Observations préliminaires sur la division du territoire et sur la chronologie. La Bible ne nous donne aucun détail sur les limites respectives des deux royaumes. On nous dit seulement que dix tribus se déclarèrent pour Jéroboam, savoir, Éphraïm, Siméon, Dan, Manassé, Isachar, Aser, Zabulon, Naphthali, Ruben et Gad. Le nouveau royaume, renfermant le gros de la nation, prit de préférence le nom d'Israël, dont on s'était déjà servi autrefois pour désigner le royaume d'Isboseth. Le pays d'Israël renfermait donc toute la Pérée, avec les pays tributaires, jusqu'à l'Euphrate, et la grande moitié de la Palestine en deçà du Jourdain ; le royaume de Rehabeam, appelé le pays de Juda, n'embrassait que la Palestine méridionale, entre Béthel et Beërséba ; car Béthel, à ce qu'il paraît, était à l'extrémité méridionale du pays d'Israël (I Rois, 12, 29). Le roi de Juda avait, en outre, la suzeraineté de l'Idumée et du pays des Philistins ; mais tout le pays soumis à son sceptre formait à peine le quart du royaume de Salomon. Les limites n'étaient pas tracées avec rigueur, et certaines villes des frontières, appartenant aux tribus de l'un des deux royaumes, se trouvaient de fait, soit par la volonté des habitants, soit par la force des choses, au pouvoir de l'autre royaume. Ainsi, par exemple, les villes de Béthel et de Rama, quoique situées sur le territoire de Benjamin, appartenaient au royaume d'Israël[1] ; mais en revanche, les villes méridionales de Dan, telles que Saréah et Ayyalôn, appartenaient au royaume de Juda[2]. Quant aux villes qui, du temps de Josué, avaient été données à la tribu de Siméon, elles devaient toutes, par leur position géographique, appartenir à Juda[3]. Si donc, en réalité, Siméon était au nombre des dix tribus qui se déclarèrent pour Jéroboam[4], il faudrait supposer qu'une partie au moins de la tribu de Siméon avait émigré vers le nord. En effet, un passage, peut-être interpolé, de la bénédiction de Jacob (Genèse, 49, 7) fait allusion à la dispersion de Siméon, et dans la bénédiction attribuée à Moïse (Deut. ch. 33) cette tribu est passée sous silence, comme n'occupant pas de territoire circonscrit dans certaines limites. Il paraît résulter d'un passage du Ier livre des Chroniques (4, 31) que les Siméonites ne possédaient plus, depuis le règne de David, les villes qui leur avaient été données par Josué. Quelques débris de cette tribu, qui étaient restés dans le pays de Juda, émigrèrent plus tard, sous Ézéchias, au nombre de cinq cents hommes, vers le mont Séir (ib. v. 42). La résidence des rois d'Israël, d'abord à Sichem, fut transférée à Thirsa[5], jusqu'au moment où Omri fonda la ville de Samarie. La chronologie de cette période présente de graves difficultés. Le royaume d'Israël dura jusqu'à la sixième année du règne d'Ézéchias, roi de Juda ; or, en additionnant les années de règne que les livres des Rois donnent aux dix-neuf rois d'Israël, on trouve un total de deux cents quarante et un ans sept mois et sept jours, tandis que, pour les rois de Juda, jusqu'à la sixième année d'Ezéchias, on trouve, tant dans les livres des Rois que dans les Chroniques, le nombre total de deux cent soixante ans. Une autre difficulté est celle-ci : l'auteur des livres des Rois, non content de marquer les années de règne de chaque roi de Juda et d'Israël, dit presque toujours qu'un tel roi de Juda commença à régner dans telle année de tel roi d'Israël, et vice versa, sans que ces données puissent toujours se mettre d'accord avec celles que nous trouvons sur la durée des différents règnes. Ces difficultés ont occupé de tout temps les commentateurs de la Bible et les chronologistes, et, pour les résoudre, chacun a fait ses hypothèses[6]. Les uns ont supposé des fautes dans les chiffres ; les autres, dédaignant ce moyen commode, ont supposé des corégences dans Juda ou des interrègnes dans Israël. On ne saurait guère admettre d'erreurs de chiffres pour le royaume de Juda ; car les documents que nous possédons sont tirés directement des annales de ce royaume et les livres des Rois et des Chroniques sont parfaitement d'accord. Pour le royaume d'Israël, il serait possible qu'il y eût çà et là quelques erreurs dans les dates. En outre il est évident que tes années de règnes qu'on attribue aux différents rois ne sont pas toutes des années complètes, soit qu'on ait compté les fractions d'années, à la fin des règnes, pour des années complètes, soit que, en prenant pour point de départ l'ère de la sortie d'Egypte, on ait attribué à tel roi toute l'année au milieu de laquelle il monta sur le trône, ainsi que toute l'année au milieu de laquelle il mourut, et qu'on ait ainsi prolongé son règne d'une année ou de plus. Ceci admis on pourra souvent faire disparaître à la fois les deux difficultés que nous avons énoncées. Nous allons citer un exemple : nous lisons (I Rois, 15, 25) que Nadab, fils de Jéroboam, monta sur le trône dans la deuxième année d'Asa, roi de Juda, et qu'il régna deux ans, et immédiatement après (v. 33) on dit que Baasa, successeur de Nadab, commença à régner dans la troisième année d'Asa. Baasa régna vingt-quatre ans, ce qui nous conduirait jusqu'à la vingt-septième ou vingt-huitième année d'Asa ; cependant, le texte nous dit (ch. 16, v. 8) qu'Ela, fils de Baasa, succéda a son père dans la vingt-sixième année d'Asa. Il est donc évident que les vingt-six années de Nadab et de Baasa ne forment, en réalité, que vingt-quatre ans et une fraction, et que les années attribuées aux règnes respectifs de ces deux rois ne sont pas des années complètes ; car il n'est pas possible d'admettre que l'auteur du livre des Rois se soit ainsi contredit lui-même dans deux passages très-rapprochés l'un de l'autre. Ce principe, de compter des années commencées pour des années entières, a été appliqué, sans doute, à la chronologie des deux royaumes ; mais, comme nous n'avons pas toujours le moyen d'établir une contre-épreuve, on comprend qu'il est impossible de fixer exactement la durée de chaque règne. Il est probable aussi qu'il y ait eu quelques interrègnes dans le royaume d'Israël, où l'hérédité ne put jamais s'établir d'une manière durable, et où nous voyons dix-neuf rois appartenant à neuf familles différentes. On a cru devoir admettre deux interrègnes, l'un de onze ou douze ans, après Jéroboam II, l'autre de neuf ans, après Pékah (Phacée), et, en effet, le texte se prête fort bien à cette hypothèse : Ouzia (Ozias), roi de Juda (qui régna cinquante-deux ans), monta sur le trône dans la quinzième année de Jéroboam II, roi d'Israël[7], qui régna quarante et un ans, c'est-à-dire jusqu'à l'an vingt-six d'Ouzia ; cependant Zacharie, fils et successeur de Jéroboam II, ne commença à régner que dans la trente-huitième année d'Ouzia (II Rois, 15, 8), ce qui laisse onze à douze ans d'interrègne. Pékah commença à régner dans la dernière année d'Ouzia et il régna vingt ans (ib. v. 27) ; or, Jotham, fils d'Ouzia, ayant régné seize ans, le règne de Pékah dut finir dans la troisième ou quatrième année de celui d'Achaz, fils de Jotham, et cependant nous lisons (ib. 17, 1) que le règne d'Hoséa (Ozée), successeur de Pékah, ne commença que dans la douzième année d'Achaz, ce qui s'accorde aussi avec le coinmencement du règne d'Ézéchias, placé dans la troisième année d'Hoséa (ib. 18,1). Nous aurions donc, entre Pékah et Hoséa, un interrègne de huit à neuf ans. Après tout ce que nous venons de dire, on ne s'étonnera plus que les totaux des années des deux royaumes ne soient pas d'accord ; et on comprendra qu'aucun des deux chiffres ne peut servir de base réelle pour la chronologie. Avec la plupart des chronologistes, nous faisons remonter le schisme à l'an 975 avant l'ère chrétienne ; nous plaçons la chute du royaume d'Israël à l'an 721, de sorte que toute cette période embrasserait l'espace de 254 ans. Il s'agit donc de coordonner dans cet espace de temps, d'une manière approximative, les différents règnes des deux royaumes ; vouloir faire plus serait une peine inutile, qui conviendrait à un homme oisif et non pas à un homme studieux, comme l'a déjà dit saint Jérôme[8]. En combinant tous les chiffres, et en faisant usage du principe des écrivains hébreux, dont nous avons parlé plus haut, savoir, de compter les fractions d'années pour des années complètes, on peut, sans trop s'écarter de la lettre du texte, liter le synchronisme des deux royaumes de la manière suivante[9] :
Cet espace de temps se subdivise naturellement en deux périodes, dont la première finit en 884, au jour où les deux royaumes perdent à la fois leurs souverains ; la seconde va jusqu'à la chute du royaume d'Israël, et à la même époque celui de Juda se relève par Ézéchias. La mission du peuple hébreu ayant été entièrement méconnue et abandonnée par les rois d'Israël, l'idée dominante de son histoire ne pouvait plus se développer que dans le royaume de Juda, quoique là aussi nous voyions de fréquentes infidélités commises par les rois et le peuple contre Jéhova et sa loi. Mais là étaient le sanctuaire national, les prêtres et les lévites, et les voix des prophètes pouvaient, s'élever plus librement que dans le royaume d'Israël. En outre ce dernier royaume, malgré l'étendue de son territoire et les forces dont il disposait, ne put jamais arriver à se consolider et à prendre cette stabilité que l'hérédité et le prestige du nom de David garantissaient à celui de Juda. Ses frontières n'étaient pas non plus suffisamment garanties contre l'invasion des ennemis, tandis que le pays de Juda était mieux protégé par ses forteresses et ses montagnes. Au nord, les hordes ennemies pouvaient facilement pénétrer dans le cœur dit pays d'Israël, et les riches plaines de la Galilée et de la Samarie ne leur offraient que trop d'appât ; les Syriens surtout étaient de dangereux voisins. Les luttes intestines, les fréquents changements de dynastie, des rois pour la plupart faibles et tyranniques devaient hâter l'épuisement des forces d'Israël ; son histoire est celle d'une longue agonie, interrompue quelquefois par une faible lueur de vie. Israël est donc en quelque sorte éliminé de l'histoire des Hébreux, qui se continue dans celle de Juda. La lutte et les rapports continuels entre les deux royaumes ne permettent guère de séparer les deux histoires ; pour éviter les répétitions, nous nous placerons sur le terrain de Juda, et de là nous examinerons toujours les événements contemporains du royaume d'Israël. 1. De Rehabeam à Achazia. (De Jéroboam à Joram.) (975 à 884.)REHABEAM, étant revenu de Sichem à Jérusalem, ordonna une levée en masse des tribus de Juda et de Benjamin, pour aller combattre Jéroboam et soumettre les dix tribus. Mais un prophète de Juda, nommé Sémaïah, se présenta au roi et au peuple, au nom de Jéhova, afin d'empêcher, par sa parole puissante, une expédition qui probablement lui paraissait dangereuse. Il déclara que le schisme s'était fait par la volonté de Jéhova ; il fut écouté, et les troupes déjà rassemblées rentrèrent dans leurs foyers. Rehabeam, forcé de renoncer, pour le moment, à ses projets belliqueux, s'occupa à mettre son petit royaume à l'abri d'une invasion ; quinze villes situées vers les différentes frontières furent entourées de fortifications, et munies des provisions et des armes nécessaires. Le commandement de ces places fut confié aux fils du roi, sous les ordres supérieurs du prince royal, nommé Abiam, ou Abiah. Rehabeam avait vingt-huit fils et soixante tilles ; ses femmes étaient au nombre de dix-huit, sans compter soixante concubines. Sa femme favorite était Maacha, fille d'Abisalôm[11], qui avait donné le jour à Abiam. Dans les trois premières années du règne de Rehabeam une foule d'Israélites pieux, et notamment les prêtres et les lévites, émigrèrent du royaume d'Israël pour aller s'établir dans celui de Juda[12] ; car Rehabeam montra d'abord du zèle pour le culte national, qui pouvait devenir pour lui une planche de salut, tandis que Jéroboam, pour rompre toute liaison avec Juda, et pour conserver toute son indépendance, abandonna ouvertement le culte mosaïque. Trompant les prévisions du prophète Achiah, Jéroboam introduisit une idolâtrie révoltante. Aux deux extrémités de son royaume, à Dan et à Béthel, il éleva deux temples, dans lesquels Jéhova fut adoré sous l'image d'un veau d'or, et il renouvela ainsi le crime dont les Hébreux s'étaient rendus coupables dans le désert. Il confia les soins de ce culte à de nouveaux prêtres qui n'étaient pas de la tribu de Lévi, et, interdisant le pèlerinage de Jérusalem, il supprima les fêtes mosaïques. Le huitième mois fut choisi en place du septième pour célébrer la fête des récoltes, et tous les ans le roi se rendait lui-même à Béthel pour cette fête nouvelle et y offrait des sacrifices au veau d'or. — A la vue des préparatifs hostiles de Rehabeam, il fit entourer de fortifications la ville de Sichem, où il avait d'abord fixé sa résidence, et il fortifia également la ville de Phanuel, où, selon Josèphe, il s'était fait bâtir un palais[13]. La conduite de Jéroboam devait indigner les prophètes de Jéhova ; mais ils n'osèrent élever la voix contre les innovations impies du roi. Un jour cependant un prophète zélé du pays de Juda[14] osa se présenter dans le temple de Béthel et maudire l'autel au moment même où le roi Jéroboam y offrait de l'encens. Un accident arrivé au roi arrêta sa main déjà levée sur le prophète ; celui-ci échappa à la colère du roi, mais, en retournant au pays de Juda, il fut tué par un lion. Le dévouement de ce prophète et sa fin tragique perpétuèrent sa mémoire, et, après trois siècles et demi, une légendé populaire rattacha les imprécations prononcées par le prophète contre l'autel de Béthel, à la réaction opérée par le roi Josias contre l'idolâtrie de cette ville[15]. Selon cette légende, le prophète de Juda prononça sur l'autel de Béthel les paroles suivantes : Autel, autel ! ainsi a parlé Jéhova : un fils naîtra à la maison de David, son nom sera Joasias ; il immolera sur toi les prêtres des hauts lieux qui offrent de l'encens sur toi, et on brûlera sur toi des ossements d'hommes. En même temps il prédit que l'autel allait se fendre, et que la cendre, qui était dessus, serait répandue par terre. Saisissez-le : s'écria le roi, en étendant sa main ; et aussitôt la main du roi se dessécha et il ne put la retirer. L'autel se fendit et la cendre fut répandue par terre. Alors le roi, frappé de ce miracle, supplia le prophète de prier Dieu pour lui ; ayant recouvré l'usage de sa main, Jéroboam invita le prophète à un repas, mais ce dernier refusa, disant : que Dieu lui avait défendu de prendre aucune nourriture en cet endroit. Étant reparti par un chemin détourné, il fut bientôt rejoint par un vieux prophète de Béthel, lequel, ayant appris par ses fils ce qui venait de se passer, courut après le pieux prophète de Juda pour le ramener et peut-être pour se concerter avec lui sur quelque entreprise en faveur du culte mosaïque ; car le texte ne présente nullement le vieillard de Béthel comme un faux prophète. Faisant croire au prophète de Juda qu'un ange de Dieu l'avait engagé à le suivre, il parvint à le ramener à Béthel et à lui faire accepter un repas. Mais à table le vieillard eut une révélation de Dieu et annonça au prophète de Juda, qu'il ne serait pas enterré dans le tombeau de sa famille, pour avoir transgressé l'ordre de Jéhova. Le prophète, étant reparti de nouveau, fut tué par un lion, qui cependant laissa son corps intact et ne lit aucun mal à son fine. Quelques hommes, qui passèrent par là, ayant averti le vieillard de Béthel, celui-ci alla chercher le cadavre du prophète de Juda et lui rendit les derniers honneurs, ordonnant à ses enfants de déposer un jour ses restes dans le même tombeau où il venait d'enterrer l'homme de Dieu ; car, ajouta-t-il, ce qu'il a prédit sera accompli sur l'autel de Béthel et sur tous les temples des hauts lieux clans les villes de Samarie (I Rois, 13, 32). Ces derniers mots prouvent avec évidence que nous avons ici une légende populaire, qui s'est formée bien plus tard, et non pas un récit historique ; car Samarie n'existait pas encore à cette époque. Nous trouverons d'autres légendes analogues dans l'histoire des prophètes d'Israël, dont les actes ont généralement un caractère merveilleux et fantastique, que nous ne rencontrons pas chez les prophètes de Juda. Nous devons rapporter ces légendes, parce qu'elles sont caractéristiques, et qu'elles font connaître à l'historien le point de vue peu élevé sous lequel on considérait le prophétisme dans le royaume d'Israël, où la vie des plus grands prophètes, telle que le peuple l'a faite, offre un contraste frappant avec les caractères sublimes et pleins de grandeur et de dignité que nous trouvons plus tard dans le royaume de Juda[16]. Quoique ces légendes nous soient rapportées par les écrivains de Juda, elles sont puisées sans doute dans ceux d'Israël, ou dans les contes populaires des Israélites. L'histoire de Jéroboam nous offre encore un autre exemple de ce que nous venons de dire. Abiah, jeune fils de Jéroboam, étant tombé malade, le roi chargea sa femme de se rendre déguisée auprès de son ancien protecteur, le prophète Achiah, de lui apporter un cadeau et de l'interroger sur le sort de son fils. Achiah était très-vieux et presque aveugle ; mais, dit la légende, à peine la femme de Jéroboam se fut-elle présentée à la porte du prophète à Siloh, qu'Achiah, entendant ses pas, lui dit : Entre, femme de Jéroboam ; pourquoi te déguises-tu ! J'ai une mission dure pour toi. Et aussitôt il prédit, en termes très-violents, la chute de Jéroboam et de sa dynastie, et la ruine du royaume d'Israël, dont les habitants seraient transportés de l'autre côté de l'Euphrate. Quant à l'enfant, dit-il, au moment où tu entreras dans la ville, il mourra. En effet, lorsque la femme s'approcha du seuil du palais, à Thirsa, où Jéroboam avait alors fixé sa résidence, l'enfant mourut. Dans Juda le zèle qui s'était manifesté pour le maintien du culte national, dans les trois premières années du règne de Rehabearn (II Chron. 11, 17), ne se ralentit que trop tôt, pour faire place à une coupable indifférence, qui fut bientôt suivie d'une nouvelle invasion de l'idolâtrie phénicienne avec toutes ses abominables débauches, jusqu'à la honteuse prostitution qui distinguait le culte d'Astarté. La tiédeur pour le sanctuaire national et la ville sainte fut si grande que, malgré les forteresses qui garnissaient les frontières, Rehabeam ne put faire aucune résistance aux troupes égyptiennes, qui, dans la cinquième année de son règne (970 avant J. C.), envahirent le pays de Juda, probablement par les intrigues de Jéroboam, et pénétrèrent jusqu'à Jérusalem. Rehabeam trembla dans sa résidence, et le prophète Semaïah profita de ce moment pour reprocher au roi, en pleine cour, son infidélité envers Jéhova, la présentant comme la cause de ce malheur. Le roi et tous les grands de la cour montrèrent un sincère repentir, et s'écrièrent : Jéhova est juste ! Semaïah alors les rassura, en leur montrant que ce n'était là qu'un orage passager, et qu'il fallait accepter avec résignation ce châtiment du ciel (ib. 12, 5-8). Sisac ou Scheschonk[17], roi d'Égypte, à la tête d'une nombreuse armée, composée d'Égyptiens et d'autres peuplades africaines, fit son entrée dans la capitale, probablement sans coup férir[18], et pilla les trésors du Temple et ceux du palais royal, entre autres les' boucliers d'or que Salomon avait fait faire. Cette expédition n'eut pas d'autre suite ; ainsi que l'avait prévu le prophète Sémaïah, Sisac n'avait d'autre but que d'humilier et de rançonner la capitale de Juda, et son armée se retira après le pillage. Les boucliers d'or de Salomon furent remplacés par des boucliers d'airain, qu'on confia à la garde des officiers des coureurs ou gardes du corps. Toutes les fois que le roi se rendait au Temple, les coureurs portaient devant lui ces boucliers, vain simulacre de la grandeur passée du règne de Salomon. Rehabeam régna encore une douzaine d'années après l'invasion des Égyptiens. Aucun événement mémorable ne signala cet espace de temps. Les hostilités continuèrent toujours entre Rehabeam et Jéroboam ; niais elles se bornèrent à des tracasseries mutuelles, et il ne paraît pas qu'il y eût jamais entre les deux rois un engagement de quelque importance. Rehabeam mourut à l'âge de cinquante-huit ans, après en avoir régné dix-sept. Son fils ABIAM lui succéda ; son court règne de trois ans (de 958 à 955), animé du même esprit d'irreligion que celui de son père, fut signalé par une guerre ouverte avec Jéroboam, sur laquelle le IIe livre des Chroniques (13, 3-20) nous donne quelques détails. Nous ne saurions admettre comme historiques les forces militaires vraiment prodigieuses que ce livre attribue aux deux rois[19] ; le discours plein de zèle pour le culte de Jéhova que le roi de Juda aurait adressé à l'armée de Jéroboam, paraît être démenti par la relation plus ancienne du 1er livre des Rois (15, 3), qui dit qu'Abiam imita tous les péchés de son père et que son cœur n'était pas entier avec Jéhova, son Dieu. Les deux armées se rencontrèrent sur les montagnes d'Éphraïm, près du mont Semaraïm. Malgré l'embuscade que Jéroboam plaça sur les derrières des troupes de Juda, celles-ci remportèrent la victoire, et s'emparèrent de Béthel et de quelques autres villes israélites. On ne dit pas qu'Abiam ait aboli le culte du veau d'or à Béthel ; il est probable que cette ville retomba bientôt au pouvoir d'Israël. La victoire d'Abiam affaiblit les forces de Jéroboam, qui ne put plus se relever. Abiam avait, de ses quatorze femmes, vingt-deux fils et seize filles ; il mourut dans la troisième année de son règne (955), laissant le trône affermi à son fils Asa. Jéroboam mourut l'année suivante et son fils Nadab lui succéda. ASA (955-914) montra dès le commencement de son règne beaucoup de zèle pour le culte de Jéhova. Quoique très-jeune encore, il déploya une grande énergie contre l'idolâtrie ; il n'épargna même pas sa grand'mère Maacha, qui favorisa le culte phénicien et qui prétendit dominer le jeune prince. Asa sut la dépouiller de toute influence sur les affaires du gouvernement ; la statue d'Aschéra ou Astarté, qu'elle avait osé élever dans Jérusalem, fut brûlée dans la vallée que parcourt le Kidron. Partout on détruisit les autels des divinités phéniciennes, et les personnes prostituées à leur culte honteux furent expulsées du pays. La seule chose qu'on reproche à Asa, c'est d'avoir laissé subsister les hauts lieux, ou les autels particuliers consacrés à Jéhova, à côté du grand autel du Temple central (I Rois, 15, 14), ce qu'il fit peut-être pour occuper la foule immense de prêtres, qui, depuis le schisme, affluaient dans le petit pays de Juda. Il apporta au Temple des dons très- riches, laissés par son père et auxquels il ajouta les siens. Pendant les dix premières années de son règne, le pays jouissait d'une paix profonde (II Chron. 13, 23), et Asa profita de ce temps pour élever de nouveaux forts et pour organiser et fortifier son armée (ib. 14, 5-7). Le royaume d'Israël, ébranlé par des troubles intérieurs, n'inspirait pas, pour le moment, de craintes sérieuses au roi de Juda. La dynastie de Jéroboam avait cessé d'exister. Nadab avait été assassiné, après avoir régné deux ans (952) ; un certain Baasa, fils d'Achiah, de la tribu d'Isachar, avait conspiré contre Nadab, qui assiégeait alors Gibhethôn, ville de la tribu de Dan, qui était au pouvoir des Philistins. Nadab tomba par la main de Baasa, qui après avoir usurpé le trône d'Israël, détruisit toute la famille de Jéroboam. Selon les Chroniques (ib. v. 8), le premier ennemi que le roi Asa eut à combattre fut l'Ethiopien Zérach, qui à la tête d'une armée prodigieuse, composée d'Éthiopiens et de Libyens (ib. 16, 8), pénétra jusqu'à Marésa, dans la plaine de Juda. On ne nous dit pas si Zérach était roi d'Éthiopie, ou s'il n'était qu'un général à qui le roi avait confié cette expédition ; mais le texte ne renferme pas le plus léger indice qui puisse faire penser que Zérach fût roi d'Égypte, comme l'ont prétendu plusieurs savants[20]. Il est plus probable que les hordes commandées par Zérach étaient venues du royaume de Méroé, en traversant le golfe Arabique, le désert et l'Idumée. Asa conduisit son armée au-devant des Éthiopiens et leur livra bataille dans la vallée de Sephatha, près de Marésa ; les Éthiopiens furent battus, et obligés de fuir ; ils laissèrent aux troupes de Juda un immense butin. Cet événement dut avoir lieu vers la quinzième année du règne d'Asa (940). Au retour du roi, un prophète de Jérusalem, Azariah, fils d'Oded, alla au-devant de lui ; dans une allocution qu'il adressa au roi et à l'armée, il présenta leur succès comme une suite de l'attachement qui s'était manifesté pour Jéhova, et les malheurs passés comme la juste punition de l'infidélité. Il termina en engageant le roi à persévérer dans la mente voie. Asa continua à déployer une grande sévérité contre l'idolâtrie ; il restaura aussi le grand autel qui se trouvait devant le portique du Temple, et dans la quinzième année de son règne, au troisième mois (mai-juin), on y célébra par de nombreux sacrifices la victoire remportée sur les Éthiopiens. Une foule d'Israélites, fidèles au Dieu de leurs pères ; et voyant les succès du pieux Asa, vinrent assister à cette fête et s'établir dans le pays de Juda. Baasa, roi d'Israël, ne put voir avec indifférence la puissance toujours croissante du royaume de Juda. Dans la seizième année du règne d'Asa[21] (939) il commença des actes d'hostilité contre Juda, en fortifiant la ville de Rama et en y plaçant une garnison, afin d'intercepter les communications avec le pays de Juda. Asa ne pouvant souffrir l'établissement de cette forteresse, située à deux lieues de sa résidence, épuisa le trésor royal et celui du Temple pour acheter l'alliance de Ben-Hadad, roi de Syrie, qui résidait à Damas. Ses offres ayant été acceptées, Ben-Hadad envahit le nord de la Palestine, jusqu'aux environs du lac de Kinnéreth ou Génésareth, et s'empara de plusieurs villes importantes. Baasa fut forcé par là de faire cesser ses travaux de fortification ; Asa alors marcha sur Rama, s'en empara, et, ayant fait démolir les ouvrages déjà avancés, il fit employer les matériaux aux fortifications de Guéba et de Mispah. Plusieurs autres villes d'Éphraïm tombèrent au pouvoir d'Asa (II Chron. 15, 8). Les prophètes durent voir avec peine cette alliance, conclue avec un païen contre le roi d'Israël et payée avec le trésor sacré. Un prophète nommé Hanani reprocha amèrement à Asa de s'être appuyé sur la Syrie, au lieu de s'appuyer sur Jéhova, qui lui aurait soumis en même temps et les Israélites et les Syriens. Il paraît que les paroles de Hanani ne furent pas sans influence sur le peuple et causèrent quelques troubles ; car le roi, fort irrité de ce discours, fit emprisonner le prophète et châtier des gens du peuple (II Chron. 16, 10). Baasa régna encore dix ans après l'invasion des Syriens ; nos documents ne parlent pas d'autres collisions entre lui et Asa, mais les deux rois restèrent en état d'hostilité mutuelle (I Rois, 15, 32). Le prophète Jéhu, probablement fils du prophète Hanani, dont nous venons de parler (car on l'appelle toujours Ben-Hanani), prononça un oracle contre Baasa, auquel il reprocha d'avoir imité les péchés de Jéroboam, après avoir été élevé de la poussière pour renverser sa dynastie : la maison de Baasa, dit le prophète, aura le même sort que celle de Jéroboam. Asa put assister encore à l'accomplissement de cette prophétie, et voir une troisième dynastie s'affermir sur le trône de Jéroboam ; car les événements se succédèrent rapidement dans le pays d'Israël. Baasa put transmettre la couronne à son fils bila ; il mourut après avoir régné près de vingt-trois ans (930 ou 929). Mais Ela succomba dès la deuxième année de son règne (928), frappé, comme le fils de Jéroboam, par la main d'un conspirateur. Pendant que les troupes, commandées par le général Omri, étaient occupées à un nouveau siège de la ville de Gihbethon, Zimri, commandant de la moitié des chariots de guerre, assassina, à Thirsa, le roi Ela, au moment où celui-ci s'était enivré dans la maison d'Arsa, son maître d'hôtel. L'assassin, s'étant emparé du trône, extermina toute la famille royale, et la prédiction du prophète Jéhu s'accomplit à la lettre. Lorsque la nouvelle du forfait de Zimri arriva au camp de Gibbethon, les troupes proclamèrent leur général Omri roi d'Israël. Omri abandonna aussitôt le siège de Gibbethon pour marcher sur Thirsa, et l'usurpateur, se voyant forcé de rendre la ville, mit le feu au palais et s'y brûla lui-même, après avoir régné sept jours. Cependant Omri, élu par l'armée, trouva un concurrent dans Thibni, fils de Ginath, auquel le peuple avait décerné la couronne. Une lutte s'établit entre les deux prétendants ; quoique le parti d'Omri fût beaucoup plus fort, ce ne fut que la mort de Thibni[22] qui fit reconnaître la royauté d'Omri par tout Israël. Le texte sacré nous laisse deviner que la guerre civile entre Omri et Thibni avait duré quatre ans ; car il ne fait commencer le règne d'Omri que dans la trente-unième année d'Asa (924), quoiqu'il fasse remonter la conspiration de Zimri et sa mort à la vingt-septième année de ce même roi (928)[23], dans laquelle Omri fut proclamé roi par l'armée. Dans la septième année de son règne, deux ans après la mort de Thibni, Omri fonda la ville de Samarie, et y transféra la résidence royale. C'est là le seul fait mémorable qu'on rapporte de son règne ; mais il paraît qu'il eut à lutter contre les Syriens, qui lui prirent plusieurs villes (I Rois, 20, 34). Il gouverna dans le même esprit que ses prédécesseurs, en maintenant le culte schismatique établi par Jéroboam. Il mourut dans la douzième année de son règne (917), laissant le trône à son fils Achab. Les troubles qui agitèrent le pays d'Israël profitèrent sans doute au royaume de Juda, qui, pendant tout ce temps, jouissait d'une paix profonde sous le sceptre du roi Asa. Dans les dernières années de son règne (916), Asa fut affligé d'une maladie des pieds, probablement la goutte ; on lui reproche d'avoir fait venir des médecins, et de ne pas avoir recherché Dieu dans sa maladie (II Chron. 16, 12), c'est-à-dire de ne pas avoir consulté les prophètes, qui cultivaient aussi l'art de la médecine[24]. Il paraîtrait que l'affaire, de Hanani avait fait cesser les rapports entre le roi et l'ordre des prophètes. Asa mourut dans la quarante-unième année de son règne (914), laissant dans son fils Josaphat un digne successeur. Ses funérailles furent célébrées avec beaucoup de pompe ; on coucha le roi sur un lit parfumé, et on brûla auprès de lui une grande quantité des parfums. JOSAPHAT (914-889), fils d'Asa et né d'Azouba, fille de Silhi, monta sur le trône à l'âge de trente-cinq ans (II Rois, 22, 42). Héritier des vertus de son père, il manifesta un zèle plus grand encore pour le culte national, et fit disparaître les dernières traces de l'idolâtrie, laissant toutefois subsister les hauts lieux. Pour inspirer au peuple de meilleurs sentiments religieux, il chargea, dans la troisième année de son règne, cinq des principaux personnages de sa cour, accompagnés de deux prêtres et de neuf lévites, et munis d u livre de la loi, de faire une tournée dans tout le pays et d'instruire les habitants. En même temps Josaphat fit élever de nouveaux forts et préparer des munitions, et réorganisa l'administration et l'armée. Cette dernière se composa de deux divisions très-fortes, l'une de Juda et l'autre de Benjamin ; la première était sous les ordres suprêmes d'Adna, assisté des généraux Johanan et Amasia ; la seconde, composée principalement d'archers, était commandée par Eliada, qui avait sous ses ordres le général Jozabad. Des gouverneurs particuliers commandaient dans les places fortes. La paix qui régnait alors dans le pays de Juda, auquel plusieurs peuples voisins payaient un tribut, favorisa singulièrement les réformes du roi Josaphat, que nous verrons prendre encore de plus grands développements. La cour de Samarie formait alors le plus grand contraste avec celle de Jérusalem. Tandis que Josaphat ne cessait de faire les plus grands efforts pour rétablir le culte de Jéhova dans toute sa pureté, Achab, qui surpassa en impiété tous les rois d'Israël, non content du culte des veaux d'or, et dominé par sa femme phénicienne Izabel (fille d'Éthbaal, roi de Sidon), avait introduit le culte de Baal et d'Astarté, qui avaient des temples et des autels dans la ville de Samarie. Le débordement du paganisme phénicien jeta le trouble et le désordre dans le pays d'Israël, où nous voyons naître des collisions sanglantes entre les adorateurs de Baal et le petit nombre de partisans zélés que comptait encore le culte de Jéhova. Le parti des premiers était devenu fort nombreux ; Baal n'avait pas moins de quatre cent cinquante prêtres ou prophètes à son service, et Astarté en comptait quatre cents, tous nourris aux frais d'Izabel (I Rois, 18,19). Forts de toute l'énergie d'une reine fanatique et cruelle, ils sévissaient avec une extrême fureur contre les prophètes de Jéhova, qu'ils tâchaient d'exterminer (ib. v. 4). Ces derniers étaient encore assez nombreux ; dans la persécution même dont ils étaient l'objet, quelques-uns d'entre eux puisèrent un zèle et un courage qu'on ne leur avait pas remarqués jusqu'alors, et, quand l'occasion se présentait, ils usaient de sanglantes représailles contre leurs adversaires. Leur chef était le célèbre prophète Élie, et, à la cour, ils avaient un protecteur secret dans Obadiah, intendant de la maison du roi ; mais dans la masse du peuple ils ne trouvaient que peu de partisans zélés (ib. 19, 18). La grande majorité du peuple, à ce, qu'il paraît, était indécise ou indifférente, et ne prêtait son appui à aucun des deux partis ; c'est pourquoi Élie lui reprochait de boiter des deux côtés, et de ne se déclarer ni pour Jéhova ni pour Baal (ib. 18, 21). Le roi Achab lui-même, homme sans énergie et sans conviction, peut être mis au nombre de ces indécis : tantôt il se prosterne devant Baal et se livre à toutes les abominations des cultes cananéens, tantôt, effrayé par les paroles d'un prophète, il s'humilie devant Jéhova, en jeûnant et en déchirant ses vêtements ; un jour il laisse massacrer les prophètes de Jéhova par les ordres d'Izabel, un autre jour il livre les prophètes de Baal à la vengeance d'Élie[25]. Sa faiblesse et son indécision se montrent aussi dans d'autres circonstances ; nous le verrons une fois pousser la générosité jusqu'à rendre la liberté à son ennemi, le roi de Syrie, tombé entre ses mains, et une autre fois, sur les instigations d'Izabel, faire condamner à mort un innocent, pour s'emparer de son bien. Le pays d'Israël ne pouvait sortir de cette malheureuse situation que par un coup violent ; il fallut un homme énergique, plein de courage et de dévouement, pour entraîner les indécis et pour faire triompher la sainte cause de Jéhova et de la nationalité hébraïque contre la tyrannique fureur de la princesse phénicienne. Comme ce sont toujours les situations qui produisent les hommes, Israël, dans ces temps calamiteux, vit paraître un sauveur, qui entreprit à lui seul, sinon d'accomplir, du moins de préparer une révolution, et de renverser la dynastie impie qui voulut effacer jusqu'aux dernières traces du culte national. Cet homme fut le prophète Élie, le héros de cette époque. Plein d'un enthousiasme fougueux, qui s'exaltait souvent jusqu'au fanatisme, il bravait, par son courage et sa constance, les fureurs d'Izabel et faisait trembler mainte fois le roi Achab, qui, tout en le détestant, ne put lui refuser son respect. Comme Samuel, il était inflexible, lorsqu'il s'agissait d'arriver à son but, et ne craignait pas de se montrer dur et cruel, pour accomplir ce qui lui paraissait nécessaire. Malheureusement Israël était déjà tombé trop bas pour pouvoir être entièrement relevé ; Elie lui-même n'éleva jamais sa voix contre le culte des images de Bethel et de Dan ; mais il fit tous ses efforts pour faire triompher le nom de Jéhova sur l'odieux culte des Phéniciens ; et lorsque, sur la fin de ses jours, il dut laisser son œuvre inachevée, il se donna un successeur qui pût la continuer et l'accomplir. La vie et les faits du prophète Élie ne nous sont parvenus que sous l'enveloppe des traditions mythiques, dont l'imagination populaire les a entourés dans le cours des siècles, et les observations que nous avons faites au sujet du prophète de Béthel trouvent ici leur application spéciale. Dans l'absence de documents suffisants purement historiques, nous devons attacher un grand prix à ces traditions populaires, qui nous donnent la mesure de l'admiration que des faits du prophète inspiraient à ses contemporains et des grands souvenirs que la postérité attachait à son nom. Le prophète Élie, né à Thisbé, ville du canton de Naphthali, au midi de Kédés[26], mais établi dans le pays de Gilead (I Rois, 17, 1), se présente un jour devant le roi Achab, pour lui annoncer que, pendant plusieurs années, il n'y aurait ni rosée ni pluie. Puis il s'échappe et se cache près du torrent de Crith, où il est nourri par les corbeaux, qui lui apportent du pain et de la viande, tous les matins et tous les soirs. Au bout de quelque temps, le torrent s'étant dessèche par le manque de pluie, le prophète, par l'ordre de Dieu, se rend à Sarepta, ville phénicienne, au midi de Sidon, où il est reçu dans la maison d'une pauvre veuve. Celle-ci n'a plus qu'une très-petite provision de farine et d'huile ; le prophète, en demandant à la veuve de lui en faire un petit gâteau, lui annonce en même temps, au nom du Dieu d'Israël, que son peu de farine et d'huile ne diminuera pas et lui suffira toujours pour nourrir sa famille, jusqu'à ce que la disette ait cessé. Après quelque temps, le fils de la veuve étant tombé malade, et ayant déjà cessé de respirer, Élie le rappelle à la vie. Depuis plus de deux ans le pays d'Israël était désolé par la famine, lorsque le prophète Élie, inspiré par Jéhova, retourne à Samarie, pour annoncer au roi Achab qu'il y aura enfin de la pluie. Chemin faisant il rencontre le pieux Obadiah, envoyé par le roi à la recherche de fourrage pour les bestiaux. Est-ce bien toi, mon maître Élie ? dit Obadiah au prophète, en se prosternant devant lui. C'est moi, répond Élie, va dire à ton maître : Élie est ici. Obadiah hésite d'abord, craignant qu'Élie ne disparaisse de nouveau, et que le roi, qui avait déjà fait tant de vaines recherches pour le retrouver, n'en soit que plus irrité. Obadiah supplie le prophète de ne pas l'exposer à la colère du roi, lui qui, au risqué de sa propre vie, a soustrait cent prophètes de Jéhova à l'homicide fureur d'Izabel, en les cachant, par cinquante, dans deux cavernes, et en leur donnant à manger et à boire. Élie le rassure, en protestant qu'il est décidé à attendre le roi. Celui-ci, averti par Obadiah de la présence du prophète, va à sa rencontre : Est-ce toi, désolateur d'Israël ? dit le roi à Élie. Ce n'est pas moi, répond le prophète, qui ai désolé Israël, c'est plutôt toi et ta famille, vous qui avez abandonné les commandements de Jéhova, et qui êtes allés après les Baals. Élie exige ensuite que le roi fasse rassembler tous les prêtres de Baal et d'Astarté sur le mont Carmel ; là le peuple reconnaîtra quel est le vrai Dieu. Achab consent a cette épreuve ; sur son ordre, les prêtres idolâtres se rendent sur le Carmel, où le peuple accourt en foule. Élie reproche au peuple son indécision, et le presse de se déclarer pour Jéhova ou pour Baal ; mais on ne lui répond que par un profond silence. Eh bien, dit Élie, qu'on nous donne deux taureaux ; que les prêtres de Baal en choisissent un, qu'ils le coupent en pièces et le mettent sur le bois, mais sans y mettre du feu ; moi j'en ferai de même avec l'autre taureau. Vous invoquerez votre Dieu et moi j'invoquerai Jéhova, et le Dieu qui répondra par le feu, sera reconnu pour le vrai Dieu. »Le peuple ayant accepté cette proposition, les prêtres de Baal, après avoir apprêté leur taureau, ne cessent de crier, depuis le matin jusqu'à midi : Ô Baal, exauce-nous ! Mais c'est en vain, Baal ne répond pas. — Criez plus fort, dit Élie avec ironie, votre Dieu est peut-être plongé dans la méditation ; il se peut qu'il soit en voyage, ou peut-être même dort-il, et vos cris l'éveilleront. Les prêtres redoublent leurs cris, en gesticulant comme des inspirés et en se faisant des incisions, selon leurs coutumes superstitieuses ; mais tout est en vain, Baal reste inexorable. Élie alors, prenant douze pierres, selon le nombre des tribus d'Israël, improvise un autel sur lequel il place son sacrifice ; il y verse de l'eau en abondance, et forme un conduit d'eau autour de l'autel. Sur sa prière, le feu descend du ciel et consume le sacrifice avec toute l'eau qui entoure l'autel. Le peuple, plein d'étonnement, s'écrie : Jéhova est le vrai Dieu ! Élie, profitant de l'enthousiasme qui vient de se manifester, ordonne de saisir les prêtres de Baal ; on les traîne au torrent de Kison, où ils sont tous massacrés. Le roi Achab, qui a assisté à ce spectacle horrible, est averti par Élie, qu'une forte pluie va arroser la terre et qu'il aura à peine le temps d'arriver à son palais. Achab part aussitôt pour Yezreël, où il avait un palais ; Élie le précède en courant à pied. Le roi entre dans Yezreël, lorsque déjà la pluie descend par torrents ; il raconte à Izabel tout ce qui s'est passé, et la reine jure de venger sur Élie la mort des prêtres de Baal. Le prophète a le temps de s'enfuir ; il traverse le pays de Juda jusqu'à Beërséba. Accablé de fatigues, l'homme de Dieu éprouve, pour la première fois, un découragement momentané, et demande à mourir. Il s'endort au milieu du désert ; un ange le réveille et lui apporte de la nourriture, et ayant repris ses forces, il peut entreprendre un voyage de quarante jours. Il arrive au mont Horeb et se repose dans ces lieux saints, où jadis Moïse avait eu ses visions célestes. Couché dans une caverne, il entend la voix divine qui lui demande : Que fais-tu ici, Élie ? Et il répond : J'ai montré un zèle ardent pour Jéhova, le Dieu des armées ; car les enfants d'Israël ont abandonné ton alliance, ils ont démoli tes autels et fait mourir, par le glaive, tes prophètes ; je suis resté moi seul, et on cherche à m'ôter la vie. — Sors, reprend la voix, et tiens-toi près de la montagne ! Aussitôt une violente tempête s'élève, la terre tremble, les éclairs brillent, le tonnerre gronde ; puis tout se calme et la Divinité s'annonce par un doux retentissement. Élie sort et s'enveloppe le visage avec son manteau. Encore une fois la voix divine lui demande : Que fais-tu ici, Élie ? et le prophète fait encore une fois la même réponse. Alors Élie reçoit l'ordre de prendre le chemin de Damas' de sacrer Hazaël, comme roi de Syrie, et Jéhu, fils d'un certain Josaphat, et petit-fils de Nimsi, comme roi d'Israël, et de se donner à lui-même un successeur dans Élisa, fils de Saphat, d'Abel-Mehola. En faisant la part des traditions mythiques, nous pouvons reconnaître comme faits historiques, dans ce récit, la position d'Elie comme chef du parti de Jéhova, les persécutions dont il est l'objet de la part de la reine Izabel, ses rapports avec le roi Achab, dont il met à profit la faiblesse et l'indécision, pour venger, sur les prêtres de Baal, les outrages faits à Jéhova. Enfin, nous voyons qu'Élie avait un plan politique bien combiné ; il voulut renverser la dynastie d'Achab, en lui donnant un successeur dans le courageux et entreprenant. Jéhu, dont l'exaltation et les mouvements brusques furent quelquefois considérés comme de la folie (II Rois, 9, 20). En même temps il voulut opérer une révolution à Damas, espérant ainsi obtenir l'alliance de la Syrie pour le parti théocratique d'Israël. Les événements firent ajourner encore l'exécution de ce plan ; mais Élie, prévoyant des obstacles, se hâta de choisir un disciple et successeur dans le jeune Elisa qu'il rencontra à son retour du désert, labourant son champ, et qu'il engagea à le suivre, après avoir jeté son manteau sur lui en signe de son adoption. Elisa ne demanda que le temps de faire ses adieux à ses parents, et suivit le prophète. Nous le verrons agir, à l'avenir, comme prophète de Jéhova, selon le plan de son maître Élie. Celui-ci ne se montre plus publiquement comme chef politique et religieux, et nous n'aurons à rapporter de lui que quelques faits isolés non moins merveilleux que les précédents. Cependant, le règne d'Achab paraissait s'affermir un moment par des victoires éclatantes, qui durent lui gagner la faveur et la considération du peuple, et rendre impossible, pour le moment, toute tentative de révolution. Ben-Hadad[27], roi de Syrie, à la tête d'une forte armée, et accompagné de trente-deux petits souverains, pénétra dans le pays d'Israël (en 901) ; ayant mis le siège devant Samarie, il fit sommer Achab en ces termes : Ton argent et ton or sont à moi ; tes femmes et tes plus beaux enfants sont à moi. Achab, croyant sans doute que ces paroles n'étaient qu'une simple figure et que Ben-Hadad ne voulait que le rendre son vassal, lui fit répondre : Je suis à toi, avec tout ce que j'ai. Mais bientôt un second message vint détromper le roi d'Israël. Ben-Hadad lui fit dire que, dès le lendemain, il enverrait faire fouiller son palais et les maisons de ses serviteurs, et on emporterait tous les objets de prix. Achab convoqua les Anciens, et tous se déclarèrent pour la résistance. Le roi de Syrie, irrité du refus d'Achab, lui envoya un troisième message et lui fit dire que Samarie n'aurait pas assez de poussière pour couvrir les pieds de son armée ; tellement elle était nombreuse. Achab répliqua avec fierté : Que celui qui ceint (l'épée) ne se vante pas comme celui qui (la) délie. Et en effet Ben-Hadad n'eut pas lieu de se vanter, en déposant l'épée après le combat. Achab, encouragé par un prophète, fit une sortie, avec ses sept mille hommes, au moment où Ben-Hadad s'enivrait à table avec ses trente-deux petits rois. Dans son sot orgueil, le roi de Syrie ordonna de prendre les ennemis tout vivants ; mais les Israélites attaquèrent les Syriens avec une telle vigueur, que le désordre se répandit dans le camp. Les Syriens furent mis en déroute et poursuivis, et leur roi n'eut que le temps de monter à cheval et de chercher son salut dans une fuite honteuse. Cependant l'orgueil de Ben-Hadad n'était pas humilié. Le Dieu des Israélites, disaient ses courtisans, est un Dieu de montagnes ; il faut donc les attaquer dans la plaine. Ils conseillèrent en même temps de déposer tous les petits rois des alentours et de mettre des pachas à leur place, sans doute pour disposer entièrement de leurs forces. L'année suivante (900) Ben-Hadad fit une nouvelle invasion dans le pays d'Israël, et cette fois il rangea ses troupes près d'Aphek, dans la plaine de Yezreël. Mais les courtisans s'étaient trompés ; Jéhova n'était pas moins puissant dans la plaine que sur les montagnes. Achab conduisit ses troupes contre l'ennemi ; les deux armées campèrent, en face l'une de l'autre, près d'Aphek. Le septième jour le combat s'engagea ; les Israélites battirent les Syriens et en firent un carnage terrible. Les débris de l'armée syrienne, cherchant un refuge dans la ville d'Aphek, furent écrasés sous les murs qui s'écroulèrent sur eux. Ben-Hadad, caché dans la ville, se vit sur le point de tomber entre les mains des Israélites ; ses serviteurs lui conseillèrent de faire un appel à la générosité d'Achab, car, disaient-ils, les rois d'Israël sont des rois, miséricordieux. Le roi de Syrie, naguère si orgueilleux, envoya humblement des messagers grossièrement vêtus et ayant des cordes autour de la tête, en signe de soumission. Ache les accueillit avec bienveillance, en appelant Ben-Hadad son frère ; celui-ci sortit de sa cachette, et Achab le reçut fraternellement et le fit monter dans son char. Ben-Hadad promit de rendre les villes que son père avait prises au père d'Achab, et d'accorder aux Israélites la faculté d'ouvrir des marchés à Damas, ainsi que les Syriens l'avaient fait à Samarie. Un traité de paix fut conclu entre les deux rois, et Ben-Hadad put librement retourner à Damas. L'ordre des prophètes, se méfiant, sans doute, des intentions de Ben-Hadad, désapprouva le traité de paix ; mais personne n'osant élever la voix contre Achab, un membre de l'ordre imagina un singulier moyen pour se faire entendre du roi. Il se fit frapper par quelqu'un jusqu'à se faire faire des blessures, et, s'étant déguisé, il se plaça sur le chemin par où le roi devait passer. Implorant la pitié du roi, il se plaignit d'avoir été frappé, pour avoir laissé, par mégarde, échapper un prisonnier de guerre dont on l'avait rendu responsable. S'il en est ainsi, dit le roi, on n'a fait que te rendre justice. Alors cet homme quitta son déguisement, et le roi le reconnut pour appartenir à l'ordre des prophètes. Ainsi parle Jéhova, reprit le prophète : puisque tu as renvoyé libre l'homme que j'avais condamne, ta vie répondra pour la sienne, et ton peuple pour le sien. Frappé de ces paroles, le roi revint à Samarie, confus et profondément affligé. Un crime horrible auquel l'entraîna la reine Izabel, lui valut bientôt, de la part d'Élie, une prophétie encore plus accablante. Un certain Naboth, a Yezreel, avait une vigne près du palais du roi ; Achab désirant joindre cette vigne à son jardin, demanda à Naboth de la lui céder pour de l'argent, ou pour une vigne meilleure. Mais Naboth refusa de vendre l'héritage de ses ancêtres, ce dont le roi se montra fort affligé. Izabel, ayant appris la cause de son chagrin, le consola en lui promettant qu'il aurait la vigne de Naboth. Elle envoya des ordres, au nom du roi, aux autorités de Yezreël, pour faire accuser Naboth de haute trahison. On gagna de faux témoins qui affirmèrent que Naboth avait blasphémé contre Dieu et contre le roi ; il fut condamné à mort et lapidé. Izabel avertit son époux de la mort de Naboth, et l'engagea à confisquer son bien. Achab s'étant rendu à la vigne de Naboth pour en prendre possession, le prophète Élie vint l'y trouver. As-tu assassiné pour hériter ? dit-il au roi ; ainsi a parlé Jéhova : A l'endroit où les chiens ont léché le sang de Naboth, ils lécheront aussi ton propre sang. — Viens-tu encore me trouver, mon ennemi ? s'écria le roi. — Oui, dit le prophète ; parce que tu t'es livré au crime, le malheur fondra sur toi ; ta maison aura le sort de celles de Jéroboam et de Baasa, et les chiens dévoreront Izabel sous les remparts de Yezreël ! — Achab, consterné de ces paroles, déchira ses vêtements, se revêtit de grossiers habits de deuil, et se livra au jeûne et à la pénitence. Le repentir du roi calma l'indignation d'Elie ; mais il ne renonça pas à ses projets de révolution, qui devaient s'accomplir après la mort d'Achab. Les prophètes ne s'étaient pas trompés sur le compte du roi de Syrie ; l'ingrat Ben-Hadad, rendu à la liberté, ne s'était pas hâté de remplir toutes les conditions du traité de paix. Trois ans s'étaient écoulés depuis la conclusion de ce traité, et Ramoth, une des villes les plus importantes du pays de Gilead, était toujours occupée par les Syriens. Achab manifesta l'intention d'entreprendre une nouvelle expédition contre Ben-Hadad, pour reconquérir la ville de Ramoth. A cette époque, Josaphat, roi de Juda, qui, pendant tout
ce temps, avait pu profiter des bienfaits de la paix pour continuer ses
réformes du culte et de l'administration, alla voir le roi d'Israël, avec
lequel il s'était allié par mariage, en faisant épouser à son fils Joram la
fille d'Achab et d'Izabel, nommée Athalie. Ce fût pour la première fois,
depuis le schisme, qu'un roi de Juda se montra, comme ami et allié, sur le
territoire d'Israël, et on peut s'étonner que ce fut justement sous le pieux
Josaphat et l'impie Achab que la paix s'établit entre les deux royaumes, et
que les deux cours contractèrent des liens de famille. Peut-être Josaphat
espérait-il par là pouvoir agir sur le faible Achab et le ramener a de
meilleurs sentiments. Josaphat et sa suite furent reçus avec beaucoup de
distinction à la cour de Samarie. Sur le point de marcher contre les Syriens,
Achab témoigna le désir que le roi de Juda voulût prendre part à cette
expédition ; Josaphat consentit et promit le concours de ses troupes, mais
sous la condition que le roi d'Israël interrogerait d'abord les prophètes.
Achab convoqua une assemblée générale des prophètes, sur une aire à la porte
de Samarie ; il s'en présenta quatre cents. Les deux rois y étaient assis sur
des trônes, et Achab, s'adressant à l'assemblée, lui demanda son avis sur
l'expédition de Ramoth. L'assemblée déclara à l'unanimité qu'il fallait faire
la guerre et que le roi d'Israël en sortirait vainqueur. Mais Josaphat se
méfiait de ces quatre cents voix unanimes ; il ne croyait pas, sans doute,
qu'après tant de persécutions, l'appel d'Achab pût réunir tant de véritables
prophètes de Jéhova, parlant avec sincérité et indépendance. N'y a-t-il pas ici d'autre prophète de Jéhova ?
demanda le roi de Juda. Il y en a encore un,
répondit Achab, mais je le hais, car il a toujours
été pour moi un prophète de malheur ; c'est Michaïah, fils de Yimla[28]. Josaphat
témoigna le désir d'entendre ce prophète, et Achab expédia aussitôt un messager
pour aller le chercher. Un certain Sédékia s'avança alors avec des cornes de
fer et s'écria : Avec ces cornes tu pousseras les
Syriens, jusqu'à les détruire ! Ces paroles furent accueillies par les
unanimes applaudissements de tous les prophètes. Le messager qui était allé
chercher Michaïah, engagea celui-ci à se ranger de l'avis des autres ; mais
le prophète répondit qu'il parlerait selon les inspirations de Dieu. Arrivé
dans l'assemblée, et interrogé par le roi si on devait aller à Ramoth : Allez, répondit-il, soyez
heureux, et puissent-ils être livrés entre vos mains. Achab le conjura
de dire toute la vérité, au nom de Jéhova, et le prophète reprit : J'ai vu tout Israël dispersé sur les montagnes, comme un
troupeau sans pasteur, et Jéhova dit : Ceux-ci n'ont pas de maître,
puissent-ils revenir en paix dans leurs maisons ! — Ne te l'ai-je pas dit ? s'écria Achab, en
s'adressant à Josaphat, il ne me prophétise que le
malheur. — Michaïah continua : Écoute la
parole de Jéhova : J'ai vu Jéhova assis sur son trône, et toute l'armée des
cieux debout près de lui à droite et à gauche. Et Jéhova dit : Qui persuadera
à Achab de monter à Ramoth en Giléad, afin qu'il y tombe ? L'un disait d'une
« manière et l'autre d'une autre. Un esprit sortit, se plaça devant Jéhova,
et dit : Moi, je le persuaderai. De quelle manière ? demanda Jéhova. Je
sortirai, dit l'autre, et je deviendrai un esprit de mensonge dans la bouche
de tous ses prophètes. Va, dit Jéhova, tu y réussiras. C'est ainsi que Jéhova
a envoyé un esprit de mensonge dans la bouche de tous tes prophètes, et
décrété ton malheur. Sédékiah, qui avait manifesté le plus d'exaltation pour la guerre, s'avança aussitôt, et, frappant Michaïah sur la joue, lui demanda : Comment donc l'esprit de Jéhova est-il sorti de moi, pour parler dans toi ? — Tu le verras, répondit Michaïah, au jour où tu entreras de chambre en chambre pour te cacher. Achab ordonna aussitôt l'arrestation de Michaïah ; Amon, gouverneur de la ville, et le prince Joas furent chargés de le garder jusqu'au retour du roi. Le prophète, prenant tout le peuple à témoin, s'écria : Si tu reviens en paix, Jéhova n'a point parlé par moi. Achab persistant à marcher sur Ramoth, Josaphat l'y accompagna. Le roi d'Israël, ayant appris que les officiers des Syriens avaient reçu l'ordre de diriger l'attaque contre lui personnellement, se déguisa pour se confondre dans les rangs des soldats, tandis que Josaphat garda ses vêtements royaux. Les Syriens, prenant ce dernier pour le roi d'Israël, se dirigent sur lui et l'environnent ; Josaphat appelle au secours, mais les officiers syriens, reconnaissant leur erreur, se retirent aussitôt. En même temps le roi Achab est mortellement blessé d'une flèche qu'un soldat avait tirée au hasard ; il se fait ramener du champ de bataille dans son char, qui est baigné de son sang. Soutenu sur le char, le mourant contemple encore la bataille qui s'engage ; il expire au coucher du soleil, et aussitôt l'armée israélite bat en retraite. Le corps du roi fut reconduit à Samarie, où on l'ensevelit. Le char ensanglanté du roi fut lavé à la piscine de Samarie, et le peuple y vit l'accomplissement des paroles d'Élie, qui avait dit que les chiens lécheraient le sang d'Achab. Parmi les monuments élevés par Achab, les annales du royaume d'Israël mentionnaient surtout un palais remarquable par des travaux en ivoire (I Rois, 22, 39). Achab eut pour successeur son fils Achazia (897). Josaphat retourna à Jérusalem, où le prophète Jéhu, fils de Hanani, venu au-devant de lui, le blâma avec douceur pour avoir prêté son concours à l'impie Achab, ce qui, disait-il, aurait attiré sur le roi la colère de Jéhova, s'il n'avait pas si bien mérité du culte du vrai Dieu en exterminant l'idolâtrie. Josaphat continua à agir sur son peuple dans le même esprit de piété, et à introduire des améliorations notables dans l'administration. Il réforma les tribunaux dans les principales villes du royaume, leur recommandant la plus grande impartialité, et établit à Jérusalem un tribunal suprême, composé de prêtres, de lévites et de chefs de famille. Cette cour devait décider, en dernière instance, tous les cas difficiles ; elle eut pour présidents le grand-prêtre Amariah, pour toutes les affaires de droit religieux, et Zébadiah, fils d'Ismaël, chef de la tribu de Juda, pour les affaires politiques et administratives. — A l'exemple de Salomon, Josaphat fit construire des vaisseaux dans le port d'Asiongaber, afin de reprendre les expéditions commerciales pour le pays d'Ophir ; mais les vaisseaux ayant fait naufrage dans le golfe même, près d'Asiongaber, Josaphat renonça à cette entreprise, malgré les instances d'Achazia, roi d'Israël, qui voulut s'y associer[29]. Pendant le court règne d'Achazia, qui ne dura pas beaucoup plus d'un an, Mésa, roi de Moab,qui, comme ses prédécesseurs, avait reconnu la suzeraineté du roi d'Israël, refusa de payer son tribut. Il avait déjà fourni cent mille agneaux et cent mille moutons avec leur laine ; car le pays des Moabites était, de tout temps, riche en brebis, et l'est encore aujourd'hui[30]. Une chute grave que fit Achazia, à travers un grillage de la plate-forme du palais de Samarie, l'empêcha de prendre des mesures pour, soumettre les Moabites. Élevé dans le culte de Baal et dans les superstistions de l'idolâtrie, Achazia envoya des messagers à Ékrôn, dans le pays des Philistins, pour interroger le célèbre oracle de Baalzeboub sur l'issue de sa maladie. Le prophète Élie, indigné de cet outrage fait au Dieu d'Israël, sortit une dernière fois de sa retraite, pour arrêter en chemin les messagers d'Achazia. N'y a-t-il pas de Dieu en Israël, leur dit le prophète, pour que vous alliez consulter Baalseboub, Dieu d'Ékrôn ? Allez dire à votre roi qu'il ne descendra plus du lit sur lequel il est monté ; car il mourra. Les messagers étant revenus auprès d'Achazia, pour lui raconter ce qui s'était passé, le roi envoya deux fois un capitaine avec cinquante hommes pour s'emparer d'Élie ; mais toutes les deux fois, dit la légende populaire, le prophète fit tomber, sur les capitaines et leurs soldats, un feu du ciel qui les dévora. Un troisième capitaine, envoyé avec cinquante hommes, demanda grâce au prophète, qui se rendit lui-même auprès du roi pour lui prédire sa mort. Achazia mourut en effet des suites de sa chute ; comme il n'avait point de fils, son frère Joram lui succéda (896). Quant au prophète Élie, il ne reparut plus depuis cette époque. Désirant que désormais sa retraite restât ignorée, il voulut même se séparer de son disciple Élisa ; mais celui-ci refusant de le quitter, ils partirent ensemble de Guilgal, pour visiter les écoles des prophètes à Béthel et à Jéricho. De cette dernière ville ils se dirigèrent vers le Jourdain, que, selon la tradition, ils passèrent à pied sec, en présence de cinquante prophètes. Élie persistant à vouloir quitter Élisa, dit à celui-ci de lui demander une faveur ; Élisa demande le double de l'esprit qui repose sur son maître, et Élie le lui promet, quand Élisa l'aura vu disparaître. Aussitôt un char de feu sépare Élisa de son maître, qui, en montant au ciel, laisse tomber son manteau qu'Élisa ramas se et dont la puissance miraculeuse lui fait repasser le Jourdain à pied sec. Tel est le récit poétique de la disparition du prophète Élie ; plus tard la tradition le mettait en rapport avec le Messie, dont Élie, monté vivant au ciel, devait être le précurseur, en reparaissant sur la terre[31]. Ce qu'il y a d'historique dans ce récit, c'est qu'Élie se retira au delà du Jourdain, où il chargea Élisa de retourner à Samarie pour y accomplir la mission religieuse et politique à laquelle il avait consacré toute sa vie. Du fond de sa retraite inconnue nous le verrons, au bout de quelques années, adresser une lettre à Joram, roi de Juda. La vie d'Élisa nous a été transmise, comme celle de son maître, sous un voile merveilleux. Dès son début, après la disparition d'Élie, nous le voyons, après avoir passé le Jourdain à pied sec, rendre potable l'eau mauvaise et malsaine de Jéricho, en y jetant du sel. A Bethel, quarante-deux petits garçons qui avaient insulté le prophète sont déchirés par deux ours, qui, à la parole d'Élisa, sortent de la forêt. — Selon le désir d'Élie, Élisa, après avoir fait un voyage au mont Carmel (où probablement les fidèles célébraient le culte de Jéhova), alla s'établir à Samarie, où il était à même d'observer de plus près les événements politiques. Il ne s'en éloignait, de temps en temps, que pour visiter les lieux saints du Carmel et les sociétés des prophètes. Il paraîtrait que ces dernières avaient repris quelque ascendant ; car le roi Joram, probablement pour leur faire une concession, fit disparaître la statue de Baal, élevée par son père Achab. Immédiatement après être monté sur le trône, Joram se prépara à une expédition contre les Moabites, qui, comme nous l'avons dit, avaient refusé leur tribut après la mort d'Achab. Il fit prier Josaphat de lui prêter son concours ; le roi de Juda y consentit et engagea en même temps son vassal, le vice-roi d'Édom, à prendre part à cette guerre. Les troupes réunies des trois pays prirent le chemin du désert d'Édom, au midi de la mer Morte, pour pénétrer de là dans le pays de Moab. Une marche de sept jours dans des contrées inconnues faillit devenir fatale à cette armée ; car le manque d'eau menaça de faire périr les hommes et les animaux épuisés par tant de fatigues. Dans cette détresse, le roi Josaphat demanda s'il n'y avait là aucun prophète de Jéhova qu'on pût consulter ; on apprit qu'Élisa avait suivi l'armée, et aussitôt les trois princes allèrent trouver l'homme de Dieu. Élisa, témoignant un profond dédain pour le roi d'Israël, jura par Jéhova que la présence de Josaphat pouvait seule l'engager à faire une réponse. Il demanda qu'on fit venir un musicien', et inspiré par les sons de son instrument, Elisa encouragea les princes en leur promettant la victoire. Il recommanda de creuser plusieurs fossés dans la vallée où se trouvait alors l'armée ; le lendemain l'eau descendue des hauteurs de l'Idumée, remplit les fossés. En même temps les Moabites sortis à la rencontre des ennemis, et voyant l'eau de la vallée rougie par le reflet de l'aurore, la prirent pour du sang et s'imaginèrent que les soldats des trois pays avaient tourné leurs armes les uns contre les autres, et qu'ils n'avaient qu'à profiter du désordre pour s'emparer d'un riche butin. Mais arrivés au camp des Israélites pour piller, les Moabites éprouvèrent une vigoureuse résistance ; forcés de fuir, ils furent poursuivis par les troupes alliées, qui pénétrèrent dans le pays de Moab, où ils firent les plus grands ravages. Le roi de Moab, après avoir vainement essayé de se frayer un passage vers le prince des Iduméens, probablement pour l'engager à faire cause commune avec lui contre les deux rois hébreux, se jeta dans une forteresse, où il fut bientôt assiégé. Dans son désespoir, on le vit, sur le rempart de la ville, offrir en holocauste son propre fils, héritier présomptif de sa couronne. A. ce spectacle horrible, les assiégeants, croyant sans doute qu'il ne convenait pas de pousser plus loin les actes de vengeance contre le malheureux roi de Moab, levèrent le siège, et s'en retournèrent dans leurs foyers[32]. Les Moabites avaient reçu un châtiment terrible, mais il paraît que le but de la guerre ne fut pas entièrement rempli. Quelque temps après, les Moabites ayant trouvé des alliés dans les Ammonites et dans les tribus iduméennes du mont Séir, et voulant se venger sur Josaphat, qui avait secondé leur ennemi, firent subitement une invasion dans le pays de Juda et pénétrèrent jusqu'à Én-Gadi. Josaphat pris au dépourvu, convoqua à la hâte une assemblée générale à Jérusalem et ordonna un jeûne public. De toutes les villes de Juda les habitants accourent en foule à la capitale, et le roi Josaphat prononça à haute voix devant le peuple assemblé dans l'un des parvis du Temple, une fervente prière. Un Lévite nommé Iahziel, de la famille d'Asaph, se leva et prononça quelques paroles animées, pour inspirer au roi et au peuple une pleine confiance en Jéhova, qui, disait-il, combattrait pour eux. Dès le lendemain on marcha contre l'ennemi, aux sons de la musique sacrée et en chantant les louanges de Dieu. Mais déjà le plus grand désordre régnait dans le camp des ennemis ; une querelle venait d'éclater entre les bandes du mont Séir et les soldats d'Ammon et de Moab ; ces derniers avaient fait des Séirites un horrible carnage et avaient tourné ensuite leurs propres armes les uns contre les autres. Les troupes de Juda trouvèrent le terrain jonché de cadavres ; leur arrivée suffit pour disperser entièrement les ennemis. Ceux-ci s'enfuirent et tous leurs bagages tombèrent entre les mains des Judéens, qui, quatre jours après, retournèrent à Jérusalem, chargés de butin, et rendirent des actions de grâces dans le Temple de Jéhova[33]. Après cet événement Josaphat régna encore cinq ou six ans en paix, béni de ses sujets et respecté des peuples voisins. Dans les dernières années de son règne, son fils premier-né Joram, beau-frère du roi Joram d'Israël, participa aux affaires du royaume, comme corégent de son père[34]. Les six autres fils de Josaphat, richement dotés par leur père, furent nommés gouverneurs dans les places fortes. Josaphat mourut à l'âge de soixante ans (889) ; son peuple, qu'il avait ramené aux vrais principes religieux et doté d'institutions utiles, devait fonder sur ses sept fils les plus belles espérances pour l'avenir ; mais bientôt elles s'évanouirent. JORAM (889-885), oubliant les leçons de son père, et entraîné, par sa femme Athalie, dans la voie pernicieuse d'Achab et d'Izabel, débuta par le meurtre de ses six frères et de plusieurs grands personnages qui probablement avaient contrarié son penchant pour l'idolâtrie phénicienne. Aussi faible que cruel, il devint un objet de haine et de mépris pour ses sujets et ne sut point faire respecter son autorité au dehors. Les Iduméens se révoltèrent et se donnèrent un roi indépendant, après avoir assassiné (selon Josèphe) le vice-roi, vassal de Juda. Joram alors marcha contre les rebelles et obtint un succès sur les frontières ; mais il n'eut pas la force de reconquérir l'Idumée, qui resta indépendante[35]. En même temps la ville sacerdotale de Libna, dans la plaine de Juda, refusa d'obéir à son roi impie. Du fond de sa retraite inconnue le prophète Élie adressa une lettre au roi de Juda, pour lui reprocher ses crimes et le menacer du châtiment céleste. Des hordes arabes du midi envahirent la malheureuse Judée ; aidées par les Philistins, elles ravagèrent le pays et pillèrent les domaines du roi, dont les fils, à l'exception d'un seul, nommé Ioachaz, ou Achazia, périrent dans le désordre. Les événements de Juda durent réagir sur le royaume d'Israël et confirmer Élisa et les autres prophètes dans leur éloignement pour la famille d'Achab et dans leurs projets révolutionnaires. Élisa avait déjà acquis une grande réputation ; il n'avait pas le caractère fougueux et sévère de son maître Élie et il se distinguait par une certaine douceur bienveillante, qui le rendait d'autant plus populaire. On raconte de lui un grand nombre de faits miraculeux qui, bien qu'amplifiés par la tradition, nous donnent la mesure de son caractère et de la popularité dont il jouissait parmi ses contemporains, et nous montrent l'homme de Dieu déployant une activité bienfaisante, tantôt à la cour de Samarie, tantôt sous l'humble toit de la veuve, recevant tout le monde, hommes et femmes, pour les instruire aux jours de sabbat et de fête (II Rois, 4, 23), et généreux même envers les étrangers et les ennemis de son peuple, dès qu'un malheur personnel leur faisait implorer son secours. Nous avons déjà mentionné quelques-uns des faits qui lui sont attribués ; eu voici d'autres que nous ne pouvons rapporter qu'en abrégé, mais dont on peut lire les détails dans l'Écriture sainte[36]. Un jour la veuve d'un prophète vint se plaindre à Élisa de ce qu'un créancier de son mari demandait ses deux fils, pour en faire ses domestiques et se payer ainsi de la dette contractée par leur père. Le prophète multiplia un peu d'huile, que la veuve avait chez elle ; elle vendit cette huile, et le produit lui suffit, non-seulement pour payer le créancier, mais encore pour vivre avec ses deux enfants. Dans ses fréquents voyages au mont Carmel, Élisa passant à Sunem, petite ville aux environs de Gelboa, y reçut souvent l'hospitalité chez une femme de distinction, qui engagea son mari à donner au prophète une petite chambre dans leur maison. Voulant récompenser la généreuse hospitalité de cette femme, le prophète lui promit qu'elle aurait un fils ; car jusque-là elle était restée stérile. La prédiction d'Élise s'accomplit ; mais plus tard l'enfant tomba malade et mourut. La mère désolée vint trouver Élisa, qui était alors au Carmel ; le prophète la suivit à Sunem, et, après avoir prié Dieu, il se coucha sur l'enfant et le ressuscita. — Un jour, pendant que la famine régnait dans le pays, Élise s'étant rendu à Guilgal pour visiter l'établissement des prophètes, et voulant leur donner un repas, quelqu'un jeta, par erreur, des concombres sauvages dans la chaudière. Les prophètes sentant leur goût amer, s'écrient qu'il y a du poison dans le plat ; aussitôt Élisa en adoucit l'amertume en y jetant une poignée de farine. Une autre fois il rassasia cent personnes avec un petit nombre de pains de prémices, dont on lui avait fait cadeau. — Naaman, général syrien, étant affligé de la lèpre et ayant entendu vanter, par une jeune captive israélite, les cures merveilleuses du prophète de Samarie, vint trouver Élisa, qui lui ordonna de se baigner sept fois dans le Jourdain. Naaman guéri offrit au prophète de riches présents que celui-ci refusa. Le général syrien étant reparti, Guéhazi, serviteur Misa, courut après lui, et, sous prétexte qu'il venait d'arriver deux jeunes prophètes pauvres, demanda et reçut, au nom d'Élisa, un cadeau considérable, qu'il cacha dans la maison. Élise devinant aussitôt l'action ignoble de son serviteur, le frappa, par sa malédiction, de la lèpre dont il venait de guérir Naaman. — Un jour les prophètes étaient allés abattre du bois près du Jourdain, pour s'y construire de nouvelles demeures ; l'un d'eux laissa tomber dans l'eau le fer de sa cognée, ce qui le mettait au désespoir, car la cognée était empruntée. Élisa, qui se trouvait près de là, jeta un morceau de bois dans l'eau et fit surnager le fer. — Les Syriens ayant fait une incursion sur le territoire des Israélites et ayant dressé des embûches dans un certain lieu, Élisa avertit le roi d'Israël de ne pas passer par là. Le roi de Syrie, informé que c'était Élisa qui avait dérangé son plan, envoya des troupes pour s'emparer du prophète, qui se trouvait alors à Dothan, petite ville aux environs de Yezreël. Élisa frappa d'aveuglement les soldats syriens et les conduisit à Samarie ; là il leur ouvrit les yeux, et empêcha le roi d'Israël de leur faire du mal, n'ayant, disait-il, aucun droit sur des hommes qu'il n'avait pas pris par la force des armes. Sur l'invitation du prophète, le roi leur donna un repas et les renvoya auprès de leur maître. Une autre fois Ben-Hadad assiégeait la ville de Samarie, et y causait une effroyable famine ; une femme vint implorer la justice du roi d'Israël contre une autre femme qui l'avait engagée à faire mourir son enfant pour se nourrir ensemble de sa chair, et qui maintenant ne voulait pas livrer son propre enfant, comme elles en étaient convenues d'avance. Le roi, en entendant ces horribles détails, déchira ses vêtements et jura de faire mourir Élisa, croyant probablement qu'il dépendait de lui de sauver la ville. Élisa se trouvait alors dans sa maison, où les Anciens étaient assemblés autour de lui. Déjà il avait deviné lés intentions du roi, et il ordonna qu'on fermât la porte, au moment où le messager du roi voudrait entrer. Bientôt le roi arriva lui-même, et Élisa proclama que le lendemain il y aurait a Samarie des vivres en abondance. Un officier de la suite du roi exprimant des doutes sur la vérité de cette promesse : Tu le verras de tes yeux, lui dit le prophète, mais tu n'en jouiras pas. Dans la nuit les Syriens, frappés d'une terreur panique, crurent entendre un bruit de chariots et de chevaux, et, s'imaginant qu'une armée de Héthites et d'Égyptiens venait au secours de Samarie, ils s'enfuirent en toute hâte, laissant en arrière leurs chevaux, leurs ânes et tous leurs bagages. Quatre lépreux qui demeuraient a la porte de la ville et qui, près de mourir de faim, avaient résolu de se jeter dans le camp ennemi, découvrirent les premiers le départ des Syriens ; ils en apportèrent aussitôt la nouvelle à Samarie. Le roi s'en étant assuré par quelques cavaliers, le peuple de Samarie vint se jeter dans le camp abandonné des Syriens, où on trouva des vivres en grande abondance, et l'officier qui avait douté de la parole d'Élisa fut étouffé dans la foule qui se pressait à la porte de la ville. — Le nom d'Élisa ne pouvait manquer d'inspirer le plus grand respect au roi Joram, ce que prouve entre autres le fait suivant : La femme de Sunem, qui, sur le conseil du prophète, était allée demeurer dans le pays des Philistins, pendant qu'une grande famine désolait le pays d'Israël, en revint au bout de sept ans, et, trouvant sa maison et son champ occupés par d'autres, implora la justice du roi. Joram, ayant appris tout ce qu'Élisa avait fait pour cette femme, ordonna qu'on lui restituât son bien et qu'on l'indemnisât de tous les revenus de son champ depuis le jour de son départ. Tels sont les faits que les légendes des Israélites attribuèrent au prophète Élisa. Quelle que soit la part de l'imagination populaire dans ces récits merveilleux, ils nous montrent que le prophète dominait l'esprit du peuple et qu'il exerçait une grande influence sur les affaires politiques. Elisa n'avait pas perdu de vue les plans de son maître Élie. Ayant fait un voyage à Damas, au moment où le roi Ben-Hadad se trouvait grièvement malade, celui-ci, averti de l'arrivée du prophète, envoya auprès de lui son confident Hazaël, avec de riches présents, pour l'interroger sur l'issue de sa maladie. Va, répondit Élisa à Hazaël, dis-lui qu'il vivra ; mais, ajouta-t-il, Jéhova m'a fait voir qu'il mourra. Et après avoir prononcé ces paroles, le prophète fixa longtemps sur Hazaël un regard plein de tristesse et ses yeux se remplirent de larmes. — Pourquoi mon Seigneur pleure-t-il ? demanda Hazaël. — Je sais, répondit Élisa, tout le mal que tu feras aux enfants d'Israël ; tu mettras le feu à leurs villes fortes, tu tueras leurs jeunes gens par le glaive, tu écraseras leurs nourrissons, et tu éventreras leurs femmes enceintes. — Mais qui suis-je, demanda Hazaël, pour faire de si grandes choses ? — Jéhova, répondit le prophète, m'a fait voir que tu seras roi de Syrie. Soit que le prophète ait voulu agir, par cette apostrophe, sur l'esprit de Hazaël, et prévenir le mal que le futur roi de Syrie pouvait faire à son pays, ou bien qu'un ancien historien ou poète ait prêté à Élisa cette allocution prophétique, le fait est que le renversement de Ben-Hadad et le choix de Hazaël faisaient partie du plan politique d'Élie, quoique nos documents ne suffisent pas pour en préciser les motifs. Dès le lendemain Ben-Hadad mourut ; il paraît que l'impatient Hazaël hâta sa mort, en lui faisant appliquer sur le visage un linge trempé dans de l'eau froide[37]. Hazaël, monté sur le trône de Damas, continua les hostilités contre la cour de Samarie. — Vers la même époque, Joram, roi de Juda, mourut, a l'âge de quarante ans (885), dans d'horribles souffrances, causées par une maladie des entrailles, qui avait duré deux ans[38]. Sa mort n'excita point de regrets. On l'ensevelit dans la citadelle de David, mais non dans le sépulcre de la famille royale, et on lui refusa les honneurs dus aux rois. Son fils Achazia lui succéda. ACHAZIA (885-884) monta sur le trône à l'âge de vingt-deux ans. Entièrement dominé par sa mère Athalie et par les conseils de ses parents, de la famille d'Achab, il persista dans la mauvaise voie de son père Joram. Son oncle maternel Joram, roi d'Israël, l'engagea à prendre part à une nouvelle expédition qu'il allait entreprendre contre le nouveau roi de Syrie, toujours pour reconquérir la ville de Ramoth. Joram et Achazia se rendirent en personne au siège de cette ville. On parvint à s'emparer de Ramoth[39] ; mais le roi Joram fut grièvement blessé et obligé de se retirer à Yezreël, pour se faire guérir. Le prophète Élisa crut le moment favorable pour opérer une révolution projetée depuis longtemps et devenue d'autant plus urgente, que l'alliance intime des deux rois des Hébreux et leur tendance commune pour l'idolâtrie phénicienne menaçaient d'anéantir le culte de Jéhova. Élisa chargea un de ses disciples d'aller sacrer secrètement Jéhu comme roi d'Israël. Le disciple se rendit à Ramoth, où se trouvait alors Jéhu avec les autres capitaines de l'armée de Joram. Il se présenta devant les capitaines réunis en assemblée, et s'adressant à Jéhu, il demanda à lui parler en secret. Jéhu s'étant retiré dans une chambre avec le jeune prophète, celui-ci lui versa de l'huile sur la tête, en lui annonçant que Jéhova le sacrait roi d'Israël et le chargeait de venger le sang des prophètes et des serviteurs de Dieu sur Izabel et sur la maison d'Achab. Après avoir rempli sa mission, il s'enfuit en toute hâte. Pourquoi donc ce fou est-il venu auprès de toi ? demandèrent les capitaines à Jéhu, lorsqu'il revint à l'assemblée. Embarrassé de répondre, Jéhu leur dit : Vous connaissez bien cet homme et ses propos ; mais peu satisfaits de cette réponse évasive, ils insistèrent pour savoir la vérité. A peine informés de la mission du jeune prophète, les amis de Jéhu improvisèrent un trône, en étendant leurs manteaux sur les marches d'un escalier, et y firent asseoir Jéhu, qui fut proclamé roi, au son des trompettes. Jéhu n'avait pas eu le temps de réfléchir, et fut forcé d'agir sur-le-champ, avant que la nouvelle de ce qui venait de se passer pût être portée à Yezreël. Il monta aussitôt à. cheval, pour se rendre lui-même dans cette ville, où Joram se trouvait malade de ses blessures et où Achazia était allé le visiter. La sentinelle de la tour de Yezreël remarquant dans le lointain la troupe de Jéhu se dirigeant sur la ville, fit avertir le roi, qui expédia aussitôt un cavalier pour aller au-devant de la troupe et lui demander si elle venait dans des intentions pacifiques. Jéhu, au lieu de répondre, garda le messager auprès de lui ; il en fit de même d'un second cavalier expédié par le roi Joram. Averti par la sentinelle que les messagers ne revenaient pas, et qu'on reconnaissait dans les mouvements de la troupe le train insensé de Jéhu, Joram fit atteler son char pour aller lui-même à sa rencontre ; Achazia le suivit dans un autre char, et les deux rois rencontrèrent Jéhu près du champ qui avait appartenu à Naboth. Tout est en paix ? demanda Joram à Jéhu. — Qu'est-ce que la paix, répliqua Jéhu, tant que durent les infidélités de ta mère Izabel et ses nombreuses sorcelleries ? Aussitôt Joram tourna bride et s'enfuit en s'écriant : Trahison, Achazia ! Mais au même moment une flèche tirée par Jéhu le perça entre les épaules, et, sortant au travers de son cœur, l'étendit mort dans son char. Jéhu ordonna à un de ses gens de jeter le corps de Joram dans le champ de Naboth, afin de venger son sang innocent, versé par Achab et Izabel. Achazia avait pris la fuite, mais Jéhu ordonna de le poursuivre ; il fut atteint près de Yibléam, et blessé mortellement ; conduit à Megiddo, il y expira (884)[40]. Son corps fut transporté à Jérusalem et enterré dans la citadelle de David. Jéhu fit son entrée à Yezreël. Isabel, parée avec soin, se montra à une fenêtre, et, voyant Jéhu, elle s'écria : Te portes-tu bien, Zimri, assassin de ton maître ? — Qui est pour moi ? demanda Jéhu en se tournant vers la fenêtre ; aussitôt quelques eunuques se montrèrent, qui, sur l'ordre de Jéhu, jetèrent la reine Izabel par la fenêtre ; elle expira écrasée sous les pieds des chevaux. Lorsque, un peu plus tard, Jéhu voulut faire ensevelir son corps, on n'en trouva plus que le crâne, les pieds et les mains ; le reste avait été dévoré par les chiens. Il restait encore à Samarie soixante-dix fils ou descendants d'Achab, qui, trouvant un appui dans le peuple, pouvaient tenir tête à Jéhu et faire avorter ses projets. Jéhu, pour éprouver les intentions des Anciens et des principaux personnages de- Samarie, leur écrivit une lettre, dans laquelle il les engageait à choisir le meilleur parmi les fils d'Achab pour le mettre sur le trône ; mais on lui répondit qu'on ne ferait rien sans ses ordres précis. Alors Jéhu leur écrivit une seconde lettre, pour leur dire de se rendre le lendemain à Yezreël avec les chefs (têtes) des princes. Le double sens du mot chef fut interprété au gré de Jéhu ; on égorgea les soixante-dix princes, et on expédia leurs têtes à Yezreël. Jéhu les ayant fait ranger en deux tas, à l'entrée de la porte de la ville, s'écria, en présence du peuple assemblé : Vous êtes justes ; moi j'ai conspiré contre mon maître et je l'ai tué ; mais qui a frappé tous ceux-ci ? Sachez que c'est Jéhova qui a accompli sur la maison d'Achab ce qu'il avait annoncé par son serviteur Élie. — Il crut ainsi se laver du crime de cet horrible massacre, et faire croire que, par la volonté de Dieu, ses paroles avaient été faussement interprétées par les grands de Samarie. Après avoir ainsi vaincu les plus graves obstacles, Jéhu partit pour Samarie, afin de détruire tout ce qui restait encore des parents et amis de la famille d'Achab. Des parents d'Achazia, roi de Juda, qui venaient, au nombre de quarante-deux, s'informer du sort des princes, furent rencontrés en chemin par Jéhu, qui ordonna de les saisir et de les égorger tous. Jéhu trouva près de là un de ses anciens amis, Jonadab, fils de Réchab, personnage influent, à ce qu'il parait, qui vint le complimenter et protester de tout son dévouement. Jéhu le fit monter dans son char, en l'invitant à l'accompagner à Samarie, pour y être témoin du zèle qu'il déploierait pour le culte de Jéhova. Arrivé dans la capitale, et ayant détruit jusqu'au dernier homme de la famille d'Achab, Jéhu se servit d'une ruse pour frapper d'un seul coup tous les prêtres et adorateurs de Baal. Il lit proclamer que son zèle pour le culte de Baal était bien plus grand encore que celui d'Achab, et qu'il allait célébrer, en l'honneur de Baal, un grand sacrifice, auquel devaient assister, sous peine de la vie, tous les prêtres et prophètes de ce dieu. Ils arrivèrent de tous côtés, et la foule était grande dans le temple de Baal. Jéhu y entra avec son ami Jonadab et ordonna aux prêtres de ne tolérer dans le temple aucun adorateur de Jéhova ; en même temps il fit cerner le temple par quatre-vingts hommes de sa garde, à qui il ordonna de ne pas laisser échapper un seul de ceux qui étaient dans le temple. Le sacrifice achevé, Jéhu fit entrer ses gardes, qui massacrèrent, sur son ordre, tous les adorateurs de Baal ; on brûla ensuite la statue du dieu, et on démolit le temple, à la place duquel on établit des cloaques. C'est ainsi que Jéhu s'acquitta de la mission qui lui avait été confiée par les prophètes de Jéhova, et monta sur le trône de Samarie, après avoir fait mourir en un seul jour les deux rois de Juda et d'Israël. Mais, malgré son zèle pour le culte de Jéhova, Jéhu n'essaya même pas de le rétablir dans toute sa pureté ; il laissa subsister les veaux d'or de Jéroboam. Les prophètes, satisfaits de leur victoire, promirent à Jéhu la consolidation de sa dynastie ; mais ils ne purent préserver le royaume d'Israël des attaques qui le menaçaient de dehors, ni lui conserver cette force que, dans les derniers temps il avait pu déployer mainte fois, grâces à l'étroite alliance qui avait existé entre les deux cours de Samarie et de Jérusalem. 2. Restauration des principes théocratiques dans Juda. - Décadence et chute d'Israël. (De 884 à 721.)Après la mort d'Achazia, sa mère ATHALIE s'empara du trône de Jérusalem, probablement à titre de régente ; car Achazia, mort à l'âge de vingt-trois ans, ne laissa que des fils mineurs. Mais la fille d'Izabel conçut le projet hardi de perpétuer à Jérusalem le culte de Baal et d'exterminer la race de David. Elle débuta donc par le massacre de ses petits-fils, les enfants d'Achazia ; un seul, nommé Joas, âgé d'un an, fut sauvé par Josabeth, sœur d'Achazia et épouse du grand prêtre Ioïada, qui cacha l'enfant royal avec sa nourrice dans l'un des appartements du Temple. Le pays de Juda dut subir, pendant six ans, la domination tyrannique de l'usurpatrice ; mais la chute d'Athalie fut préparée en silence par Ioïada, qui gagna à la cause de Jéhova les chefs de la garde royale, auxquels il fit connaître le jeune rejeton de la race de David. Joas avait atteint sa septième année, lorsque le grand prêtre, protégé par la garde royale et les lévites, crut pouvoir procéder en public au sacre du jeune prince et le faire proclamer roi de Juda. Au jour fixé pour le couronnement, Ioïada fit occuper, par les gardes, les principales issues du Temple, donnant ordre de tuer tous ceux qui essaieraient de pénétrer dans les rangs. Il livra aux officiers, pour cette solennité, les lances et les boucliers du roi David, qui étaient conservés dans le Temple. Les coureurs ou gardes du corps formèrent une haie devant l'autel, dans le parvis du Temple, qu'ils fermèrent dans toute sa largeur, du midi au nord. Ensuite on fit sortir le jeune roi, et Ioïada ayant procédé à la cérémonie de l'onction, Joas se montra sur une tribune, la tête couronnée et portant les insignes royaux ; il fut accueilli par les applaudissements de tous les spectateurs, les trompettes` résonnèrent, et le peuple accouru en foule fit retentir de toute part le cri de vive le roi ! Effrayée par le bruit et voyant tout le peuple agité, Athalie accourut au Temple ; mais au spectacle qui s'offrit à ses yeux, elle déchira ses vêtements, en s'écriant : Trahison ! trahison ! Ioïada la fit saisir, et menaçant de faire tuer sur-le-champ quiconque voudrait prendre sa défense, il la fit conduire, par la porte des chevaux[41], dans la vallée du Kidron, où elle fut tuée. Le grand prêtre fit renouveler au peuple son alliance avec Jéhova, et, après avoir juré d'être fidèle à Dieu et au roi, le peuple se rendit en foule au temple de Baal, qui fut détruit de fond en comble ; on brisa les autels et les statues, et Mathan, prêtre de Baal, fut massacré devant son autel. Le roi, accompagné des gardes du corps et d'une foule des gens du peuple, fut conduit au palais et placé sur le trône de ses ancêtres. JOAS (878-838) gouverna pendant sa minorité sous la tutelle du grand prêtre Ioïada, qui trouva en lui un élève docile, donnant les plus belles espérances pour l'affermissement du culte national. Lorsque le roi eut atteint l'âge de puberté, Ioïada lui fit épouser deux femmes, dont il eut plusieurs enfants des deux sexes. Un des premiers soins du jeune roi fut la restauration du Temple de Jérusalem, qui avait dû subir beaucoup de dégradations sous les règnes précédents (II Chron. 24, 7). Joas ordonna que les prêtres employassent à cet effet l'argent provenant des rachats et des dons volontaires, et qu'ils lissent aussi des collectes particulières dans ce but. Mais les ordres du roi ne furent pas exécutés immédiatement, les prêtres n'y trouvant probablement pas leur compte. Pendant ce temps le royaume d'Israël allait s'affaiblissant sous la domination de Jéhu. La vaillance de ce roi et l'appui qu'il trouva dans l'ordre des prophètes ne purent protéger le pays contre l'invasion des Syriens, qui sous leur roi Hazaël occupèrent toutes les provinces situées à l'est du Jourdain, et y exercèrent des cruautés dont le souvenir se conserva longtemps dans le pays[42]. Jéhu mourut dans la vingt-huitième année de son règne (856), laissant le trône à son fils Joachaz. A la même époque Joas prit de nouvelles mesures pour la restauration du Temple, faisant des reproches aux prêtres, qui avaient négligé jusque-là de faire les réparations ordonnées par le roi. Les prêtres aimèrent mieux renoncer à toute recette d'argent comptant que de faire à leurs frais les réparations du sanctuaire. Le grand prêtre Ioïada établit près de l'autel un tronc, dans lequel serait jeté dorénavant tout l'argent comptant apporté au Temple. Toutes les fois que le tronc était rempli, le secrétaire du roi et le grand prêtre comptaient l'argent et le donnaient aux inspecteurs chargés d'acheter les matériaux nécessaires et de payer les architectes et les ouvriers. De cette manière le travail marcha rapidement et Joas eut la satisfaction de voir la restauration du Temple accomplie sous son règne. Hazaël continua ses attaques contre Israël pendant tout le règne de Joachaz, qui était loin de montrer pour le culte de Jéhova le même zèle que son père Jéhu ; on vit même les images d'Astarté reparaître dans Samarie (II Rois, 13, 6). L'armée de Joachaz, décimée par des combats continuels, se trouva réduite à dix mille hommes d'infanterie, cinquante cavaliers et dix chariots de guerre. Cependant ces faibles restes, encouragés probablement par les prophètes, dont le roi Joachaz sut, par son repentir, regagner la faveur (ib. v. 4), parvinrent à tenir en échec les troupes syriennes, et à rétablir la tranquillité pour un certain temps. Joachaz mourut dans la dix-septième année de son règne ; son fils Joas lui succéda au trône (840). Joas, roi de Juda, persévéra dans la voie théocratique, tant que vécut le grand prêtre Ioïada, qui, dit-on, parvint à l'âge de cent trente ans (II Chron. 24, 15). Le respect qu'avait inspiré Ioïada fut si grand qu'on lui décerna la sépulture royale (ib. v. 16). Après la mort du vénérable prêtre, les partisans du culte phénicien osèrent reparaître de nouveau, et Joas eut la faiblesse de leur accorder une coupable tolérance. Ce fut en- vain que les prophètes élevèrent la voix contre ce scandale ; le prêtre Zacharie, fils de Ioïada, ayant osé un jour, dans le parvis du Temple, reprocher au peuple sa nouvelle défection et le menacer du châtiment du ciel, fut lapidé sur les ordres du roi ingrat, et en expirant il prononça ces mots : Que Dieu le voie et qu'il redemande (mon sang). Le châtiment de Joas ne se fit pas attendre longtemps. Dès l'année suivante, Hazaël ayant pénétré avec son armée jusqu'à Gath, dont il fit la conquête, menaça d'assiéger Jérusalem ; et le faible Joas ne put éloigner les ennemis qu'en payant à Hazaël un honteux tribut, pour lequel il employa les trésors du Temple dus à la munificence de ses prédécesseurs. Cet événement fit éclater une conspiration tramée peut-être par les prêtres, qui voulurent venger la mort de Zacharie (ib. v. 25). Joas tomba assassiné par deux de ses serviteurs, après un règne peu glorieux, qui avait duré quarante ans (838). Il fut enseveli dans la citadelle de David, mais on lui refusa la sépulture royale. AMASIA (838-809), fils de Joas, succéda à son père à l'âge de vingt-cinq ans. Il se rendit sans doute agréable aux prêtres et aux prophètes, en agissant contre les partisans du culte phénicien ; car on ne lui reproche autre chose que d'avoir laissé subsister les hauts lieux (II Rois, 14, 4). Après s'être affermi sur son trône il fit punir de mort les meurtriers de son père ; mais on vante le pardon que, conformément à la loi mosaïque (Deut. 24, 16), il accorda aux enfants des coupables. Une expédition qu'il entreprit contre les Iduméens fut couronnée d'un succès éclatant ; après les avoir vaincus dans une bataille, il s'empara de Séla (Pétra), leur capitale. Vers la même époque, Joas, roi d'Israël, remporta également des avantages signalés sur les Syriens. Hazaël était mort dans un âge très-avancé, et son fils, Ben-Hadad III, lui avait succédé. Joas, averti un jour que le vieux prophète Élisa était à l'extrémité, alla visiter l'homme de Dieu ; et, le voyant près de mourir, il s'écria en pleurant : Mon père ! mon père ! chariot et cavalerie d'Israël ![43] Elisa lui ordonna d'ouvrir la fenêtre et de tirer une flèche vers l'orient (la Syrie), lui faisant voir dans cet acte symbolique un présage de la victoire qu'il allait remporter sur les Syriens. Joas, encouragé par les dernières paroles du prophète mourant, attaqua les troupes de Ben-Hadad, les défit et reprit toutes les villes que Hazaël avait arrachées à Joachaz. Mais d'un autre côté, les incursions des bandes moabites donnèrent de l'inquiétude à Joas ; et en même temps, il fut menacé d'une guerre par Amasia, roi de Juda. Ce dernier avait pris à sa solde des troupes israélites pour faire la guerre aux Iduméens ; mais un prophète l'ayant blâmé d'avoir engagé ces mercenaires, parce que, disait-il, Jéhova n'était pas avec les, Ephraïmites, Amasia les congédia en leur abandonnant la solde qu'il leur avait payée ; elle se montait à cent talents d'argent. Cependant les troupes israélites, outrées de l'affront qui leur avait été fait, inquiétèrent le territoire de Juda et le pillèrent. Amasia déclara la guerre à Joas, qui lui fit faire la réponse suivante : L'épine du Liban envoya dire au cèdre : Donne ta fille pour femme à mon fils ; alors les bêtes sauvages du Liban passèrent et écrasèrent l'épine. Parce que tu as vaincu Édom, ton cœur s'est enorgueilli ; jouis de ton honneur et reste dans ta maison, car pourquoi veux-tu provoquer le malheur dans lequel tu tomberais, ainsi que Juda ? Une réponse aussi outrageante ne put qu'irriter davantage le roi de Juda, qui marcha aussitôt contre Joas. Le combat s'engagea près de Bethschémesch ; les troupes de Juda furent totalement défaites et mises en fuite, et Amasia tomba vivant entre les mains des ennemis. Joas marcha ensuite sur Jérusalem et y pénétra, après avoir fait dans le mur septentrional une brèche de quatre cents coudées, depuis la porte d'Éphraïm jusqu'à celle de l'Angle. Il se fit livrer les trésors qui restaient dans le Temple et dans le palais du roi, et s'en retourna à Samarie, emmenant des otages, probablement en échange du roi Amasia, qui fut remis en liberté[44]. La relation des Chroniques présente le malheur d'Amasia comme un juste châtiment de son infidélité envers Jéhova ; car elle l'accuse d'avoir adoré les divinités des Iduméens, après la victoire qu'il remporta sur ce peuple, et d'avoir proféré des menaces contre un prophète qui osa l'en réprimander. (II Chron. 25, 14-16.) — Joas mourut dans la seizième année de son règne (825), laissant pour successeur au trône son fils Jéroboam II. Quinze ou seize ans après la mort de Joas, Amasia succomba, victime, comme son père, d'une conspiration. Au bout de vingt-neuf ans de règne (809), il fut assassiné à Lachis, où il s'était réfugié ; son corps, ramené à Jérusalem, fut déposé dans le sépulcre des rois. Son fils Ouzia[45] ou Ozias lui succéda à l'âge de seize ans. OUZIA (809-758), dont l'avènement fut salué par tout le peuple[46], et calma les discordes des partis, promettait à Juda des jours de bonheur et de puissance. Le jeune roi manifestait beaucoup d'attachement pour le culte de Jéhova, et il paraît que, sous ce rapport, un certain prophète, nommé Zacharie, exerçait sur lui une heureuse influence (II Chron. 26, 5). Dès les premiers temps de son règne il acheva la soumission des Iduméens, en reprenant et fortifiant la ville d'Ilath, sur le golfe Elanitique. Plus tard Ouzia combattit avec un égal succès les Philistins et plusieurs peuplades arabes ; les Ammonites lui payèrent un tribut. Il fortifia les murs de Jérusalem et y fit élever des tours munies de machines de guerre pour lancer des flèches et de grandes pierres. L'armée reçut une organisation plus régulière et les troupes furent armées avec plus de soin qu'auparavant (ib. v. 14). Malgré son caractère belliqueux, Ouzia ne favorisa pas moins les arts de la paix ; il était surtout grand ami de l'agriculture, et il avait à son service un grand nombre de laboureurs et de vignerons. Ses troupeaux couvraient les plaines ; dans les déserts propres aux pâturages il fit creuser un grand nombre de citernes et élever des forts, probablement pour protéger ses pasteurs. Son règne, qui dura près de cinquante-deux ans, fut un des plus glorieux dans l'histoire des Hébreux. Mais, vers la fin de ses jours, enorgueilli de ses succès militaires et de sa prospérité, Ouzia voulut aussi s'arroger des fonctions sacerdotales, ce qui excita le mécontentement des prêtres. Un jour il pénétra dans l'intérieur du sanctuaire, pour offrir de l'encens sur l'autel des parfums ; le grand prêtre Azaria et quatre-vingts de ses collègues suivirent le roi, et lui reprochant son action sacrilège, l'engagèrent à sortir du sanctuaire. Le roi transporté de colère voulut résister aux prêtres, mais ceux-ci l'expulsèrent de force. Selon les Chroniques (ib. v. 19), Ouzia fut frappé de la lèpre, qui parut sur son front à l'instant même où il saisissait l'encensoir. Plein de confusion, il fut obligé de quitter précipitamment le lieu saint. La relation plus ancienne et plus authentique des livres des Rois ne mentionne pas tous ces détails, mais elle dit également que le roi Ouzia fut frappé de la lèpre et qu'il fut obligé de se retirer pour toujours dans la maladrerie, hors de la ville, et de charger son fils Jotham des affaires du gouvernement. Quant au royaume d'Israël, il était redevenu très-puissant sous le règne de Jéroboam II, qui, poursuivant les succès obtenus par son père sur les Syriens, attaqua ceux-ci sur leur propre territoire et fit des conquêtes dans les environs de Damas et de Hamath. Il paraît même que les Israélites occupèrent ces deux villes pendant quelque temps (II Rois, 14, 28). Tout le pays à l'est du Jourdain, depuis Hamath jusqu'à la mer Morte, se trouva de nouveau sous la domination israélite. Le prophète Jonas, fils d'Amitthaï, de Gath-Hépher (dans le canton de Zabulon), avait encouragé le roi Jéroboam à la guerre et lui avait prédit un succès complet (ib. v. 25). Nous ne possédons plus l'oracle prononcé par ce prophète[47], mais en revanche le nom de Jonas est devenu célèbre par une parabole composée beaucoup plus tard et dont nous parlerons plus loin. — La fortune rapide du royaume d'Israël y introduisit la richesse et le luxe, et on y vit bientôt tous les débordements d'une société corrompue, Le prophète Amos, pauvre berger de Thécoa, dans le pays de Juda, se rendit à cette époque à Béthel, et dans un langage plein d'énergie, de hardiesse et d'un zèle ardent pour ce qui est vrai et juste, il reprocha à Israël le culte des images de Béthel et de Dan, la mollesse et le luxe effréné des riches, l'injustice et l'oppression qu'ils faisaient subir aux pauvres ; il menaça Jéroboam et les puissants de Samarie de la colère du ciel, et au milieu de leur insouciante sécurité, il leur fit voir de loin l'exil et la mort ; car déjà le pouvoir assyrien était menaçant, et, à la nouvelle de ses progrès rapides, toute l'Asie occidentale était saisie de terreur. Amasia, prêtre de Béthel, fit dénoncer Amos, comme conspirateur, auprès du roi Jéroboam, et, exagérant les expressions du prophète, il l'accusa d'avoir dit que Jéroboam mourrait lui-même par le glaive. Le roi, à ce qu'il paraît, n'attacha pas d'importance à ces paroles ; car Amasia enjoignit à Amos, avec amertume, d'aller gagner son gain dans le pays de Juda, sa patrie, et d'y faire le prophète, mais de ne plus venir prophétiser à Bethel, qui, disait-il, était un sanctuaire de roi et une maison royale. Mais Amos lui répondit : Je n'étais ni prophète, ni fils de prophète ; mais j'étais un berger cueillant des sycomores. Et Jéhova me prit derrière le troupeau et me dit : Va, prophétise sur mon peuple Israël. Maintenant écoute la parole de Jéhova : Tu me dis de ne pas prophétiser sur Israël et de ne pas prêcher sur la maison d'Isaac ; mais voici ce qu'a dit Jéhova : Ta femme se déshonorera dans la ville, tes fils et tes filles tomberont sous le glaive, ton sol sera partagé au cordeau ; toi-même tu mourras sur une terre impure et Israël sera exilé de son territoire. (Amos, 7, 10-17.) C'est depuis cette époque que nous voyons le prophétisme prendre de grands développements. S'élevant contre l'idolâtrie ou même contre le trop grand attachement aux formes extérieures du culte de Jéhova, contre la corruption des mœurs, contre les fautes ou la tyrannie des rois, les prophètes sont en même temps des prédicateurs et des orateurs politiques ; et en menaçant l'État d'une dissolution prochaine, ils commencent à jeter les regards dans un avenir lointain, où l'idéal de la véritable théocratie, du règne du seul Jéhova, se réalisera par le peuple hébreu. A côté d'Amos, florissait très-probablement le prophète Joël, fils de Péthuël qu'il faut faire remonter à cette époque, ou peut-être même jusqu'aux temps d'Amasia ou de Joas ; car, dans les oracles qui nous restent de lui, il ne nomme d'autres ennemis des Hébreux que les Phéniciens les Philistins, les Égyptiens et les Iduméens, et on n'y trouve pas encore de traces des Assyriens. Une brûlante sécheresse et les terribles ravages des sauterelles donnèrent à Joël l'occasion d'inviter le peuple de Juda au jeûne et à la pénitence. Après avoir annoncé un meilleur avenir, Joël se transporte dans ces temps éloignés où Dieu répandra son esprit sur tous les mortels et où Sion sera glorifié par le règne de Jéhova. Le prophète Amos paraît aussi faire allusion aux deux fléaux dont parle Joël[48], et qui durent répandre une grande terreur parmi les peuples de Juda et d'Israël, quoique les livres historiques de la Bible, abrégés très-imparfaits des anciennes annales du peuple hébreu, n'en fassent aucune mention. A la même époque la Palestine fut ravagée par un horrible tremblement de terre sur lequel les livres historiques gardent le silence, mais dont le souvenir se conserva longtemps dans le pays[49]. Le prophète Hoséa (Osée), qui commenta sa carrière prophétique vers la fin du règne de Jéroboam II, prédit la chute de la dynastie de Jéhu et la dissolution du royaume d'Israël (Hos. 1, 4) ; il devait donc déjà exister à cette époque de nombreux éléments d'anarchie et de dissolution. Jéroboam mourut l'an quarante et un de son règne (784), et les dates des livres des Rois nous laissent deviner que son fils Zacharie ne monta sur le trône que onze ou douze ans après (772). Il est probable qu'à la mort de Jéroboam le royaume d'Israël était déchiré par des factions, soit que Zacharie fût encore trop jeune pour régner, soit qu'il fût trop faible pour lutter contre les factieux qui lui disputaient le trône, ou qui voulaient anéantir la royauté. Les discours du prophète Hoséa, qui, en partie, appartiennent à cette époque, confirment ces suppositions. Dans un discours prononcé au milieu des troubles qui suivirent l'interrègne, Hoséa s'exprime ainsi (ib. 10, 2-4) : Leur cœur s'est partagé, maintenant ils en portent la peine ; lui (Dieu), il brisera leurs autels, il détruira leurs statues. Car ils disaient alors : Nous n'avons pas de roi ; puisque nous ne craignons pas Jéhova, que nous ferait un roi ? Ils proféraient de vaines paroles, prêtaient de faux serments et contractaient des alliances ; mais le jugement poussera comme la ciguë dans les sillons des champs. Zacharie, fils de Jéroboam, parvint enfin à monter sur le trône de son père, l'an trente-huit du règne d'Ouzia (772), mais il n'y resta que six mois. Un rebelle, Sallum, fils de Jabès, l'assassina en présence du peuple, probablement dans une émeute, et s'empara du trône, l'an trente-neuf d'Ouzia (771). Ainsi s'éteignit la dynastie de Jéhu. Sallum ne put se maintenir qu'un mois seulement. Mena-hem, fils de Gadi, qui commandait l'armée[50], et se trouvait alors à Thirsa, marcha contre Sallum, et s'étant emparé de Samarie, tua l'assassin de Zacharie, s'empara du trône et sut s'y maintenir pendant dix ans. Une ville nommé Thiphsach, située probablement dans les environs de Thirsa, et qui, à ce qu'il paraît, n'avait pas voulu reconnaître la royauté de Menahem, fut prise de force et châtiée par le nouveau roi avec la plus grande cruauté[51]. Phoul, roi d'Assyrie envahit alors la Syrie et le pays d'Israël. Menahem ne pouvant combattre contre un ennemi aussi puissant, extorqua au pays mille talents, ou trois millions de sicles d'argent, pour les donner à Phoul, et racheta ainsi son armée à cinquante sicles par tête (II Rois, 15, 20), ce qui prouve qu'elle secomposait de soixante mille hommes. A ce prix Phoul consentit à retirer ses troupes et à prêter à Menahem main-forte contre ses ennemis de l'intérieur qui lui contestaient la couronne qu'il avait usurpée. Une telle conduite ne put qu'augmenter la haine contre Menahem et sa famille ; son fils Pékahia (Phacéïa) lui succéda dans la cinquantième année d'Ouzia (760) ; mais deux ans après, un de ses officiers, Pékah (Phacée), fils de Rémalia, forma, avec cinquante Giléadites, une conspiration contre Pékahia, qui fut assassiné dans son palais de Samarie (748). Après ce forfait, Pékah s'empara du trône. Le prophète Hoséa déroule devant nos yeux le sombre tableau de ces temps d'anarchie et de crimes : Jéhova, dit-il, plaide avec les habitants du pays ; car il n'y a dans le pays ni vérité, ni charité, ni connaissance de Dieu. Faux serment, dénégation, meurtre, vol, adultère ; tous ces crimes se répandent et le sang vient se joindre au sang. C'est pourquoi le pays sera en deuil, et tousses habitants seront anéantis ; avec les animaux des champs et les oiseaux du ciel, et jusqu'aux poissons de la nier, ils périront tous. — Ils sont tous échauffés comme un four, et ils dévorent leurs juges ; tous leurs rois tombent, nul d'entre eux ne m'invoque. — Ils se sont donné des rois sans moi ; ils ont élevé des princes, sans que je le susse ; de leur argent et de leur or ils se sont fait des idoles, afin qu'ils soient exterminés[52]. A la fin de la première année de Pékah, Ouzia, roi de Juda, mourut dans la maladrerie, à l'âge de soixante-huit ans, l'an cinquante-deux de son règne ; il fut enseveli sur le terrain de la citadelle de David, mais en dehors du sépulcre des rois (II Chron. 26, 23). Son fils, le régent Jotham, lui succéda au trône. Le prophète Yeschayah ou Isaïe, fils d'Amos[53], qui, dans cette même année, commença sa carrière prophétique, écrivit plus tard l'histoire du roi Ouzia (ib. v. 22). Depuis cette époque la puissance des Assyriens allait toujours croissant et nous la voyons prendre contre la Syrie et la Palestine une attitude de plus en plus menaçante. Quel que soit le voile impénétrable qui couvre l'histoire de la monarchie assyrienne, les relations authentiques de la Bible sont plus que suffisantes pour prouver que, dans les quarante ans qui suivirent la mort d'Ouzia, la domination assyrienne atteignit son apogée et s'étendit peu à peu depuis la Perse jusqu'à la Méditerranée, et de la mer Caspienne au golfe Persique. Les rois d'Assyrie, que nous voyons paraître dans la Bible, pendant environ soixante ans (770 à 710), sont : Phoul (que nous avons déjà nommé), Thiglath-Piléser, Salmanassar, Sargon[54], Sanhérib (ou Sennachérib) et Ésar-Haddon. Ce dernier n'eut aucun rapport hostile avec la Palestine ; sous Sennachérib la fortune de l'Assyrie était déjà sur son déclin. JOTHAM (758-741), qui succéda à son père à l'âge de vingt-cinq ans, se distingua par son énergie et par sa piété, et son règne fut un des plus heureux du pays de Juda, On lui reproche cependant d'avoir laissé subsister les hauts lieux et d'avoir permis que le peuple y offrît des sacrifices. Aux fortifications élevées par son père il en ajouta d'autres pour prévenir les dangers qui menaçaient le pays. Entre autres il restaura le portail supérieur du Temple, c'est-à-dire celui du parvis intérieur[55], et fit beaucoup de constructions au mur de la place Ophel[56]. Il combattit avec succès contre les Ammonites et les força de payer, pendant trois ans, un tribut très-considérable (II Chron. 27, 5). Pékah, craignant une invasion des Assyriens, avait fait une alliance avec Résin, roi de Syrie. Les deux rois formèrent le projet de renverser la dynastie de David, et de mettre sur le trône de Jérusalem un certain Ben-Tabeël, leur créature (Isaïe, 7, 6), probablement afin de pouvoir opposer aux Assyriens une force plus compacte ; mais les sages mesures de Jotham ne leur permirent pas de songer alors à l'exécution de leur projet. Malheureusement Jotham mourut après seize ans de règne, à peine âgé de quarante-deux ans. Son fils et successeur ACHAZ (741-726), jeune homme de vingt et quelques années[57], ne possédait aucune des qualités de son père. Il encouragea, par son propre exemple, l'idolâtrie phénicienne ; il fit élever des statues de Baal, et alla jusqu'à prendre part à l'abominable culte de Moloch, en faisant passer par le feu un de ses enfants, dans la vallée de Hinnom. Faible et craintif, il ne put tenir en respect ses dangereux voisins ; dès les premiers temps de son règne, Pékah et Résin envahirent le pays de Juda, et Jérusalem fut menacée d'un siège. Achaz résolut de se jeter dans les bras du roi d'Assyrie et d'acheter son secours par un honteux tribut ; mais en même temps il dut prendre des mesures pour défendre sa capitale contre les troupes réunies d'Israël et de Syrie. Se trouvant un jour près de l'étang supérieur de la source de Siloé, sans doute pour en faire détourner l'eau et boucher la source[58], le prophète Isaïe vint l'y trouver pour le rassurer et surtout pour l'empêcher d'avoir recours à l'Assyrie, dont l'intervention ne pouvait qu'être pernicieuse au pays. Le prophète montra au roi que Pékah et Résin, affaiblis déjà eux-mêmes et près de leur chute, ne pouvaient inspirer aucune crainte sérieuse et n'étaient plus que deux bouts de tisons fumants (Is. 7, 4). Ensuite, pour présenter sa prédiction sous une forme symbolique, Isaïe proposa à Achaz de demander un signe à Jéhova ; mais Achaz répandit avec ironie qu'il ne voulait pas éprouver Jéhova. Et pourtant, répliqua le prophète irrité, le Seigneur vous donne un signe : Voici, la jeune femme (celle du prophète[59]) est enceinte ; elle enfantera un fils qu'elle appellera IMMANOUEL (Dieu avec nous). On mangera encore de la crème et du miel (dans les pays d'Israël et de Syrie) jusqu'à ce que cet enfant sache repousser ce qui est mauvais et choisir ce qui est bon ; mais à peine le saura-t-il que déjà la terre, dont tu crains les deux rois, sera abandonnée (ib. v. 10-16). Prévoyant que l'alliance du roi d'Assyrie ne servirait qu'à faciliter à celui-ci l'exécution de ses projets contre l'Égypte, le prophète finit par menacer Achaz d'une invasion des Assyriens et des Égyptiens. — Plus tard Isaïe, prenant pour témoins le prêtre Uria et un autre personnage appelé Zacharie, fils de Jébérechia[60], déclara qu'il nommerait un autre fils, que sa femme lui donnerait, MAHER-SCHALAL HASCH-BAZ (Hâte-butin, Presse-pillage) ; car avant que l'enfant pût dire mon père et ma mère, on aurait emporté devant le roi d'Assyrie la richesse de Damas et le butin de Samarie (ib. 8, 1-4). Ainsi que le prophète l'avait prédit, les deux rois alliés d'Israël et de Syrie se virent contraints de renoncer au siège de Jérusalem, mais ils tournèrent leurs armes sur d'autres points. Résin s'empara de la ville d'Elath, en chassa les Judéens et y rétablit les Iduméens. Pékah fit la guerre sur les frontières de Juda et tua beaucoup de monde ; un prince de la famille royale, un intendant du palais et un ministre du roi Achaz succombèrent devant un héros éphraïmite, nommé Zichri. Les soldats israélites firent un grand butin et emmenèrent beaucoup de femmes et d'enfants du pays de Juda. Un prophète de Samarie, nominé Oded, blâma sévèrement la conduite des Israélites envers leurs frères de Juda ; il fut écouté, et, par l'intervention de quelques chefs de l'armée, les captifs comblés de bienfaits furent reconduits à Jéricho, pour rentrer dans leurs foyers. Malgré les avertissements réitérés du prophète Isaïe, Achaz persista à appeler à son secours Thiglath-Piléser, roi d'Assyrie, dont il acheta la protection avec les trésors du Temple et ceux du palais. Le conquérant assyrien, déjà avide de nouvelles conquêtes, ne se fit pas attendre longtemps ; il envahit le territoire de Damas et s'empara de toute la Syrie, qu'il réunit à son vaste royaume. Résin fut tué, et les Syriens furent transportés en grande partie dans le pays de Kir, probablement une contrée dans les environs du fleuve Kour, l'ancien Cyrus, en Arménie. De la Syrie Thiglath-Piléser pénétra dans le pays d'Israël, et occupa toute la Pérée et la Galilée, dont il fit transporter en Assyrie les principaux habitants[61]. Le royaume d'Israël se borna dès lors au petit pays de Samarie. Le roi Pékah fut assassiné quelque temps après (738), victime d'une conspiration à la tête de laquelle se trouva Hoséa, fils d'Ela, qui voulut se placer sur le trône. Mais nous reconnaissons par les dates qu'il ne put y parvenir immédiatement et que, pendant neuf ans, le pays de Samarie fut en butte à la Lutte des partis et à une complète anarchie. Achaz alla trouver le roi d'Assyrie à Damas. A cette occasion, ayant vu le grand autel de Damas, il en envoya le dessin au prêtre Uria, à Jérusalem, en lui ordonnant d'en faire élever un pareil dans le parvis du temple. Uria se hâta d'exécuter les ordres du roi ; l'ancien autel d'airain fut reculé vers le midi et le nouvel autel fut placé au nord. Pour gagner de la place on enleva les piédestaux des bassins, ainsi que les bœufs d'airain qui servaient de piédestal au grand bassin, appelé la mer d'airain. Le roi voulut que les sacrifices quotidiens fussent offerts dorénavant sur le nouvel autel. Non content de ces profanations, Achaz, de retour à Jérusalem, éleva partout des autels aux divinités syriennes, et finit par fermer le sanctuaire national. Achaz n'eut pas lieu de se louer de l'alliance assyrienne qu'il avait si chèrement achetée ; car il fut traité en vassal du vaste empire (II Chron. 28, 20). En même temps les Iduméens firent des incursions sur le territoire de Juda et s'y livrèrent au pillage. Les Philistins, profitant de la faiblesse d'Achaz, lui prirent plusieurs villes. Achaz mourut dans la seizième année de son règne (726) ; quoique jeune encore, il ne fut nullement regretté, les honneurs de la sépulture royale lui furent même refusés et il fut enseveli dans la ville (basse) de Jérusalem (ib. v. 27). Il laissa dans son fils Hizkia, ou Ézéchias, âgé de vingt-cinq ans, un successeur qui donnait au royaume de Juda les plus belles espérances. Dès sa plus tendre jeunesse le prophète Isaïe, reconnaissant les belles qualités du jeune prince, l'avait présenté comme le sauveur de Juda, qui devait renouveler l'éclat de la maison de David[62]. ÉZÉCHIAS (726-697) formait, sous tous les rapports, le plus grand contraste avec son père. Il manifesta un zèle ardent pour le culte de Jéhova ; dès son avènement au trône il fit rouvrir le Temple qui avait été fermé par Achaz. Partout les statues des divinités phéniciennes furent brisées, et il fit même supprimer les hauts lieux, dont le culte, bien que consacré à Jehova, formait une concurrence ill gale au sanctuaire central et était contraire aux principes de la loi mosaïque. Voulant détruire tout ce qui pouvait donner lieu à l'idolâtrie, il fit briser le serpent d'airain que Moïse avait fait ériger dans le désert comme symbole de la guérison (Nombres, 21, 9), et qui, conservé comme objet d'antiquité, ou imité plus tard, était devenu pour le peuple un objet de culte superstitieux. On était alors près de la fête de Pâques ; au premier jour du mois d'Abib, ou de la lune de Pâques, Ézéchias fit assembler les prêtres et les lévites sur la grande place, à l'est du Temple, et leur ordonna de purifier le sanctuaire et d'y préparer tout pour la réouverture du culte. Les travaux de purification ayant duré jusqu'au seize du mois, on dut ajourner la célébration de la Pâque, à laquelle le roi voulait donner le plus grand éclat, et il fut décidé que la fête serait remise au deuxième mois. En attendant, un grand sacrifice expiatoire fut célébré pour le royaume, le sanctuaire et tout le peuple de Juda ; le roi y assista lui-même avec tous les grands personnages de la ville de Jérusalem. Cette cérémonie touchante, pendant laquelle les lévites exécutaient la musique et les chants sacrés composés par David et les poètes de son temps, fit sur le peuple la plus profonde impression. Les sacrifices offerts en ce jour furent si nombreux que les prêtres ne purent y suffire, et qu'ils furent obligés de confier aux lévites une partie de leurs fonctions. Après cette solennité Ézéchias envoya des messagers avec des lettres dans le pays de Samarie et dans tout le reste de l'ancien pays d'Israël, pour engager tous les Israélites qui y restaient encore à venir célébrer la Pâque dans le sanctuaire de Jérusalem. Ézéchias nourrissait peut-être l'espérance de réunir de nouveau tout Israël sous le sceptre de la dynastie de David, en reconnaissant pour le moment la suzeraineté du roi d'Assyrie ; car déjà la chute prochaine de Samarie était attendue ; les prophètes Isaïe et Micha la prédisaient alors dans les termes les plus précis. Ils menaçaient aussi le pays de Juda de dures épreuves, à cause des vices qui y régnaient ; mais ils espéraient avec confiance que la piété et la justice du roi ramèneraient bientôt dans Juda des jours de bonheur et de puissance[63]. Les courriers d'Ézéchias parcoururent toute la Palestine, mais presque partout ils furent en butte aux plaisanteries du peuple ; cependant un certain nombre d'hommes pieux des tribus d'Éphraïm, de Manassé, d'Aser, d'Issachar et de Zabulon, suivirent l'appel d'Ézéchias et arrivèrent à Jérusalem. On célébra le rit de l'agneau pascal le quatorze du deuxième mois ; ensuite sept jours furent consacrés à la fête des azymes et sept autres jours à des réjouissances publiques. Depuis le temps de Salomon on n'avait pas vu à Jérusalem de pareils jours de fête et de joie. Les corps des prêtres et des lévites furent réorganisés sous les auspices du grand-prêtre Azaria, et le roi prit les mesures nécessaires pour assurer leurs revenus (II Chron. ch. 29 à 31). Pendant ce temps le royaume de Samarie voyait approcher sa dernière heure. Hoséa, l'assassin de Pékah, était enfin parvenu à monter sur le trône, trois ans avant l'avènement d'Ézéchias (729) ; il était vassal du roi d'Assyrie et payait un tribut à Salmanassar, successeur de Thiglath-Piléser. Nous savons par les discours des prophètes de cette époque que, dans le royaume d'Israël, comme dans celui de Juda, il y avait alors beaucoup de partisans d'une alliance avec l'Égypte, qui seule était capable d'opposer une digue aux envahissements de l'Assyrie, et qui était intéressée elle-même, au plus haut degré, à éloigner de ses frontières une puissance dont la soif de conquêtes ne paraissait pas devoir se borner à l'Asie. Les prophètes se méfiaient d'une pareille alliance et la désapprouvaient avec énergie. Le roi Hoséa crut cependant y trouver son salut. A cette époque une dynastie éthiopienne, la vingt-cinquième de Manéthon, avait envahi la haute Egypte, tandis que la basse Égypte était divisée entre deux dynasties, l'une Tanite (la vingt-troisième), l'autre Saïte (la vingt-sixième)[64]. Celle d'Éthiopie, à ce qu'il parait, était la plus puissante ; elle pouvait envoyer des troupes en Palestine par le désert et l'Idumée, comme l'avait déjà fait autrefois un roi de Méroë, du temps d'Asa. Ce fut probablement au deuxième roi de cette dynastie, appelé So ou Sévé (Sevechus), que le roi Hoséa envoya des ambassadeurs pour entamer des négociations. La Bible ne nous dit rien sur le résultat de cette démarche ; mais Hoséa compta tellement sur le succès, qu'il se hâta de refuser le tribut au roi d'Assyrie. Salmanassar ayant appris la trahison d'Hoséa le fit saisir et mettre en prison ; en même temps il occupa tout le pays de Samarie et mit le siège devant la capitale, dans la septième année du règne d'Hoséa, quatrième d'Ézéchias (723). La ville de Samarie, après une résistance opiniâtre, succomba enfin. Le siège de cette ville avait duré plus de deux ans, et avec elle tomba le dernier boulevard de l'indépendance d'Israël. Ce fut dans la sixième année du règne d'Ézéchias (721) que les Assyriens entrèrent dans Samarie. Selon le principe constamment suivi par les conquérants assyriens, tous les principaux habitants qui pouvaient donner quelque sujet de crainte, notamment les riches et les guerriers, furent forcés d'émigrer et le pays conquis fut peuplé de colons étrangers. Les Israélites furent transportés dans différentes contrées de l'Assyrie et de la Médie, et le pays d'Israël fut repeuplé successivement, sous Salmanassar et ses successeurs, par différentes peuplades de la vaste monarchie assyrienne. Nous recueillerons plus loin quelques données historiques sur les destinées ultérieures du territoire d'Israël et sur le sort des exilés israélites. Au moment où le pays d'Israël tomba victime de ses luttes intestines, de ses fréquentes révolutions militaires et d'une politique faussement dirigée, le pays de Juda sembla se ranimer d'une vie nouvelle sous le roi Ézéchias. Là, malgré les écarts de plusieurs rois et d'une partie du peuple, le sanctuaire central et la dynastie de David avaient toujours empêché les débordements de l'irréligion et des passions politiques qui furent si funestes au pays d'Israël. Les prophètes étaient mieux écoutés ; les prêtres exerçaient une grande influence, l'État et la dynastie leur avaient dû le salut aux funestes jours d'Athalie. Israël n'avait eu que quelque jours d'éclat et de bonheur sous le roi Jéroboam II, tandis que Juda avait joui de nombreuses années de gloire et de prospérité sous les règnes heureux d'Asa, de Josaphat et d'Ouzia. En outre, la position géographique de Juda était des plus avantageuses et Jérusalem surtout offrait de grands moyens de défense[65]. Salmanassar n'essaya pas de soumettre la Judée ; après avoir pris Samarie, il se dirigea sur la Phénicie et s'empara de tout le pays, à l'exception de Tyr[66]. Mais les collisions entre les conquérants d'Asie et l'Égypte devaient finir par devenir funestes au petit royaume de Juda. La période suivante nous montrera ses derniers jours d'éclat et sa complète restauration religieuse, mais aussi sa rapide décadence et sa chute au milieu des grands événements qui agitaient l'Asie. |
[1] Voyez I Rois, 12, 29 ; 15, 17. Peut-être aussi la ville de Jéricho, ib., 18, 34.
[2] Voyez II Chroniques, 11, 10.
[3] Siclag, Hormah et Beérséba sont mentionnées en effet comme villes de Juda. I Samuel, 27, 8 ; 30, 30 ; I Rois, 19, 3.
[4] Voyez II Chroniques, 11, 9.
[5] Voyez I Rois, ch. 14, v. 17 ; ch. 15, v. 21 et 33 ; ch. 16, 8 et suivants. La position géographique de la ville de Thirsa n'est pas bien connue 03rochard la place à trois lieues à l'est de Samarie. (Descript. terræ sanctæ, 8, 13), mais cette donnée n'est pas suffisamment motivée.
[6] Voyez surtout Des Vignoles, Chronologie de l'hist. sainte, t. I, p. 213 et suiv. ; Gibert, Mémoire sur la chronologie des rois de Juda et d'Israël (Mém. de l'acad. des Inscriptions, t. XXX), Volney, Recherches nouvelles, t. I, ch. 1.
[7] Cela résulte évidemment du 2e livre des Rois, ch. 14, v. 2, 17 et 23, et il y a nécessairement une faute au ch. 15, v. 1, où l'on fait commencer le règne d'Azaria, ou Ouzia, dans la vingt-septième année de Jéroboam. Voyez la note à ce verset dans la Bible de M. Cahen.
[8] Voici comment s'exprime saint Jérôme dans une lettre à un certain prêtre, nommé Vitalis : Relege omnes et veteris et novi Testamenti libros, et tantam annorum reperies dissonantiam, et numerum inter Judam et Israel, id est, inter regnum utrumque confusum, ut hujuscemodi hærere quœstionibus, non tam studiosi quam otiosi hominis esse videatur. Voyez Sancti Hieronymi Opera, éd. Martianay, t. II (Paris, 1699), col. 622. — Le rabbin Azaria de Rosi, dans son livre Meor Enaïm (lumière des yeux), ch. 35, parle de ce passage de st. Jérôme, et Des Vignoles (l. c. p. 219) rapporte la citation d'Azaria, d'après Vorstius, qui dit qu'elle est tirée de quelque auteur chrétien écrivant ad quendam amamicum, dictum Vitellum. Ni Vorstius, ni Des Vignoles ne s'est aperçu que le traducteur dont parle Azaria est saint Jérôme.
[9] Comparez Jahn, Archœologie,
II, 1, p. 159 ; Winer, Realwœrterbuch, t. I, p. 729 ; De Wette, Archeologie,
g 34-41.
[10] D'après cette chronologie, Joram n'aurait régné que quatre ans, tandis que le texte lui attribue huit ans de règne (II Rois, 8, 17). Mais déjà les anciens rabbins font commencer les huit ans de Joram du vivant de son père Josaphat, qui, disent-ils, le nomma son corégent, et presque tous les chronologistes modernes ont adopté cette opinion, faisant durer la corégence trois ou quatre ans. Voyez le commentaire de R. Salomon Ben-Isaac à II Rois, 8, 16 ; Des Vignoles, l. c., p. 320 et suivantes.
[11] Dans le 2e livre des Chroniques on lit Absalom, et plusieurs commentateurs ont pensé qu'il s'agit ici d'Absalom, fils de David, et que Maacha fut la cousine de Rehabeam. Dans ce cas elle aurait eu au moins quelques années de plus que Rehabeam, qui naquit dans l'année de la mort de David.
[12] Tous ces détails sont rapportés dans le deuxième livre des Chroniques, ch. 11.
[13] Antiquités, VIII, 8, 4.
[14] Josèphe (l. c., 85) l'appelle Jadon, le croyant probablement le même que le prophète Iddo ou Jado, mentionné dans le deuxième livre des Chroniques (9, 29 ; 12, 15 ; 13, 22).
[15] Voyez I Rois, 13, 2, et II Rois, 23, 17.
[16] Voyez sur les légendes prophétiques du royaume d'Israël, Eichhorn, Allemeine Biblsothek, t. IV, Pag. 193-252. Eichhorn a fait, sur le caractère de ces légendes, des observations pleines de goût et de justesse ; mais il s'est donné une peine inutile en cherchant à expliquer plusieurs faits merveilleux d'une manière naturelle ; les légendes peuvent bien avoir une base historique mais les faits miraculeux appartiennent probablement tout entiers à l'imagination du peuple.
[17] Le nom seul de Sisac ou Scheschak nous semble suffisant pour établir l'identité de ce roi avec Scheschonk (Sesonchis), premier roi de la vingt-deuxième dynastie, d'autant plus que la chronologie parait pleinement confirmer cette identité. Voyez Des Vignoles, t. II, p. 123 et 157. Cependant nous ne saurions attacher aucune importance à la découverte récente de Champollion le jeune, qui prétend avoir lu sur un monument du palais de Karnac, au nombre des nations vaincues par Sesonchis, les mots OU IOUDAHAMÉLEK qu'il traduit : Le royaume de Juda. Voyez la VIIe des Lettres écrites par M. Champollion, pendant son voyage en Égypte, p. 35. Comment supposer qu'on ait mis de l'hébreu sur un monument égyptien ? Et encore serait-ce de fort mauvais hébreu ; car ce que M. Champollion a lu pourrait signifier tout au plus Juda le roi, ce qui ne donne aucun sens. Nous plaçons donc cette inscription, ainsi que la physionomie juive du roi vaincu, parmi les illusions de l'illustre interprète des hiéroglyphes.
[18] άμαχητί, dit Josèphe (Antiquités, VIII, 10, 3), et il pense qu'Hérodote a parlé de cette expédition, que, par erreur, il aurait fait remonter jusqu'à Sesostris, en se trompant sur le nom du roi. Comparez le passage de Josèphe avec Hérodote, II, ch. 102 et 106.
[19] On donne à Jéroboam 800.000, et à Abiam 400.000 hommes d'élite.
[20] Scaliger cherche Zérach parmi les rois anonymes de la vingt-deuxième dynastie ; Des Vignoles le retrouve dans Osoroth ou Osorchon, fils et successeur de Sesonchis. Voyez Chronol. de l'hist. sainte, t. II, p. 126. Champollion est du même avis ; selon lui, le fils de Scheschonk s'appelait Osorchon, nom qui s'approche davantage de celui de Zérach. Voyez le Précis de Champollion, p. 257-262, et Greppo, Essai sur le système hiéroglyphique, p. 173-177. Mais nous ne saurions partager la conviction de ces auteurs ; car on ne voit pas pourquoi l'Écriture sainte aurait dépouille le fils de Sisac de son titre de roi d'Égypte, et l'aurait appelé Zérach le COUSCHITE.
[21] Le texte du deuxième livre des Chroniques (16, 1) porte : dans la trente-sixième année : mais comme le règne de Baasa ne se prolongea que jusqu'à la vingt-sixième année d'Asa, nous croyons avec les commentateurs, que l'auteur des Chroniques a voulu dire la trente-sixième année de schisme, ou la seizième d'Asa.
[22] Selon Josèphe (Antiquités, VIII, 12, 5), Thibni mourut assassiné ; la chronique rabbinique dit la même chose. Séder olam rabba, ch. 17.
[23] Voyez I Rois, ch. 16, v. 15 et 23.
[24] Voyez II Rois, ch. 5, et ch. 20, v. 7 ; Isaïe, ch. 38, v. 21.
[25] Voyez I Rois, ch. 16, v. 31-33 ; ch. 21, v. 26-29 ; ch. 18, v. 4 et suiv., v. 40 et suiv.
[26] Voyez le livre de Tobie (texte grec), ch. 1, v. 2. Le prophète Élie est appelé plusieurs fois le Thisbite (I Rois, 17, 1 ; 21, 17 ; II Rois, 1, 3 et 8), ce qui ne peut se rapporter qu'à son lieu de naissance, car il était des habitants de Gilead. Rosenmüller se trompe, en le faisant naître à Gilead et s'établir à Thisbé. Bibl. Geographie, II, 2, p. 57.
[27] Ce fut le deuxième de ce nom, fils de Ben-Hadad Ier, qui s'était ligué avec Asa contre Baasa, et qui avait aussi combattu contre Omri (I Rois, 20, 34).
[28] Selon Josèphe et les rabbins, c'était le même qui avait reproché à Achab la mise eu liberté de Ben-Hadad.
[29] Voyez I Rois, ch. 22, v. 49 et 50. Selon le deuxième livre des Chroniques (ch. 20, v. 35, 37), les deux rois se seraient tout d'abord associés pour cette expédition commerciale, et un prophète, Éliézer, dis de Dodavah, aurait désapprouvé l'alliance et prédit le naufrage. Cette version a probablement pris naissance dans l'esprit de rigorisme qui animait plus tard les écrivains juifs.
[30] Voyez Gesénius, Commentar über den Jesaia, t. I, p. 635 (au ch. 18, v. 1).
[31] Voyez le prophète Maleschi, ch. 3, v. 23 et 24 ; Évangile de Matthieu, ch. 11, v. 14 ; ch. 17, v. 10-12 ; Marc, ch. 9, v. 10-12.
[32] Le texte biblique, II Rois, 3, 27, est assez obscur ; nous avons adopté l'interprétation de Josèphe, Antiquités, IX, 3, 2. — Plusieurs commentateurs supposent que le roi de Moab sacrifia, non pas son propre fils, mais celui du prince d'Edam, dont il avait pu s'emparer, et ils rattachent à cet événement les paroles du prophète Amos, ch. 2, v. 1. Il paraitrait en effet qu'Amos a voulu parler d'un incident de cette guerre ; mais les documents historiques ne suffisent pas pour le préciser.
[33] Cet événement n'est raconté que dans les Chroniques (II, ch. 20), qui ne parlent même pas de la guerre précédente, dans laquelle Josaphat n'avait été que l'auxiliaire du roi d'Israël (II Rois, ch. 3). Nous avons déjà dit que nous ne saurions croire, avec quelques critiques modernes, à l'identité des deux relations, qui diffèrent totalement dans leurs détails. Josèphe place t'événement rapporté dans les Chroniques avant celui dont parle le IIe livre des Rois, probablement parce que les Chroniques parlent ensuite, au v. 35, de l'alliance de Josaphat avec Achazia ; mais les versets 31 à 37 sont évidemment déplacés.
[34] Voyez II Chroniques, ch. 21, v. 3.
[35] Peut-être les troupes de Joram elles-mêmes lui refusèrent-elles l'obéissance ; les mots et le peuple s'enfuit vers ses tentes (II Rois, 8, 21) peuvent très-bien se rapporter aux soldats de Juda.
[36] Voyez II Rois, ch. 4 à 8.
[37] Voyez II Rois, 8, 15. Josèphe dit que Hazaël fit mourir Ben-Hadad en l'étranglant. Antiquités, IX, 4, 6.
[38] Selon le médecin anglais Richard Mead, Medica sacra, c. 4, la maladie de Joram était une violente dysenterie, qui lui faisait rejeter des parcelles des intestins (II Chroniques, 21, 19). Voyez Jahn, Archœologie, I, 2, p.354.
[39] Le texte (II Rois, ch. 8, v. 28 et 29) ne parle pas de la prise de Ramoth ; mais il résulte des détails du ch. 9 que cette ville se trouvait au pouvoir des Israélites. Il faut donc supposer qu'elle avait été prise par les troupes de Joram, comme le dit Josèphe (Antiquités, IX, 6, 1). D'autres ont pensé que les Israélites l'avaient déjà prise avant cette époque, et que l'expédition avait pour but de repousser une attaque des Syriens.
[40] Voyez II Rois, 9, 27 ; selon II Chroniques, 22, 9, Achazia se serait caché à Samarie, où il aurait été tué par ordre de Jéhu.
[41] Cette porte était située au S. E. du Temple et tirait probablement son nom des écuries royales qui étaient près de la. C'est ainsi qu'il faut comprendre le texte II Rois, 11, 16, et II Chroniques, 23, 16, et il faut traduire : Elle vint par la porte des chevaux de la maison du roi, comme le porte la version grecque. Josèphe, juge compétent pour tout ce qui concerne la topographie de l'ancienne Jérusalem, dit expressément que Ioïada fit conduire Athalie dans la vallée du Kidron. Antiquités, IX, 7, 3.
[42] Voyez Amos, ch. 1, v. 3 et 4.
[43] C'est une expression figurée pour dire protecteur, qui tient lieu de chariots de guerre et de cavalerie. Elisa fit la même exclamation, lors de la disparition d'Élie (II Rois, 2, 12).
[44] Selon Josèphe, Joas ramena lui-même le roi Amasia a Jérusalem, lui accordant la vie et la liberté, sous la condition qu'il lui ferait ouvrir les portes de la ville. Antiquités, IX, 9, 3.
[45] Dans le IIe livre des Rois on l'appelle ordinairement Azaria ; cependant on y trouve aussi le nom de Ouzia, ch. 15, v. 30, 32 et 34.
[46] Voyez II Rois, 11, 21 ; II Chroniques, 36, 1.
[47] Récemment un critique distingué, M. Hitzig, professeur de théologie à Heidelberg, a essayé de démontrer par des combinaisons fort ingénieuses que les conquêtes de Jéroboam II s'étendirent, aussi sur le pays de Moab, et que l'oracle sur Moab, qui se trouve dans le livre d'Isaïe (ch. 15 et 16), mais qui appartient à un prophète plus ancien est précisément celui qui fut prononcé par Jonas, sous Jéroboam II. Voyez Des propheten Jonas Orakel über Moab kritisch vindicirt, Heidelberg, 1831. — Mais l'oracle en question nous parait renfermer des traces d'une époque postérieure à Jéroboam.
[48] Voyez Amos, ch. 4, v. 6-9 ; ch. 7, v. 1-6.
[49] Voyez Amos, ch. 1, v. 1 ; ch. 4, v. 11 ; Zacharie, ch. 14, v. 5.
[50] Josèphe, Antiquités, IX, 11, 1.
[51] Voyez II Rois, I6, 16, et Josèphe, l. c. ; Thiphsach était aussi le nom de la ville de Thapsacus, sur l'Euphrate (voyez I Rois, 4, 24), et plusieurs commentateurs pensent qu'il s'agit ici de cette dernière ville, ce qui n'est pas probable.
[52] Hoséa, 4, 1-3 ; 7, 7 ; 8, 4.
[53] Selon une tradition rabbinique, qui ne se fonde sur aucune base historique, Amos ou Amotz, père d'Isaïe, était le frère du roi Amasia. Quelques Pères de l'Église l'ont confondu avec le prophète Amos ; mais saint Jérôme a déjà fait observer que les deux noms s'écrivent différemment en hébreu (Proœm. ad Amos).
[54] Sargon, qui n'est mentionné que dans un seul passage (Isaïe, 30, 1), ne peut être éloigné du temps de Sennachérib ; car le général Tharthan servit sous les deux rois (II Rois, 18, 17) Or, nous savons positivement que le successeur de Sennachérib fut Ésar-Haddon ; Sargon doit donc être nécessairement le prédécesseur de Sennachérib ; car rien ne nous oblige d'identifier les deux rois, comme l'ont fait plusieurs auteurs.
[55] II Rois, 15, 35 ; comparez Jérémie, 36, 10, ou le parvis intérieur est appelé supérieur.
[56] Voyez II Chroniques, 27, 3.
[57] Le texte biblique dit qu'il était âgé de vingt ans ; mais comme il mourut après seize ans de règne et qu'il laissa pour successeur un fils âgé de vingt-cinq ans, il faudrait qu'il fût devenu père à l'âge de onze ans. Nous croyons donc devoir supposer qu'Achaz, lors de son avènement, était âgé au moins de vingt-cinq ans, comme le portent les versions syriaque et grecque au 2e livre des Chroniques, ch. 28, v. 1.
[58] Voyez le commentaire de Gesénius sur le prophète Isaïe, t. I, p. 278.
[59] Voyez Gesénius, l. c. page 301.
[60] Quelques auteurs modernes ont supposé que ce Zacharie était un prophète et que c'est à lui qu'il faut attribuer les chapitres 9 à 11 du livre de Zacharie, qui, dit-on, ne sauraient être composés après l'exil et doivent appartenir à l'époque de la puissance assyrienne. Voyez Bertholdt, Einleitung, t. IV, p. 1721 el suiv. ; Knobel, Der Prophetismus der Hebrœer, Breslau, 1837, t. II, page 166 suivantes.
[61] Dans les livres des Rois l'invasion du pays d'Israël est rapportée avant celle de la Syrie ; voyez II Rois, ch. 15, v. 29, et ch. 16, v. 9. Mais Josèphe s'est trompé en admettant deux différentes expéditions (Antiquités, IX, 11, 1 ; 12, 3). Le roi d'Assyrie n'a pu pénétrer en Palestine qu'après s'être emparé de la Syrie, et les deux passages du livre des Rois tirés, l'un des annales d'Israël, l'autre des annales de Juda, ne parlent sans doute que d'une seule et même expédition.
[62] Voyez Isaïe, ch. 9, v. 5 et 8, et le commentaire de Gesénius, t. I, p. 380 et suivantes.
[63] Voyez Micha, ch. I, v. 6 et suiv. et ch. 5 ; Isaïe, ch. 28 à 33, et le commentaire de Gesénius.
[64] Voyez sur ces trois dynasties contemporaines, l'introduction de Gesénius au ch. la d'Isaïe.
[65] Voyez Car. Christ. Bernhardt Commentatio de causis quibus effectum sit, ut regnum Judæ dintius persisteret quam regnum Israël, Louvain, 1825.
[66] Voyez Josèphe, Antiquités, IX, 14, 2.