La foule se dirigea ensuite vers les halles, pour  y enlever les têtes défigurées de Jean de Keyt, d'Antoine Labbe, de Pierre Vander Eecke, du sommet des tourelles où elles se trouvaient, depuis près de trois années, exposées sur des piques. Ce fut en ce moment que des conseillers du roi des Romains se présentèrent avec une charte, qui invitait le peuple à la paix et lui pardonnait ses séditions[12]. Le président du conseil de Flandre, Paul de Baenst, demanda aux bourgeois ce qu'ils voulaient : Nous voulons, répondirent-ils, que l'on nous montre le mémoire des Gantois sur les griefs du pays ; nous voulons de plus que l'on nous donne un nouveau bourgmestre et un autre écoutète, au lieu de Jean de Nieuwenhove et de Pierre Lanchals, qui ont mérité d'être livrés à la justice. Le roi des Romains accéda à ces deux demandes, et leur accorda Josse Dedecker pour bourgmestre, et Pierre Metteneye pour écoutète. Le même jour on annonça du haut du balcon des halles qu'une récompense de cinquante livres de gros serait donnée à quiconque livrerait Pierre Lanchals et Jean de Nieuwenhove. Plus heureux que ceux-ci, Salazar, que les communes accusaient d'avoir rompu la paix avec la France par l'escalade de Térouane et d'avoir conseillé l'armement de la place du bourg, avait réussi à sortir des remparts de Bruges[13].

Le 4 février, le roi des Romains se décide à se rendre lui-même au milieu de l'assemblée du peuple. Il traverse la place du marché en saluant courtoisement les bourgeois qui l'entourent, et monte avec Pierre Metteneye au balcon des halles pour tenter quelque nouveau moyen de conciliation, matis il n'obtient que cette réponse : Nous attendons les députés d'Ypres et de Gand. La séance continuant, il entendit lire une lettre des échevins de Gand, où ceux-ci, tout en promettant leur appui aux Brugeois, les informaient d'un succès important et récemment obtenu, la défaite et la mort du sire de Gaesbeek, qui s'était éloigné de Bruges pour surprendre Courtrai, et s'était lui-même laissé surprendre par le sire de Liedekerke. Ce ne fut qu'après avoir assisté à un long récit où les Gantois félicitaient ceux de Bruges de ce qu'ils pouvaient désormais se juger à l'abri de tout péril ; ce ne fut qu'après avoir vu renouveler l'ordre de poursuivre des recherches actives pour découvrir ses partisans cachés à Bruges, que Maximilien descendit du balcon des halles, et passa à travers les rangs serrés des bourgeois, dont les acclamations n'avaient pas cessé de retentir.

Le lendemain, de nouvelles lettres arrivèrent de Gand, où Adrien de Rasseghem avait déchiré, au milieu des applaudissements populaires, le calfvel du 22 juillet 1485. On y engageait, les bourgeois de Bruges à ne pas se séparer et à ne pas se laisser tromper par les belles paroles du roi des Romains, mais à le bien garder jusqu'à ce que les députés des trois membres fussent réunis. On les invitait aussi à s'assurer de la personne des principaux conseillers de Maximilien et de ses partisans les, plus connus, parmi lesquels se trouvaient cités les abbés de Saint-Bertin et de Saint-Benigne de Dijon, Jacques de Ghistelles, Jean de Nieuwenhove, Pierre Lanchals, Georges Ghyselin, Rolanil Lefebvre, Jacques de Heere, Thibaut Barradot, Paul de Baenst, et Matthieu Payaert, qui s'était enfui de Gand. Ces lettres furent reçues avec enthousiasme. On dressa aussitôt sur la place du marché des tentes et des pavillons pour préserver du froid les bourgeois qui ne devaient plus la quitter[14].

Les magistrats étaient réunis aux halles. Maximilien s'y rendit en grand appareil, soit spontanément[15], soit, comme on le croit assez généralement, qu'il y eût été invité. Il fut accueilli avec respect, et fit le tour de la place du marché à cheval ; chacun des métiers tira un coup de canon pour lui rendre honneur. Cependant, lorsqu'il exprima le désir de se retirer dans son hôtel, on lui répondit qu'on allait examiner sa demande. Cette délibération dura une demi-heure, pendant laquelle on ne vit pas un seul bourgeois s'approcher du roi. Enfin on vint lui annoncer la résolution qui avait été prise, en le priant de vouloir Mien résider au Craenenburg pendant tout le temps que le peuple resterait assemblé. Le Craenenburg formait la plus belle habitation qui s'élevât sur la place du marché ; c'était de là que les princes avaient coutume d'assister aux fêtes et aux tournois[16]. Lorsque le roi des Romains y fut conduit, le 5 février 1488, le Craenenburg appartenait à Henri Nieulant, riche marchand, qui s'était constitué naguère caution du roi pour une somme considérable.

Cependant on se livrait aux recherches les plus actives pour découvrir les partisans de Maximilien dévoués aux vengeances populaires. Jean de Nieuwenhove fut arrêté le 4 février ; Georges Ghyselin le fut également au moment où il fuyait vers Messines, déguisé en frère-prêcheur. Comme ce dernier était intimement lié avec Pierre Lanchals, on l'enferma dans un sombre cachot, espérant qu'il trahirait son ami dans le malheur ; mais on ne put rien obtenir de lui, et la retraite de l'homme que la haine populaire poursuivait avec le plus d'acharnement continua à rester cachée.

Les députés de Gand ne tardèrent point à arriver à Bruges ; les principaux étaient Philippe Vander Zickele, Jean de la Kéthulle, Joseph Van der Brughe, Jean Uutenhove, Gérolf Van der Haghe. En apprenant que tout était tranquille à Bruges, ils renvoyèrent un corps de deux mille hommes qui les avait accompagnés, et se contentèrent d'une escorte de trente chevaux. Les métiers, réunis sur la place du marché, saluèrent leur arrivée d'une décharge générale de l'artillerie. Les députés d'Ypres furent accueillis avec les mêmes honneurs, et les délibérations des trois membres du pays commencèrent aussitôt. Pendant trois jours, la châsse de Saint-Donat fut solennellement exposée au milieu du chœur, et le peuple fut invité à venir se joindre aux prières du clergé pour le rétablissement de la paix entre Maximilien et les états. Malheureusement on n'était pas même d'accord sur les bases des griefs qu'on reprochait au prince.

Les représentants de la commune de Gand firent quatre propositions principales : la première, que le duc Philippe fût ramené en Flandre ; la seconde, que le Franc cessât de former le quatrième membre ; la troisième, que le renouvellement des échevinages eût lieu au nom du duc Philippe et des trois membres de Flandre ; la quatrième, que les bourgs — villes inférieures — fussent derechef soumis à l'autorité des trois bonnes villes. Le lendemain, ils ajoutèrent qu'on pouvait, en renouvelant les échevinages, joindre au nom du duc Philippe celui du roi de France, souverain seigneur de Flandre[17], et insistèrent pour que l'on déclarât que le roi des Romains n'avait aucun droit à la tutelle de son fils et qu'il s'en était montré indigne, ce qu'ils établissaient par une énumération de quarante griefs. Il y eut quelques résistances sur ce dernier point, mais elles cessèrent devant des remontrances plus pressantes.

Chose étrange, les députés de ces communes, si hostiles autrefois à l'intervention française, invoquaient maintenant en leur faveur le droit féodal, en vertu duquel Charles VIII se posait comme seigneur souverain et arbitre légal des discordes entre le prince et ses sujets. C'était à ce titre qu'il venait de prendre les résolutions suivantes. Le 17 janvier, rappelant l'influence que Gand exerçait sur toute la Flandre, il avait autorisé les échevins de cette ville à battre de la monnaie d'or et d'argent, et à désigner les magistrats et les officiers qui devaient rendre la justice au nom de Philippe, mineur et prisonnier des ennemis du roi de France. Ce fut en s'appuyant sur cette déclaration que les députés de Gand créèrent à Bruges de nouveaux échevins, parmi lesquels il faut citer Jean Van de Keere, Jean de Rybeke et Jacques Despars. Le 18 janvier, le roi de France avait écrit aux autres membres pour les engager à suivre l'exemple de Gand. Il avait confirmé tous les privilèges des Gantois par une autre charte. Enfin, le 27 janvier, il avait ordonné à ses baillis de citer tous les officiers qui continueraient à exercer leurs offices au nom de Maximilien, lequel avait usurpé la mainbournie, violé les traités et fait frapper de la mauvaise monnaie en son propre nom. Toutes ces chartes furent publiées le 13 février à Bruges, et il fut donné lecture publique du texte du traité d'Arras.

Le même jour, lecture fut faite d'une enquête sur les tentatives d'incendie dont on accusait Maximilien[18]. Là-dessus, le peuple courut au princen-hof, en brisa les portes et le mit au pillage. On y trouva, dit-on, quatre cents barils de poudre, des tonneaux remplis de cordes, des échelles de cuir, toutes choses qui donnèrent naissance à de nouvelles accusations contre le roi des Romains[19].

Le lendemain, le grand bailli Charles d'Halewyn et l'écoutète Pierre Metteneye se présentèrent au Craenenburg, et y arrêtèrent, au nom des trois membres de Flandre, les conseillers et les amis de Maximilien, dont ils partageaient la résidence. C'étaient le comte Wolfgang de Zollern[20], l'abbé de Saint-Bertin, le sire de Ghistelles, le sire de Maingoval, Martin et Wolfart de Polheim, Jean Carondelet, chancelier de Bourgogne ; Georges et Wolfart de Faickenstein, Jean de Jaucourt, sire de Villarnoul ; Renier de May, capitaine de Gavre ; le bâtard de Nassau et Philippe Louvette, maître d'hôtel du roi des Romains. Quatre d'entre eux, Wolfart de Polheim, le sire de Maingoval, le sire de Villarnoul et le comte de Zollern furent saisis dans la chambre même et sous les yeux de Maximilien. Le fait était si odieux que les députés de Gand et les bourgeois les plus notables de Bruges cherchèrent à l'atténuer en allant, le soir même, porter des paroles affectueuses au roi des Romains.

Le procès des prisonniers du Steen allait s'ouvrir sous les plus tristes auspices. Jean de Nieuwenhove et Georges Ghyselin comparurent les premiers. Leur interrogatoire dura deux jours entiers ; les juges, en le prolongeant, cherchaient peut-être à sauver les accusés. Mais la multitude était implacable, et se lassait d'attendre un arrêt dicté d'avance. On la vit se précipiter au tribunal des échevins, s'emparer du chevalet et entraîner les accusés vers la place du marché. Elle n'oublia pas toutefois les folies ordinaires du carnaval. Contraste saisissant ! de bruyantes chansons s'élevaient dans les airs autour du chevalet ; le vin coula à flots dans cette arène vouée au deuil et à la mort ; l'orgie fut si complète que les fruitiers, les teinturiers et les aiguilletiers mirent le feu à leurs propres tentes.

Le lendemain, 18 février, sur cette même place du marché, l'on faisait une proclamation pour promettre une récompense de plus en plus considérable à quiconque livrerait Pierre Lanchals, en menaçant de la destruction le toit qui l'aurait reçu, fût-ce celui d'un monastère ou de toute autre institution jouissant du droit d'asile. Rien ne pouvait plus arrêter la vengeance populaire, et, dès ce moment, les condamnations se succédèrent. Elles atteignirent tour à tour Jean de Nieuwenhove, Victor Huyghens, bailli de Male ; Gilbert du Homme, ancien bourgmestre du. Franc, accusé d'avoir pillé les environs de Bruges ; Georges Ghyselin et deux serviteurs de Pierre Lanchals.

Avant que ces actes de vengeance s'accomplissent, les doyens, les hooftmans et les députés des trois membres du pays, voulant éviter à Maximilien la vue des supplices, et en même temps l'empêcher d'assister de ses fenêtres à toutes les assemblées du peuple, résolurent de lui assigner une autre résidence. Il faut ajouter que le Craenenburg était une demeure assez peu sûre, d'où Maximilien, disait-on, avait essayé déjà de s'évader sous divers déguisements. On choisit donc dans un autre quartier de la ville une habitation plus vaste et plus convenable à son rang : c'était l'ancien hôtel de maître Jean Gros, chancelier de l'ordre de la Toison d'or ; il était situé entre l'église Saint Jacques et le pont aux ânes. Le roi des Romains, instruit de cette décision par le sire d'Halewyn et l'écoutète Pierre Metteneye, exprima aux hooftmans le désir de haranguer, avant sa translation, le peuple assemblé sur la place du marché. Il parcourut avec eux, vêtu de noir, les rangs des bourgeois et des hommes des métiers, en les priant, dans les termes les plus pressants, de lui octroyer trois demandes : la première, qu'on lui accordât dix ou douze personnes de sa maison qu'il désignait ; la seconde, qu'on ne le livrât ni aux Français, ni aux Gantois, car il préférait, disait-il, vivre et mourir avec les Brugeois ; la troisième, qu'on ne se portât à aucun attentat contre sa personne. On lui promit tout ce qu'il demandait. Ce n'est pas contre vous, criait la foule, que s'élève notre colère, mais contre ceux qui ont si perfidement gouverné la Flandre et dont la cupidité et les mauvais conseils vous ont trompé jusqu'à ce qu'ils eussent ruiné le pays. Maximilien remercia les bourgeois[21], et fut conduit à sa nouvelle demeure.

On remarque dans la conduite tenue à l'égard du roi des Romains une intention évidente de concilier les égards dus à sa personne avec les précautions les plus rigoureuses pour éviter une évasion. Les échevins lui rendent de grands honneurs ; ils lui donnent des panetiers, des échansons, des écuyers tranchants ; ils veillent à ce que sa table soit somptueusement servie, à ce que de riches tentures couvrent ses murailles ; ils lui remettent la somme de six cent soixante livres de gros, et lui restituent généreusement sa vaisselle d'argent, qu'il a mise en gage. Tantôt ils ordonnent que tous les métiers défileront en armes sous ses fenêtres, afin, disent-ils, d'occuper ses loisirs et de calmer sa mélancolie[22] ; tantôt ils établissent un tir à l'oiseau dans la cour de sa prison, et engagent le roi des Romains, qui y consent volontiers, à y prendre part, mêlé aux archers chargés de l'égayer par leurs jeux et leur adresse[23]. Pierre Metteneye, et les trente-six gardiens[24] placés sous ses ordres, dont seize de Gand, douze de Bruges et huit d'Ypres[25], ont pour leur prisonnier le respect le plus obséquieux et le plus attentif. Mais, à côté de cela, quelles précautions minutieuses et humiliantes ! On a conservé le compte des payements faits par les capitaines, baillis, écoutètes, bourgmestres, échevins, conseillers et députés des neuf membres de la ville de Bruges, à l'occasion de la captivité du roi des Romains dans l'hôtel de maître Jean Gros. On y lit :

Payé à Corneille Isolle et Mathieu Vleyns, maitres maréchaux à Bruges, treize livres, dix escalins, sept deniers, pour différents ouvrages en fer qu'ils ont faits et livrés dans la maison où se trouvait le roi ;

Payé à Jean Van Slype, serrurier, la somme de dix-sept escalins de gros pour serrures, clefs et autres ouvrages de sa profession exécutés dans la maison de maitre Jean Gros, lorsque le roi l'habitait ;

Payé à Jean Lymer la somme de dix-neuf escalins, sept deniers, pour livraison de clous dans l'hôtel qu'habitait le roi des Romains.

Ajoutez à cela le salaire du maçon qui a fermé les fenêtres non garnies-de fer ; celui du tailleur de pierres qui a scellé les grillages[26] ; ajoutez encore un salaire d'un escalin par jour pour les portiers et de six gros pour chacun des gardiens ; et vous aurez, dit à bon droit M. Kervyn, les articles principaux d'un compte auquel on n'en saurait comparer aucun autre de nos archives de Flandre.

En s'éloignant du Craenenburg, Maximilien avait levé le dernier obstacle qui s'opposait encore à la perte de ses amis prisonniers comme lui. Le lendemain, le bourreau s'installa sur l'échafaud tendu de deuil. Gérard du Homme y monta le premier ; Jean de Nieuwenhove le suivit. Affaibli par les tortures et les infirmités, il attendit sur un fauteuil la mort qui ne termina sa longue agonie qu'au troisième coup de hache. Puis vinrent le bailli de Male, Georges Ghyselin, Pierre Daris, serviteur de Pierre Lanchals[27]. Un autre serviteur de l'ancien écoutète, Jean Van der Brugghe, allait être également supplicié. Il allégua qu'il ne s'était armé le 1er février que par l'ordre de son maitre, et qu'il ignorait dans quel but. Quelques voix s'élevèrent en sa faveur, et il reçut du peuple une grâce inespérée.

Vint le tour du sire de Ghistelles, Jacques de Dutzeele. Les comptes de la ville depuis le mois de juin 1485 avaient été lus publiquement au balcon des Halles. On y avait trouvé, outre les traces de frais causés par l'entretien des hallebardiers dont s'entouraient les magistrats et d'autres dépenses relatives à des banquets et à des ambassades, un don gratuit de quatre mille livres de gros au profit de l'ancien bourgmestre. Le déficit s'élevait, pour les deux années 1485 et 1486, à vingt-deux mille livres de gros. Jacques de Ghistelles, déjà accusé d'avoir trahi la ville de Bruges, protestait contre tout ce qu'on lui imputait, en défiant ses accusateurs : Je n'ai jamais été un traitre, disait-il, et jamais ce reproche n'a été adressé à nies ancêtres. Il y a cinquante-cinq ans que je sers les princes qui se sont succédé dans ce pays, et s'il est quelqu'un qui m'accuse de trahison, je suis prêt à le combattre, quelque grand qu'il soit, en présence du duc Philippe. Je ferai tout ce qu'est tenu de faire un bon et loyal chevalier, noble homme et bourgeois de cette ville, puisqu'il s'agit d'une accusation telle que tout homme noble doit exposer sa vie pour la repousser[28]. Personne ne répondit au défi du sire de Ghistelles. L'assemblée s'offensa plutôt de tant de fierté : elle se rappelait, dit M. Kervyn, que déjà diverses sentences des échevins de Gand et de Bruges avaient condamné Jacques de Dutzeele comme convaincu de complot contre les communes de Flandre, au bannissement et la confiscation de sa terre de Ghistelles ; elle n'ignorait pas qu'il avait voulu faire ouvrir à Maximilien la porte Sainte-Croix et qu'il s'était rendu avec ses serviteurs à l'appel du roi des Romains sur la place du bourg. En vain sa femme, ses filles accoururent-elles jusqu'au pied de l'échafaud pour supplier les corps de métiers de faire grâce à l'ancien bourgmestre. Les prières, les larmes furent inutiles, et l'expiation s'accomplit[29]. Les supplices recommencèrent le 14 mars. Jacques de Heere, arrêté la veille au point du jour fut livré le premier au bourreau. Il avait, comme capitaine de Hulst, soutenu la cause de Maximilien contre les Gantois, et s'était rendu près de lui le 1er février ; mais son plus grand crime était d'avoir été le représentant des prétentions rivales des magistrats du Franc. Nicolas Van Delft parut le second ; mais lorsqu'il se trouva devant le billot, il tomba à genoux et supplia le peuple, au nom de la douloureuse passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, d'avoir pitié de lui. Il protestait de son innocence, et rejetait toutes les accusations sur les mauvais conseils du sire de Nieuwenhove, dont il avait épousé la fille. Grâce ! grâce pour Nicolas Van Delft ! s'écria la multitude émue. Les magistrats s'associèrent à ce cri, et Van Delft descendit vivant de l'échafaud[30].

Pierre Lanchals s'était dérobé jusque là aux recherches les plus actives. La récompense promise à celui qui le livrerait avait été élevée à cent livres de gros, et l'on venait de renouveler l'ordonnance portant que tout bourgeois qui lui donnerait asile serait puni de mort, et que le toit, quel qu'il fût, qui l'aurait abrité serait démoli. Enfin, le 15 mars, on découvrit qu'il était caché dans la rue des Carmes, chez un riche marchand nommé Jean Van de Keere. Le bourgmestre, Jean d'Hamere, procéda aussitôt à son arrestation ; il fut incarcéré au Steen, au milieu des démonstrations frénétiques de la joie populaire. Les clameurs insultantes qui l'avaient accueilli à son passage retentirent pendant toute la nuit. Le lendemain matin, il fut livré à ses juges, c'est à dire à ses ennemis, dit M. Kervyn. Pendant que Lanchals était écoutète, il avait fait construire un instrument de torture plus terrible que tous ceux que l'on connaissait en Flandre, et qui n'avait jamais été employé. L'horrible machine fut portée sur la place du marché, et le malheureux prisonnier, en éprouva le premier la puissance. Pour éviter une nouvelle épreuve, il fit des aveux, qu'il rétracta avant de mourir. Voyant que tout espoir était perdu, il se laissa déshabiller par le bourreau. Mais au moment où l'un des doyens toucha à sa chaîne d'or : Sire doyen, dit-il, vous savez bien qu'un bourgeois de Bruges ne peut à la fois forfaire corps et biens[31] ; et il donna la chaîne à son confesseur, pour être portée à sa femme. Il demanda ensuite au peuple que son corps ne fût pas écartelé, et immédiatement après, selon l'expression d'un chroniqueur contemporain, il remit son âme aux mains de Dieu. Ses restes furent inhumés dans l'élégante chapelle qu'il avait fait construire lui-même à l'église de Notre-Dame[32].

L'animosité populaire parut se calmer après la mort de Pierre Lanchals. Les portes du Steen s'ouvrirent à tous les anciens magistrats qui y avaient été enfermés, et, quelles qu'eussent été les menaces publiquement énoncées contre ceux qui fourniraient asile ou protection aux accusés, personne ne fut inquiété, ni leurs amis qui avaient cherché à favoriser leur évasion, ni Jean Van de Keere, qui avait donné à Pierre Lanchals une généreuse hospitalité.

 

NOTE

Déclaration du 7 novembre 1487. (Archives de Gand) ; ibid. — M. Gachard a publié une lettre très curieuse adressée le 10 novembre 1487 par les échevins et doyens de Gand aux échevins de Mons, Bulletins de la commission royale d'Histoire, 2e série, tom. II, page 328 et suivantes. Nous croyons devoir reproduire ce document important :

Honnourables, prudens, saiges et discretz seigneurs, très-chiers et espéciaulx amis, nous nous recommandons à vous bien adcertes. Et vous plaize savoir, très-chiers et spéciaux amis, nous advons entendu que l'on parle par delà diversement de nostre intention, et que aucuns noz malveillans et de che pays de Flandres font courir la voix que nous tendons à la destruction du pays et de le mettre en ghuerres, par che que nous quérons à corrompre nostre très-redoubté seigneur et prinche naturel monseigneur le duc Phelippe en leurs droix, seigneuries, prééminenches. — Sur quoy, honnourables seigneurs et espéciaulx amis, nous vous ad vertissons que n'entendons ne advons eu aucun entendement de faire ou mettre avant aucunes choies au moyen de quoy nostredit très-redoubté seigneur le roy des Rommains, comme tuteur et mambourg de nostre très-redoubté seigneur et prince naturel, ou icelluy nostre prinche naturel, puissent estre diminuez en leurs dits droix, seigneuries, prééminences et domaines, mais advons bien intention de, par tous bons moyens et voyes raissonnables, mettre ceste ville et la chastelle. nie d'icelle à délivre de plusieurs grans charges et foulles èsquelz elles ont, depuis aucun temps naghaires passet. senestrement esté mizes, et aussy pour, comme chief-ville de chedit pays, adviser, avec vous et les autres estats d'icellui pays, sur l'estat d'icelluy, qui est présentement en sy très-piteulx estat de ghuerre, chier temps, et sans che que marchandize y ait cours, ainsy que vous et nous tous bien savons, et plus est apparent d'estre, si bientost n'y est pourveu. — Et, pour en brief vous advertir de che que ichy a esté fait, est vrai que nos prédécesseurs en loy ont par plusieurs fois envoyés leurs députez devers nostredit très-redoubté seigneur le roy des Rommains, afin d'obtenir provision et remède sur divers poins gt articles, entr'autres sur les articles qui s'ensuivent, assavoir : premièrement que son plaisir fuist de faire joyr aux bourgeois de ceste ville de la paix dernierrement faite, en telle fachon que icelle avoit par ses commissaires et par luy esté raportée et conclue par les estas du pays, et que toultes corrections et adjustiches qui depuis y ont esté faittes, au descheu desdits estas, fussent hostées comme de nulle valeur et tous les proches ad ceste cause meuvs et intentez ; — item, que son plaisir fuist de souffrir icelle ville joyr de ses droix et privilèges, ainsi qu'il les avoit confremés, et jurez de les entretenir par ladite paix ; item, que son plaisir fuist d'entretenir sa garde et autres gendarmes, en telle fachon que les povres gens du plat pays n'eussent aucuns domaiges, ou de consentir auxdits du plat pays de résister aux violences et forches desdits gardes et gens de gherre par le son de la cloche ; — item, que son plaisir fuist de point laissier vexer lesdits povres gens de tailles ou subventions non accordées par les membres du pays conjointement, ainsi qu il appartient et est acoustumé de anebienneté, en ensuivant les privilèges dudit pays ; — item, et finablement, que son plaisir fuist de faire ouvrir les passaiges de France, pour paisiblement y aller, fréquenter, et converser, et marchander considéret la paix dernièrement faite avec les dits Franchois et tout le pays généralement. par son adveu, sceu et consentement, laquelle paix n'a point esté rompue ni violée par les dits de ceste ville et chastellenie, et que par ung article de ladite paix le sinfractions ne s'estent plus avant que sur ceulx qui l'ont rompue, et que, allencontre de tous aultres, la paix demeure en sa vigheur. — Et, pour che que nostredit très-redoubté seigneur le Roy n'a volu pourvéir sur les dits articles, qui sont tous raisonnables, nonobstant toutes les pryères et requestes que luy en ont esté failtes, et que icelle ville, et aussy ledit pays. demoroit tous-jours de plus en plus foullé et diminué en leur loix et bonne polische, les trois membres d'icelle ville ont trouvé en leur conseil de appeler, et de fait ont appelle, devant notaire et tesmoings, de tous les dits griefz à eulx fais depuis ladite paix, protestant de leurdit appel relever en temps et en lieu, ainsi et où il appartenroit. Et ont leurdit appel fait insinuer à nostredit très-redoubté seigneur le roy des Rommains, et derechief le fait prier, en toutte humilité, que, comme père, tuteur et mambourg de nostredit prince naturel, son plaisir soit de entendre à la réparation desdits griefs. Et, par che que encores il n'a volu che faire, et que lesdits membres de ceste ville n'ont, pour le présent, seur accès à leur souverain seigneur, pour d'iceluy obtenir provision, ainsi que en cas semblable ils ont accoustumé de faire, ils ont meismes comenchie à procéder à la réparation desdits griefz, qui ainsi bien faire poevent, tant en vertu de ladite appellation, laquelle les conserve en leursdits droix, comme par vertu d'aucun privilège qu'ilz en ont de leur prinche et comte, et aussy de leurdit souverain seigneur. — Et ont lesdits trois membres de ceste ville intention de, au moyen de tous désirans le bien de nosdits très-redoubtés seigneurs le roi et le prince naturel, son fil, icelui pays de Flandres nettoyer de mauvaix garchons, murdriers et pillars, qui, soubz coulleur de ladite gherre. font grant travail auxdits povres gens, en nostre chastelanie, de touttes tailles desraisonnables et exactions non consenties, comme il appartient. Ont aussy intention, par bon moyen, et par l'advis de nous et des membres et estas de che pays, et aussy par l'oltroy et sceu du roy, nostredit très-redoubté seigneur au cas que l'on puist tant faire que son plaisir soit y entendre, de obtenir ouverture et seur accès en Franche et en Engleterre, pour y povoir seurement, marchandement et aultrement, converser, en ensuivant la dite paix. — Et ne nous samble que, en che faisant, nous, en aucune manière, diminuons ne corrompons la paix, ne prééminenche ou seigneurie desdits roy et nostre prinche naturel, mais rendons paine de nous mettre hors desdites grandes charges et folles (foules, oppressions). Et, considérans la grant perte, que depuis naghaires a esté, de la ville de Saint-Omer, doubtans que ainsi plusieurs autres villes de frontières polroient estre perdues, et che pays venir eu totalle destruction, se en temps n'y estoit pourveu, et que nul, pour le présent, ne rent paine d'entendre au bien dudit pays, et que ad nous. comme chief-ville dudit pays, et aussy en vertu des previléges de che pays, bien appartient et povons, avecq vous et autres villes, membres et estas d'iceluy pays, y entendre, escripvons présentement envers vous, honnourables, prudens, saiges et discrez seigneurs, advertissans de che que dit est, et priant que vostre plaisir soit envoyer en ceste-date ville vos députez. pour, avec les membres et villes du pays de Flandre, et les estats de Brabant, auxquelz avons à ceste fin escript, et avecq nous, advizer et trouver les meilleurs voyes et moyens, pour ledit roy, nostre très-redouté seigneur, induire à entendre auxdites choses et bien du pays, et d'estre au logis, en cestedite ville, au xxinte jour de che présent mois de novembre. — Vous advertissans, en oultre, que, au cas vous n'y voulés avecq nous entendre, et que amés mieulx demourer en ghuerre et servitudes, que pour che ne leisserons point de nous aidier à délivrer de toutes charges desraisonnables et dangiers, à l'ayde de Nostre-Seigneur, auquel prions, honnourables, prudens, saiges et discrez seigneurs, très-chiers et espéciaulx amis, qu'il vous ait en sa sainte garde. Escript le Xe jour de novembre, l'an mil IIIIc IIIIxx et sept. — Echevins des deux bancqs et deux doyens de la ville de Ghand, appareiliés à vos bons plaisirs. Copie du temps ; aux Archives du royaume, reg. Lettres missives du XVe siècle.

 

 

 



[1] Despars, IV, 295. Ceci se rapporte sans doute aux soldats allemands restés dans le pays après la défaite du comte de Nassau. Voici ce que nous lisons dans l'Histoire de Bruxelles, I, 301 : Les soldats étrangers, que Maximilien avait fait venir, restèrent dans le pays où, ne recevant pas de solde, ils vécurent à discrétion chez les bourgeois et les paysans. A Bruxelles, ils ne payaient rien de ce qu'ils achetaient, et lorsqu'on leur demandait de l'argent, ils répondaient par des injures ou des menaces, disant que le temps était venu pour les Allemands de se laver dans le sang des Flamands et des Brabançons. Le sort des campagnes était affreux ; les malheureux villageois étaient forcés de donner à cette soldatesque sans frein du vin du Rhin, de la bonne viande et du pain de froment, alors qu'ils pouvaient à peine se procurer les plus grossiers aliments. Dans les villes, on en était venu à tout craindre de la part de Maximilien ; aussi suivaient-elles toutes ses démarches avec la plus grande défiance.

[2] C'était par ce pont que le comte de Nassau avait songé à s'avancer avec ses Allemands, lorsqu'il conseillait de détruire Gand en 1485.

[3] Chron. ms. de Flandre ; citation de M. Kervyn.

[4] Déclaration du 31 octobre 1487 (Arch. de Gand) ; Ibid.

[5] Voir la note en fin de chapitre.

[6] Molinet.

[7] Molinet.

[8] Despars, p. 310.

[9] Déclaration du 20 janvier 1487 (v. st.), (Archives de Gand) ; citation de M. Kervyn.

[10] Faisant le limechon à la mode d'Allemagne. Molinet.

[11] Despars, IV, 320-324.

[12] Cette charte, dit M. Kervyn, dont nous reproduisons en grande partie le récit dramatique, rappelle celle de Marie de Bourgogne après les wapeninghen de 1477. Les Brugeois, y est-il dit, avaient exposé : Hoe dat zy binnen twee dagen herwaerts zekere vergaderinghen ende wapeninghen ghemaect hebben zonder oorlof, ende dat meer is zyni met hueren bannieren ghecomen te marct aldaer zy noch zyn. Groenenboeck, f° 126.

[13] Les échevins avaient fait rompre les glaces dans les fossés de la ville ; un guet était établi à chaque porte. Pour fuir, il fallait se déguiser ou user de radeaux. On observait, pour la garde des murailles, les règlements qui avaient été établis, en 1452, par le duc Philippe contre les Gantois.

[14] Une grande partie des assemblées ayant lieu aux flambeaux, les échevins firent acheter quarante mille torches. Comptes de la ville de Bruges ; citation de M. Kervyn.

[15] M. Diegerich a publié, dans les Annales de la Société d'émulation pour l'étude de l'histoire et des antiquités de la Flandre, tome IX, 2e série, pages 47-172, la correspondance des magistrats d'Ypres députés à Gand et à Bruges pendant les troubles de la Flandre sous Maximilien. D'après cette correspondance, l'arrestation de Maximilien ne se fit pas tout à fait de la manière dont on la raconte ordinairement. On répandait le bruit qu'il avait quitté la ville. Pour démentir cette nouvelle le roi se présenta volontairement, om beters wille, à sept heures du soir, devant le peuple. Il déclara qu'il n'avait jamais eu l'intention de quitter, et demanda même qu'on lui donnât une garde aussi nombreuse qu'on le voudrait dans son palais. Après une délibération des plus orageuses, la commune rejeta sa demande, et le pria de vouloir bien se rendre au Craenenburg.

[16] Au coin de la grande place opposé à la rue Saint-Amand se trouve le Craenenburg, ancienne maison dont la façade a été rebâtie. Elle servait autrefois de lieu de réunion pour les princes qui assistaient aux jades et aux tournois. W. H. J. Weale, Bruges et ses environs, p. 41. — Le 7 janvier (v. st.) Maximilien, dit M. Kervyn, avait assisté du Craenenburg à une fête populaire, où des aveugles poursuivirent un porc jusqu'à ce qu'ils eussent réussi à le tuer. — Molinet et La Marche parlent de l'hostel d'un espicier ; les députés d'Ypres disent een pottecarie, c'est-à-dire, selon M. Diegerick, une boutique de poteries de terre.

[17] Le Scepenen-Bouck fixe au 12 février le renouvellement de l'échevinage par les commissaires des trois membres : By den commissarissen van de drie leden van Vlaenderen, als daer toe gheautoriseert zynde by den coninc van Vranckerycke onsen souverainen heere. Note de M. Kervyn.

[18] On disait qu'il avait voulu faire mettre le feu aux quatre coins de la ville pour faciliter au sire de Gaesbeek l'entrée de la ville, et qu'il s'était servi à cette fin de deux Nègres attachés au service du comte de Zollern.

[19] Despars, 314-345.

[20] Le comte de Zollern parvint à s'échapper de Bruges, en guise d'une femme de villaige, dit Molinet, portant trois ou quatre couples d'oignons sur sa teste.

[21] Journal ms. — Aucune source, dit M. Kervyn, n'est plus précise ni plus importante que celle-ci. Elle m'a servi, ajoute-t-il, à redresser les erreurs de l'Excellente Cronycke, et de Despars.

[22] Journal ms.

[23] Journal ms.

[24] Despars, 358.

[25] Les députés d'Ypres refusèrent cette commission. Voir leur Correspondance, n° XXIV et XXXI.

[26] Olivier de la Marche exagère évidemment, remarque avec raison M. Kervyn, quand il dit : Ceux de Bruges firent faire une cage de gros bois, et toute ferrée de fer, et en celle cage firent tenir le roy pour leur seureté.

[27] Comptes de la ville de Bruges ; citation de M. Kervyn.

[28] Archives de la Flandre Occidentale ; citation de M. Kervyn.

[29] D'après leur correspondance, n° XXI, XXIII, XXIV, XXVI et XXIX, les députés d'Ypres refusèrent constamment d'assister aux exécutions, et en déclinèrent toute responsabilité. Leur résistance fut tellement inébranlable que ceux de Gand et de Bruges leur reprochèrent avec violence d'agir sans franchise.  La chose en vint au point qu'ils craignirent d'être massacrés, et se cachèrent dans l'église Saint-Gilles.

[30] Despars, p. 379-380.

[31] Despars, p. 390.

[32] C'est ce qu'on lit dans M. Kervyn, mais voici ce que je trouve dans l'ouvrage déjà cité de M. Weale, Bruges et ses environs, p. 82 : Cette chapelle était anciennement la chantrerie de sire Pierre Lanchals, écoutète de Bruges, qui, trahi par un de ses amis, fut mis à la torture et décapité par les bourgeois révoltés contre Maximilien en février 1483 (lisez mars 1488). Peu de jours après, il fut enterré dans le cimetière de cette église ; sa veuve fit construire cette chapelle en l'honneur de saint Pierre, et plaça au côté sud entre les fenêtres un beau monument orné de l'effigie couchée de son mari. En 1812-16 la chapelle fut rebâtie par M. van Ghierdegem, et le monument de Pierre Lanchals placé au côté ouest, où il se trouve encore. Ici se trouvent également, depuis 1816, les monuments de Charles le Hardi, duc de Bourgogne, et de sa fille Marie. — Le Messager des Sciences historiques, année 1834, a publié un beau portrait de Lanchals, d'après un tableau attribué à Hans Holbein. L'original se trouvait alors dans la collection de tableaux de M. le comte de Thiennes, à Gand.