PALESTINE

 

LIVRE V. — HISTOIRE DE LA PALESTINE ET DES JUIFS, DEPUIS L'EXIL DE BABYLONE JUSQU'À LA DESTRUCTION DE JÉRUSALEM PAR LES ROMAINS

PREMIÈRE PERIODE. — LA PALESTINE SOUS LA DOMINATION PERSANE, DEPUIS LA RENTRÉE DES JUIFS, JUSQU'À ALEXANDRE LE GRAND (de 536 à 332).

 

 

1. La première colonie juive sous Zéroubabel et le grand prêtre Josué.

De nombreuses familles des tribus de Juda et de Benjamin et plusieurs centaines de prêtres, de lévites et de serviteurs du sanctuaire, appelés Nethinim, répondirent immédiatement à l'appel de Cyrus et se préparèrent à partir pour la Judée. Ils formèrent une grande caravane de près de 50.000 individus, y compris 7.337 esclaves des deux sexes et 200 chanteurs et chanteuses[1]. Ils avaient à leur tête le prince Zéroubabel, petit-fils de Séalthiel, fils du roi Joïachîn (I Chron. 3, 17-19), et Josué, fils de Josadak ; ce dernier était le fils du grand prêtre Séraïa (ib. 5, 40), qui fut mis à mort lors de la conquête de Jérusalem par les Chaldéens, et par conséquent Josué était l'héritier direct du pontificat. Sur l'ordre de Cyrus, le trésorier Mithridate remit à Zéroubabel[2] les vases d'or et d'argent que Nébuchadnessar avait fait enlever du temple de Jérusalem[3]. La caravane reçut aussi de riches cadeaux des Juifs qui restaient en Babylonie. Elle se mit en marelle avec 736 chevaux 245 mulets, 435 chameaux et 6.720 ânes. Le départ de la caravane dut avoir lieu à l'entrée de la belle Saison, dans le courant d'avril ; car il fallut environ quatre mois pour arriver en Judée (Ezra, 7, 9), et dès le sixième mois de l'année (août-septembre) nous voyons les différentes familles de la nouvelle colonie établies dans leurs villes respectives (ib. 2, 70 ; 3, 1). — On ne nous dit pas que les colons aient éprouvé la moindre difficulté à prendre possession du pays de leurs aïeux. A la vérité, Cyrus n'avait pas fait la conquête de la Palestine ; mais après la chute de Nabonnède, les gouverneurs babyloniens de la Syrie se soumirent sans doute volontairement à la nouvelle dynastie.

Dès l'arrivée de la colonie sur le sol de la Judée, Zéroubabel et Josué s'occupèrent à organiser la nouvelle communauté conformément aux lois mosaïques, autant que les circonstances le permettaient. Les prêtres ne furent admis à exercer leurs fonctions qu'après avoir produit leurs titres ; certaines familles, n'ayant pu retrouver leurs documents généalogiques, furent exclues des fonctions et des droits du sacerdoce (Ezra, 2, 61-63). On recueillit des dons pour la construction du nouveau Temple ; la somme présentée par les chefs de famille se monta à 61.000 dariques d'or et 5.000 mines d'argent[4], et ils offrirent en outre cent tuniques pour l'habillement des prêtres (ib. 2, 69).

Une assemblée nationale tut convoquée à Jérusalem pour le septième mois, ou le mois sacré ; on établit un autel provisoire, et dès le premier jour du mois, qui était un jour de fête, on commença à offrir les sacrifices prescrits par la loi. Quinze jours après, on célébra la fête des Tabernacles avec toutes les solennités d'usage. On prit ensuite les mesures nécessaires pour hâter la construction du Temple ; on s'adressa aux Sidoniens et aux Tyriens, pour faire couper des cèdres sur le Liban ; comme autrefois sous Salomon, le bois de construction arriva par mer à Joppé. Tout l'hiver se passa dans les préparatifs, et ce ne fut qu'au deuxième mois (avril-mai) de l'année suivante (535) qu'on put commencer les travaux de construction ; les lévites furent spécialement chargés de présider aux travaux. On posa les fondations au son des trompettes et des cymbales et en entonnant les chants de David. Le peuple poussa des cris de, joie ; mais les vieillards qui se rappelaient encore l'ancien Temple, et qui, après plus d'un demi-siècle passé dans l'exil, foulèrent de nouveau le sol sacré de la patrie, ne purent à ce spectacle contenir leur émotion, et mêlèrent leurs sanglots aux transports joyeux de la nouvelle génération.

Le repeuplement de la Judée et la réédification du Temple de Jérusalem durent produire une grande sensation dans toute la Palestine ; on dut être jaloux d'appartenir aune communauté à laquelle le grand conquérant avait témoigné tant de faveurs. Dès lors probablement les restes des Hébreux, demeurant dans l'ancien pays d'Israël, se séparèrent des Cananéens, avec lesquels ils s'étaient confondus, pour se rattacher à la communauté de Jérusalem, en retournant sincèrement à la religion de leurs pères ; les Juifs ne firent pas de difficultés à accueillir ces débris des anciennes tribus d'Israël[5]. Mais du côté de Samarie un orage éclata sur Jérusalem, et entre les deux villes jadis rivales nous verrons naître une haine implacable, qui survivra à leur ruine totale et que les siècles ne pourront effacer. On a vu plus haut quelle était la population mixte du pays de Samarie, désignée, par les Juifs, sous le nom de Couthéens ; le culte de cette population était un sacrilège aux yeux des Juifs, car le nom de Jéhova y était profané par des rites idolâtres. Les Couthéens, ou, comme on les a appelés depuis, les Samaritains, se disant vrais adorateurs de Jéhova, prétendirent participer aux faveurs du roi de Perse, et envoyant une députation auprès de Zéroubabel et du prêtre Josué, ils demandèrent à faire partie de la nouvelle communauté juive et à se placer sous l'égide du Temple de Jérusalem. Cette prétention fut repoussée par les chefs des Juifs, et dès lors les Samaritains résolurent d'employer tous les moyens pour empêcher le rétablissement du Temple. Bien convaincus de l'impossibilité d'obtenir le retrait de l'édit de Cyrus, ils ne craignirent pas d'agir par les voies de fait ; en attaquant sans cesse les ouvriers qui travaillaient à la construction du Temple, ils cherchèrent à les intimider et à les dégoûter de leur ouvrage. En même temps ils employèrent les intrigues et gagnèrent des personnages influents, pour empêcher que les plaintes des Juifs ne parvinssent jusqu'à Cyrus[6]. Probablement l'administration de la Palestine n'avait pas encore été changée et les autorités babyloniennes, qui, par la force des choses, avaient reconnu la souveraineté de Cyrus, durent se montrer disposées à favoriser les intrigues des Samaritains. Cet état de choses dura jusqu'à la mort de Cyrus (529). Dès le commencement du règne d'Ahasvéros, ou Cambyse[7], les ennemis des Juifs, devenus plus hardis, tentèrent une démarche directe auprès du nouveau roi, pour l'engager à retirer aux Juifs la permission que son père leur avait accordée. Les membres de l'administration du pays de Samarie rédigèrent une supplique, dans laquelle ils accusèrent faussement les Juifs de rétablir les fortifications de Jérusalem, cité rebelle, disaient-ils, dans laquelle de tout temps on avait tramé des conspirations contre les rois et les pays, c'est pourquoi on avait dû la détruire ; le roi pourrait s'en convaincre, en faisant faire des recherches dans les archives. Nous faisons savoir au roi, dirent-ils en terminant, que si cette ville est rebâtie et ses murailles rétablies, il n'aura plus de part au pays en deçà du fleuve (de l'Euphrate). — Cette démarche eut un succès complet ; le roi de Perse ordonna que les travaux des Juifs fussent suspendus jusqu'à nouvel ordre, et les autorités samaritaines, munies du firman royal, se hâtèrent d'aller à Jérusalem et forcèrent les Juifs d'interrompre la construction du Temple.

Dans le livre d'Ezra (4, 7-23), le roi qui donna cet ordre contre les Juifs est appelé Arthachsastha (Artaxerxés) ; or, comme précédemment (v. 6) le successeur immédiat de Cyrus, c'est-à-dire Cambyse, a été désigné sous le nom d'Ahasvéros, on a pensé que le nom d'Arthachsastha désigne ici le faux Smerdis, car celui-ci est le seul roi de Perse que nous trouvions entre Cambyse et Darius (fils d'Hystaspe), qui est mentionné après. Mais alors les menées sourdes des Samaritains se seraient continuées pendant tout le règne de Cambyse, et auraient duré en tout plus de treize ans, sans que les Juifs renonçassent à leur entreprise, et sans que la démarche auprès d'Ahasvéros (Cambyse) eût produit un résultat quelconque, ce qui est peu probable. Nous croyons donc, avec Josèphe, que le roi qui ordonna de suspendre les travaux du Temple fut Cambyse, et que celui-ci est désigné, dans le livre d'Ezra (ch. 4, v. 6 et 7), par les deux noms d'Ahasvéros et d'Arthachsastha, dont le premier paraît être un nom propre et le second un titre honorifique[8].

Le roi de Perse n'avait pas absolument interdit la réédification du Temple ; il n'avait ordonné que de suspendre, jusqu'a nouvel ordre (ib. v. 21), les travaux, que, selon le faux rapport des Samaritains, il croyait d'une bien plus haute importance. Mais bientôt l'expédition que Cambyse entreprit contre l'Égypte, dut enlever aux Juifs tout espoir de plaider leur cause devant te souverain et d'obtenir une enquête impartiale. En outre, la marche de l'armée persane se rendant en Égypte dut imposer des charges à la Palestine, et, au milieu des troubles de la guerre, la colonie juive rie put guère penser à poursuivre son œuvre, déjà arrêtée par tant d'obstacles. Les travaux du Temple restèrent donc suspendus jusqu'après l'avènement de Dariavesch (Ezra, 4, 24), ou de Darius, fils d'Hystaspe.

Quinze années s'étaient écoulées depuis qu'on avait posé les fondations du nouveau Temple. Cambyse était mort en revenant d'Égypte, le faux Smerdis avait payé de sa vie son usurpation, et Darius était monté sur le trône (521). La longue interruption des travaux du Temple avait découragé même les hommes les plus zélés ; on se disait que le moment lixé par la Providence pour le rétablissement du sanctuaire n'était pas encore arrivé. Chacun s'occupait de ses intérêts particuliers ; on construisait des maisons, et, négligeant le Temple, chacun employait ses moyens à augmenter son bien-être matériel. Dans la deuxième année du règne de Darius (520), au premier jour du sixième mois (août-septembre), un prophète, nominé Haggaï (Aggée), se présenta devant Zéroubabel et Josué pour presser enfin la restauration du culte ; l'année avait été stérile, et le prophète y voyait un châtiment céleste mérité par ceux qui laissaient en ruine la maison de Dieu, pour ne penser qu'à leurs propres maisons. Ses paroles firent une. vive impression, et dès le vingt-quatrième jour du même mois, les travaux furent repris (Hagg. ch. 1). Dans le courant de la même année, le prophète vint, à différentes reprises, encourager les deux chefs de la colonie, leur annonçant que la gloire du nouveau Temple surpasserait celle de l'ancien. Dans le même temps Zecharia, ou Zacharie, fils de Béréchia et petit-fils du prêtre Iddo[9], prêcha comme prophète, et exaltant Zéroubabel et Josué, il leur lit sentir toute l'importance de leur haute mission et leur prédit un succès éclatant. Zacharie affectionnait la forme des visions et des actions symboliques ; ses discours ont quelque analogie avec ceux d'Ézéchiel ; comme ce dernier, il fait intervenir des êtres surhumains qui rappellent les croyances babyloniennes, et il est le seul des prophètes qui mentionne Satan. Dans une de ses visions, il fait revêtir Josué, par un ange, du costume de grand-prêtre. De même que Haggaï (2, 21-23), il fonde sur Zéroubabel les plus 'belles espérances, et il rêve un trône pour ce rejeton de David (Zach. 4, 7 ; 6, 13).

Les travaux poursuivis avec zèle éveillèrent l'attention de Tatthenaï, gouverneur des pays en deçà de l'Euphrate ; il se rendit a Jérusalem accompagné des autres autorités de la province, et demanda aux Juifs qui les avait autorisés à exécuter ces travaux. Les Juifs invoquèrent l'édit de Cyrus ; mais ils n'en avaient pas de copie, et le gouverneur ne le connaissait pas. Cependant Tatthenaï n'était pas défavorable aux Juifs ; sans ordonner la suspension des travaux, il fit un rapport au roi Darius, et le pria de faire faire des recherches dans les archives du royaume, afin de voir s'il existait réellement un ordre de Cyrus en faveur des Juifs. L'édit fut retrouvé dans les archives d'Achmetha, ou Ecbatane, capitale de la Médie, et Darius ordonna qu'on se conformât strictement à la volonté manifestée par Cyrus et qu'on accordât aux Juifs tous les secours dont ils pourraient avoir besoin. La construction du Temple avança donc avec rapidité ; on commençait déjà à oublier les malheurs du passé, pour s'abandonner aux plus belles espérances, et dans la quatrième année du règne de Darius, il fut question, parmi les Juifs, d'abolir les jeûnes publics qui avaient été établis en commémoration des désastres de la Judée. Depuis la destruction de Jérusalem, quatre jours de l'année avaient été consacrés au deuil et au jeûne, savoir : le 9 du quatrième mois, pour de la prise de Jérusalem par les Chaldéens (Jérém. 52, 6) ; le 10 du cinquième mois, jour de l'incendie du Temple et de la ville de Jérusalem (ib. v. 12) ; un jour du septième mois (selon la tradition, le 3), en commémoration du meurtre de Guédalia (ib. 41, 1) ; le 10 du dixième mois, jour auquel avait commencé le siée de Jérusalem (II Rois, 25, 1). Quelques Juifs s'adressèrent au prophète Zacharie, pour lui demander s'il fallait encore continuer à célébrer ces jeûnes ; le prophète ne fit pas de réponse décisive, mais il profita de cette occasion pour faire comprendre à ceux qui l'interrogeaient, combien peu les cérémonies extérieures sont agréables à Dieu. Lorsqu'on néglige les devoirs de la justice et de la charité. Il leur montra que le mépris des devoirs moraux avait été la principale cause des malheurs qui avaient frappé leurs pères, et que la pratique de la vertu pouvait seule leur assurer un heureux avenir. Les jours de jeûne, dit-il, seront convertis en jours de joie et de fête ; mais vous, aimez la vérité et la paix (Zach. ch. 7 et 8).

Dans la sixième année de Darius (516), au troisième jour du douzième mois (février-mars), tous les travaux se trouvant achevés, on procéda solennellement à l'inauguration du nouveau Temple. De toute part le peuple se rendit à Jérusalem pour assister à cette solennité ; on offrit un grand sacrifice composé de cent taureaux, deux cents béliers et quatre cents agneaux. En outre, un sacrifice expiatoire de douze boucs fut offert au nom des douze tribus d'Israël (Ezra, 6, 17), et le Temple fut ainsi consacré symboliquement par toute la nation des Hébreux. Dans le mois suivant (le premier de l'année), on célébra le rite pascal et les sept jours de la Pâque ou des azymes, conformément aux prescriptions mosaïques.

Nous ne possédons aucune description du Temple construit par Zéroubabel, et nous en ignorons même les dimensions. Selon le décret de Cyrus, rapporté dans le livre d'Ezra (6, 3), il devait avoir soixante coudées de haut et autant de large ; il aurait été, par conséquent, bien plus vaste que le temple de Salomon, à moins que par le mot largeur on n'entende ici la distance de l'est à l'ouest, ou la longueur, ce qui en effet est plus probable. Dans tous les cas la hauteur indiquée est le double de celle du Temple de Salomon ; mais il parait certain qu'on ne suivit pas à la lettre le décret de Cyrus, et que le Temple de Zéroubabel était bien loin d'offrir l'aspect imposant de celui de Salomon (Haggaï, 2, 3). S'il faut en croire Hécatée d'Abdère, contemporain d'Alexandre, toute l'enceinte au milieu de laquelle se trouvait le Temple, avait environ cinq plèthres (ou cinq cents pieds grecs) de longueur et cent coudées de largeur[10]. Selon un discours que Josèphe met dans la bouche d'Hérodes, l'édifice de Zéroubabel était beaucoup moins élevé que celui de Salomon[11]. Au-dessus de la porte orientale de l'enceinte extérieure, on voyait, selon une tradition juive ; la ville de Suse représentée en bas-relief, ce qui était un hommage rendu aux rois de Perse[12]. Le grand autel du parvis était bâti en pierres blanches non polies ; il avait, selon Hécatée, vingt coudées en long et en large et une hauteur de douze coudées[13]. Dans l'intérieur du sanctuaire, il n'y avait que les objets prescrits pour le Tabernacle de Moïse, savoir : l'autel des parfums, le chandelier et la table, qui étaient en or[14]. Le Saint des Saints était vide ; car l'arche sainte avait disparu lors de la destruction de Jérusalem[15]. — L'oracle des Ourim et Thummim ne fut point rétabli.

Le rétablissement du sanctuaire central fut l'unique résultat de la mission de Zéroubabel et du grand prêtre Josué. Nous sommes dans une complète ignorance sur les destinées ultérieures de la colonie juive, pendant les règnes de Darius et de Xerxès, et jusqu'à la septième année d'Artaxerxés Longue-main (458). Le silence absolu que gardent les documents historiques des Juifs sur cet espace de cinquante-huit ans, prouve qu'il ne se passa en Palestine rien qui intéressât particulièrement la colonie juive. Celle-ci, après la mort de Zéroubabel, manqua probablement de chefs influents et énergiques qui pussent continuer l'œuvre de la restauration, et, au lieu d'avancer, elle ne fit que rétrograder, en négligeant le sanctuaire et en s'alliant de nouveau avec les autres habitants du pays. L'avidité des pachas pesait durement sur le peuple (Néhém. 5, 15), et la cour de Perse, préoccupée par de graves événements, ne put prêter aucune attention aux affaires de la petite colonie juive. De grands mouvements durent avoir lieu dans toute la Palestine, pendant la longue guerre entre les Perses et les Grecs. Les ports de mer de la Palestine acquirent une grande importance ; une grande partie de la flotte de Xerxès sortit de ces ports, car, sur les douze cent sept trirèmes dont elle se composait, les Phéniciens et les Syriens de la Palestine, comme le dit Hérodote (VII, 89), en avaient fourni trois cents.

Les documents juifs ne relatent de cette époque qu'un événement qui concernait toute la race israélite disséminée dans les provinces du vaste empire persan. Le roi sous lequel se passa cet événement est appelé communément Ahasvéros ou Assuérus ; mais les consonnes hébraïques dont se compose ce nom, sans avoir égard aux voyelles qu'on leur a données, peuvent se prononcer Achschersch ou Kschersch, nom dont les Grecs, en ajoutant une terminaison, ont fait Xerxès. A cette ressemblance des noms se joignent plusieurs traits caractéristiques, pour nous faire reconnaître dans Xerxès l'Assuérus de la Bible.

Assuérus, dit le récit biblique, qui commandait à cent vingt-sept provinces, depuis Hoddou (l'Inde) jusqu'à Cousch (l'Éthiopie), donna, dans la troisième année de son règne, une longue série de festins aux grands de sa cour et aux habitants de Suse. Un jour il s'avisa de faire inviter au festin la reine Vasthi, afin de faire voir à ses hôtes combien elle était belle ; Vasthi refusa de paraître, et, avec l'assentiment des sept principaux conseillers ou ministres, elle fut répudiée par le roi. Pour la remplacer, des commissaires furent chargés, dans toutes les provinces, de faire choisir les plus belles tilles, pour les envoyer au harem royal de Suse. Au nombre des jeunes filles amenées au palais se trouvait une juive nommée Hadassa (myrte) et en persan Esther (astre) ; elle était orpheline et fille adoptive de son cousin Mardochée, descendant d'un certain Kîs de la tribu de Benjamin, et qui était établi à Suse. Esther présentée au roi sut gagner son cœur ; ce fut elle qu'Assuérus choisit pour reine, dans la septième année de son règne, sans savoir quelle était sa famille, ni à quel peuple elle appartenait. Peu de temps après, Mardochée, chargé d'un emploi à la cour, eut l'occasion de découvrir un complot formé contre la vie du roi ; Esther, avertie par Mardochée, en informa le roi, qui fit punir de mort les coupables. — Plus tard, le roi ayant élevé un certain Hainan aux plus hautes dignités, donna ordre à tous ses sujets de fléchir le genou et de se prosterner devant son favori, toutes les fois qu'il se montrerait. Mardochée, probablement par des scrupules religieux, ne voulut point s'incliner devant cet homme orgueilleux, et Hainan, ayant su à quelle nation appartenait le fier Mardochée, résolut de le perdre ainsi que toute sa race. Il dénonca au roi cette nation répandue dans ions ses États, se distinguant, par ses mœurs, de toutes les autres nations, et qui, ne voulant reconnaître d'autres lois que les siennes, refusait d'observer celles de l'État. Assuérus, sur la demande d'Hainan, consentit à ordonner l'extermination de toute la race juive, et le 13 du premier mois, dans la 12e année du règne d'Assuérus, Hainan fit rédiger le décret royal qui ordonna aux gouverneurs de toutes les provinces de faire massacrer les Juifs et de s'emparer de leurs biens. Le jour de l'exécution devait être le 13 du douzième mois ; ce jour avait été indiqué par le sort qu'Hainan avait cru devoir interroger à cet égard, et grâce à sa superstition, l'arrêt barbare ne devait être exécuté qu'au bout de onze mois. La publication du décret répandit la consternation parmi les Juifs. Mardochée, par l'entremise d'un eunuque, informa la reine Esther d ce qui se passait, et la supplia d'intercéder pour son peuple auprès du monarque. Esther hésita d'abord ; car la loi punissait de mort quiconque 'se montrait dans la cour intérieure du palais, sans l'ordre du roi, et depuis trente jours elle n'avait pas été invitée à se présenter chez le monarque. Mardochée lui fit comprendre que, dans une pareille circonstance, elle ne devait pas hésiter à exposer sa vie ; Esther alors lui demanda de faire proclamer parmi les Juifs de Suse un jeûne de trois jours, et promit de se rendre chez le roi, après s'être préparée elle-même par le jeûne et la prière. Le troisième jour, elle se présenta à l'entrée de l'appartement du roi ; en la voyant, Assuérus lui tendit son sceptre, comme signe de sa bienveillance. Esther pria le roi de venir, avec Haman, au festin qu'elle leur avait préparé ; Assuérus s'y étant rendu avec son favori, la reine les invita à un autre festin, pour le lendemain. Haman, fier de l'insigne honneur que lui faisait la reine, fut d'autant plus irrité du profond dédain que lui manifestait le juif Mardochée, qu'il rencontrait toujours aux abords du palais. Il s'en plaignit amèrement à sa femme et à ses amis, et ceux-ci lui conseillèrent de se débarrasser de Mardochée en demandant au roi l'autorisation de le faire pendre dès le lendemain matin.

Mais il arriva que, dans la nuit, le roi Assuérus ne pouvant s'endormir, se fit lire les annales de son règne. Le lecteur étant arrivé au passage où l'on parlait de la conspiration découverte par Mardochée, le roi demanda quelle récompense on avait accordée à celui qui lui avait sauvé la vie. On n'a rien fait pour lui, répondirent les serviteurs du roi. Dans ce moment, Ha-man s'étant présenté pour obtenir un arrêt de mort contre Mardochée, le roi le tit entrer et lui demanda ce qu'il fallait faire pour un homme qu'il voulait honorer d'une manière éclatante. Le favori, pensant qu'il ne pouvait être question que de lui, proposa de revêtir cet homme du manteau royal, de le mettre sur le cheval que le roi avait monté au jour du couronnement, et de le faire conduire, à travers les rues de la capitale, par l'un des grands dignitaires de la cour, en proclamant que c'était l'homme que le.roi voulait honorer. Assuérus lui dit alors que cet homme n'était autre que le juif Mardochée, et lui ordonna d'exécuter lui-même à la lettre tout ce qu'il venait de proposer. Après cet incroyable revers, Haman, rentré chez lui tout consterné, fut invité à se rendre aussitôt au festin d'Esther. Assuérus ayant exprimé à la reine combien il désirait combler tous ses vœux, dût-elle même lui demander la moitié du royaume, Esther demanda grâce pour elle-même et pour toute sa nation qu'un ennemi avait vouée à l'extermination. Le roi n'hésita pas à sacrifier son favori au ressentiment de la reine ; un des eunuques ayant parlé de la potence qui avait été élevée pour le supplice de Mardochée, le roi ordonna qu'Haman y fût suspendu lui-même. Mardochée prit auprès d'Assuérus la place d'Haman, dont le roi lui donna aussi la maison. Les décrets des rois de Perse ne pouvant être révoqués, Mardochée, pour neutraliser l'effet du décret d'Hainan, en rédigea un second, dans lequel Assuérus autorisa les Juifs de son royaume à prendre les armes contre leurs ennemis, au jour qui avait été fixé pour le massacre ordonné par Raman. On espérait sans doute, par l'effet moral du second décret, empêcher l'effusion de sang, et, en effet, les autorités prêtant main-forte aux Juifs, ceux-ci purent facilement vaincre lm certain nombre d'ennemis qui avaient persisté dans leurs projets sanguinaires. Selon la relation du livre d'Esther, les Juifs de toutes les provinces s'étant armés le 13 du mois d'adar (février-mars), firent un grand carnage parmi leurs ennemis, et le nombre total des morts se monta à 75.000, sans compter les cinq cents qui tombèrent dans la capitale même. Les dix lils d'Hainan se trouvèrent au nombre des morts. Esther, n'écoutant que ses sentiments de vengeance, pria le roi d'autoriser les Juifs de Suse à s'armer de nouveau le lendemain 14 du mois, et il y eut encore ce jour-là trois cents morts. Les nombres sont peut-être exagérés, ainsi que quelques autres détails du récit ; mais le fait de la victoire des Juifs est mis hors de doute par les jours de fête que, selon le récit biblique, Mardochée et Esther ordonnèrent aux Juifs de célébrer chaque année, le 14 et le 15 du mois d'adar, fêtes que les Juifs célèbrent encore maintenant, et dont on peut historiquement constater l'existence depuis les temps anciens[16]. Ces fêtes furent appelées jours de Pourim, ou des sorts, à cause du sort qui avait été interrogé par Haman (Esther, 3, 7 ; 9, 26).

Quant au livre d'Esther, qui renferme la relation de cet événement, on n'en connaît pas l'auteur ; il ne fut composé, sans doute, que bien longtemps après l'évènement, de sorte que l'auteur, accueillant les traditions populaires, a pu quelquefois charger son tableau. Si tous les critiques sensés s'accordent à reconnaître que ce récit ne peut être une simple fiction, et que les faits principaux sont historiques, les opinions varient pourtant sur l'époque qu'il faut assigner à cette histoire et sur le roi désigné sous le nom d'Ahasveros, ou Assuérus, qu'on ne rencontre pas dans les auteurs profanes. Nous avons montré plus haut que ce nom peut être identifié avec celui de Xerxès, et en effet plusieurs données historiques viennent confirmer cette identité.

D'abord il est certain qu'il faut chercher Assuérus parmi les rois de Perse, successeurs de Cyrus. Le livre de Daniel (9, 1) mentionne un Assuérus, roi de Médie, père de Darius le Mède (Cyaxare II), et par conséquent le même qu'Astyage ; mais aucun des rois de Médie ne peut être l'Assuérus du livre d'Esther, car celui-ci est désigné comme roi de Perse et de Médie, régnant sur cent vingt-sept provinces, depuis l'Inde jusqu'à l'Ethiopie, et résidant a Suse, ce qui indique bien clairement un des souverains du vaste empire fondé par Cyrus. On a vu que, dans un passage du livre d'Ezra (4, 6), Cambyse porte le nom d'Assuérus ; mais Cambyse mourut dans la huitième année de son règne, et, selon le livre d'Esther, l'ordre d'exterminer les Juifs ne fut publié que dans la douzième année du règne d'Assuérus, et celui-ci, par conséquent, ne peut-être Cambyse. D'ailleurs Darius fut le premier roi de Perse qui fit des conquêtes dans l'Inde[17], et ce fut encore lui qui introduisit les impôts réguliers dont il est question dans le livre d'Esther (10,1), et qui n'avaient pas existé sous les rois précédents. Les sept conseillers, ou ministres, qui voyaient la face du roi (Esther, 1, 14), c'est-à-dire qui étaient toujours admis sans se faire annoncer, ne remontent pas non plus au delà du règne de Darius[18]. — Il se présente, en apparence, une difficulté chronologique, qui semblerait s'opposer à ce qu'on cherchât Assuérus parmi les successeurs de Cambyse. Un passage du livre d'Esther (ch. 2, v. 5 et 6) semble dire que Mardochée fut parmi les compagnons d'exil du roi Joïachin (en 599) ; ce qui suppose qu'il était né environ un siècle avant l'avènement de Darius, fils d'Hystaspe, et par conséquent il n'a pu jouer un rôle sous ce roi et encore moins sous un de ses successeurs. Mais rien ne s'oppose à ce que les mots : qui avait été transporté de Jérusalem, etc. (v. 6), soient appliqués à Kis, bisaïeul de Mardochée, ce qui nous permet de placer Mardochée sous les règnes de Darius, de Xerxès, et au besoin même d'Artaxerxés Longuemain. Ce sera donc dans l'un de ces trois qu'il faudra chercher notre Assuérus. Mais la noblesse de caractère, la justice et la bonté que les auteurs grecs attribuent à Darius et à Artaxerxés ne permettent pas de les confondre avec l'insensé et barbare Assuérus. On a vu aussi que Darius était très-favorable aux Juifs ; en lisant le décret qu'il envoya au pacha de Syrie en faveur du Temple de Jérusalem (Ezra, ch. 6), il est impossible d'admettre que le roi qui avait ordonné la restauration de ce Temple, par respect pour le Dieu du ciel qu'on v adorait, ait pu, dix ans après, ordonner le massacre général des Juifs. On verra plus loin qu'Artaxerxés Longuemain montrait encore plus de bienveillance pour les Juifs ; comment dong aurait-il prêté l'oreille aux calomnies d'un Haman ? Xerxès seul était assez cruel et assez stupide pour jouer le rôle que le livre d'Esther attribue à Assuérus. Xerxès, qui fit fouetter la mer parce qu'elle avait désobéi à sa majesté, qui fit décapiter ceux à qui la tempête n'avait pas permis de construire un pont de bateaux sur l'Hellespont, qui fit publier un édit pour promettre une récompense à celui qui inventerait une nouvelle espèce de volupté, Xerxès, enfin, à qui l'histoire reproche tant d'actions cruelles et insensées, est bien digne de l'ignoble rôle d'Assuérus. Observons encore en terminant, que quelques dates du livre d'Esther s'accordent également bien avec l'époque de Xerxès. Le grand festin donné par Assuérus, dans la troisième année de son règne, peut être mis en rapport avec l'assemblée des grands de l'empire réunis à Suse pour délibérer sur l'expédition contre la Grèce. Ce ne fut que dans la septième année de son règne qu'Assuérus choisit Esther, parmi le grand nombre de jeunes filles qui avaient été envoyées au harem royal ; car à cette époque il revint de Grèce couvert de honte, et chercha à oublier sa défaite ignominieuse au milieu des belles de son harem.

Ces preuves nous paraissent suffisantes pour établir l'identité d'Assuérus et de Xerxès[19] ; nous allons voir quel fut le sort de la Palestine sous le règne suivant.

 

2. La deuxième colonie juive. — Ezra et Néhémia.

Dans la septième année d'Artaxerxés Longuemain (458)[20], Ezra, descendant du grand prêtre Seraïa[21], quitta la Babylonie, son pays natal, pour se rendre, à la tête d'une nouvelle colonie, à la ville sainte de Jérusalem, qui était encore déserte et sans organisation civile et religieuse, quoique, depuis plus d'un demi-siècle, le Temple eût été rétabli. Ezra porte le titre de SOPHER, ou scribe, mot qui, à cette époque, désignait un érudit, un docteur, qui s'occupait de l'interprétation et de l'enseignement des lois mosaïques et des écrits des prophètes. Le prophétisme, ou l'enseignement par inspiration et sous des formes poétiques, cessa à cette époque, pour faire place à l'interprétation savante, par le moyen de laquelle on cherchait à rattacher à la lettre de la loi des doctrines plus récentes qui ne s'appuyaient que sur la tradition, et à résoudre des cas de conscience qui n'étaient pas prévus par la loi écrite. Ezra donc, qui avait disposé son cœur à étudier la doctrine de Jéhova et à la pratiquer, et à enseigner dans Israël la loi et le droit (Ezra, 7, 10), sollicita du roi Artaxerxés la permission d'aller à Jérusalem avec une nouvelle caravane et de s'y occuper de l'organisation de la communauté conformément aux lois nationales du peuple hébreu. Le roi de Perse, avec l'assentiment de ses sept ministres, lui accorda un firman qui l'autorisa à émigrer en Palestine avec tous les Juifs qui voudraient se joindre à lui, à recueillir des dons parmi les Juifs de Babylonie, et à établir en Judée des tribunaux qui jugeraient selon les lois mosaïques. En même temps il donna ordre aux autorités persanes de la Syrie d'accorder à Ezra, sur les revenus de la province, des secours considérables en argent, en blé, en vin, en huile et en sel, et d'exempter les prêtres et les autres serviteurs du Temple de Jérusalem de toute espèce d'impôt. Ezra partit au printemps, au commencement du premier mois, pour un endroit appelé A hava, situé sur une rivière du même nom, et où il avait donné rendez-vous à la caravane ; environ quinze cents hommes s'y rendirent avec leurs femmes et leurs enfants. Sur la demande d'Ezra, quelques familles lévites et deux cent vingt Nethinim vinrent encore se joindre à eux, et on se prépara au voyage par un pane général et en implorant la protection du ciel. Ezra partit plein de confiance en Dieu ; ne voulant devoir qu'à Dieu seul l'heureuse issue de son voyage, il refusa de se faire accompagner par les soldats du roi de Perse. La caravane se mit en marche le 12 du premier mois ; les riches dons qu'on avait recueillis furent confiés à la garde de douze prêtres. Aucun accident ne troubla la marche, et au premier jour du cinquième mois, la caravane arriva heureusement à Jérusalem. Après trois jours de repos, Ezra fit remettre les dons aux prêtres et lévites du Temple, qui en dressèrent un état exact, et on offrit de nombreux sacrifices au nom de toutes les tribus d'Israël. Ezra expédia ensuite lé décret royal aux satrapes de Syrie et obtint les secours qu'il avait réclamés.

L'ancienne colonie, à ce qu'il paraît, était dans la plus profonde décadence. Elle se trouvait encore sous la direction de Joïakîm, fils du grand prêtre Josué[22] ; mais il paraît que Joïakîm, qui dut être d'un âge très-avancé, manquait d'énergie ou de capacité. Au lieu de maintenir la pureté de leur race, ce qui, de tout temps, avait été signalé comme une condition nécessaire pour le maintien des lois et de la religion de Moïse, les Juifs, même les prêtres et les lévites, avaient contracté de nombreux mariages avec des femmes païennes. Le pieux Ezra ne s'était pas attendu à de pareils écarts ; quelques mois se passèrent sans qu'il en eût connaissance. Un jour quelques chefs du peuple lui ayant fait connaître l'état des choses, il déchira ses vêtements et resta assis à terre jusqu'au soir, sans prendre aucune nourriture. A l'heure du sacrifice du soir, il se leva, alla se mettre à genoux sur la place du Temple, pria à haute voix et confessa les péchés du peuple. La foule qui s'assembla autour de lui, fut profondément émue de ses paroles et versa des larmes abondantes. Un homme sortit de la foule, et s'approchant d'Ezra, il proposa que tous ceux qui avaient contracté des mariages avec des païennes, prissent l'engagement d'expier leur faute, en se séparant de leurs femmes et de leurs enfants. Cette mesure cruelle, mais nécessaire, fut généralement approuvée, et Ezra fit jurer sur-le-champ tous les coupables qui se trouvaient présents d'accomplir promptement leur promesse. Il se rendit ensuite dans le cabinet de Johanan, petit-fils du grand prêtre Joïakîm, où, avant de prendre aucune nourriture, il décréta, de commun accord avec les chefs et les anciens, que tous les pères de famille de la colonie seraient invités à se rendre à Jérusalem, dans l'espace de trois jours, sous peine d'être exclus de la communauté et de voir confisquer tous leurs biens au profit du sanctuaire. On était alors au neuvième mois (novembre-décembre), et malgré la mauvaise saison, tout le monde se présenta à Jérusalem au bout de trois jours, le 20 du mois : Vous avez péché, leur dit Ezra, et en prenant chez vous des femmes étrangères, vous avez augmenté le crime d'Israël ; mais maintenant, confessez-vous à Jehova, le dieu de vos pères, et faites sa volonté ; séparez-vous des peuples du pays et des femmes étrangères. Tous promirent d'obéir ; mais ils représentèrent à Ezra les inconvénients qu'aurait la prompte exécution d'une pareille mesure pendant la saison des pluies, et ils demandèrent qu'on nommât une commission qui, conjointement avec les anciens et les juges de chaque ville, pût opérer petit à petit l'épuration réclamée par Ezra. Cette proposition fut adoptée ; la commission se réunit dès le commencement du dixième mois, et, au bout de trois mois, ses opérations étaient terminées. Parmi les coupables se trouvèrent des hommes des plus hautes classes, et la famille pontificale elle-même s'était dégradée en admettant dans son sein des femmes païennes. Aussi n'est-il pas question de la coopération du grand prêtre dans les mesures prises par Ezra.

Il paraît qu'Ezra ne fut pas assez énergiquement soutenu par les chefs du peuple pour pouvoir pousser plus loin son œuvre de réforme ; du moins nos documents historiques ne parlent-ils d'aucun autre acte important que celui qu'Ezra parvint à accomplir dans un premier moment d'entraînement et d'enthousiasme. L'inaction d'Ezra peut s'expliquer aussi par les événements graves qui se passèrent alors en Syrie. Les Égyptiens, ayant proclamé roi le Libyen Inarus, venaient de secouer le joug des Perses, et ce fut en Syrie et en Phénicie que s'assembla l'armée de terre et de mer qu'Artaxerxés envoya contre l'Égypte. Quelques années plus tard, Mégabyze, beau-frère d'Artaxerxés et gouverneur de la Syrie, indigné de la conduite du roi, qui, contrairement aux conventions de paix, avait fait mettre à mort Inarus et une cinquantaine de prisonniers grecs, se révolta contre son souverain, rassembla en Syrie une armée considérable et battit deux fois les troupes royales. Ces événements durent troubler la paix de la Palestine et empêcher Ezra de poursuivre ses projets et d'obtenir des secours du roi de Perse. Ce ne fut que treize ans après l'arrivée d'Ezra que la colonie juive trouva un nouvel appui dans un grand personnage, plein de piété et d'énergie et très-influent à la cour de Perse. Dans l'hiver de la vingtième année d'Artaxerxés (445), Néhémia, échanson du roi, se trouvant à Suse, apprit par son frère Hanani et par quelques autres Juifs arrivés de Jérusalem, dans quel triste état se trouvait la nouvelle communauté établie en Judée ; les murs de la ville sainte étaient encore en ruine, et ses habitants étaient en butte aux insultes des peuplades voisines. Le pieux Néhémia prit aussitôt la résolution de voler au secours de ses frères, et, livré au jeûne et à la prière, il attendait un moment favorable pour demander au roi de Perse un congé et les pouvoirs nécessaires. Au printemps de la même année, Néhémia se trouvant un jour en présence du roi et de la reine, pour remplir ses fonctions, parut profondément abattu. Le roi lui ayant demandé la cause de son chagrin, Comment, répondit-il, n'aurais je pas un air affligé, quand la ville où sont ensevelis mes ancêtres est déserte et que ses portes sont consumées par le feu ? Artaxerxés parut touché, et sur la demande de Néhémia, il lui accorda un congé, et lui promit des lettres pour les pachas de Syrie et pour l'inspecteur des forêts, afin de lui faciliter son entreprise et de lui fournir le bois nécessaire pour les constructions. Muni de pouvoirs très-étendus et nommé pacha de Judée (Néhém. 5, 14), Néhémia partit pour Jérusalem ; une nombreuse escorte veillait à sa sûreté. Arrivé heureusement au terme de son voyage, il entra dans Jérusalem sans bruit et accompagné seulement d'un petit nombre d'hommes, et après avoir pris trois jours de repos, il sortit, avec ses amis, pendant la nuit, pour visiter tous les lieux où il devait taire exécuter des travaux. Ce ne fut qu'après avoir tout examiné et mûri son plan, qu'il fit un appel aux habitants de la Judée et les encouragea à mettre la main à l'œuvre, en leur faisant connaître les ressources dont il disposait et la protection que le roi lui avait accordée. L'ouvrage fut partagé entre toutes les familles de la colonie et confié aux soins de leurs chefs ; les prêtres eux-mêmes n'en furent pas exemptés, et le grand prêtre Éliasib, fils et successeur de Joïakîm, présida en personne à leurs travaux.

Les travaux des Juifs durent exciter de nouveau la jalousie des peuplades voisines ; comme ennemis des Juifs on mentionne surtout des Arabes, des Ammonites et des Philistins d'Asdod ; mais le point central où se tramaient tous les complots et d'où partaient toutes les attaques, était sans doute le pays de Samarie. Sanballat, le Horonite, originaire de Horonaïm dans le pays de Moab, et probablement gouverneur du roi de Perse à Samarie, l'Ammonite Tobie et l'Arabe Guésem furent les principaux meneurs des intrigues. Ils se contentèrent d'abord de railler les Juifs, et leur demandèrent avec ironie s'ils pensaient se révolter contre le roi ; mais voyant avancer avec rapidité les travaux des fortifications de Jérusalem, ils prirent une attitude hostile et menacèrent les Juifs d'une attaque sérieuse. Néhémia, averti de leurs projets, ordonna que tous les ouvriers eussent l'épée au côté ; une moitié de ses propres gens tenait en réserve des lances, des boucliers, des arcs et des cuirasses, tandis que l'autre moitié prenait part aux travaux. Lui-même était toujours accompagné d'un trompette, afin de taire donner le signal au moment du danger ; on voyait souvent les ouvriers travailler d'une main, et de l'autre tenir l'épée. La nuit on posait des sentinelles ; Néhémia lui-même et tous ses gens ne quittaient point leurs vêtements pendant tout le temps que duraient les travaux. Grâce à toutes ces précautions, Néhémia parvint à déjouer les complots de Sanballat et de ses auxiliaires et à rendre la sécurité et le courage au peuple de la Judée ; tout le monde mit la main à l'œuvre et on travaillait avec une extrême ardeur. Les ruses des ennemis n'eurent pas plus de succès que leurs violences. Ce fut en vain que Sanballat annonça à Néhémia, dans une lettre ouverte, qu'on l'accusait de vouloir se faire proclamer roi des Juifs ; ce fut en vain qu'on gagna de faux prophètes, et même une prophétesse, pour faire croire à Néhémia que sa vie était en danger, et pour l'engager à se cacher dans le Temple, afin de s'emparer plus facilement de sa personne ; ce fut en vain encore que l'Ammonite Tobie entretenait une correspondance active avec plusieurs Juif, avec lesquels il était allié par mariage, et qui, feignant d'être amis de Néhémia, cherchaient à le trahir. Toutes ces menées échouèrent contre la prudence et le sang-froid de Néhémia, qui poursuivait ses desseins avec une constance à toute épreuve. Cinquante-deux jours suffirent pour relever les murailles de Jérusalem ; le vingt-cinquième jour du mois d'eloul (août-septembre) les travaux étaient achevés, et on les inaugura par de nombreux sacrifices et par des réjouissances publiques (Néhém. 6, 15 ; 12, 27-43).

Le commandement supérieur de la ville de Jérusalem fut confié par Néhémia à son frère Hanani et à un certain Hanania ; diverses autorités furent établies pour l'administration du Temple et de la ville, et les citoyens furent chargés, dans les différents quartiers, de la garde des murailles et des portes. Néhémia ordonna de fermer les portes chaque soir et de ne les ouvrir qu'après le lever du soleil. La population de la ville étant encore peu nombreuse, Néhémia, après avoir consulté le document dans lequel étaient inscrites toutes les familles arrivées en.ludée avec Zéroubabel, convint avec les chefs du peuple qu'un dixième de la population totale de la Judée s'établirait a Jérusalem. On tira au sort les familles qui devaient transférer leur domicile dans la capitale ; à côté des familles de Juda et de Benjamin il y avait alors à Jérusalem près de douze cents prêtres et deux cent quatre-vingt-quatre lévites, sans compter les Néthinim qui occupaient la place Ophla. Outre Jérusalem, les colonies juives occupaient trente-trois villes avec leurs villages, depuis Bethel jusqu'à Beérséba (ib. ch. 11).

Les familles juives étaient en partie dans la plus profonde misère. Probablement plusieurs ès familles arrivées sous Zéroubabel, ne pouvant produire de titres suffisants pour être mises en possession de leurs anciennes propriétés, durent se contenter d'acheter un petit terrain, ou d'accepter quelques terres abandonnées et peu fertiles, ou bien même de travailler pour le compte des grands propriétaires. Les impôts et les exactions des pachas avaient totalement ruiné les familles peu fortunées ; elles furent obligées de faire des emprunts, et ne pouvant payer, elles durent abandonner aux créanciers leurs petites propriétés et souvent leurs personnes, de sorte qu'il y avait d'un coté de grands seigneurs riches et de l'autre des serfs vivant dans la misère et dans l'oppression. Les malheureux portèrent leurs plaintes devant Néhémia, et celui-ci fut profondément affligé d'un état de choses qui était aussi contraire aux principes d'humanité qu'aux dispositions formelles des lois mosaïques. Néhémia en fit de sévères reproches aux seigneurs ; afin de les engager, par son exemple, à tenir une meilleure conduite, il leur rappela combien de sacrifices il avait faits lui-même pour racheter des Juifs tombés en esclavage, et déclara renoncer, pour son compte, à tout ce que des familles pauvres lui avaient emprunté en argent et en nature, depuis son arrivée en Judée. La générosité de Néhémia et ses paroles énergiques firent une vive impression ; les riches créanciers promirent de rendre les terres qu'ils avaient prises en gage, sans réclamer aucun payement, et Néhémia les lit jurer, eu présence des prêtres. Il ajouta, en secouant son vêtement : Que Dieu secoue (arrache) ainsi de sa maison et de ses occupations tout homme qui n'exécutera pas cette chose ! puisse-t-il ainsi être secoué et vidé ! Tous les assistants répondirent : Amen ! Il fallut un homme désintéressé comme Néhémia pour opérer cette importante réforme de la propriété ; son désintéressement allait si loin qu'il renonçait même aux revenus auxquels il avait droit comme pacha, quoique sa position l'obligeât de vivre avec un certain luxe, et d'admettre tous les jours à sa table un grand nombre de personnages de distinction.

Ce qui manquait surtout à la colonie juive, c'était l'amour des institutions nationales et des principes religieux et sociaux proclamés dans la doctrine mosaïque, qui, à ce qu'il paraît, était à peine connue de nom. Le vénérable Ezra n'était pas entouré de ce prestige de grandeur qui agit sur les masses ignorantes ; il n'y eut que peu d'hommes capables d'apprécier son savoir. Néhémia comprit combien un homme comme Ezra pouvait être utile à la régénération de son peuple et il paraîtrait en effet que ce fut Néhémia, le puissant pacha, qui fit reparaître sur la scène le sopher Ezra, et qui contribua à le rendre très-populaire[23]. Pour faire connaître au peuple les lois de Moïse, une assemblée nationale fut convoquée à Jérusalem, nous ne saurions dire dans quelle année, pour la fête de la septième néoménie ; les Juifs, et même leurs femmes, s'y rendirent en foule. On s'assembla, dès le matin, sur une grande place, près de la Porte de l'Eau ; au milieu de la place on avait préparé une tribune, sur laquelle se présenta Ezra, tenant le livre de la loi et ayant à ses côtés les principaux chefs de famille. Lorsqu'Ezra déroula le livre, toute l'assemblée se leva ; il bénit à haute voix Jéhova, le grand Dieu, et tous les assistants se prosternèrent en répondant : Amen ! amen ! Ezra lut dans le livre jusqu'à midi ; plusieurs lévites se chargèrent de répéter les passages aux nombreux auditeurs et de leur en faire connaître le sens. Le peuple fut profondément ému, tous les yeux étaient en larmes. Alors Néhémia, Ezra et les lévites rappelèrent au peuple que c'était un jour saint et qu'il ne fallait pas troubler la fête par l'affliction et les larmes ; le peuple se retira, le reste de la journée fut consacré à la joie, et, selon l'ancienne coutume, on fit des munificences aux pauvres. Le lendemain les chefs de famille, les prêtres et les lévites s'assemblèrent auprès d'Ezra pour entendre ses lectures et se pénétrer du sens des lois divines. Ezra ayant lu les préceptes concernant la fête des Tabernacles, qui devait commencer le 15 de ce même mois, on fit aussitôt les préparatifs nécessaires pour célébrer cette fête selon les rites prescrits, et on dressa des cabanes sur les toits, dans les cours et sur-les places publiques. Depuis l'époque de Josué, fils de Noun, la fête des Tabernacles n'avait pas été célébrée avec autant de solennité que cette fois (Néhém. 8, 17). Tous les jours de la fête, on lut publiquement dans le livre de la loi. Le surlendemain du dernier jour de fête, le 24 du mois, on célébra un jeune public. Dans l'assemblée convoquée à cette occasion, le peuple se présenta en habits de deuil ;  on lut la loi pendant trois heures, et trois autres heures furent employées aux prières et à la confession des péchés. Huit lévites placés sur une tribune prièrent à haute voix ; on rappela devant Dieu, avec contrition, toutes les vicissitudes du peuple hébreu, tout ce que la providence divine avait fait pour ce peuple, qui cependant par ses nombreuses fautes, fut privé de son bonheur et de son indépendance, et qui, sur le sol paternel, portait le joug d'un souverain étranger.

Ces solennités firent sans doute 'une profonde impression sur l'esprit des masses ; Néhémia et Ezra parvinrent à ranimer le sentiment religieux et à jeter les bases d'une nouvelle société israélite. On tâcha de mettre à exécution toutes les lois mosaïques, autant qu'elles étaient applicables à l'état des Juifs dans ces temps, et c'est de cette époque que date l'existence réelle des institutions de Moise. Néhémia passa douze années à organiser la nouvelle communauté ; ce fut probablement avant son départ pour la Perse, dans la trente-deuxième année du règne d'Artaxerxés, que Néhémia, pour consolider son œuvre, fit signer un acte formel aux chefs du peuple, aux prêtres et aux lévites. Par cet acte, ils s'engagèrent, sous la foi du serment, à observer la loi divine donnée par Moïse au peuple hébreu ; à ne pas contracter de mariages avec les peuples païens qui habitaient autour d'eux ; à observer strictement les jours de sabbat et de fêtes, et à ne rien acheter en ces jours aux étrangers qui viendraient débiter leurs marchandises ; à observer les lois sur l'année sabbatique, concernant le travail de la terre et les prêts ; à payer chaque année un tiers de sicle par tête, pour l'entretien du sanctuaire et des sacrifices publics ; à fournir chaque année le bois nécessaire pour le service de l'autel, selon un tour de rôle qui serait fixé par le sort ; à présenter aux prêtres les premiers-nés des hommes et des animaux ; à payer les dîmes et lés autres droits des prêtres et des lévites, prescrits dans les lois. — Cet acte fut revêtu de nombreuses signatures en tête desquelles on remarquait le nom de Néhémia, avec le titre de Tirsathâ[24], et quatre-vingt-trois autres noms qui étaient ceux des principaux prêtres, lévites et chefs de famille. Le texte de ce document remarquable nous a été conservé dans le livre de Néhémia (ch. 10).

On pourrait s'étonner de ne pas trouver parmi les signatures de cet acte le nom du grand prêtre Eliasib ; mais il parait que Néhémia ne vivait pas en bonne intelligence avec la famille pontificale, qui probablement ne montrait pas un grand zèle pour soutenir les efforts d'Ezra et de Néhémia, et qui avait contracté des mariages avec des familles païen-lacs. Le grand prêtre jouait, sous l'administration de Néhémia, un rôle très-secondaire ; nous ne le voyons figurer dans aucun des actes accomplis par Néhémia. — Un autre nom illustre qui manque dans le document est celui d'Ezra, et il faut conclure de là qu'Ezra était mort avant la rédaction de cet acte. Selon Josèphe, il mourut à un âge avancé et fut enseveli à Jérusalem[25]. D'autres traditions juives disent qu'il retourna en Perse, et qu'il mourut en chemin[26].

Néhémia se démit de ses fonctions, dans la trente-deuxième année d'Artaxerxés (en 433) et retourna auprès du roi (Néh. 5, 14 ; 13, 6). Mais au bout d'un certain temps, ayant appris que de nouveaux abus menaçaient de détruire l'œuvre qu'il avait accomplie avec tant de peine, il demanda encore une fois la permission d'aller à Jérusalem. Il y trouva de graves désordres : les droits des lévites n'étaient pas payés, et ceux-ci avaient quitté leurs postes ; on profanait le jour du sabbat, en travaillant dans les pressoirs et dans les champs et en vendant des comestibles ; les Tyriens débitaient leurs marchandises, et notamment le poisson, au jour de sabbat ; les mariages avec des femmes étrangères étaient redevenus très-fréquents, et il en était né des enfants qui parlaient des dialectes étrangers et qui ignoraient la langue hébraïque ; l'Ammonite Tobie, ennemi des Juifs, occupait, dans l'une des dépendances du Temple, un appartement qui lui avait été cédé par le grand prêtre Eliasib, dont il était parent par alliance ; enfin Joïada, fils d'Eliasib, et alors grand prêtre, avait marié son propre fils avec la fille de Sanhallat, chef des Samaritains. Néhémia déploya une grande sévérité pour rétablir l'ordre légal et sauver la religion et la nationalité juives. Il ordonna que les portes de Jérusalem fussent fermées tous les vendredis au soir, pour n'être rouvertes qu'après le jour du sabbat, et menaça les marchands qui se tenaient aux portes de les faire repousser par la force. Il prit, pour l'épuration des familles, des mesures analogues à celles qui avaient été prises autrefois par Ezra. Tobie fut chassé de l'appartement qu'il occupait près du Temple, et le gendre de Sanhallat fut exilé de Jérusalem. Le service des prêtres et des lévites fut réglé de nouveau, et Néhémia leur assura le payement de leurs droits.

Nous ne saurions indiquer, avec précision, l'époque de cette seconde réforme accomplie par Néhémia. Celui-ci dit dans ses mémoires (Néh. 13, 6) : au bout d'un certain temps[27], je demandai (un congé) au roi. Le roi dont il parle est évidemment Artaxerxés mentionné dans le même verset ; or, Artaxerxés étant mort l'an 424 avant l'ère chrétienne, le second départ de Néhémia pour Jérusalem dut avoir lieu avant cette époque. Il n'est pas probable que les abus dont nous venons de parler aient pu avoir lieu immédiatement après le départ de Néhémia pour la Perse, et pour que celui ci, à son retour à Jérusalem, pût trouver des enfants issus des mariages mixtes et parlant déjà des dialectes étrangers, il faut supposer un intervalle de quatre à cinq ans au moins. Nous croyons donc que Néhémia-fit son second voyage en Judée entre 423 et 424[28].

Les efforts de Néhémia furent secondés par Malachie, le dernier de tous les prophètes. Quoique nous ne trouvions, dans la Bible, aucun renseignement historique sur ce prophète, on reconnaît facilement dans ses discours l'époque de Néhémia. Le Temple est rebâti depuis longtemps (Malachie, 3, 1 et 10) ; le peuple néglige de payer les droits des prêtres et des lévites (ib. v. 8), et ceux-ci manquent à leurs devoirs, profanent le nom de Jéhova et se font mépriser par le peuple (ib. I, 6-8 ; 2, 1-9). De même que Néhémia, le prophète s'élève coutre ceux qui prennent pour femmes les filles d'un dieu étranger, et qui souvent trahissent, pour ces alliances impies, leurs jeunes femmes israélites (ib. 2, 10-16). On voit que Néhémia et Malachie luttaient contre les mêmes abus, et il est plus que probable qu'ils étaient contemporains. Nous observerons encore que Sanballat et ses alliés, en accusant Néhémia de vouloir se faire proclamer roi, lui reprochèrent positivement de se faire appuyer par des orateurs ou prophètes (Néh. 6, 7).

Nous ne savons rien sur les destinées ultérieures de Néhémia ; selon Josèphe, il atteignit us âge avancé. Nous possédons de lui et d'Ezra quelques mémoires sur leurs actes les plus importants. Ces mémoires, augmentés de quelques autres documents[29], formèrent plus tard les deux livres d'Ezra et de Néhémia ; le dernier est rédigé sans aucune suite chronologique, et ce n'est que par des combinaisons conjecturales que nous avons pu établir l'ordre des faits racontés d après ce livre.

A ces faits la tradition juive en ajoute plusieurs autres qu'on ne salirait admettre dans tous leurs détails, mais qui ont sans doute une base historique. Ezra surtout devint le héros de toutes les traditions qui concernent les institutions civiles et religieuses postérieures à l'exil, et notamment la collection des débris de la littérature nationale et la propagation des études littéraires. On a vu qu'Ezra fut autorisé par Artaxerxés à établir des tribunaux juifs ; selon la tradition, ces tribunaux siégeaient deux fois par semaine, les lundi et jeudi, et comme il y avait ces jours-là un grand concours de monde dans les villes, on en profitait pour lire publiquement dans le livre de la loi. Des réunions religieuses, ou des Synagogues, furent établies dans toutes les villes, et on composa, à l'usage de ces réunions, un rituel de lectures et de prières. On mit en ordre tout ce qui avait pu être sauvé de la littérature des anciens Hébreux ; on en fit faire des copies correctes, et en y joignant les discours des derniers prophètes, on créa une bibliothèque sacrée, composée de la plupart des livres qui forment maintenant l'Ancien Testament, et qui fut augmentée ensuite de quelques autres écrits composés plus tard et jugés dignes d'être reçus au nombre des livres sacrés[30]. Toutes ces institutions et d'autres encore sont attribuées à Ezra ; mais la tradition fait partager ses travaux par un conseil qu'il établit lui-même et dont il avait la présidence. Ce conseil est connu sous le nom de KENÉSETH HA-GUEDOLAH, c'est-à-dire, le grand synode, ou, comme on l'a appelé plus souvent, la grande synagogue. Il est convenu, en général, chez les critiques modernes, de traiter de fabuleux tout ce que les anciens rabbins rapportent de cette grande synagogue, et on va même Jusqu'à nier qu'elle ait jamais existé. Mais une institution dont le Thalmud parle souvent comme d'une chose bien connue, et dont les adversaires mêmes du Thalmud, les docteurs de la secte des Caraïtes, reconnaissent l'existence et invoquent l'autorité[31], ne saurait être considérée comme une pure fiction, par la seule raison que Josèphe n'en parle pas. Il est vrai que plusieurs détails que donnent les rabbins sur cette synagogue reposent sur des erreurs ; ainsi il est impossible qu'Ezra, contemporain d'Artaxerxés, y ait siégé ensemble avec Zéroubabel et Josué, partis de Babylone sous Cyrus, ou avec Siméon le Juste, qui, selon le Thalmud, florissait du temps d'Alexandre le Grand. Il est évident que les rabbins qui ont fait cet anachronisme, et les auteurs chrétiens qui l'ont répété[32], ignoraient complètement la chronologie de l'histoire des Perses et ne savaient pas mesurer les intervalles des différents faits racontés dans les livres d'Ezra et de Néhémia, de sorte qu'ils croyaient pouvoir réunir dans une seule assemblée tous les personnages marquants mentionnés dans ces livres et y joindre même un contemporain d'Alexandre ; car les 183 ans qui s'écoulèrent depuis l'achèvement du Temple, ou la sixième année de Darius, fils d'Hystaspe (515), jusqu'à l'arrivée d'Alexandre à Jérusalem (332), se réduisent, selon eux, à quarante ans. Mais la tradition, en fixant le nombre des membres à 120, et en y plaçant des hommes qui avaient vécu à des époques différentes (si toutefois ces détails dérivent d'une source ancienne), ne voulait dire autre chose si ce n'est que cette synagogue, établie par Ezra, existait encore après lui, jusqu'à l'époque d'Alexandre, et que tous les membres qui en avaient fait partie, à différentes époques, jusqu'à Siméon le Juste, qui fut un des derniers membres de la grande synagogue[33], se montaient ensemble au nombre de cent vingt. Au reste, les travaux attribués à Ezra et Néhémia étaient de nature à exiger la coopération d'autres hommes influents, et ce ne serait pas faire preuve d'une saine critique que de mettre en doute la vérité historique d'une tradition antique, coutre laquelle on ne saurait alléguer aucun argument solide, et qui, au contraire, est en elle-même très-vraisemblable[34].

La grande synagogue, à ce qu'il paraît, introduisit des améliorations notables dans l'administration de la justice, chercha à donner un grand développement à l'instruction publique, qui toutefois se bornait aux choses religieuses, à la littérature et aux lois nationales, et s'efforça d'assurer l'observation des lois mosaïques, en les entourant d'une foule de règlements, qu'elle y rattachait au moyen de certaines règles d'interprétation. Tel nous paraît être le sens des trois préceptes attribués par les anciens docteurs aux hommes de la grande synagogue : Soyez circonspects dans le jugement, formez beaucoup d'élèves et faites une haie autour de la loi[35].

Nous aurons l'occasion, en parlant des sectes, de faire connaître certaines doctrines nouvelles, qui, en partie, doivent remonter à cette époque et sont probablement d'origine persane ou babylonienne. Le Thalmud lui-même, tout en faisant remonter ces doctrines jusqu'à Moïse, admet en principe l'influence de l'exil de Babylone sur certaines croyances et coutumes ; il parle notamment de l'adoption des noms chaldéens pour les mois de l'année, et du développement de la croyance aux anges, auxquels, depuis cette époque, on donne des noms correspondant aux fonctions qu'on leur attribue[36].

Quant à la constitution civile de la nouvelle communauté juive, les textes des livres d'Ezra et de Néhémie et les traditions qui s'y rattachent ne suffisent pas pour nous en donner une idée parfaite. Il paraît que les Juifs se gouvernaient à l'intérieur avec assez d'indépendance, sauf à reconnaître la souveraineté des rois de Perse, qui jugeaient en dernier ressort, par l'intermédiaire de leurs pachas, et qui levaient certains impôts (Néhém. 5, 4). Sous Néhémia, le joug de la Perse ne se faisait pas trop sentir, et la Judée était une espèce de république, sous la suzeraineté du grand roi. Sur les temps suivants, jusqu'à l'époque des Maccabées, nous manquons presque entièrement de données historiques. Il paraît que les grands prêtres prirent un grand ascendant, et qu'ils devinrent les intermédiaires entre le peuple de la Judée et le souverain étranger. Le nord de la Palestine partageait le sort des autres provinces du vaste empire des Perses. Nous devons nous contenter, pour le reste de l'époque persane, ainsi que pour l'époque grecque jusqu'aux Maccabées, de reproduire quelques faits isolés rapportés par Josèphe ; c'est là tout ce que nous savons sur l'histoire de la Palestine pendant près de deux siècles et demi.

 

3. Fin de la domination persane. Schisme des Samaritains.

Les courts règnes de Xerxès II et de Sogdien, ainsi que les règnes de Darius Nothus et de ses successeurs, n'amenèrent aucun changement notable dans les affaires des Juifs et de la Palestine, si ce n'est peut-être que ce pays eut à souffrir de la guerre qui éclata de nouveau entre les Perses et les Égyptiens ; car ces derniers s'étant révoltés contre Darius (en 410), chassèrent de leur pays tous les Perses, et aidés par les Arabes, les poursuivirent jusqu'en Phénicie. Darius leur fit la guerre sans les soumettre, et ce ne fut que sous Ochus que l'Égypte devint de nouveau une province de l'empire persan (350). Sous le règne d'Artaxerxés Mnémon (404 à 359), le Temple de Jérusalem fut souillé par un fratricide. Le grand prêtre Joïada était mort et son fils Johanan lui avait succédé[37] ; celui-ci avait un frère nommé Jésus, ou Josué, qui, possédant l'amitié de Bagose, l'un des généraux de l'armée de Perse et probablement gouverneur de Syrie, espérait, avec l'aide d'un protecteur si haut placé, pouvoir usurper la dignité de grand prêtre. Une querelle s'étant engagée, dans le Temple même, entre les deux frères, Jésus fut frappé mortellement par le grand prêtre Johanan. Bagose, informé de ce crime inouï, se rendit aussitôt à Jérusalem. Voulant pénétrer dans le Temple pour voir le lieu où le meurtre avait été commis, les Juifs lui refusèrent l'entrée ; mais, ne tenant aucun compte de leur résistance, il s'avança en s'écriant : Ne suis je donc pas plus pur que le cadavre qui a souillé le Temple ? Pour punir le forfait de Johanan, auquel il ne pouvait infliger aucun châtiment personnel, il condamna les Juifs à payer tous les jours sur chacune des victimes dont se composaient les sacrifices quotidiens, un impôt de cinquante drachmes ; cette forte amende fut payée pendant sept ans.

On rapporte aussi, d'après des sources peu authentiques, que sous Ochus (359-338), la ville de Jéricho fut occupée par les Perses et que beaucoup de Juifs furent emmenés captifs et envoyés en partie en Hyrcanie, sur la nier Caspienne, pour peupler cette province[38]. S'il est vrai, comme on le raconte, que le roi Ochus marcha sur Jéricho après avoir châtié Sidon (en 350), il paraîtrait résulter de là que plusieurs Juifs avaient pris part à la révolte des Phéniciens contre Ochus ; mais ce fait est fort douteux, car Josèphe n'en dit pas un mot. Quoi qu'il en soit, il est certain que la grande majorité des Juifs resta toujours fidèle aux rois de Perse, et on verra qu'ils bravèrent même la colère d'Alexandre plutôt que de trahir le malheureux Darius Codoman.

A Johanan avait succédé dans le pontificat, son fils Iaddoua, ou Jaddus, qui, dans sa vieillesse, vit la chute de l'empire des Perses. Iaddoua, selon Josèphe, eut un frère appelé Manassé, qui avait épousé Nicaso, fille du Couthéen Sanaballète, satrape du dernier Darius (Codoman) dans le pays de Samarie. Le grand prêtre et le peuple, également indignés de ce mariage, exigèrent de Manassé de quitter sa femme ou de renoncer au sacerdoce. Dans cette cruelle alternative, Manassé, tout en protestant de son amour pour Nicaso, manifesta à son père l'intention de la répudier, afin de ne pas être privé des droits du sacerdoce. Sanaballète, pour retenir son gendre auprès de lui, promit à Manassé d'obtenir du roi Darius la permission d'élever sur le mont Garizim, près de Sichem, un temple rival de celui de Jérusalem, et dans lequel Manassé exercerait les fonctions de grand prêtre. Ce projet combla les vœux de l'ambitieux Manassé, qui devint le fondateur du culte samaritain. Sichem était devenu, dans ces derniers temps, le siège principal de cette population mixte, formée du mélange des anciens colons assyriens, des débris des anciens Éphraïmites et de plusieurs émigrés juifs, qui, exclus de la communauté de Jérusalem par les mesures rigoureuses d'Ezra et de Néhémia, étaient allés s'établir dans le pays de Samarie[39]. L'entière conversion de cette population au pur mosaïsme dut être d'autant plus facile, que les pratiques idolâtres dont on accusait les Couthéens avaient dû s'évanouir, à mesure qu'ils manifestaient la prétention de passer pour de vrais Hébreux et de prendre part au culte de Jérusalem, et les transfuges des Juifs, qui allèrent grossir le parti des Samaritains, et qui étaient intéressés, ainsi que Manassé, à soutenir la légitimité du futur temple de Garizim, durent beaucoup contribuer à épurer les croyances et les pratiques religieuses des Samaritains.

Sur ces entrefaites, les armes victorieuses d'Alexandre menacèrent l'empire de Darius d'une dissolution prochaine, ce qui empêcha Sanaballète de faire des démarches auprès du roi de Perse afin d'obtenir la permission de bâtir le Temple ; mais on verra plus loin qu'il sut s'accommoder aux circonstances, et que, servant les intérêts du conquérant macédonien, il obtint de lui l'autorisation qu'il s'était proposé de demander à Darius. Manassé put donc réaliser son projet, et les Samaritains formèrent dès lors une véritable secte mosaïque, rivale des Juifs, comme autrefois le royaume d'Ephraïm avait été rival de celui de Juda. Pour justifier la dissidence, et pour constituer les Samaritains comme une secte particulière, Manassé dut établir une doctrine qui différât, sur plusieurs points essentiels, de celle des Juifs ; nous ne pouvons en juger que par des documents postérieurs à cette époque et par les opinions que les restes des Samaritains ont continué à professer jusqu'à nos jours. Ce qui constituait la différence la plus essentielle entre les Juifs et les Samaritains, c'est le rejet, par ces derniers, de tous les livres sacrés autres que le Pentateuque ; ils niaient l'autorité des prophètes et, à plus forte raison, celle des traditions, et ils rejetaient, par conséquent, toutes les lois et coutumes qui n'étaient pas formellement écrites dans le Pentateuque. Nous les voyons cependant déroger, sur quelques points, à la rigueur des principes, et admettre quelques doctrines qui ne se trouvent pas dans le texte des livres mosaïques et qu'ils ne pouvaient y rattacher que par le moyen de l'interprétation ; ainsi, par exemple, ils croyaient au Messie, aux anges et à la résurrection des morts[40]. Un des principaux points de controverse entre les Samaritains et les Juifs concernait le véritable lieu du sanctuaire ; selon les Samaritains, Moïse lui-même avait clairement indiqué le mont Garizim, comme le lieu où devait être établi le sanctuaire central, tandis que Jérusalem n'est mentionnée nulle part dans la loi mosaïque[41].

Quant à la fondation du Temple de Garizim, plusieurs savants la font remonter au temps de Darius Nothus, en prétendant que Josèphe a confondu ce roi avec Darius Codoman. Ils se fondent sur un passage du livre de Néhémia (13, 28), où il est dit qu'un des fils du grand prêtre Joïada fut exilé par Néhémia, pour avoir épousé une fille de Sanballat le Horonite, qui doit être le même que le Sanaballète de Josèphe ; car, disent-ils avec raison, il n'est pas probable qu'il y ait eu, à deux époques différentes, deux satrapes de Perse en Samarie, nommés Sanballat, ou Sanaballète, et ayant chacun pour gendre un prêtre juif. Cependant Josèphe parle dans des termes si explicites de la fondation du temple samaritain sous Alexandre[42], et il paraît d'ailleurs si bien connaître la suite des rois de Perse, qu'il serait hardi de contester l'exactitude de son récit et de n'y voir que le produit d'une erreur chronologique ; car il faudrait supposer non-seulement qu'il a confondu deux Darius, mais que tout ce qu'il dit des rapports de Sanaballète avec Alexandre est de son invention. Un fait aussi important pour les Samaritains que la fondation du temple de Garizim avait dû être consigné avec exactitude dans leurs annales, et Josèphe, qui n'était éloigné que de quatre siècles de l'époque d'Alexandre, a pu consulter à cet égard des documents authentiques qui nous manquent aujourd'hui. Il faut avouer que la ressemblance frappante qu'offrent quelques circonstances du récit de Josèphe avec le fait rapporté par Néhémia est de nature à faire supposer quelque confusion ; mais l'erreur de Josèphe se borne peut-être au nom du satrape de Darius Codoman, et elle a pu résulter précisément du passage de Néhémia, que Josèphe, par mégarde, aura appliqué aux rapports qui existaient entre le prêtre Manassé et le satrape du dernier Darius, ou que peut-être il aura considéré comme une interpolation. Quelle que soit du reste la solution qu'un donne à ce problème, nous croyons devoir admettre comme un fait historique, que la construction du temple de Garizim n'eut lieu que sous Alexandre le Grand, quoiqu'il y ait peut-être erreur dans le non du satrape que Josèphe met en scène[43].

La faveur qu'Alexandre accorda aux Samaritains fut, selon Josèphe, le prix d'une trahison. Par la victoire d'Issus, la Syrie était tombée au pouvoir d'Alexandre, et bientôt la conquête de Tyr (en 332) lui ouvrit-toute la Palestine. Pendant le siège de Tyr, il envoya une lettre à Iaddoua, grand prêtre des Juifs, pour l'inviter à lui envoyer des secours et des provisions et à lui payer le tribut que jusque-là il avait payé au roi de Perse. Iaddoua refusa de violer le serment qu'il avait prêté à Darius, et osa braver la colère du vainqueur macédonien, qui le menaça d'un châtiment exemplaire, afin, disait-il, de montrer à tous à qui ils devaient engager leurs serments. Le satrape de Samarie, moins scrupuleux que Iaddoua, alla au-devant de l'orage, et taisant sa soumission à Alexandre, il lui amena huit mille hommes pour l'aider à s'emparer de Tyr. Sa trahison lui valut immédiatement la permission de bâtir un temple sur le mont Garizim. Le satrape mourut au bout de quelques mois.

Après la conquête de Tyr, Alexandre s'avança le long de la côte vers Gaza ; cette ville opposa une résistance héroïque, mais au bout de cinq mois elle fut conquise et subit un traitement affreux. Dix mille hommes y perdirent la vie ; le reste, ainsi que les femmes et les enfants, furent emmenés en captivité et voués à l'esclavage. Un sort semblable était réservé, sans doute, à Jérusalem, dont Alexandre crut devoir s'emparer avant de se rendre en Égypte ; un miracle pouvait seul sauver la ville sainte, et, quoi qu'on pense du merveilleux récit de Josèphe, il est certain qu'il dut se passer dans l'esprit d'Alexandre quelque chose d'extraordinaire, pour que, oubliant son vif ressentiment, il accordât à Iaddoua et à la ville de Jérusalem son pardon et une généreuse protection. Après la conquête de Gaza, les habitants de Jérusalem furent dans la consternation ; on implora le secours de la Divinité, en offrant de nombreux sacrifices. Un songe, dit Josèphe, rendit le courage au prêtre Iaddoua ; il eut une vision dans laquelle Dieu lui ordonna d'aller au-devant d'Alexandre, accompagné des prêtres avec leurs ornements. Iaddoua, ayant fait parer la ville, sortit avec ses prêtres. Alexandre en s'approchant fut frappé de ce spectacle ; il s'avança seul, s'inclina devant Iaddoua et le salua avec respect[44]. Son ami Parménion lui ayant exprimé son étonnement de la vénération religieuse qu'il témoignait à lad-doua, Alexandre lui déclara, qu'étant encore en Macédoine, un homme vêtu comme ce grand prêtre lui était apparu dans un songe, l'avait encouragé dans ses projets de conquêtes et lui avait promis de lui livrer l'empire des Perses. Je crois maintenant, ajouta Alexandre, que j'ai entrepris cette expédition par une mission divine, que je vaincrai Darius et que je détruirai la puissance des Perses. Ayant dit cela, il donna la main à Iaddoua, et arrivé à Jérusalem, il visita le Temple et y offrit des sacrifices, selon l'indication des prêtres juifs. A la demande du grand prêtre, Alexandre accorda aux Juifs la faveur d'être exemptés du payement des impôts pendant l'année sabbatique et la liberté de vivre partout conformément à leurs propres lois et coutumes. De son propre mouvement, il promit la même liberté à ceux qui seraient disposés à prendre du service dans son armée, ce qui engagea beaucoup de Juifs à entrer dans les rangs. Selon Josèphe, le grand prêtre aurait montré à Alexandre les prophéties de Daniel, où les victoires du héros macédonien et la chute de l'empire des Perses étaient prédites avec une admirable précision[45]. Ce fait est évidemment inexact ; car c'est justement cette précision historique de diverses prophéties de Daniel qui prouve contre leur authenticité, et il est certain pour le critique impartial, que le livre de Daniel n'a pu exister à cette époque.

Les Samaritains étant également venus en procession au-devant d'Alexandre, et ayant été accueillis avec bonté, prétendirent aux mêmes faveurs qui avaient été accordées aux Juifs, et demandèrent notamment l'exemption des impôts pendant l'année sabbatique. Interrogés s'ils étaient Juifs, ils répondirent avec ambiguïté, ce qui engagea Alexandre à remettre leur demande à son retour d'Égypte, pour examiner leurs prétentions. Il emmena en Égypte les huit mille hommes que les Samaritains lui avaient envoyés au siège de Tyr ; ils s'établirent dans la Thébaïde, où Alexandre leur fit distribuer des terres.

C'est ainsi que la Palestine passa, sans secousse violente, sous la domination macédonienne, après avoir été pendant deux siècles sous celle des Perses. Les Juifs, liés par des serments à la Perse, et se rappelant les bienfaits de quelques-uns de ses rois, n'avaient pas voulu trahir le malheureux Darius ; mais ils durent voir sans peine la fin de la tyrannie des satrapes et se promettre des jours plus heureux et plus calmes sous le sceptre du jeune héros qui les avait traités avec tant de générosité. Iaddoua mourut bientôt après, et son fils Onias (Honio) lui succéda dans le pontificat.

 

 

 



[1] Voyez Ezra, 2, 64 et 65 ; Néhémia, 7, 66 et 67. Le nombre total, sans compter les esclaves, fut, selon les deux passages, de 42.166 ; en faisant l'addition des nombres de détail, qui d'ailleurs ne sont pas toujours les mêmes dans les deux documents, on trouve à peine 30.000. Selon les anciens docteurs juifs, il faut voir, dans le surplus, des Israélites des dix tribus. Séder Olarn rabba, ch. 29.

[2] Le texte d'Ezra (1, 8) dit à Schesch bsçar, ce qui est très-probablement le nom babylonien ou persan de Zeroubabel.

[3] Selon le livre d'Ezra (1, 11), ils étaient au nombre de 5.400, ce qui parait être exagéré.

[4] La darique (δαρεικός), ou, comme l'appellent les auteurs hébreux, darkemôn, monnaie persane en or, valait deux drachmes attiques d'or, ou vingt drachmes d'argent. En donnant à la drachme attique la valeur de 90 centimes, les 61.000 doriques d'or font 1 million 98.000 francs ; les 5.000 mines, faisant 300.000 sicles, valent 930.000 francs. Ainsi la somme totale offerte par les chefs de famille s'élève à 2 millions 28.000 francs.

[5] C'est là ce que nous laissent deviner quelques mots du livre d'Ezra (6, 21) et de celui de Néhémia (10, 29) ; dans ceux qui s'étaient séparés de l'impureté des peuples du pays, il faut voir, sans doute, les restes des anciens Israélites.

[6] Cet état de choses nous parait être indiqué clans les paroles peu explicites du livre d'Ezra, ch. 4, v. 4 et 5 ; il n'y est point dit que les Samaritains aient calomnié les Juifs auprès de Cyrus, et que celui-ci ait retiré sa permission, ce qui d'ailleurs est dénué de toute probabilité. Comparez Josèphe, Antiquités, XI, 2, 1.

[7] L'Ahasvéros (Assuérus) du livre d'Ezra (c. 4, 6) ne peut être que Cambyse ; car il est désigné comme le successeur immédiat de Cyrus. Il ne faut pas le confondre avec l'Assuérus du livre d'Esther, qui très-probablement est Xerxès.

[8] Selon Hérodote (VI, 98), Artaxerxés signifie grand guerrier. En zend, ce nom s'écrivait probablement Artha-Khschatra (grand roi). Voyez Silvestre de Sacy, Mémoires sur diverses antiquités de la Perse, p. 100 ; Obry, dans le Journal asiatique, octobre 1836, p. 389. — Si, dans le livre d'Ezra (ch. 4, v. 6), on lit : sous le règne d'Ahasvéros, etc., et immédiatement après (v. 7) : Et aux jours d'Arthachsastha, il ne faut pas conclure de là qu'il s'agit de deux rois différents ; les versets 7 à 24 forment évidemment un document à part, qui a été intercalé ici pour servir de commentaire au verset 6. La première partie de livre d'Ezra (ch. 1 à 6) n'est qu'un recueil de divers documents qui ne sont pas du même auteur.

[9] Zacharie, dans le livre qui porte son nom (ch. 1, v. 1 et 7), est appelé fils de Béréchia, fils d'Iddo ; dans le livre d'Ezra (5, 1 ; 6, 14), on l'appelle simplement fils d'Iddo, de même que Zéroubabel est appelé fils de Séalthiel, quoiqu'il fût son petit fils. Parmi les prêtres revenus de Babylone avec Zéroubabel, nous en trouvons un qui porte le nom d'Iddo, et dont le fils, ou petit fils, s'appelle Zacharie (Néhémie, 12, 4 et 16) ; il est donc plus que probable que Zacharie était issu de la race sacerdotale, et qu'il était encore bien jeune en prononçant ses oracles, comme il le fait entendre lui-même (Zacharie, 2, 8).

[10] Voyez le fragment d'Hécatée, cité par Josèphe, Contre Apion, I, ch. 22.

[11] Voyez Josèphe, Antiquités, XV, 11, 1. Selon le texte imprimé, il manquait à la hauteur du Temple de Zéroubabel SOIXANTE coudées, pour égaler celle du Temple de Salomon, ce qui est incompréhensible, nous préférons la leçon de plusieurs manuscrits, qui portent SEPT comices. Voyez l'édition de Havercamp, t. I, p. 778, note z.

[12] Voyez Mischna, 5e partie, traité Middôth, ch. 1, § 3, et les commentaires.

[13] Voyez Hécatée, l. c., et I Maccabées, 4, 44-46.

[14] I Maccabées, 1, 23 ; 4, 49 ; Hécatée, l. c.

[15] Selon une tradition, elle avait été mise en sûreté, par le prophète Jérémie, dans une caverne du mont Nébo ; mais on ne put retrouver l'endroit où elle avait été placée. II Maccabées, 2, 4-7.

[16] Voyez II Maccabées, 15, 37.

[17] Voyez Hérodote, IV, ch. 41.

[18] Hérodote, III, ch. 84 et 118.

[19] Les arguments que nous venons d'alléguer en faveur de cette identité ont été développés, avec beaucoup de détails, par L. J. C. Justi, dans le Repertorium d'Eichhorn, t. XV, p. 1-38. On peut aussi voir Eichhorn, Einleitung, t. p. 637-641.

[20] Josèphe (Antiquités, XI, ch. 5 et 6) intervertit les rôles et les époques : selon lui, le roi Arthachsastha, protecteur des entreprises d'Ezra et de Néhémia, est le même que Xerxès, et Assuérus est son successeur Artaxerxés Longuemain. Mais le livre de Néhémia (13, 6) parle de la 32e année d'Artachsasta, tandis que Xerxès ne régna que 21 ans. Des savants modernes (Michaelis, Jahn), tout en prenant l'Arthachsastha du livre de Néhémia pour Artaxerxés Longuemain, identifient l'Arthachsastha d'Ezra avec Assuérus ou Xerxès. Les arguments de Jahn (Archœologia, II, 1, p. 259) sont fort peu solides. — Notre opinion est celle de la majorité des critiques modernes (Eichhorn, Gesénius, Winer).

[21] Dans la table généalogique (Ezra, 7, 1) Ezra est appelé fils de Seraïa ; mais il est évident que fils veut dire ici descendant ; car Seraïa fut mis à mort, lors de la destruction de Jérusalem (en 588), 130 ans avant cette époque.

[22] Voyez Néhémia, 12, 26 ; Josèphe, Antiquités, XI, 5, 5.

[23] Nous ne saurions, avec M. Zunz (Die gottesdienstlichen Vortnege der Juden, p. 24 et suivantes), ne considérer le récit des ch. 8 et 9 du livre de Néhémia que comme une simple fiction, quoique nous admettions que ces deux chapitres paraissent appartenir à un auteur postérieur à Néhémia. Mais quel qu'en soit l'auteur, il ne nous parait nullement démontré qu'il ait fait un anachronisme en faisant d'Ezra le collègue de Néhémia. La critique des Chroniques et des Livres d'Ezra et de Néhémia, tirée du savant ouvrage que nous venons de citer, a été publiée, en français, dans le tome XVIII de la Bible de M. Cohen.

[24] C'était probablement un titre honorifique que portaient les pachas et les grands seigneurs en Perse. On le trouve deux fois à côté du nom de Néhémia (Néhémia, 8, 9 ; 10, 2) ; dans d'autres passages, on le trouve seul, il paraît désigner Zéroubabel (Ezra, 3, 62 ; Néhémia, 7, 65 et 70). Le mot Tirsathâ signifie probablement inspirant la terreur, ou le respect ; il parait être corrompu par les écrivains hébreux ; en sanscrit on pourrait le rendre par trâsa-da.

[25] Voyez Antiquités, XI, 5, 5. Josèphe le fait mourir longtemps avant cette époque ; selon lui, l'assemblée nationale, dans laquelle Ezra lut publiquement le livre de la Loi, eut lieu avant l'arrivée de Néhémia ; ce qui est contre le texte formel du livre de Néhémia (8, 9).

[26] Au moyen âge on montrait son tombeau près d'une rivière appelée Samoura, aux frontières de la Perse, à deux journées de Bassora. Voyez Benjamin de Tudèle, éd. l'Empereur, p. 85 et 86 ; Iehouda al-Harizi, Thalekemoni, ch. 35.

[27] Le texte hébreu, traduit par la Vulgate : in fine dierum, veut dire, au bout (d'un nombre) de jours ou d'années.

[28] Humphrey Prideaux (the old and new Test. connected, etc.) soutient que la deuxième réforme de Néhémia n'a pu avoir lieu avant la 11e année de Darius Nothus ; mais ses arguments sont d'une extrême faiblesse. A la vérité, il parait résulter des paroles de Néhémia (13, 4) que le grand prêtre Eliasib était mort ; mais c'est sur la foi d'un livre fort peu authentique, appelé la Chronique Alexandrine, que Prideaux fait vivre Eliasib jusqu'à la onzième année de Darius Nothus. Il va même plus loin, et, se fondant sur un prétendu calcul des soixante-dix semaines de Daniel, il place les nouvelles réformes de Néhémia dans la quinzième année de Darius (408 avant J. C.). Jahn, qui admet l'opinion de Prideaux (voyez son Archœologie, II, 1, p. 272-2771, s'étonne beaucoup que les commentateurs n'aient pas vu dans Néhémia, ch. 13, v. 25, que les fils issus des mariages mixtes avaient déjà des barbes. Mais d'abord le verbe WA-EHRETÈM (et decalvavi eos) veut dire simplement je leur arrachai les cheveux, et il n'est nullement vrai, comme parait le croire Jahn, qu'il se rapporte spécialement à la barbe ; ensuite il est clair, par la grammaire et le bon sens, que ce furent les pères et non pas les fils, auxquels Néhémia fit subir les mauvais traitements dont parte le v. 25.

[29] Au ch. 12 de Néhémia, on trouve des généalogies qui vont jusqu'à l'époque d'Alexandre.

[30] Le canon de l'Ancien Testament, tel que nous l'avons maintenant, et tel qu'il existait déjà avant le commencement de l'ère chrétienne, ne remonte pas au delà de l'époque des Maccabées ; car il renferme des écrits qui appartiennent évidemment à cette époque, comme, par exemple, le livre de Daniel. Mais il est certain qu'il a été formé successivement, et, si nous cherchons l'époque où la collection a pu être commencée, nous n'en trouvons pas de plus convenable que celle d'Ezra et de Néhémia. Le IIe livre des Maccabées (2, 13) parle expressément des livres recueillis par Néhémia pour former une bibliothèque sacrée.

[31] Voyez Notitia Korœorum ex Mardochœi Karœi recentioris tractratu haurienda, éd. J. Chr. Wolfius, p. 111, 112.

[32] Voyez par exemple, Genehrard, Chronologia sacra, l. 2 ; Brucker, Hist. crit. philosophiœ, t. II, p. 789.

[33] Mischna, quatrième partie, traité Aboth (sentences des Pères), ch. 1, § 2.

[34] Comparez Buxtorf, Tiberias, cap. 10 et 11 ; Jost, Geschichte, etc. (Histoire des Israélites depuis le temps des Maccabées jusqu'à nos jours), t. III, p. 43-45, et l'Appendice, p. 113 ; Zunz, l. c., p. 33 (ou la traduction dans la Bible de M. Cahen, t. XVIII, p. 32).

[35] Mischna, quatrième partie, traité Aboth (sentences des Pères), ch. 1, § 1.

[36] Voyez Thalmud de Jérusalem, Rosch haschana, ch. 1. Les noms des mois que nous trouvons chez les Juifs, après l'exil, sont Nisan (mars-avril), Iyyâr, Sîwan. Thammouz, Ab, Eloni, Thischri, Marcheschwan Kislew, Tébeth, Schebât, Addr ; ce sont primitivement les noms de certaines divinités orientales. En fait de noms d'anges, on trouve dans le livre de Daniel, ceux de Gabriel et de Michaël, et le livre de Zacharie (ch. 3) nous montre déjà le chef des mauvais anges sous le nom de Satan.

[37] Dans le livre de Néhémie, le fils de Joïada est appelé tantôt Jonathan, tantôt Johanan (Jean) ; voyez Néhémia, ch. 12, v. 11 et 22, M. Zunz (l. c., p. 27) pense qu'il y a eu deux grands prêtres entre Joïada et Iaddoua, et que Johanan doit être considéré comme le fils de Jonathan.

[38] Prideaux cite ce fait d'après Solin, Polyhistor, ch. 35, et le Syncelle, Chronogr., p. 256. Voyez aussi Barbébrœus, ou Aboutfaradj., Chron. Syr., p. 36 (vers. lat. p. 34).

[39] Voyez Josèphe, Antiquités, XI, 8, § 2 et 6.

[40] Voyez Silvestre de Sacy, dans les Notices et extraits des manuscrits de la Bibl. du roi, t. XII, p. 25-30. La croyance des Samaritains au Messie (qu'ils appellent HA-SCHAHAB ou HA-THAHAB, conversor) résulte aussi de l'Évangile de saint Jean, ch. 4, v. 25.

[41] Voyez Josèphe, Antiquités, XIII, 3, 4 ; Evangile de saint Jean, 4, 20 ; lettres des Samaritains, dans le Repertorium d'Eichhorn, t. XIII, p. 283.

[42] Voyez Antiquités, XI, 8, 4 ; XIII, 3, 4 ; 9, 1.

[43] La chronique arabe samaritaine, qui, à côté de plusieurs fables absurdes, parait cependant renfermer des faits tirés d'anciens documents historiques, offre également des traces de la fondation du temple de Garizim sous Alexandre, mais sans nommer ni Sanaballat ni Manassé. Voyez la Chrestomathie arabe de M. Silvestre de Sacy (2e édition), t. I, p. 338 et 339. Eusèbe, dans sa Chronique, confirme le même fait ; il se trompe seulement de quelques années en disant que le temple des Samaritains fut bâti la seconde année de la cent Onzième olympiade (335-334 avant J. C.) ; car le siège de Tyr n'eut lieu qu'en 332.

[44] Le même fait est rapporté dans le Thalmud de Babylone, traité Yoma, ch. 7, fol. 69 a, et dans Meghillath Thaanith, ch. 9 ; mais, selon le récit thalmudique, le grand prêtre qui alla au-devant d'Alexandre fut Siméon le Juste. Comparez Otho, Hist. doctor. misnicorum, p. 15. — Les Samaritains racontent la même chose de l'entrevue de leur grand prêtre avec Alexandre. Voyez Silvestre de Sacy, Chrestomathie arabe, t. I, p. 338. Comparez Justin, XI, 10.

[45] Voyez Daniel, ch. 2, v. 40 ; ch. 7, v. 7 ; ch.8, v. 1-8 et 21 ; ch. 11, v. 3 et 4.