PALESTINE

 

APPENDICE

Coup d'œil sur les événements arrivés en Palestine, depuis la destruction de Jérusalem jusqu'à nos jours.

 

 

Il nous reste à raconter les destinées de la Palestine, depuis la catastrophe qui détruisit l'existence politique du peuple juif, et à suivre les débris de ce peuple dans les différents pays qui leur ont offert un asile et où, pendant dix-huit siècles, ils ont continué à former une société religieuse, au milieu de tout un monde ennemi conspirant leur ruine totale, et malgré les plus cruelles persécutions, rarement interrompues çà et là par quelques moments de repos. Les développements que nous avons cru devoir donner à notre histoire ancienne de la Palestine nous obligent de remettre à un autre temps la continuation de l'histoire des Juifs et du judaïsme, sujet riche en détails curieux et instructifs, en scènes dramatiques et imposantes, et qui se rattache par maints fils à l'histoire du Inonde chrétien au moyen âge. Mais, pour compléter ce volume, nous jetterons un coup d'œil rapide sur les événements qui se sont passés sur le sol de la Palestine, depuis la destruction de Jérusalem jusqu'à nos jours. Depuis l'incendie du sanctuaire central des Juifs, la Palestine n'a plus d'histoire proprement dite ; car elle n'a plus d'habitants liés entre eux par des intérêts communs ou par une nationalité commune et suivant un mouvement régulier quelconque de développement, de progrès ou de décadence. Ce sont des événements isolés, dont la Palestine devient successivement le théâtre, mais auxquels elle-même reste indifférente, qu'elle n'a ni provoqués, ni désirés, ni redoutés, et dont les acteurs viennent toujours du dehors. Une seule fois encore les véritables enfants de ce sol lèvent audacieusement la tête et font un dernier effort pour arracher leur terre natale au puissant empire qui l'a engloutie ; mais ce n'est que pour partager le sort de l'héroïque génération qui les a précédés, et pour mourir, eux aussi, de la mort des hé - ros. Depuis lors les populations et les races se succèdent sur ce sol, et. à aucune époque, la Palestine n'a été agitée par ses intérêts propres ; car elle n'en a jamais eu. Les croisades elles-mêmes et le royaume chrétien de Jérusalem ne sont que des épisodes dans l'histoire des peuples européens qui y furent intéressés, et n'ont pas rendu l'organisme de la vie à la Palestine. Nous n'avons donc pas à écrire une histoire, mais à recueillir une série de faits isolés, dont les mobiles doivent être cherchés ailleurs et dont les détails, pour la plupart, intéressent des hommes étrangers à ce sol. Il suffira d'en présenter ici un tableau rapide.

La Palestine n'avait pas été entièrement privée de ses habitants juifs. La guerre dévastatrice avait épargné plusieurs contrées ; d'autres, et notamment les villes de la côte et quelques-unes du royaume d'Agrippa, s'étaient volontairement soumises, ou n'avaient pas pris part à l'insurrection, et continuaient à jouir d'une certaine prospérité sous la domination romaine. Quand les soldats romains eurent quitté Jérusalem, changée en un monceau de ruines, quelques familles juives et chrétiennes revinrent s'établir dans ces lieux de désolation, et préférèrent quelques misérables masures, sur les ruines de la sainte cité, au séjour que pouvaient leur offrir les autres villes de la Judée. La ville de Yabné, ou Jamnia, où, selon la tradition, le Synédrium avait été transféré quelque temps avant la destruction de Jérusalem, devint le siège d'une des plus illustres écoles des rabbins, présidée par Johanan, fils de Zacchaï, qui avait pu s'échapper de la capitale, et ensuite par Gamaliel, fils du célèbre Siméon-ben-Gamaliel, qui, dit-on, périt pendant le siège. Le président prit le titre de nasi, ou prince. Pour empêcher la réédification de Jérusalem et la fortification de ses hauteurs, les Romains placèrent sur le mont Sion une garnison de huit cents hommes. L'empereur Domitien persécuta les Juifs comme les chrétiens ; ceux qui cherchaient à cacher leur origine juive furent soumis quelquefois aux enquêtes les plus humiliantes[1]. Il ordonna, dit-on, comme l'avait déjà fait Vespasien, de chercher avec soin tous les descendants de David, afin de s'emparer d'eux et d'ôter au peuple tout espoir de voir s'élever dans cette famille royale le Messie qui devait apporter la consolation et rendre l'indépendance à la malheureuse race de Jacob[2]. En effet, les Juifs ne cessèrent pas de nourrir des espérances chimériques, qu'ils crurent bientôt devoir réaliser eux-mêmes par la force des armes. Sous le règne de Trajan, ils s'insurgèrent sur plusieurs points de l'empire. En 115, ou 116, une des plus violentes insurrections éclata dans la Cyrénaïque, où la dureté du gouverneur romain avait aigri les Juifs au plus haut point ; un certain André se mit à leur tête[3]. Enhardis par un premier succès, ils ravagèrent tout le pays jusqu'à l'Égypte. Étant supérieurs à leurs ennemis par le nombre, ils commirent des cruautés inouïes ; on fait monter à deux cent vingt mille le nombre des Grecs et des Romains massacrés par les Juifs ; ce qui paraît exagéré. Trajan envoya contre les rebelles une forte armée, commandée par Martius Turbon, qui ne parvint à les soumettre qu'après bien des combats. L'esprit de rébellion gagna les Juifs d'Égypte et de l'île de Cypre ; mais ces insurrections, dans lesquelles beaucoup de milliers de Juifs perdirent la vie, ne servirent qu'à rendre plus cruel encore le sort de ceux qui échappèrent au glaive.

Adrien, à ce qu'il paraît, ne se montrait pas d'abord hostile aux Juifs. Selon une tradition rabbinique, il aurait même donné la permission de rebâtir le Temple de Jérusalem ; mais les représentations des ennemis des Juifs lui ayant fait changer d'avis, et ne voulant pas néanmoins retirer sa promesse, il indiqua pour le nouveau Temple des dimensions que les Juifs ne pouvaient adopter[4]. Bientôt l'esprit de sédition qui se faisait remarquer parmi les Juifs changea les dispositions de l'empereur. Il renouvela un décret de Trajan qui défendit aux Juifs de pratiquer la circoncision, d'observer le sabbat ou même de lire les lois mosaïques ; et, pour leur ôter tout espoir d'une restauration politique, il résolut de rebâtir Jérusalem et d'en faire une ville païenne, peuplée de Grecs et de Romains. Les malheureux Juifs alors firent un dernier effort pour reconquérir leur indépendance. Un homme hardi et entreprenant, nommé Bar-Coziba, qui se disait le Messie et prenait le nom de Bar-Cocheba (fils de l'étoile)[5], profita de l'absence des légions romaines pour rassembler des troupes nombreuses et s'emparer de Jérusalem, de cinquante places fortes et d'un grand nombre de villes ouvertes et de villages. Il se conduisit bientôt en roi et fit battre monnaie[6]. Akiba, un des plus illustres docteurs de cette époque, reconnut publiquement dans Bar-Cocheba le Messie annoncé par les prophètes, et déclara que c'était là l'Étoile de Jacob, sous laquelle Bileam avait désigné le futur rédempteur du peuple hébreu[7] ; ce qui contribua beaucoup à augmenter les forces de Bar-Cocheba et le courage de ses partisans. Adrien, qui avait commencé par mépriser cette insurrection, dut bientôt en reconnaître toute la gravité. Tinnius Rufus, qui commandait alors en Judée, fut battu dans plusieurs rencontres. Pour dompter cette redoutable révolte, qui mettait en émoi tout l'empire romain[8], Adrien envoya en Palestine Jules Sévère, dont la bravoure et le talent guerrier venaient d'être éprouvés dans la Grande-Bretagne. Sévère se borna à harceler les révoltés, à leur couper les vivres, et à leur prendre une à une toutes les places dans lesquelles ils s'étaient fortifiés, mais n'osa leur livrer bataille. Encore une fois Jérusalem fut prise et rasée. Bar-Cocheba s'étant enfermé dans Béthar[9], les Romains l'y assiégèrent ; ce siège, selon les rabbins, dura trois ans et demi. Bar-Cocheba fit mourir le pieux R. Éliézer de Modéïn, qui ne cessait de prier pour lui, mais qu'on avait faussement accusé de trahison. La ville fut prise d'assaut par les Romains, après des efforts incroyables l'an 136 de l'ère chrétienne ; et on vit s'y renouveler les scènes de carnage qui avaient eu lieu à la prise de Jérusalem par Titus. Selon la tradition juive, ce fut au jour anniversaire de la destruction du Temple que les Romains entrèrent dans Béthar. Dans cette guerre, les Romains, comme les Juifs, combattirent avec un acharnement extrême ; selon Dion Cassius, cinq cent quatre-vingt mille Juifs furent massacrés par les Romains, qui, de leur côté, essuyèrent des pertes immenses.

Les rabbins exagèrent encore bien davantage le nombre des victimes ; mais personne n'était en mesure d'en constater le chiffre exact. — Bar-Cocheba ayant péri dans la mêlée, lors de la prise de Béthar, la conquête de cette ville termina la guerre. La Judée fut changée en un désert ; ceux des rebelles qui survécurent furent vendus publiquement sur les marchés, au même prix que les chevaux. L'illustre Akiba, qui avait été emprisonné dès le commencement de la guerre, fut écorché vif ; les plus atroces douleurs ne purent lui arracher aucune plainte, et il expira en s'écriant : Écoute, Israël ; l'Éternel est notre Dieu, l'Éternel est un (Deutér., 6, 4). D'autres docteurs de la synagogue subirent également le martyre.

Adrien fit bâtir ensuite, sur les ruines de Jérusalem, une nouvelle ville, qu'il appela Ælia, de son nom de famille Ælius. Il y fit aussi élever un temple à Jupiter Capitolin, sur la même place où s'était trouvé l'ancien sanctuaire des Juifs ; c'est pourquoi la ville fut surnommée Capitolina. Il fut défendu aux Juifs, sous peine de mort, d'entrer dans la ville, ou de s'en approcher jusqu'à une certaine distance. Sur la porte du chemin de Bethléem, Adrien fit placer un pourceau de marbre. Le décret d'Adrien frappait aussi. les chrétiens issus des Juifs ; les chrétiens gentils eurent la permission de s'établir à Alia, qui devint bientôt le siège d'un évêque. Dès lors les observances religieuses du judaïsme s'effacèrent de plus en plus parmi les chrétiens. Les Juifs obtinrent, à prix d'argent, la permission d'aller à Jérusalem une fois par an, pour pleurer leurs malheurs[10].

On raconte, sur la foi d'un écrivain peu authentique[11], qu'Aquila de Sinope, parent de l'empereur et chargé par lui de présider à la construction d'Ælia, se convertit au christianisme, mais que plus tard, exclu de l'Église, à cause de son goût pour l'astrologie, il embrassa le judaïsme. La conversion au judaïsme d'Akilas ou Aquila, parent de l'empereur, est aussi racontée dans les Thalmuds et dans divers autres livres rabbiniques[12]. Il se fit connaître plus tard par une version grecque de la Bible.

Depuis la défaite de Bar-Cocheba les Juifs ne firent plus de tentative sérieuse pour reconquérir leur indépendance et se tinrent tranquilles. Les Samaritains seuls embrassèrent la cause de Pescennius Niger, compétiteur de Septime Sévère, et prirent part à la guerre (194) ; ils eurent à subir les rigueurs de Sévère, qui, à ce qu'il paraît, punit aussi les Juifs d'une rébellion dont ils étaient innocents[13]. Renonçant à jouer un rôle politique, les Juifs dirigeaient tous leurs efforts vers un but moral et mettaient tous leurs soins à consolider leur unité religieuse. Convaincus enfin que leur mission, comme société politique, était finie, et que le sanctuaire de Jérusalem, avec ses prêtres et ses sacrifices, ne pouvait plus être le symbole autour duquel devaient se réunir les débris dispersés du peuple juif, ils déposèrent les armes et cherchèrent, par des voies pacifiques et par des moyens intellectuels, à se fortifier comme société religieuse. Ils ne combattirent plus pour posséder une patrie, mais ils savaient mourir pour leur religion, et des victimes innombrables tombèrent comme martyrs de leur foi. La Palestine resta encore quelque temps le siège principal des études religieuses ; les rabbins s'établirent dans plusieurs villes de la Galilée, notamment à Séphoris et à Tibériade. De l'académie de Tibériade, fondée vers l'an 180, sortit le célèbre Rabbi Juda, surnommé le saint, qui recueillit les codes partiels et les lois traditionnelles des écoles pharisiennes, et en forma, dans le premier quart du troisième siècle, un vaste corps de lois, qui est connu sous le titre de MISCHNA (répétition, ou seconde loi)[14]. Ce code est divisé en six parties appelées Sedarîm (ordres), savoir : 1° Séder Zeraïm (des semences), renfermant les lois et observances à l'égard de tout ce qu'on sème et qu'on plante ; on y traite des semences hétérogènes, des dîmes, des prémices, de l'année sabbatique, etc. En tête de cette première partie se trouve un traité sur les prières journalières et celles qu'on doit prononcer dans différentes circonstances. 2° Séder Moëd (des fêtes), traitant du sabbat et des autres jours solennels, ainsi que des jours de jeûne. 3° Séder Naschîm (des femmes), traitant du mariage, du divorce, du lévirat et de tout ce qui se rattache aux rapports mutuels des époux ; on y a inséré aussi les lois sur les vœux et sur le naziréat. 4° Séder Nezikin (des dommages), traitant des indemnités dues pour les dommages causés à autrui, et en général de tout ce qui a rapport au droit civil, au droit pénal et aux tribunaux. Cette partie, sur différents points, offre une grande analogie avec le droit romain. On v a inséré un traité de morale, renfermant les sentences des Pères de la Synagogue. 5° Séder Kodaschim (des choses saintes), renfermant les lois et règlements des sacrifices et des autres choses consacrées à la Divinité, les préceptes sur les aliments et la description du Temple de Jérusalem. 6° Séder Tohorôth (des purifications), traitant des choses pures et impures et de la purification des personnes et des choses. — Chacune des six parties est subdivisée en différents traités et chaque traité en chapitres[15]. — Ce code fut successivement annoté, discuté et amplifié par les écoles de Palestine et de Babylone, et dans chacune des deux académies, on fit plus tard un recueil de ces annotations et discussions ; ces recueils, beaucoup plus volumineux que la Mischna, qui leur sert de texte, reçurent le nom de GUEMARA (complément). La Mischna et la Guemara ensemble forment le Thalmud (doctrine). Il y a, par conséquent, deux Thalmuds : l'un, émané des écoles de Palestine et appelé le Thalmud de Jérusalem, fut achevé probablement dans la seconde moitié du quatrième siècle ; l'autre, appelé le Thalmud de Babylone, fut rédigé, au cinquième siècle, par Asché, célèbre docteur de l'académie de Sora, et par son disciple Rabina, et terminé l'an 500 par Rabbi José. La Guemara de Babylone, plus complète et plus claire que celle de Palestine, est aussi celle dont l'autorité a prévalu parmi les Juifs.

A mesure que l'esprit de sédition disparaissait du milieu des Juifs, les Romains les traitaient avec plus de douceur ; ils formaient une société religieuse, protégée par l'État, et dépendaient d'une hiérarchie sanctionnée par le gouvernement romain. Ils étaient administrés civilement par leur Nasi, ou patriarche, qui résidait à Tibériade, et par leurs primats ou juges. Ils avaient des synagogues dans les principales villes.de l'empire et célébraient publiquement leurs fêtes, jusqu'à ce que la puissance croissante du christianisme leur prépara de nouveaux malheurs.

Constantin ayant fait monter la religion chrétienne sur le trône des Césars, elle célébra son triomphe dans le pays qui fut son berceau. L'empereur et sa mère, Hélène couvrirent la Palestine d'édifices magnifiques, consacrés au culte chrétien et dont le plus célèbre est l'église du Saint-Sépulcre, achevée en 335. L'arrogance et la barbarie des chrétiens réduisirent au désespoir les malheureux Juifs. On parle d'une nouvelle tentative de rébellion de la part des Juifs et d'une sévérité barbare déployée contre eux par l'empereur[16]. Le règne de Constance ne fut pas plus heureux pour les Juifs ; ceux-ci se révoltèrent contre Gallus, beau-frère et corégent de Constance, qui opprimait cruellement les provinces d'Orient (352). La vengeance que Gallus exerça contre les Juifs fut terrible ; au massacre il ajouta l'incendie ; et les principaux sièges des écoles juives, les villes de Tibériade, de Diocésarée (Séphoris) et de Diospolis (Lydda), devinrent la proie des flammes[17].

Depuis cette époque les pèlerinages de Jérusalem devinrent de plus en plus fréquents parmi les chrétiens. Les pèlerins arrivaient en foule des contrées les plus lointaines de l'Orient et de l'Occident, pour contempler les monuments de leur rédemption et notamment la vraie croix, qu'on prétendait avoir été retrouvée par Hélène. Mais saint Jérôme fait un triste tableau des vices que la foule des fidèles étalait alors dans la sainte cité[18].

L'avènement de Julien, surnommé l'Apostat, inspira aux Juifs de nouvelles espérances. Cet empereur correspondait avec le patriarche de Tibériade ; il déchargea les Juifs des impôts dont Constance les avait accablés, et alla jusqu'à leur donner la permission de rebâtir le Temple de Jérusalem (363). Alypius d'Antioche, ancien gouverneur de la Grande-Bretagne, fut chargé de l'exécution des travaux et soutenu par le concours le plus actif du gouverneur de Syrie. Les Juifs se mirent à l'œuvre ; mais, après de vains efforts, ils renoncèrent à l'entreprise. Les ouvriers, en creusant la terre pour poser les fondements du nouveau Temple, furent subitement arrêtés par des tourbillons de flammes qui sortirent de la terre avec un bruit de tonnerre ; ce phénomène, dont ils ignoraient la cause physique, se répéta plusieurs fois, et leur imagination en fut frappée à tel point qu'ils n'osèrent continuer le travail[19]. Quelques Pères de l'Église ont rapporté ce fait simple avec des circonstances dans lesquelles on reconnaît la superstition de ces temps et une imagination exaltée par la foi religieuse. Le feu, disent-ils, en atteignant les vêtements des ouvriers, prit la forme d'une croix ; au milieu des flammes on aperçut un cavalier formidable, et les ouvriers, effrayés, voulant se sauver dans une église, une force surnaturelle retint les portes fermées en dedans. Cependant le fait en lui-même doit être considéré comme historique ; il y eut probablement une forte explosion, causée par l'air inflammable longtemps comprimé dans les souterrains. Le même phénomène arriva aussi sous Hérode, lors de l'ouverture des sépulcres de David et de Salomon[20]. Il n'est pas étonnant que le phénomène le plus naturel ait été considéré comme un miracle par des hommes qui en ignoraient la cause[21]. Au reste, la cessation définitive des travaux s'explique aussi par la mort de Julien, qui tomba, bientôt après, dans un combat contre les Perses.

Sous les empereurs suivants, jusqu'à Théodose, l'importance politique des Juifs de Palestine diminue de plus en plus ; le gouvernement les protégeait contre les persécutions des chrétiens, et de longtemps il n'est pas question de collisions sanglantes. Le partage définitif de l'empire romain par Théodose (396) fit de la Palestine une province de l'empire d'Orient. Le patriarche juif, quoique protégé par Arcadius et honoré de l'épithète d'illustre, perdit de plus en plus son influence, à mesure que la liberté accordée aux synagogues dans toutes les parties de l'empire diminuait l'importance de la hiérarchie palestinienne[22]. Une circonstance qui dut contribuer également à diminuer l'influence du patriarcat fut l'introduction d'un calendrier uniforme à l'usage des Juifs dispersés daris tous les pays. Jusque-là les néoménies et les fêtes avaient été fixées par le Synédrium de Palestine, selon l'ancien usage ; mais, vers 360, le patriarche Hillel convoqua un synode qui eut pour mission d établir un calendrier fixe qui pût servir de guide à tous les Juifs. On adopta pour base le calendrier grec de Méton, avec son cycle de dix-neuf ans, afin de mettre d'accord les années lunaires avec les années solaires ; la durée de l'année solaire, selon le calcul des Juifs, tient le milieu entre l'année Julienne et l'année Grégorienne.

Sous Théodose II (vers 420), le patriarcat de Tibériade s'éteignit dans la personne de Gamaliel, qui, étant mort sans héritier, ne fut pas remplacé. — Au commencement du règne de Marcien, successeur de Théodose, le concile général tenu à Chalcédoine éleva l'église de Jérusalem à la dignité patriarcale, en reconnaissant le titre de patriarche, adopté par Juvénal, évêque de Jérusalem[23]. Les métropolitains des trois parties de la Palestine[24], résidant à Césarée, à Scythopolis et à Petra, dépendaient du nouveau patriarcat.

Les Samaritains, qui, depuis leur défaite sous Vespasien, s'étaient presque entièrement effacés et avaient traversé, sous la domination romaine, quatre siècles d'humiliations, furent enfin poussés à bout par l'esprit persécuteur du clergé chrétien ; et une violente révolte éclata vers la fin du règne de Zénon (490). Ayant choisi pour chef un certain Justus, ils tombèrent sur les chrétiens, en firent un grand carnage, et détruisirent leurs églises. Il avait fallu, sans doute, des excès de tyrannie de la part des chrétiens, pour pousser un petit peuple à une rébellion aussi hardie, et le désespoir seul a pu les rendre insensibles au danger auquel ils s'exposaient. Les troupes de Zénon n'eurent pas beaucoup de peine à dompter la rébellion. Les Samaritains furent expulsés de Néapolis (Sichem), et sur le mont Garizim, lieu de leur culte, on vit s'élever une église consacrée à la Vierge[25].

Les Samaritains se révoltèrent de nouveau sous Justinien, qui persécuta, avec une égale cruauté, les Juifs, les Samaritains, les païens et les hérétiques chrétiens. Un certain Julien, qui prenait le titre de roi, se mit à la tête des Samaritains révoltés, qui massacrèrent les chrétiens, brillèrent les églises, ravagèrent le pays et se livrèrent à des excès de cruauté. Justinien fut obligé d'envoyer une armée contre les rebelles. Un combat sanglant eut lieu, dans lequel les Samaritains furent défaits ; Julien et les principaux chefs furent tués (530). On dit que dans cette lutte il périt de part et d'autre cent mille hommes, et une des plus belles contrées de la Palestine fut changée en un désert. Après le combat, on égorgea les vaincus, à l'exception dé ceux qui firent une profession de foi mensongère et cherchèrent un refuge dans le sein de l'Église. Dans l'opinion de Justinien, ce n'était point un crime que de massacrer les infidèles, et il mettait tout à feu et à sang pour établir l'unité de la foi chrétienne[26]. Arsénius, ami de Julien, homme habile et éloquent, se rendit à Constantinople, pour implorer la justice et la clémence de l'empereur, en montrant que les chrétiens étaient la première cause des troubles. Le clergé de Palestine, redoutant les effets de cette démarche, s'adressa à Sabas, supérieur général des monastères de Palestine, et le pria de se rendre auprès de l'empereur pour défendre les chrétiens ; quoique plus que nonagénaire, Sabas partit pour Constantinople. Justinien vint à sa rencontre et se jeta à ses pieds. La mission de Sabas fut couronnée d'un succès complet ; sur son conseil, Justinien condamna à mort les chefs de la révolte qui avaient survécu, ordonna aux Samaritains de rétablir les églises qu'ils avaient détruites, et poussa l'iniquité jusqu'à leur Mer la faculté de laisser leur fortune à leurs héritiers naturels, à moins que ceux-ci n'eussent embrassé le christianisme[27]. Les synagogues des Samaritains furent détruites. Arsénius, tremblant pour sa vie, embrassa le christianisme. — Quelque temps après (536), un nouveau décret de Justinien imposa aux Juifs et aux Samaritains toutes les charges curiales sans exception, mais les dépouilla de tous les honneurs et privilèges qui y étaient attachés[28]. Plus tard (541), sur l'intervention de Sergius, évêque de Césarée, les lois sévères contre les Samaritains furent modifiées et adoucies sur plusieurs points[29] ; cependant les lois exceptionnelles et oppressives causèrent encore une fois des troubles très-graves à Césarée, où, selon quelques auteurs, les Juifs et les Samaritains, en 555, se jetèrent avec fureur sur les chrétiens, détruisirent les églises et tuèrent le gouverneur dans son palais. Les révoltés furent punis avec la plus grande sévérité, et la tranquillité fut bientôt rétablie[30]. Justin II, successeur de Justinien, rétablit les lois oppressives contre les Samaritains, dans toute leur sévérité (vers 570) ; on parle encore de réactions sanglantes dont cependant nous ignorons les détails[31].

Depuis cette époque, les Samaritains disparaissent presque entièrement de l'histoire, quoique leur communauté se soit conservée jusqu'à ce jour. La plupart, sans doute, pour se soustraire aux persécutions, embrassèrent le christianisme ; plus tard l'islamisme aussi aura fait, parmi eux, de nombreux prosélytes, et les croisades leur furent également funestes. Au douzième siècle, Benjamin de Tudèle ne trouva à Sichem que cent Samaritains, c'est-à-dire probablement cent pères de famille ; mais il y en avait deux cents à Césarée, trois cents à Ascalon et quatre cents à Damas[32]. Un autre voyageur juif, qui visita la Palestine en 1217, fait monter le nombre des Samaritains à environ mille hommes[33]. Maintenant cette secte se réduit à une quinzaine de familles vivant à Nablous (Sichem)[34].

Quant aux Juifs de Palestine, nous les voyons encore au sixième siècle, au milieu des plus cruelles persécutions, continuer avec ardeur leurs études sacrées. Il nous reste de cette époque un monument grandiose de l'académie de Tibériade ; c'est le texte hébreu de la Bible, irrévocablement fixé d'après les manuscrits les plus authentiques et accompagné d'un travail critique, indiquant l'orthographe exacte et un certain nombre de variantes qui méritaient d'être notées. Ce travail reçut le nom de Masora (tradition) ; il est fait avec le soin le plus minutieux, et, pour garantir le texte de toute altération, les auteurs indiquent le nombre des versets, des mots et même des lettres contenus dans chaque livre. C'est probablement aussi de cette époque que datent les points-voyelles et les accents qui accompagnent le texte biblique[35].

Sur la physionomie que présentait la Palestine chrétienne à la fin du sixième siècle et sur les croyances populaires de cette époque, on trouve quelques détails curieux dans l'Itinéraire de saint Antonin et de ses deux compagnons de voyage. Nous en reproduisons ici quelques traits d'après l'analyse donnée par un écrivain de nos jours[36].

Partis de Plaisance, ils vont à Constantinople, s'arrêtent en Chypre, à Salamine ou Constance, jolie cité ornée de palmiers, et arrivent aux côtes de Syrie. Ils remarquent les femmes juives de Nazareth qui passaient pour les plus belles de la Palestine ; ces femmes doivent leur beauté à Marie, dit naïvement le pieux narrateur ; elles étaient bienveillantes et charitables envers les chrétiens. Nos pèlerins appellent la Galilée un paradis et la comparent à l'Égypte pour l'abondance des fruits et la richesse des moissons. Ils trouvent sur la montagne de la Transfiguration trois églises en mémoire des trois tentes de l'Évangile. A Scythopolis, l'aversion des Juifs contre les chrétiens frappe leur attention ; dans leurs rapports de commerce, les Israélites ne voulaient pas recevoir l'argent de la main des chrétiens ; ceux-ci mettaient dans l'eau les pièces de monnaie que les Juifs prenaient. D'après notre narrateur, à la première heure du lever du soleil, sine rosée s'étendait de l'Hermon à Jérusalem au-dessus de l'église de Sainte-Marie ; les médecins chrétiens de la ville sainte la recueillaient, et s'en servaient pour préparer d'infaillibles remèdes à tous les maux. C'était la rosée dont parle le prophète et qui descendait sur la montagne de Sion.

La vallée du Jourdain était peuplée d'ermites. Aux mois de juillet et d'août, les bords de la mer Morte, dans le voisinage de l'embouchure du Jourdain, se couvraient de lépreux ; après s'être toute la journée couchés sur la rive, ils se plongeaient le soir dans le lac asphaltique, et Dieu guérissait ceux qu'il voulait guérir, selon l'expression du pèlerin. Ségor était encore debout ; sept monastères d'hommes et huit monastères de femmes se montraient aux environs. Une croix de bois, plantée dans l'eau, marquait l'endroit du Jourdain où le Sauveur avait reçu le baptême. La veille de l'Épiphanie, on y accourait tous les ans : le célébrant entrait dans le fleuve, le bénissait, et soudain, dit le narrateur, le Jourdain rebroussait à grand bruit et les flots demeuraient immobiles. Des fidèles d'Alexandrie arrivaient à la solennité avec des vases renfermant des baumes et des aromates qu'ils remplissaient de l'eau du fleuve sacré ; on répandait de cette eau sur les navires, à chaque nouveau voyage en mer qu'on entreprenait ; les chrétiens ne quittaient point le Jourdain sans avoir plongé dans l'eau sainte, revêtus du suaire qui devait les suivre au sépulcre. Après la cérémonie les flots du Jourdain reprenaient leur cours vers la mer Morte.

Les singularités trouvent place à côté dés merveilles dans l'Itinéraire d'Antonin et de son compagnon. Non loin de Jéricho, dont les murs avaient été renversés par un tremblement de terre, peut-être par la secousse qui eut lieu du temps de Prayle, évêque de Jérusalem, on voyait une caverne où sept vierges vivaient dans la prière ; ces vierges, ayant chacune leur cellule séparée, au fond de la caverne, étaient amenées là dès leur plus tendre enfance ; lorsqu'une d'elles mourait, sa cellule lui servait de tombeau ; on creusait alors une autre cellule pour une autre vierge qui arrivait. Il y avait toujours sept vierges dans la caverne. On y possédait le linge qu'on croyait avoir enveloppé la tête de Jésus mort. Les pèlerins d'Italie pénétrèrent avec effroi dans la funèbre grotte pour y prier, et n'aperçurent rien de vivant.

Le septième siècle amena des événements qui furent funestes à la domination chrétienne en Palestine. Le roi de Perse Khosrou, ou Chosroès II, qui avait envahi l'empire romain d'Orient, sous prétexte de venger la mort de Maurice sur son meurtrier Phocas, continua la guerre après l'avénement d'Héraclius, afin de mettre un terme aux usurpations de l'empire. Une division de l'armée persane, conduite par Schaharbarz, gendre de Chosroés, entra en Palestine (614) ; vingt-six mille Juifs combattirent sous les drapeaux du roi de Perse, dans lequel peut-être ils espéraient trouver un nouveau Cyrus. Après avoir occupé la Galilée et les deux rives du Jourdain, Schaharbarz marcha sur Jérusalem, qui succomba bientôt aux efforts réunis des Perses et des Juifs (615). Ces derniers se vengèrent sur les chrétiens des cruelles persécutions et de toutes les humiliations dont ils avaient été accablés pendant des siècles. On dit que quatre-vingt-dix mille chrétiens périrent dans cette prise de Jérusalem[37]. L'église du Saint-Sépulcre et tous les autres édifices du culte chrétien furent livrés aux flammes. Le reste des habitants, ainsi que le patriarche Zacharie, furent emmenés captifs. Le bois que les chrétiens considéraient comme celui de la vraie croix fut emporté en Perse.

Le triomphe des Juifs fut de courte durée. Les progrès des Perses, qui déjà menaçaient Constantinople, firent enfin sortir l'empereur Héraclius de son inaction et de sa léthargie ; ses légions remportèrent plusieurs victoires sur les troupes de Chosroès ; et, en quelques années, toutes les provinces romaines furent arrachées aux Perses. Héraclius, après avoir conclu une paix honorable avec Siroës, le fils dénaturé qui avait fait mourir en prison le malheureux Chosroès, fit lui-même le pèlerinage de Jérusalem (629). Le bois de la vraie croix rendu par Siroës fut solennellement rétabli a sa place ; l'empereur porta lui-même cette relique jusqu'au Calvaire, où le patriarche Zacharie, revenu de captivité, la reçut avec son clergé, et la montra au peuple. Telle est l'origine de la fête de l'Exaltation de la croix, que l'Église catholique célèbre le 14 septembre. Les églises chrétiennes se relevèrent dans leur ancienne magnificence, et l'empereur, en vertu de la loi d'Adrien, renouvela aux Juifs la défense de s'approcher de la ville sainte. Héraclius, lié par des engagements solennels qu'il avait pris antérieurement envers les Juifs de les protéger contre leurs persécuteurs, voulut d'abord arrêter les actes de cruauté auxquels les chrétiens menaçaient de se livrer ; mais il céda aux vives instances des chrétiens de Jérusalem, qui le délièrent de ses serments, promirent de lui obtenir, par le jeûne et la prière, le pardon du ciel, et lui persuadèrent de laver ses péchés dans le sang des infidèles. L'empereur, étouffant la voix de la conscience, permit le massacre des Juifs ; et on en tua un nombre immense dans les environs de Jérusalem[38].

A la même époque, une grande révolution se prépara en Asie ; l'islamisme venait d'élever son victorieux étendard. Des provinces entières de l'Empire furent subjuguées par les musulmans, qui, sous les généraux du khalife Omar, s'approchèrent de la Palestine, où le croissant allait être substitué à la croix. Déjà une grande partie de la Syrie était conquise : les Grecs venaient de perdre, en Pérée, la bataille décisive qui rendit célèbre le nom de la petite rivière du Yarmouk ; la Palestine était sans défense contre les musulmans, qui, sous le commandement de Khaled et d'Abou-Obéida, vinrent mettre le siège devant Jérusalem (636). Les débris de l'armée d'Héraclius s'y étaient réfugiés après la bataille du Yarmouk ; les fortifications avaient été restaurées depuis l'invasion de la Syrie, et la ville disposait de grands moyens de défense. Le siège dura quatre mois, et il ne se passa pas un jour sans une attaque ou une sortie[39]. L'hiver ajouta ses rigueurs aux fatigues des assiégeants ; mais les Arabes ne se découragèrent point, et les chrétiens durent enfin céder à tant de persévérance. Le patriarche Sophronius demanda à capituler ; mais il désira traiter avec le khalife en personne, dont probablement il avait entendu vanter la modestie et la générosité. Omar, arrivé de Médine, accorda aux habitants de Jérusalem une paix généreuse et le libre exercice de leur culte dans l'intérieur des églises. Sa clémence dut faire faire à Sophronius des réflexions humiliantes sur les atrocités naguère commises par les chrétiens ; elle ne fut pas imitée par les chrétiens d'Europe, qui, au bout de quatre siècles et demi, vinrent établir à Jérusalem leur domination éphémère.

Dans la capitulation accordée par Omar, il fut stipulé, dit-ou, qu'il ne serait pas permis aux Juifs de s'établir à Jérusalem[40]. Si le fait est vrai, la capitulation d'Omar a été violée par ses successeurs, sur œ point comme sur beaucoup d'autres ; car il est certain que la domination musulmane rouvrit aux Juifs les portes de la ville sainte.

Omar ordonna la construction d'une mosquée sur remplacement de l'ancien temple des Juifs ; il fut lui-même le premier qui mit la main à l'œuvre pour enlever les décombres et déblayer le terrain[41]. On rapporte que le patriarche Sophronius ne put supporter la vue de cet édifice consacré au culte des infidèles, et qu'il mourut de désespoir.

Omar laissa en Palestine une division de son armée, sous les ordres d'Amrou et de Yézid, tandis que le gros de l'armée, sous le commandement d'Abou-Obéida et de Khaled, se dirigea vers Antioche et Alep. — La conquête de la Palestine fut achevée, en 638, par la prise de Césarée, que Constantin, fils aîné d'Héraclius, défendait avec quarante mille hommes. Constantin, ayant appris que son père venait de quitter la Syrie, n'eut pas le courage de résister aux musulmans ; il s'embarqua pendant la nuit, et Césarée ouvrit ses portes aux troupes du khalife[42].

La Palestine, devenue une des provinces du khalifat, partagea depuis lors, le sort du vaste empire arabe. Soliman, fils d'Abdalmélic, septième khalife de la dynastie des Ommiades, qui régnait de 715 à 718, fonda en Palestine la ville de Ramla. — En 748, la dynastie des Ommiades fut remplacée par celle des Abbassides ; le siège du khalifat fut éloigné de la Syrie et transféré de Damas dans l'Irak arabe, ou la Babylonie, où le second khalitb de cette dynastie, Abou-Djaafar Almansour, fonda la ville de Bagdad. Le sort des chrétiens de la Palestine n'était pas heureux sous les successeurs d'Omar ; à Jérusalem, ils habitaient tin quartier particulier et payaient un tribut pour la protection qui leur était accordée[43]. Malgré l'oppression qui pesait sur les chrétiens, et les périls de tous genres auxquels étaient exposés les voyageurs, on voyait alors en Palestine une grande affluence de pèlerins chrétiens de toutes les sectes. Vers le commencement du huitième siècle, un évêque des Gaules, saint Arculphe, vint à Jérusalem et y resta neuf mois ; le récit de son pèlerinage, rédigé par Adamman, abbé d'un monastère des îles Britanniques, renferme beaucoup de détails sur la ville sainte, et notamment sur les monuments chrétiens. En parlant de la mosquée d'Omar, il se borne à dire que cette vile construction sarrasine pouvait renfermer trois mille hommes. Il nous apprend qu'une foire se tenait dans la ville sainte, tous les ans, le 15 septembre, et qu'une grande multitude d'hommes accourait alors à Jérusalem. Il ajoute que la présence des chameaux, des chevaux et des bœufs, remplissait d'ordures la ville sacrée, mais qu'après la foire une pluie miraculeuse faisait disparaître ces vastes immondices[44].

Le règne d'Haroun-al-Raschid (786- 809) amena aux chrétiens de Palestine des jours plus calmes. A cette époque, la gloire de Charlemagne, qui s'était étendue jusqu'en Asie, protégea les églises d'Orient. Le khalife, qui faisait la guerre à l'empire d'Orient, pouvait craindre l'intervention des peuples chrétiens d'Europe. Afin d'ôter aux Francs tout prétexte d'une guerre religieuse, qui aurait pu leur faire embrasser la cause des Grecs et les attirer en Asie,  le khalife ne négligea aucune occasion d'obtenir l'amitié de Charlemagne, et lui fit présenter les clefs du Saint-Sépulcre et de la ville sainte[45].

En 842, sous le khalifat d'Al-Motasem, un certain Tamîm, surnommé Abou-Harb, excita des troubles en Palestine. Ayant rassemblé des gens sans aveu et misérables, au nombre de trente ville, il se livra avec.eux au pillage et au meurtre, disant combattre pour la religion qui était foulée aux pieds. Il pénétra dans Jérusalem et menaça de brûler les églises ; mais le patriarche lui ayant donné une grande somme d'argent, il se retira. Les révoltés furent défaits par les troupes du khalife, qui tuèrent huit mille hommes et firent mille prisonniers. Abou-Harb, blessé, fut envoyé au khalife[46].

En 878, la Syrie et la Palestine furent conquises par Ahmed ben-Touloun, qui, fils d'un esclave turc, favori du khalife Al-Mamoun, avait été nommé gouverneur d'Égypte par le khalife Al-Motazz (868) et venait d'usurper, sous Al-Motamed, la souveraineté de ce pays. Ahmed mourut en 884 et eut pour successeur son fils aîné Khamarouya. Celui-ci fut assassiné à Damas en 896 ; son fils Djéisch eut le même sort, l'année suivante, Haroun, autre fils de Khamarouya, succéda à Djéisch, mais il fut tué, au commencement de l'an 905, par ses deux oncles, Schéibàn et Adi, fils d'Ahmed-ben-Touloun. Schéibân s'était à peine emparé du gouvernement, qu'il fut attaqué et défait par Mohammed-ben-Soléimân, un des généraux du khalife Al-Moktafi, qui le fit mourir, ainsi que tous ses frères. Ainsi s'éteignit la dynastie des Toulounides, et leurs États rentrèrent sous la domination des khalifes de Bagdad[47].

Quelque temps après, Jérusalem acquit pour plusieurs années une grande importance dans le monde musulman ; car l'invasion des Karmates ayant interrompu le pèlerinage de la Mecque, la mosquée d'Omar remplaça la Caaba, et, pendant plus de vingt ans, les troupes des pèlerins se dirigeaient vers Jérusalem. L'interruption du pèlerinage de la Mecque, commencée l'an 317 de l'hégire (929), sous le khalifat d'Al-Moktader, se prolongea jusqu'en 339 (950)[48].

En 936 ou 937, un Turc, Aboubecr Mohammed, fils de Tagadj, surnommé Ikhschîd, se rendit maître de la Palestine, de la Syrie et de l'Égypte. A sa mort (945), l'eunuque Cafour, qu'il avait nommé tuteur de ses deux enfants, s'empara du pouvoir ; ce ne fut qu'après la mort de Cafour (968) qu'Aboul-Fawâris, fils d'Ali et petit-fils d'Ikhschîd, reprit le titre de prince.

Au milieu de ces révolutions, lorsque le vaste empire des Abbassides s'écroulait de toutes parts, l'empereur Nicéphore Phocas et son meurtrier et successeur Zimiscès profitèrent des divisions des musulmans pour envahir la Syrie. Les triomphes de Nicéphore se bornèrent à l'occupation passagère d'Antioche et peut-être aussi de Gaza[49], et ne servirent qu'à faire persécuter les chrétiens de la Palestine. Le patriarche de Jérusalem, accusé d'entretenir des intelligences avec les Grecs, expira sur un bâcher, et plusieurs églises de la ville sainte furent livrées aux flammes[50]. Zimiscès poursuivit la guerre contre les musulmans ; s'avançant dans la Syrie, il s'empara de Damas, traversa le Liban et soumit plusieurs villes de la Judée. Une relation arménienne lui attribue même la prise de Jérusalem, et rapporte une lettre que Zimiscès écrivit alors au roi d'Arménie et dans laquelle il regrette que les événements de la guerre ne lui aient pas permis de voir la ville sainte, qui venait d'être délivrée de la présence des infidèles et dans laquelle il avait envoyé une garnison chrétienne[51]. Mais il y a lieu de douter de la vérité de ce fait. — Zimiscès passa l'Euphrate, et menaçait déjà le siège du khalifat ; mais le manque de vivres obligea l'armée grecque de se retirer[52]. Zimiscès se proposait d'enlever aux musulmans toutes les provinces de la Syrie et de l'Égypte, lorsqu'il mourut empoisonné (975).

La Palestine venait de tomber au pouvoir de Moezz-Ledîn-Allah khalife de la dynastie des Fatimites en Afrique, qui soumit à son sceptre l'Égypte et la Syrie (972). Moezz et son successeur Azîz traitèrent avec indulgence les chrétiens, qui se félicitaient d'être débarrassés du joug des Turcs. Mais le troisième khalife d'Égypte, Al-Hakem-Biamr-Allah, qui monta sur le trône en 996, à l'âge de onze ans, signala son règne par tous les excès de la cruauté et de la démence. Ce Néron de l'Égypte, n'osant se livrer à l'égard des musulmans à tous les emportements de sa frénésie, lit tomber toute sa colère sur les Juifs et les chrétiens, qu'il persécuta de la manière la plus cruelle et la plus extravagante. Ce qui nous intéresse ici ce sont ces actes de barbarie envers les chrétiens de Jérusalem. L'an 1008 ou 1010[53], il ordonna de détruire de fond en comble l'église du Saint-Sépulcre, parce qu'on lui avait rapporté que les prêtres chrétiens, à la veille de Pâques, faisaient descendre le feu sacré sur les lampes du Saint-Sépulcre, au moyen de cordons graissés d'huile et couverts de soufre et autres matières inflammables, faisant croire à la foule que le feu tombait du ciel[54]. Quelques auteurs chrétiens ont prétendu que ce furent les Juifs d'Europe, et notamment ceux d'Orléans, qui excitèrent le khalife à sévir contre les chrétiens et à détruire l'église du Calvaire[55]. Cette fable absurde, qui a été reproduite de nos jours dans un ouvrage intitulé Histoire[56], fut inventée par les moines pour cacher les vrais motifs de la colère de Hakem et pour provoquer à la persécution et au massacre des Juifs d'Europe. Les auteurs orientaux, qui durent être mieux informés à cet égard, indiquent comme véritable motif de l'ordre de Hakem, la dénonciation de la descente artificielle du feu sacré, et Aboulfaradj, ou Barbebræus, quoique chrétien, a rendu hommage à la vérité : L'auteur de cette persécution, dit-il[57], fut quelque ennemi des chrétiens, qui raconta à Hakem que lorsque les chrétiens s'assemblaient dans le temple de Jérusalem pour célébrer la pâque, les chapelains de l'église, usant d'un artifice, graissaient d'huile de baume la chaîne de fer à laquelle était suspendue la lampe au-dessus du tombeau. L'officier arabe ayant scellé la porte qui conduisait au tombeau, ils mettaient le feu par le toit à l'extrémité de la chaîne de fer ; le feu descendait aussitôt jusqu'à la mèche et l'allumait. Alors ils s'écriaient, en pleurant : Kyrie eleison, comme s'ils voyaient le feu tombant du ciel sur le tombeau, et se fortifiaient par là dans leur foi. Au reste, il n'y a rien d'étonnant dans cet acte commis par un homme qui poussa la folie jusqu'à se faire rendre un culte divin, et qui avait la prétention de rivaliser avec Jésus-Christ, eu se faisant passer pour l'incarnation de Dieu[58].

Un complot, à la tête duquel se trouva la sœur de Hakem, mit fin aux jours du tyran et fit cesser l'affliction des chrétiens (1020). L'église du Saint-Sépulcre ne fut rebâtie que sous le khalifat d'Al-Mostanser-Billah, petit-fils de Hakem ; ce khalife demanda à l'empereur grec (Constantin Monomaque) de faire relâcher, à cet effet, cinq mille prisonniers musulmans, qui devaient être chargés des travaux de construction. L'empereur accorda cette demande et envoya, en outre, de grandes sommes d'argent pour subvenir aux frais (entre 1046 et 1048)[59].

Bientôt les Turcs Seldjoukides, qui avaient établi leur domination dans une grande partie de l'Asie et s'étaient faits les protecteurs du khalifat de Bagdad, dirigèrent leurs armes victorieuses contre les Fatimites. En 1071, Atsiz, un des généraux sous les ordres de Malec-Schah, fils du sultan Alp-Arslân le Seldjoukide, enleva Ramla et ensuite Jérusalem au khalife Al-Mostanser-Billah, et y rétablit la khotba (la prière pour le souverain) au nom du khalife abbasside. Il sévit également contre les chrétiens et les musulmans d'Égypte, livra au pillage les églises et les mosquées et remplit de carnage la ville sainte. En 1076, sous le règne de Malec-Schah, Atsiz parvint aussi à s'emparer de Damas, ainsi que de Baniâs (Panéas) et de Joppé. En 1078 ou 1079, Atsiz, assiégé a Damas par les Égyptiens, appela à son secours Tàdj -al-Daula-Toutousch, frère de Malec-Schah, qui poursuivait ses conquêtes dans la Syrie. A l'approche de Toutousch, les Égyptiens s'enfuirent. Atsiz alla recevoir le prince aux portes de la ville ; mais Toutousch, irrite de ce qu'Atsiz n'était pas venu le complimenter à une plus grande distance, le lit arrêter et mettre à mort[60]. Toutousch confia le gouvernement de Jérusalem et de la Palestine à un Turc de distinction, nommé Ortok ; celui-ci étant mort en 1091, ses deux fils Socmân et Ilgazi gouvernèrent ensemble en Palestine, soit pour les princes seldjoukides, qui se faisaient la guerre les uns aux autres, soit pour leur propre compte ; car après la mort de Malec-Schah (1092), la Syrie fut divisée en plusieurs petits États.

En 1095, Toutousch ayant été assassiné à Damas, Al-Mostaali-Billah, khalife d'Égypte, envoya en Palestine une armée sous les ordres d'Al-Afdhal-ibn-Bedr, son généralissime, qui, l'année suivante (1096), prit possession de Jérusalem par capitulation, après un siège de quarante jours, et en expulsa les fils d'Ortok. Socmân se rendit à Édesse, et Ilgazi à Bagdad[61]. Mostaali ne resta pas longtemps en possession de la ville sainte ; ce fut sous son règne que les croisés arrivèrent sur les côtes de la Syrie.

La cour de Bagdad n'avait mis aucun obstacle aux pèlerinages des chrétiens d'Occident, dans lesquels les khalifes trouvaient un moyen d'augmenter leurs revenus ; mais, depuis que des princes turcs s'étaient établis en Palestine, les pèlerins étaient exposés à toutes sortes d'avanies, et les portes de la ville sainte ne s'ouvraient que pour ceux qui pouvaient payer une pièce d'or. Le plus grand nombre périssait par le besoin ou par le glaive des barbares[62]. Depuis longtemps les plaintes des pèlerins retentissaient par toute l'Europe, et on dépeignait sous les couleurs les plus sombres le sort des chrétiens qui habitaient les lieux saints. L'éloquence de Pierre l'Ermite souleva les populations fanatisées, et les princes de la chrétienté profitèrent de l'enthousiasme populaire pour entreprendre une guerre que les intérêts politiques et religieux de l'Europe avaient depuis longtemps rendue nécessaire. Les musulmans occupaient l'Espagne depuis près de quatre siècles ; ils s'étaient emparés de la Sicile, et une fois même ils avaient pénétré jusqu'en France. Ce fut donc avec empressement qu'on dut saisir l'occasion d'affaiblir la domination musulmane en Orient, afin de tenir en respect les dynasties d'Afrique et d'Espagne. En même temps l'empereur Alexis Comnène, menacé par les Turcs, envoya au pape des ambassadeurs pour solliciter les secours de l'Europe. Il pouvait, disait-il, supporter l'idée de perdre sa couronne, mais non la honte de voir ses États soumis aux lois de Mahomet ; s'il devait un jour perdre l'empire, il s'en consolait d'avance, pourvu que la Grèce échappât au joug des musulmans et devînt le partage des Latins[63].

Au concile général de Clermont (novembre 1095), Pierre l'Ermite parut à côté du pape Urbain II ; leurs discours électrisèrent l'assemblée, et la croisade fut résolue au cri unanime de Dieu le veut. Le cardinal Grégoire prononça à haute voix une formule de confession générale ; tous les assistants se prosternèrent, et le pape leur donna l'absolution de leurs péchés. Tous ceux qui s'engagèrent à aller combattre en Asie, ou, comme on disait, à marcher dans la voie de Dieu, attachèrent sur leurs vêtements une petite pièce d'étoffe rouge en forme de croix. Le pape Urbain, qui n'avait point encore triomphé de l'antipape Guibert et qui ne pouvait quitter l'Europe, nomma Adhémar de Monteil, évêque du Puy, son légat apostolique auprès de l'armée des chrétiens, dont le départ fut fixé au 15 août 1096[64].

Le concours des chrétiens qui voulurent prendre part à la guerre sacrée fut immense ; mais, pour cette fois, aucun roi de l'Europe ne fut au nombre des croisés. A la tête des chefs de la première croisade se place Godefroy de Bouillon, duc de la basse Lorraine, qui réunit quatre-vingt mille fantassins et dix mille cavaliers ; il avait avec lui ses frères Eustache de Boulogne et Baudouin. Les autres chefs les plus illustres furent Hugues, comte de Vermandois, frère du roi Philippe Ier ; Robert, duc de Normandie, fils aîné de Guillaume le Conquérant ; Étienne, comte de Blois et de Chartres ; Robert, comte de Flandre, et Bohémond, prince de Tarente, accompagné du célèbre Tancrède. Raymond, comte de Toulouse, qui avait avec lui l'évêque Adhémar de Monteil, réunit à lui seul une armée de cent mille croisés.

Dès le commencement du printemps, rien ne put contenir l'impatience de Pierre l'Ermite, qui devança les autres croisés à la tête de quatre-vingt ou cent mille hommes ; son armée était divisée en deux corps, dont l'un, formant l'avant-garde, marchait sous les ordres de Gauthier Sans-avoir, et l'autre était commandé par Pierre en personne. Quelque temps après, trois autres bandes d'environ douze mille hommes chacune partirent de plusieurs provinces d'Allemagne sous le commandement de deux prêtres, Gotschalk et Vollimar, et d'un comte, Emicon de Leiningen. Toutes ces troupes, sorties de la lie du peuple, ressemblaient plutôt à des hordes de brigands qu'à une armée. On connaît les affreux désordres qu'ils commirent partout sur leur passage, les horribles massacres des Juifs, auxquels ces soldats du Christ voulurent imposer le baptême, après leur avoir arraché leurs biens, mais qui partout préférèrent la mort à l'apostasie. La plupart de ces brigands périrent sous les coups des Hongrois et des Bulgares. Parmi le petit nombre de ceux qui trouvèrent leur salut dans la fuite, les uns retournèrent dans leur pays, les autres se réfugièrent à Constantinople. Leur soif de brigandage ne respecta même pas le territoire de l'Empire, et Alexis, pour se délivrer de ces hôtes destructeurs, leur fournit des vaisseaux et les fit transporter en Bithynie. Environ trois cent mille chrétiens d'Europe avaient trouvé la mort, sans voir la terre sainte, lorsque Godefroy de Bouillon se mit en marche avec l'armée régulière des croisés.

Il n'est pas de notre mission de raconter ici la marche de cette armée formidable et ses démêlés avec l'empereur Alexis, effrayé du nombre immense de ses libérateurs. Nous avons hâte de voir arriver les croisés en Palestine, après la conquête de Nicée et d'Antioche. Les six cent mille croisés partis d'Europe en 1096 étaient réduits au nombre de cinquante mille.

Au mois de mai 1099, ils s'avancèrent entre le Liban et la côte de la Méditerranée vers la Palestine ; la plupart des villes de la côte se rendirent ou se soumirent au tribut. Après avoir passé par Ramla et Emmaüs, les croisés arrivèrent, le 7 juin, sur une hauteur d'où l'on remarquait Jérusalem. A la vue de la sainte cité, les cris de Jérusalem, Dieu le veut, retentissaient de toutes parts ; les guerriers se prosternaient et versaient des larmes de joie, et tous renouvelaient le serment de délivrer Jérusalem du joug des musulmans. Dès le lendemain ils s'occupèrent de former le siège de la ville. Un premier revers leur apprit que leur enthousiasme seul ne suffisait pas, et qu'au lieu de compter sur des prodiges, il fallait construire des machines de guerre. Ce ne fut qu'avec beaucoup de peine qu'ils purent se procurer le bois nécessaire, et, pendant les travaux, sous un soleil ardent, ils se trouvèrent bientôt en proie à toutes les horreurs de la soif. Le 14 juillet, les croisés tentèrent un assaut général ; mais ils trouvèrent partout une résistance opiniâtre, et après douze heures d'un combat infructueux, la nuit obligea les chrétiens de rentrer dans leur camp. Le lendemain matin, le vendredi 15 juillet, l'armée chrétienne, encouragée par les discours de ses chefs, s'avança de nouveau vers la muraille, aux chants religieux du clergé qui marchait en procession autour de la ville. Le premier choc fut terrible ; mais, malgré le courage et l'impétuosité des chrétiens, la moitié de la journée se passa en efforts inutiles, et la victoire paraissait pencher du côté des musulmans. Déjà l'armée des croisés commençait à perdre courage, lorsqu'elle vit paraître sur la montagne des Oliviers un cavalier agitant un bouclier et paraissant donner aux assiégeants le signal pour entrer dans la ville. Godefroy et Raymond s'écrièrent que c'était saint Georges qui venait au secours des chrétiens. Alors toute l'armée, animée d'un nouveau courage, revint à la charge ; les femmes elles-mêmes se mêlèrent aux combattants et voulurent partager la gloire de la conquête. En même temps on fit répandre le bruit que l'évêque Adhémar et plusieurs croisés, morts pendant le siège, venaient de paraître à la tête des assaillants et d'arborer les drapeaux chrétiens sur les tours de Jérusalem. Au bout d'une heure, la tour de Godefroy laissa tomber son pont-levis sur la muraille ; un' gentilhomme flamand, Letholde de Tournay, fut le premier qui s'élança sur les murs ; son frère Engelbert le suivit, et Godefroy fut le troisième. Bientôt toute la ville fut envahie par les chrétiens. Les musulmans, se réfugièrent en grand nombre dans la grande mosquée d'Omar ; les croisés les y poursuivirent et y renouvelèrent les horribles scènes de carnage dont, mille vingt-neuf ans auparavant, les soldats de Titus avaient souillé ces mêmes lieux, environ à la même époque de l'année. Un écrivain chrétien, témoin oculaire, dit que sous le portique et le parvis de la mosquée le sang s'élevait jusqu'aux genoux et jusqu'au frein des chevaux[65]. C'est bien mal à propos qu'un écrivain illustre a cru, en parlant des croisades, devoir rappeler cette vérité : que l'esprit du mahométisme est la persécution et la conquête, et que l'Évangile, au contraire, ne prêche que la tolérance et la paix[66]. Les champions du Christ donnèrent à ses doctrines un sanglant démenti, et nous verrons le noble Saladin, à l'exemple dé l'humble et généreux Omar, oublier les sévères préceptes du prophète de la Mecque. Les croisés se rappelèrent à peine quelques moments qu'ils étaient venus pour adorer le tombeau du Christ ; après s'être prosternés avec une pieuse ferveur dans l'église de la Résurrection, et avoir apaisé les premières fureurs, ils recommencèrent froidement les scènes de carnage, qui ne cessèrent qu'au bout d'une semaine. Plus de soixante-dix mille musulmans, de tout âge et de tout sexe, furent massacrés dans Jérusalem ; quant aux Juifs, on les enferma dans leurs synagogues et on les y brûla[67].

Dix jours après la victoire, les croisés s'occupèrent d'élire un roi : Godefroy de Bouillon réunit tous les suffrages ; il n'accepta que le titre modeste de défenseur et de baron du Saint-Sépulcre, et refusa le diadème et les marques de la royauté, ne voulant point, disait-il, porter une couronne d'or, où Jésus-Christ avait porté une couronne d'épines. Le choix des ministres de l'Église fut moins heureux. Un prêtre, dont les mœurs étaient plus que suspectes, Arnould de Rohes, fut nommé pasteur de l'église de Jérusalem, sans qu'on eût attendu la mort du patriarche grec Siméon. Ce dernier était dans file de Chypre, d'où il n'avait cessé d'envoyer des vivres aux croisés pendant le siège. Arnould réclama aussitôt les trésors enlevés par Tancrède dans la mosquée d'Omar ; mais ses prétentions furent repoussées avec dédain.

Le royaume de Godefroy ne se composait encore que de Jérusalem, de Joppé et d'une vingtaine de petits bourgs. Le khalife d'Égypte envoya contre Godefroy son vizir Al-Afdhal, avec une puissante armée ; mais les croisés remportèrent sur les Égyptiens une victoire éclatante, dans les plaines d'Ascalon. Baudouin, prince d'Édesse, et Bohémond, prince d'Antioche, étant venus à Jérusalem, Godefroy travailla avec eux à jeter les bases d'un code pour le nouveau royaume ; ce code, complété par les successeurs de Godefroy et connu sous le nom d'Assises de Jérusalem, introduisit en Orient la constitution féodale établie en Europe. Le règne de Godefroy dura à peine un an ; il mourut au mois de juillet 1100, laissant le trône mal assuré à son frère Baudouin, prince d'Édesse. La conquête d'une partie de la Galilée par Tancrède avait reculé les limites du petit royaume.

Baudouin soumit Arsouf, Césarée, Ptolémaïde et d'autres villes de la côte, et fit des expéditions au delà du Jourdain. Pour peupler la ville de Jérusalem, il y appela les chrétiens qui, à l'est du Jourdain, gémissaient encore sous l'oppression des musulmans. Il mourut, au milieu de ses victoires, en 1118, lorsqu'il venait de prendre Pharamia, située à quelques lieues des ruines de Thanis et de Péluse. Il eut pour successeur son cousin Baudouin Dubourg, qui déjà l'avait remplacé dans le comté d'Édesse.

Baudouin II fut moins heureux que ses prédécesseurs : en 1122, s'étant rendu dans les environs d'Édesse pour chercher à délivrer Josselin de Courtenay et son cousin Galeran, faits prisonniers par Baise, émir des Turcomans, il tomba lui-même dans les embûches de l'émir, qui le fit conduire à Harrân, en Mésopotamie. Après la conquête de Tyr par les croisés (1124), Baudouin profita de la confusion répandue parmi les musulmans, pour traiter de sa rançon et recouvrer sa liberté. Le butin d'une victoire qu'il remporta dans le territoire de Damas lui servit à racheter les otages qu'il avait laissés entre les mains des Turcs. Il mourut en 1131, après une expédition malheureuse contre Damas. Ce fut sous le règne de Baudouin II que les ordres militaires et religieux des chevaliers de Saint-Jean ou des Hospitaliers et des chevaliers du Temple furent approuvés par le pape.

Le vieux Foulques, comte d'Anjou, arrivé en Palestine en 1129, avait épousé Mélisende, fille aînée de Baudouin II. Il devint l'héritier du royaume de Jérusalem ; car Baudouin n'avait pas d'enfants mâles. La prise de la ville de Panéas, appelée alors Belinas, fut le seul événement important de son règne. Foulques était trop âgé pour entretenir, par son exemple, l'esprit militaire des chrétiens ; vers la fin de son règne les États chrétiens penchaient déjà vers leur décadence. Il mourut à Ptolémaïde, en 1142, d'une chute de cheval. Il ne laissa pour lui succéder que deux jeunes enfants, Baudouin et Amaury.

Baudouin III, en montant sur le trône, était âgé à peine de quatorze ans ; sa mère Mélisende prit la régence du royaume. Quand Baudouin fut en âge de régner, il voulut profiter d'une trahison pour prendre possession de Bosra, dans le Haurân ; l'émir qui gouvernait cette ville au nom du prince de Damas, avait promis de la lui livrer. Mais cette expédition eut un résultat malheureux ; l'armée de Baudouin, après avoir éprouvé toutes sortes de misères, revint à Jérusalem couverte de confusion. A la même époque, Émâd-Eddîn Zengui, fondateur de la dynastie des A tabeks d'Irâk, s'empara de la ville d'Édesse, et y fit un grand carnage des chrétiens (1144). Cet événement donna lieu à la seconde croisade, prêchée par Bernard' abbé de Clairvaux, et qui fut résolue dans l'assemblée de Vézelay, le 31 mars 1146. Louis VII, pour expier l'incendie de Vitry, reçut la croix des mains de Bernard, qui alla ensuite à la diète que l'empereur d'Allemagne, Conrad III, tenait à Spire. Conrad, fléchi par l'éloquence de Bernard, prit la croix avec son neveu Frédéric. Chacun des deux monarques assembla une armée prodigieuse. Trahis par l'empereur grec Manuel Comnène et battus par les Turcs, Conrad et Louis arrivèrent enfin en Palestine, avec les débris de leurs troupes, au commencement de l'année 1148. Dans une assemblée convoquée à Ptolémaïde ou Saint-Jean d'Acre, par Baudouin III, on décida d'aller assiéger Damas. Déjà cette ville était près de céder aux vigoureuses attaques des chrétiens, et les assiégés songeaient à se ménager une retraite, lorsque la discorde et la trahison firent échouer l'entreprise. Quelques barons et seigneurs, qui se trouvaient dans l'armée chrétienne, demandèrent aux princes, les uns le gouvernement de la ville, les autres différents commandements dans la place dont on allait prendre possession. Voyant leurs prétentions repoussées, ils traitèrent avec les musulmans, qui leur donnèrent une somme considérable. Ils ralentirent les opérations du siège et firent adopter des mesures pernicieuses. Bientôt on apprit que les princes d'Alep et de Mossoul arrivaient avec une armée nombreuse, et le siège fut abandonné. Un auteur chrétien d'Orient assure que  le roi de Jérusalem se laissa corrompre lui-même par Man, prince de Damas, mais que celui-ci le trompa en lui donnant deux cent mille pièces de cuivre, revêtues d'une lame d'or[68]. Louis VII et Conrad se retirèrent à Jérusalem pleins de confusion. L'empereur d'Allemagne, instruit de la trahison, partit avec indignation et retourna dans son pays. Le roi de France resta encore près d'une année en Palestine, comme simple pèlerin. Par l'issue malheureuse de cette seconde croisade, les musulmans apprirent à ne plus redouter les guerriers du Christ, et les États chrétiens en Asie marchèrent vers une rapide décadence.

Depuis lors Noureddîn, fils de Zengui, s'agrandit en Mésopotamie et en Syrie. Baudouin III, qui entreprit d'arrêter ses progrès, chercha à agrandir son royaume par la prise d'Ascalon, qu'il conquit, après un siège opiniâtre, en 1153. Quelque temps après, Noureddîn se rendit maître de Damas (1154), et cette possession rendait sa puissance encore plus redoutable. L'année suivante, il battit Baudouin près du Jourdain ; le roi, resté presque seul sur le champ de bataille, se réfugia à travers les plus grands périls dans la forteresse de Sapheth. En 1155, Baudouin épousa une nièce de l'empereur Manuel, et ce mariage améliora considérablement la situation financière du royaume de Jérusalem.

Le reste du règne de Baudouin III n'offre pas de ait bien important. Des querelles intérieures entre le clergé de la ville sainte et les Hospitaliers refusant de payer la dîme de leurs biens, aboutirent d'un côté à des anathèmes, et de l'autre aux plus brutales voies de fait. Heureusement, la mort du vieux patriarche Foucher mit fin à la discorde et au scandale.

Renaud de Châtillon, prince d'Antioche, ayant été pris par les musulmans et conduit à Alep (1160), Baudouin fut appelé à Antioche pour prendre les rênes du gouvernement. Atteint d'une maladie grave, il se fit transporter à Tripoli, et de là à Beirouth, où il mourut, âgé de trente-trois ans (1162). Guillaume de Tyr accuse de sa mort les médecins syriens, qui lui donnèrent des pilules empoisonnées. On transporta ses restes mortels à Jérusalem. Il ne laissa point d'enfants, et ce ne fut qu'après de longs débats que son frère Amaury, dont on redoutait l'avarice et l'ambition, fut reconnu pour son successeur.

Amaury, dès les premiers jours de son règne, dirigea ses armes contre le khalife d'Égypte, qui avait refusé de payer le tribut auquel il s'était engagé envers les rois de Jérusalem. L'Egypte était alors le théâtre d'une guerre civile, occasionnée par l'ambition rivale de deux vizirs. L'un d'eux, Schawer, obligé de s'enfuir, alla implorer le secours de Noureddîn qui envoya sur les bords du Nil un de ses lieutenants appelé Schirkou. Cependant, Schawer ne remplit pas les promesses faites à Noureddîn, qui profita de cette occasion pour attaquer l'Égypte, dont il avait depuis longtemps convoité la possession. Le khalife Adhed Ledin-Allah sollicita l'alliance d'Amaury contre Noureddîn, en faisant aux chrétiens les plus brillantes promesses. Amaury battit plusieurs fois les troupes de Noureddîn, et fut comblé de richesses par le khalife. Mais bientôt il forma le projet de s'emparer lui-même de l'Égypte, et, violant la foi des traités, il assiégea tout à coup Bilbéis, qui ne tarda pas à se rendre, et marcha ensuite sur le Caire (1168). De nouvelles promesses d'argent engagèrent Amaury à suspendre les hostilités ; mais, au moment où il espérait emporter à Jérusalem les trésors de l'Égypte, il fut obligé de se retirer devant une puissante armée envoyée par Noureddîn, que le khalife avait appelé à son secours, et qui, trop content de trouver cette occasion d'envahir l'Égypte, ne tint aucun compte des négociations intervenues entre le khalife et les chrétiens. Schirkou, de nouveau maître de l'Égypte, sut se faire nommer généralissime du khalife Adhed, qui n'exerçait plus aucun pouvoir réel. Quelque temps après, Schirkou étant mort, son neveu, Salaheddîn Yousouf, fils d'Ayyoub, le remplaça comme vizir de l'Égypte. C'est le célèbre héros, connu sous le nom de Saladin, qui renversa le khalifat des Fatimites, pendant qu'Adhed était sur son lit de mort (1171), et qui, d'abord gouverneur au nom de Noureddîn, se rendit bientôt indépendant et s'empara, après la mort de ce dernier (1174) de Damas et de la plus grande partie de l'empire des Atabeks. Amaury, qui mourut en 1173, avait assisté à la naissance et au développement de la puissance de Saladin, et avait en vain imploré le secours des chrétiens d'Occident pour arrêter les progrès d'un ennemi aussi redoutable. Il laissa son royaume, entouré des plus grands dangers, à son fils Baudouin IV, frêle enfant, âgé de treize ans.

Pendant la minorité de Baudouin IV, Raymond III, comte de Tripoli, était chargé de la régence. En 1178, pendant que les forces des Francs s'étaient dirigées vers Antioche, Saladin, à la tête d'une puissante armée, se mit en marche pour attaquer la Palestine. Le jeune roi de Jérusalem le battit près d'Ascalon, et le fora de se retirer. Mais Saladin prit bientôt sa revanche ; s'avançant de nouveau dans la Palestine (1179), il attaqua les chrétiens sur les bords du Jourdain, dans le lieu appelé le pont de Jacob, et prit d'assaut la forteresse que les Francs y avaient fait construire pour défendre la Galilée et les deux rives du Jourdain. Les chrétiens n'échappèrent à de plus grands désastres que par une calamité publique : une famine qui désolait alors le pays détermina Saladin à conclure une trêve de deux ans avec le royaume de Jérusalem, et à se retirer en Égypte (1180). Cependant, dès l'année suivante, il trouva un prétexte pour rompre la trêve. Après avoir ravagé la Galilée, il passa le Jourdain et se rendit sur les bords de l'Euphrate, d'où chaque jour on s'attendait à le voir revenir avec de nouvelles forces. Baudouin, qui depuis longtemps était atteint de la lèpre, et qui venait de perdre la vue, confia les soins de l'administration et le commandement des troupes à Guy de Lusignan, arrivé depuis peu dans la terre sainte et dont le roi avait fait son beau-frère, en lui donnant en mariage sa sœur aînée, la princesse Sibylle. Celle-ci avait été mariée, en 1178, à Guillaume, marquis de Montferrat, surnommé Langue-Epée, qu'on avait fait venir en Palestine ; mais le marquis ne vécut que deux mois après son mariage, et sa jeune veuve entretint avec Guy des relations de galanterie que le roi Baudouin dut consacrer par une union légitime. Guy de Lusignan se montrait peu digne du poste élevé que le roi lui avait confié ; Saladin ayant pénétré de nouveau sur le territoire des chrétiens, faisait dévaster les campagnes, emmener les femmes et les enfants, et livrer aux flammes les bourgs et les villages, sans que Guy, campé avec plus de vingt mille hommes en présence de l'ennemi, osât présenter le combat. De toutes parts il s'éleva des murmures contre le régent, et Baudouin, partageant l'indignation générale, lui retira le commandement et confia l'administration du royaume au comte de Tripoli. En même temps il fit couronner Baudouin V, enfant de cinq ans, né du premier mariage de Sibylle avec Guillaume Longue-Épée. Baudouin IV, qui avait été assez heureux pour obtenir de Saladin une nouvelle trêve, mourut en 1185 ; le comte de Tripoli voulut conserver la régence, mais Sibylle cherchait à donner le sceptre à son époux. Ces dissensions duraient encore, quand Baudouin V mourut subitement, en 1186, sept mois après la mort de son oncle. Selon quelques historiens, il fut empoisonné par Raymond ; d'autres accusent l'ambition de sa mère. Malgré la vive opposition du comte de Tripoli et des barons, qui voulaient donner la couronne a Homfroi de Thoron, mari d'Isabelle, seconde fille d'Amaury, les intrigues de Sibylle eurent un succès complet, et elle fut couronnée avec son mari, Guy de Lusignan, dans l'église du Saint-Sépulcre.

L'inaptitude et la mollesse du nouveau roi, les querelles des partis et l'extrême licence des mœurs qui régnait dans la ville sainte, et dont le patriarche Héraclius lui-même donnait l'exemple, faisaient pressentir la ruine prochaine du royaume de Jérusalem. L'ancien ennemi du genre humain, dit un historien de ce temps-là, portait partout son esprit de séduction, et régnait surtout à Jérusalem. Les autres nations qui avaient reçu de ce pays les lumières de la religion en recevaient alors l'exemple de toutes les iniquités ; aussi, Jésus-Christ méprisa-t-il son héritage, et permit-il que Saladin devînt la verge de sa colère[69].

La trêve conclue avec Saladin fut subitement rompue par Renaud de Châtillon, qui dépouilla près de Kérek une riche caravane musulmane. Saladin, indigné de cette perfidie, dévasta les environs de Kérek et de Schaubek, tandis que son fils Al-Afdhal passa le Jourdain et s'avança dans la Galilée (mars et avril 1187). Le 1er mai, quelques centaines de chrétiens attaquèrent près de Nazareth sept mille musulmans. La troupe chrétienne succomba après avoir fait des prodiges de valeur ; le grand maître du Temple et deux de ses chevaliers échappèrent seuls au carnage. Deux mois après, Saladin étant venu occuper Tibériade, et ayant rassemblé aux environs de cette ville une armée de quatre-vingt mille hommes, Guy de Lusignan, par les conseils du grand maître des Templiers, marcha contre l'ennemi, avec cinquante mille hommes, malgré l'opposition du comte de Tripoli, qui, montrant les dangers d'une agression imprudente, voulut qu'on sacrifiât Tibériade, et que l'armée chrétienne restât aux environs de Séphoris, où elle avait de l'eau et des vivres. Le grand maître accusa Raymond de trahison, et le roi donna l'ordre de marcher contre l'ennemi. Dans la matinée du 3 juillet, l'armée chrétienne sortit de son camp de Séphoris, pour marcher vers Tibériade. Arrivée près de la colline de Hottéin ou Hittin, elle rencontra les musulmans, qui fermaient l'approche du lac, et elle eut beaucoup à souffrir de la disette d'eau. Guy, n'osant plus avancer, donna l'ordre de planter les tentes. Les chrétiens passèrent une nuit affreuse, tourmentés par la soif, accablés par une nuée de flèches que les musulmans lancèrent. contre eux et étouffés par la fumée sortant des bruyères auxquelles l'ennemi avait mis le feu. Le lendemain matin, 4 juillet, Saladin sortit de Tibériade avec toute son armée ; les chrétiens furent bientôt mis en désordre. Le comte de Tripoli, qui commanda l'avant-garde, voyant que toute l'armée chrétienne ne présentait plus qu'une multitude confuse, se fraya un chemin à travers les ennemis et se retira du combat[70]. L'évêque de Ptolémaïde, qui portait le bois de la vraie croix, reçut une blessure mortelle et laissa la croix à l'évêque de Lydda, qui tomba bientôt, avec ce palladium des chrétiens, entre les mains des ennemis. Le roi et le grand maître des Templiers furent faits prisonniers ; tous les Templiers et Hospitaliers furent tués ou pris, et Saladin souilla sa victoire du sang des prisonniers, voulant, disait-il, délivrer la terre de ces deux races immondes. Renaud de Châtillon fut décapité en présence du roi de Jérusalem ; le grand maître trouva grâce devant Saladin.

Par suite de cette victoire, la plus grande partie de la Palestine tomba au pouvoir des musulmans ; les principales villes se soumirent au sultan. Ascalon, après une résistance héroïque, se rendit enfin sur les instances de Guy de Lusignan, que Saladin conduisait avec lui en triomphe ; la principale condition que firent les assiégés, fut la mise en liberté du roi de Jérusalem ; Saladin accepta cette condition, mais il ne consentit à l'accomplir qu'après le délai d'une année. Sur la côte, les seules villes de Tyr et de Tripoli restaient encore aux chrétiens ; Tyr avait été assiégée sans succès, et Saladin avait dû abandonner le siège. Le sultan marcha enfin vers Jérusalem, où les débris de l'armée de Guy, les enfants des guerriers morts et un grand nombre de familles chrétiennes des provinces dévastées avaient cherché un refuge. On dit que cent mille personnes étaient enfermées dans la ville sainte ; mais on n'y comptait que peu de guerriers capables de la défendre, et la grande multitude ne faisait qu'augmenter le trouble et rendre la résistance plus difficile. Saladin somma les habitants de lui livrer la ville, en leur promettant des secours en argent et des terres fertiles en Syrie ; ces offres ayant été rejetées avec dédain, le sultan jura de renverser les tours et les remparts de Jérusalem et de venger sur les chrétiens le sang musulman versé par les soldats de Godefroy de Bouillon. Les assiégés choisirent pour chef Baléan d'Ibelin, vieux guerrier qui s'était trouvé à la bataille de Tibériade. Saladin, après avoir campé quelques jours à l'occident de la ville, dirigea ses attaques vers le nord, comme l'avaient fait tous ceux qui, dans les temps précédents, avaient assiégé Jérusalem.

Douze jours se passèrent en combats continuels ; les chrétiens montrèrent d'abord un grand courage et opposèrent une vive résistance ; mais bientôt, voyant que tous leurs efforts étaient inutiles contre les forces imposantes de l'ennemi, le désespoir s'empara d'eux. Les soldats n'osaient plus rester pendant la nuit sur les remparts qui menaçaient de s'écrouler sous le choc des machines de Saladin, et au lieu de prendre les armes, ils couraient aux églises pour invoquer la protection du ciel. Les Latins ayant appris que les chrétiens grecs et orientaux avaient formé un complot pour mettre fin à cette guerre désastreuse et livrer Jérusalem aux musulmans, se hâtèrent de demander une capitulation à Saladin. Les docteurs musulmans déclarèrent que le sultan pouvait accorder la capitulation sans violer son serment. Les guerriers obtinrent la permission de se retirer à Tyr ou à Tripoli ; les autres habitants devaient être considérés comme esclaves, mais il leur fut permis de racheter leur liberté. La rançon fut fixée à dix pièces d'or pour chaque homme, à cinq pour chaque femme, et à deux pour chaque enfant. Cette capitulation, à laquelle les auteurs chrétiens assignent diverses dates, eut lieu, selon le témoignage unanime de tous les auteurs arabes, le vendredi 27 du mois de Redjeb, de l'an 583 de l'hégire, correspondant au 2 octobre 1187. Un délai de quarante jours fut accordé aux chrétiens pour faire leurs préparatifs de départ, tandis que les musulmans prirent possession de Jérusalem. Voici comment le célèbre historien des croisades raconte le départ des chrétiens[71] :

Enfin arriva le jour fatal où les chrétiens devaient s'éloigner de Jérusalem. On ferma toutes les portes de la ville, excepté celle de David. Saladin, élevé sur un trône, vit passer devant lui un peuple désolé. Le patriarche, suivi du clergé, parut le premier, emportant les vases sacres, les ornements de l'église du Saint-Sépulcre et des trésors, dont Dieu seul, dit un autour arabe, connaissait la valeur. La reine de Jérusalem, accompagnée des principaux barons et chevaliers, venait ensuite ; Saladin respecta sa douleur, et lui adressa des paroles pleines de bonté. La reine était suivie d'un grand nombre de femmes qui portaient leurs enfants dans leurs bras, et faisaient entendre des cris déchirants. Plusieurs d'entre elles s'approchèrent du trône de Saladin : Vous voyez à vos pieds, lui dirent-elles, les épouses, les mères, les filles des guerriers que vous retenez prisonniers ; nous quittons pour toujours notre patrie, qu'ils ont défendue avec gloire ; ils nous aidaient à supporter la vie ; en les perdant, nous avons perdu notre dernière espérance ; si vous daignez nous les rendre, ils soulageront la misère de notre exil, et nous ne serons plus sans appui sur la terre. Saladin fut touché de leurs prières, et promit d'adoucir les maux de tant de familles malheureuses. Il rendit aux mères leurs enfants, aux épouses leurs maris qui se trouvaient parmi les captifs. Plusieurs chrétiens avaient abandonné leurs meubles et leurs effets les plus précieux, et portaient sur leurs épaules, les uns leurs parents affaiblis par l'âge, les autres leurs amis infirmes et malades. Saladin fut attendri par ce spectacle, et récompensa, par ses aumônes, la vertu et la piété de ses ennemis ; prenant pitié de toutes les infortunes, il permit aux Hospitaliers de rester dans la ville pour soigner les pèlerins et ceux que des maladies graves empêchaient de sortir de Jérusalem.

Sur cent mille chrétiens que renfermait Jérusalem, il ne resta dans l'esclavage que quatorze mille, parmi lesquels on comptait quatre à cinq mille enfants en bas âge. Baléan employa les trésors destinés aux dépenses du siège à délivrer une partie des habitants. Le généreux Saladin brisa les fers d'un grand nombre de pauvres et d'orphelins, et son frère Malec-Adel paya la rançon de deux mille captifs. C'est avec raison qu'on a opposé la conduite généreuse des princes musulmans aux excès barbares commis par les guerriers de la première croisade. Quelques écrivains se sont efforcés, si non de justifier, du moins d'atténuer la barbarie sanguinaire des guerriers de Godefroy, en faisant observer que les chrétiens offrirent à Saladin de capituler, tandis que les musulmans soutinrent contre les croisés un long siège avec une résistance opiniâtre[72]. Mais ces circonstances diverses ne suffisent pas pour excuser les massacres continués de sang-froid par les croisés, pendant toute une semaine, les meurtres commis sur un peuple sans armes, sur des femmes et des enfants, et sur les Juifs qui n'avaient pris aucune part à la guerre.

Quand les chrétiens eurent quitté Jérusalem, Saladin y fit son entrée triomphale. Toutes les églises, excepté celle du Saint-Sépulcre, furent converties en mosquées. Les musulmans renversèrent la grande croix de l'église du Saint-Sépulcre, et firent fondre les cloches qui avaient appelé les chrétiens à la prière ; les murs et le parvis de la mosquée d'Omar furent lavés avec de l'eau rose, venue de Damas, et Saladin y plaça lui-même la chaire construite par Noureddîn.

Telle fut la fin réelle du royaume fondé par Godefroy, et qui avait duré quatre-vingt-neuf ans. Depuis ce temps, la royauté de Jérusalem ne fut plus qu'un vain titre ; car la domination passagère de l'empereur Frédéric II ne fut qu'une chimère, et n'avait aucun caractère sérieux.

Avant de raconter les dernières luttes des chrétiens jusqu'à la dissolution totale de leur domination en Palestine, disons quelques mots sur le sort que cette domination fit subir aux malheureux descendants des anciens maîtres du pays. Les croisades furent funestes aux Juifs dans tous les pays chrétiens ; des communautés entières furent égorgées par les croisés. En Palestine, le fanatisme des chrétiens se déchaîna avec fureur contre les Juifs ; ceux qui purent échapper au glaive se réfugièrent dans les Etats musulmans, notamment en Syrie et en Égypte, et le siège de l'académie palestinienne fut transféré à Damas, où les principaux docteurs furent appelés depuis chefs de l'académie de la terre d'Israël[73]. Quand les premières fureurs des chrétiens furent calmées, quelques Juifs vinrent de nouveau s'établir dans les villes de Palestine où on leur permettait d'exercer certaines industries, notamment le métier de teinturier. Des pèlerins juifs, ne pouvant résister au désir de fouler le sol sacré de la Palestine, bravaient mille dangers pour aller pleurer sur les lieux de l'ancien sanctuaire du Dieu d'Israël. Un des plus illustres écrivains juifs d'Espagne, Rabbi Iehouda Hallévi, qui fit le voyage de Palestine vers 1140, nous a laissé une élégie que nous pouvons considérer comme l'expression des sentiments de douleur et de désespoir qui accablaient les Juifs dans ces temps des plus cruelles épreuves, et du désir ardent qui entraînait beaucoup d'entre eux vers les lieux saints pour y trouver au moins un tombeau. La sombre mélancolie qui règne en général dans les poésies et dans les prières hébraïques de cette époque ne se présente nulle part sous des formes aussi touchantes et aussi poétiques que dans les poésies qui nous restent de Iehouda Hallévi et surtout dans son élégie sur Sion. Nous ne croyons pas nous écarter de notre sujet en donnant ici une traduction de cette élégie[74] :

As-tu oublié, ô Sion, tes enfants captifs ? Es-tu insensible au salut que le reste de ton troupeau t'envoie de tous les coins de la terre ? De l'est, de l'ouest, du nord et du sud, l'esclave dirige vers toi un regard plein d'espoir et te porte le tribut de ses larmes ; elles tombent comme la rosée du Hermon ; hélas ! que ne peuvent-elles arroser tes collines désertes ! Quand je pleure ta chute, c'est le cri lugubre du chacal ; mais quand je rêve le retour de la captivité, ce sont les accents de la harpe qui jadis accompagnaient tes chants divins. Mon cœur se transporte dans la maison de Dieu ; là il s'épanche devant le Créateur. N'est-ce pas là que s'ouvraient les portes du ciel, que la majesté de Jéhova obscurcissait la lune, le soleil et les astres ? Ah ! que ne puis-je verser mon âme là où l'esprit de Dieu descendait sur tes élus ! Tu étais la résidence du Roi éternel, et je vois des esclaves assis sur le trône de tes princes.

Pourquoi mon âme ne peut-elle planer sur les lieux où la Divinité se révélait à tes prophètes ? Donne-moi des ailes, et je porterai sur tes ruines les débris de mon cœur ; j'embrasserai tes pierres muettes, et mon front touchera ta sainte poussière. Mon pied foulera le tombeau de mes ancêtres ; je contemplerai à Hébron la sainte sépulture ; je contemplerai le mont Aba, le mont Hor, qui couvrent les cendres de tes divins maîtres, les deux lumières d'Israël. Dans ton air je respirerai le souffle de la vie ; dans ta poussière, le parfum de la myrrhe ; dans l'eau de tes fleuves, je savourerai le miel.

Qu'il me serait doux de marcher nu-pieds sur les ruines de ton sanctuaire, à l'endroit où la terre s'ouvrit pour recevoir dans son sein l'arche d'alliance et ses chérubins. J'arracherais de ma tête cette vaine parure, et je maudirais le destin qui a jeté tes pieux adorateurs sur une terre profane. Comment pourrais-je m'abandonner aux jouissances de cette vie, quand je vois des chiens entraîner tes lionceaux ? mes yeux fuient la lumière du jour, qui me fait voir des corbeaux enlevant dans les airs les cadavres de tes aigles. — Arrête-toi, coupe de souffrances ! laisse-moi un seul moment de repos ; car déjà toutes mes veines sont remplies de tes amertumes. Un seul moment, que je pense à Ohola (Samarie), et puis j'achèverai ton amer breuvage ; encore un court souvenir d'Oholiba (Jérusalem), et puis je te viderai jusqu'à la lie. —

Sion, couronne de la beauté, rappelle-toi le tendre amour des tiens, que ton bonheur transportait de joie, et que tes revers ont plongés dans le deuil ; du fond de leur exil, ils t'ouvrent leurs-cœurs, et dans leurs prières ils s'inclinent vers tes portes. Tes troupeaux dispersés sur les montagnes n'ont pas oublié la chère patrie ; ils se sentent encore entraînés vers tes hauteurs, sous l'ombre de tes palmiers. Sinéar et Pathros, dans leur vaine grandeur, peuvent-elles se comparer à toi ? Que sont leurs oracles mensongers auprès de tes Ourlent et Thummîm ? Où est le mortel qui pourrait se mesurer avec tes princes, tes prophètes, tes lévites, tes chantres célestes ?Tous ces empires rentreront dans le néant ; toi seule tu resteras à la fin des siècles, car le Seigneur fixera sur toi sa résidence éternelle. Heureux le mortel qui demeurera sous l'abri de tes murs ! heureux le mortel qui verra poindre ta nouvelle aurore ! Il verra le bonheur de tes élus, il assistera à tes fêtes, et tu seras belle comme aux jours de ta jeunesse !

Une force irrésistible entraîna notre poète, dans un âge avancé, du fond de l'Andalousie vers la Palestine. Les poésies qui nous restent de lui nous permettent de le suivre dans son voyage à Alexandrie et au Caire, et jusqu'à son départ pour le désert[75]. Ensuite il se dérobe à nos regards, et son sort nous est inconnu. Selon une tradition, dont l'authenticité est douteuse, il arriva à Jérusalem ; aux portes de la ville sainte il déchira ses vêtements, se prosterna et récita son élégie ; bientôt un cavalier, qui vint à passer, insulta le pauvre juif et l'écrasa sous les pieds de son cheval.

Benjamin de Tudèle, qui visita la Palestine sous le règne d'Amaury, trouva un certain nombre de Juifs dans les principales villes de la terre sainte. A Jérusalem, il y en avait deux cents qui exerçaient la profession de teinturier ; la teinture des laines était une espèce de monopole que le gouvernement abandonnait aux Juifs pour une certaine somme qu'ils payaient chaque année ; ils avaient en même temps la permission d'aller pleurer en face du mur occidental de la mosquée d'Omar, où il existait encore des traces des anciens murs du Temple des Juifs. Il paraîtrait que le séjour de Jérusalem était interdit à tous les autres Juifs, et que les pèlerins juifs, en voulant aborder la sainte cité, s'exposaient aux plus grands dangers. Maimonide, ou Moïse ben-Maïmoun, forcé par le fanatisme des Almohades de quitter l'Espagne, son pays natal, et qui depuis devint la plus grande gloire de la Synagogue, arriva à Acre avec son père, au mois de mai 1165[76], et il nous dit qu'il brava les plus grands périls pour faire le pèlerinage de Jérusalem, avant de se rendre en Egypte. La plus forte communauté juive que Benjamin trouvât dans les possessions chrétiennes d'Orient, fut celle de Tyr. Dans cette ville, il v avait environ quatre cents Juifs, au nombre desquels on remarquait plusieurs savants thalmudistes et beaucoup de patrons de vaisseaux. Au reste, la législation assimilait les Juifs aux Sarrasins et aux idolâtres ; aucun Juif ne pouvait acheter ni vendre une bourgeoisie[77]. On ne manquait pas, cependant, de leur faire supporter une partie des charges de l'État ; ils furent forcés de contribuer à l'impôt extraordinaire levé sous Baudouin IV, en 1183, pour préparer les moyens de défense contre Saladin[78]. Il paraît que les Juifs, qui habitaient Jérusalem du temps de Benjamin de Tudèle en furent expulsés depuis ; vers 1180, le voyageur Péthachia, de Ratisbonne, ne trouva à Jérusalem qu'un seul juif[79]. Iehouda Al-Harizi, célèbre poète Juif d'Espagne, qui visita Jérusalem en 1217, nous dit positivement que les portes de la ville sainte ne s'ouvrirent pour les Juifs que depuis la conquête de Saladin[80]. La protection que le sultan d'Égypte accordait aux Juifs, attira à Jérusalem un grand nombre de Juifs de différents pays, qui y formaient plusieurs communautés séparées, entre lesquelles ne régnait pas toujours un parfait accord ; on y remarquait surtout plusieurs célèbres rabbins venus de France[81]. Persécutés par les chrétiens dans toute l'Europe, et expulsés de l'Espagne et de l'Afrique par la dynastie des Almohades, les Juifs ne trouvaient alors une véritable protection que dans les États soumis au sceptre de Saladin ; on voyait affluer en Orient les hommes les plus distingués d'entre les Juifs de l'Occident musulman ; et à la cour même de Saladin des savants juifs, et notamment des médecins, occupaient le rang le plus élevé et jouissaient d'une haute estime[82]. La chute du royaume chrétien de Jérusalem dut donc être saluée par la race d'Israël comme un des événements les plus heureux.

En Europe, la chute de la ville sainte répandit une consternation générale ; le pape Urbain III en mourut de chagrin. Guillaume, le célèbre archevêque de Tyr, vint en Europe solliciter les secours des princes chrétiens. Après avoir prêché la croisade en Italie, il se rendit en France, où il assista à l'assemblée convoquée près de Gisors, par Henri II, roi d'Angleterre, et Philippe-Auguste, roi de France. Ces deux rois, oubliant leur inimitié, prirent la croix (1188). Comme on manquait d'argent pour subvenir aux frais de la croisade, on décida que tous ceux qui ne prendraient pas la croix payeraient la dixième partie de leurs revenus et de la valeur de leurs meubles ; cet impôt reçut le nom de dîme saladine. Le produit de cette dîme. ne suffisant pas aux préparatifs de l'expédition, Philippe-Auguste fit arrêter les Juifs dans leurs synagogues, et les força de lui fournir cinq mille marcs d'argent. Bientôt la paix jurée entre les rois de France et d'Angleterre ayant été troublée, les deux monarques employèrent l'argent qu'ils avaient ramassé à soutenir une guerre sacrilège, dans laquelle on voyait un fils porter les armes contre son père. Henri II mourut de douleur, en chargeant de malédictions son fils Richard, et ce dernier, s'accusant de la mort de son père, voulut expier son crime en accomplissant le serment qu'il avait fait dans le champ sacré. Richard Cœur-de-Lion commenta sa croisade par une persécution violente contre les Juifs, qui furent pillés et massacrés dans les villes de Londres et d'York. Philippe-Auguste et Richard eurent ensuite une entrevue à Nonancourt et une autre à Vézelay ; les deux rois, après s'être juré une amitié éternelle, s'embarquèrent, Richard à Marseille et Philippe à Gênes.

Après la conférence de Gisors, l'archevêque de Tyr s'était rendu en Allemagne pour solliciter Frédéric Barberousse de prendre la croix. On vit alors Frédéric, le premier capitaine de son siècle, et qui avait vieilli sur les champs de bataille, forcé de marcher à une croisade, pour mériter les éloges de ses contemporains et obtenir l'absolution du pape. A la tête d'une armée de plus de cent mille hommes, Frédéric pénétra dans l'Asie Mineure, châtia les Grecs qui agissaient toujours avec la même perfidie que dans les expéditions précédentes, battit deux fois Kilidj Arslân, sultan d'Iconium, qui tenta d'arrêter sa marche, se rendit maître de la Cilicie, et pénétra à travers mille dangers jusqu'aux frontières de la Syrie. Mais là se terminèrent ses conquêtes et sa vie ; le vieux héros périt misérablement dans la rivière de Sélef, l'ancien Cydnus, le 10 juin 1190. Son armée se dispersa et périt en grande partie par la peste. Le duc Frédéric de Souabe, second fils de l'empereur, conduisit environ cinq mille hommes au camp de Saint-Jean d'Acre, où il mourut de la peste, au commencement de l'année suivante.

Le 13 avril 1191, Philippe-Auguste arriva à Saint-Jean d'Acre, dont Guy de Lusignan avait depuis longtemps commencé le siège. Richard était retenu dans la Méditerranée par des intérêts étrangers à la croisade ; chemin faisant il enleva l'île de Chypre à Isaac Comnène, qui prenait le titre d'empereur. Lorsqu'enfin les Anglais eurent réuni leurs forces à celles des Français, les travaux du siège d'Acre se poursuivirent sans relâche ; l'intérêt de la croisade étouffa un moment les dissensions et la jalousie mutuelle des deux rois. Chaque jour les croisés redoublaient d'efforts ; tantôt ils attaquaient la ville, tantôt ils repoussaient l'armée de Saladin qui était venue la délivrer. Après une résistance héroïque, les assiégés, ayant épuisé toutes leurs ressources, se rendirent au mois de juillet 1191, et obtinrent une capitulation, en promettant, au nom de Saladin, la somme de deux cent mille pièces d'or, la remise de la vraie croix et la délivrance d'un certain nombre de prisonniers chrétiens. Philippe-Auguste repartit aussitôt pour l'Europe, et Richard restait seul chargé d'exécuter la capitulation. Saladin ayant tardé à remplir des conditions qu'il n'avait pas souscrites, Richard, après avoir attendu plus d'un mois, fit mettre à mort deux mille sept cents prisonniers musulmans ; Hugues III, duc de Bourgogne, que Philippe-Auguste avait laissé en Palestine avec dix mille hommes, assista, en sa qualité de lieutenant du roi de France, à cette barbare exécution.

Les croisés jouirent un moment, dans Saint-Jean d'Acre, de tous les plaisirs de la paix. Ensuite l'armée se dirigea le long de la côte vers Joppé, ayant constamment à repousser les attaques des musulmans. Après une victoire éclatante, remportée par Richard sur Saladin, près d'Arsouf, les chrétiens entrèrent dans Joppé, dont ils trouvèrent les murailles et les tours démolies. Sur l'avis de Richard, qui pensait que, pour assurer le succès de la croisade, il fallait avant tout rétablir les places démolies, on s'occupa de relever les murailles de Joppé et d'Ascalon, avant de marcher sur Jérusalem. Ce ne fut qu'au printemps de l'an 1192 que les deux armées se remirent en campagne. Si l'union avait régné dans l'armée chrétienne, Richard aurait pu facilement s'emparer de Jérusalem ; mais la discorde entre les Anglais et les Français ne permit pas à Richard d'agir avec promptitude et énergie, et les nouvelles des troubles politiques de l'Angleterre firent désirer à Richard de terminer la guerre par la voie des négociations. Il eut la singulière idée de faire proposer à Saladin un mariage entre Malec-Adel, frère du sultan, et la veuve de Guillaume de Sicile ; les deux époux devaient gouverner le royaume de Jérusalem et régner ensemble sur les musulmans et les chrétiens. Saladin parut disposé à accepter cette proposition ; mais elle fut repoussée avec une égale indignation par les évêques chrétiens et par les docteurs musulmans. Au mois de juin, l'armée chrétienne marcha enfin sur la ville sainte ; mais plus-on s'en approchait, et plus Richard manifestait d'irrésolution et d'abattement ; il disait que son armée n'était pas assez forte pour entretenir des communications régulières avec la côte, que l'expédition contre Jérusalem présentait de grands périls, et qu'il ne pouvait pas y risquer son honneur et celui de la chrétienté. La question fut soumise à un conseil composé de vingt membres choisis parmi les chevaliers du Temple, les chevaliers de Saint-Jean, les barons français et les barons de la Palestine. Pendant que le conseil délibérait, Richard passa le temps à piller une riche caravane d'Égypte qui se rendait à Jérusalem. Après plusieurs jours de délibération, les chevaliers et les barons décidèrent, à la grande satisfaction de Richard, que l'armée s'éloignerait des montagnes de la Judée et retournerait vers les rivages de la mer. La conduite de Richard restera toujours un problème historique, car toutes les raisons alléguées pour justifier la retraite[83] devaient être reconnues à Richard lorsqu'il donna l'ordre de marcher sur Jérusalem.

S'il est aisé, dit l'historien des croisades, de décrire les passions humaines lorsqu'elles éclatent dans les camps et sur le champ de bataille, il n'en est pas de même lorsqu'elles se renferment dans le conseil des princes, et qu'elles s'y mêlent à mille intérêts inconnus. C'est là qu'elles parviennent facilement à échapper aux regards de l'histoire, et qu'elles dérobent presque toujours leurs secrets les plus honteux aux recherches de la postérité[84].

Les négociations entamées avec Saladin furent prolongées par celui-ci, pour avoir le temps de rappeler ses émirs. Ayant rassemblé assez d e forces, il surprit Joppé, s'empara de la ville, où les musulmans commirent d'horribles cruautés, et fut sur le point d'attaquer la citadelle, lorsque Richard parut tout à coup devant le port, et, ayant débarqué, repoussa les musulmans et délivra la place. Cette victoire, cependant, ne changea rien à la position des chrétiens de Palestine. Richard avait hâte de retourner en Europe, et Saladin, voyant que les musulmans étaient également fatigués de la guerre, consentit à accepter une trêve de trois ans et huit mois. On convint que les chrétiens conserveraient toute la côte, depuis Joppé jusqu'à Tyr, que la citadelle d'Ascalon serait démolie, et que Jérusalem serait ouverte aux pèlerins chrétiens. Richard donna la royauté imaginaire de Jérusalem à Henri, comte de Champagne, troisième mari d'Isabelle, tille d'Amaury et sœur de Sibylle, et dédommagea Guy de Lusignan en lui donnant l'île de Chypre. Vers la fin de l'an 1192, Richard partit pour l'Europe. Ainsi finit la troisième croisade, dont tout l'avantage se réduisit à la conquête de Saint-Jean d'Acre et à la démolition des fortifications d'Ascalon. Le départ de Richard remplit de désespoir les chrétiens de la terre sainte, dont la cause était irrévocablement perdue. De grands dangers et une longue captivité dans un cachot d'Allemagne attendaient le héros de la croisade, dont la renommée remplissait le monde, et dont le nom fut encore longtemps l'effroi de l'Orient. Saladin, son rival en gloire militaire, mais distingué par des vertus plus réelles, fut enlevé l'année suivante par une maladie aiguë ; il mourut à Damas, la nuit du mercredi, 27 safar de l'an 589 de l'hégire (3 mars 1193), âgé à peine de cinquante-six ans. Il avait régné environ vingt-quatre ans en Égypte et dix-neuf ans en Syrie. La douleur profonde que firent éclater ses peuples, fut l'éloge funèbre le plus digne des vertus de ce prince. On raconte qu'avant de mourir, il fit distribuer également ses aumônes aux chrétiens et aux musulmans, et il ordonna que l'on portât son drap mortuaire dans les rues de Damas, et qu'un héraut répétât à haute voix : Voilà ce que Saladin, vainqueur de l'Orient, emporte de ses conquêtes[85].

Saladin n'avait rien réglé à l'égard de sa succession ; les trois aînés de ses seize fils se partagèrent ses États. Malec Afdhal Noureddîn devint roi de Damas, de Jérusalem et de la Célésyrie ; Malec-Aziz Othman reçut l'Égypte, et Malec-Dhaher Gazi, le royaume d'Alep. Une querelle ayant éclaté entre les deux premiers, Malec-Adel Séif-Eddin, frère de Saladin, prit d'abord le parti d'Afdhal ; puis, s'étant joint à Aziz, ils assiégèrent ensemble le roi de Damas dans sa capitale et le forcèrent de capituler (1196). Aziz fut reconnu souverain à Damas ; mais il céda bientôt ce royaume à Malec-Adel, qui plus tard, après la mort d'Aziz (1198), conquit aussi l'Égypte (1199) sur Afdhal, auquel les habitants de ce pays venaient de donner la couronne. Ce fut donc Malec-Adel, plus connu dans les auteurs chrétiens sous le nom de Saphadin (Seif-Eddîn), qui continua la dynastie des Ayyoubites en Égypte et dans une grande partie de la Syrie.

Une quatrième croisade fut provoquée par le pape Célestin III et l'empereur d'Allemagne, Henri VI. Plusieurs petits princes du nord de l'Europe prirent part à cette expédition. Henri resta en Occident pour s'occuper de ses propres affaires. Les croisés furent divisés en deux armées : l'une était commandée par les ducs de Saxe et de Brabant ; l'autre, par l'archevêque de Mayence et par Valeran, comte de Limbourg. Malec-Adel, informé de l'arrivée des croisés à Saint-Jean d'Acre, alla mettre le siège devant Joppé ; la garnison ayant voulu faire une sortie, tomba dans une embuscade ; les musulmans se rendirent maîtres de la vi Ile, où vingt mille chrétiens furent passés au fil de l'épée (1197). Malec-Adel, après avoir détruit les fortifications de Joppé, alla à la rencontre de l'armée des croisés ; les deux.armées se rencontrèrent entre Tyr et Sidon ; un combat s'engagea, et la victoire resta aux croisés. Bientôt après, Henri envoya en Palestine de nouvelles troupes commandées par Conrad, évêque de Hildesheim et chancelier de l'Empire. Les musulmans ne conservaient plus sur la côte que la forteresse de Thoron, située à une lieue de Tyr, et les croisés résolurent d'en faire le siège avant de marcher sur Jérusalem. La bravoure des musulmans augmentée par le désespoir, la désunion, les vices et les désordres qui régnaient dans le camp des chrétiens, enfin la nouvelle de l'arrivée de Malec-Adel, impatient de venger sa dernière défaite, firent échouer cette expédition. Conrad et la plupart des chefs quittèrent l'armée pendant la nuit et prirent le chemin de Tyr ; le lendemain, l'armée suivit les chefs fugitifs dans la plus grande confusion. Selon plusieurs auteurs, la retraite précipitée des chefs fut l'œuvre de la trahison ; on accuse les Templiers d'avoir reçu des sommes d'argent de Malec-Adel[86]. — Les plus graves discordes éclatèrent entre les Allemands et les chrétiens de Palestine ; les Allemands se retirèrent dans la ville de Joppé, dont ils relevèrent les fortifications. Malec-Adel vint leur livrer une grande bataille ; la victoire se déclara pour les Allemands, mais ils perdirent un grand nombre de leurs plus braves guerriers, et au nombre des morts furent le duc de Saxe et le duc d'Autriche (1198). Bientôt on apprit la mort de l'empereur Henri VI, et les seigneurs allemands prirent la résolution de retourner en Occident, se contentant de laisser une garnison dans Joppé. Peu de temps après leur départ, le 11 novembre 1198, la garnison allemande de Joppé, célébrant la fête de saint Martin, au milieu de tous les excès de l'ivresse et de la débauche, fut surprise et massacrée par les musulmans[87]. Ainsi se termina la quatrième croisade ; les chrétiens et les musulmans désirant également la paix, conclurent une trêve de trois ans.

Henri de Champagne était mort pendant cette dernière croisade, en tombant d'une fenêtre de son palais ; sa veuve Isabelle épousa en quatrièmes noces Amaury II, qui venait de succéder à son frère Guy de Lusignan dans le royaume de Chypre, et elle lui apporta, avec sa main, le vain titre de roi de Jérusalem.

Innocent III, qui venait de monter, à l'âge de trente-trois ans, sur le trône pontifical, publia une bulle générale pour appeler les fidèles à une cinquième croisade. Foulques, curé de Neuilly-sur-Marne, joignant l'éloquence de saint Bernard au zèle ardent et à l'exaltation de Pierre l'Ermite, devint un puissant auxiliaire pour le jeune pontife. Cette fois nous ne suivrons pas les croisés, qui, au lieu de se rendre en Palestine, firent la guerre à l'empire grec, s'emparèrent de Constantinople et placèrent sur le trône des Césars un prince français, Baudouin, comte de Flandre et de Hainaut (1204). Pendant ce temps la famine et la peste ravagèrent l'Egypte et la Syrie (1201) ; ensuite, un violent tremblement de terre bouleversa toute la Palestine et une grande partie de la Syrie (1202) ; le territoire de Jérusalem fut seul épargné par ce fléau. Ces calamités et la terreur répandue parmi les musulmans par le départ des croisés, engagèrent Malec-Adel à prolonger la trêve. Cependant les chrétiens étaient toujours sous les armes, et quoiqu'on ne livrât point de grandes batailles, on faisait souvent des excursions sur le territoire ennemi.

Amaury II mourut au printemps de l'an 1205, et Isabelle ne lui survécut que peu de mois. Le royaume de Jérusalem devint l'héritage de Marie, fille d'Isabelle et de Conrad, marquis de Tyr. Les seigneurs et les barons de la Palestine s'adressèrent à Philippe. Auguste pour lui demander de choisir un époux pour la jeune Marie ; le roi de France fixa son choix sur Jean de Brienne, qui promit de partir aussitôt pour la Palestine, à la tête d'une armée.

Les promesses présomptueuses de Jean de Brienne et le bruit d'un armement extraordinaire en Europe relevèrent les espérances des chrétiens à tel point qu'ils refusèrent de renouveler la trêve qui était sur le point d'expirer (1209), quoique Malec-Adel offrit de leur livrer dix forteresses pour gage de son amour de la paix. Jean de Brienne arriva bientôt à Saint-Jean d'Acre ; mais, au lieu de l'armée qu'il avait promise, il n'amena que trois cents chevaliers. Pendant les fêtes du couronnement, Malec-Adel vint assiéger Tripoli et menaça même Saint-Jean d'Acre. Jean se vit bientôt abandonné par les chevaliers français, qui se hâtèrent de quitter un royaume qu'ils n'étaient pas en état de défendre. Jean envoya des ambassadeurs à Rome, afin d'implorer, par l'intermédiaire du pape, le secours des princes de l'Europe ; mais ceux-ci étaient alors trop occupés de leurs propres affaires, pour prêter l'oreille aux cris d'alarme des chrétiens d'Orient. Les exhortations du pape n'eurent alors d'autre résultat que' le départ de cinquante mille enfants, suivis de quelques hommes pervers et de femmes de mauvaise vie, et qui, pour la plupart, périrent en chemin ou tombèrent entre les mains des musulmans (1212-13)[88].

Les exhortations apostoliques retentirent de nouveau dans toute l'Europe (1214) ; la mission de prêcher la croisade fut confiée aux évêques et principalement au cardinal Robert de Courçon, qui se trouvait alors en France comme légat du pape. Les prédicateurs eurent un grand succès, le nombre des croisés fut immense, et, pour subvenir aux dépenses de la guerre, on plaça des troncs dans toutes les églises. Philippe-Auguste abandonna pour cet effet le quarantième de ses revenus domaniaux, et un grand nombre de seigneurs et de prélats suivirent son exemple. Un concile fut convoqué à Rome, dans l'église de Latran (1215) ; le pape le présida en personne, et on y vit les représentants de l'empereur Frédéric II, de Philippe-Auguste, des rois d'Angleterre, de Hongrie et de Jérusalem, et de plusieurs autres souverains. Toutes les dispositions exprimées dans la bulle de convocation furent confirmées ; comme à l'ordinaire, l'absolution fut accordée aux croisés, et le pape promit de fournir lui-même trois mille marcs d'argent et d'armer plusieurs vaisseaux. L'armée était prête à partir, lorsque le pape Innocent III tomba malade et mourut (19 juillet 1216).

Son successeur, Honorius III, marcha sur ses traces, et continua ses efforts pour la croisade. Dans la nombreuse armée de cette sixième croisade, on remarquait surtout les guerriers de la basse Allemagne et les peuples de Hongrie qui, un siècle auparavant, avaient été la terreur des croisés conduits par Pierre l'Ermite. André II, roi de Hongrie, marcha lui-même à la tête de ses troupes. Frédéric II, qu'on avait regardé comme le chef de la croisade, avait alors trop à craindre des républiques d'Italie pour se décider à partir.

L'arrivée des croisés à Saint-Jean d'Acre (1217) y causa la plus grande joie ; toute l'armée, commandée par les rois de Jérusalem, de Chypre et de Hongrie, alla camper sur les bords du torrent de Kison. A cette époque, Malec-Adel s'était retiré dans la vie privée, et avait confié les soins du gouvernement à ses deux fils ; l'aîné, Malec-Carrel, régnait sur l'Égypte ; Malec-Moaddham, son second fils, était souverain de Syrie et de Palestine. Leurs armées ne parurent point dans la Judée, et l'armée chrétienne dévastait et pillait le pays, et faisait un grand nombre de prisonniers sans livrer de combats. Pour occuper les soldats, on forma le projet d'attaquer le mont Thabor, où les musulmans s'étaient fortifiés. Malgré l'héroïque résistance des ennemis, les croisés parvinrent au sommet de la montagne et poursuivirent les musulmans jusqu'aux portes de la forteresse ; mais tout à coup une terreur panique s'empara des vainqueurs, qui se retirèrent sans rien entreprendre (décembre 1217). On ne manqua pas d'expliquer par la trahison cette fuite précipitée ; d'autres l'attribuent à l'esprit de discorde, qui régnait parmi les croisés, et au manque d'eau et de vivres[89]. L'armée se sépara ensuite en quatre corps différents, pour attendre la fin de l'hiver : une partie de l'armée s'en retourna à Acre ; le roi de Jérusalem, le duc d'Autriche et le grand maître des Hospitaliers campèrent dans les plaines de Césarée ; les Templiers et les chevaliers teutoniques prirent possession du mont Carmel ; le roi de Hongrie se retira à Tripoli, accompagné du roi de Chypre, qui y mourut au bout d'un mois ; André, désespérant du succès de la guerre, retourna bientôt dans ses États.

Au commencement du printemps (1218), on vit arriver à Saint-Jean d'Acre un grand nombre de croisés partis de la Hollande, de la Frise et des bords du Rhin. L'arrivée de ces guerriers, qui avaient obtenu des succès brillants en combattant les Maures sur les rives du Tage, ranima le courage des croisés restés en Palestine. L'idée d'une guerre en Égypte, exprimée par Innocent III au concile de Latran, occupait alors tous les esprits, et on s'y attachait d'autant plus que la Palestine, épuisée, offrait peu de ressources pour l'entretien d'une nombreuse armée. Au mois de mai, les croisés s'embarquèrent et allèrent diriger leurs attaques contre Damiette, qu'on pouvait considérer comme la clef de l'Égypte. Avant d'attaquer la ville, il fallait d'abord s'emparer d'un fort bâti au milieu du Nil ; après plusieurs assauts infructueux, on construisit sur deux navires un énorme château de bois qui portait trois cents guerriers, et sur lequel on plaça un pont-levis qui pouvait s'abattre sur la tour du Nil. En vain les musulmans essayèrent de brûler cette forteresse mobile ; le feu fut éteint, et les musulmans, attaqués de toutes parts, furent obligés de se rendre à discrétion. Malec-Adel, qui était eu Syrie, en apprenant la victoire des chrétiens, désespéra du salut de l'Égypte ; il mourut peu de temps après, à la fin d'août 1218, et depuis ce temps l'empire des Ayyoubites pencha vers sa décadence.

Cependant les chrétiens, au lieu de poursuivre leurs succès, s'abandonnèrent à un funeste repos, et un grand nombre de croisés, croyant avoir assez fait, retournèrent en Europe. Heureusement, on vit bientôt arriver au camp de Damiette de nouveaux croisés venus d'Allemagne, de Pise, de Gênes, de Venise et de plusieurs provinces de France ; à leur tête se trouvaient deux cardinaux, Robert de Courçon et Pélage, évêque d'Albano ; le premier mourut peu de temps après son arrivée. Pendant ce temps, le sultan de Damas, craignant que les chrétiens, vainqueurs en Egypte, ne vinssent occuper Jérusalem et s'y fortifier, fit démolir les remparts de la ville sainte. En Égypte, le printemps et l'été (1219) se passèrent dans des combats continuels. A la nouvelle de la prochaine arrivée de l'empereur d'Allemagne, Malec-Camel fit, avec le consentement de son frère, des propositions de paix : il offrait d'abandonner aux Francs le royaume de Jérusalem et de faire rebâtir les fortifications de la ville sainte, et ne se réservait que les places de Kérek et de Montréal, pour protéger les caravanes de la Mecque. Le cardinal Pélage s'opposa à la conclusion de la paix, et ne voulut pas abandonner le siège de Damiette. Cette ville fut enfin prise d'assaut au mois de novembre ; les habitants avaient presque tous péri pendant le siège, qui avait duré un an et demi ; sur soixante-dix mille habitants, trois mille seulement survécurent à la prise de la ville.

Le sultan du Caire fit de nouvelles propositions de paix ; mais le cardinal Pélage, restant inflexible, exigea qu'on marchât sur le Caire. Le plus grand nombre des croisés refusant de lui obéir et le roi de Jérusalem étant absent, il se passait beaucoup de temps dans l'inaction. Jean de Brienne, revenu à Damiette, se montrait également opposé à la volonté de Pélage, mais dans la crainte d'une excommunication, il dut céder à l'opiniâtreté du cardinal. Une armée de soixante-dix mille hommes s'avança sur les rives du Nil (1221) ; tout fuyait à l'aspect des croisés, qui arrivèrent, sans livrer un seul combat, jusqu'à l'extrémité du Delta. Mais le souverain de Damas, accompagné de quelques autres princes musulmans, s'était mis en marche pour venir au secours de l'Égypte, et bientôt une armée formidable allait arrêter la marche des croisés. De nouvelles offres du sultan d'Egypte furent rejetées par Pélage, qui déjà se flattait d'arborer la croix dans tout l'Orient et de détruire le culte de Mahomet. Bientôt le Nil débordé devint un redoutable auxiliaire pour les musulmans, qui, après avoir intercepté la communication avec Damiette et coupé la retraite aux croisés, mirent ceux-ci dans la nécessité de demander la paix et de devoir leur salut à la générosité du sultan d'Égypte. Grâce à la modération de Malec-Camel, qui redoutait peut-être l'arrivée de Frédéric, l'armée chrétienne prisonnière obtint une capitulation ; les croisés ayant évacué Damiette, le sultan lit fermer les écluses, l'armée chrétienne put opérer sa retraite et fut accompagnée par un des frères du sultan, chargé de pourvoir aux besoins des soldats. Tels furent les résultats de la présomptueuse opiniâtreté du cardinal ; le retour de l'armée à Saint-Jean d'Acre y fit succéder le deuil aux chants de triomphe et aux réjouissances, et on se prépara à soutenir une nouvelle attaque des musulmans, tandis qu'un grand nombre de croisés s'embarquèrent pour l'Europe.

En Europe, des plaintes s'élevèrent contre l'empereur Frédéric, qu'on accusait d'avoir, par ses retards, contribué aux désastres des chrétiens. L'impératrice Constance étant morte en 1222, le pape Honorius, pour intéresser plus directement l'empereur au projet de la croisade, lui fit épouser Yolande, fille et héritière de Jean de Brienne. Frédéric faisait tous les préparatifs nécessaires pour l'expédition en Palestine (1223-25) ; mais les germes de discorde et de rébellion que renfermait l'Italie, empêchaient l'empereur de remplir promptement ses promesses, et il demanda au pape un délai de deux années. Honorius mourut au mois de mars 1227, et Grégoire IX venait de monter sur le trône pontifical, lorsque Frédéric donne enfin le signal du départ. Mais la flotte impériale, sortie du port de Brindes, fut dispersée par une violente tempête, et l'empereur, tombé malade, renonça tout à coup à son entreprise et débarqua dans le port d'Otrante. Grégoire, regardant son retour comme une révolte contre le Saint-Siège, refusa d'entendre sa justification et prononça l'excommunication contre lui ; dès lors la guerre se trouva déclarée entre le pape et l'empereur.

Sur ces entrefaites le sultan de Damas, redoutant les entreprises de son frère Malec-Camel, avait appelé à son secours Djelâl-Eddin, le puissant sultan de Khowarezm ou Kharezm. Malec-Camel s'adressa à Frédéric, pour lui demander son alliance, l'invita à se rendre en Orient, et lui promit de lui livrer Jérusalem. Frédéric résolut de s'embarquer de nouveau pour la terre sainte ; son arrivée à Saint Jean d'Acre (1228) répandit la joie parmi les chrétiens. Mais bientôt, ayant appris l'excommunication de l'empereur, les chrétiens de Palestine s'éloignaient de lui avec horreur. Frédéric envoya des ambassadeurs auprès de Malec-Camel, pour lui rappeler ses promesses ; Malec-Moaddham, sultan de Damas, venait de mourir, et le sultan d'Égypte, étant venu enlever la Palestine au fils de son frère, campait alors dans le voisinage de Jérusalem. Quoique les circonstances eussent changé et qu'on ne redoutât plus l'invasion des Kharezmiens, Malec-Camel crut cependant ne pas devoir retirer sa parole, et les négociations furent entamées, malgré les dispositions hostiles et les murmures des deux armées. Le 20 février 1229, une trêve fut conclue pour dix ans cinq mois et quelques jours. Jérusalem, Bethlehem, Nazareth, et tous les villages situés entre Joppé et Acre furent rendus aux chrétiens ; mais il leur était interdit de rétablir les fortifications de la ville sainte ; les musulmans devaient conserver la mosquée d'Omar et le libre exercice de leur culte.

Dans les deux camps, on considéra cette paix comme impie et sacrilège. Les poètes musulmans faisaient des élégies sur la perte de Jérusalem, et les chaires des mosquées retentissaient de complaintes, tandis que le patriarche latin frappait d'interdit la ville sainte. Les ecclésiastiques désertèrent l'église du Saint-Sépulcre, qui était tendue de deuil. Frédéric y entra accompagné des barons allemands et des chevaliers teutoniques ; il prit lui-même la couronne qui était sur l'autel, la plaça sur sa tête et fut proclamé roi de Jérusalem sans aucune cérémonie religieuse. Frédéric ne resta que quelques jours à Jérusalem ; il revint à Saint-Jean d'Acre, où il retrouva les mêmes dispositions hostiles parmi les chrétiens. Se voyant partout entouré d'ennemis, et averti des complots qui se tramaient contre lui dans ses États, il se hâta de retourner en Europe.

Les chrétiens de la Palestine n'avaient rien gagné au traité du 20 février, si ce n'est une trêve de quelques années ; Jérusalem était sans défense, et on y redoutait sans cesse l'invasion des musulmans qui habitaient les environs. Plusieurs fois les chrétiens, attaqués par leurs ennemis, étaient obligés de chercher un refuge dans la forteresse de David, restée seule debout au milieu des fortifications en ruine. Ils imploraient de nouveau le secours des princes de l'Occident, et le pape Grégoire, qui n'avait point oublié le projet de la croisade, convoqua à Spolète une assemblée à laquelle assista Frédéric, réconcilié avec le Saint-Siège (1232). On résolut d'envoyer en Palestine une nouvelle armée de croisés ; la prédication de cette croisade fut confiée aux religieux de Saint-Dominique et de Saint-François, mais leur éloquence ne pouvait plus ranimer l'enthousiasme des peuples qui regrettaient d'avoir fait inutilement tant de douloureux sacrifices. Ce ne fut qu'en 1239 que Thibaut, comte de Champagne et roi de Navarre, amena en Palestine un certain nombre de barons et de chevaliers de France. Les chrétiens, rompant la trêve, avaient relevé les remparts de Jérusalem, mais le prince de Kérek était entré dans la ville et avait détruit les nouvelles fortifications, ainsi que la tour de David. Les croisés du roi de Navarre furent totalement vaincus et dispersés près de Gaza. Les chefs, se reprochant réciproquement la défaite de l'armée, traitèrent séparément avec les musulmans. Les Templiers et quelques chefs de l'armée conclurent une trêve avec le prince de Damas ; les Hospitaliers, le roi de Navarre et les ducs de Bretagne et de Bourgogne firent un traité avec le sultan d'Égypte, et s'engagèrent à le défendre contre les musulmans de Syrie, qui avaient promis aux chrétiens la restitution des saints lieux. Il régnait alors entre les musulmans la même discorde qu'entre les chrétiens dei Palestine. Malec-Camel était mort en 1238, et sa mort était devenue le signal de plusieurs guerres sanglantes entre les princes de sa famille ; le trône était occupé par son fils Malec-Saleh.

L'année suivante (1240), Richard de Cornouailles, frère du roi d'Angleterre, Henri HI, arrivé en Palestine avec une troupe de croisés anglais, vit à sa grande surprise que les Français avaient abandonné la terre sainte, et que les possessions des chrétiens se bornaient de nouveau à quelques villes de la côte. Le prince de Cornouailles était neveu de Richard Cœur-de-Lion, dont le seul nom jetait l'effroi parmi les musulmans, et tout semblait lui présager des succès. Mais il était peu secondé par les chrétiens de Palestine ; car les Templiers et les Hospitaliers ne voulaient pas rompre leurs traités respectifs conclus avec les sultans de Damas et du Caire. Richard dut donc se borner à renouveler les traités de paix avec le sultan d'Égypte, qui consentit à abandonner aux chrétiens Jérusalem, Nazareth, Bethlehem et le mont Thabor ; en outre, Malec-Saleh accorda à Richard l'échange des prisonniers et la permission de rendre les honneurs de la sépulture aux chrétiens tués à la bataille de Gaza.

Les chrétiens, protégés par les discordes des musulmans, jouissaient de quelques moments de repos et s'occupaient de relever les murailles de la ville sainte. Ils s'abandonnaient même aux rêves d'un meilleur avenir ; car les princes de Damas, de Kérek et d'Émesse, contractant une alliance avec eux, venaient de leur rendre la principauté de Galilée, et promettaient de les associer à la conquête de l'Égypte (1243). Mais bientôt un ennemi redoutable vint troubler la sécurité de la Palestine ; les Kharezmiens, chassés de leur pays par l'invasion des Tartares, sous Djenghiz-Khan, se répandirent dans l'Asie Mineure et dans la Syrie, sous la conduite d'un de leurs chefs nommé Barbakan. Le sultan d'Égypte, pour punir les chrétiens et leurs nouveaux alliés et se mettre à l'abri de leur invasion, appela à son secours les hordes barbares des Kharezmiens, et les engagea à prendre possession de la Palestine, qu'il promit de leur abandonner. Bientôt vingt mille cavaliers kharezmiens ravagèrent le territoire de Tripoli et la Galilée et se présentèrent aux portes de Jérusalem (1244). Le petit nombre de guerriers qui occupaient la ville, incapables de repousser une attaque, se retirèrent, suivis de presque tous les habitants ; les Kharezmiens entrèrent dans la ville sans rencontrer la moindre résistance ; trouvant probablement que c'était trop peu de chose que de tuer quelques infirmes qui n'avaient pu quitter la ville, ils employèrent un stratagème pour faire revenir les fugitifs, qui furent tous massacrés ou chargés de fers. Les barbares profanèrent même les tombeaux et livrèrent aux flammes les cercueils et les ossements des morts. Les Templiers et les Hospitaliers, oubliant enfin leurs discordes, s'occupèrent ensemble des moyens de sauver la Palestine, réunirent tous les chrétiens qui pouvaient porter les armes et appelèrent à leur secours les trois princes musulmans alliés des chrétiens. En vain ces princes s'efforcèrent-ils de modérer la valeur impatiente des Francs, en leur montrant combien il était imprudent d'exposer leur salut aux hasards d'une seule bataille et en leur conseillant de se borner, pour le moment, à occuper dei positions avantageuses ; l'ardeur belliqueuse du patriarche de Jérusalem l'emporta sur les conseils de la prudence, et encore une fois le zèle du clergé amena la ruine de l'armée chrétienne. Les armées alliées des chrétiens et des musulmans se mirent en marche ; ils rencontrèrent l'ennemi dans l'ancien pays des Philistins, et les plaines de Gaza devaient encore une fois être arrosées de torrents de sang qui coulaient inutilement pour la cause perdue des chrétiens. Un combat meurtrier, qui dura deux jours, se termina par une défaite totale des armées alliées ; plus de trente mille guerriers chrétiens et musulmans y perdirent la vie ou la liberté ; le grand maître des Templiers et celui des Hospitaliers furent au nombre des morts. Les débris de l'armée chrétienne, avec le patriarche de Jérusalem, se retirèrent à Saint-Jean d'Acre, leur dernier refuge ; parmi les guerriers qui avaient échappé au carnage, il ne se trouva que trente-trois Templiers, vingt-six Hospitaliers et trois chevaliers teutoniques. Les Égyptiens prirent possession de Jérusalem et de toutes les villes cédées aux chrétiens par le prince de Damas. Les Kharezmiens restèrent encore pendant quelques années le fléau de la Palestine ; en 1246 ils s'emparèrent de Damas, et leur allié, le sultan d'Égypte, y fit reconnaître sa domination. Mais alors les Kharezmiens ayant demandé d'un ton menaçant les terres qu'on leur avait promises dans la Palestine, le sultan d'Égypte, qui redoutait leur voisinage, se ligua avec plusieurs princes de Syrie, battit les barbares Bans deux batailles et les força de quitter ces contrées (1247). La Palestine resta au pouvoir des Égyptiens.

Pendant ce temps le pape Innocent IV, sur la nouvelle de l'invasion des Kharezmiens, avait fait prêcher une nouvelle croisade ; mais alors la querelle élevée entre le pape et l'empereur d'Allemagne remplissait de troubles tout l'Occident. L'empereur offrait en vain d'aller combattre dans la Palestine ; excommunié de nouveau au concile de Lyon (1245), il fut déclaré indigne de prendre part à la guerre sacrée, et la médiation de Louis IX, roi de France, fut impuissante pour fléchir l'opiniâtreté du pontife. Henri III, roi d'Angleterre, occupé d'apaiser des troubles intérieurs et de repousser les agressions du roi d'Écosse, n'était nullement disposé à s'engager dans une guerre lointaine ; il défendit même qu'on prêchât la croisade dans son royaume. Louis IX, entraîné par son enthousiasme religieux, fut le seul à prendre les armes pour la délivrance de la Palestine. En 1244, au moment où on venait d'apprendre les derniers désastres des lieux saints, le roi de France, alors dangereusement malade, avait fait le vœu imprudent de prendre la croix pour voler au secours de la terre sainte : ni les supplications de sa mère, la reine Blanche, ni les représentations de ses plus fidèles serviteurs, à la tête desquels on remarquait l'évd9ue de Paris, ne purent ébranler la résolution du monarque. Louis, accompagné de ses deux frères, les comtes d'Anjou et d'Artois, et de la reine Marguerite, s'embarqua à Aigues-Mortes, le 25 août 1248, et arriva en Chypre le 21 septembre. Les croisés y passèrent l'hiver, et décidèrent que les armes des chrétiens seraient d'abord dirigées contre l'Égypte. Le vendredi avant la Pentecôte, 21 mai 1249, la flotte française sortit du port de Limisso ; tout à coup une violente tempête dispersa la flotte et entraîna la moitié des vaisseaux sur les côtes de Syrie. Le roi, forcé de rentrer dans le port, en repartit bientôt, accompagné d'un grand nombre de chevaliers français et anglais qui venaient d'arriver de Grèce, où ils avaient passé l'hiver. Le quatrième jour, la flotte arriva devant Damiette, et le lendemain tes Français débarquèrent en présence de l'ennemi ; les musulmans, vaincus dans un premier combat, abandonnèrent la ville, sans essayer de la défendre, bien qu'elle fût mieux préparée à la résistance que lors de la première attaque sous Jean de Brienne, qui ne put s'en emparer qu'au bout de dix-huit mois. Mais cette conquête facile fut suivie d'une funeste inaction. Louis IX voulut attendre, pour poursuivre ses conquêtes l'arrivée de son frère, le comte de Poitiers ; cette résolution devint la source des plus graves désordres. Les croisés, pendant le séjour prolongé, qu'ils firent à Damiette, s'abandonnèrent aux vices les plus honteux, se rendirent odieux aux habitants par toute espèce d'exactions et de rapines, et n'observèrent plus aucune discipline. Après l'arrivée du comte de Poitiers, on résolut enfin d'attaquer le Caire, et les croisés allèrent camper à Fariscour, le 7 décembre 1249. La mort du sultan Malec-Saleh n'interrompit pas, parmi les musulmans, les préparatifs de défense contre les croisés ; la sultane Schedjr Eddourr la tint secrète et fit reconnaître comme souverain d'Égypte Al-Moaddhain Tourân-Schah, qu'elle rappela de Mésopotamie, où il avait été relégué par son père Malec-Sal ch. Ce fut le 19 décembre que l'armée chrétienne arriva devant le canal d'Aschmoun, et dressa ses tentes dans l'endroit même où l'année de Jean de Brienne avait campé trente ans auparavant. Les croisés eurent besoin de déployer toute leur bravoure pour repousser l'ennemi, qui pénétra plusieurs fois dans leurs retranchements ; mais enfin, après plusieurs essais infructueux, l'armée française opéra le passage du canal dans un endroit guéable qui lui avait été indiqué par un Arabe (janvier 1250). L'impétueux comte d'Artois, qui avait passé le premier à la tête de l'avant-garde, s'éloigna imprudemment du corps de l'armée, repoussa les musulmans et entra dans Mansoura ; mais bientôt toute l'armée chrétienne, combattant sans ordre et sans ensemble, victorieuse d'un côté et vaincue de l'autre, se trouva dans le plus grand péril ; ne pouvant se rallier, elle s'épuisa en mille petits combats, sans pouvoir livrer une bataille, et le comte d'Artois périt à Mansoura, sans qu'il fût possible de lui porter secours. La prise du camp musulman et les victoires remportées par les Français au commencement du carême ne purent réparer les désastres de cette campagne, et bientôt les croisés furent en butte à des fléaux plus redoutables que les armes des ennemis. Une maladie contagieuse se déclara dans l'armée chrétienne, et y fit de grands ravages ; mais on ne pensa à se retirer à Damiette que lorsque la retraite fut devenue impossible. Pour comble de malheur, les musulmans étaient parvenus à interrompre les communications des croisés avec Damiette, et ceux qu'avait épargnés la maladie expiraient de misère et de faim. Le roi, se voyant lui-même-malade et dans l'impossibilité de continuer la lutte, se décida à capituler. La demande que fit Tourân-Schah que le roi de France se livrât lui-même comme otage, fit faire à l'armée des croisés des efforts désespérés pour sauver le roi et opérer sa retraite ; mais les Français furent enfin obligés de mettre bas les armes, et le roi, ainsi que ses deux frères, furent faits prisonniers. Après de longues négociations, Tourân-Schah consentit à rendre la liberté au roi et à tous les prisonniers, dont le prix de rançon furent la ville de Damiette et la somme de 800.000 besants d'or (environ huit millions de francs). Avant l'exécution du traité, Tourân-Schah fut assassiné par les mamelouks (mai 1250). Ceux-ci ayant confirmé le traité fait avec les Français, Louis IX, après avoir fait évacuer Damiette, s'embarqua pour Saint-Jean d'Acre avec les débris de son armée.

Le roi de France séjourna trois ans et demi dans la terre sainte ; mais il ne put rien faire pour y améliorer la position des chrétiens, qui ne durent leur salut qu'aux dissensions qui régnaient parmi les musulmans. Louis se borna à ranimer, par sa présence, le courage abattu des chrétiens et à relever les murs de quelques villes telles que Saint-Jean d'Acre, Caïpha, Joppé, Césarée. Ne pouvant délivrer Jérusalem, il s'abstint de la Visiter. Les mamelouks, qui désiraient l'alliance du roi de France, conclurent avec lui un traité qui donnait aux chrétiens la ville sainte et toute la Palestine, excepté Gaza et Daroum ; mais l'exécution de ce traité se fit vainement attendre, et la paix conclue entre les mamelouks et le sultan de Damas détruisit toutes les espérances des chrétiens, qui furent très-heureux d'obtenir du sultan de Damas une trêve de dix ans et dix mois. La nouvelle de la mort de la reine Blanche (1252) détermina le roi à quitter la Palestine. Il partit du port d'Acre le 24 avril 1254, débarqua le 10 juillet aux îles d'Hyères, et arriva le 5 septembre à Vincennes.

Après le départ de Louis, la discorde éclata de nouveau entre les Templiers et les Hospitaliers ; ils se poursuivaient et s'attaquaient réciproquement avec une fureur que rien ne pouvait apaiser, et le sang coulait par torrents. Au bout de quelques années, un orage terrible éclata du côté de l'Égypte. Après la mort de Tourân-Schah, l'émir Azz-Eddln Aïbek, le Turcoman, avait pris les rênes du gouvernement ; d'abord comme Atabek et au nom de la reine mère Schedjr-Eddourr, ensuite comme premier sultan de la dynastie des mamelouks Bahrites (habitants des pays maritimes). En 1257, la reine fit étouffer Albek dans un bain ; les émirs ayant fait mettre à mort la reine, l'émir Kotouz s'empara du gouvernement et prit le titre de sultan. En 1260, Kotouz, après avoir combattu les Tartares en Syrie, fut assassiné par Bibars Bondokdilr, auteur de l'assassinat de Tourân-Schah. Bi-bars s'occupa avec zèle de l'entière ruine des chrétiens de Syrie, qui avaient repris quelques forces à la faveur de la trêve qui venait d'être accordée et de l'invasion des Tartares sous Hou lagon. En 1264,

Bibars envahit la Palestine et marcha sur Acre, après avoir dévasté les églises de Nazareth et du mont Thabor. Bibars, qui avait commencé le siège d'Acre avec avantage, se contenta cependant de ravager les campagnes autour de la ville, et alla s'emparer de Césarée et d'Arsouf (1265). L'année suivante (1266), il prit successivement Sapheth, Joppé, Ramla et Tebnin. Il fit ensuite la conquête d'Antioche (1268), en sorte que bientôt toutes les possessions chrétiennes de Syrie, à l'exception d'Acre et de quelques autres villes, se trouvèrent au pouvoir de Bibars.

A la nouvelle des premières victoires de Bibars, Louis IX prononça de nouveau le serment d'aller combattre les infidèles, et cette fois Henri III d'Angleterre permit à son fils Édouard de prendre part à la croisade. Louis s'embarqua de nouveau à Aigues-Mortes, en 1270, accompagné de ses trois fils, avec une armée de soixante mille hommes. On connaît l'issue funeste de l'expédition, dirigée contre le royaume de Tunis et qui se termina par la mort de Louis IX (25 août 1270).

Le prince Édouard n'arriva sur la côte de Carthage qu'après la signature de la trêve ; ce fut le seul chef qui partît pour l'Orient (1271) ; tous les croisés réunis formaient à peine un corps de mille ou douze cents combattants. La plupart des princes chrétiens de la Syrie avaient conclu des traités avec le sultan du Caire, et n'étaient nullement disposés à s'engager dans une guerre où les faibles moyens dont disposait Édouard ne leur permettaient pas d'espérer de grands avantages. Cependant les Templiers et les Hospitaliers se réunirent au prince anglais, que sa renommée avait devancé en Orient. Cette petite armée, composée de six à sept mille hommes, après une excursion en Phénicie, marcha sur Nazareth ; dont l'église avait été détruite par les soldats de Bibars. La ville fut livrée au pillage, et tous les musulmans qu'on y trouva furent cruellement massacrés. Après cette expédition, digne plutôt d'un chef de brigands que d'un prince, Édouard retourna à Saint-Jean d'Acre. Un jour qu'il était seul dans sa chambre et qu'il reposait sur un lit, un des disciples du Vieux de la montagne, envoyé, dit-on, par le gouverneur de Joppé, entra sous prétexte de remettre des lettres au prince, et se précipitant sur lui, le poignard à la main, le blessa au bras ; mais Édouard terrassa l'assassin et le tua ; dans la lutte il se fit lui-même une seconde blessure au front. Les blessures d'Édouard n'étaient pas mortelles, et quelques historiens en attribuent la guérison au dévouement de sa femme, la princesse Éléonore, qui suça les plaies dans la crainte que le poignard ne fût empoisonné. — Après cet événement, Edouard accepta une trêve qui lui fut proposée par le sultan d'Égypte, et retourna en-Europe, sans avoir rien fait pour la cause qu'il était venu défendre.

Thibault, archidiacre de Liège, qui avait suivi les Frisons en Syrie, venait d'être appelé de Saint-Jean d'Acre pour occuper le siège pontifical, sous le nom de Grégoire X ; arrivé en Europe, il fit tous ses efforts pour appeler encore une fois la chrétienté à une entreprise qui avait si souvent échoué. Les républiques italiennes, Philippe le Hardi, roi de France, et l'empereur des Grecs, Michaël Paléologue, paraissaient vouloir favoriser une nouvelle croisade contre le sanguinaire et ambitieux Bibars ; mais les secours offerts étaient loin de répondre aux besoins de l'entreprise. La croisade fut sanctionnée par le concile de Lyon (1274) ; mais bientôt la mort de Grégoire X (janvier 1276) interrompit les préparatifs à peine commencés, et la cause des chrétiens en Palestine fut perdue sans retour.

Bibars mourut en Syrie, en 1277 ; les troubles causés par cette mort et par l'invasion des Tartares enhardirent les chrétiens de la Palestine, qui prirent les armes et firent quelques courses sur le territoire musulman. Kélaoun, qui avait usurpé le trône d'Égypte sur les fils de Bibars[90], vainquit les Tartares, et les chrétiens, réduits à leurs propres forces, se virent obligés de demander humblement la paix. En 1283, un traité de paix fut conclu entre Kélaoun et la principauté d'Acre ; mais les chrétiens, loin de montrer la modération qui convenait à leur état de faiblesse, se portaient aux plus graves excès. Kélaoun, ayant recommencé les hostilités (1285), prit la forteresse de Markab, située entre Laodicée et Tripoli, et qui appartenait aux Hospitaliers. En 1289, la ville de Tripoli tomba au pouvoir de Kélaoun et fut détruite de fond en comble ; le seigneur de Djiblé ou Djebaïl se soumit à un tribut annuel.

Le sultan menaça alors Saint-Jean d'Acre ; cependant, soit qu'il redoutât le désespoir des chrétiens, soit qu'il ne jugeât point encore le moment favorable, il céda à quelques sollicitations, et renouvela avec les habitants une trêve pour deux ans, deux mois, deux semaines, deux jours et deux heures[91]. Quelque temps après, l'assassinat de quelques musulmans d'Acre, immolés par la vengeance d'un chrétien, dont la femme avait été séduite par un musulman, fournit à Kélaoun un prétexte pour attaquer la ville d'Acre ; mais le sultan mourut au moment où il allait se mettre en marche, et son fils Kbajil, surnommé Malec-Aschraf, se chargea d'accomplir le projet de son père.

Le siège d'Acre commença au mois d'avril 1291 ; le sultan attaqua la ville avec des forces imposantes ; son armée, composée de soixante mille cavaliers et de cent quarante mille fantassins, couvrait un espace de plusieurs lieues, et plus de trois cents machines de guerre étaient prêtes à foudroyer les remparts de la ville. L'espoir de recevoir des secours de l'Occident soutint quelque temps le courage des habitants ; mais bientôt le désespoir s'empara d'eux, les rangs des défenseurs s'éclaircirent chaque jour, et la plus grande partie des habitants s'enfuirent par mer en emportant leurs richesses. Il ne resta sous les armes que douze mille guerriers intrépides, dont le courage fut paralysé par la division qui régnait parmi les chefs. Le 4 mai, le sultan donna le signal d'un assaut ; le combat dura toute la journée, jusqu'à ce que la nuit força les musulmans à la retraite. Mais, pendant cette nuit, le roi de Chypre déserta avec tous ses chevaliers et trois mille combattants. Le lendemain, les musulmans donnèrent un nouvel assaut ; au moyen d'une large brèche ils parvinrent à pénétrer dans la ville ; mais les chrétiens, sous la conduite de Guillaume de Clermont, maréchal des Hospitaliers, firent une résistance désespérée, et, vers le soir, les musulmans se retirèrent en désordre par la brèche qu'ils avaient faite. Plusieurs autres attaques furent repoussées avec la même bravoure. Enfin, le 18 mai, le sultan donna le signal d'un nouvel assaut ; l'attaque et la défense furent beaucoup plus vives encore que dans les jours précédents. Les chevaliers du Temple, qui sortirent au-devant de l'ennemi, furent repoussés et poursuivis jusqu'au pied des remparts. Dans ce combat sanglant, le grand maître des Templiers fut frappé mortellement et celui des Hospitaliers mis hors de combat. La déroute devint générale ; les chrétiens, réduits à mille guerriers, furent obligés de céder à la multitude de leurs ennemis, et toute la ville fut livrée aux flammes et au carnage. Un violent orage vint ajouter aux horreurs de cette terrible journée, où s'écroula le dernier boulevard de la domination chrétienne en Palestine. Tous ceux qui purent échapper au massacre s'enfuirent vers le port. Le patriarche de Jérusalem, entraîné malgré lui et forcé de s'embarquer, reçut dans son navire tous ceux qui se présentaient ; le vaisseau fut submergé, et le fidèle pasteur périt avec ceux qu'il avait voulu sauver.

A près la destruction de Saint-Jean d'Acre, les villes de Tyr, de Beirouth et de Sidon, saisies d'épouvante, ouvrirent leurs portes sans résistance. Les musulmans sévirent, par le fer et par l'incendie, contre tout ce qui pouvait rappeler le triomphe de la croix, et firent disparaître partout les traces de la domination chrétienne.

Cette domination s'était étendue sut quatre-vingts cités, sans compter un grand nombre de châteaux ou forteresses. Les possessions chrétiennes étaient divisées, au douzième siècle, en six parties :1° possessions royales, renfermant Jérusalem, Nablous, Saint-Jean d'Acre et Tyr, avec leurs environs ; 2° première baronnie, renfermant les pays de Joppé et d'Ascalon, et les seigneuries de Rama, de Mirabel et d'Ibelin ; 3° deuxième baronnie, ou principauté de Galilée ; 4° troisième baronnie, ou seigneuries de Sidon, de Césarée et de Scythopolis ; 5° quatrième baronnie, ou seigneuries de Kérek, d'Hébron et de Montréal ; 6° comté de Tripoli.

Les sultans Bahrites d'Égypte restèrent paisibles possesseurs de la Palestine jusqu'à leur chute ; car les entreprises des Tartares de la Perse sous Cassa ne furent qu'un orage passager qui n'eut point de suite. Les chrétiens ne pouvaient entrer dans l'église du Saint-Sépulcre que moyennant un tribut. Robert d'Anjou, roi de Naples, fit admettre à Jérusalem les disciples de saint François d'Assise, à qui furent confiés la garde des lieux saints et le soin de recevoir les voyageurs chrétiens (1313)[92]. Les Juifs étaient établis dans toutes les villes de Palestine, et y jouissaient, à ce qu'il paraît, de beaucoup de liberté. Un auteur juif de cette époque, Esthori Parchi, qui émigra de France lors de l'expulsion des Juifs par Philippe le Bel, et qui alla s'établir à Beth-Seân, ou Scythe-polis, en Palestine, parle de nombreuses-troupes de pèlerins juifs qui, de Tripoli, de Hamath, de Damas, d'Alep, du Caire et d'Alexandrie, se rendaient à Jérusalem pour y célébrer les jours de fête[93]. Les Juifs habitaient dans la ville sainte un quartier particulier et y avaient plusieurs synagogues[94].

En 1382, le sultan Malec-Saleh Hadji fut dépossédé du trône d'Égypte et remplacé par Abou-Sel Barkouk, fondateur de la dynastie des mamelouks Borgites (gardiens des Tours), ou circassiens. Barkouk introduisit des réformes notables dans le gouvernement de Palestine ; le nouveau gouverneur qu'il y envoya en 1393 abolit tous les impôts illégaux qui avaient été introduits par les gouverneurs précédents[95].

A la fin du quatorzième siècle, sous le règne de Faradj, fils et successeur de Barkouk, la Palestine vit passer près d'elle un violent orage, qui jeta l'épouvante parmi les chrétiens comme parmi les musulmans. Timour ou Tamerlan, le célèbre empereur des Mogols, envahit alors la Syrie (1400), et fit la conquête d'Alep, d'Émesse, de Damas et de quelques autres villes ; les ruines et les torrents de sang marquaient son passage. Mais pressé de se rendre dans l'Anatolie pour combattre l'empereur ottoman Bajazet, il quitta promptement la Syrie, et cette fois la Palestine échappa aux désastres de la guerre.

Pendant plus d'un siècle encore il ne se passa en Palestine aucun événement d'une haute importance ; le pays resta soumis aux mamelouks circassiens. Les chrétiens y vivaient dans l'abaissement et sous une oppression tyrannique. Les souvenirs qu'y avaient laissés les guerres des croisades inspiraient aux musulmans une grande méfiance envers les chrétiens d'Europe, qui ne pouvaient aborder les lieux saints qu'en s'exposant aux plus graves dangers ; les chrétiens d'Orient, les Jacobites, les Arméniens, étaient seuls restés tolérés en Palestine. En 1432, le voyageur Bertrand de la Broquière ne trouva à Jérusalem que deux moines français qui étaient obligés de subir les plus cruels traitements ; les marchands chrétiens étaient enfermés chaque soir dans leurs bazars, que les musulmans ouvraient le matin à l'heure qui leur convenait. Les Juifs furent mieux traités ; dans une lettre inédite, datée de l'an 1438, et adressée par un rabbin italien de Jérusalem, nommé Élie, à sa famille établie à Ferrare[96], on lit que les Juifs, se livrant à diverses industries, travaillaient comme ouvriers chez les musulmans, et qu'ils n'avaient pas à y subir les humiliations et les vexations auxquelles ils étaient exposés dans les autres pays. Les métiers qui, selon le même écrivain, s'exerçaient alors de préférence dans la ville sainte, étaient ceux de charpentier, de tailleur, de cordonnier, d'orfèvre ; on s'occupait aussi du commerce des soieries, dont la fabrication était abandonnée aux femmes. Ceux qui se donnaient pour médecins ou pharmaciens étaient de la plus profonde ignorance. La vie y était beaucoup moins chère que dans aucun pays d'Occident, et on y jouissait d'une grande abondance de vivres.

En 1452, sous le règne du sultan Malec-Dhaher Djakinak, il y eut une violente persécution contre les chrétiens de la Palestine. Les musulmans, par ordre du sultan, dévastèrent plusieurs couvents et démolirent les constructions nouvelles élevées par les chrétiens dans le monastère du mont Sion et dans les églises de Bethléhem et du Saint-Sépulcre. Ils prirent possession du sépulcre de David, et, profanant les tombeaux chrétiens qui se trouvaient dans ce lieu, ils jetèrent les ossements hors du lieu de leur sépulture[97]. Les moines chrétiens restèrent en possession du couvent du mont Sion, mais il leur était absolument interdit d'y faire aucune construction nouvelle ; plus tard une chapelle élevée près du couvent donna lieu à de nouvelles disputes entre les musulmans et les chrétiens et fut démolie par ordre du sultan Malec-Aschraf Kayetbaï, en 1491[98].

Sous le règne de ce même sultan, un procès entre les musulmans et les Juifs, au sujet du terrain d'une synagogue, mit en émoi, pendant deux années, toute la population de la ville de Jérusalem (1473-75). Les musulmans avaient dans le quartier juif une mosquée qu'ils ne pouvaient aborder qu'en passant par une longue ruelle ; par hasard une maison appartenant à la synagogue vint à s'écrouler, ce qui rendait les abords de la mosquée plus faciles. Les musulmans s'opposèrent à la reconstruction de la maison, et engagèrent un procès avec la communauté juive, prétendant que le terrain de cette maison appartenait à la mosquée. Cependant les Juifs ayant produit leurs titres, gagnèrent le procès. Les musulmans s'adressèrent alors au sultan, qui ordonna une nouvelle enquête ; on gagna de faux témoins, et les Juifs, se voyant menacés, s'adressèrent à leur tour au sultan. La querelle s'étant envenimée, les musulmans démolirent la synagogue des Juifs. Sur ces entrefaites le procès fut porté devant le tribunal supérieur du Caire ; les Juifs eurent gain de cause, et la synagogue fut rétablie par l'ordre du sultan, dont l'irritation contre l'iniquité des juges de Jérusalem fut telle qu'il ordonna leur arrestation. Deux des principaux juges furent destitués et exilés de Jérusalem, et un schéikh, qui avait excité le peuple à démolir la synagogue, n'échappa à la colère du sultan qu'en se réfugiant à la Mecque. Cet événement peu important en lui-même peut servir cependant à faire connaître la position des rayas et la protection que leur accordaient les sultans circassiens ; il fit une grande sensation dans le pays, et l'auteur arabe qui le rapporte le présente comme un des événements les plus importants arrivés en Palestine sous le règne de Kayetbaï[99].

Les mamelouks circassiens exercèrent leur domination en Palestine jusqu'à l'année 1517, où l'empereur ottoman Selim Ier conquit la Syrie et la Palestine sur Kansou-Gauri, avant-dernier sultan d'Égypte. La Palestine ne fit que changer de maitre ; le sort de ses habitants restait sous les Turcs ce qu'il avait été sous les mamelouks ; mais l'Europe, qui redoutait la puissance des Turcs, fut frappée de consternation à la nouvelle de la conquête de Selim. — Toute la Syrie, y compris la Palestine, fut divisée en cinq gouvernements ou pachalics, savoir : celui d'Alep, celui de Tripoli, celui de Saïda ou Sidon (transféré plus tard à Acre), celui de Damas, et enfin celui de Falestîn (ou du midi de la Palestine), dont le siège a été tantôt à Gaza, tantôt à Jérusalem. La circonscription de ces pachalics a souvent varié ; mais la disposition générale s'est maintenue à peu près la même[100]. La Palestine proprement dite se composait du pachalic de Falestîn et d'une partie de ceux de Damas et d'Acre.

Pendant plus de deux siècles et demi il ne se passa en Palestine aucun changement notable. Nous ne sommes instruits de l'état du pays que par les pèlerins et les voyageurs qui le visitaient de temps à autre ; mais son histoire n'offre qu'une série monotone d'événements sans importance, des troubles, des séditions, causés par l'ambition et l'avidité des pachas. L'Europe, en s'occupant d'arrêter les invasions des Turcs, s'intéressait aussi au sort des lieux saints, auxquels se rattachaient tant de souvenirs, et pour la possession desquels elle avait fait tant de vains sacrifices. Voici comment l'illustre historien des croisades, en terminant son magnifique tableau de la lutte imposante entre l'Orient et l'Occident, rend compte des efforts pacifiques faits par les souverains d'Europe pour protéger les intérêts de leurs coreligionnaires d'Orient et le culte des lieux saints[101] :

La plupart des souverains de la chrétienté, à l'exemple de Charlemagne, mettaient leur gloire, non plus à délivrer, mais à protéger la ville de Jésus-Christ contre les violences des musulmans. Les capitulations de François Ier, renouvelées par la plupart de ses successeurs, renferment plusieurs dispositions qui tendent à assurer la paix des chrétiens et le libre exercice de la religion chrétienne dans l'Orient. Sous le règne de Henri IV, Deshayes, ambassadeur de France à Constantinople, alla visiter les fidèles de Jérusalem, et leur porta les consolations et les secours d'une charité toute royale. Le comte de Nointel, qui représentait Louis XIV auprès du sultan des Turcs, se rendit aussi dans la terre sainte, et Jérusalem reçut en triomphe l'envoyé du puissant monarque dont le crédit et la renommée allaient protéger les chrétiens jusqu'au delà des mers. Après le traité de Passarowitz, la Porte envoya une ambassade solennelle à Louis XV. Cette ambassade était chargée de présenter au roi très-chrétien un firman du Grand Seigneur, qui accordait aux catholiques de Jérusalem l'entière possession du saint Sépulcre et la liberté de réparer leurs églises. Les princes de la chrétienté envoyaient chaque année leurs tributs à la ville sainte, et dans les cérémonies solennelles, l'église de la Résurrection étalait les trésors des rois de l'Occident. Les pèlerins n'étaient plus reçus à Jérusalem par les chevaliers de Saint-Jean, mais par les gardiens du Sépulcre, qui appartenaient à la règle de saint François d'Assise. Conservant les mœurs hospitalières des temps anciens, le supérieur lavait lui-même les pieds des voyageurs, et leur donnait tous les secours nécessaires pour leur pèlerinage..... La sécurité qui régnait dans la ville de Jérusalem fit qu'on songea moins à sa délivrance. Ce qui avait suscité l'esprit des croisades dans le onzième siècle, c'était surtout la persécution dirigée contre les pèlerins, et l'état misérable dans lequel gémissaient les chrétiens d'Orient. Lorsqu'ils cessèrent d'être persécutés, et qu'ils eurent moins de misères à souffrir, des récits lamentables ne réveillèrent plus ni la pitié ni l'indignation des peuples de l'Occident, et la chrétienté se contenta d'adresser à Dieu des prières pour le maintien de la paix dans les lieux qu'il avait sanctifiés par ses miracles. Il y avait alors un es rit de résignation qui remplaçait l'enthousiasme des croisades ; la cité de David et de Godefroi se confondait dans la pensée des chrétiens avec la Jérusalem céleste ; et comme les orateurs sacrés disaient qu'il fallait passer par le ciel pour arriver au territoire de Sion, on ne dut plus s'adresser à la bravoure des guerriers, mais à la dévotion et à la charité des fidèles.

Malheureusement les généreux efforts de quelques souverains d'Europe et la bonne volonté de la Porte ottomane échouaient souvent contre les discordes des chrétiens de Palestine ; la possession des lieux consacrés par les traditions chrétiennes était un sujet de luttes continuelles entre les différentes sectes. Tantôt les Latins faisaient reconnaître leurs privilèges sous la puissante protection de l'Occident, tantôt les intrigues et l'or des Grecs l'emportaient sur les droits tant de fois garantis aux catholiques romains. Les querelles n'étaient pas moins vives entre les Grecs, les Arméniens et les Abyssins ; ces différentes sectes se disputaient surtout le privilège d'obtenir la descente du feu sacré ; leurs supercheries et leurs récriminations réciproques donnaient souvent lieu, dans l'église du Saint-Sépulcre, aux scènes les plus révoltantes et les plus scandaleuses ; l'église retentissait des éclats de rire des musulmans qui assistaient à ces scènes comme à un spectacle, et, s'il faut en croire Pietro della Valle, il s'y passait des choses bien plus convenables à des salles de spectacle et à des bacchantes qu'à des temples et à des cœurs contrits[102].

La population juive de Palestine reçut, pendant le seizième siècle, des accroissements considérables ; les juifs expulsés de l'Espagne et du Portugal se rendirent en très-grand nombre dans les pays soumis à la domination turque[103], et plusieurs rabbins espagnols allèrent s'établir en Palestine, où ils fondèrent de nouvelles écoles. Les sièges des principales d'entre elles étaient à Jérusalem, à Sapheth et à Tibériade. Vers la fin du quinzième siècle, l'illustre rabbin d'Italie Obadia de Bartenora (ou mieux Bertinoro), qui s'est rendu célèbre par son commentaire sur la Mischna, vivait à Jérusalem. L'école de Sapheth fut illustrée, vers 1530, par Jacob Berab, issu d'une famille distinguée des environs de Tolède ; il convoqua à Sapheth un synode composé de vingt-cinq rabbins, et essaya de rétablir le patriarcat et l'unité de la synagogue ; mais il avait trop présumé de son influence, et ses tentatives n'eurent pas de succès[104]. Les communautés de Palestine n'ont jamais pu parvenir à un état bien florissant ; les Juifs n'y trouvaient pas l'occasion de s'enrichir par de grandes

opérations commerciales et d'acquérir l'influence que souvent les grandes fortunes leur donnaient dans les autres pays musulmans. D'un autre côté, ils n'excitaient aucune jalousie par leur position, et vivaient en paix avec les autres habitants du pays. Depuis des siècles, les Juifs de Palestine et ceux qui dans leur vieillesse s'y rendent de l'Afrique, de la Turquie, et notamment de la Pologne, vivent, en grande partie, des aumônes qu'ils font recueillir, par des envoyés particuliers, dans toutes les communautés juives d'Orient et d'Occident.

La Palestine attire de nouveau notre attention depuis la seconde moitié du dix-huitième siècle. Comme dans les autres parties du vaste empire turc, les pachas étaient revêtus en Syrie d'un pouvoir illimité et absolu ; les agas et les schéikhs qui dépendaient d'eux opprimaient comme eux les districts qui leur étaient confiés. La Porte tolérait tous ces petits tyrans, et les laissait guerroyer entre eux, pour s'enrichir à la fin des dépouilles des vaincus. Un des chefs qui eurent le plus de pouvoir et d'influence fut le schéikh Dhaher, qui, pendant près de trente ans, remplit l'Orient du bruit de ses exploits et inspira à la Porte de vives inquiétudes[105].

Dhaher, Arabe d'origine, né vers 1685 ou 1686, était issu des Beni-Ziadneh, l'une des familles les plus puissantes des Bédouins des environs du Jourdain et du lac de Tibériade. Après la mort d'Omar, son père, arrivée dans les premières années du dix-huitième siècle, il partagea le commandement avec un oncle et deux frères ; la petite ville de Sapheth fut son domaine, et peu après il y ajouta Tibériade. En 1742, Dhaher, assiégé dans cette ville par le pacha de Damas, eût succombé, si une mort subite ne l'eût délivré de son ennemi. Mais, tranquille du côté des Ottomans, il se brouilla, par des discussions d'intérêt, avec son oncle et ses frères. Dhaher, après les avoir vaincus dans plusieurs combats, termina ses querelles en faisant périr ses concurrents. Alors disposant seul de toutes les forces de cette famille puissante, il ouvrit une plus grande carrière à son ambition. Le commerce qu'il faisait lui ayant fait sentir le besoin de communiquer directement avec la mer, il s'empara d'Acre, dont il fit sa résidence (1749). Par des protestations de respect et d'obéissance, accompagnées de quelques mille sequins, il sut légitimer sa conquête auprès de la Porte ; Acre, qui n'était alors qu'un misérable village, reçut par ses soins quelques fortifications et acquit bientôt une grande importance. Dhaher s'occupa des soins de l'administration ; il encouragea l'agriculture, réprima les courses et les pillages des tribus arabes voisines, et parvint à rétablir la sûreté dans les campagnes. Les cultivateurs musulmans et chrétiens, partout vexés et dépouillés, vinrent de toutes les parties de la Syrie se réfugier auprès de Dhaher, sous la domination duquel ils trouvaient la sécurité et la tolérance religieuse ; parmi les nouveaux venus on remarquait même une colonie de Grecs de l'île de Chypre. D'autre part, Dhaher se fortifia par des alliances avec les grandes tribus du désert, et s'attacha les Motewalis, sectaires musulmans des environs de Tyr, en les réconciliant avec les pachas de Saïda et de Damas, dont ils avaient pillé les terres, et en offrant d'être leur caution et de payer le tribut pour eux ; il s'assura ainsi l'amitié d'un peuple qui pouvait mettre dix mille cavaliers sur pied. Malheureusement ses enfants, à qui il avait confié des gouvernements, n'imitaient pas sa prudence ; ils vexèrent leurs sujets, pour satisfaire leur luxe. Le vieux schéikh leur fit des reproches ; les querelles intervinrent bientôt, et la guerre éclata entre Dhaher et ses enfants, qui, croyant leur vieux père près de terminer sa carrière, voulaient anticiper sa succession. De son côté, la Porte ne voyait pas sans inquiétude les accroissements de Dhaher, qui ne craignit pas de demander, vers 1768, les titres de schéikh d'Acre, prince des princes, commandant de Nazareth, de Tibériade de Sapheth, et schéikh de toute ta Galilée. La Porte accorda tout à la crainte et à l'argent ; mais elle n'oublia pas les nombreux griefs qu'elle avait contre Dhaher, et notamment le pillage d'une grande caravane de la Mecque, commis en 1757, par des Arabes alliés de Dhaher, et les relations que celui-ci entretenait avec les corsaires maltais, qui venaient vendre à Acre les produits de leurs brigandages. Comme à l'ordinaire, la Porte agissait sourdement ; elle stimulait les brouilleries domestiques et opposait à Dhaher des agents capables d'arrêter ses progrès, tels qu'Othman, pacha de Damas, et ses deux fils, nommés pachas de Tripoli et de Saïda (1760-65). Othman, croyant avoir trouvé le moment de frapper un coup décisif, comptait surprendre Dhaher ; mais il fut battu lui-même par l'intrépide Ali, fils de Dhaher. La tyrannie d'Othman servit encore mieux les intérêts du schah, dont la puissance prit de nouveaux accroissements par les révoltes qui éclatèrent contre le pacha de Damas sur plusieurs points de la Palestine.

Ce fut en ces circonstances que le fameux mamelouk Ah-Bey, conquérant de la Mecque et de l'Égypte, tourna ses projets d'agrandissement vers la Syrie ; il trouva un puissant allié dans le schéikh Dhaher. En 1770, Ali-Bey fit passer à Gaza un corps de mamelouks qui occupa Ramla et Lydda, et au mois de février 1771, son ami Mohammed-Bey arriva en Palestine avec la grande armée. Les troupes réunies d'Ali et de Dhaher battirent complètement le pacha de Damas ; mais Mohammed-Bey, changeant subitement de dessein, reprit le chemin du Caire. Néanmoins Dhaher remporta une nouvelle victoire sur le pacha de Damas ; la Porte, effrayée des revers que lui faisaient éprouver les Russes, fit proposer à Dhaher une paix très-avantageuse ; mais Ibrahim Sabbàgh, chrétien, ministre de Dhaher, espérant toujours qu'Ali-Bey viendrait conquérir la Syrie, rejeta les propositions de la Porte. Bientôt la nouvelle de l'expulsion d'Ali par Mohammed-Bey vint désabuser Ibrahim ; Mi arriva à Gaza, en qualité de fugitif et de suppliant. Dhaher donna l'hospitalité à Ali, et les deux chefs remportèrent plusieurs victoires éclatantes sur les Turcs. Ali, trompé par les émissaires de Mohammed-Bey, qui lui faisaient espérer son rétablissement en Égypte, quitta la Syrie en 1773 ; mais il périt bientôt, victime d'une trahison. Dhaher obtint encore quelques succès contre le fameux Ahmed, surnommé Djezzcir (boucher), pacha de Béirouth ; mais, malgré l'alliance faite avec les Druzes, sa fortune commença à l'abandonner, et la paix conclue entre la Porte et la Russie obligea le vieux schéikh à traiter avec les Turcs. L'on convint que Dhaher et ses enfants mettraient bas les armes, qu'ils conserveraient le gouvernement de leur pays et que le schéikh paierait le tribut comme par le passé. Ces propositions, arrêtées sans l'avis des fils de Dhaher, déterminèrent leur révolte. Sur ces entrefaites, Mohammed-Bey entra en Palestine (1775) ; Dhaher, abandonné de tous ses alliés, s'enfuit dans les montagnes, avec son ministre Ibrahim, et les mamelouks se rendirent maîtres d'Acre. Quoique la mort subite de Mohammed remît Dhaher en possession de cette ville, il y fut bientôt assiégé par les Turcs, et il reconnut trop tard que la Porte, en lui accordant la paix, n'avait voulu qu'endormir sa vigilance. Le chef des Barbaresques qui étaient à la solde de Dhaher fut d'avis qu'on achetât l'inaction du capitan-pacha, assurant qu'il était certain de le renvoyer, et même de s'en faire un ami, en lui comptant deux mille bourses ; mais le ministre Ibrahim, par avarice, rejeta cet avis et voulut qu'on repoussât la force par la force. Dhaher donna raison à son ministre, et accusa de trahison le chef des Barbaresques. Celui-ci sortit à l'instant du conseil, et, rassemblant ses troupes, leur défendit de tirer sur les Turcs. Au moment du combat, Dhaher, se voyant abandonné par les Barbaresques, et ne pouvant songer à la résistance, voulut chercher son salut dans la fuite. Quoiqu'il fût alors âgé de quatre-vingt-dix ans, il monta à cheval et chercha à gagner la campagne ; mais atteint d'un coup de fusil dans les reins, que lui tira un Barbaresque, Dhaher tomba de cheval ; les Barbaresques accoururent aussitôt et lui coupèrent la tête ; elle fut portée au capitan-pacha qui la fit saler, afin de l'apporter à Constantinople.

Après la mort de Dhaher, Djezzâr fut nommé pacha d'Acre et de Saïda, et reçut la mission d'exterminer les enfants de Dhaher et d'achever la ruine des rebelles. Il se rendit maître de trois fils du schéikh, Othman, Séid et Ahmed ; Ali résista près d'une année et ne succomba que par la trahison des Barbaresques, qui, sous prétexte de réclamer son appui, s'introduisirent auprès de lui et l'assassinèrent. Le capitan-pacha lit égorger Séid, Ahmed et leurs enfants. Othman fut épargné en faveur de son talent pour la poésie et envoyé à Constantinople. Djezzâr ayant battu les Druzes et anéanti presque tous les Motewalis, obtint de nouvelles faveurs de la Porte ; son pachalic reçut de grands accroissements et embrassait tout le littoral de la Palestine et toute la Galilée. Quoique le divan prît ombrage de sa fortune, il sut se maintenir dans son gouvernement, et il exerçait depuis plus de vingt ans les plus horribles vexations sur les habitants d'une grande partie de la Syrie et de la Palestine, lorsque le général Bonaparte, ayant appris les préparatifs qu'il faisait contre lui, vint des bords du Nil envahir la Palestine, afin d'empêcher les troupes rassemblées en Syrie de s'approcher de l'Égypte.

Dans les premiers jours de février 1799, l'armée française, composée des divisions Kléber, Régnier, Lannes, Bon et Murat, et forte de treize mille hommes environ, se mit en marche vers El-Arisch ; elle arriva devant cette place le 17 février ; la garnison, composée de treize cents hommes, se rendit après une courte résistance, et fut renvoyée à condition de ne plus servir contre les Français. Bonaparte s'empara, avec la même facilité, de Gaza, d'où l'armée se dirigea sur Yâfa ou Joppé. Cette place, qui renfermait une assez forte garnison, donna la première l'exemple d'une vive résistance, mais qui dura à peine deux jours ; attaquée le 4 mars, elle se défendit jusqu'au 6, où elle fut prise d'assaut et livrée à trente heures de pillage et de massacres. Bonaparte envoya ses aides de camp, Beauharnais et Croisier, pour apaiser la fureur des soldats ; les deux officiers crurent devoir accepter les offres de paix d'environ quatre mille soldats, pour la plupart Arnautes et Albanais, qui, retranchés dans quelques vastes bâtiments, crièrent des fenêtres qu'ils voulaient bien se rendre si on voulait leur assurer la vie sauve, et déclarèrent que, dans le cas contraire, ils se défendraient jusqu'à la dernière extrémité. Lorsqu'on amena au camp ces quatre mille prisonniers, Bonaparte en fut fort embarrassé ; il ne pouvait pas les envoyer en Égypte, parce qu'il n'avait pas les moyens de les faire escorter, et il ne voulait pas les renvoyer libres, de crainte qu'ils n'allassent à Acre renforcer le pacha. Après trois jours d'inutiles délibérations, Bonaparte donna l'ordre de fusiller les prisonniers ; cet ordre barbare fut exécuté le 10 mars, sur le bord de la mer. Plusieurs de ces malheureux, dit un témoin oculaire[106], parvinrent à gagner à la nage quelques récifs assez éloignés pour que la fusillade ne pût les atteindre. Les soldats posaient leurs armes sur le sable, et employaient, pour les faire revenir, les signes égyptiens de réconciliation en usage dans le pays. Ils revenaient, mais à mesure qu'ils avançaient ils trouvaient la mort et périssaient dans les flots. Je me bornerai à ces détails sur cette horrible nécessité dont je fus témoin oculaire. D'autres, qui l'ont vue comme moi, m'en épargnent heureusement le sanglant récit. Cette scène atroce me fait encore frémir lorsque j'y pense, comme le jour où je la vis, et j'aimerais mieux qu'il me fût possible de l'oublier que d'être forcé de la décrire. Tout ce que l'on peut se figurer d'affreux dans ce jour de sang serait encore au-dessous de la réalité. — Les soldats français prirent, en s'arrêtant à Yâfa, les germes de la peste, qui enleva sept à huit cents hommes dans l'expédition de Syrie.

De Yâfa, Bonaparte s'avança sur Saint-Jean d'Acre, en passant par la plaine de Saron. La prise d'Acre ouvrait aux Français toute la Syrie ; mais Djezzâr, qui s'était enfermé dans cette place avec une armée considérable, était décidé à se défendre jusqu'à la dernière extrémité. Il pouvait compter sur le secours de l'escadre de Sidney-Smith, qui croisait dans ces parages, et bientôt l'armée turque, réunie en Syrie, devait s'avancer de Damas et passer le Jourdain. Bonaparte se hâta de faire ouvrir la tranchée (le 20 mars). Malheureusement l'artillerie de siège qui devait venir par mer d'Alexandrie avait été enlevée par Sidney-Smith, qui allait s'en servir lui-même contre les Français. Les premières opérations du siège se firent sous le feu bien nourri des remparts et de l'artillerie que les Anglais avaient enlevée. L'artillerie de la place était dirigée par des pointeurs anglais et par un ancien émigré, Phélippeaux, officier du génie d'un grand mérite. Déjà les travaux étaient avancés, et un assaut avait été tenté, lorsque, le 1er avril, on annonça l'approche de la grande armée turque, sous le commandement d'Abdallah, pacha de Damas, qui en effet passa le Jourdain le 4 avril. Bonaparte détacha la division Kléber pour aller à la rencontre des Turcs ; le 8 avril, Junot, avec l'avant-garde de Kléber, rencontra les avant-gardes turques sur la route de Nazareth. Junot, qui n'avait que cinq cents hommes avec lui, fit des prodiges de bravoure ; mais, obligé de céder au nombre, il se replia sur la division Kléber. Celle-ci s'avançait, et Bonaparte, instruit de la force de l'ennemi, vint soutenir Kléber avec la division Bon. Le 16 avril, Kléber ayant débouché, avec trois mille hommes à peine, dans la plaine d'Esdrelon, non loin du village de Fouli, trouva toute l'armée turque en bataille. Il résista pendant six heures à quinze mille fantassins et à plus de douze mille cavaliers ; enfin Bonaparte étant arrivé du mont Thabor avec la division Bon, qu'il partagea en deux carrés, l'ennemi se trouva enfermé au milieu de cette division et de celle de Kléber, qui s'élança aussitôt sur le village de Fouli, et fit un grand carnage de l'ennemi. Les Turcs s'enfuirent en désordre, abandonnant leur camp, quatre cents chameaux et un butin immense au pouvoir des   Français. Les fugitifs, voulant passer le Jourdain, furent attaqués par Murat, qui en tua un grand nombre.

Après cette victoire, on reprit le siège d'Acre, dont les travaux, pendant cet intervalle, avaient été continués avec ardeur. Le 7 mai, un renfort de douze mille hommes arriva dans le port d'Acre ; Bonaparte voulut donner l'assaut avant que les nouvelles troupes eussent le temps de débarquer. La nuit même on monta à la brèche ; plus de deux cents hommes pénétrèrent dans la ville, mais l'ennemi ayant fait une sortie, ils se trouvèrent coupés de l'armée de siège et ne purent être appuyés. En même temps les troupes débarquées s'avancèrent en bataille ; une partie des braves qui avaient pénétré dans la ville parvinrent à en sortir ; les autres, retranchés dans une mosquée, ne durent leur salut qu'à l'intervention de Sidney-Smith, qui, touché de leur bravoure, leur fit accorder une capitulation. Un nouvel assaut, donné le 10 mai, n'eut pas plus de succès. Bonaparte reconnut enfin qu'il serait impossible de s'emparer de cette place défendue par une nombreuse armée. Les Français avaient perdu près de trois mille hommes ; on était menacé des ravages de la peste, et on annonçait l'arrivée d'une armée turque vers les bouches du Nil. Le 20 mai, Bonaparte se décida à lever le siège, qui avait duré deux mois ; les Français, avant de reprendre le chemin de l'Égypte, accablèrent la ville de leurs feux et la laissèrent presque réduite en cendres. Bonaparte, arrivé à Yâfa, en fit sauter les fortifications. Il y avait dans cette ville une cinquantaine de pestiférés incurables qu'il était impossible d'emporter, et qu'il fallut abandonner à leur sort. Bonaparte dit au médecin Desgenettes qu'il y aurait bien plus d'humanité à leur administrer de l'opium qu'à leur laisser la vie ; à quoi ce médecin fit cette réponse, fort vantée : Mon métier est de les guérir, et non de les tuer. On ne leur administra point d'opium, et ce fait servit à propager une calomnie indigne, et aujourd'hui détruite'[107].

Après le départ des Français, Djezzâr, qui, pendant le siège d'Acre, avait déployé une rare valeur personnelle, reprit tout son ascendant. Le grand vizir étant arrivé en Syrie vers la fin de l'année 1799, il s'éleva entre lui et le pacha des querelles si violentes, que leurs troupes en vinrent aux mains, et se livrèrent plusieurs combats sanglants, ce qui retarda l'expédition des Turcs contre l'Égypte. Après le départ de l'armée turque, Djezzâr vint mettre le siège devant Yâfa, où les Anglais unis aux Turcs avaient bâti un bastion. Abou-Marra, favori du grand-vizir, chargé de la défense de cette place, résista pendant neuf mois aux troupes de Djezzâr, et trouva moyen de s'échapper par mer.

A la mort de Djezzâr (1804), Ismaël-Pacha se saisit de l'autorité en Palestine ; il fut bientôt remplacé par Suleiman-Pacha. Abou-Marra, nommé pacha de Djedda, sur la mer Rouge, ayant pris sa route à travers la Palestine, s'arrêta dans Yâfa, et refusa de se rendre à son poste. Suleiman reçut ordre d'attaquer le rebelle, et Yâfa 'fut assiégée de nouveau. Après une faible résistance, Abou-Marra se réfugia auprès du pacha de Damas[108].

La ville de Jérusalem, dépendante du pacha de Damas, ne fut point troublée dans les événements qui signalèrent les dernières années du dix-huitième siècle. Le gouvernement de Jérusalem est resté à peu près le même depuis le commencement de la domination turque jusqu'à nos jours. Le pacha de Damas y envoyait un gouverneur, appelé Motesellim (dépositaire d'autorité), qui en payait une ferme, dont les fonds se tiraient du miri, des douanes et surtout de la jalousie mutuelle des différentes sectes chrétiennes, qui se disputaient sans cesse à prix d'argent la possession des lieux saints[109]. Jérusalem, dit M. de Chateaubriand[110], est livrée à un gouverneur presque indépendant ; il peut faire impunément le mal qu'il lui plaît, sauf à en compter ensuite avec le pacha. On sait que tout supérieur en Turquie a le droit de déléguer ses pouvoirs à un inférieur ; et ses pouvoirs s'étendent toujours sur la propriété et la vie. Pour quelques bourses un janissaire devient un petit aga ; et cet aga, selon son bon plaisir, peut vous tuer ou vous permettre de racheter votre tête. Les bourreaux se multiplient ainsi dans tous les villages de la Judée. La seule chose qu'on entende dans ce pays, la seule justice dont il soit question, c'est : Il payera dix, vingt, trente bourses ; on lui donnera cinq cents coups de bâton ; on lui coupera la tête. Un acte d'injustice force à une injustice plus grande. Si l'on dépouille un paysan, on se met dans la nécessité de dépouiller le voisin ; car, pour échapper à l'hypocrite intégrité du pacha, il faut avoir, par un second crime, de quoi payer l'impunité du premier.

Sous le rapport ecclésiastique, les catholiques sont administrés par le gardien (guardiano) du couvent de Saint Sauveur ; on vante généralement le bon accueil que les pèlerins trouvent dans ce couvent. Les Grecs et les Arméniens ont leurs patriarches ; ils possèdent plusieurs couvents à Jérusalem, à Bethléhem et dans les environs.

Toute la Palestine, en deçà du Jourdain, se divise maintenant en sept districts : 1° El-Kods, renfermant Jérusalem, Jéricho, et environ deux cents villages ; 2° El-Khalil, ou Hébron, et le midi de la Judée ; 3° Gaza, ou la côte méridionale, avec les villes de Gaza et de Yâfa, et environ trois cents villages ; 4° Loudd, ou les environs de l'ancienne Lydda ; 5° Nablous, l'ancienne Sichem et te pays de Samarie ; 6° Areta, le mont Carmel et une partie de la plaine d'Esdrélon ; 7° Safad ou Sapheth, l'ancienne Galilée, appelée aussi Belâd el Bouschra (le pays de l'Évangile).

De nos jours, la guerre entre le vice-roi d'Égypte et le sultan a de nouveau donné quelque importance à la Palestine. Des paysans égyptiens, échappés à la tyrannie de Mohammed-Ali, s'étaient réfugiés en Syrie, et avaient trouvé protection auprès d'Abdallah, pacha d'Acre ; Mohammed-Ali demandait l'extradition des paysans, et réclamait en même temps le remboursement d'une grande somme qu'il avait payée pour obtenir la grâce d'Abdallah, lorsque celui-ci était menacé du courroux de la Porte. Mohammed-Ali demanda à la Porte l'autorisation de prendre les armes contre Abdallah ; mais le divan répondit que les fellahs égyptiens étaient sujets de l'empire, et non les esclaves du pacha d'Égypte, et qu'il leur était loisible de se transporter où bon leur semblait. Cependant, après la révolte du pacha de Scutari, la Porte, voulant acheter les secours, ou tout au moins la neutralité de Mohammed-Ali, lui accorda l'autorisation de marcher en Syrie, sous les ordres du capitan-pacha. L'expédition fut retardée par les ravages du choléra. Enfin, au mois d'octobre 1831, une armée, forte de trente mille hommes, et commandée par Ibrahim-Pacha, partit du Caire, et bientôt une flotte de vingt-deux bâtiments de guerre se dirigea également sur la Syrie. Ibrahim occupa sans obstacle Gaza, Yâfa et Caïfa, et parut le 27 novembre devant Acre. Abdallah, bien qu'il n'eût qu'une garnison de deux mille hommes, faisait une vive résistance. Le sultan voulut s'interposer entre les deux pachas, et ordonna à Mohammed-Ali de suspendre les hostilités ; mais le vice-roi d'Égypte ne tint aucun compte des ordres du sultan. Un firman déclara Mohammed-Ali et son fils traîtres et rebelles. Ibrahim, laissant devant Acre cinq mille hommes pour tenir la place bloquée, se porta en avant avec le reste de son armée, vers la fin de mars 1832. Après avoir battu et détruit, près de Tripoli, une division de quinze mille hommes, commandée par Othman-Pacha (7 avril), Ibrahim ramena ses troupes devant Acre. Cette place fut prise d'assaut le 27 mai, et avec elle la Syrie et la Palestine tombèrent au pouvoir de Mohammed-Ali, qui bientôt porta ses armes victorieuses jusqu'au Taurus et à l'Euphrate.

Tandis qu'on vantait en Europe la civilisation répandue en Égypte et en Syrie par le vaste génie de Mohammed-Ali, que ses créatures représentaient comme le régénérateur de l'Orient, le tyran égyptien, s'affublant de quelques lambeaux de civilisation européenne, ne suivait que son instinct barbare et destructeur, et écrasait les peuples sous le joug le plus odieux. Mohammed-Ali n'empruntait à l'Europe que les moyens de lutter contre son souverain et de fortifier sa domination ; c'est là qu'aboutissaient les établissements industriels et scientifiques tant vantés en Europe ; le peuple n'y eut jamais aucune part. L'Égypte et la Syrie, dont un vrai génie civilisateur aurait pu faire un paradis, furent confisquées au profit d'un seul homme, et présentaient au voyageur un spectacle d'abaissement et de misère, dont on saurait difficilement se faire une idée parmi nous. La tolérance religieuse qu'on a remarquée dans Mohammed-Ali, et la sécurité avec laquelle le voyageur, dans ces derniers temps, pouvait parcourir l'Égypte et la Syrie, sont les résultats nécessaires des relations établies entre le vice-roi et l'Europe. La tolérance et la protection qu'il accorde de préférence aux Européens ne sont qu'un calcul intéresse, et les indigènes sont réduits à envier, sur le sol paternel, le sort des étrangers qui viennent l'exploiter. Un jour, quand les préventions de la politique et le froid égoïsme de la diplomatie auront fait place à la justice sévère de l'histoire, on s'étonnera que la France ait pu oublier un moment la cause de l'humanité pour servir celle de Mohammed-Ali, et on aura de la peine à croire qu'elle ait été à la veille de déclarer la guerre à l'Europe tout entière, pour conserver la Syrie au tyran d'Égypte.

Les événements de 1840 sont trop bien connus pour que nous ayons besoin de nous y arrêter. On sait que le traité du 15 juillet, signé à Londres entre l'Angleterre, la Prusse, l'Autriche et la Russie, d'une part, et la Sublime Porte, de l'autre, assurait à Mohammed-Ali l'administration héréditaire de l'Égypte, le gouvernement à vie de cette portion de la Syrie qui s'étend de la mer Rouge jusqu'à l'extrémité septentrionale du lac de Tibériade et de la Méditerranée au Jourdain (par conséquent toute la Palestine en deçà du Jourdain), et enfin le titre de pacha d'Acre avec le commandement de la forteresse. Le sultan, en faisant ces offres, y attachait la condition que Mohammed-Ali les acceptât dans l'espace de dix jours, après que la communication lui en aurait été faite à Alexandrie, et qu'il retirât immédiatement ses forces de toutes les autres parties de l'empire ottoman, qui n'étaient pas comprises dans les limites indiquées dans le traité. Le vainqueur de Nézib refusa de souscrire à cette convention, soit qu'il se sentît encouragé par la présence en Egypte des agents du ministre des affaires étrangères de France (M. Thiers), soit qu'il se fit des illusions sur ses propres forces. L'obstination de Mohammed-Ali nécessita enfin l'exécution militaire des résolutions des quatre puissances. Les forces navales combinées de l'Angleterre et de l'Autriche, secondées énergiquement par les Turcs, attaquèrent les points principaux de la côte de Syrie. Beirouth, bombardé par le commodore anglais sir Charles Napier, succomba le 11 septembre, malgré l'habile et courageuse défense de Soliman-Pacha (colonel Selves). Sidon, qui n'avait pas d'artillerie, se rendit le 21 septembre. L'explosion d'un magasin à poudre, qui tua beaucoup d'Égyptiens, hâta la reddition d'Acre, qui eut lieu le 3 novembre, après trois heures de bombardement. Les alliés en prirent possession le 4 ; dès lors c'en fut fait de la domination de Mohammed-Ali en Syrie. Le vice-roi conclut avec le commodore Napier une convention par laquelle il s'engagea à ordonner à son fils Ibrahim d'évacuer la Syrie, qui rentra sous la domination de la Porte.

L'esprit qui anime maintenant le gouvernement turc, et l'influence que les puissances d'Europe ont exercée récemment sur les destinées de la Palestine, assurent dorénavant aux habitants de toutes les sectes une égale protection. Le prosélytisme protestant a profité des derniers événements pour essayer d'établir à Jérusalem un foyer de propagande ; pour la première fois, la ville sainte renferme dans ses murs un siège épiscopal protestant. Il est inutile de dire que les tentatives de l'évêque Alexandre, ex-juif, envoyé en Palestine sous les auspices de l'Angleterre et de la Prusse, n'ont eu jusqu'ici aucun succès parmi les anciens coreligionnaires du nouvel apôtre. Le sol de Jérusalem, par les souvenirs qu'il rappelle, paraît mal choisi pour faire de la propagande parmi les Juifs, et le nouveau missionnaire ne peut qu'augmenter les discordes perpétuelles entre les diverses communions chrétiennes. De leur côté, les Juifs d'Europe, pour soulager la misère de leurs frères en Palestine et leur créer un meilleur avenir, ont ouvert récemment une souscription pour fonder à Jérusalem un hospice israélite et une école où l'on introduirait un enseignement européen. En tête des souscripteurs, qui sont déjà assez nombreux, on remarque la maison Rothschild, qui consacre à cette œuvre de charité une somme de cent mille francs.

On s'est beaucoup occupé, dans ces derniers temps, des destinées futures de la Palestine, et on a formé les projets les plus singuliers. Il ne nous est pas donné de soulever le voile de l'avenir ; mais, quelles que soient les destinées politiques réservées à la Palestine, elle devra rester, sous le rapport religieux, un pays neutre, où, sous la protection de la civilisation européenne qui doit y pénétrer, les hommes pieux, quelles que soient leurs croyances, se livreront en paix à l'adoration, aux regrets et à l'espérance.

 

FIN DE L'OUVRAGE.

 

 

 



[1] Voyez Suétone, Domitien, c. 12.

[2] Voyez Eusèbe, Hist. ecclésiastique, l. III, ch. 12 et 19 ; Eutychii (Ibn-Batrik), Annales, éd. Pocock. (arab. lat.), t. I, p. 344.

[3] Voyez Dion Cassius, l. LXVIII, ch. 32. Eusèbe (Hist. ecclésiastique, l. IV, ch. 2) donne au chef des Juifs le nom de Lucuas et le qualifie roi de cette nation.

[4] Voyez Beréschith rabba, sect. 64 ; Jost, Hist. des Isr., t. III, p. 239.

[5] Bar-Coziba, à ce qu'il parait, était son véritable nom, et non pas, comme on le dit communément, un sobriquet qu'on lui aurait donné plus tard, et signifiant fils du mensonge. Dans le Thalmud de Jérusalem, Thaanith, ch. 4, le célèbre Akiba, partisan de ce Messie, l'appelle lui-même Coziba ; comparez le Midrasch sur les Lamentations de Jérémie, ch. 2, v. 2. Münter (Uder den jüdischen Krieg unter Trajan und Hadrian, p. 57 et suiv.) et, d'après lui, Jost (l. c., p. 244) lui attribuent, sur la foi de quelques monnaies, le nom de Simon, qui me parait fort problématique.

[6] Ses monnaies sont mentionnées dans les deux Thalmuds. Voyez Thalmud de Jérusalem, traité Maaser schéni, ch. 1 ; Thalmud de Babylone, traité Bava Kamma, fol. 97 b ; Buxtorf, Lexic. Thalmud., col. 1029.

[7] Voyez Nombres, ch. 24, v. 17.

[8] Kινουμένης πάσης οἰκουμένης, dit Dion Cassius, l. LXIX, ch. 13.

[9] La position géographique de la ville de Béthar n'est pas bien connue. Eusèbe (Hist. ecclésiastique, IV, 6) la place près de Jérusalem ; selon le Thalmud de Jérusalem (Thaanith, ch. 4), elle était à 40 milles de la mer. Il paraîtrait résulter d'un passage de la Mischna (Ire partie, Hallah, ch. 4, § 10) qu'elle était située hors des limites de la Judée et peut-être dans le midi, non loin de Thécoa. Il y en a qui l'identifient avec Bethsour près de Hébron, où l'on trouve encore un village appelé Betour.

[10] Voyez Eusèbe, Hist. ecclésiastique, IV, 6. Cet état de choses existait encore du temps de saint Jérôme ; voici ce que nous lisons dans son Commentaire sur Sophonia, c. 1 : Usque in præsentem diem prohibentur ingredi Jerusalem, et ut ruinam suæ eis flere liceat civitatis, pretio redimunt.

[11] Saint Épiphane, De ponderibus et mensuris, c. 14. La Chronique alexandrine a reproduit le récit d'Epiphane.

[12] Voyez entre autres, Midrasch rabba sur l'Exode, section 30.

[13] Voyez Jost, l. c., t. IV, p. 83.

[14] Dans les Novelles de Justinien la Mischna est désignée sous le nom de δευτέρωσις (voy. Nov. 146, 1) ; de même par saint Augustin, Contra adversar. legis et prophetarum, II, 1.

[15] La MISCHNA a été publiée, avec une version latine du texte et des commentaires de Maïmonide et de Bartenora, et accompagnée des notes de plusieurs savants, par Surenhusius, en six volumes in-fol., Amsterdam, 1698-1703.

[16] Eutychii Annales, p. 466 et suivantes ; Fabricii, Lux evang., p. 124 et 125. — Voyez en général Gibbon, History of the decline and fall of the roman empire, ch. 23, éd. de Paris (en un volume), p. 356, et les autorités qui y sont citées.

[17] Saint Jérôme, dans ses additions à la Chronique d'Eusèbe.

[18] Comparez Gibbon, History, etc., l. c., éd. de Paris, p. 357.

[19] Ammien Marcellin, l. 23, ch. 1.

[20] Josèphe, Antiquités, XVI, 7, 1.

[21] Voyez Gibbon, l. c., page 358. Le silence gardé sur cet événement par saint Jérôme, qui, quelques, années après, vint en Palestine, prouve, selon Gibbon, que sur les lieux mêmes le prétendu miracle avait fait beaucoup moins de sensation que dans les contrées éloignées.

[22] Voyez Jost, l. c., t. IV, p. 223 et suivantes.

[23] Voyez Le Quien, Oriens christianus, t. III, p. 113 et suivantes.

[24] La Palestine, depuis Constantin, était divisée en trois parties : 1° Palœstina prima, comprenant l'ancien pays de Samarie, celui de Juda et le territoire des Philistins ; 2° Palœstina seconda, qui renfermait l'ancienne Galilée et la Trachonitide ; 3° Palœstina tertia, ou salutaris, comprenant l'ancienne Pérée et l'Idumée.

[25] Voyez Barbebræus ou Aboulfaradj, Chron. Syr., p. 79 (vers. lat., p. 77) ; Chron. ar. ou Hist. dynastiarum, p. 147 (vers. lat., p. 93). — Comparez Jost, l. c., t. V, p. 161-163.

[26] Voyez Gibbon, ch. 47, page 932, et les auteurs qui y sont cités.

[27] Voyez Jost, l. c., t. V, p. 166. M. Poujoulat, dans son Histoire de Jérusalem (t. II, p. 274), parle aussi du voyage que Sabas fit à Constantinople, pour y remplir, dit-il, une mission de charité ; mais la révolte des Samaritains n'est pas mentionnée dans cet ouvrage. En général, on doit regretter que le célèbre auteur de l'Histoire de Jérusalem se soit moins préoccupé des événements historiques que des traditions de l'Église.

[28] Voyez Justin, Novelles, 45, 1.

[29] Voyez Novelle 129.

[30] Voyez Baronius, Annal. ecclés., à l'année 555.

[31] Voyez en général Jost, l. c., t. V, p. 163-191.

[32] Imperarium, éd. de l'Empereur, p. 37, 52 et 57.

[33] Iehouda Al-Harizi, Thahkemoni, ch. 17. S'il faut en croire l'auteur arabe Makrizi, il existait encore au 15e siècle un grand nombre de Samaritains dans les villes de la Syrie. (Voyez la Chrestomathie arabe de Silvestre de Sacy, t. I, p. 301.) Le même auteur mentionne une synagogue samaritaine au Caire.

[34] Sur les Samaritains, sur leurs doctrines et usages, et sur les lettres qu'ils ont échangées depuis le seizième siècle avec plusieurs savants d'Europe, on peut voir Grégoire, Hist. des sectes religieuses, t. III, et Silvestre de Sacy, dans les Notices et extraits des manuscrits, t. XII.

[35] Sur les détails de la Masora on peut voir Jean Buxtorf, Tiberias, sive commentarius masorethicus, Basileæ, 1665, in-4°.

[36] Poujoulat, Histoire de Jérusalem, t. II, p. 276 et suivantes.

[37] On a dit que les Juifs achetèrent 90.000 prisonniers qu'ils assassinèrent froidement mais il n'est guère probable qu'un aussi grand nombre de prisonniers se soient laissé égorger sans résistance et que les Perses aient autorisé cette horrible boucherie. Barbebrœus (Chron. syr., vers. lat., p. 99) dit avec plus de vraisemblance, sans parler des Juifs : Cepit (Schaharbarz) Hierosolyma ibique occidit 90000 homines. Selon Gibbon (ch. 46, p. 807), the massacre of ninety thousand christians is imputed to the Jews and Arabe, who swelled the disordre of the Persian march.

[38] Voyez les Annales d'Ibn-Batrik, ou Eutychius, t. II, p. 242 et suivantes.

[39] Gibbon, ch. 51, p. 949.

[40] Voyez Aboulfaradj, Chron. syr., p. 109. On trouve le texte arabe de la capitulation dans l'Histoire de Jérusalem et d'Hébron, ms. ar. de la Bibl. roy., fonds de Saint-Germain des Prés, 100, fol. 114 recto. On y lit les mots : Et aucun Juif n'habitera Ilia (Ælia). Mais l'authenticité de cette pièce est fort douteuse.

[41] Cette mosquée est une des trois que les musulmans considèrent comme les plus sacrées et où ils vont en pèlerinage ; les deux autres sont celles de la Mecque et de Médine. Celle de Jérusalem étant la plus septentrionale, est appelée Al-Akçà (l'extrême, ou la lointaine). Elle se compose du temple proprement dit et de plusieurs chapelles ; l'une de ces dernières s'appelle Al-Çakhrâ (la roche) ; car, selon la tradition musulmane, on y conserve la pierre sur laquelle le patriarche Jacob appuya sa tête (Genèse, ch. 28, v. 11 et 18).

[42] Voyez Gibbon, ch. 51, p. 951.

[43] Gibbon, ch. 57, p. 1064.

[44] Voyez Michaud, Histoire des Croisades, t. I, p, 17 et 18 (5e édition, 1838).

[45] Gibbon, l. c. ; Michaud, l. c., p. 20 et 21.

[46] Aboulfaradj, Chron. syr., p. 160.

[47] Makrizi, Description de l'Égypte, dans la partie historique ; d'Herbelot, Bibliothèque orientale, à l'article Tholoun.

[48] Voyez d'Herbelot, à l'article Cods.

[49] Aboulfaradj, Chron. syr., p. 200 (vers. lat., p. 204).

[50] Lebeau, Histoire du Bas-Empire, liv. 75 ; Michaud, Hist. des Croisades, t. I, p. 31.

[51] Voyez Michaud, l. c., p. 33.

[52] Voyez Gibbon, ch. 52, p. 994.

[53] Les chroniques orientales placent généralement cet événement sous l'année 398 de l'hégire (1008). Makrizi est le seul qui, d'accord avec quelques chroniques latines, le fixe à l'an 400 (1010).

[54] Voyez Histoire de Jérusalem et d'Hébron, ms. ar. de Saint-Germain des Prés, n° 100, fol. 135 verso et 136 recto. — Le feu miraculeux que, dans les temps modernes, les Abyssins et les Grecs avaient seuls le privilège de faire descendre du ciel, et qui donnait lieu à des scènes de scandale, est déjà mentionné au neuvième siècle. Voyez Michaud, l. c., p. 49. Le même auteur, dans la Bibliothèque des Croisades (t. I, p. 93 et 94), a donné le récit d'un témoin oculaire.

[55] Voyez les Chroniques des moines Raoul Glaber et Adhémar de Chabannes, à l'an 1010 (Bouquet, Recueil des Historiens de France, t. X, p. 34 et 152) ; Michaud, Bibliothèque des Croisades, t. I, p. 202 et 205.

[56] Poujoulat, Histoire de Jérusalem, t. II, p. 311.

[57] Chronique syriaque, p. 215 et 218 (vers. lat., p. 220). Comparez Silvestre de Sacy, Exposé de la religion des Druzes, t. I, p. CCCXXXVI et suivantes ; l'illustre auteur cite, sur l'origine et les motifs de la fureur de Hakem, d'autres détails donnés par Sévère ; cet auteur arabe copte en attribue la cause à un moine nommé Jean, qui ambitionnait l'honneur de l'épiscopat.

[58] On sait que les Druzes encore maintenant adorent Hakem comme le Dieu incarné. Silvestre de Sacy (l. c., t. I, p. 67), en parlant du dogme fondamental des Druzes, de la manifestation de Dieu sous la forme de Hakem, fait la note suivante : S'il était permis de rapprocher une doctrine aussi étrange, de ce que la religion chrétienne a de plus saint et de plus mystérieux en même temps, je dirais que ce dogme de l'humanité divine unie à la divinité, et toujours la même, quoique revêtant à diverses époques des figures différentes, ne peut être comparé qu'à ce que la foi nous enseigne de la présence de Jésus-Christ, Dieu et homme, sous les espèces consacrées.

[59] Histoire de Jérusalem et d'Hébron, l. c. Selon Guillaume de Tyr (liv. I, ch. 6), ce fut le khalife Dhaher, fils et successeur de Hakem, qui permit de rebâtir l'église du Saint-Sépulcre ; ce qui ne s'accorde pas avec la chronologie, s'il est vrai que l'église ne se releva que trente-sept années après qu'elle eut été renversée ; car Dhaher mourut en 1035.

[60] Chronique d'Ibn Al-Athir (man. ar. de la Bibl. roy.), à l'année 471 de l'hégire.

[61] Voyez Aboulmahasen, Al-nodjoum al-zahira, à l'année 489 de l'hégire (man. ar. de la Bibl. roy., ancien fonds, n° 660, fol. 172 verso) ; Histoire de Jérusalem et d'Hébron (manuscr., fonds de Saint-Germain, n° 100, fol. 138 verso).

[62] Voyez Michaud, l. c., p. 61 et suivantes.

[63] Michaud, l. c., p. 97.

[64] L'histoire des croisades sera l'objet d'un travail spécial dans la collection de l'Univers ; nous nous bornons ici à un résumé rapide des faits principaux.

[65] Voyez Michaud, Hist. des Croisades, t. I, p. 443 (5e édition).

[66] Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, 4e partie.

[67] Voyez Bibliothèque des Croisades, t. IV, p. 12.

[68] Aboulfaradj, Chron. syr., p. 433.

[69] Voyez Michaud, Hist. des Croisades, t. II, p. 311 (5e édition).

[70] Les historiens chrétiens accusent généralement Raymond d'avoir traité avec l'ennemi ; on est allé jusqu'à dire qu'il embrassa l'islamisme. Dans la chronique hébraïque de Joseph ben-Josué ha-Cohen (édit. d'Amsterdam, fol. 28 b), qui n'a puisé que dans des auteurs chrétiens, il est dit qu'après la mort du comte de Tripoli on découvrit qu'il était circoncis. Cependant le silence des auteurs musulmans ne permet pas de croire à l'apostasie de Raymond ; quelques-uns même le présentent comme le plus cruel ennemi des Sarrasins. Voyez Michaud, l. c., p. 330, note.

[71] Michaud, l. c., p. 344-346.

[72] Voyez Gibbon, ch. 59, p. 1100 ; Michaud, l. c., p. 347.

[73] Voyez l'itinéraire de Benjamin de Tudèle, éd. de L'Empereur, p. 56.

[74] L'original hébreu se trouve dans le recueil d'élégies à l'usage des synagogues des rites allemand et polonais, pour l'anniversaire de la destruction de Jérusalem. Nous supprimons dans notre traduction quelques répétitions que la rime et la prosodie avaient imposées à l'auteur.

[75] Ce n'est que depuis quelques années que nous connaissons son Divan ou recueil de poésies, dont le savant professeur Luzzatto, à Padoue, a publié des extraits d'après un manuscrit qui se conservait à Tunis. Voyez Virgo ilia Jehudæ, sive Excerpta ex inedito celeberrimi Jehudæ Levitæ Divano, prœ œfatione et notis illustrata a Samuele Davide Luzzatto, Pragœ, 1840, in-8°.

[76] Voyez ma Notice sur Joseph ben-Iehouda, disciple de Maimonide (dans le Journal asiatique, juillet 1842), p. 36, note 1.

[77] Voyez Les Assises de Jérusalem, publiées par M. le comte Beugnot, t. II, p. 264 et 255.

[78] Michaud, Hist. des Croisades, t. II, p. 303.

[79] Voyez Journal asiatique, novembre 1831, p. 398.

[80] Voyez Sépher Thahkemoni, ch. 28.

[81] Voyez Al-Harizi, l. c., ch. 28 et 46 ; Zunz, Essay on the geographical literature of the Jews (inséré dans the Itinerary of R. Benjamin of Tudela, by A. Asher, t. II), p 255 et 256.

[82] Le vizir et ami de Saladin, le célèbre kadhi al-Fadhel, se fit le Mécène de Maimonide, et un autre grand personnage de la cour du Caire composa des vers à l'éloge de l'illustre médecin juif. Voyez Notice sur Joseph ben Iehouda, p. 20.

[83] Selon Aboulfaradj, ou Barbebræus (Chron. Syr., p. 491), Saladin avait fait détruire les aqueducs et obstruer les sources qui auraient pu fournir de l'eau aux assiégeants.

[84] Michaud, t. II, p. 501.

[85] Voyez Michaud, Hist. des Croisades, t. II, à la fin du liv. VIII.

[86] Voyez Michaud, Hist. des Croisades, t. III, p. 63.

[87] Voyez Michaud, Hist. des Croisades, t. III, p. 68.

[88] Voyez Michaud, l. c., p. 380-383, et p. 605-613.

[89] Voyez Michaud, t. III, p. 420 et 430.

[90] Le fils aîné de Bibars, qui mécontenta les anciens conseillers de son père, fut relégué à Kérek, après deux ans de règne ; on éleva à sa place un de ses frères, auquel Kélaoun fut donné pour régent ; mais au bout de quelques mois, Kélaoun prit lui-même le titre de sultan.

[91] Michaud, Hist. des Croisades, t. V, p. 163.

[92] Voyez Poujoulat, Histoire de Jérusalem, t. II, p. 457 et 460.

[93] Voyez Zunz, On the Geography of Palestine, from jewish sources (dans the Itinerary of Benjamin of Tudela, by A. Asher, t. II), p. 399.

[94] Voyez Zunz, On the Geography of Palestine, from jewish sources, p. 400.

[95] Voyez l'Histoire (arabe) de Jérusalem et d'Hébron, ms. ar. du fond de Saint-Germain-des-Prés, n° 100, fol. 220, verso.

[96] L'autographe de cette lettre se trouve à la Bibliothèque royale, a la fin du manuscrit hébreu n° 450, ancien fonds.

[97] Voyez Hist. de Jérusalem et d'Hébron, p. 252, recto.

[98] Voyez Hist. de Jérusalem et d'Hébron, vers la fin.

[99] C'est l'auteur de l'Histoire de Jérusalem et d'Hébron qui entre dans de très-longs détails sur ce procès. Voyez, à la fin de l'ouvrage, les événements du règne de Kayetbaï, aux années 878-880 de l'hégire.

[100] Voyez Volney, Voyage en Égypte et en Syrie, t. II, ch. 2.

[101] Michaud, Hist. des Croisades, à la fin du tome V.

[102] Voyez Piaggi di Pietro della Valle, t. I (Rome, 1650), p. 550. On peut comparer les passages du voyageur allemand Troilo et de Cotwyk, cités par Raumer, Palœstina, p. 229-232.

[103] Encore aujourd'hui, l'espagnol est la langue la plus usitée parmi les Juifs de Turquie.

[104] Voyez Jost, Histoire des Israélites, t. VIII, p. 56 et suivantes.

[105] Volney, dans son Voyage en Égypte et en Syrie, t. II, ch. 1, a donné un précis de l'histoire de ce schéikh ; nous en reproduirons ici les faits principaux.

[106] Voyez les Mémoires de M. de Bourrienne, t. II, p. 220.

[107] Thiers, Hist. de la révolution française, Directoire, ch. 18.

[108] Voyez Chateaubriand, Itinéraire de Paris à Jérusalem, 3e partie.

[109] Voyez Volney, Voyage, t. II, ch. 6.

[110] Itinéraire, 5e partie.