L'EMPEREUR CHARLES-QUINT ET SON RÈGNE

PREMIÈRE SECTION. — LA BELGIQUE SOUS LA RÉGENCE DE MAXIMILIEN D'AUTRICHE

 

CHAPITRE PREMIER. — DEPUIS LA MORT DE LA DUCHESSE MARIE JUSQU'À LA REPRISE DES HOSTILITÉS AVEC LA FRANCE.

 

 

Marie de Bourgogne était morte le 27 mars 1482. Le 8 avril, les états de Flandre se réunirent à Bruges pour s'occuper des affaires du pays. Aux termes des stipulations matrimoniales du 18 août 1477, l'héritage de la duchesse passait directement à ses enfants[1]. Maximilien réclama immédiatement la tutelle de son fils ainé et la régence, offrant en même temps de prêter un nouveau serment de respecter les franchises et les privilèges du pays. Les états demandèrent un délai pour délibérer, et, dans une nouvelle réunion tenue à Gand le 3 mai 1482, ils consentirent à reconnaître l'archiduc en qualité de bail et de mainbourg, mais avec la réserve que la Flandre seroit gouvernée sous le nom de monseigneur Philippe par l'avis de ceux de son sang et de son conseil estans et ordonnés lez lui. L'archiduc était fort éloigné de souscrire à de pareilles conditions, mais il cédait aux circonstances et temporisait d'autant plus que le reste du pays montrait des dispositions toutes différentes[2]. En attendant, il ne négligeait aucun moyen pour se rendre les états de Flandre favorables. Il nomma à leur demande des ambassadeurs chargés de traiter de la paix avec Louis XI, et choisit pour cette importante mission les sires de Rasseghem et de la Gruuthuse, qu'entouraient les sympathies populaires[3]. Les abbés des Dunes et de Saint-Pierre, le prévôt de Saint-Donat, et quatre échevins de Gand, de Bruges, d'Ypres et du Franc, devaient les accompagner en France.

Le roi de France désirait vivement réparer la faute qu'il avait commise en dédaignant l'alliance de Marie de Bourgogne, et espérait y parvenir en obtenant pour le dauphin la main de la jeune Marguerite, fille de Marie et de Maximilien. Dès qu'il apprit que les communes de Flandre se proposaient de lui envoyer des députés, il leur adressa la lettre suivante[4] : Nos amez et féaulx et très chiers et bien amez. Nous avons receu les lettres que vous avez escriptes par Pasquier Garnier, et pour ce que désirons tousjours vivre en bonne union et paix avecques nos subgets et que les guerres et divisions qui ont esté par cydevant entre nous et vous a esté et est à nostre très grant desplaisir, et sommes bien advertiz que c'estoit contre vos volontez et sans vostre sceu et contentement, tant de temps de feuz nostre très chier et très amé frère et cousin le duc Charles, que de nostre très chière et très amée cousine la duchesse d'Austerische derrenièrement trespassée, dont Dieu ait les ames, qui nous ont tousjours couru sus et n'ont voulu faire envers nous et la couronne de France ce qu'ilz estoient tenuz de faire, incontinant que nous avez escript que désirez nous demonstrer que vostre entencion est de faire ce que de droit et raison vous devez et estes tenuz de faire et que demandiez nos lettres de saulfeonduit, les vous avons envoyées par noz postes, et afin de vous garder de si grant travail et peine et de faire si long voyaige devers nous, nous avons envoyé et depputé de bons et grans personnages en qui avons toute seureté et fiance, ausquelz avons donné toute puissance pour besongner avecques vous en nostre ville de Franchise, tout ainsi comme si nous mesmes en personne y estions, et pour ce que estions demourez ès parties de pardeça pour aucunes guerres qui estoient ès pays de nostre très chier et très amé nepveu le duc de Savoye, qui sont de présent apaisées et ont fait l'obéissance et mises les places rebelles en ses mains, nous nous en retournons et serons bien brief en Touraine, et toutes les foiz qu'il vous plaira envoyer devers nous pour vos affaires ou pour autre choses, vous y povez envoyer et nous ferons bon recueil et bonne chère à ceulx que y envoirez. Donné à la Clayette en Charroloys le xviue jour de may. Loys.

Les députés des communes flamandes trouvèrent Louis XI à Cléry ; ils lui exposèrent leur mission[5], et en obtinrent une réponse favorable. Le sire de Saint Pierre les reconduisit jusqu'à Paris, où le prévôt des marchands et les échevins leur firent également grand honneur. Le roi tint à ce qu'on leur montrât l'armée du sire de Crèvecœur, qui venait de s'emparer de la ville d'Aire (28 juillet 1482). Cette armée comptait quatorze cents lances, six mille Suisses et huit mille hommes armés de piques. Les ambassadeurs rendirent compte de leur voyage clans une assemblée des états réunis à Ypres tout à la fin de juillet. Une nouvelle réunion eut lieu bientôt après à Alost. Les députés flamands ne se montrèrent point éloignés de consentir au mariage de mademoiselle Marguerite avec le dauphin.

Les négociations se continuèrent à Arras. Le roi de France en avait chargé le sire de Crèvecœur, et Jean de la Vacquerie, premier président du parlement de Paris, l'un des hommes qui honorèrent le plus la magistrature de cette époque. Parmi les députés nommés par l'archiduc et les états on remarquait Jean de Lannoy, chancelier de la Toison d'Or et abbé de Saint-Bertin, les abbés de Saint-Pierre de Gand et d'Afflighem, le sire de Gouy, haut bailli de Gand ; Jean d'Auffay, maitre des requêtes ; Jacques de Savoie, comte de Romont ; les sires de Lannoy, de Berghes et de Boussut. La ville de Gand avait choisi pour ses mandataires Guillaume Rym et Jacques Destenwerpere ; celle de Bruges était représentée par le bourgmestre Jean Dewitte, le conseiller Gilles Ghuselin et Jean de Nieuwenhove ; celle d'Ypres, par son pensionnaire Jacques Crave ; celle de Lille, par son échevin Jacques de Landas ; celle de Louvain, par son bourgmestre Jean Pynnock ; celle d'Anvers, par son bourgmestre Jean Colleghem ; celle de Bruxelles, par son conseiller messire. Jean Rœlants. Mons, Douai, Valenciennes, Saint-Omer y avaient aussi leurs députés.

Le traité de paix fut signé le 23 décembre 1482[6]. Il portait que le dauphin épouserait mademoiselle Marguerite de Flandre, et qu'elle recevrait pour dot les comtés d'Artois et de Bourgogne, avec les seigneuries de Macon, d'Auxerre, de Salins, de Bar-sur-Seine et de Noyers, que Louis XI occupait déjà. La ville de Saint-Omer y était jointe, mais ne devait être remise aux Français qu'au moment de la consommation du mariage. Un article spécial reconnaissait au roi la suzeraineté du comté de Flandre, dont le jeune duc Ph ilippe était tenu de faire hommage. D'un autre côté, le roi abandonnait ses prétentions sur les châtellenies de Lille, de Douai et d'Orchies, confirmait tous les privilèges de la Flandre, tels qu'ils avaient été renouvelés par Marie de Bourgogne[7], et rétablissait la liberté du commerce comme elle existait avant l'avènement du duc Charles. Les envoyés des villes flamandes avaient stipulé que ces conventions seraient ratifiées par les bonnes villes de France.

Cette paix excita en Flandre une véritable allégresse[8]. A Gand, les réjouissances se prolongèrent pendant plusieurs jours ; à Bruges, on célébra dans l'église Saint-Donat les jeux quelquefois trop libres de la fête des Anes[9]. A Bruxelles, la promulgation eut lieu pendant l'octave de Noël, et des distributions d'argent furent faites aux pauvres. La joie n'était pas moins générale en France, où l'on chantait en chœur les vers d'une ballade composée tout exprès par Guillaume Coquillart, official de Reims et poète célèbre du temps :

Bons esperits et vertueux courages,

Regardez les œuvres déifiques

Dont Dieu nous a si grandement doués.

Vouloir divin a produit ces ouvrages.

Du ciel sont cheues ces plaisantes images.

Ces trois dames lesquelles cy voyez :

C'est France et Flandre et la Paix entre deux.

Une ambassade solennelle, composée des abbés de Saint-Bertin et de Saint-Pierre, de Jean de Berghes et de Baudouin de Lannoy, alla recevoir la ratification du roi. Un pompeux accueil fut fait à Paris aux députés des communes flamandes ; il y eut en leur honneur Te Deum, processions, feux de joie et fétes à l'hôtel de ville. Maître Scourale, l'un des plus célèbres docteurs de l'université, leur adressa un discours ; après quoi ils assistèrent à la représentation d'une moralité, avec sotice et farce, qui eut lieu dans l'hôtel du cardinal de Bourbon. De là ils se rendirent au château du Plessis, résidence ordinaire du roi. Ce sombre donjon avait été fortifié à grands frais : une forte grille l'entourait et les murs en étaient hérissés de piques, afin qu'il fût impossible de traverser les fossés. Aux quatre angles du château se dressaient quatre guérites de.fer, où veillaient quarante arbalétriers ; quatre cents archers occupaient l'intérieur. Les ambassadeurs flamands furent introduits le soir dans une chambre mal éclairée ; Louis XI y cachait, dans un coin obscur, ses traits décomposés. Il s'excusa d'une voix faible de ne pouvoir se lever pour recevoir messeigneurs de Flandre, comme il appelait les envoyés. On apporta le livre des saints Évangiles. La main droite du roi étant complétement paralysée, ij souleva lentement son bras enveloppé dans une écharpe et toucha le livre du coude en jurant d'observer la paix. Maitre Guillaume Picard, bailli de Rouen, reconduisit les ambassadeurs flamands

à Paris, où ils furent de nouveau accueillis avec de grandes démonstrations de respect et d'affection. Pour leur rendre plus d'honneur, le parlement les invita à assister à ses séances, où ils s'assirent les uns sur le banc des prélats et les autres à côté du greffier[10].

Les ambassadeurs s'étaient rendus préalablement à Amboise, où séjournait le dauphin, alors àgé de douze ans et demi. Ils y avaient reçu un excellent accueil, et l'abbé de Saint-Pierre prononça devant le jeune prince un discours qui nous a été conservé, et qui offre un curieux échantillon de l'éloquence pédantesque du temps[11]. L'orateur compare d'abord le dauphin à Assuérus et la jeune archiduchesse à Esther, au moyen du mariage desquels cessa la guerre et indignation que icelui roi Assuère avoit alencontre du peuple d'Israhel, dont estoit la reine Esther. Il remarque ensuite que quatre marguerites ont fleuri autrefois avec un singulier éclat dans son beau pays de Flandre, dont nostre jardin, en temps passé, dit-il, a esté grandement orné et décoré. La première était Marguerite, fille de Philippe le Long, qui avait apporté pour dot à Louis de Nevers les comtés d'Artois et de Bourgogne, et la seigneurie de Salins. La seconde était Marguerite de Brabant, qui, par son mariage avec Louis de Male, avait joint à la Flandre te Brabant et le Limbourg. La troisième, la bonne et sage Marguerite, avait, sous Philippe le Hardi, réuni les deux Bourgognes à la Flandre. Marguerite de Bavière enfin avait donné à Jean sans Peur, avec sa main, la Hollande, la Zélande et la Frise... Ces nobles marguerites sont, par dû de nature, séchées et venues arides. Mais, comme le bon grain semé, mortifié en terre, rend autre son semblable, elles ont laissé en nostre jardin, qui nouvellement sont épanouies, deux très nobles fleurs sur un mesme tronc à sçavoir : un très précieux et très exquis bouton fleurissant, et une très belle et gente marguerite... laquelle Marguerite si jeune, si tendre qu'elle est, vous est déjà confiée, vous est baillée ; elle, de sa personne, de ses biens, de ses pauvres sujets, est mise en votre baillie et plein gouvernement, non ayant diffidence, mais estant de tout assurée que vous aurez garde et soin d'elle... Pour ce, très haut et très puissant prince, que j'ai parlé de quatre Marguerites, desquelles ma très redoutée demoiselle, vostre future espouse, est descendue, et en monseigneur le duc son frère, et en elle gist et est conservée leur semence, et que madite demoiselle convient avec elles en nom, il m'a semblé assez convenable et décent en brief les nommer et réciter.

Le 10 janvier 1483, Philippe, fils de Maximilien et de Marie de Bourgogne, fut inauguré à Gand en qualité de comte de Flandre. Immédiatement après la cérémonie, les états procédèrent au choix des quatre conseillers appelés à prendre part à la direction des affaires pendant la minorité du jeune prince. Cette importante mission fut confiée à Adolphe de Clèves, seigneur de Ravenstein ; Philippe de Bourgogne, seigneur de Beveren ; Louis de Berghes, sire de la Gruuthuse, et Adrien Vilain, sire de Rasseghem. Maximilien ne fit nulle opposition à la chose. Bientôt après il reçut à Gand l'ambassade française chargée par le roi de réclamer l'adhésion solennelle de la Flandre au traité d'Arras. Cette ambassade était composée de l'archevêque de Rouen, de l'évêque de Caen, et de maîtres Jean Guérin, Jean Caurel, Jean Boulanger et Jean Landry. L'archiduc jura publiquement, en l'église de Saint-Jean, d'observer le traité. Les Gantois obtinrent des ambassadeurs français la confirmation de leur célèbre privilége de 1301[12], et les invitèrent, en signe de joie et de reconnaissance, à assister à la revue des connétablies et des corporations, qui avait lieu chaque année. De Gand Maximilien se rendit à Bruges, où il fut accueilli par des réjouissances publiques (1483).

Cependant la question de la tutelle et celle de la régence s'agitait toujours. La plupart des provinces reconnaissaient les titres de Maximilien, mais la Flandre continuait sa résistance, et le Brabant commençait à hésiter. Maximilien ayant fait exposer ses droits dans une assemblée tenue à Louvain, les villes demandèrent un délai, et une nouvelle réunion eut lieu à Malines, dont les habitants étaient complètement dévoués à l'archiduc. Les influences flamandes commençaient à prévaloir, et les Malinois en informèrent l'archiduc qui résidait à Termonde. Le 7 mai 1483, ce prince osa risquer un coup d'état. Il fit saisir les députés, et les envoya sous escorte au château de Vilvorde. Il relâcha ensuite ceux de Louvain, mais les Anversois et les Bruxellois furent condamnés au bannissement, et, le 21, le plus influent de ces derniers, Nicolas de Heetvelde, ancien échevin, monta sur l'échafaud. Cette exécution produisit une vive irritation dans le Brabant : on craignit un moment de voir les trois chefs-villes brabançonnes se joindre aux Flamands, et sans Dieu, dit une chronique contemporaine[13], il y aurait eu à Bruxelles une sédition. Chose étrange, la mesure atteignit pourtant son but, et l'on alla jusqu'à voter des remerciements à Maximilien[14].

Cependant le progrès de la faction des Hœks et la rébellion des bourgeois d'Utrecht contre leur évêque appelaient Maximilien en Hollande. Il prit congé des députés de la Flandre à Anvers, après avoir conclu avec les sires de Beveren et de la Gruuthuse, et Jean Dewitte, bourgmestre de Bruges, un accord par lequel il confirmait, moyennant une pension annuelle de vingt-quatre mille écus, et pour le temps que devait durer son absence, l'autorité des quatre conseillers de régence, dont nous venons de rapporter la nomination faite par les états. Cette expédition en Hollande tint l'archiduc éloigné de la Belgique pendant plus d'une année.

Madame de Beaujeu[15], fille de Louis XI, s'était rendue à Hesdin pour recevoir mademoiselle Marguerite d'Autriche alors âgée de trois ans, et d'une santé si délicate que les médecins avaient ordonné d'attendre le printemps pour son voyage. La jeune princesse fit son entrée à Paris le 2 juin 1483. On avait dressé trois vastes échafauds à la porte Saint-Denis. Quatre personnages qui figuraient le clergé, la noblesse, l'agriculture et le commerce, souhaitèrent la bienvenue à cette enfant, destinée au trône de France. Partout où elle passa, les rues étaient ornées de tentures, et tous les prisonniers furent délivrés en son honneur. Le dauphin attendait Marguerite à Amboise. Les fiançailles y furent célébrées avec pompe le 23 juin, en présence du comte de Dunois, du sire d'Albret, du sire de Saint-Pierre, sénéchal de Normandie ; de Gui Pot, gouverneur de Touraine, et d'un grand nombre de députés des bonnes villes de France et de Flandre.

Pendant que tout ceci se passait, le pays de Liège était le théâtre de nouvelles scènes d'horreurs. Pour en rendre compte, nous sommes obligé de remonter un peu le cours des évènements. Il y avait assez longtemps déjà qu'un homme, dont le nom est resté fameux jusqu'à nos jours, se signalait dans la principauté par la hardiesse de ses entreprises et la bizarrerie sauvage de son caractère et de ses habitudes. Guillaume de la Marck avait embrassé de bonne heure le parti des armes. Doué d'une force de corps extraordinaire et d'une intrépidité à l'avenant, il faisait la guerre tantôt pour son compte, tantôt au profit d'autrui. C'était l'un des plus beaux chevaliers de son temps, mais sa barbe longue et hérissée imprimait un aspect terrible à sa physionomie. On l'appelait le sanglier des Ardennes, où il possédait de grands biens, soit à cause de son humeur farouche, soit parce qu'il portait dans ses armes une hure de sanglier et la faisait porter aux gens de sa suite. Louis XI s'en était servi pour harceler le duc Charles et l'évêque Louis de Bourbon. La Marck avait fait assassiner, presque sous les yeux du prélat, un de ses grands vicaires, et avait recueilli une foule de bannis autour de lui. L'évêque ayant détruit de concert avec le duc le château d'Aigremont[16] qui lui appartenait, il envoya un héraut déclarer la guerre dans les formes à l'évêque et au duc de Bourgogne.

Après la mort du duc Charles, Louis de Bourbon avait vainement essayé de se faire nommer tuteur de la princesse Marie. Il prit alors le parti de venir gouverner son propre peuple, et montra dès ce moment des sentiments dignes du caractère dont il était revêtu. Il obtint de la jeune duchesse la renonciation aux droits exorbitants que le duc s'était arrogés sur le pays de Liège en vertu de la conquête[17]. Elle lui fit remise en outre d'un tribut annuel de trente mille florins, et promit de rendre aux Liégeois leurs titres, chartes et privilèges. La duchesse renvoya aussi à Liège le perron de cuivre, qui se trouvait à Bruges depuis dix ans. Le peuple le reçut avec de grandes démonstrations de joie, et pour témoigner sa reconnaissance à son évêque, lui offrit spontanément un don gratuit et annuel. Comme on avait perdu les originaux des anciennes lois, paix, concordats, etc., on chargea une commission d'hommes instruits de faire des recherches dans les dépôts publics et chez les particuliers : ils suppléèrent aux titres originaux par des copies ou par des extraits. On appela cette compilation la paix de Saint-Jacques, parce qu'elle fut rédigée dans l'abbaye de ce nom[18].

L'évêque ayant quitté Gand avec précipitation parce n'y était plus en sûreté au milieu de l'exaspération populaire, s'arrêta un instant à Curange, puis revint à Liège. Guillaume de la Marck alla au devant de lui, descendit de cheval à son approche, et, embrassant ses genoux, lui demanda pardon de sa conduite passée. Le prince le releva avec bonté, le rétablit dans ses anciennes places et dignités, et lui en conféra de nouvelles, entre autres, celles de capitaine de ses gardes, de mambourg de l'église de Liège, et de gouverneur des châteaux de Logne et de Franchimont. Il le pria seulement de donner satisfaction à la famille de son grand vicaire, si cruellement mis à mort par lui. Il lui fit ensuite obtenir de la duchesse Marie une somme considérable pour l'aider à reconstruire son château d'Aigremont détruit par les ordres du feu duc. De son côté, La Marck promit. de se dévouer à la défense de la duchesse.

C'était à l'évêque, et non à la cité, que Marie de Bourgogne avait fait remise de tous les droits que le duc Charles s'était attribués. Le prélat eut la sagesse de ne pas s'en prévaloir dans son intérêt personnel. Il permit d'abord au peuple de nommer ses bourgmestres selon le mode fixé par le règlement de Heins-Berg ; puis il rétablit les échevins et tous les anciens tribunaux supprimés par le Téméraire. Enhardis par sa condescendance, les Liégeois lui présentèrent une requête par laquelle ils demandaient 1° d'être relevés des serments qu'ils avaient prêtés par force au duc de Bourgogne ; 2° que le prince voulût bien reconnaître que la Pauline ne pouvait préjudicier aux vieilles lois du pays[19] ; 3° que monseigneur ne fît nulle guerre, nulle alliance, nulle levée d'impôts, nulle émission de nouvelles monnaies, sans le consentement des trois états ; 4° qu'il préférât les indigènes aux étrangers dans la collation des emplois ; 5° que la cour spirituelle, transférée à Maëstricht et à Saint-Trond, fût rétablie à Liège ; 6° que l'on permît aux exilés de rentrer dans leur foyers ; 7° que la main de monseigneur fût levée de dessus les biens confisqués ; 8° que l'on abolit les gabelles clans la ville et dans la banlieue ; 9° que l'on diminuât la longueur des procédures et qu'on réprimât les fraudes des gens de justice et des agents du fisc. Le prince donna son approbation à ces divers articles, sauf quelques restrictions. Il déclara toutefois qu'il n'entendait point préjudicier au droit de seigneurie que lui attribuait la Pauline, et ne voulait rien accorder au détriment de ladite sentence. Il rendit enfin à la cité, aux métiers et aux particuliers tous leurs biens confisqués.

Le roi de France prêt à commencer la guerre contre l'amchi-duc Maximilien, essaya d'entraîner encore une fois les Liégeois dans cette nouvelle entreprise. Il chargea le sénéchal d'Albret et les comtes d'Arsilliers et de lloncy d'entrer en pourparlers avec eux. Une conférence eut lieu à Mouzon : les Liégeois déclarèrent qu'ils étaient fermement résolus à garder désormais la neutralité. Malheureusement de nouveaux orages se préparaient à l'intérieur. L'âme inquiète et fougueuse de Guillaume de la Marck ne connaissait point de repos ; il se rendait odieux à tout le monde par son humeur despotique et la licence de ses mœurs. Maître absolu dans le palais de l'évêque, dit le vieil historien de Huy Mélart, il n'y avoit ni conseillier, ni courtisan qui osast parler que par sa bouche, ni secrétaire qui osast écrire que par son dictamen. Les édits et mandements estoient faits selon qu'il en ordonnoit. Il n'écoutait aucun commandement de prévost, de doyens, ni de chapitre. Jamais on ne le voyait entrer en une église, ouïr la messe, se confesser ni communier ; il mangeait communément de la chair en caresme, et il ne s'était point réconcilié aux parents du grand vicaire occis par lui... S'étant divorcé de sa compagne, de son autorité, il en avoit prins une autre en laquelle il avoit engendré plusieurs enfants. De tout quoi étant reprins par l'évêque et autres bons citoyens, il s'en tint tellement offensé qu'il quitta la cour brusquement.

On découvrit qu'il continuait d'entretenir des intelligences avec Louis XI, et il fut banni par une sentence des échevins (1480), conformément à une loi qu'il avait lui-même provoquée en 1477. Pour ne laisser nul doute sur sa félonie, le roi de France se plaignit de cette condamnation comme d'une injure personnelle. La Marck médita longtemps sa vengeance : elle n'en fut que plus terrible. Un jour on apprit qu'il s'avançait par les Ardennes à la tête de douze cents chevaux et de trois mille hommes de pied. L'évêque se trouvait à Huy. Il résolut de venir défendre sa capitale, et donna rendez-vous aux gens du fief de Saint-Lambert et à la milice bourgeoise sur la place du marché. C'était le 30 août 1482. Après avoir fait distribuer du vin aux officiers et aux soldats, il les harangua, mais sans produire beaucoup d'effet sur eux, soit que la crainte eût glacé les esprits, soit que l'indifférence ou la mauvaise volonté les dominât. On a prétendu en effet que les traîtres portaient des feuilles de chêne à leurs chapeaux pour se reconnaître entre eux. Quoi qu'il en soit, le prince crut indigne de son courage et de son nom de paraltre reculer devant une bande d'aventuriers. Comme il avait peu de cavalerie, on lui conseillait d'attendre Guillaume derrière les remparts de la cité. Tel était entre autres l'avis de Jean de Horne, jeune homme intrépide, à qui l'on avait confié la garde du drapeau de Saint-Lambert. Bourbon, pour son malheur, ne le suivit pas. Armé de pied en cap, monté sur un cheval vigoureux, il se dirigea à la tête des siens vers la Chartreuse, par où devait arriver l'ennemi. Un de ses serviteurs portait son casque. En passant devant le couvent, il fit dire aux religieux de prier pour lui. A peine l'évêque était-il engagé dans les défilés de la Chartreuse, qu'arriva sur lui tout en fureur La Marck avec sa troupe. Ceux qui accompagnaient le prélat furent en un instant mis hors de combat et dispersés. Lui-même en vain demanda humblement la vie. Déjà un des gens de Guillaume l'avait frappé au visage. La Marck, poussant son cheval sur lui l'épée haute, lui en donna dans la gorge ; puis se retournant froidement vers l'un des siens, il lui ordonna de l'achever. L'évêque tomba du cheval ; son corps roula dans une mare d'eau formée par un petit ruisseau qui découlait de la fontaine de Wez sur le chemin de Grivegnée. Là le cadavre meurtri, sanglant, presque nu, de Louis de Bourbon, évêque et prince de Liège, demeura pendant plusieurs heures gisant dans la boue ; La Marck avait expressément défendu qu'on lui accordât les honneurs de la sépulture. Ce ne fut que sur les vives remontrances du clergé qu'il permit à la fin de lui rendre les derniers devoirs. Ainsi, dit M. de Gerlache, en terminant ce récit, ainsi périt à l'âge de quarante-cinq ans et après vingt-six ans de règne ce prince qui placé trop jeune dans un poste difficile et périlleux, gâté par ses flatteurs, parut peu capable et peu digne de gouverner. Toutefois, dans ses dernières années, cette âme faible mais bonne, battue par l'adversité, se dépouilla peu à peu des passions qui l'inclinaient vers le monde et se releva dignement. Sa mort violente et prématurée fut, comme l'avait été son avènement, une immense calamité pour la patrie.

La Marck avait convoqué le peuple au palais. Là il dépeignit l'évêque comme un tyran vendu à l'étranger et qui avait été cause de la ruine du pays, prétendant qu'il n'avait pris les armes que pour délivrer ses concitoyens et les venger. Ensuite il invita les chanoines A. procéder à l'élection d'un nouvel évêque, et leur recommanda son fils, qui faisait ses études à Cologne et n'était point encore tonsuré. La plupart des chanoines s'absentèrent ; quelques-uns, effrayés par les menaces du père, élurent ce jeune homme. La Marck se fit nommer lui-même mambour du pays. Mais bientôt les membres du chapitre qui s'étaient enfuis de Liége et ceux qui avaient voté par force se réunirent à Louvain, déclarèrent nulle l'élection faite comme entachée de fraude et de violence, et procédèrent à un nouveau choix. Les voix se partagèrent entre Jacques de Croy, frère du comte de Chimai, et Jean de Horne, celui-là même qui avait vaillamment combattu à côté de Bourbon à la Chartreuse. Cette triple élection ne fit que compliquer les affaires et attiser le feu de la guerre civile. La Marck alla dévaster le comté de Horne, tandis que l'archiduc Maximilien envoyait des troupes vers Liége pour venger la mort de Louis de Bourbon son allié. La mort de Louis XI vint abandonner les Liégeois à eux-mêmes, et le pape se prononça en faveur de l'élection de Jean de Horne. La Marck comprit qu'il était temps de plier, et ne chercha plus qu'à faire sa paix. Un arrangement fut conclu à Tongres, le 22 mai 1484[20], aux conditions suivantes : 1° la cité se reconnaissait débitrice de trente mille livres de Flandre envers Guillaume de La Marck, et pour sûreté de cette somme la terre de Franchimont et le duché de Bouillon lui étaient engagés ; 2° s'il arrivait qu'on voulût insulter ledit seigneur ou ses adhérents pour cause provenant de la guerre précédente, l'évêque et les états du pays étaient tenus de le protéger ; 3° tous les méfaits de cette guerre, imputés à des gens d'église ou à d'autres, comme pilleries, vols, brigandages, etc., étaient pardonnés et oubliés ; 4° chacun reprenait ses biens dans l'état où ils se trouvaient. Cette paix[21], fort onéreuse pour le pays et toute au profit de l'agresseur, ne pouvait être acceptée qu'avec une vive répugnance par Jean de Horne. Une catastrophe nouvelle nous en convaincra bientôt.

Revenons à Maximilien. La mort de Louis XI coincidait précisément avec les brillants succès remportés par ce prince en Hollande. Il avait forcé Utrecht à capituler, et enlevé bientôt après Amersfoord d'assaut. Il crut arrivé le moment d'agir avec vigueur contre les Flamands, et déclara qu'il révoquait tous les pouvoirs provisoirement accordés par lui touchant le gouvernement de la Flandre. La protestation des Flamands ne se fit pas attendre. Le 15 octobre 1483, les sires de Ravenstein, de Beveren, de Rasseghem et de la Gruuthuse, parlant au nom des trois membres de Flandre, adressèrent à cet effet un long manifeste à l'archiduc. Après lui avoir denié, en vertu des stipulations matrimoniales de 1477, tout droit de mainbournie ; après lui avoir reproché de prendre illégalement le titre et les armes de comte de Flandre, d'avoir engagé ou vendu, en grande partie, les meubles et joyaux de la duchesse Marie, ils terminent en ces termes, invoquant l'arbitrage de la France : Au surplus, très haut et très puissant prince, afin que vous, ceux de votre conseil et tous autres qu'il appartiendra, connoissent et entendent le droit et raison qui est de ce parti et les devoirs èsquels nous voulons mettre, nous vous offrons que si, en ce pays de Flandre, voulez prétendre ou quereller aucun droit de bail, de sur ce répondre et ester à droit pardevant le souverain de ce pays, qui est le roi, soit pardevant lui et les pairs de France, ou en sa court de parlement ; et si desdits offres, qui est la voie de justice laquelle nous prenons et choisissons de notre part, ne voulez être content, mais pardessus voulez user de voie de fait à l'encontre de ce pays ou aucuns en particulier de ceux du sang ou du conseil de monseigneur votre fils, et autres qui lui ont fait serment et veulent demeurer et adhérer à lui comme à leur prince naturel, nous, prenant Dieu en aide de notre bon droit et juste querelle, vous déclarons tous ensemble, uniformément et d'une voix, que, pour défendre le droit de votre fils, nous sommes délibérés y mettre et employer corps et biens, et espérons que les sujets des autres pays, quand ils seront bien avertis de notre intention, acquitteront leurs loyautés vers monseigneur le duc, leur prince et seigneur et le nôtre[22].

Le 23 octobre suivant, Maximilien fit à cette protestation une réponse pleine de vigueur et de dignité. Nous reproduisons la majeure partie de ce document, qui jette une lumière précieuse, sur toute la situation[23].

Au seigneur de Ravestein et au sire de Bièvres, nos cousins, aux sires de la Gruuthuse et de Rasseghem, et à ceux qui se portent pour les trois membres de notre bon pays et comté de Flandre, de par le duc d'Autriche, de Bourgogne, de Brabant, etc, comte de Flandre, d'Artois, etc.

Nous avons reçu par notre officier d'armes vos lettres non signées, closes de un scel que dites être le contre-scel de notre très cher et très amé fils Philippe, en date du XVe jour de ce présent mois, contenant plusieurs points et articles durs, rigoureux et sentant menaces, lesquelles dussiez avoir scellées de autre scel que de notre dit fils, si aviez eu regard à révérence due de fils à père.

Et quant au premier point contenu en vos dites lettres, faisant mention de la révocation par nous naguère faite du pouvoir que paravant avions baillé du gouvernement de notre dit pays et comté de Flandre, pendant notre absence et jusques à notre rappel, dont avez été avertis tant par ladite révocation que par nos lettres closes à vous sur ces écrites, vous avez, comme nous écrivez, sur ce eu avis et communication ensemble pour nous répondre.

Et dites que par le trépas de défunte notre très chère et amée compagne la duchesse, que Dieu absolve, tous les pays et seigneuries par elle délaissés, à savoir les duchés de Bourgogne, de Lothier, de Brabant, Limbourg, Luxembourg et Gheldre ; les comtés de Flandre, d'Artois, de Bourgogne, Hainaut, Hollande, Zélande, Namur et Zutphen ; les seigneuries de Frise, Salins et Malines ; ensemble les bagues, joyaux, vaisselle d'or et d'argent, tapisseries et autres biens meubles quelconques, venant de son lez (côté), sont succédés et échus à notre dit fils et à la reine notre fille, sans que ès dites seigneuries et biens meubles puissions clamer (réclamer) ou demander aucun droit de propriété, d'usufruit ou autres quelconques, ainsi que dites contenir le traité de mariage de nous et de notre dite feu compagne.

Quant à ce, nous avons toujours sçu, et encore sçavons et entendons que les duchés, comtés, pays, terres et seigneuries dessus dites, compétent et appartiennent à nos enfants, et que, quelque chose que aucuns malveillants de nous et de notre fils aient parfois fait semer au contraire entre notre bon peuple, notre intention ne fut jamais ni est encore du contraire. Et quand autres le non voudroient faire, nous, comme père et de droit naturel, y sommes tenus et astreints, et y voudrions remédier à notre pouvoir, plus que vous autres qui usez de tel et semblables langages.

Et quant à l'usufruit et aux joyaux, bagues et autres biens meubles, èsquels, comme dites, ne pouvons demander aucune chose, obstant le traité de mariage que dites avoir été fait entre nous et notre dite feu compagne, nous disons que à nous, comme père, compète et appartient, et non à autre, la tutelle, mambournie, garde et gouvernement de la personne de notre fils, lequel, à notre grand regret et déplaisir, et contre tout droit naturel et raison, et par force, vous détenez, ensemble aussi les dits biens meubles, pour de iceux user selon les coutumes des pays, villes et lieux dessus dits, et les administrer comme bon père, bail et mambour de icelui notre fils. Et au regard dudit traité de mariage, nous le voulons entièrement entretenir et ensuivre.

Et quant aux lettres de notre dite feu compagne, sur lesquelles vous vous fondez[24], et non sur aucunes lettres de nous, icelles ne nous portent ou doivent porter aucun préjudice, attendu que si aucune chose en a été faite, ce a été au desçu (à l'insu) de nous et sans que nous en ayons été aucunement avertis. Et est assez évident que semblablement a été au desçu de ma dite feu compagne, et seroient lettres scellées à part par vous, sire de la Gruuthuse, qui aviez pour lors la garde de son scel. Et ce se prouve assez par le testament et ordonnance de dernière volonté de elle, en faisant lequel vous étiez présent avec autres et dont vous êtes l'un des exécuteurs, et par icelui appert clairement le contraire dudit prétendu traité de mariage, par article contenu au dit testament faisant mention de cette matière. Et quand ores ledit traité de mariage seroit trouvé valable procédant de notre consentement, si ne nous pourroit-il empêcher au gouvernement des corps et biens de notre dit fils durant sa minorité, auquel n'avons nullement renoncé par ledit traité, lequel gouvernement nous appartient seul et pour le tout, et non à vous ni à autre.

Et là où vous dites que par le conseil et instigation d'aucuns à l'entour de nous, avons prétendu et prétendons avoir droit de propriété en plusieurs desdits pays, à ce vous disons, combien que usurpez le titre de membres de notre pays de Flandre, néanmoins sçavons certainement que ce procède de aucuns de petite autorité, gens légers et arrogants, nos malveillants, en bien petit nombre, qui plus désirent leur profit particulier que le bien de notre dit fils et pays, si comme vous, Adrien Vilain, chevalier, Guillaume Rym, Jehan de Coppenole, Behan de Rantere, Daniel Ourede, Jehan de Nieuwenhove, Jean de Keyt, Tristan Belle et Jaspar de Pinnocques, qui mettez ces choses en avant et plusieurs autres à notre charge, usant de plusieurs mauvaises et déshonnêtes paroles, comme de faire les choses par instigation de ceux qui sont à l'entour de nous, lesquels ne nous pourroient ni voudroient induire ni séduire de faire aucun tort à nos enfants. Et voudrions bien que ceux qui sèment lesdits langages, fussent autant enclins au bien, honneur et profit de iceux nos enfants, que sont nos serviteurs qu' on charge à tort et sans cause.

Là où vous dites que nous avons retenu et retenons à nous les armes et titre, vous pouvez assez sçavoir que, comme mari et bail de notre feu compagne et de son vivant, par l'avis de vous et des états de nos pays et aussi de ceux de notre conseil, nous primes lesdites armes et titre, lesquels avons depuis tenus et portés comme père, bail et mambour légitime de notre fils, et non à autre cause, ni pour porter préjudice à icelui notre fils, non obstant que autrement le voulez prétendre.

Là où vous, lesdits des membres, dites que tantôt après le trépas advenu, vous prîtes de notre sçu le gouvernement de notre pays de Flandre, il est vrai que de notre sçu et à notre grand regret, de votre autorité privée, durant le temps que faisions continuelle poursuite pour être reçu en notre pays de Flandre, comme raison étoit, vous usurpâtes ledit gouvernement, ce qui ne vous appartenoit aucunement. Et en icelui, et aussi auparavant, et. depuis le trépas de notre feu seigneur et beau-père, avez, sans autorité de nous, levé de notre pauvre peuple de Flandre plus de VIII cent mille écus, dont ne avez encore rendu compte ni reliquat, comme entendu avons, et dont aussi aucune chose n'est venue au profit de nous, ni de notre dite feu compagne, ni aussi guère au profit de notre pays de Flandre. Et ont été les exécuteurs les blancs chapperons de notre ville de Gand, ce qui est directement contre les anciennes coutumes bien usées en notre dit pays de Flandre, car jamais imposition ne fut mise sus en icelui pays que par octroi fait par notre commun peuple, et à la requête du prince ou de ses gens et députés.

Et là où vous dites que vous n'avez usé aucunement de notre pouvoir et commission par nous naguère révoqués, vous ne pouvez ignorer que pour avoir et obtenir de nous notre dit pouvoir et commission, vous, sires de Bièvres et de la Gruutbuse, le président de Flandre, et maitre Jehan de Witte, lors bourgmestre de notre ville de Bruges, et autres, ne vinssiez devers nous, nous étant en notre ville d'Anvers, en laquelle nous lites requête en toute humilité que voulussions consentir iceux nos pouvoir et commission, en nous offrant la somme de XXIV mille écus par an durant ledit pouvoir, ce que alors, à votre très instante et continuelle poursuite et requête, accordâmes durant notre absence et tant qu'il nous plairoit seulement, et depuis, par le fait de ladite commission, envoyâtes devers nous, à notre siége devant Utrecht, notre dit président de Flandre, et si de iceux nos pouvoir et commission vous êtes aidés ou non, nous nous en rapportons à ce qu'il en est et s'en pourra ensuivre. Et si n'en avez usé, de tant seroit l'abus plus grand.

Là où vous dites quand nous fussions servi (si nous nous fussions servis) de ceux qui aiment notre honneur et celui de nos enfants, ensemble le bien de notre dit pays, vous nous eussiez avantagé, etc., nous disons que nous sommes servis, et servons journellement de gens qui autant et plus aiment le bien, honneur, utilité et profit de nous, de nos enfants, de la maison de Bourgogne et de nos pays, que vous, les dessus nommés, qui vous portez pour mambours, qui avez usurpé et usurpez journellement les hauteur, autorité et seigneurie de nous et de notre fils.

Et ne fait à douter (il n'est pas douteux) que si pouviez parvenir à vos fins et intentions, desquelles nous sommes depiéça bien avertis, vous tiendriez icelui notre fils en perpétuelle servitude et sujétion, comme ci-après sera bien connu. Et avec ce que dites que n'avons cause de demander droit de bail, tant par le traité de mariage que par les termes par nous tenus, ès-quels avons continué et persévéré du vivant et après le trépas de notre feu compagne, nous voulons que vous et autres sçachiez que nous ne avons fait, du vivant de notre dite feu compagne ni depuis, chose que prince sans reproche ne puisse et doive faire par honneur, et quand seriez (si vous étiez) gens de autre état et conditions que n'êtes, nous en répondrions comme il appartiendroit. Nous avons exposé, quand métier (besoin) a été pour la garde et préservation de notre pays de Flandre et de nos autres pays, notre personne, soutenant le danger et fortune de nos ennemis et de la bataille, vous alors peut-être étant en vos maisons et à vos aises, en votre sûreté, et encore sommes prêt de le faire en délaissant plusieurs autres de nos pays et seigneuries. Si, en ce faisant et en tenant ces termes, nous -avions forfait et perdu le droit de bail de icelui notre fils, et vous acquis le gouvernement de lui et de notre pays de Flandre, ce nous sembleroit chose bien étrange. Et à ce que dites que, de droit écrit, quand il y a querelle entre le tuteur et le pupille, le tuteur doit être ôté de son administration, nous ne sçavons aucune querelle entre nous et notre fils, sinon celle que vous y mettriez volontiers comme il semble et selon la disposition du droit écrit par vous allégué, nous avons plus de droit à la mambournie et administration des corps et biens de nos enfants, pendant leur minorité, que ceux qui, au moyen de leur trépas, pourroient prétendre à avoir droit ès biens que ils délaisseroient, lesquels, selon ledit droit, doivent être alongiés (éloignés) de l'administration et gouvernement de leurs personnes, et selon Dieu, honneur et toute raison naturelle, devroient iceux être en nos mains.

Et en tant que touche le narré du mandement de la révocà.tion de nos pouvoir et commission, oui vous, de Ravestein, Bièvres et Gruuthuse, dites être grandement chargés et sans cause, parce que ledit narré contient que, en exerceant le pouvoir à vous baillé, vous êtes moins que suffisamment conduits, nous voulons que entendiez et sçachiez que ce procède de nous et de notre sçu, propre mouvement et exprès commandement. Et vous avertirons, quand métier sera, des causes de notre .mouvement qui sont véritables. Mais combien que vous, de Ravestein et Bièvres, soyez les premiers nommés èsdits pouvoir et commission et révocation, si pensons-nous bien que toujours ne avez pas eu la principale voix ès choses qui, depuis l'octroi de ladite commission, ont été faites...

Et au regard des joyaux et tapis qui sont en notre ville de Gand èsquels dites que nous n'avons aucun droit, votre jugement est en ce bien court, sans ouïr partie, et ne est pas le train de justice de en bailler si brève sentence. Et ce que y prétends est, quand à ce, assez déclaré ci-dessus, et aussi ne en êtes pas mes juges.

Ou nous écrivez aussi que depuis que les affaires de notre pays de Flandre ont été conduites sous le nom de notre fils, les droits, hauteur et seigneurie du comté de Flandre ont été bien gardés, nous n'avons pas sen, ni été averti que depuis ce temps on ait fait chose touchant la justice et droit de notre dit pays, digne de plus grande recommandation et mémoire que les choses faites auparavant. Et s'il y avoit chose singulière, nous serions bien joyeux d'en être averti pour le bien de notre pays. Toutefois si faisiez raison à un chacun, vous le nous devriez aussi faire et semblablement à notre très chère dame et belle-mère, la duchesse douagière (douairière) de Bourgogne, à laquelle, à tort et sans cause, avez ôté son douaire constitué en Flandre, dont elle fut mise en possession du vivant de notre seigneur et beau-père, son mari, et fait à douter, quand faites injustices à tels personnages que elle et nous sommes, que autres de autre état sont en grand danger de leurs corps et biens, et nommément en la sûreté de vos dites lettres, comme appert notoirement tant par les bannissements, ajournements personnels, prises de joyaux, étant arrêtés, à votre requête, en notre ville de Bruges, mêmement à l'encontre de nos officiers et serviteurs domestiques...

Au surplus, quant au dernier point contenu en vos lettres, par lequel offrez que, si voulons demander, prétendre ou quereller aucun droit de bail de notre pays de Flanche, dessus ce répondre et ester à droit par devant le souverain de notre dit pays de Flandre, qui est monseigneur le roi, soit par devant lui, les pairs de France ou sa cour de parlement : il n'est pas besoin que nous faites offre de ce à quoi pouvez être contraints quand ores ne le consenteriez ; mais mieux seroit que de vous-mêmes vinssiez à la raison, vu que il n'est si belle justice que celle qui se fait de soi-même, avant qu'il nous soit besoin de vous y contraindre par autre voie.

Et là où dites que si par autre voie nous voulions user à l'encontre de notre pays de Flandre, vous tous ensemble, uniformément pour défendre le droit de notre fils, êtes délibérés d'y mettre corps et biens : nous vous disons que nous n'avons aucune volonté de faire aucune chose contre ni au préjudice de notre dit pays de Flandre ; ains avons icelui notre fils en tel amour que père bon, par nature, doit avoir à son enfant, aussi à notre pays, ensemble la généralité de nos sujets d'icelui en bonne et singulière recommandation ; et si iceux nos sujets, lesquels tenez, par vos rigoureuses et violentes exécutions et exploits, en telle crainte que ils n'osent parfois dire la vérité, étoient au vrai acertenes (instruits) du grand et évident tort que nous faites, ensemble de nos gouvernements et mangeries que faites sur eux, comme bien sont les sujets des autres pays de nous et de notre fils, lesquels tous sont à nous et à lui bons et obéissants, jamais ne le permettroient, ni souffriroient, ains acquitteroient leurs loyautés envers nous et notre fils, si comme bons sujets doivent faire, aussi que bien espérons qu'ils feront ci-après. Si voulons et vous ordonnons que vous déportiez de plus écrire ou envoyer lettres semblables à nous, et à nos autres bonnes villes et sujets, pour les séduire et dévoyer de la raison, bonne amour, loyauté, bon propos et vouloir qu'ils ont envers nous et notre fils. vous avertissant que, si faites le contraire, nous nous en prendrons ci-après à ceux qui à nous seront désobéissants, et, dès maintenant, à ceux qui se mèlevont de porter telles ou semblables lettres.

Écrit en notre ville de Bois-le-Duc, sous le signet armorié de nos armes, le XXIIIe jour de octobre, l'an IIIIxx et trois[25].

 

L'archiduc envoya, le ter novembre suivant, sa réponse aux conseils de justice des autres provinces, avec ordre de la faire publier. Ce mandement était conçu en ces termes :

De par le duc d'Autriche, etc. — Très chers et bien aimés, pour ce que les srs de Ravenstein et de Bièvres, nos cousins, les sires de la Gruuthuse et de Rasseghem et certains autres, eux portant pour les trois membres de notre bon pays et comté de Flandre, nous ont, envoyé lettres, dont, comme nous entendons, ils vous ont envoyé la copie, ouie laquelle, il pourvoit sembler à aucuns de vous, et autres qui ne seroient avertis de la vérité des choses, que iceux seigneurs et autres dessus nommés eussent cause de dire ou écrire ce qu'ils nous écrivent, nous, pour avertir et informer de cette vérité vous et autres bons et loyaux sujets de nous et de notre très cher et très aimé fils messire Philippe, duc d'Autriche, de Bourgogne, etc., vous envoyons ci-dedans enclose la copie de nos lettres que, pour réponse, leur avons sur ce récrit, afin que soyez informés du tout, et entendiez notre courage et intention, et conséquemment sçachiez quel provision et remède nous désirons mettre à l'encontre de telles indues écritures et sinistre langage. Et voulons et vous mandons qu'icelle notre réponse vous publiez et faites publier en tous lieux et places et où vous avez accoutumé faire cri et publications, tellement qu'elle vienne à connoissance de tous, et d'autre part, d'ores en avant, plus ne recevez telles lettres ou copies, mais prenez et appréhendez au corps ceux qui les portent, pour faire la punition telle qu'il appartiendra. Et vous gardez de faire le contraire, sur tant que nous doutez (craignez) déplaire, car notre plaisir est tel. Très chers et bien aimés, Notre Seigneur soit garde de vous[26].

 

Les Flamands, alors, ne gardant plus aucune mesure, adressèrent à Maximilien la réplique suivante :

Très haut et puissant prince, nous avons vu et visité les lettres que vous avez depuis naguère envoyées à messeigneurs de Ravenstein, Bièvres, Gruuthuse et Rasseghem, et à ceux qui se portent pour les trois membres, reprinses (réponses) aux lettres par eux à vous écrites. Et pour ce que nous trouvons au contenu desdites lettres aucuns nos bons seigneurs, bourgeois et manants, en divers articles, chargés, et que, en plus grande confusion, vous avez envoyé la copie en divers lieux, nous sommes, de un accord, conclus et avisés vous signifier ce qui s'ensuit, afin que vous et ceux autour de vous puissiez connoitre que les dits personnages, en la matière dont vous touchez, ne sont point tels que vous cuidiez (croyez) ou mettez par écrit.

Délaissant la réponse que vous faites sur le traité de mariage, dont vous imputez le scellé à monseigneur de la Gruuthuse à votre desçu (insu), nous tenons la lettre pour bonne, et bien faite et authentique, signée de la main de feu notre princesse, votre compagne, et passée par ceux qui, en ce temps, en avoient votre charge, comme des autres vos affaires. Néanmoins nous nous rapportons de ce en ce qui dépend et qui en adviendra.

Où vous écrivez que nous disons que, par instigation du conseil de aucuns étant à l'entour de vous, vous prétendez avoir droit de propriété en plusieurs pays de notre très redouté seigneur : sur quoi vous dites que vous sçavez bien que ce procède de aucuns de petite autorité, gens légers et arrogants, en bien petit nombre, si comme Adrien Villain, chevalier, Guillaume Rym, Jehan van Coppenolle, Jehan de Riewettre, Daniel Onrede, Jehan van Nieuwenhove, chevalier, Jehan de Kaiet, Tristan Belle et Jaspar de Pinnoques, etc. nous vous avertissons que vous et ceux de votre conseil êtes malavisés de iceux particulièrement imposer aucune chose ; car tout ce qui a été besogné, tant de votre fait que des autres matières du pays, vons avons autre fois déclaré que ce étoit notre fait. Et de rechef le déclarons et le tenons pour bon et fermement envers et contre tous qui autrement le voudroient entendre. Ils sont aussi de aussi grande autorité et étoient devant leurs services, èsquels ils n'ont point été mis à leurs poursuites, ainsi que ont été la plupart de ceux étant à l'entour de vous, aucuns desquels en a, depuis ne a guère d'années, connus bien petits.

Où vous écrivez que vous portez le titre et les armes du pays, et par les raisons contenues en vos dites lettres, ces raisons sont fondées sur le titre injuste, pour les causes déclarées en nos autres lettres, et voudrions bien qu'il vous plût désister de plus écrire en mandement ou autres lettres : à notre pays de Flandre, à notre ville de Gand, Bruges ou autre ville, car vous n'avez point action de le faire, et ne connaissons personne qui en ait l'autorité que notre prince naturel.

Où vous écrivez que, après le trépas de notre dite dame, nous primes le gouvernement de ce pays, à votre grand regret et de notre autorité, et que avons levé plus de viii cent mille écus, etc : nous tenons que nous n'avons point usurpé le dit gouvernement, autrement que de droit et par nature devions faire ; car prince ne fut oncques reçu audit pays sinon par le consentement des tu membres, lesquels, en son absence ou par sa minorité, peuvent pourvoir ledit pays à son profit. Les écus levés, comme écrivez, sont beaucoup trop ; mais quoi que en soit, on ne nous sçaura, ni les dessus nommés, reprocher de la maniante (emploi) de un seul denier. L'imposition a été faite ainsi qu'il appartient par le consentement général du peuple, et les deniers employés en la garde du pays durant la guerre.

Où vous écrivez que vous n'avez point sceu que depuis que les affaires de ce pays ont été conduites sous le nom de notre dit prince, aucunes choses aient été faites dignes de plus grande recommandation que les choses faites auparavant, et que s'il y avoit chose singulière, que vous voudriez bien être averti : certes plusieurs choses se sont ici faites à l'honneur et profit de notre dit prince et au fait de la justice, qui seroient trop longues à écrire ; mais en cas que envoyez ici Carondelet, Rochefort, Volquestain, Pollain, Doctor, Amiette, ou autres de votre conseil, nous leur communiquerons volontiers tout au long.

Et toutefois la justice a été ici mieux administrée que par delà, vu que vous avez tenu à l'entour de vous ceux qui ont meurtri l'évêque de Liège, oncle de notre prince, et messire de Dadizelle[27], les exploiteurs des faits perpétrés à Luxembourg, et encore les tenez et souffrez en votre sujétion, contre Dieu et raison, qui est grand pitié qu'on ne fait correction de tels cas. Mais hélas ceux qui volontiers eussent fait et entretenu la concorde des pays de Brabant et de Flandre, en ont injustement, sans raison, et contre les privilèges des pays et de volonté, eu à souffrir (ce que Dieu vengera une fois), en séparant par tels moyens l'un pays de l'autre, à dommage de notre prince, et contre le bien, honneur et profit desdits pays, desquels vous ne désirez point la communication, et conjonction et accord, afin de mieux persévérer en ce que vous usez.

Le fait de la douagière (douairière) est fort changé par l'emprise et trahison qu'elle a voulu faire au préjudice de notre prince et de ce pays. Et aussi n'est nul besoin amplement écrire de la matière dont vous touchez, car elle a bien près pris fin....

Où vous touchez que si le peuple étoit averti du droit de votre fait et de notre gouvernement et mangerie, tout seroit bien à votre plaisir : nous sommes contents que vous avertissiez chacun de vos manants du faire et des mangeries dont ceux étant à l'entour de vous usent journellement et pourquoi ils sont bannis en ce pays, et de aucuns grands maîtres des biens des pauvres gens, lesquels ils ont aidés à exactionner. Regardez bien toute la compagnie, et vous faites informer quels biens la plus grande partie d'eux avoient quand ils vinrent par deçà, aussi bien Allemands que Bourguignons. Nos gens ne sont point tels.

Il semble, par vostre escript, que vous ne voulez aucunement faire chose préjudiciable à nostre prince. En prenant les choses de ung entendement, les paroles sont bonnes, mais elles ne concordent point avec l'effet et besogne.

Et, ès autres quartiers, elia.scun en son parti, selon le transport, ont eu la recette et distribution, en ont tenu compte devant ceux auxquels en appartient la connoissance, combien que vous procédàtes sur aucuns de Bruges pour contrôler lesquels en furent déchargés. Mais ceux qui ont eu la recette de vous et les prédecesseurs de notre très redouté seigneur et prince, ont bien pensé pour eux, sans que vous en informiez.

Touchant la commission en vertu de laquelle on avoit eutprins le gouvernement, à la vérité elle est mise de un côté, et on ne s'en est point aidé ainsi que vous a esté escrit.

Quant à vos serviteurs, desquels vous ôtes bien servi, et qui aiment le bien, honneur et profit de vous, de notre prince, de la maison de Bourgogne et du pays, nous oions volontiers que ils vous font bon service, et par ce nous plaisent bien et nous sommes contents qu'ils soient longuement par vous entretenus et demeurent en grande domination, laquelle ils désirent moult. Quant au service de notre prince, ils ne le démontrent point par effet, mais publiquement le contraire. Et si il y a des maîtres ou clercs en la compagnie, ils étudient et démontrent mal le droit qu'a notre prince a et le tort qu'on lui fait. Au regard de la maison de Bourgogne, il seroit bon que brief on les y envoiast, car noas avons ichi gens assez du pays ; car par dechà, ils ne se meslent que de faire discords et divisions entre le peuple par leurs pratiques et soubtils moyens ; mais ès aultres pays, ils usent de leur double clergie, laquelle ils ont longuement sceue.

Quand nous pouriesmes venir à nostre intention, laquele vous sçavez bien comme il semble, nous ne vouldriesmes pas qu'on nous raportast en divers pays et nations, ainsi qu'on fait à ceulx qui mettent en avant teles choses contre droit, raison, bonne police et bien public, desquels il y en a une partie par delà. Nous ne misrnes oncques prince en servitude, comme ne ferons ; mais alcuns de vos conseillers quièrent moiens pour avoir les princes séparés et en subjection, adfin de dominer et emplir leurs bourses.

Touchant la tutelle que vous désirez tant, pour laquele le droit escript vous alléguez en la poursievant et de nous en la deffendant, a esté touchié : nous le mettons, comme dessus, pour sur ce, en temps et en lieu, quand il appartiendra, plus amplement argtier.

Touchant les joiaulx, tapisseries et aultres biens meubles, notre jugement est tel que nous les espérons tenir au profit de notre prince. Et ne a esté besoing de oyr aulcune partie au contraire, pour ce que nous ne cognoissons nuls y voir aulcun droit que notre prince, auquel on doit faire briefve expédition de droit pour ce qu'il est menre (mineur) de ans.

Les joiaulx qui sont en estre sont beahcoup mieulx ici, en main seure, que en Angleterre et soubs diverses personnes particulières, indeubment engagiés pour grosses sommes de deniers, où il en a pluiseurs sans aultres qui ont esté donnés et fondus.

Notre dit seigneur et prince est bien ichi et honorablement traictié et entretenu, accompagnié et servi de divers seigneurs de son sang, de l'ordre et aultres, ainsi que ung prince de tous les pays de la joissance desquels lui faites empeschement.

Dont, très hault et puissant prince, il vous plaise sur ce considérer et faire le meilleur au salut de vostre àme, sans nous ne aulcun de nous imputer chose dont nous sommes innocens, ou aultrement nous aurons, par nécessité et pour démourer en paix, aussitost fait chose à votre préjudice que nous feismes à votre avantage quand venistes par dechà, espérons qu'il ne sera aulcun besoing, au plaisir de Dieu tout puissant, son Fils et benoit Sainct-Esperit, qui vous ait en sa saincte garde.

Escript sous le scel aux causes de ceste ville de Gand, pour nous tous, le viiie de novembre de test iiiixx et trois[28].

 

Un pareil langage équivalait à une déclaration de guerre. Maximilien r opposa un manifeste servant de réponse aux reproches de ceux qui se portent pour les trois membres du pays de Flandre. Ce manifeste, adressé aux états des autres provinces, était conçu en ces termes :

Très chiers et bien aimés, nous avons entendu par les copies que vous et aultres nos bons et léaux subjectz nous avez envoyées, comment ceulx qui se portent pour les trois membres de nostre bon pays de Flandres travaillent journellement de donner à entendre plusieurs et diverses choses à notre charge, grand déshonneur et esclandre, contre Dieu, raison et la vérité ; et, combien qu'il ne nous appartient de respondre à telles gens comme ils sont, sur leurs indeuz et desraisonnables escripts, comme à ce indignes, touteffois, nous ne voulons et n'est notre intention de tolérer que leurs dicts escriptz demeurent en l'entendement de nos bons subjectz, mais au contraire voulons qu'ils soient advertis des sinistres et faulx rapports que ceux qui se dient et se portent pour les trois membres sèment journellement à l'encontre de nous. Vous avons pour ce voulu donner à cognoistre sur chascun article des dictes copies ce que s'ensuit, ce que treuverez de nostre part et des nostres véritable, et indeuement escript contre Dieu, desraisonnable et mensonger par ceulx qui se portent pour les trois membres de notre pays de Flandres.

Et premier, là où ils dient que la matière, dont auparavant leur avons escript par nos aultres lettres, n'est pas telle que nous et ceulx qui sont entour de nous leurs avons escript, pourrez assez entendre et considérer par ce qui s'ensuit, par ce que par cy-devant avons escript, le contraire, ensemble des bourdes et faulsetez dont s'entremettent ceulx qui escripvent contre nous, pour vous et autres nos léaux subjectz et de nostre très chier et très aimé filz séduire et fourvoyer hors du vray terrain et chemin, duquel chemin de vérité ils se treuveroient bien ennuiés, car il ne leur duit (convient) point pour parvenir à leurs intentions.

Sur le IIe article, commençant : En délaissant la réponse, etc. En ce peut-on appercevoir qu'ils ne désirent point que la vérité viengne à congnoissance, car eux-mesmes délaissent et cèlent volontairement notre réponse, qui est véritable et juste. Mais pour savoir et entendre comme feue nostre compagne la duchesse, que Dieu absoille, a signé le traicté dont en test article est faicte mention, est vray que notre dicte compagne, en son vivant, et en présence du sieur de la Gruthuse et de la dame de Hallewyn, qui ce tesmoigneroient bien, en cas qu'ils ne voulsissent espargnier la vérité, s'est autrefois dolue et complainte que le secrétaire qui avoit faict les lettres de ce traicté les lui avoit apportées à signer,. disant qu'elles avoient ainsy esté conclutes auparavant son mariage, sans ce qu'aultrement elle sceut qu'elles contenoient, dont notre dicte compagne, comme elle disoit, n'estoit pas contente. Mais à ce qu'ils dient que ledict traicté s'ensuit expédié et passé par ceulx qui lors avoient ce et aultres choses en charge de nous, ce est bourde et le tout mensonge ; par quoy l'on peut veoir leur grande faulseté et mauvaitié, dont ils usent journellement envers nous.

Sur le IIIe article, commençant : Là où vous escrivez que nous disons, etc. Pouvez aussy entendre qu'il ne leur plaise point que nous nommons par noms les principaux qui journellement practiquent la ruine de nous, notredict filz, noz pays et subjectz ; les quels nommés, ils se travailleroient volontiers de les estimer meilleurs que ne sont ceulx qui sont emprès nous et qui nous servent : qui est une grande présomption d'eux ; car ceux qui sont nommés particulièrement en test article ne sont à comparer que à bourgeois, marchands et moindres ; quand ils seroient gens de bien et nobles seigneurs, ne doibvent point estre comparés aux princes, comtes et escuyers qui sont devers nous : par quoy l'on peut ce compter et tenir pour la troisième bourde en ordre.

Sur le IIIIe article commençant : Là où vous escripviez que vous retenez le titre, etc. La requeste qu'ils font enfin de délaisser les armes et le tiltre est desraisonnable et faicte par aulcuns particuliers nos malveuillans, et non point par la généralité de notre dict pays de Flandres et aultres. Et quant à la communauté et subjectz de noz pays de Flandres et aultres nous requérant d'aulcune chose raisonnable, nous y ferons ainsy qu'il appartiendra. Mais là où ils dient audict article que nous portons les armes à injuste tiltre, cecy est par eux, et par les raisons mentionnées et déclarées aussy en noz aultres lettres, aussy menti et faulsement dict contre la vérité, comme ils sont bien accoustumés de faire.

Sur le Ve article, commençant : Que nous après le trépas, etc. Sur ce pouvez considérer quel droict que les subjectz peuvent avoir de oster à leur seigneur son pays et luy désobéir, déchasser leur prince et bail de leur naturel seigneur soubz ombre d'obéir à un enfant qui ne scait commander ni deffendre. Certes, leur vouloir n'est pas si grand envers leur seigneur, qu'ils sont enclins de dominer, et à eniplir leurs L'Ourses ; et quoy qu'ils dient au contraire, l'on le trouvera en la vérité aussy n'estre faulx, yen les alliances qu'ils ont voulu faire avec les aultres, lesquelles, se Dieu ne les eue, empesché, nous eust esté, et aussy à nostredict filz, perpétuelle honte, esclandre et destruction.

Au VIe article : De la réformation de nostre commission, etc. Au cas qu'ils ne soient aydés de ladicte commission, de tant est leur abus et mesus (tort) plus grand. Toutesfois, ne faict-il à présumer qu'ils ayent faict poursuyvre icelle commission, et pour l'obtenir, nous ont promis grandes sommes de deniers sans en avoir jouy. Se peut-on par ce considérer et cognoistre une aultre bourde et faulseté avec les dessusdictes.

Sur le VIIe article, touchant et concernant nos serviteurs ; ils sont tels que nous les tenons et réputons par noz aultres lettres, et ne sera pas en la puissance de ceux qui nous escripvent de les déchasser hors de nos pays sans nostre sceu et consentement. Et à ce qu'ils client que nos dicts serviteurs ne servent ne bien ne léaulment nostredict filz, et que ce appert par effect, nous avons assez sur ce respondu par nos aultres lettres, et ce que lesdictes gens en escripvent est bourde et faulz ; car iceuix noz serviteurs ont pour nous, icelluy nostredict filz, pays et subjects, exposé leurs corps et plusieurs d'eulx perdu leurs biens ; iceulx qui escripvent lors estons en leur sceureté, recouvranz grands prouftiz et émolumens.

Sur le VIIIe article, commençant : Pour ores, que nous puissions, etc. Se leur intention est de mettre leur seigneur en subgection ou non, appert assez par les œuvres, et, ne doubtons point qu'ils ne baillent à nostre filz aussy peu de domination et ne le tiengnent en si petite révérence et honneur, comme ils nous ont tenu par cy-devant et aussy feue nostre compagne, qui estoit aussy leur naturelle princesse ; et s'ils vouloient dire qu'ils ont, faict à nous et nostredicte feue compagne ce qu'iceulx estoient tenus de faire à leur naturelle dame et princesse, sans la prendre ou tenir en subjection plus qu'ils ne debvoient faire par honneur, espargnent-ils la vérité ; car il est tout notoire à un chascun comme ils se sont conduits vers nous et icelle nostre compagne, et les divers moyens qu'ils ont tousjours guéris et cherchez pour nous rendre en servitude. Par quoy l'on peut bien appercevoir leur faulseté et abus comme dessus.

Touchant le IXe article, touchant la mambournie, nous ne demandons ne désirons fors ce que, selon droict et la coustume des pays, nous compète et appartient, et espérons à l'ayde de Dieu d'y parvenir, nonobstant leurs bourdes qu'ils ont mis et mettent journellement avant et celles que pourroient mettre en avant cy-après.

Sur le Xe article, touchant les joyaux et tapisseries, et où ils désirent faire justifier leur légière sentence, prétendans estre juges, etc. En quoy ils mentent et dient faulsement ; car entre nous et nostre filz n'a différent, sinon en temps que ils, à leur prouffit, en font semblant ; et quand différent y auroit, si n'en ont-ils que faire et ne sont point les juges. Et par ce peut apparoir leur faulseté et bourde cy-devant.

Sur le XIe article, touchant les joyaux qui sont espars, vendus ou fondus, etc. disons que ç'a esté pour la tuition et deffense de nostre pays de Flandres, où nous avons exposé nostre corps, sans en aulcune façon l'avoir espargné, comme il est notoire à tous, dont ils nous debvroient remercier et récompenser et pour récompense de ce ils nous chargent et vitupèrent, que procède d'un faulx et déloyal courage.

Sous le XIIe article, là où ils dient que nostre filz est bien traicté à Gand, il nous plaict moult bien qu'il est bien traicté, et n'avons de ce, nous ne nostre filz, à remercier fors Dieu, nostre créateur. Touteffois nous doubtons que s'il y demeure longuement que ce luy coustera, et par adventure luy coustera le pays de Flandres ; mais que luy mettons etnpeschement en sesdicts pays et bien, ès queiz ne prétendons plus avant que droict et selon les coustumes d'iceux pays nous compète et appartient : cela est-ce aussy menti et escript contre la.,vérité par ceulx qui l'ont escript ou faict escrire.

Et en tant qu'ils touchent le XIIe article, où ils client avoir faict bonne justice, etc., et désirent qu'aulcuns noz serviteurs voisent envers eux pour d'eux estre informez, il est plus raisonnable et séant que ceulx qui ce escripvent viengnent devers noz serviteurs, comme ils ont aultrement accoustumé de faire, et espérons à l'ayde de Dieu que encore feront. Et au cas que ainsy le facent, nous les appoincterons ainsy qu'il appartiendra. Touchant la grace, pardon et dissimulation qu'avons faicte à messire Guillaume d'Aremberg et aultres, il ne nous appartient point de sur ce respondre à ceulx qui ce escripvent, attendu qu'ils ne sont pas dignes de entendre ne pouvoir concevoir en quelz cas, pour le prouffit et utilité des pays, il soit permis au prince de dissimuler ou faire grace, aulcune espace de temps, des cas et maléfices de quelque qualité qu'ils soient ; mais que doyons avoir faict mettre à mort ou au dernier supplice ceulx qui vouloient mettre union et accord en noz pays et seigneuries, nous disons que ce sont bourdes et faulsetés, comme il puet apparoir par les procès et sentences et aultrement duement.

Et quand au XIIIIe article, où ils font mention de nostre très chère et très amée dame et. belle mère, la duchesse douairière, etc. Il appert clèrement de la présomption et outrecuidance desdicts escrivans, aulsquelz n'appartient aulcunement de :dire, escrire, déclarer, ne penser telles ou semblables choses et ne faisons point de double qu'elle n'en responde cy-après en telle façon que chascun congnoistra le tort que, sans cause et contre vérité, ils mettent avant, attendu qu'elle n'a faict sinon chose raisonnable et ce que luy toisait (ce qu'il lui était loisible de faire) pour parvenir à ce que, de force et par violence, lui a esté osté.

Et quant au XVe article, touchant les lettres et scellez, etc. nous la renvoyerions, ne fût que par icelles nostre intention est de faire apparoir de leurs bourdes, faulsetez et mensonges.

Sur le XVIe article, où ils dient que les particulières gens se garderont, etc. ils feroient bien qu'ils fissent bien envers Dieu, leurs seigneurs, leurs pays et subjects, car de ce n'adviendroit que bien, et qu'ils se gardassent de persévérer et endurcir en leurs faulsetez envers nous et au préjudice de nostre

Sur le XVIIe article, là où ils parlent de nosdits serviteurs et que reguardissions le tropeau (le peuple), ils devroient mesme regarder le tropeau que leur avons par cy-devant dénommé ; s'ils estoient d'antenne estime, ils se debvroient ayder de la vérité, et rejeter leurs abus et faulsetez comme dessus.

Et en tant qu'il touche le XVIIIe article, etc. Nous espérons à l'ayde de Dieu nous conduire que noz paroles et noz faitz démonstreront évidemment les faits de ceux qui escrivent estre mensonges et pleins de bourdes, et les nostres estre véritables.

Et au dernier article, là où ils désirent que nous veuillons regarder et faire le mieux au salut de nostre âme, etc. Nous l'espérons faire, sans avoir sur ce leur advis, et n'est point besoin qu'ils nous en prient ; mais d'ensuir (suivre) leurs faulx et mauvais proposés ne serait pas le salut de nostre âme, comme ci-après sera treuvé au vrai.

Et là oû ils dient qu'ils auroient aussytost faict aulcune chose à nostre préjudice, etc. Il nous semble que jusques à ores il se sont à ce bien employez, sans en ce espargner faulsetez, trahisons et mensonges ; mais, à l'ayde de Dieu, nous espérons qu'avant qu'il soit long temps ils se déporteront d'iceux, et qu'ils congnoistront leurs faultes, ainsy que aultresfois ils l'ont faict ; et s'ils le font en temps ce sera leur honneur et prouffit, et autrement, en continuant en leurs damnables propos, il pourra redonder à leur desplaisir et charge, ce que ne verrions point volontier ainsy advenir[29].

 

Ces pièces montrent assez que tout accord était impossible pour le moment. Un nouvel incident vint aggraver cette situation déjà si inquiétante. Philippe Wielant, Jacques Heyman et Jacques Destenwerpere étaient allés, au nom des états de Flandre, féliciter le jeune roi Charles VIII sur son avènement au trône. Ces députés furent, à leur retour, enlevés entre Baumez et Caignicourt, aux confins de l'Artois et du Cambrésis, par les hommes d'armes du sire Lancelot de Berlaimont. On les dépouilla de tout ce qu'ils portaient, et l'on rechercha surtout avec soin tout ce qui concernait leur mission ; ils furent conduits ensuite au château de Berlaimont[30]. Maximilien ayant déclaré au doyen de Saint-Donat de Bruges que le sire de Berlaimont avait agi sans ses ordres, les conseillers du duc Philippe interprétèrent ces paroles comme un désaveu, et envoyèrent un héraut d'armes sommer le sire d'Aimeries, grand bailli de Hainaut, de faire rendre la liberté aux ambassadeurs de Flandre et de convoquer les états de Hainaut pour s'appuyer à cet effet de leur concours. Le sire d'Aimeries se contenta de faire parvenir à Maximilien la lettre qui lui était adressée, ainsi que celle qui était destinée aux états de Hainaut.

Le sire de la Gruuthuse et ses collègues espérant un meilleur résultat de l'intervention du roi de France, se hâtèrent de donner connaissance de tout ce qui était arrivé à Guyot de Lonzière et à Eustache Luillier, l'un maitre d'hôtel, l'autre conseiller de Charles VIII, chargés en ce moment d'une mission royale auprès de l'archiduc[31]. Maximilien se contenta de répéter aux agents français ce qu'il avait déjà dit au doyen de Saint-Donat, et fit remarquer que, bien que le sire de Berlaimont eût agi sans ses ordres, il était juste qu'on permit à l'accusé d'ester en droit par devers lui pour soutenir la dite prise avoir été bien faite. Berlaimont alléguait en effet que les députés flamands avaient été arrêtés sur le territoire du Cambrésis, terre soumise à l'empire, et qu'ils avaient offensé la hauteur et seigneurie de l'archiduc d'Autriche, en se rendant en France sans son ordonnance ou son consentement. Or il eût fallu, pour engager un débat contradictoire, que quelque parent des prisonniers se constituàt partie au procès à Bois-le-Duc. Les envoyés français représentaient de leur côté que nul du quartier de Flandres n'oseroit venir devers monseigneur d'Autriche de peur d'estre pris prisonnier et qu'on ne lui fist desplaisir de sa personne ; mais Maximilien persista à répondre que sur son honneur, il leur feroit baillier bonne provision de justice. Ces envoyés furent obligés de regagner leur pays sans avoir rien pu obtenir ; ils s'arrêtèrent, en passant, à Malines, où ils eurent un entretien avec le chancelier et le sire de Boussut[32].

Les conseillers du duc Philippe écrivirent à Guyot de Lonzière une lettre, où respire un vif mécontentement. Si eussions eu cause de nous contenter de la réponse faite au doyen de Saint-Donat, disent-ils, il n'estoit besoin requerre plus. avant monseigneur le roy, mais il semble que ne eussions bien gardé l'honneur et le droit de monseigneur le rny, ne le nostre, de mettre en connoissance de cause par devant monseigneur d'Autriche Faguet du chemin et prise faite au royaume de personnes que à la vérité l'on doit tenir et réputer ambassadeurs non seulement de nostre pays, mais aussi de monda seigneur le roy, en tant qu'ils avoient lettres de créance et charge de lui vers nous, et nous donnons merveilles que vous, ambassadeurs d'icelui seigneur, vous estes tenus contents de ce faire, et du moins deviez requerre que nos ambassadeurs fussent restitués et réintegrés sur le lieu de la prise ès mains des officiers d'Artois[33].

Déjà, du reste, la voie de justice était ouverte devant les magistrats de Flandre à la requète des parents et amis des députés retenus prisonniers, et l'on avait arrêté par mesure de représailles le fils du sire d'Aimeries et celui du sire de Boussut. Ce n'était pas'assez. Le comte de Itomont, le sire de Beveren et l'abbé de Saint-Pierre furent chargés d'aller porter les plaintes des Flamands au roi de France, en lui représentant qu'elles le touchaient à double titre, et comme seigneur suzerain de la Flandre, et comme époux de l'héritière présomptive du comté. Il importait d'autant plus au roi de France d'intervenir dans les différends des trois'états avec Maximilien, disaient les Flamands, que celui-ci était l'allié des Anglais, anciens ennemis de France. Les états de Flandre l'acceptaient d'ailleurs pour juge ; ils étaient prêts à se défendre devant les pairs et devant le parlement, et leur unique désir était de voir la voie de justice succéder à la voie de fait, tandis que des mesures prises dans le même but affranchiraient des entraves fiscales le bien et entrecours de la marchandise tant au royaume que ès pays de monseigneur le duc Philippe.

Des instructions secrètes enjoignaient aux ambassadeurs de s'adresser particulièrement au duc de Bourbon. Ils devaient lui présenter un exposé des griefs de la Flandre contre Maximilien, inculpé d'avoir juré le traité d'Arras et de l'avoir violé presque aussitôt par haine contre le roi Charles VIII nommé par lui le plus grand adversaire qu'il eust, de s'être montré constamment hostile à la paix, d'être guidé par des conseillers allemands qui voulaient priver le duc Philippe de son héritage, d'avoir choisi pour confident le sire d'Aremberg — Guillaume de la Marck —, coupable du meurtre de l'évêque de Liège. Ils étaient chargés de lui rappeler comment il estait obligé à aydier le droit de l'héritaige de monseigneur le duc Philippe, car il estoit le plus prouchain du sang en telle façon que si mondit seigneur et la reyne sa sœur alloient de vie à trespas, leurs pays et seigneuries succéderaient, après monseigneur de Ravenstein, à l'aisné de la maison de Bourbon. Ils devaient aussi communiquer aux princes du sang la copie des lettres échangées entre Maximilien et les conseillers du duc Philippe, et, de plus, une consultation juridique, signée par douze docteurs de l'université de Paris, déclarant que Maximilien n'avait aucun titre au gouvernement des états de son fils, et que lors même que les conventions matrimoniales ne l'en eussent point formellement exclu, il s'était rendu indigne de toute tutelle et de toute mambournie[34].

Pendant que les députés des états s'acquittaient de leur mission, Maximilien se rendit dans le Hainaut pour y affermir son autorité et se faire remettre les prisonniers du château de Berlaimont. Il était arrivé à Cambrai et logeait à l'abbaye de Saint-Aubert, quand une vive querelle, dont on ignore le sujet, s'éleva entre Lancelot de Berlaimont et Philippe de Clèves, fils du sire de Ravenstein. Des reproches l'on passa aux défis ; aux défis succéda un combat à mort, et quelques archers, accourant au secours de Philippe de Clèves, tuèrent Lancelot de Berlaimont à coups de piques et de hallebardes[35].

Cette sanglante aventure eut lieu dans les premiers jours de février 1484[36]. Bientôt après, Maximilien quitta le Hainaut avec l'armée qu'il avait ramenée de la Hollande, passa devant Lille, qui lui ferma ses portes, et s'avança jusqu'à Bruges. Son premier soin fut de ranger immédiatement ses hommes d'armes en ordre de bataille devant la porte de la Bouverie et devant celle des Maréchaux, en faisant sonner toutes ses trompettes. Déjà il avait député un héraut vers les magistrats, mais l'échevin François de Bassevelde ne permit pas à cet envoyé de pénétrer-dans la ville, et le congédia en ces termes : Allez dire à votre maitre que, s'il a quelque chose à demander aux magistrats, ils lui donneront audience dans la salle des délibérations où ils sont réunis, pourvu qu'il n'amène pas plus de dix ou douze personnes avec lui[37].

Maximilien comptait, parait-il, sur un complot qui s'était formé à Bruges, complot qu'une circonstance fortuite, le déplacement de la fête de saint Mathias[38], retardée d'un jour à cause de l'année bissextile, empêcha, dit-on, d'éclater. Déçu dans son espérance d'entrer à Bruges à l'aide d'un mouvement des bourgeois qui lui étaient favorables, trop faible d'ailleurs pour en tenter le siège, il se retira vers Oudenbourg. On le soupçonna d'avoir voulu s'emparer de l'Écluse, mais ce port était bien gardé.

On se livra à Bruges à d'actives recherches sur le complot qui devait ouvrir la ville aux Allemands ; on finit par découvrir qu'il était dirigé par les sires de Ghistelles et de Praet, et qu'il comptait parmi les bourgeois de nombreux adhérents. Le 28 février, l'échafaud s'éleva sur la place publique. Les premiers suppliciés furent des hommes obscurs ; c'étaient un domestique de l'ancien écoutète, Jean Van der Vicht, et un clerc nommé maitre Urbain ; mais bientôt la hache du bourreau n'épargna plus les têtes les plus illustres. Le 5 mars, messire Jean Breydel, ancien bourgmestre de Bruges, et le sire d'Aveluys, ancien maître d'hôtel de la duchesse Marie, partagèrent le sort de plusieurs membres des métiers atteints par les mêmes accusations. Roland Lefebvre, receveur général de Flandre, fut incarcéré au Stein ; une sentence d'exil frappa Pierre Lanchals, Georges Ghyselin, Jacques de Heere, Jacques de Vooght, le bâtard de Baenst ; Corneille Metteneye fut condamné à six ans de captivité dans une prison où le jour ne pénétrait point[39].

Vers la même époque, Maximilien convoqua à Bruxelles un chapitre de la Toison d'or. Le 17 avril, les trois membres de Flandre, réunis à Gand, présentèrent au jeune duc Philippe un long mémoire, dans lequel ils déclaraient contester à l'archiduc le droit de présider aux assemblées de l'ordre, aussi bien que celui de porter les titres et les insignes des nombreux états de la maison de Bourgogne. Par suite de cette opposition, douze chevaliers, investis d'un droit souverain d'arbitrage par les statuts de l'ordre en tout ce qui touchait à l'honneur et au devoir de ses membres, se réunirent à Termonde le 12 juin 1484. C'étaient Jean de Lannoy, Adolphe de Ravenstein, Louis de la Gruuthuse, Engelbert de Nassau, Wolfart de Borsele, Jacques de Romont, Jean de Ligne, Pierre de Boussut, Baudouin de Molembais, Martin de Polheim, Claude de Toulongeon et Philippe de Beveren. lis déclarèrent que toutes les discordes qui avaient régné parmi les chevaliers devaient être mises en oubli ; que Maximilien avait cessé d'être le chef de l'ordre, mais pouvait continuer à le présider pendant la minorité de son fils ; qu'ils étaient d'ailleurs d'avis qu'il devait renoncer, tant dans l'ordre qu'autrement, aux titres et aux armoiries qu'il portait sans y avoir droit. Là s'arrêtait la juridiction des chevaliers. Ils essayèrent d'aborder, en présence des députés de Maximilien et de ceux des états de Flandre, la discussion des autres questions litigieuses, mais il fut impossible de s'entendre, et les conférences furent abandonnées sans espoir de pouvoir les reprendre.

Des deux côtés les regards étaient tournés vers la France. Dès le 5 décembre 1483, Charles VIII avait accordé aux villes de Flandre un sursis de dix ans à l'exercice des droits de ressort et d'appel que revendiquait en matière criminelle le parlement de Paris, attendu que le pays de Flandre est pays fort hanté et fréquenté de marchands étrangers plus que nul pays qui soit deçà la mer océane, et est fort peuplé et habité tant dedans les bonnes villes que par le plat pays, et soit ainsy que les trois principales villes de la langue flamengue qui sont Gand, Bruges et Ypres, que l'on dit les Trois Membres de Flandre, par les priviléges, coustumes, et usages du dit pays, ont de toute ancienneté esté régies et gouvernées tant au fait de la police d'icelles que de la justice qui se fait et administre entre les inhabitants et les marchands qui y hantent et conversent, par les gens de loi des dites villes qui ont cognoissance de tous cas civils et criminels de leurs bourgeois et inhabitans, et d'autres dont ils ont accoustumé cognoistre, et que de toute ancienneté ils ayent prétendu et maintenu que, pour le bien et cours de la marchandise, l'estre et entretenement des dites villes et de leur police, ils n'estoient appellables ne refformables en cas civils, ne en cas criminels[40]. Le 19 mai 1484, on vit arriver à Bruges le grand bâtard de Bourgogne, et il y fut reçu avec de grands honneurs. Il venait, au nom du roi de France, tenter un dernier effort pour le rétablissement de la paix. Enfin, le 25 octobre, un traité d'alliance fut signé entre les plénipotentiaires du roi et les communes flamandes[41].

Maximilien, de son côté, pour susciter des embarras à la régente Anne de Beaujeu, adressa ses réclamations aux princes du sang, déjà prêts à former une autre ligue du bien public. En même temps il cherchait à conclure d'étroites alliances avec le roi de Castille, les ducs de Bretagne et de Lorraine ; excitait les habitants de Bourgogne à le soutenir, et traitait, avec le sire de Neufchâtel pour qu'il se déclarât en sa faveur. Les instructions données à Olivier de la Marche, envoyé par Maximilien en France, portaient ce qui suit : Ledit Olivier advertira les dits seigneurs du tort que ceux de Gand tiennent à mondit seigneur, tant en ce qu'ils luy détiennent mondit seigneur son fils que en ce qu'ils prétendent et usurpent le gouvernement du comté de Flandre, contre Dieu, tous droits et bonnes observances, et contre l'ordonnance de feue madite très redoublée dame, et contre ce que font tous les autres pays qui se tiennent en bonne obéissance envers mondit seigneur, et pour ce requerra à iceux seigneurs que ils ne veulent bailler aucun ascout, faveur ou assistance auxdits de Gand, pleins de mensonges et de mauvaise, perverse et infidèle volenté envers mondit seigneur, et n'est chose nouvelle ce que les dits de Gand font, car de tout temps et grande ancienneté ils ont accoustumé de ainsi traiter leurs princes[42].

Il ne restait plus que le recours aux armes. Maximilien réunit ses forces à Malines, où Jean de Berghes et Baudouin de Lannoy l'avaient rejoint. Sa première entreprise fut dirigée contre Termonde. Jacques de Fouquerolles et d'autres hommes d'armes se déguisèrent les uns en marchands, les autres en moines blancs ou noirs ; quelques-uns même cachaient leur cuirasse sous une guimpe blanche de nonne. Ils se présentèrent devant Termonde le 26 novembre, au point du jour ; mais dès qu'on les eut laissés entrer, ils tirèrent leurs armes et s'emparèrent de la porte. Maximilien, qui s'était placé en embuscade avec huit cents cavaliers aux maladreries voisines de la ville, se hâta d'accourir. Ce fut en vain que les bourgeois tentèrent les chances défavorables d'un combat, où l'un des fils du comte de Zollern fut tué ; ils furent culbutés et refoulés jusqu'à la place du marché. Maximilien, qui connaissait toute l'importance de la ville de Termonde, s'efforça toutefois de se les attacher en défendant de piller leurs biens, et leur laissa pour gouverneur le sire de Melun. Le même jour, Jean de Coppenolle avait été chargé d'aller conduire des renforts à la garnison de Termonde. Il apprit bientôt qu'il était trop tard, et retourna à Gand annoncer que l'archiduc commençait la guerre[43].

A cette nouvelle les Gantois prirent les armes. Seize mille Flamands envahirent le Brabant, et parcoururent hostilement tout le pays situé entre Alost et Halle sans rencontrer d'obstacle sur leur chemin. Maximilien, rentré à Bruxelles, avait exhorté vainement les échevins à armer les bourgeois pour repousser l'ennemi ; mais s'étant adressé directement à l'assemblée du peuple, celle-ci lui répondit par des acclamations[44]. Les assaillants toutefois ne causèrent pas grand dommage. L'archiduc put bientôt quitter Bruxelles pour se rendre dans le Hainaut. Arrivé à Ath, il y trouva une nouvelle occasion favorable d'augmenter sa puissance. La ville d'Audenarde avait toujours été un des points les plus importants de la topographie stratégique de notre pays. Si Termonde dominait l'Escaut, au-nord de Gand et défendait la frontière du Brabant, Audenarde commandait le fleuve du côté où il était le plus facile d'attaquer les Gantois. C'était d'ailleurs une position à laquelle les communes flamandes attachaient un grand prix, parce qu'elle leur était nécessaire pour assurer leurs communications avec la France. Audenarde donc possédait deux citadelles : la plus redoutable, celle de Bourgogne, avait pour capitaine Pierre Metteneye ; l'autre, qu'on nommait le château de Pamele, obéissait à Gauthier de Rechem. Celui-ci fit offrir à Maximilien de lui livrer la ville. Dans les premiers jours de janvier 1485, l'archiduc quitta Ath avec quatre cents chevaux et seize cents fantassins. Laissant à quelque distance son arrière-garde avec Philippe de Clèves, il met pied à terre, et attend patiemment l'heure où il doit se montrer. Elle arrive bientôt : le château de Pamele lui est ouvert. Au même moment, Philippe de Clèves se présente devant la porte de Tournai. Ses trompettes répondent à celles de Maximilien, et le château de Bourgogne, enlevé par une surprise que Pierre Metteneye n'avait point prévue, partagea le sort du château de Pamele[45].

Maximilien s'applaudissait de ses succès, lorsqu'il reçut des lettres où Charles VIII lui reprochait vivement d'avoir rompu la paix ; elles étaient ainsi conçues :

Charles, par la grâce de Dieu roi de France, à nostre très cher et très amé père et cousin Maximilien, duc d'Autriche, salut et dilection. Nostre très cher et très amé frère et cousin le duc Philippe, comte de Flandre, par l'advis et délibération de ceux de son sang et de son conseil, nous a fait remontrer, comme en concluant le mariage de nous et de nostre très-chère et trèsamée compagne la royne votre fille, ait aussi esté accordé que vous, nous et nostre dit frère et cousin le duc Philippe, comte de Flandres, serions tenus de nous aider, secourir et assister l'un à l'autre envers et contre tous, et depuis, à l'occasion de certain différend qui est survenu entre vous et ceux du dit pays de Flandres touchant la mainbournie de la personne et biens de nostre dit frère et cousin le duc Philippe, et de sondit pays et comté de Flandres, qui sont de nostre royaume, sujets de nous et de la couronne de France, comme de leur souverain seigneur, iceluy nostre frère et cousin, les dits de son sang et du conseil et membres de sondit pays de Flandres, par l'advis desquels, sous le nom de nostre dit frère et cousin le duc Philippe, se font et despêchent toutes les affaires du dit pays de Flandres, vous ont fait offrir la voye de justice, c'est à savoir, que sur tout ce que vous voudriez prétendre, demander et quereller audit pays et comté de Flandres, soit droit de mainbournie de la personne et bien de nostre dit frère et cousin le duc Philippe, ou autre droit quelconque que voudriez prétendre, ils offroient en respondre et ester à droit par devant nous et les pairs de France, ou en nostre cour de parlement, ausquels la connoissance et ressort en appartient, et doit appartenir, attendu que les dits pays et comté de Flandres sont du royaume de France, une des principales et anciennes pairies d'iceluy, sujets en souveraineté à nous et à nostre couronne. Lesquelles offres vous ont esté faites et réitérées de bouche et par écrit, en assemblées publiques en la ville de Bruxelles, par nos ambassadeurs envoyés devers vous, et nostre dit frère et cousin le duc Philippe, et depuis à l'assemblée de Tenremonde, où estoient aucuns chevaliers de la Toison d'or, et aucuns vos commis et ambassadeurs ; laquelle voye de justice vous n'avez voulu accepter, mais avez commencé et attenté voye de fait, en soustrahant et vous efforçant de soustraire de l'obéissance de nostre dit frère et cousin plusieurs villes et places fortes de sondit pays et comté de Flandres. Nous ait été aussi remontré, comment ceux du pays de Flandres ont esté la cause principale des d ts traités de paix et de mariage, et sont ceux qui de leur part les veulent et désirent entretenir ; et avec ce il est bruit assez commun que aucuns de vos gens sèment et font courir voix et parole que si vous aviez une fois subjugué ledit pays de Flandres, vos tre intention est de recouvrer par force et puissance d'armes, à l'aide des Anglois, nos anciens ennemis, les pays et seigneuries, qui par ledit traité de paix appartiennent à nous et à nostre dite compagne la royne. Pour lesquelles considérations, eL pour obvier aux inconvéniens qui en pourroient avenir, et pourveoir à la seureté tant dudit pays de filandres, que des autres parties de nostre royaume, nous avons derechef puis naguères pris et reçeu en union, amitié et confédération avec nous nostre dit frère et cousin le duc Philippe, pour lui, ceux de son sang et de son conseil, ensemble lesdits trois membres, et généralement tout son pays et comté de Flandres, nos sujets, et avons promis leur aider, assister, et donner faveur et secours de gens et autrement contre tous ceux qui par voye de fait voudront entreprendre sur l'estat et garde de la personne de nostre dit frère et cousin le duc Philippe, et sur le gouvernement de sondit pays de Flandres ; et combien que, comme seigneur souverain du dit pays et comté de Flandres, eussions tant à vous que susdits de Flandres par nos lettres à vous présentées par Lyonnois, notre officier d'armes, défendu la voye de fait, néanmoins, depuis aucuns briefs jours en ça, aucuns de vos gens, par vostre charge, sont venus en la dite ville de Tenremonde, estant de l'ancien héritage et domaine de nostre dit frère et cousin, et par emblée ont trouvé moyen de gagner la porte et entrée de ladite ville ; et incontinent vous en personne, à grande compagnie de gens de pied et de cheval, y estes entré à puissance d'armes, et y avez fait et souffert faire tous exploits de guerre et hostilité, tuer et meurtrir plusieurs des pauvres habitans, butiner et piller leurs biens et maisons, combien qu'ils ne doutassent estre en guerre ni inimitié contre vous, et que jamais n'eussent esté par vous sommés et requis. Et disent en outre les dits de Flandres estre bien informés que tendez à leur nuire et porter dommage le plus que pourrez par voye de fait et exploit de guerre, sans vouloir réparer ce que par vous et vos gens y a esté fait, en nous requérant humblement, veu qu'ils sont de nostre royaume et nos sujets, que nous, en suivant les traités dessusdits, leur veuillons donner secours, faveur et ayde. Pourquoy, nous ayant regard aux choses des-susdites, lesquelles considérées, et mesmement l'offre de la justice où ils se sont mis, ne pouvons, sauf nostre honneur, abandonner nostre dit frère et cousin, ni ceux dudit pays de Flandres, par l'advis et délibération des princes et seigneurs de nostre sang, et gens de nostre grand conseil, vous advertissons des choses dessusdites, et vous signifions et déclarons par ces présentes, que nous prenons et recevons nostre dit frère et cousin pour luy, lesdits de son sang et conseil estans lez luy, et les gens des trois membres, et le général de son pays et comté de Flandres, en nostre union, amitié et confédération, envers et contre tous ceux qui entreprendront par voye de fait sur l'estat et garde de la personne de nostre dit frère et cousin, et le gouvernement de sondit pays de Flandres. Si vous prions, requérons, et sommons par ces présentes, que vous désistiez des dites voyes de fait, et n'attentiez, ne fassiez ou souffriez attenter choses quelconques, qui sont contre ni au préjudice de nostre dit frère et cousin et de sondit pays, ni contre l'estat et garde de sa personne, ni dudit gouvernement de Flandres, qui s'est fait ou fera pour le temps à venir sous son nom, et par l'advis desdits de son sang et conseil, et des dessusdits membres de Flandre, et que ce qui par vous ou les vostres aura été fait, attenté ou innové, tant en la surprise de la dite ville de Tenremonde, que en toutes autres voyes et exploits de guerre, et tout ce que par vous ou les vostres, ou sous vostre aveu, s'en seroit ensuivi, les répariez et remettiez en toutes choses au premier estat. Et si par voye de justice vous prétendez aucun droit de mainbournie ou autres sur la personne et biens de nostre dit frère et cousin, nous vous offrons de vous administrer si bonne et briefve justice, que par raison vous devrez estre content, et si autrement le faites, et continuez en la dite voye de fait, ou différez de faire réparer ce qui a esté attenté à la surprise dudit Tenremonde et autrement, nous vous signifions et déclarons dès maintenant et pour lors, que en nous acquitant ainsi que tenus y sommes, par les moyens dessus dits, nous donnerons ayde, secours et faveur, de tout nostre pouvoir, nostre dit frère et cousin, et à ceux de son sang et conseil, et desdits membres et pays de Flandres, contre vous, et tous ceux qui en cette matière vous aideront et assisteront, sur quoy nous vous requérons nous faire réponse... Donné en nostre chastel de Montargis, le vingt-septième jour de décembre[46].

L'archiduc répondit par un refus. Sur quoi le roi renouvela, le 5 février 1485, sa promesse d'aider les Flamands envers et contre tous[47], promesse qui fut confirmée par un traité d'alliance conclu le 26 du même mois. Peu de temps après Jean de la Gruuthuse partit pour Paris ; il y obtint l'appui d'une armée, dont le commandement devait être confié au sire de Crèvecœur.

Pendant ces négociations le comte de Romont, qui prenait le titre de lieutenant général des pays de monseigneur le duc Philippe et de capitaine de son pays de Flandre[48], s'était retranché avec les milices flamandes entre Eenhaem et Audenarde, pour protéger la ville de Gand contre les attaques de Maximilien. Celui-ci avait hâte de commencer la guerre, et il avait appelé sous les drapeaux ses hommes liges de Brabant, de Hainaut et des autres provinces des Pays-Bas[49]. Le 5 avril 1485, troisième jour de Pâques, Jean de Ligny saccagea Grammont. Deux jours après, le comte de Nassau s'empara du bourg de Ninove, qui fut également dévasté. Animé par ces succès, l'archiduc se dirigea vers le comte de Romont, mais celui-ci occupait une forte position, et Maximilien jugea peu prudent de l'attaquer dans son camp. Après quelques escarmouches sans résultat, il se retira vers Alost en incendiant le pays. Cette retraite enhardit les Gantois. L'un de leurs chefs, Adrien Vilain, sire de Rasseghem, quitte le camp d'Eenhaem avec trots mille Gantois, et s'approche d'Audenarde, espérant attirer la garnison dans les embûches qu'il lui a préparées. Mais le sire de Maingoval, que Maximilien a laissé dans cette forteresse, a deviné la ruse : il sort des murailles comme s'il l'ignorait, et par une fuite simulée amène lui-même les Gantois jusqu'aux portes d'Audenarde. Ils se croyaient vainqueurs, quand une décharge générale de l'artillerie de la forteresse foudroya leurs rangs épais ; au même moment, la garnison tout entière se précipita sur eux. Ils ne se rallièrent qu'avec peine en laissant derrière eux trois cents morts et deux cent vingt prisonniers. Adrien Vilain avait reçu un trait qui lui traversa le visage ; mais ce qui causa aux Gantois le plus de honte et de désespoir, ce fut la perte de leur grande bannière tombée au pouvoir de l'ennemi. Ils quittèrent précipitamment leur camp d'Eenhaem, et rentrèrent à Gand[50].

Dès que Maximilien eut appris les avantages remportés par les siens, il envahit le pays de Waes avec son armée. Le château de Tamise fut emporté d'assaut, et toute la garnison flamande passée au fil de l'épée. Il poursuivit sa marche vers Gand, et arrivait en vue de cette ville, au moment même où Daniel de Praet accourait d'Audenarde avec deux cents chevaux et huit cents hommes d'armes pour le seconder.

Le péril des Gantois était imminent. Le sire de Crèvecœur, qui marchait à leur secours, avait perdu un temps précieux à parlementer avec les magistrats de Tournai, qui refusaient de le recevoir afin de conserver leur neutralité. Il se dirigea aussitôt vers Deinze, en ordonnant aux autres capitaines français de se hâter de le rejoindre. Mais les Gantois ne l'attendirent point. Ils préférèrent un combat inégal à la honte de voir insulter leurs murailles. Leur première sortie avait été malheureuse ; la seconde fut désastreuse. Le sire de Hornes, profitant de leur audace et de leur témérité, réussit à les entraîner dans une embuscade. Les Gantois, surpris de tous côtés, perdent quatre cents des leurs et se retirent en désordre ; le comte de Nassau et les sires de Berghes et de Ligny s'acharnent à leur poursuite. En vain Jean de Coppenolle cherche-t-il, en renouvelant la lutte par un effort désespéré, à favoriser la retraite de ses concitoyens. L'armée de Maximilien arrive auprès des remparts de Gand avec les fuyards, et elle y aurait pénétré avec eux, si le grand doyen Eustache Schietcalte n'eut fait fermer les portes et baisser les herses. Un grand nombre de Gantois périrent sous les yeux de leurs frères sans être secourus, mais Gand fut sauvé.

Maximilien s'éloigna. A peine avait-il atteint Termonde, qu'il apprit que le sire d'Esquerdes, Philippe de Crèvecœur, était entré à Gand avec huit mille fantassins, six cent cinquante lances et trente-six canons. En ce moment même, Charles VIII sommait les états de Brabant et de Hainaut d'abandonner la cause de Maximilien. Nous vous prions et requérons, leur écrivait-il, le 25 mai 1485, que veuillez départir de favoriser nostre père et cousin l'archiduc d'Autriche au préjudice de nostre frère et de nos subjects du pays de Flandre ; autrement nous y pourvoyerons comme il appartiendra. Nous ne connaissons point la réponse des états de Brabant et de Hainaut. Quant à Maximilien il répondit fièrement : Je ne me sçay trop esmerveiller de semblables lettres et crois qu'elles procèdent de mauvais conseils. Chacun sçait bien le tort que ceux de Flandres m'ont fait jusqu'à cette heure, d'avoir détenu mon fils par force ; toutefois j'espère briefment le mettre hors de la captivité en liquelle il a esté détenu. Au regard des requestes que faites à mes surjets, elles vous peuvent plus tourner à honte que à moy à dommage ; elles ne me donneront crainte pour me abstenir de faire ce que je dois. Cette pièce est du 25 juin 1485.

Le court espace de temps qui s'était écoulé entre ces deux lettres avait changé la face des choses. Les Français, que les Gantois ont appelés dans leurs murs, les traitent comme s'ils étaient non leurs hôtes, mais leurs ennemis. Des haines séculaires se réveillent. Crèvecœur, qui veut les apaiser, suscite des souvenirs odieux et récents. On se rappelle qu'il a abandonné Marie de Bourgogne pour embrasser le parti de Louis XI et diriger contre la Flandre l'armée vaincue à Guinegate. Le hasard met le comble à l'agitation des esprits. Le sire de Crèvecœur ayant engagé le jeune duc Philippe à monter à cheval et à se montrer au peuple, le bruit se répand que les Français se préparent à enlever le jeune prince et à l'emmener en France. En présence de l'animation populaire, Crèvecœur jugea prudent de quitter la Flandre et de se retirer sous les remparts de Tournai, abandonnant toute son artillerie entre les mains des bourgeois de Gand (11 juin 1485)[51].

Ces querelles et ces divisions ne pouvaient que servir la cause de Maximilien. Le 1er juin 1485, tout le peuple de Bruges était réuni sur la place du Bourg pour suivre une procession destinée à appeler la protection du ciel sur la Flandre, lorsqu'on apprit que les portes de la ville étaient au pouvoir des partisans -de l'archiduc. Au même moment, on vit arriver, au grand trot de leurs chevaux, le comte de Nassau, les sires de Montfort, de Tainteville et d'autres chevaliers accompagnés d'une nombreuse troupe d'hommes d'armes, et, au milieu d'eux, messire Jean de Houthem, chancelier de Brabant. Un héraut les précédait. Écoutez, écoutez, cria-t-il à la multitude surprise et saisie de terreur. Le chancelier de Brabant prit aussitôt la parole, et expliqua à haute voix, en rappelant les longues guerres et les discordes qui avaient attristé la Flandre depuis la mort du duc -Charles, combien il était piste que Maximilien possédât plutôt que tout autre la tutelle pleine et entière de son fils. Que voulez-vous, dit-il en terminant, la paix ou la guerre ? Tous répondirent : La paix. Reconnaissez-vous Maximilien pour mainbourg ? ajouta le chancelier. Oui, oui, répliqua le peuple. Messire Jean de Houthem exposa alors les conditions auxquelles l'archiduc consentait à confirmer les privilèges de la ville ; les unes se rapportaient à des amendes pécuniaires, d'autres à une amnistie dont étaient exclus dix bourgeois, qui -furent immédiatement conduits au Steen, comme prévenus d'avoir favorisé la rébellion. Il faut nommer parmi eux Louis de la Gruuthuse, si célèbre par son illustre origine, son opulence et l'amour qu'il porta aux arts et aux lettres[52]. Dès que Maximilien sut ce qui s'était passé, il aborda dans le Zwyn. L'Écluse lui ouvrit ses portes, et il se rendit sans délai à Bruges, où son entrée eut lieu avec une grande pompe, le 21 juin 1485[53]. Le surlendemain, il prêta, à Saint-Donat, le serment de main-bourg de Flandre[54].

La même péripétie allait se réaliser à Gand. Les Gantois étaient travaillés en ce sens par un signataire du cal fuel de 1468, le grand doyen Mathieu Peyaert, qui comptait de nombreux amis parmi les bouchers et les bateliers[55]. Le mouvement qui se préparait fut précédé de quelques négociations. Douze députés de la collace se rendirent à Malines, pour proposer à Maximilien de le reconnaître pour mainbourg, à condition qu'il leur laissât leur privilège de 1301, leurs chaperons blancs, l'organisation de leurs corps de métiers, et leur autorité sur les haghepoorters. Ce fut sept jours après la surprise de Bruges que le mouvement éclata aux cris de : Paix ! paix ! Autriche et notre jeune prince ! On arrêta aussitôt Guillaume Rym, Daniel Onredene, Adrien Vilain, Jean de Coppenolle et d'autres personnages importants[56]. Les deux premiers furent conduits au supplice le 13 juin. Or pouvez à ce connoistre, observe Olivier de la Marche, quelle seureté on a à servir peuple ; car Guillaume Rym avoit plus grande voix à Gand et plus grand crédit que n'avoit le prince du pals, ne les plus grands de Flandres ; et soudainement changèrent à propos et tous en généralité consentirent à sa mort ; et sur le hourt on luy laissa faire ses remontrances, mais oncques personne ne respondit, et dit ledict Guillaume sur ses derniers mots ou vous ne me répondez point, ou je suis devenu sourd.

Le peuple répondit, mais ce ne fut. que lorsque le bourreau eut achevé son office. A la vue du sang de ce vieillard, qui aimait mieux se croire sourd que de reconnaître l'ingratitude populaire, la multitude s'émut tellement qu'il fallut, pour la calmer, ouvrir les prisons. Adrien Vilain se retira à Tournai, et Jean de Coppenolle en France, où Charles VIII le créa son maitre d'hôtel, avec six cents francs de pension. Ce fut dans ces circonstances que les états de Flandre chargèrent l'abbé de Saint-Pierre, Philippe de Beveren, Paul de Baenst, Richard Untenhove et Adrien de Raverschoot, de se rendre à Bruges pour arrêter les conditions de la paix. Elle fut conclue le 28 juin 1485. L'archiduc y était reconnu pour mainbourg de la personne de son fils et du comté de Flandre. Il s'engageait à confirmer tous les privilèges généraux et particuliers. Il ne devait pas amener à Gand plus d'hommes d'armes avec lui qu'il n'en avait à Bruges pour sa garde personnelle. Son fils lui serait remis, mais il promettait de ne point le conduire hors de Flandre. Toutes les sentences de bannissement prononcées contre ses partisans étaient annulées. On lui accordait, comme indemnité pour les frais de la guerre, une somme payable en trois années, dont le chiffre n'était pas déterminé. La pension de la duchesse douairière de Bourgogne était rétablie. A ces conditions, l'archiduc octroyait une amnistie, dont il exceptait ses principaux adversaires et tous ceux qui avaient fui hors de Flandre. Le produit de la confiscation de leurs biens devait être employé à réparer les désastres causés par la guerre.

Un tableau annexé au traité contenait les noms de ceux qui n'étaient point compris dans la paix. Les principaux étaient Jacques de Savoie, Wolfart de Borssele, Louis de la Gruuthuse, Léon de Masmimes, Jean de Coppenolle, le grand doyen Eustache Schietcalte, Guillaume Moreel, Jean de Keyt, Jean de Riebeke, tous trois anciens magistrats de Bruges, et l'échevin François de Bassevelde[57].

Le prévôt de Bruges eut ordre de sévir contre les prisonniers du Steen. Il fit conduire à l'échafaud Jean de Keyt, qui avait été à diverses reprises bourgmestre de la ville, François de Bassevelde, qui avait refusé en 1483 à Maximilien l'entrée de la villes le tisserand Sohier Deroo, l'orfèvre Antoine Labbe, le clerc de la confrérie du Saint-Sang Pierre Van der Eecke, et d'autres bourgeois condamnés comme coupables de rebellion. Leurs tètes sanglantes furent placées sur la pointe des tourelles qui s'élevaient entre le cadran de l'horloge et l'image de Notre-Dame. Le sire de la Gruuthuse, interrogé s'il voulait que son procès fût instruit par ses collègues de l'ordre de la Toison d'or, répondit qu'il était bourgeois de la ville de Bruges, et qu'il ne voulait d'autres juges que ses magistrats. Maximilien se contenta d'en exiger une amende de trois cent mille écus, dont le comte de Nassau reçut le tiers ; puis il chargea Olivier de la Marche de conduire cet illustre prisonnier au château de Vilvorde.

Cependant Maximilien avait quitté Bruges le 6 juillet 1485 pour se rendre à Gand. Le sire de Ravenstein vint au devant de lui et lui amena son fils à Mariakerke. L'entrevue fut des plus touchantes. L'enfant, qui depuis longtemps n'avait pas vu son père, ne le reconnut pas, et fondit en larmes en recevant les baisers paternels. Arrivé à Gand, l'archiduc traversa la ville en se dirigeant vers le château de Ten Walle, déjà plus connu sous le nom de Prinsen-Hof. Parmi les troupes qui l'accompagnaient, on comptait deux mille fantassins allemands. Trois de ces derniers ayant été arrêtés pour avoir insulté une femme, leurs compagnons les délivrerent. C'en fut assez. Le peuple irrité courut aux armes, et planta ses bannières sur le marché du vendredi. En vain Maximilien envoya ses conseillers pour essayer de ramener le calme parmi la multitude. Ni Philippe de Clèves, malgré sa popularité, ni l'évêque de Cambrai, quoique protégé par la dignité de ses fonctions ecclésiastiques, ne purent se faire écouter. La nuit vint sans séparer les mutins. Une vive inquiétude régnait à l'hôtel de Ten Walle. Le matin, Maximilien rangea ses Allemands, et se dirigea à leur tête vers l'hôtel de ville. Quand il fut au marché de la poissonnerie, les magistrats vinrent le supplier de ne pas employer la violence, qui pouvait avoir des suites funestes pour l'archiduc lui-même. Malgré les efforts des notables bourgeois, les attroupements ne se dissipaient pas. Il faut leur courir sus et les défaire, s'écria le comte de Nassau ; par ce moyen le prince sera perpétuellement seigneur et maitre de toute la Flandre. Philippe de Clèves combattit cet avis. Lorsque vous aurez détruit Gand, disait-il à l'archiduc, vous aurez détruit la fleur et la perle de tous vos pays. Le soir arriva sans qu'aucune résolution eût été prise. Mais lorsqu'on vit les Gantois s'approcher et occuper la place du petit marché, située entre le gravesteen et l'église Sainte-Pharaïlde, toute hésitation cessa. Il fut décidé, à la grande joie des Allemands, que, le lendemain de bonne heure, on chercherait à tourner par la coupure la position des Gantois, afin de pouvoir les attaquer plus avantageusement. La lutte heureusement fut prévenue par la retraite des corps de métiers, fatigués d'avoir passé quarante-huit heures sous leurs bannières. Les échevins se hâtèrent d'annoncer cette bonne nouvelle à l'archiduc, en implorant sa clémence[58].

Quoique Maximilien fût enclin à la clémence, il crut sans doute nécessaire un exemple de sévérité. Les Gantois furent condamnés à une amende de cent vingt-sept mille écus d'or. Cent bourgeois furent exilés ; trente-trois ne sortirent du châtelet que pour aller au supplice, quoiqu'il y en eût plusieurs parmi eux qui offrissent jusqu'à sept mille écus d'or pour racheter leur vie. L'archiduc exigea de plus une réparation solennelle. Placé sur un trône et entouré des ambassadeurs des princes étrangers, il reçut, le 22 juillet 1485, les protestations d'obéissance et de fidélité des échevins tous habillés de noires robes deschaintes, puis il chargea le chancelier de Brabant de prendre la parole en son nom. La harangue de ce magistrat fut une longue énumération des griefs du prince contre les Gantois. Illecq fut proposé, dit Molinet, comment nonobstant plusieurs torts perpétrés par lesdits Gantois, le duc les avoit receus à merci et fait paix, plus à leur honneur et avantage qu'au sien, dont ses princes et barons s'estoient esbahis ; et comment illecq lui venu s'estoient mis en armes contre lui et les siens, dont il avoit bien pensé mettre la ville à totale ruine par feu et espée, ne fust la pitié qu'il avoit des églises et des bonnes personnes qui sont illecq habitans. Le pensionnaire de Gand répondit à ce discours. II loua avec effusion la clémence de l'archiduc, avouant qu'il n'avoit tenu à rien que de la bonne ville de Gand l'on disist présentement : cy fut Gand. Enfin les Gantois crièrent merci, et remirent à Maximilien neuf chartes de privilèges, lesquels privilèges furent brisés et coppés par maistre Nicolas de Rastre, audiencier. Maximilien se croyant sans doute dégagé de ses engagements envers des gens qui avaient si mal observé les leurs, fit, conduire son fils à Termonde, et bientôt après à Malines[59], où il le plaça sous la protection de la duchesse douairière, Marguerite d'Yorck.

L'ordre ainsi rétabli, l'archiduc fit ses arrangements pour se rendre en Allemagne auprès de l'empereur son père, qu'il n'avait pas vu depuis huit ans. Il confia le gouvernement du pays et l'administration de la guerre à Philippe de Clèves, fils d'Adolphe, et à Engelbert de Nassau ; l'administration de la justice fut remise à Jean de Carondelet, chancelier de Bourgogne. Le 4 novembre, Maximilien partit pour l'Allemagne ; il trouva à Aix-la-Chapelle l'empereur, qui était venu au devant de lui jusque-là. Le 16 février 1486, il fut élu roi des Romains à Francfort, et couronné à Aix-la-Chapelle le 9 avril de la même année. Le 30 mai, il fit son entrée à Bois-le-Duc, d'où il se dirigea, par Bréda, vers Anvers et Malines ; il arriva enfin à Bruxelles, où il fut reçu avec une grande pompe et au milieu des réjouissances publiques[60].

Maximilien, sentant son autorité mieux affermie, exigea, cette année là même, des états de Brabant, un secours de trois mille hommes. Prévoyant une forte opposition, il avait chargé, en cas de refus, la chambre des comptes de répartir sur ses sujets brabançons, le secours qu'il demandait. Informés de ce qui se passait, les trois membres de Bruxelles ouvrirent des conférences avec les députés des autres villes pour décider s'ils reconnaitraient à la chambre des comptes le droit de taxer le pays sans le concours de ses représentants. Ils approuvèrent d'avance la détermination que prendraient les états, parce qu'eux seuls, disaient-ils, n'étaient pas en mesure de s'opposer convenablement à la volonté du roi[61]. L'année suivante, comme il se disposait à quitter Bruxelles pour marcher contre la France, Maximilien vit ses serviteurs, dont les gages n'étaient pas payés, arrêtés par leurs créanciers. Il envoya Philippe de Clèves et le prévôt de Maëstricht solliciter la commune de se rendre caution des dettes de ses gens, qui s'élevaient à vingt mille florins ; elle y consentit à condition que les commis aux finances, le chancelier, les conseillers de Brabant et les maîtres de la cour des comptes s'engageassent à indemniser la ville dans l'intervalle d'un mois, et restassent à Bruxelles, aussi bien que les joyaux du roi, jusqu'à son retour ou jusqu'à ce qu'elle fût relevée de son engagement. Dans une assemblée des états, tenue la même année, Maximilien avait demandé aux chefs-villes un prêt de six mille couronnes. Bruxelles refusa formellement sa quote-part, qui s'élevait au tiers de cette somme. Seulement le magistrat consentit à lui accorder douze mille florins, en à-compte toutefois sur les aides que voteraient les états[62].

 

Note

Papiers d'état du cardinal de Granvelle, t. I, p. 12-17. On y trouve successivement : Patente de Jacques de Savoie, comte de Romont, datée de Assche (en Brabant), 20 décembre 1484, et adressée à nos très-chiers et bien amez les prélats, nobles, gens des villes et aultres représentans les estats des pays de Brabant, Haynnau, Hollande, Zeelande et Malines, assemblés en la ville de Bruxelles ; 2° Réponse des états généraux des Pays-Bas, en date du 22 décembre ; 3° Réplique du comte de Romont aux états des Pays-Bas. Ces pièces offrent un grand intérêt ; on y voit parfaitement l'isolement où s'étaient placés les Flamands en s'obstinant à repousser la régence de Maximilien acceptée unanimement par le reste du pays. Elles nous expliquent aussi comment l'invasion flamande dans le Brabant après la prise de Termonde s'arrêta tout court au bout de si peu de temps. Nous les transcrivons : Le comte de Romont et de Sainct-Pol, etc., lieutenant-général de mon très-redoubté seigneur monseigneur le duc de Bourgongne et de Brabant en tous ses pays. Très-chiers et bien amez, merquedy derrenier passé, XVe jour de ce présent mois, nous estant logiés au village de Nostre-Dame de ce lieu, en intention et au nom de mondict très-redoubté seigneur et comme son lieutenant-général, capitaine de son pays et conté de Flandre, nous transporter avant sondict pays de Flandres, pour y mettre les garnisons nécessaires à la seureté d'icelluy, monseigneur d'Autriche envoya par devers nous Franche-Comté, son hérault et officier d'armes, par lequel il nous fist faire sommation de nous départir dudict lieu, et que lui feyssions rendre mondict très-redoubté seigneur, monseigneur le duc son filz, en nous présentant, en cas de refus, la bataille. Et pour tant que pour faire response sur ce à mondict seigneur d'Autriche. aussy vous en advertir afin de sçavoir se le mandement par luy expédié pour faire ladicte sommation, adrechant audict Franche-Comté, avoit esté faict à vostre sceu, comme il le contenoit, envoyasmes dès lors par devers icelluy mondict seigneur d'Autriche, le roy d'armes de Flandres, en intention qu'il duist parler à vous et vous monstrer le-double dudict mandement, pour en sçavoir la vérité ; ce qu'il rie s'a pu faire, obstant que ledict roy de Flandres a premièrement adressé à mondict seigneur d'Autriche lequel le a fait tenir si estroitement et garder de si près, qn'il n'a peu avoir accez pour parler à vous et vous advertir de mon intention. Parquoy, pour nostre honneur garder, en lieu de asseoir lesdictes garnisons, sommes à la tête de l'armée dudict pays de Flandres, venus jusques en ceste ville, non point pour faire dommaige audict pays de Brabant, ne aulx subjects d'icelluy, mais (comme dict est) pour garder nostre honneur et respondre à tous ceulx qui nous vouldroient aulcune chose demander. Dont vous advertissons pour tant que désirons à sçavoir si estez délibérez de, en soustenant la querelle de mondict seigneur d'Autriche, faire et exploittier la guerre à l'encontre de mondict seigneur son fils, qui est vostre prince et seigneur naturel, et meismement contre ses bons et léaulx subjects de sondit pays de Flandres. Et pour ce que dès hier envoyâmes pardevers. vous Noir Lyon le hérault, ayant charge de bouche de vous déclarer ces choses, aussy que estions délibéré de à tout ladicte armée marcher audict pays de Brabant, et non en partir jusques à tant que nous auriez sur ce faict sçavoir vostre résolutive intention : à ceste cause, obstant que ne le avez faict, escripvons pardevers vous, et vous advertissons derechief que sommes icy aujourd'hui arrivé, où nous séjournerons demain pour tout le jour, en attendant votre response ; délibéré de icelle receue ou non, partir le lendemain, et tirer là où Dieu nous conduira. Très-chiers et bien amez, Notre Seigneur soit garde vous. Escript à Assche, ce lundy XXe jour de décembre, anno IIIIxx et IIII. Jacques de Savoye. — Monsieur, nous avons vos lettres escriptes à Assche, le lundy receu le xxe de ce mois, du contenu esquelles vos lettres vous tenons estre recors, et pour respondre à l'effet et au principal d'icelles lettres, samble que vous, ne aultres n'avez cause de demander ou enquérir se nous sommes délibérez de faire et exploiter la guerre à l'encontre de nostre trés-redoubté seigneur et prince, monseigneur le duc Philippe. archiduc d'Autriche, de Bourgogne, de Brabant, etc., nostre naturel seigneur, et mesmement entre ceulx de son pays de Flandres ; car, quant à nous, nous n'avons jamais de ce faict aulcun semblant ; mais au contraire pour ce empescher et pour eschever (éviter) voyes de faict de nostre part et d'aultres, nous sommes souvent mis en debvoir, comme encore faisons d'obtenir saulf-conduit, pour nous trouver devers ceulx qui nous vouldroient imposer de vouloir ou désirer la guerre, qui toutefois mesmes l'ont exploité et exploitent journellement à tort et sans cause. Avons aussy toujours tenu et réputé nostredict très-redoubté seigneur, monseigneur le duc Philippe, nostre prince véritable et naturel, comme avons encore intention de faire, sans eu manière quelconque à vous, ne aultres, donner cause ou occasion de dire ou penser le contraire ; et, en cette fin, pour garder son droict, et en observant les droicts et coustumes des pays à luy eschus par le trespas de feue nostre très-redoublée dame et princesse sa mère, que Dieu absoille, nous avons receu nostre très-redoubté seigneur l'archiduc son père comme père, maimbourg, et légitime administrateur des corps et biens, terres et seigneuries de nostredict seigneur naturel monseigneur le duc Philippe, à qui nous avons intention d'obéir en ceste qualité, durant sa minorité, sans en ce changier propos à la persuasion d'aultruy ; et nous donnons merveilles de ce que par vosdictes lettres vous vous attitulez lieutenant-général des pays de nostre naturel seigneur et prince, et capitaine-général de par luy ordonné au pays de Flandres, veu que nostredict seigneur n'est point en estat pour pouvoir constituer ou ordonner capitaine ou lieutenans, obstant son jeune aige, et de tant moins qu'il est en puissance paternelle, qui, sans l'auctorité de monseigneur son père, lequel selon tous drois et les cous-turnes des lieux, a l'administration de ses corps et biens, n'a peu et ne peut ordonner aulcune chose sans l'auctorité de mondict seigneur son père. Monsieur, nous prions Dieu qu'il vous ayt en sa sainte garde. Escript à Brucellas, le xxiie jour de décembre anno IIIIxx IIII. Soubz le scel des causes de celluy ville, les gens des estats des pays de Brabant, Limbourg, Haynnau, Hollande, Zeelande, Namur et Malines. — Messieurs, j'ai receu vos lettres, lesquelles j'ai envoyées à messieurs du sang, du conseil et gens des trois membres de Flandres estans devers monseigneur le duc en sa ville de Gand, par l'advis desquels et des capitaines et des chiefs de guerre estans devers moy vous fais response. Premier, où vous dictes que n'ay eu cause de demander ou enquérir se estez délibérez faire ou exploiter la guerre contre mondict seigneur le duc, car de ce n'avez jamais faict semblant, mais au contraire vous estes mis en debvoir pour icelle eschever. — Messieurs, avant que la puissance de Flandre ait esté mise aux champs, la voye de faict a esté commencée par ceux qui ont surpris la ville de Reurmonde (lisez Teneremonde), qui est nuement de la conté de Flandres, à quoy vous sçavez quels faveurs, adhérence et assistence y ont esté rajas et donnés par plusieurs de vous qui estez des estats, et par ceulx des villes qui ont livré et solinyé (soudoyé) gens pour ce taire, et chacun jour rechoivent ceulx qui ce ont faict, et leur pillaige, et se exploictent journellement la guerre ceulx d'Anvers à l'encontre du pays de Flandres. L'on est assez adverty que la plupart de vous ont bonne et droicturière intention à mondict seigneur le duc, comme à vostre prince et seigneur naturel, mais par le faict et subtilité de ceulx qui ont mis et bouté monseigneur d'Autriche en volonté de prétendre et demander droict ès pays de mondict seigneur le duc son filz, vous estes tenus en telle crainte et subjection, que n'avez point liberté d'en dire comme les corages vous jugent. — Messieurs, ne vous donnez point merveilles que je me nomme lieutenant-général des pays de mondict seigneur le duc, et capitaine de son pays de Flandres, car j'ay esté et suis à ce commis et ordonné par l'advis de ceulx de son sang, du conseil et des membres, et du sceu et plaisir du roy de France, mon souverain seigneur ; et n'est pas chose estrange ne contraire au droict et bonnes mœurs qu'ainsi se faict ; mais quelque chose que vous boutent en la teste ceulx qui vous aveuglent des termes de puissance paternelle. C'est chose bien estraigne et contre tous drois divins et humains, que cely qui n'a aulcun droict es pays et seigneuries de mondict seigneur le duc se en porte et nomme seigneur, et en toutes choses, sans aulcune différence, en use comme les vrays seigneurs et propriétaires ont faict par cy-devant et que ainsy le souffrez. — Messieurs, Nostre Seigneur soit garde de vous. Escript à Assche, le xxitiie de décembre anno IIIIxx et IIII. Jacques de Savoye. — A Messieurs des estats des pays de Brabant, Limbourg, Haynnau, Hollande, Zeelande, Namur et Malines, assemblez en la ville de Bruxelles.

 

 

 



[1] Quo dicto matrimonio solempnisato, quotiescumque continget alterum eorum dictorum conjugum ab bac lute decedere, liberis superstitibus ex dicto matrimonio procreatis, ipsi succedent dicto præmorienti in omnibus et quibuscumque suis ducatibus, comitatibus, principatibus, terris, dominiis, juribus, prœrogativis et aliis bonis immobilibus, seu solo adhœrentibus quibuscumque, et similiter in omnibus jocalibus, argenteriis, tapisseriis, et aliis bonis mobilibus quibuscumque... et prœterquod superstes possit aliquod jus proprietatis vel ususfructus, vel aliud quodcumque prœtendere. Ms. de la Bibliothèque de Gand, et Dumont, Corps diplomatique, III, 2, p. 10.

[2] Vix justis corpori defunctœ solutis, an tutela filiorum Maximiliano permittenda esset, in dubium vocatur. Flandri, præ cœteris, omnibus modis aspernari cœpere externi hominis imperium, inopem Austria extrusum, ut auro nostrate exsatiatus domum remearet, sat superesse consanguineorum principum, quibus et reipublicœ et pupilli ducis gubernacula committi tuto possent. — Brabantini contra, justissimum esse parentum in liberos imperium, nec ulla lege patri eorum tutelam interdici. Conventum ea de re fuerat Gandavi, quo Lovanienses miserant Michaelem Absalonis consulem, Joannem Pinnoceum equitem, Ludovicum Radulphi. Utrique in opinione sua perstitére. P. Divæi, Annalium oppidi Lovaniensis, lib. VII.

[3] Lettres de Maximilien à l'abbé de Saint-Pierre, publiées par M. de Saint- Genois, p. 46.

[4] Conservée aux archives de Gand.

[5] Un manuscrit de la bibliothèque de Gand reproduit les instructions qui leur avaient été données. On y rappelle, dit M. Kervyn, les exécrables et inhumaines maulx qui sont advenus en guerre cruelle, en feux boutés ès dits pays, tant ès maisons des povres laboureurs, comme ès églises, sur gens simples et innocens, tant que horreur et impossible serolt de les réciter.

[6] Le texte, avec les ratifications, se trouve dans les Placards de Brabant, tome III, pages 616-639.

[7] Déclaration spéciale du 22 janvier 1482 (v. st.), dans Plancher, Histoire de Bourgogne, IV, preuv., 409.

[8] Pace firmata, dit Amelgard, ingens lœtitia populorum sequuta est, nam quemadmodum populi partium Maximiliani sub anxio metu elanguerant fuerantque vectigalium et collectarum onere plurimum gravati, commercia quoque quae in illis terris per Flandriam terra manique de toto pene christiano orbe permaxime exerceri soient halecum etiam caeterorumque piscium piscationes, lanificium, eaeteraque artilicum opera, quibus ex rebus populi terrarum illarum victitare et magnas opes quaerere consueverunt, imminuta plurimum et jam prope nulla existebant, priscorum felicium temporum comparatione.

[9] Ordinarunt quod post prandium ad processionem (quæ) cum papa asinorum fieri solet in navi ecclesiœ cantetur Te Deum laudamus, et papa asinorum in eadem comparuit in augmentum lætitiæ more antiquitus consueto. Acta Cap. S. Don., 25 décembre 1482. — L'année suivante, les magistrats de Bruges demandèrent la suppression de la fête des Anes, à cause des désordres dont elle était l'occasion, mais la majorité des chanoines opina pour qu'elle fût maintenue. Plurima pars deliberavit veterem morem propter verba burgimagistri no fore intermittendum. Elle n'en fut pas moins abolie. — Voir du Cange, au mot Festum asinorum. Les papes, leurs légats, les évêques prirent de bonne heure à tâche d'abolir cette mascarade, qui se maintint néanmoins, comme on le voit, dans certaines localités, jusqu'à la fin du XVe siècle. Nicolas de Clémengis, par son écrit de novis celebritatilius non insatuendis, et le concile de Bâle contribuèrent à mettre fin à ces solennités ridicules.

[10] M. Kervyn, que nous avons suivi jusqu'ici, Histoire de Flandre, V, 330-339.

[11] M. Kervyn assigne à ce discours la date du 23 janvier 1483, et suppose qu'il fut prononcé à l'occasion de la cérémonie des fiançailles du dauphin avec l'archiduchesse Marguerite. C'est une erreur. M. Gachard qui l'a publié, nous a donné en même temps une lettre des ambassadeurs eux-mêmes, datée d'Amboise, le 18 janvier 1483, où ils rendent compte à Maximilien, entre autres choses, de la réception qui leur a été faite par le dauphin et du discours de l'abbé de Saint-Bertin, Bulletins de la Commission royale d'histoire, 2e série, tome II, pages 291-302. — Les pièces existent en copies du temps aux Archives du royaume.

[12] Voir notre Histoire, tome II, Troisième section, chapitre V.

[13] Liber fundationis carthusiæ B. M. de Gratia apud Bruxellam, cité par MM. Henne et Wauters, Histoire de Bruxelles, I, 295.

[14] Voici le récit de Divæus : initio sequentis anni (1483) Flandri in abneganda Maximiliano tutela perstites, in eamdem sententiam vicinos populos impellere nituntur. Nam cum non dubitaretur Maximilianum vi acturum, multum intererat communem omnium regionum esse tergiversationem. Quare Brabantinos primum adorti, Mechliniam eos in colloquium extrahunt. Quae fieri sentientes Mechtinienses, singulari in Maximilianum fide Teneramundae morantem, secreto monent. Advenerant Lovanio, Bruxella, A ntverpia primi senatorum. Maximilianus clam omnibus Mechliniam veniens, diversoriis extractos Vilvordiam in custodiam misit. Augustinus Borchovius, eques, Joannes Lohba, secretis, ex Lovaniensibus legatis, celeri fuga et mutatis vestibus evasére. Ludovicus Radulphi, senator, et Gerardus Raesselius inter captives fuêre. Nec de iis (incertum quam ob rem) ut de Bruxellensibus et Andoverpiensibus, sumptum supplicium. Acta haec initio Maji. — Nonnulli e Brabantinorum nobilitate, dit Pontus Heuterus, civitatibus suis persuadere conati ut se Flandris jungerent, nec Maximiliano tutelam liberorum permitterent, capti, Vilvordiæ capite sunt puniti.

[15] Anne de France, sœur aînée du dauphin, était femme de Pierre II, sire de Beaujeu, duc de Bourbon. Pendant la minorité de son frère Charles VIII, elle gouverna l'état avec autant de prudence que de fermeté. Elle eut pour compétiteur dans la régence le duc d'Orléans, qui régna plus tard sous le nom de Louis XII, mais elle Iui livra bataille et le fit prisonnier à Saint-Aubin-du-Cormier, en 1488.

[16] Le hameau d'Aigremont, avec son antique château assis sur un rocher, fait aujourd'hui partie de la commune d'Awirs ou des Awirs, sur la rive gauche de la Meuse.

[17] Acte du 14 mars 1476, dans Louvrex, Recueil des édits, tome I, p. 186. Nous le reproduisons : Nous Marie, duchesse de Bourgogne et de Brabant, etc., faisons sçavoir à tous que, en faveur et en contemplation de notre très cher et très amé oncle l'Évêque de Liége, duc de Bouillon et comte de Looz, et pour la décharge de lame de feu notre très cher sr et père que Dieu absoille, aiant regard aux grandes et excessives sommes de deniers qu'il a levé ès dits pays de Liège et de Looz depuis dix ans ença ; en récompense des frais, pertes et dommages par luy eus et soutenus durant les guerres qui ont regné en iceluy pays, mesmement afin que notre dit oncle puisse requérir pour lui et pour nous le courage de ses sujets de ses dits pays, tellement que puissons être suys (sûrs) d'eux s'il est besoing, et que soyons participans aux prières et oroisons qui se font journellement ès églises d'iceux pays, avons pour Nous, nos Hoirs et successeurs Ducs et Duchesses de Brabant, donné, cédé, quitté et transporté ; donnons, cédons, quittons et transportons par ces présentes à iceluy notre oncle tout tel droit, querelle et action que avons et povons avoir sur ses dits pays et sujets au moyens des traités de paix faits de et touchant lesdites guerres, de quelque grandeur qu'ils puissent être, en nous deportant du tout d'iceluy droit, querelle et action, et y renonceant à son proufit, sans que jamais Nous, ni nos dits successeurs en puissons rien demander, en tenant dès maintenant pour nulles et de nulle valeur, quant à Nous, toutes les lettres qui peuvent avoir été faites et passées des dits traités, et mandant à ceux qui les ont, qu'ils les rendent à notre dit oncle, sans difficulté. Témoing notre nom cymis le XIX jour de mars de l'an mil CCCC. soixante seize.

[18] Cette paix, ou plutôt ce recueil, fut rédigé par une commission choisie parmi les trois états, et nommée par l'évêque Jean de Hornes en 1483.

[19] C'est la célèbre décision du pape Paul II entre Louis de Bourbon et ses sujets révoltés, bulla paulina. Cette pièce, du 10 janvier 1465 selon Chapeauville, du 10 janvier 1466 selon Fisen, du 23 décembre 1465 selon M. de Ram, ce qui est plus exact, a été insérée par celui-ci dans ses Analecta leodiensia, à la suite de la chronique de Jean de Los. Voici la partie principale du dispositif : Christi nomine invocato, pro tribunali sedentes, et Deum solum pro oculis habentes, per banc nos-tram definitivam sententiam, quam de venerabilium fratrum nostrorum sanctae romanae ecclesiae cardinalium consilio ferimus in bis scriptis, pronunciarnus, decernimus et declaramus verum et plenum dominium, omnimodam jurisdictionem in spiritualibus, ac merum et mixtum  imperium, per civitatem Leodiensem ac oppida de S. Trudone, de Hasselt, Loscastri, Beringhen, Eyck, Stockheim, Brede, Blisia, Tongris, Herck, et alla loca totius comitatus Lossensis et patriae Leodiensis, institutiones villicorum, scabinorum cœterorumque officiatorum jurisdictionis temporalis, ad episcopum, sive electum pro tempore, et nunc ad praefatum Ludovicum de Borbonio modernum electum confirmatum et ecclesiam Leodiensem spectasse et pertinuisse, ac spectare et pertinere.

[20] Fisen dit le 22 juin.

[21] Voir cette paix tout au long dans Bouille, Histoire de la ville et du pays de Liège, tome II, pages 209-212.

[22] Voir Documents relatifs à la mambournie contestée à Maximilien par les états de Flandre, parmi les pièces justificatives du Ve volume de l'Histoire de Flandre de M. Kervyn, pages 527-530. — Ces pièces ont été tirées des mss. de la bibliothèque de l'université de Gand et de la bibliothèque de feu M. Gœthals à Courtrai.

[23] Il n'y a guère d'époque dans nos annales, dit un juge impartial et éclairé, plus confuse, plus mal éclaircie, que celle dont le point de départ est la mort de Charles le Hardi, duc de Bourgogne, et qui finit à l'avènement au trône de son petit-fils, l'archiduc Philippe le Beau. Même en ce qui concerne la Flandre, tout n'a pas été dit : il est encore bien des faits qui sont restés dans l'ombre, bien des circonstances qui ont besoin d'être expliquées. Dans les conflits qui s'élevèrent, il est souvent difficile de démêler la vérité d'avec l'erreur, de décider de quel côté sont le droit et la justice, de prononcer sur les prétentions respectives des parties, d'apprécier la moralité de leurs actes. M. Kervyn s'est montré d'une sévérité extrême envers l'époux de Marie de Bourgogne ; les appréciations d'autres écrivains flamands. MM. Octave Delepierre, Chronique des faits et gestes admirables de Maximilien Ier durant son mariage avec Marie de Bourgogne, translatée du flamand en français, Bruxelles, 1839 ; Van de Putte, Annales de la société d'émulation pour l'histoire et les antiquités de la Flandre occidentale, tome II ; Le Glay, Correspondance de l'empereur Maximilien et de Marguerite d'Autriche, Paris, 4839, ne s'accordent guère avec celles de M. Kervyn. Que prouvent ces jugements contradictoires émanés d'hommes dont la compétence est irrécusable, sinon que les faits ne sont pas suffisamment éclaircis ? M. Gachard, Bulletins de la Commission d'histoire, 2e série, tome II, pages 263-267. — Nous croyons, quant à nous, qu'il était très difficile à Maximilien et aux Flamands de s'entendre, puisqu'encore aujourd'hui on ne peut qu'avec peine faire la part légitime aux prétentions mises en avant des deux côtés ; que, devant une pareille situation, la raison et l'équité demandent qu'on ne rejette pas tous les torts sur une des parties au profit de l'autre ; enfin que rien n'est plus propre à préparer un jugement définitif que l'examen des motifs allégués par les parties elles-mêmes. C'est ce qui nous a déterminé à reproduire cette pièce et les suivantes, quoiqu'un peu longues.

[24] Ceci répond à un passage de la lettre des sires de Ravenstein et consorts, où ils disent : Font courre (courrir) la voix ceux d'alentour de vous que vous voulez maintenir les convents de mariage estre autres que contenu est ès lettres authentiques de feu notre princesse.

[25] M. Kervyn, ubi supra, pages 530-537.

[26] M. Gachard a publié cette pièce dans les Bulletins de la Commission d'histoire, 2e série, t. II, p. 307-308, d'après une copie du temps aux Archives du royaume.

[27] Jean de Dadizeele avait été assassiné à Anvers le 7 octobre 1481. On ne découvrit point les auteurs du crime ; cependant, dit M. Kervyn, la rumeur publique accusait le sire de Montigni et le bâtard de Gaesbeek.

[28] Mss. de la bibliothèque de l'université de Gand et de la bibliothèque de feu M. Gœthals à Courtrai, dans M. Kervyn, tome V, appendice, pages 537-542.

[29] Papiers d'état du cardinal Granvelle d'après les mss. de la bibliothèque de Besançon publiés sous la direction de M. Ch. Weiss, tome Ier, pages 18-24.

[30] Aujourd'hui chef-lieu de canton (Nord), à 13 kil. N. O. d'Avesnes.

[31] Lettre du 17 novembre 1483 ; ms. de Gand.

[32] Lettre de Guyot de Lonzière du 11 décembre 1483 ; ms. de Gand.

[33] Lettre du 12 décembre 1483 ; ms. de Gand. Ces citations sont empruntées à M. Kervyn, qui nous fournit tous ces détails.

[34] Ms. de la Biblioth. de l'univ. de Gand, 434, f° 201. (Citation de M. Kervyn.)

[35] M. Kervyn, v. 353. — Voir le récit de Pontus Heuterus.

[36] Despars, remarque M. Kervyn, place par erreur ces évènements au mois de février 1482 (v. st.), tandis que l'Excellente Chronycke les attribue à l'année 1485 (y. st.). On ne saurait croire, ajoute-t-il avec raison, combien de difficultés présente parfois l'exactitude chronologique.

[37] Despars, IV, 231.

[38] M. Kervyn confond la fête de S. Mathias, 25 février, avec celle de S. Mathieu, qui se célèbre le 21 septembre.

[39] M. Kervyn, V, 355. — On lit dans Despars : Cornelis Metteneye wees men absdoen ooc zes jaeren ghevanghen in die donckercamere te mœten blivene. Voir le long et intéressant récit de ce chroniqueur, IV, 237-240.

[40] Godefroid, Preuves de l'histoire de Charles VIII, p. 394.

[41] Afin que nous avec eux et eux avec nous puissions mieux nous employer au service du roy, bien et utilité de la chose publique du royaume, nous avons pris avec nos chers et très spéciaux amis, ceux des trois membres de Flandre, vraye et bonne amitié, intelligence et confédération ferme et stable alliance... Nous les assisterons contre tous ceux qui voudroient entreprendre sur la garde et gouvernement du duc Philippe et dudit pays contre la volonté et intention d'iceux des dits membres, et jurons que, toutes fois que requis en serons, nous déclarerons amis et alliez des dessus dits des membres de Flandres. Godefroid, Preuves de l'histoire de Charles VIII, p. 460.

[42] Preuves de Commines, IV, 131-152.

[43] M. Kervyn, V, 360. — Voici comment la chose est racontée par Olivier de la Marche, Mémoires, l. II, c. 11 : En ce temps l'archiduc nostre prince — qui avoit bon vouloir de se venger de ceux de Gand — conceut secrètement comment il pourroit prendre Termonde, et fit son assemblée de gens d'armes en la ville de Malines ; et estoit ascompeigné de messire Jehan de Bergues, de messire Baudouin de Lannoy, et du seigneur de Chanteraine. Et pour conduire son faict plus subtilement, avec un peu d'entendement qu'il avoit en aucuns de la ville de Termonde, mit sus une douzaine de compaignons de guerre, dont Jacques de Fouquerolles estoit le chef ; et habilla les uns en moynes noirs, et les autres en moynes blancs, les autres en religieuses noires, et les autres en religieuses blanches ; et fit d'iceux religieux et religieuses deux chariots, et les envoya contre Termonde pour aborder à la porte sur le poinct du jour ; car ceux qui avoyent entendement avec l'archeduc devoyent avoir la garde de la porte à icelle heure. Si se partit l'archeduc. atout ses gens d'armes à cheval, bien matin, et ala mettre une grosse embusche assez prés de Termonde, en un lieu qu'on dit la maladrie ; en laquelle embusche il estoit luy-mesure en personne. Il avoit ses signes entre les moynes et nonnains et luy, et son faict très bien ordonné ; et quand on vint à la porte ouvrir, les deux chariots de moynes et nonnains entrèrent en la porte, et firent signe à l'arche-duc, lequel luy et sa compaignie, à course de cheval, ala vers la porte de Termonde, et trouva que ledict Jacques de Fouquerolles et ses gens estoyent à pié, les vouges et les battons au poing, et avoyent geigne la porte ; et tantost les gens de cheval entrèrent dedans, et tirèrent tout droit jusques au marché ; et à gaigner iceluy marché, fut tué l'un des fils du comte de Sorne, dont ce fut dommage, car il estoit bel et bon gentilhomme. Si ordonna l'archeduc gens de bien pour aler par les rues et asseurer le peuple ; et par ce moyen chascun rentra en sa maison, et le lendemain il ne sembloit pas que la vile eust eu affaires n'effroy ; mais éstoit toute rapaisée, sans pillage n'autre meurdre ; et demoura l'archeduc à Termonde assez longuement ; et pour la seureté et gouvernement d'icelle bonne vile, il y ordonna capitaine messire Jehan, seigneur de Melun, qui s'y conduisit notablement ; et s'en retourna l'archeduc à Brucelles.

[44] En ce temps, monsieur de Romontqui estoit lors capitaine de Gand et de Flandres pour les Gandoisfit une assemblée de Flamans, et principalement Gandois ; et se mit aux champs et marcha jusques à Assèle, où il se logea, et y demoura certains jours ; et monsieur l'arche-duc, désirant de le combattre, voulut assembler gens pour luy courre sus. Mais ceux de Brucelles ne voulurent point que l'on est guerre de la vile de Brucelles contre ceux de Gand, et ainsi ne peut l'archeduc pour celle fois rien exécuter ; mais il fit practiquer le peuple de la vile de Brucelles ; et par un matin le fit venir sur le marché en grand hombre ; et luy-mesme ala en l'hostel de la vile, et demanda aux gouverneurs s'ils entendoyent point qu'il se deust deffendre de ses ennemis par la vile de Brucelles. Ils furent un peu longs en response, et l'arche-duc leur dit : Le peuple est assemblé pour me donner aide, et (qu'il soit vrai) venez avecques moy, et nous sçaurons d'eux leur voulonté. Les gouverneurs furent tous ébahis, et parlèrent autrement qu'ils n'avoyent fait ; et l'archiduc parla au peuple, qui tous se d éclairèrent à faire ce qu'il voudrait et commanderait. Olivier de la Marche, Mémoires.

[45] M. Kervyn, V, 362-363.

[46] Preuves de l'histoire de Charles VIII, p. 461.

[47] Preuves de l'histoire de Charles VIII, p. 472.

[48] Voir la note en fin de chapitre.

[49] Voir les pièces dans les Bulletins de la commission d'histoire, 2e série, t. II, p. 314 et suivantes.

[50] M. Kervyn, p. 370, d'après les Chroniques flamandes, et Molinet.

[51] Douze jours après, le 23 juin, Charles VIII écrivit aux bourgeois de Gand pour les prier de lui renvoyer son artillerie. Archives de la Flandre Orientale ; citation de M. Kervyn.

[52] Louis de Bruges, seigneur de la Gruuthuse, avait été créé comte de Winchester en 1472 par Edouard IV, pour avoir aidé de sa bourse ce monarque, quand il se retira en Hollande. Il tint sur les fonts du baptême un des enfants de Colard Mansion, qui apporta l'art de l'imprimerie à Bruges. Louis de la Gruuthuse mourut en 1492, laissant un cabinet de manuscrits précieux, magnifiquement enluminés. Ces manuscrits, dont s'est enrichie la bibliothèque de Paris, furent achetés par le roi Louis XII.

[53] Journal d'un clerc de Bruges (ms. de la Bibliothèque royal 13167) ; citation de M. Kervyn.

[54] Acta Cap. Eccl. S. Don ; id. — Voir pour les détails Despars. p. 252 et suivantes.

[55] Schiplieden, les navieurs.

[56] Den VIIIen van wepemaent anno LXXXV, rees eene wapenynghe binnen Ghent, by toedoene ende upzette van Matthys Pedaert, ende binnen den zelven avende was de clocke ghesleghen ende elc quam met zyn bannieren, ende waeren glievanghen de hueverdeken, de cnaepe van den corten sweerde, diversche wethauders ende andere goede mannen. Dagboek der genische collatie, p. 493.

[57] Verzameling van XXIV orig. charters, citation de M. Kervyn.

[58] Voici une page intéressante d'Olivier de la Marche, témoin oculaire et acteur dans ces évènements : Quand l'archeduc approcha Gand, à une lieue prés, le seigneur de Ravestain accompaigna monsieur l'archeduc le jeune, à venir au devant de son père, et estoit fort accompaigné, et monsieur l'archiduc s'arresta emmy les champs, et luy fut amené son fils, dont il eut moult grande joye : car il y avoit jà huit ou neuf ans, qu'il ne l'avoit veu. Le fils ne congneut point le père : sinon que quand il approcha, le père baisa son fils, et alors se prit le fils à larmoyer. Et ainsi chacun se mit au chemin contre Gand, et messire George des Cornets, seigneur de Meulebeek. alors grand bailly pour ceux de Gand, présenta à mondict seigneur la verge de ballieu ; mais mondict seigneur ne la voulut point prendre, et dit qu'il la portast encore, jusques autrement en auroit ordonné. Et ainsi se tira la compaignie contre Gand, et conduisoit monsieur de Nassau les gens de pié, et estoit mondict seigneur de Nassau le premier en front comme les autres, la pique sur le col ; et d'emprès lui estoit Min. Joncker de Gueldres, Philippe monsieur de Ravestain, et le comte de Joingny : et, par ordonnance faicte, ils devoyent toujours marcher cinq ensemble, et après suivoyent barons et chevaliers, et puis les piétons alemans, et estoit une moult belle bande à veoir ; car ils estoyent bien deux mille combattants ; et puis venoyent les gens de cheval en une grosse flotte, et entre les gens de pié et les gens de cheval estoyent monsieur l'archeduc, son fils, monsieur de Ravestain, et les autres grans seigneurs et les gens de conseil. — Ainsi entrèrent-ils à Gand sans nul contredict, et fut mené monsieur l'archeduc et monsieur son fils en leur hostel à Gand, lequel ils trouvèrent préparé pour les y loger : et se logea chacun et mesmement les piétons furent logés ès hostels des bourgeois (qui n'estoit pas au gré de tous) ; et quand vint sur le soir, ceux de Gand se commencèrent à mutinacer, et tous d'une opinion coururent au marché, et les piétons alemans et autres se tirèrent à l'hostel du prince et monsieur l'archeduc se vint loger en ma chambre (qui estoit sur la porte, devant), et ce fit-il pour estre entre ses gens ; là tint conseil qu'il estoit de faire, et sembla, pour le mieux, de voir que les Gantois feroyent pour celle nuit, et chacun, se tint sur sa garde. Mais le comte de Nassau, accompaigné de Wallons, avoit gagné le pont, là où ou coupe les testes ; qui estoit la droite venue des Gandois pour venir contre l'hostel du prince. — Ainsi se passa cette nuict ; et le lendemain matin, l'archeduc accompaigné des piétons d'Alemaigne, marcha contre l'hostel de la vile, et fit arrester ses gens en ung coing de rue vers la poissonnerie, et ala parler à ceux de la vile, et leur offrit de prestement déloger ce peuple. Mais ils luy prièrent qu'il n'en fist rien, et qu'ils trouveroyent manière que chacun s'en retourneroit en sa maison ; et stèrent deux des notables de l'hostel de la ville parler au peuple, et leur remonstrèrent comment le prince ne pouvoit voir ne souffrir iceux assemblés contre luy, et qu'ils mettroyent la vile en grand péril ; car s'ils estoyent déconfits, ils estoyent morts, et la vile perdue ; et leur conseilloyent d'eux retirer chacun en son hostel, et qu'ils estoyent bien asseurés du prince, et qu'il ne leur demanderoit rien. Ce peuple promit d'eux en retourner en leur maison, priant à l'archeduc qu'il se retirast en la sienne, et retirast ses gens d'armes. Ce que l'archeduc fit, et ramena tous ses gens en sa maison, et se repent chacun de ce qu'il pouvoit avoir ; mais les Gandois ne bougèrent du marché ; et, à la vérité, ils estoyent si effrayés, qu'ils ne sçavoient ce qu'ils devoyent faire ; car ils estoyent peu de gens mal conduits et mal en point ; et le comte de Nassau offroit tousjours de leur courre sus, et de les deffaire ; et par ce moyen estoit le prince perpétuellement seigneur et maistre de Gand et de toute Flandres. Mais monsieur Philippe de Clèves favorisoit les Gandois, et disoit à monsieur l'archeduc qu'il ne se pouvoit faire sans détruire Gand ; et quand Gand seroit détruite, il perdrait la fleur et la perle de tous ses païs. Et ainsi ne sçavoit l'archeduc que faire, et dissimula jusques à la nuict ; et les Gandois se délogèrent du grand marché, pour ce qu'ils estoyent trop peu de gens, et vindrent loger au petit marché, qui est entre le chanteau et Saincte-Vairle, et fut une fois conclu de les assaillir par derrière, du costé de la coppe, et de rompre les maisons pour passer les gens d'armes ; et ne demandoit monsieur de Nassau autre chose, et persuadoit toujours que l'on fist celle exécution. Et au regard des Alemans qui estoyent en la court, à l'hostel du prince, ils estoyent en bonne volonté de bien besongner ; et estoit belle chose de voir faire les dévotions, et eux recommander à Dieu, et s'estendoyent tous sur la terre, en baisant icelle ; et en vérité, je vey volontiers leur manière de faire. Et ainsi vint le noir de la nuict, et ne peut estre monsieur de Nasseau creu au conseil qu'il donnoit ; et par celle noire nuict les Gandois se dérobèrent de la compaignie, et se retira chacun en sa maison.

[59] David, Vaderlandsche Historie, t. IX, p. 46, en note.

[60] Toutes les rues qu'il devait traverser, depuis la porte de Malines jusqu'au palais, étaient tendues de tapisseries, broquetries et aultres exquis ouvrages. Les carrefours étaient ornés d'arcs de triomphe représentant des sujets bibliques ou moraux. Aucuns mestiers, pour faire leurs allumeries et monstres de nouvelletez, avoient retenu certains hostels revestus, les ungs de drap d'or et de soie, les aultres armoiriez des armes et blasons de l'empereur, du roy et de l'archiduc son fils, et estaient ces ouvrages soutilement labourez à très grand coust et extrême dépense. La corporation des peintres se distingua particulièrement dans cette circonstance. Les rues environnant la grand'place étaient ornées de portiques fort élevés ; la façade de l'hôtel de ville était tapissée d'étoffes rouges et avironnée de grans et gros flambeaulx en très bon nombre, et que plus est, la tour d'icelle, jusques à l'image de saint Michel, estoit chargiet de falos ardants et aultres instrumens portans lumière, en cette fachon qu'il sembloit à veoir de long mieux estre de feu que de pierres. Toutes les maisons estoient couvertes de feu, de draps, de painctures et de métail. Le magistrat alla à la rencontre du roi et lui offrit un palle ou baldaquin fort riche. Les feux de joie et les fêtes durèrent une semaine. Henne et Wauters, Histoire de la ville de Bruxelles, I, 298, d'après Molinet.

[61] Want sy dat alleene verre het en behoorde, niet en soude cunnen beletten. Acta oppidi ; citation des auteurs de l'Histoire de Bruxelles, I, 300.

[62] Histoire de Bruxelles, I, 302.