PALESTINE

 

LIVRE III. — HISTOIRE DES HÉBREUX

TROISIÈME PÉRIODE. — ROYAUME UNI, DE SAÜL JUSQU'À SALOMON.

 

 

I. Règne de Saül.

Saül, en montant sur le trône, devait être dans la force de l'âge[1], car il avait, dès le commencement de son règne, un fils nominé Jonathan, à qui il pouvait déjà confier des opérations militaires. Les Philistins, à ce qu'il paraît, virent avec indifférence l'avènement de Saül, qui ne paraissait pas d'abord vouloir rompre le traité de paix conclu par le juge Samuel après la bataille de Mispah. Le nouveau roi, après son installation, renvoya tous les Hébreux dans leurs foyers, ne conservant autour de lui que trois mille hommes, dont deux mille, sous ses ordres immédiats, gardèrent les hauteurs de Bethel et le défilé de Michmas[2], et mille restèrent, sous les ordres de Jonathan, à Gabaa qui était la résidence de la famille royale, et où se trouvait aussi le poste militaire des Philistins. Ces derniers, oubliant la défaite qu'ils avaient subie sous Samuel, étaient devenus assez insolents pour demander le désarmement général des Hébreux et pour défendre à ceux-ci toute fabrication d'armes. Le manque total de forgerons, du moins dans le midi, obligeait même les Hébreux de s'adresser aux Philistins pour faire repasser leurs instruments aratoires. Telle fut la position réciproque des deux peuples à la fin de la deuxième année du règne de Saül[3] ; mais cet état des choses ne pouvait avoir duré longtemps, car, après l'élection de Saül, nous avons vu les Hébreux parfaitement en mesure pour repousser l'attaque des Ammonites.

L'insolence des Philistins indigna Saül et son noble fils Jonathan. Ce dernier tomba subitement sur le poste des Philistins à Gabaa et le détruisit ; en même temps Saül fit retentir, dans tout le pays, la trompette de la guerre, pour appeler les Hébreux au combat. Les Philistins instruits du forfait de Jonathan, envahirent aussitôt le midi de la Palestine avec trente mille chariots et six mille cavaliers. Les habitants, se voyant serrés par des forces aussi imposantes, se refugièrent dans les souterrains ; d'autres se retirèrent au delà du Jourdain. Saül quitta sa position près de Michmas, et se rendit à Guilgal, où il fut bientôt rejoint par une foule d'Hébreux avides de combattre. Samuel aussi devait s'y rendre au bout de sept jours ; mais le septième jour était arrivé, et on n'avait encore aucune nouvelle du prophète. Déjà le peuple commença à se disperser ; Saül, craignant de se voir isolé, et voulant se préparer au combat par un acte religieux, fit procéder au sacrifice, auquel il présida lui-même. Après la cérémonie Samuel arriva ; Saül alla au-devant de lui pour le saluer, mais le prophète lui reprocha avec dureté de n'avoir pas suivi l'ordre qu'il lui avait donné au nom de Jéhova, et d'avoir seul célébré l'acte solennel du sacrifice. Saül essaya de montrer au prophète combien, dans ces circonstances, son impatience de se préparer au combat était excusable ; mais Samuel, croyant reconnaître dans le roi des velléités d'indépendance, lui prédit dès lors que son règne ne subsisterait pas.

Le prophète se rendit à Gabaa où il fut suivi par Saül et les troupes qui se trouvaient réduites à environ six cents hommes. Les Philistins campés à Michmas envoyèrent des détachements dans trois directions différentes pour ravager le pays ; un poste resta pour occuper le défilé de Michmas. Les Hébreux manquant d'armes, étaient dans la plus grande perplexité ; Saül et Jonathan étaient seuls complètement armés. Un jour Jonathan prit, à l'insu de son père, la résolution héroïque d'aller seul, avec son écuyer, attaquer les avant-postes de Michmas. Le fidèle serviteur se montrant prêt à le suivre, Jonathan convint avec lui d'un signe auquel ils devaient reconnaître si Dieu voulait favoriser leur entreprise : Nous passerons, dit-il, vers ces gens, et nous nous montrerons à eux. S'ils nous disent : Attendez jusqu'à ce que nous soyons arrivés auprès de vous, nous resterons à notre place, et nous ne monterons pas vers eux. Mais s'ils nous disent : Montez vers nous, nous monterons, car Jéhova les aura livrés entre nos mains. Les Philistins, en voyant Jonathan et son écuyer, dirent avec ironie : Voici des Hébreux qui sortent de leurs souterrains ; montez donc un peu vers nous, afin que nous vous disions quelque chose. Les deux héros escaladèrent le rocher ; ils tombèrent sur les avant-postes des ennemis et tuèrent une vingtaine d'hommes. Cet exploit sans exemple répandit la terreur parmi les ennemis. Saül apprit par ses sentinelles avancées qu'il y avait un grand mouvement parmi les Philistins ; en même temps il eut connaissance de l'absence de Jonathan et de son écuyer. Il allait consulter le grand-prêtre Achiah, arrière-petit-fils d'Eli, qui se trouvait auprès de lui avec l'arche sainte, lorsqu'il apprit que le désordre augmentait de plus en plus dans le camp des Philistins. Il se rendit immédiatement avec sa petite troupe au théâtre de la guerre ; le tumulte y était au comble et on s'entr'égorgeait. Les soldats hébreux qui servaient dans l'armée des Philistins, où ils étaient entrés probablement pendant la paix, se rangèrent du côté de Saül et de Jonathan ; ceux qui étaient cachés dans les montagnes d'Éphraïm sortirent de leur retraite, et se mirent également à la poursuite des Philistins en désordre. Saül défendit à ses troupes, sous peine de malédiction, de prendre la moindre nourriture ce jour-là, jusqu'à ce qu'il eût tiré vengeance de ses ennemis. Les troupes obéirent, malgré les fatigues du combat ; Jonathan seul, qui était épuisé de tant d'efforts, et qui n'avait pas eu connaissance de la défense de son père, se permit de ramasser, avec un bâton, un peu de miel sauvage, qu'il porta à sa bouche pour se rafraîchir. Les Philistins furent repoussés ce jour même jusqu'à Ayyalon. Le soir, les Hébreux affamés égorgèrent les bestiaux pris sur les ennemis et en mangèrent la chair avec le sang, contrairement à la loi mosaïque. Saül, averti de cet abus, fit aussitôt élever un autel, et ordonna qu'on y tuât les animaux selon les rites, en laissant écouler tout le sang. Dans son ardeur, Saül voulut continuer la nuit même la poursuite des Philistins ; mais l'oracle, interrogé à ce sujet par le prêtre, ne donna pas de réponse. Saül fut convaincu qu'un péché avait été commis, et il jura de punir de mort le coupable, fût-ce son fils Jonathan lui-même. On interrogea le sort sacré qui désigna Jonathan comme le pécheur. Qu'as-tu fait, mon fils ? lui demanda Saül. J'ai goûté un peu de miel, répondit Jonathan ; je suis prêt à mourir. Saül crut devoir maintenir son serment, et on aurait eu à déplorer un second sacrifice comme celui de Jephté, si cette fois le peuple ne s'était pas interposé de toute son autorité. Comment, s'écria-t-on de toute part, Jonathan serait mis à mort, lui qui a sauvé Israël ! par le Dieu vivant, pas un cheveu de sa tête ne tombera à terre. Cette protestation énergique dégagea Saül de son serment, et lui rendit son fils.

Les Philistins se retirèrent au delà de leurs limites. Cette nouvelle victoire affermit encore davantage le trône de Saül qui, comme s'exprime le texte biblique (I Sam. 14, 47), avait conquis la royauté sur Israël. Il repoussa avec un légal succès l'agression d'autres peuples voisins, tels que les Moabites, les Ammonites, les Iduméens, et les Syriens de Soba[4]. Les tribus à l'est du Jourdain vainquirent, sous le règne de Saül, les Hagaréens, nomades arabes, et s'étendirent jusque vers l'Euphrate (I Chron. 5, 10). Saül s'attendait encore à de longues luttes avec les Philistins et il tâcha de s'entourer de tout ce qu'Israël possédait d'hommes forts et exercés dans la guerre. Il se mit en mesure d'avoir, en cas de besoin, des troupes expérimentées et convenablement armées, et il confia le commandement général des forces militaires à son cousin Abner, fils de Ner. C'est le seul grand dignitaire que nous trouvions auprès de Saül. En général, Saül avait conservé sa simplicité d'autrefois ; il ne tenait pas de cour, et sa maison se corn posait des seuls membres de sa famille. Il avait, de sa femme unique, appelée Achinoam, fils de d'Achimaas, quatre fils, savoir : Jonathan, Jesvi (ou Abinadab), Malchisoua et Isboseth, et deux filles, dont l'aînée s'appelait Mérab et la cadette Michal. Au nombre des membres de la famille royale, nous trouvons encore les frères Kis et Ner, le premier, père de Saül, le second, père d'Abner[5].

Samuel n'avait pas perdu son influence ; il s'était aperçu, sans doute, Igue ni Saül ni ses fils, quelles que fussent d'ailleurs leurs qualités, n'étaient propres à réaliser son idéal de la théocratie, et il se repentit du choix qu'il avait fait. Il attendait une occasion pour rompre ouvertement avec Saül et pour lui donner un rival appuyé de tout le poids de son autorité prophétique, et de l'influence politique qu'il avait conservée comme ancien juge.

Un jour, le prophète se rendit auprès de Saül, et en rappelant au roi que c'était à lui qu'il devait la couronne, il lui ordonna au nom de Jéhova de porter ses armes contre les Amalécites, les plus anciens et les plus impie-cabres ennemis des Hébreux, et de leur faire une guerre d'extermination. Saül obéit, et son expédition fut couronnée de succès ; mais au lieu de tout exterminer, comme l'avait ordonné le prophète, on ramena, comme butin, les meilleurs bestiaux et les autres objets précieux. Agag, roi d'Amalek, fut fait prisonnier ; mais les Amalécites ne furent pas entièrement détruits, comme l'avait ordonné Moïse (Deut. 25, 19), et on pouvait craindre de leur part de nouvelles attaques. Samuel, peu satisfait de l'issue de cette guerre, et ayant appris que Saül était arrivé à Carmel[6], où il s'élevait un monument, se rendit droit à Guilgal, pour s'y trouver avec Saül. Celui-ci, voyant le prophète, lui dit : Je te salue au nom de Jéhova ; j'ai accompli sa parole divine. — Mais, lui demanda Samuel, quel est donc ce mugissement de bœufs et de brebis qui frappe mes oreilles ?Le peuple, répondit Saül, a ramené l'élite des bestiaux pour offrir un sacrifice à Jéhova. — Dieu, répliqua le prophète, aime mieux l'obéissance que les holocaustes et les sacrifices ; tu as rejeté l'ordre de Jéhova, et il rejette ta royauté. Saül chercha à apaiser la colère de Samuel : il s'était vu forcé, dit-il, d'obéir à la volonté des troupes ; et il le supplia d'aller avec lui se prosterner devant Jéhova. Samuel se détourna en prononçant de nouveau la déchéance de Saül ; celui-ci, voulant le retenir, saisit le pan de son manteau, qui se déchira. C'est ainsi, dit le prophète, que Dieu t'a arraché la royauté pour en revêtir un autre qui en sera plus digne que toi. — Je reconnais ma faute, dit le roi, mais honore-moi devant les Anciens de mon peuple et devant Israël, et accompagne-moi, pour que je me prosterne devant Jéhova. Samuel lui accorda cette demande. Après la cérémonie, le prophète se fit amener le roi Agag et lui dit : De même que ton glaive a privé les femmes de leurs enfants, de même ta mère sera privée de toi ; cela dit, il le mit à mort de sa propre main. Après cette scène, Saül retourna a Gabaa ; Samuel se rendit à Raina et il ne revit plus le roi Saül. Il était décidé à chercher ailleurs un roi selon son cœur, et les événements favorisèrent ses projets.

Cependant Saül avait affermi son trône par ses nombreuses victoires, et toute l'autorité de Samuel n'aurait pas suffi pour renverser un roi devenu de plus en plus populaire. Si autrefois Samuel, pressé d'élire un roi, avait cru, dans l'intérêt des institutions démocratiques, devoir s'adresser à la tribu la moins nombreuse et la moins puissante, il s'agissait cette fois de trouver un homme qui pût se créer un parti assez fort pour oser entreprendre la lutte contre la dynastie établie. Ce fut sans doute dans cette conviction que Samuel jeta les yeux sur une famille de la puissante tribu de Juda qu'une antique bénédiction semblait appeler à de hautes destinées.

A Bethlehem vivait un homme riche appelé Isaï, descendant d'une des principales familles de la tribu de Juda. Parmi ses ancêtres nous remarquons Nahschôn, qui avait été chef de la tribu du temps de Moïse. Son père fut Obed, fils de Boaz et de Ruth, la Moabite, qu'un généreux dévouement avait conduit jadis dans le pays des Hébreux : une famine arrivée dans ce pays avait obligé un certain Élimélech, habitant de Bethlehem, d'émigrer avec sa femme Noémi et ses deux fils, et de se rendre dans le pays de Moab. Élimélech y mourut, ainsi que ses fils qui avaient épousé deux femmes moabites. Noémi, ayant perdu son mari et ses enfants, partit pour retourner dans son pays ; l'une de ses belles-filles, appelée Ruth, touchée des malheurs de Noémi, ne voulut pas se séparer d'elle. Arrivée à Bethlehem, elle allait glaner dans les champs, pour nourrir sa belle-mère ; le hasard la conduisit un jour dans le champ de Boaz, parent d'Élimélech. Boaz ayant entendu parler du noble dévouement de Ruth, la reçut avec bonté ; il voulut lui faire épouser un proche parent de son mari défunt, mais n'ayant puy réussir, il épousa lui-même la jeune veuve par un sentiment de piété pour un parent mort sans postérité. Il eut d'elle un fils nommé Obed, qui, comme nous venons de le dire, fut le père d'Isaï, dont la famille jouissait d'une haute estime dans le pays. Ce fut à cette famille que s'adressa le prophète Samuel pour y choisir un successeur à Saül ; mais il lui fallut s'entourer du plus profond mystère pour ne pas éveiller les soupçons du roi, qui auraient mis en danger la vie de Samuel et celle de son élu. Samuel partit donc pour Bethlehem, sous prétexte d'y célébrer un sacrifice ; les anciens de la ville vinrent au-devant du prophète pour lui offrir leurs hommages, et il les invita au repas solennel, auquel il convia également Isaï et ses fils, qui étaient au nombre de huit. Le plus jeune, appelé David, était absent, se trouvant dans les champs auprès des troupeaux de son père. Lorsqu'ils furent tous arrivés, Samuel se fit présenter les fils d'Isaï. Tout en s'abandonnant, selon sa coutume, à son inspiration divine et à une certaine faculté de divination, le prophète ne voulut pas cette fois se laisser influencer par la beauté extérieure, et il cherchait à lire dans les physionomies des fils d'Isaï les qualités intérieures dont ils pouvaient être doués (I Sam. 16, 7). Aucun des jeunes gens ne plut à Samuel : Ce sont là tous tes enfants ? demanda-t-il à Isaï. — Il en reste encore un, répondit celui-ci ; c'est le plus jeune qui garde les troupeaux. — Fais-le venir, dit le prophète, car nous ne nous mettrons pas à table jusqu'à ce qu'il soit venu ici. On fit venir David ; c'était un jeune homme de couleurs fraîches ; ayant de beaux yeux et une belle physionomie. Il gagna aussitôt l'affection de Samuel, et entraîné par la voix divine qui, dans son intérieur, se déclara en faveur de David, le prophète prit aussitôt la corne d'huile qu'il avait apportée avec lui, et procéda à l'acte symbolique de l'onction. Les assistants ne connaissaient probablement pas le sens de cet acte qui passait inaperçu ; David seul, sans doute, fut informé, par le prophète, de ses futures destinées, car, dès ce jour, le jeune homme manifesta une grande exaltation, et, comme on disait alors, l'esprit de Jéhova le saisit. Ce fut là le dernier acte politique du prophète Samuel, qui depuis ce temps vécut retiré à Rama, pour consacrer le reste de ses jours à l'institut des prophètes, dans le développement duquel il voyait les plus belles garanties pour l'avenir.

Avant de quitter Samuel, jetons encore un coup d'œil rapide sur sa belle carrière de Schophet et de prophète. Dans tousses actes nous reconnaissons l'homme sévère et énergique, qui, animé d'un. zèle ardent pour Jéhova et pour sa loi, ne se laisse arrêter par aucun obstacle et marche droit à son but, avec la ferme conviction que c'est l'esprit de Dieu qui l'anime et qui lui dicte ses actions. Exerçant à la fois un pouvoir politique et un pouvoir spirituel, il restaura sous un double rapport l'État des hébreux qu'il trouva sans unité politique, sans loi, sans culte. Il éveilla l'esprit public, réunit toutes les tribus sous un seul drapeau, et, après leur avoir fait secouer le joug des Philistins et obtenir pour longtemps une paix honorable, il les prépara à lutter avec succès contre ces ennemis implacables, dont les attaques devaient se renouveler sans cesse. En !Mue temps il déracina l'idolâtrie, et, par l'établissement de l'institut prophétique, il releva la religion mosaïque sans trop favoriser le pouvoir sacerdotal et le culte matériel, mais aussi sans y porter aucune atteinte ; car, si on lui a reproché d'avoir lui-même usurpé les fonctions sacerdotales, en offrant un holocauste (I Sam. 7, 9), le texte ne dit pas positivement qu'il ait exercé lui-même le ministère de sacrificateur, ce que, du reste, il aurait pu faire dans l'absence des prêtres et d'un culte central, comme l'avait fait Moïse, avant l'établissement du sacerdoce. Selon lui, Dieu fait peu de cas des holocaustes et des sacrifices ; obéir à la loi dans son vrai sens vaut mieux que d'offrir à Dieu la graisse des béliers. Forcé par la volonté de la nation de coopérer à l'établissement de la royauté, il limite le pouvoir du nouveau roi par une convention écrite. Il guide le roi par ses conseils et tâche de lui inculquer les principes d'une théocratie spiritualiste et un respect profond pour les lois de l'État. Dès qu'il s'aperçoit que le roi n'est pas toujours disposé à observer la loi dans toute sa rigueur, il veut assurer l'avenir de son pays et de la constitution, en choisissant un vassal plus fidèle de Jéhova, le roi souverain du peuple hébreu. Rien ne peut le fléchir, car, il faut l'avouer, son caractère était énergique et absolu, et ne brillait ni par la douceur ni par les sentiments tendres. Dans son zèle absolu pour la lettre de la loi, il ne craint pas de montrer une extrême dureté envers Saül et une cruauté inhumaine envers le roi Agag. L'époque avait besoin d'un homme de cette trempe, et Samuel, l'homme de cette époque, devait être tel qu'il a réellement été. Une critique sans portée et pleine de préjugés a seule pu présenter la conduite de Samuel comme le résultat d'une vanité humaine et de l'ambition déçue. Samuel ne gagna rien pour lui par l'élection de David, de même qu'il n'avait rien perdu personnellement par les usurpations de Saül. Tout ce qu'il faisait était dans l'intérêt de son pays et de sa nation, selon un vaste plan sagement calculé. Au reste, le peuple lui-même lui rendit des témoignages unanimes de sa probité et de sa justice absolues, et la postérité, voyant en lui le restaurateur de la loi et de la religion, n'hésita pas à le placer à côté de Moïse. Selon le poète sacré, les ministres de Dieu qui invoquent son nom et dont il exauce les prières, sont Moïse, Ahron et Samuel (Ps. 99, 6) ; et Dieu dit par la bouche du prophète Jérémie (15, 1) : Quand même Moïse et Samuel se présenteraient devant moi, mon affection ne serait plus pour ce peuple. L'Ecclésiastique (ch. 46, v. 16-23), en faisant l'éloge des hommes illustres de l'antiquité, assigne à Samuel une des plus belles places dans l'histoire des Hébreux, et en quelques mots il fait ressortir les principaux traits de ce grand homme, restaurateur du gouvernement et des lois, prophète divin, vainqueur des ennemis, juge incorruptible et d'une probité à toute épreuve.

Revenons maintenant au roi Saül. Depuis sa dernière entrevue avec Samuel, le roi était saisi souvent d'une profonde mélancolie. Ses gens furent d'avis que la musique seule pouvait rasséréner son âme abattue, et ils lui conseillèrent de faire venir un habile musicien qui pût lui procurer du soulagement dans ses accès de tristesse. Un des serviteurs du roi vanta le jeune David, fils d'Isaï de Bethlehem, qui, avec un grand talent musical, réunis. sait les avantages de la beauté, de l'esprit et du courage. Saül expédia un message à Isaï, pour lui demander d'envoyer auprès de lui son fils David. Celui-ci arriva aussitôt, apportant avec lui un cadeau ; dont Isaï l'avait chargé pour le roi. David parvint en effet, par son jeu de kinnôr[7], à soulager le roi dans ses accès de mélancolie. Il gagna toute l'affection de Saül, qui, appréciant en même temps son courage guerrier, le nomma son écuyer.

La subite fortune de David favorisa singulièrement les projets de Samuel. Peut-être était-ce le prophète lui-même, qui, par ses relations et par son influence secrète, avait su amener le jeune David à la cour de Saül, pour lui procurer le moyen de développer ses hautes qualités et de les mettre au grand jour. Bientôt mi événement donna à David l'occasion de déployer tout son courage et d'attirer sur lui les regards de toute la nation.

Les Philistins avaient entrepris une autre nouvelle expédition contre les Hébreux, et envahi le bas pays de Juda ; leur camp était entre Socho ei Azéka. Saül marcha à leur rencontre et fit camper ses troupes dans la plaine des térébinthes. Rangées en bataille, chacune des deux armées occupait une hauteur, un vallon les séparait. Un homme d'une taille gigantesque, nommé Goliath, de la ville de Gath, sortit des rangs des Philistins ; toute son armure présentait un aspect formidable, en rapport avec sa taille, et il était précédé de son écuyer qui portait son bouclier. Placé au milieu entre les deux armées, il proposa aux Hébreux de choisir parmi eux un homme pour entrer avec lui dans un combat singulier, dont l'issue déciderait laquelle des deux nations devrait se soumettre à l'autre. A cette provocation il ajouta l'insulte, et répandit la terreur parmi les Hébreux ; personne n'osait accepter le dangereux défi. On hésita longtemps ; tous les jours, le matin et le soir, le géant philistin vint répéter sa provocation, et déjà quarante jours s'étaient ainsi passes dans l'inaction, quoique Saül eût fait publier que celui qui frapperait le Philistin recevrait de riches cadeaux, qu'il aurait pour femme la fille du roi, et que sa famille serait affranchie de tout service public.

David qui, avec la permission de Saül, retournait de temps en temps dans sa famille, pour garder les troupeaux, arriva alors dans le camp, envoyé par son père pour savoir des nouvelles de ses trois frères aînés, qui servaient dans l'armée de Saül, leur apporter quelques vivres, et un cadeau dix fromages pour leur chef. Témoin lui-même des provocations insultantes de Goliath, et ayant appris quelle récompense le roi promettait à celui qui vengerait l'opprobre de la nation, David offrit d'accepter le défi. Sans se laisser intimider par les reproches d'Éliab, son frère aîné, qui l'accusait d'orgueil et de présomption, il alla sur un point, où il s'informa de nouveau de la récompense qui devait être donnée au vainqueur de Goliath ; là il fit les mêmes offres. On en parla bientôt devant Saül, qui fit venir David auprès de lui. Que personne, dit David, ne s'inquiète de ce Philistin ; ton serviteur ira combattre contre lui. — Mais, répondit le roi, tu es trop jeune pour entrer en lutte avec le philistin qui, depuis sa jeunesse, est un guerrier accompli. — Ton serviteur, répliqua David, a tué un lion et un ours, et leur a arraché leur proie ; il en sera de même de ce Philistin qui a insulté les armées du Dieu vivant. Saül, voyant David décidé à combattre ; le fit revêtir d'une cuirasse, d'un casque et d'une épée ; mais David fut obligé de quitter cette armure avec laquelle il ne put marcher, par défaut d'usage. Pour toutes armes il prit son bâton, sa fronde et sa gibecière, et, ayant choisi dans un ruisseau cinq cailloux unis, il s'avança contre le Philistin. Goliath le regarda avec mépris. Me prends-tu pour un chien, lui dit-il, pour venir ainsi m'attaquer avec des bâtons ? viens, que je donne à manger ta chair aux oiseaux du ciel et aux bêtes de la terre. Mais David répondit : Tu m'abordes avec l'épée, le javelot et la lance ; mais moi je vielle au nom de Jéhova, le dieu des batailles d'Israël que tu as blasphémé, et qui te livrera entre mes mains, afin que je te tranche la tête et que je livre les cadavres de Philistins aux oiseaux du ciel et aux animaux de la terre. Et on saura partout qu'il y a un pieu en Israël, à qui il ne faut pour vaincre ni épée ni lance. Goliath voulu s'approcher de David ; mais celui-ci, courant au-devant de lui, lui lança une de ses pierres qui le frappa au front avec une telle violence qu'il tomba sans connaissance, David alors se jeta sur lui pour l'achever avec sa propre épée, et, après l'avoir tué, il lui trancha la tête. Les Philistins, saisis de terreur, s'enfuirent en désordre, et les Hébreux poursuivirent jusqu'aux portes d'Ekrôn et de Gath. Tous les bagages que les Philistins avaient laissés dans le camp, tombèrent aux mains des Hébreux. David rapporta en triomphe la tête de Goliath, ainsi que ses armes, qu'il exposa ensuite dans le sanctuaire alors placé à Nob (I Sam. 21, 10)[8].

Saül ramena David avec lui : il voulut qu'il restât toujours auprès de lui, et qu'il le retournât plus dans sa famille[9]. Le généreux Jonathan, loin d'éprouver des sentiments de jalousie à l'égard de David, dont la victoire effaçait les glorieux faits d'armes par lesquels il s'était distingué lui-même, se sentit entraîné d'admiration pour le jeune héros et éprouva pour lui le plus vif attachement. Il se dépouilla de son manteau et de son armure, dont il fit cadeau à David, et les deux héros se jurèrent une éternelle amitié. Saül confia aussitôt à David un commandement supérieur dans l'armée. Mais bientôt l'admiration que, de toute part, on manifesta pour David, excita la jalousie du roi. Au retour dans la résidence, les femmes de toutes les villes situées sur la route sortirent au-devant de Saül pour le complimenter, en chantant et en dansant, sous l'accompagnement des tambourins et des triangles. Dans leurs chants Saül distingua ces mots souvent répétés : Saül à battu ses milliers et David ses myriades. Dès lors c'en fut fait de son amitié pour David, qu'il ne voyait plus qu'avec méfiance et avec un sentiment de jalousie profonde. Dès le lendemain, la maladie poire dont il était affligé devint plus forte que jamais, e il se trouvait dans on état d'agitation extrême. David, comme à l'ordinaire, cherchant à le calmer par sa musique, Saül voulut deux fois le percer de sa lance, dont David put heureusement éviter le coup. Revenu à lui-même, Saül jugea convenable de l'éloigner de sa présence, et l'envoya commander les troupes, en lui promettant, pour prix de sa vaillance, de lui donner pour femme sa fille aînée Mérab. Il espérait ainsi le voir tomber un jour victime de son courage. David, quoique heureux dans toutes ses entreprises et généralement aimé, fut cependant assez modeste pour ne pas faire valoir ses droits sur la main de la princesse royale, qui, en effet, fut donnée à un autre. Mais Michal, la fille cadette de Saül, aimait David ; Saül fit semblant de favoriser celte inclination, et fit dire à David que, pour lui donner sa fille en mariage, il ne lui demandait autre chose, sinon de circoncire cent Philistins, et de lui apporter les preuves indubitables de cet exploit. Cette singulière condition, par laquelle Saül espérait perdre son antagoniste, fut acceptée par David, qui aussitôt se mit en marche avec ses gens pour attaquer les philistins. Il en tua deux cents et rapporta à Saül le double des trophées qu'il lui avait demandés. Saül fut obligé alors de lui donner sa fille Michal, mais la fortune de David ne fit qu'augmenter la jalousie et les craintes qu'il inspirait au roi, et il lui fallut toute l'amitié de Jonathan et l'amour de Michal, pour détourner de lui les dangers dont il était menacé de la part de Saül.

Le fidèle Jonathan parvint un moment à calmer l'effervescence de Saül, qui jura par Jéhova d'épargner la vie de David. Celui-ci reparut à la cour ; mais bientôt une nouvelle victoire remportée par David sur les Philistins donna à Saül de nouveaux accès de jalousie et de délire. Un jour, lorsque David jouait de son instrument devant le roi, celui-ci essaya de nouveau de le percer de sa lance ; mais David évita le coup, et la lance resta fixée dans le mur. David s'étant échappé, le roi envoya des sicaires pour cerner sa maison afin de le tuer le lendemain matin. Michal le fit descendre par la fenêtre, pendant la nuit, et il put se sauver par la fuite. A sa place Michal mit une statue dans le lit, et lorsque le lendemain des messagers de Saül vinrent demander David, elle le dit malade. Saül, voulant atout prix s'emparer de David, ordonna qu'on le lui apportât dans son lit, mais on n'y trouva qu'une statue. David avait eu le temps d'arriver à Raina, où le prophète Samuel lui donna un asile dans les demeures des prophètes à Nayoth. Saül ayant- eu connaissance de sa retraite, ne respecta point ces demeures de la paix et de la piété. A trois reprises il y envoya des messagers pour se faire livrer son adversaire, mais les paroles des prophètes et leurs chants divins étaient d'un effet tellement puissant que tous les messagers de Saül furent inspirés à leur tour et mêlèrent leurs accents à ceux des élèves de Samuel. Alors Saül se décida à partir lui-même pour Rama ; mais en s'approchant du séjour des prophètes, dont jadis, dans ses jours de jeunesse et d'innocence, il avait été un instant le condisciple, il ne put lui-même maîtriser son émotion, et arrivé à Nayoth, il se dépouilla de ses vêtements royaux, et participa, devant le vénérable Samuel, aux inspirations divines, restant déshabillé, et dans un état d'exaltation prophétique toute la journée et toute la nuit.

Cependant David avait quitté Nayoth. Il retourna à la résidence et alla trouver en secret son ami Jonathan, à qui il se plaignit de la conduite que Saül tenait à son égard. Jonathan refusa de croire que son père eût réellement l'intention de faire mourir David, mais il promit de le sonder à cet égard et de donner à David les avertissements nécessaires. Le lendemain était le jour de la nouvelle lune, et Saül avait coutume de donner, au commencement du mois, quelques repas auxquels devaient assister les grands de sa cour. Il fut convenu entre les deux amis que David ne se rendrait pas au repas et qu'on observerait l'effet que son absence produirait sur Saül, à qui on dirait qu'ii était allé à Bethlehem pour y assister à une fête de famille. David devait rester caché dans les environs de la ville, et après trois jours Jonathan lui apporterait la réponse. Celui-ci, accompagné d'un petit garçon, devait tirer quelques flèches, et ordonnant ensuite au garçon d'aller les ramasser, il devait lui adresser quelques paroles pour servir de signal. Jonathan disant au garçon : Les flèches sont en deçà, David saurait qu'il n'y avait rien à craindre pour lui ; mais s'il disait : Les flèches sont au delà ce serait un signe que David devait prendre la fuite. Les deux amis se séparèrent en protestant mutuellement de leur éternelle amitié.

Le premier jour de la lune, la place de David restant vide au repas, Saül n'y fit pas attention, croyant que quelque accident l'avait empêché de venir. Mais le second jour il demanda à Jonathan, pourquoi le fils d'Isaï était absent. Le prince lui ayant répondu que David lui avait demandé un congé pour aller assister à une fête de famille, Saül entra dans une grande fureur, appelant Jonathan un fils pervers qui, par son amitié pour David, se déshonorait lui-même ainsi que sa mère, et qui ne voyait pas qu'il aurait toujours dans lais d'Isaï un dangereux rival pour le trône. Fais-le chercher sur-le-champ, ajouta le roi irrité, car il doit mourir. — Mais, demanda Jonathan, qu'a-t-il donc fait pour mériter la mort ? Et, pour toute réponse, Saül dirigea sa lance contre son propre fils, qui se leva brusquement de table et sortit profondément affligé. Le lendemain il se rendit, avec son jeune serviteur, à l'endroit où David était caché, afin de lui donner le signal convenu. Après avoir prononcé ces paroles fatales : Les flèches sont au-delà de toi, il ordonna au garçon, qui ne savait rien de tout ce qui se à d'aller rapporter ses armes à la ville. David sortit aussitôt de sa retraite ; les deux amis s'embrassèrent en versant des larmes abondantes. Va en paix, dit Jonathan à David, et puisse l'amitié que nous nous sommes jurée au nom de Jéhova subsister éternellement entre nous et nos descendants.

David, ne voyant d'autre moyen de mettre sa vie en sûreté que de quitter le pays, résolut de chercher un refuge auprès d'Achis, roi de Gath. Chemin faisant il passa par la ville sacerdotale de Nob. Le grand prêtre Achimélech, fils d'Achitob[10], le voyant arriver seul, lui en demanda la raison ; David, répondit que le roi l'avait chargé d'une mission secrète et qu'il avait donné rendez-vous à ses gens dans un certain lieu. Il demanda au prêtre de lui donner quelques provisions pour continuer son voyage ; Achimélech n'ayant autre chose à sa disposition que les vieux pains de proposition de la semaine précédente, les livra à David, sur l'assurance que lui donna celui-ci que lui et ses gens se trouvaient en état de pureté. David demanda au prêtre s'il n'avait pas une lance ou une épée à lui donner, car, ajouta-t-il, l'ordre du roi était tellement pressant que je n'ai pas même eu le temps d'emporter mes armes. Le prêtre donna à David l'épée de Goliath qui avait été déposée dans le sanctuaire. David partit immédiatement pour Gath ; arrivé à la cour d'Achis, il entendit les gens du roi qui se disaient les uns aux autres : N'est-ce pas là ce David au sujet duquel on chantait : Saül a frappé ses milliers et David ses myriades ? David, se voyant reconnu et étant peu rassuré sur le sort qui l'attendait au milieu des compatriotes de Goliath, imagina de faire le fou, espérant ainsi échapper au danger qui le menaçait. En effet, il parvint bientôt, par ses actes de folie, à se faire chasser de la présence du roi Achis, et il quitta promptement le territoire de Gath, pour aller se cacher dans une caverne près d'Adullam, dans le bas pays de Juda. Là il fut rejoint par toute sa famille, qui avait été avertie du lieu de sa retraite, et qui probablement ne se croyait plus en sûreté à Bethlehem. Environ quatre cents mécontents vinrent s'assembler autour de lui, et il devint le chef de cette bande. Pour mettre sa famille en sûreté, il se rendit aussitôt dans le pays des Moabites, où il fut accueilli avec bonté par le roi, qui accorda à sa famille la permission de s'établir sur son territoire. David resta quelque temps à Mispé, lieu fortifié des Moabites. Sur le conseil du prophète Gad, qui probablement avait été envoyé auprès de lui par Samuel, David quitta le fort, pour retourner dans le pays de Juda, et il s'établit dans la forêt de Hareth.

Sur ces entrefaites, Saül avait eu connaissance de la fuite de David favorisée par son propre fils, et de la petite troupe qui était venue se grouper autour de lui. Il s'en plaignit un jour avec amertume aux gens de sa cour, qui, disait-il, s'étaient tous ligués contre lui, de sorte que pas un seul ne l'avait averti de ce qui se tramait entre son fils et David. Croyez-vous donc, leur dit-il, que le fils d'Isaï vous donnera à tous des biens et des places ? Un des assistants, l'Iduméen Doëg, intendant des bergers de Saül prit de parole : il raconta que, s'étant trouvé à Nob, il avait vu David se présenter au grand-prêtre Achimélech, qui, après avoir consulté l'oracle pour lui, lui avait donné des vivres et livré l'épée de Goliath. Le soupçonneux Saül, voyant dans Achimélech un complice de David, envoya aussitôt à Nob, pour se faire amener le grand-prêtre et toute la famille sacerdotale qui résidait dans cette ville. En vain Achimélech protesta de son innocence, disant qu'il n'avait vu en David que le gendre du roi et son fidèle serviteur, et qu'il n'avait eu aucune connaissance de sa fuite. Saül ne voulut entendre aucune excuse, et dans sa frénésie, il obstina de mettre à mort tous les prêtres de Nob. Personne ne voulut porter la main sur les prêtres de Jéhova, à l'exception du sanguinaire Doëg, qui seul se chargea de cette horrible exécution, et qui égorgea en un seul jour les quatre-vingt-cinq prêtres qui étaient venus de Nob. Non content de cette atroce vengeance, Saül fit saccager la ville de Nob ; tous less habitants, jusqu'aux femmes et aux enfants, furent passés au fil de l'épée. Un seul fils d'Achimélech, nommé Abiathar, put échapper au carnage ; il se rendit auprès de David, emportant avec lui l'Épod et le sort sacré. David, désespéré d'avoir été la cause d'un si immense malheur, promit à Abiathar de le protéger au risque de sa propre vie.

Ayant appris que les Philistins venaient de faire une irruption dans la ville de Kéila, où ils livraient au pillage, David, après avoir consulté le sort sacré, se mit en marche avec sa troupe, qui déjà comptait environ six cents hommes, et il parvint à repousser les ennemis avec une grande perte. Il voulut d'abord s'établir à Kéila qui était une place forte ; mais menacé d'un siège par Saül, et le sort sacré, interrogé par Abiathar, lui ayant fait craindre une trahison de la part des habitants, il s'éloigna de cette place et alla s'établir dans le désert de Ziph, où il occupait un bois situé sur la colline de Hachila. Là son noble ami Jonathan vint le trouver un jour pour lui porter des consolations. Ne crains rien, lui dit-il, le bras de mon père ne t'atteindra pas ; je sais, et mon père le sait aussi, que tu règnera un jour sur Israël. Moi, je serai ton Ministre. Pour la dernière fois les deux héros scellèrent leur amitié par de mutuels sentiments, et se séparèrent pâtir ne jamais se revoir. Bientôt après, les habitants de la contrée dévoilèrent à Saül le séjour de David ; celui-ci, ayant eu connaissance de cette trahison, se retira dans le désert de Maon. Saül, conduit les Ziphites, sût découvrir sa retraite ; déjà il le serrait de très-près, mais un messager lui apporta que les Philistins venaient de faire une invasion. Il fut donc obligé d'abandonner David, pour marcher immédiatement contre les ennemis du dehors.

Cependant la position de David était difficile ; il était obligé de mener une vie vagabonde dans des contrées inhospitalières, dont les habitants lui étaient hostiles ; et où sa troupe manquait souvent de tout ce qui est nécessaire à la vie. Un jour, poussé par le besoin, il résolut d'avoir recours à un certain Nabal, riche habitant de Maon, et dont les propriétés s'étendaient jusqu'à Carmel. Nabal se trouvait alors dans cette dernière ville où il était allé tondre ses troupeaux. David chargea dix de ses hommes d'aller le saluer de sa part et de lui représenter avec politesse que ses bergers et ses troupeaux avaient toujours été protégés par la troupe de David, qui, dans ce jour de fête et de joie, venait lui demander quelques vivres. Nabal, dont l'avarice et la méchanceté égalaient les richesses, repoussa les messagers de David avec insolence, joignant à son refus les plus grossiers outrages : Qui est donc David, dit-il, qui est le fils d'Isaï ? par le temps qui court, il y a beaucoup de serviteurs qui se détachent de leur maître. David, justement irrité d'une pareille réponse, n'écouta plus que sa colère ; il se mit aussitôt en marche, avec quatre cents hommes, pour exterminer Nabal et toute sa famille. Heureusement Abigaïl, femme de Nabal, avait été instruite à temps de ce qui se passait ; elle se rendit au-devant de David pour conjurer l'orage. Par les présents qu'elle lui apporta et encore plus par la sagesse et la douceur qu'elle sut mettre dans ses paroles, elle calma la colère de David, dont elle captiva toute la bienveillance. David rendit grâces à Dieu d'avoir été empêché par cette femme de s'abandonner à ses sentiments de vengeance. En rentrant, Abigaïl trouva son mari encore assis au festin et tellement ivre qu'elle ne put lui adresser la parole. Le lendemain elle lui raconta tout ce qui venait d'arriver ; Nabal fut saisi d'une telle frayeur qu'il en tomba malade et il mourut dix jours après. David demanda ensuite la main d'Abigaïl, qui consentit à être sa femme, quoiqu'il en eût déjà une autre, nommée Achinoam, fille de Yezreël. Quant à la princesse Michal, Saül, au mépris des lois et de la morale, l'avait donnée à un certain Palti, fils de Laïsch, de la ville de Gallim[11].

David s'était rendu au désert d'En-Gadi ; ce fut la que Saül, après avoir repoussé l'invasion des Philistins, vint le cerner avec trois mille hommes. Un jour le roi entra seul dans une caverne écartée de son camp et près de laquelle se trouva David avec ses gens, sans que Saül se doutât de leur présence. Les compagnons de David, croyant reconnaître dans cette rencontre la providence divine qui leur livrait leur ennemi sans défense, manifestèrent l'intention de le tuer ; mais David sut tenir ses gens en respect, repoussant avec horreur l'idée d'attenter à la vie de son maître, l'oint de Jéhova. Il se glissa seul dans la caverne, et, s'approchant doucement de Saül qui lui tournait le dos, il lui coupa le pan de son manteau. Saül étant parti sans s'être aperçu de rien, entendit quelqu'un appeler : Mon seigneur le roi ! Il se tourna et vit David à genoux. Pourquoi, demanda celui-ci, écoutes-tu les gens qui te disent : David désire ton malheur ? Voici, mon père, le pan de ton manteau que j'ai coupé ; tu reconnaîtras maintenant que je ne veux point te faire de mal. Cependant toi, tu en veux à ma vie ; que Dieu soit juge entre moi et toi. Saül fut touché jusqu'aux larmes. Est-ce bien ta voix, mon fils David ? dit-il en pleurant ; oui, tu es plus juste que moi, car tu m'as fait le bien, quoique je t'aie fait le Mal. Dieu t'en récompensera ; je sais que tu régneras sur Israël. Jure-moi maintenant que tu n'extermineras pas ma race, et que tu ne feras pas disparaître mon nom dans ma famille. David le jura, et le malheureux roi s'en alla reconduire sa troupe[12].

Dans ces temps le prophète Samuel mourut ; il fut enseveli à Rama, et tout lé peuple d'Israël porta lb Mill pour lui, comme il l'avait fait pour Moise. Son âge n'est pas connu ; selon Josèphe, il s'était trouvé seul, pendant douze ans, à la tête des Hébreux, et, pendant dix-huit ans, il avait gouverné en commun avec le roi Saül. David avait perdu en lui un puissant protecteur ; à la nouvelle de sa mort, il s'était retiré au delà des limites de la Palestine et était allé chercher un refuge dans le désert le Pharan. Fatigué de courir comme un vagabond, de désert en désert, de caverne en caverne, et craignant de nouvelles poursuites de la part de Saül, il se retira de nouveau, avec sa troupe, sur le territoire de Gath. Cette fois il fut mieux accueilli par Achis et les Philistins ; car il avait ouvertement rompu avec Saül et s'était fait connaître comme son adversaire. David fut reçu à Gath, où il s'établit avec tous ses gens ; mais l'inaction à laquelle ils étaient condamnés ne pouvait leur convenir à la longue. David demanda à Achis la permission d'aller se fixer dans l'une des villes de la campagne, et le roi lui assigna pour demeure la petite ville de Siclag. Ici de vaillants guerriers de toutes les contrées d'Israël vinrent se joindre à David, et on voyait même parmi eux beaucoup de Benjamites, parents de Saül. La bande de David, devenue plus nombreuse de jour en jour, forma bientôt une troupe très-considérable[13]. David entreprit des expéditions contre plusieurs peuplades établies entre la Palestine et l'Égypte, et notamment contre les Amalécites. Il les extermina en grande partie et ramena un immense butin. Quand Achis lui demandait de quel côté il dirigeait ses excursions, il disait toujours que c'était contre les habitants de la Judée méridionale. Il gagna ainsi la pleine confiance d'Achis, qui le croyait en guerre ouverte avec ses compatriotes, et qui déjà voyait en lui un fidèle vassal, qui serait d'un grand secours aux Philistins lors d'une nouvelle expédition contre Saül.

David passa ainsi seize mois dans le pays des Philistins. Ceux-ci armèrent de nouveau contre Saül, et cette fois il ne s'agissait plus d'une simple incursion dans le pays de Juda ; un plan de campagne mieux combiné devait conduire toute l'armée des Philistins jusque dans le cœur du pays des Hébreux et amener une bataille décisive. Parmi les habitants du midi, Saül ne comptait plus beaucoup de partisans, car là on était généralement attaché au culte et aux institutions théocratiques ; les prophètes et les prêtres y exerçaient une grande influence, et toute réconciliation entre Saül et ces représentants de la théocratie était devenue impossible, par l'horrible attentat de Nob et par la mort de Samuel. Tout le pouvoir de Saül résidait dans les provinces du nord, dont les habitants, moins zélés pour la religion, préféraient un roi belliqueux, assez fort pour les protéger contre de dangereux voisins, à un gouvernement qui n'aurait été que le fidèle gardien des institutions théocratiques. Ce fut là que les Philistins dirigèrent leurs attaques, espérant, sans doute, que vainqueurs de ce côté, il ne leur serait pas difficile de soumettre les provinces du midi, ou du moins d'y faire reconnaître David comme roi et d'avoir en lui un allié ou un vassal. Ils avancèrent sans obstacle jusqu'à Sunem, dans la plaine de Yezreël ; Saül rassembla son armée près du mont Gelboa. Le vieux roi, voyant toutes les forces des Philistins concentrées sur ce point, fut fort inquiet sur l'issue de la lutte. Alors il se rappela Jéhova et ses ministres qu'il avait outragés ; il aurait voulu voir à côté de lui un guide inspiré comme Samuel. En vain il consulta les prêtres et les prophètes ; l'Éphod avec l'oracle se trouvait au pouvoir de David, les disciples de Samuel n'eurent pas de réponse pour celui que Jéhova avait rejeté. En vain il attendait quelque vision nocturne, quelque songe qui pût soulever pour lui le voile de l'avenir, Dieu ne lui répondit pas même dans les songes (I Sam. 28, 6). On voit que ces qualités mêmes, qu'autrefois on avait tant appréciées en lui, son courage déterminé, son entraînement héroïque, avaient fait place à un sombre abattement, qui devait se communiquer à tout ce qui l'entourait, et qui était d'un triste augure. Dans son désespoir, le malheureux roi ne vit plus d'autre ressource que les arts occultes, que lui-même un jour, dans un moment de zèle religieux, avait proscrits avec une grande sévérité. Il s'informa s'il était possible de trouver dans les environs une personne capable d'interroger les morts ; on lui indiqua la pythonisse d'En-Dor, et, pendant la nuit, déguisé et accompagné seulement de deux hommes de sa suite, le roi alla trouver cette femme pour faire rappeler du pays des morts l'ombre du prophète Samuel. La femme, craignant de se voir trahie par ces inconnus, refusa d'abord ses services ; mais Saül la rassura par un serment. Qui ferai-je monter ? demanda la pythonisse. Fais monter Samuel, répondit le roi. Nous n'essayerons pas d'expliquer par quel art la femme sut fasciner les sens de Saül, ni ce qui se passa dans l'imagination du roi depuis le moment où la femme, poussant un grand cri, lui déclara qu'il était Saul lui-même, parce qu'elle avait vu, en son honneur, une ligure divine sortir de la terre, un vieillard revêtu d'un manteau, que Saül, sans le voir, reconnut pour être le prophète Samuel. Tout le monde connaît le sombre entretien rapporté dans la Bible, cette funèbre prophétie si pleine d'effroi et de désespoir. Pourquoi as-tu troublé mon repos ? demande l'ombre du prophète ; et le roi lui expose ses troubles et ses angoisses. Et le prophète, au lieu de le consoler, lui annonce la fin de son règne et sa mort prochaine : Demain, dit-il en terminant, toi et tes fils vous serez avec moi[14]. Saül, saisi de terreur, tomba évanoui par terre, et ce ne fut qu'avec peine que, sur les instances de la pythonisse et des hommes de sa suite, il consentit à prendre quelque nourriture. Il repartit la nuit même pour marcher une dernière fois, à la tête de ses troupes, à la rencontre des Philistins, qui étaient campés près d'Aphek, dans la plaine de Yezreël.

A la suite de l'armée des Philistins s'était trouvé David avec sa troupe, à qui le roi Achis avait confié la garde de sa personne. Déjà David s'était vu sur le 'point d'être forcé de combattre contre son prince et ses propres compatriotes ; heureusement les chefs des Philistins, craignant avec raison que David ne les trahît, exigèrent du roi Achis de le faire retirer. Achis l'avait donc renvoyé, en lui exprimant ses regrets et en rejetant cet outrage sur les princes des Philistins. Après trois jours de marche, David et ses gens revinrent à Siclag, qu'ils trouvèrent réduit en cendres. Pendant leur absence, une troupe d'Amalécites était tombée sur la ville, et, après y avoir mis le feu, avait emmené en captivité les femmes et les enfants ; les deux femmes de David furent du nombre. Le désespoir s'empara de toute la troupe ; on voulut s'en prendre à David, qui manqua d'être lapidé, et qui ne dut son salut qu'à ion courage et à sa présence d'esprit. Il demanda à Abiathar de consulter l'oracle, et la réponse fut qu'il fallait immédiatement poursuivre les brigands, qu'on les atteindrait et qu'on reprendrait tout ce qu'ils avaient enlevé. David se mit en marche avec six cents hommes ; au torrent de Besor, il fut obligé d'en laisser en arrière deux cents qui manquèrent de force et ne purent le suivre. Après avoir passé le Besor on trouva sur la route un Égyptien malade ; soigné et revenu à lui-même, cet homme raconta qu'il était esclave d'un Amalécite, et que, tombé malade, il avait été abandonné dans cet endroit par son maître, de sorte que, depuis trois jours, il n'avait point pris de nourriture. Sur la promesse que lui donna David de le rendre à la liberté, il offrit de le mettre sur les traces des brigands. Ceux-ci furent pris à l'improviste, lorsqu'ils célébraient leurs exploits par des festins joyeux. Les gens de David, quoique beaucoup moins nombreux, les taillèrent en pièces, à l'exception de quelques centaines qui purent s'enfuir sur leurs chameaux. On reprit tout ce qu'ils avaient enlevé, et on fit en outre un très-grand butin. Revenu au torrent de Besor ; David, malgré l'opposition de plusieurs mutins, ordonna qu'on fit part des dépouilles aux deux cents hommes qui n'avaient pu suivre la troupe, et il décréta à cette occasion que dorénavant les soldats qui auraient pris part au combat partageraient le butin avec ceux qui seraient restés auprès des bagages. Arrivé à Siclag, David envoya une partie des dépouilles, comme cadeau, aux Anciens, de plusieurs contrées de la Palestine méridionale, qui l'avaient protégé dans ses courses vagabondes.

Pendant ce temps le malheureux Saül finit sa destinée sur la montagne de Gelboa. La lutte fut sanglante, et l'armée des Hébreux fut mise en déroute. Déjà les ennemis entouraient Saül et ses fils ; les trois princes, Jonathan, Abinadab et Malchisoua, trouvèrent, en combattant, une mort glorieuse. Le roi assailli de tous côtés par les archers ennemis, et empêché par ses blessures de continuer le combat, supplia son écuyer de le percer de son épée, afin qu'il ne reçût pas la mort de la main des incirconcis. L'écuyer n'ayant pas le courage de suivre cet ordre cruel, Saül se laissa tomber sur la pointe de son épée et se donna la mort ; son écuyer suivit son exemple. Telle fut la fin tragique de Saül, qui, de simple laboureur, devenu roi par les avantages extérieurs de sa personne, ne comprit nullement la mission d'un roi d'Israël. Modeste et généreux d'abord, le pouvoir fit de lui un despote et un tyran. Mais il fut d'un courage et d'un patriotisme à toute épreuve, et il sut communiquer ses qualités de guerrier aux Hébreux et en faire un peuple belliqueux. Selon Josèphe son règne avait duré quarante ans[15].

Par suite de la déroute de l'armée, les villes situées dans la plaine de Yezreël furent abandonnées de leurs habitants, et les Philistins en prirent possession. Les corps de Saül et de ses trois fils furent trouvés par des soldats philistins, qui parcoururent le champ de bataillé pour dépouiller les morts. La tête de Saül, ainsi que ses armes, furent envoyées, comme trophées, dans le pays des Philistins ; on suspendit le crâne du roi dans le temple de Dagôn (I Chron. 10, 10), et ses armes dans celui d'Astarté. Les quatre corps furent attachés sur le mur de Bethseân ; ce fut là probablement que s'arrêta la marche victorieuse des Philistins. Quand ces tristes nouvelles arrivèrent à Jabès Galaad, des hommes courageux de cette ville, que Saül jadis avait secourue contre les Ammonites, passèrent à Bethseân et dérobèrent, pendant la nuit, les corps du roi et des princes, qu'ils rapportèrent à Jabès où on les brûla. Les ossements y furent ensevelis, et les habitants célébrèrent des funérailles et jeûnèrent sept jours.

David était revenu, depuis deux jours, à Siclag, lorsqu'un Amalécite, qui s'était trouve sur le champ de bataille, vint lui apporter la nouvelle du grand désastre de l'armée des Hébreux et de la mort de Saül et de Jonathan. Il prétendit s'être trouvé par hasard au mont Gelboa, au moment où le roi, appuyé contre sa lance, essaya de se tuer, et qu'il, avait lui-même donné la mort au roi, qui l'avait prié de lui rendre ce dernier service. En effet cet Amalécite qui espérait, par son mensonge, obtenir une récompense de David, lui présenta la couronne et le bracelet de Saül, que probablement il avait dépouillé sur le champ de bataille. David et tous ses gens déchirèrent leurs vêtements en pleurant ; ils jeûnèrent jusqu'au soir et prirent le deuil pour Saül et Jonathan, et pour tous les braves qui avaient péri dans cette guerre. Quant à l'Amalécite, David, au lieu de le récompenser ordonna sur-le-champ de le mettre à mort, parce qu'il s'était accusé lui-même d'avoir tué l'Oint de Jéhova.

La mort tragique de Saül fit oublier à David toutes les souffrances que lui avait fait subir ce malheureux monarque. Son juste ressentiment, que déjà mainte fois il avait exprimé avec amertume dans ses prières et ses chants[16], fit, place à des regrets sincères, et il confondit, dans la même douleur le père qui l'avait si cruellement persécuté et le noble fils qui lui avait voué la plus généreuse amitié. Il exhala sa douleur dans une touchante élégie ; nous en possédons encore un fragment[17], dont voici la traduction fidèle :

Délice d'Israël, frappé, sur tes hauteurs ! comment sont tombés les héros ?

Ne le dites pas dans Gath, ne l'annoncez pas dans les rues d'Ascalon, afin que les filles des Philistins ne, s'en réjouissent pas ; que les filles des incirconcis ne fassent pas éclater leur joie.

Montagnes de Gelboa ! que ni la rosée ni la pluie ne descendent sur vous, que vos champs ne produisent plus de riches prémices ; car là fut rejeté le bouclier des héros, le bouclier de Saül, qui n'est plus arrosé d'huile.

L'arc de Jonathan ne rebondit jamais, le glaive de Saül ne revint jamais vide du sang des blessés, de la graisse des héros.

Saül et Jonathan, si aimables, si beaux dans leur vie, inséparables même dans la mort ; plus rapides que les aigles, plus forts que les lions !

Filles d'Israël, pleurez sur Saül, qui vous couvrait de pourpre et d'étoffes délicieuses, qui ornait d'or vos vêtements.

Comme les héros sont tombés dans la guerre ! Jonathan, frappé sur tes hauteurs !

La douleur m'oppresse pour toi, mon frère Jonathan, car tu m'étais si cher ; ton amour, je le mettais bien au-dessus de l'amour des femmes.

Comment sont tombés les héros, comment ont péri les armes de la guerre !

Quelle que soit l'incertitude des dates pour les époques précédentes, la plupart des chronologistes s'accordent à placer la fin du règne de Saül dans l'année 1055 avant l'ère chrétienne, c'est-à-dire environ cinq siècles et demi après la sortie d'Égypte, que nous avons fait remonter vers l'an seize cents avant J. C. Nous le répétons, les dates précédentes sont très-peu sûres, et, malgré les minutieuses recherches auxquelles se sont livrés plusieurs savants, on n'est pas parvenu à débrouiller la chronologie obscure de ces temps reculés. Mais en fixant l'an 1055 comme celle de la mort de Saül, on a une base à peu près sûre pour la chronologie des temps suivants.

 

2. Règne d'Isboseth, guerre civile. Règne de David.

(de 1055 à 1015).

Après la fatale journée de Gelboa, les Philistins restèrent maîtres d'une grande partie du pays des Hébreux, à l'ouest du Jourdain. Abner s'était retiré, avec les débris de l'armée, au delà du fleuve, et ce fut à Mahnaïm qu'il proclama roi de tout Israël, Isboseth, fils de Saül, alors âgé de quarante ans (II Sam. 2, 8-10). Cependant, l'occupation des Philistins ne put durer que peu de temps ; car bientôt nous verrons Abner repasser le Jourdain, pour soumettre la tribu de Juda, qui, seule, refusa de reconnaître Isboseth. Il paraîtrait que les Philistins, détrompés sur le compte de David, dans lequel ils avaient espéré trouver un allié, et voyant l'attitude belliqueuse que prit ce chef de parti, crurent devoir se retirer, pour protéger leurs propres frontières.

Quant à David, après avoir interrogé le sort sacré, il quitta Siclag, pour se rendre à Hébron, où il fut sacré roi par la tribu de Juda. Son premier acte fut d'envoyer complimenter les habitants de Jabès sur la générosité et le courage qu'ils avaient manifestés en rendant les derniers devoirs à Saül et à ses fils. Il leur annonça, en même temps, son avènement, et leur promit sa protection. Peut-être espérait-il ainsi se créer des partisans à l'est du Jourdain. Isboseth était un homme faible et peu propre à gouverner ; d'une humeur peu guerrière, il ne s'était pas signalé, dans les combats de son père. Mais David trouva un rude adversaire dans Abner, qui, laissant à Mahnaïm le faible Isboseth, sa créature, passa le Jourdain avec les troupes fidèles au nouveau roi, et pénétra jusqu'à Gabaon. Là il fut rencontré par la troupe de David, commandée par Joab, fils de Serouya (sœur de David) ; les deux frères de Joab, Abisaï et Asaël s'y trouvaient aussi. Un étang séparait les deux camps ; Abner proposa à Joab de choisir un certain nombre de guerriers de part et d'autre, pour se mesurer. dans un combat singulier. On en fit sortir douze de chaque troupe, et ils s'attaquèrent avec une impétuosité telle que tous les vingt-quatre restèrent morts sur le champ de bataille. Alors la mêlée devint générale ; la troupe d'Abner fut mise en déroute. Asad aux pieds légers, comme une gazelle dans les champs (II Sam. 2, 18), se mit à la poursuite d'Abner ; celui-ci le menaça en vain de l'étendre par terre. Harcelé sans relâche, Abner se tourne enfin contre son adversaire et le perce de sa lance. Joab et Abisaï continuèrent à poursuivre l'ennemi jusqu'au soir. Abner, fortifié par les Benjamites, qui s'étaient assemblés autour de lui, exhorta Joab à cesser de répandre le sang de ses frères, et offrit de se retirer. Joab y consentit, et Abner, repassant le Jourdain, revint à Mahnaïm, après avoir perdu trois cent soixante hommes dans cette tentative infructueuse. La troupe de David n'avait perdu que dix-neuf hommes, sans compter Asaël ; Joab se retira la même nuit, et, le lendemain matin, il fut de retour à Hébron. Asaël fut enterré dans le tombeau de sa famille, à Bethléhem.

Cette affaire n'avait rien changé dans la position des deux rois, qui restèrent en état de guerre ; des rencontres sanglantes eurent lieu, sans doute, entre leurs partisans, mais on ne nous parle d'aucun combat décisif. Cependant, le parti de David, plein de courage et de vigueur, devint plus fort de jour en jour, tandis qu'Isboseth était incapable d'inspirer le courage à ses partisans, qui allaient toujours diminuant. Reconnu par onze tribus et possédant, dans Abner, un général habile et influent, Isboseth put longtemps tenir en échec son adversaire, qui n'était appuyé que par la seule tribu de Juda ; mais il lui fut impossible de le soumettre.

Les années se passèrent ainsi dans une lutte dont on ne, pouvait prévoir l'issue ; enfin, une querelle qui éclata entre Isboseth et Abner vint mettre toutes les chances du côté de David. Isboseth reprocha à son général d'avoir eu des liaisons avec une concubine de Saül, nominée Rispah ; Abner fut tellement irrité de ce reproche, qu'il jura sur-le-champ d'abandonner à son sort son maitre ingrat, et d'embrasser la cause de David. Aussitôt, il expédia un message à Hébron, pour faire connaître ses intentions au roi de Juda. David consentit à recevoir Abner, à Hébron, sous la condition qu'il lui ramenât sa femme, la princesse Michal, que Saül lui avait si injustement enlevée pour la donner à Palti. Il en fit, en même temps, la demande à Isboseth lui-même, qui, pour contenter David, consentit à arracher sa sœur à son second mari, qui s'en sépara en pleurant. La restitution de Michal devint probablement le prétexte du départ d'Abner pour Hébron. Chemin faisant, Abner chercha partout à gagner les Anciens à la cause de David, leur montrant que David seul pouvait protéger la nation contre les attaques des Philistins et d'autres ennemis. Arrivé à Hébron, avec une suite de vingt hommes, Abner fut très-bien reçu par David, qui lui donna un festin. Il lui réitéra ses offres, qui furent agréées. Lorsque Joab, qui était alors absent pour une expédition, revint à Hébron, chargé de butin, Abner venait de partir. Ayant appris ce qui s'était passé, Joab en fit des reproches au roi, soutenant que le voyage d'Abner n'avait eu d'autre but que d'épier les démarches de David. Mais, au fond, les paroles de Joab étaient dictées par la jalousie et par un profond ressentiment ; car le sang d'Asaël n'était pas encore vengé. Joab, d'accord avec son frère Abisaï, a à l'insu de David, fit ramener Abner, qui n'avait pas encore fait beaucoup de chemin ; il l'attendit à la porte d Hébron, et, sous prétexte de lui parler en confidence, il le tira à part et l'assassina traîtreusement. David, au désespoir, prononça contre Joab une terrible imprécation, mais n'osa le punir ; car les fils de Serouya étaient devenus très-puissants (II Sam. 3, 39). Mais il témoigna sa vive douleur, en ordonnant un deuil général dans Hébron ; on y célébra les funérailles d'Abner et le roi suivit lui-même le cercueil, en versant des larmes. Sur sa tombe il prononça ces paroles :

Abner devait-il mourir comme un lâche ? Tes mains n'étaient point liées, tes pieds n'étaient point entrés dans les chaînes ; tu es tombé, comme on tombe devant des gens criminels[18].

David ne voulut prendre aucune nourriture ce jour-là avant le coucher du soleil. Sa douleur sincère fit taire les soupçons qui s'étaient répandus sur sa complicité dans l'assassinat d'Abner.

La mort de ce brave général répandit le trouble dans tout Israël, et Isboseth perdit tout espoir de se maintenir sur le trône. Ce malheureux roi tomba bientôt lui-même sous les coups de lâches assassins. Deux frères, officiers au service d'Isboseth, Réchab et Baana, fils de Rimmôn, de la ville de Beëroth, s'introduisirent, sous le déguisement de marchands de blé, dans l'intérieur de la maison royale, et assassinèrent le roi, en plein jour, pendant qu'il faisait sa sieste. Ils lui coupèrent la tête, et s'enfuirent à Hébron pour la présenter à David, espérant obtenir une grande récompense. Mais David ordonna sur-le-champ de les mettre à mort ; on leur coupa les mains et les pieds, gui furent exposés dans Hébron. La tête d'Isboseth fut déposée dans le tombeau d'Abner.

Il ne restait plus d'autre héritier légitime de la couronne de Saül qu'un fils de Jonathan, âgé de douze à treize ans, qui s'appelait Méphiboseth. Cet enfant était boiteux ; car, après la bataille de Gelboa, sa gouvernante, se hâtant de fuir, l'avait laissé tomber, et il s'était cassé les jambes. Il vivait ignoré chez un certain Machir à Lodebar, non loin de Mahnaïm[19], et personne ne pensa à le tirer de son obscurité pour l'élever sur le trône. David n'ayant donc plus d'autre concurrent, les représentants de toutes les tribus se rendirent spontanément à Hébron, pour lui offrir la couronne. Il fut sacré en présence des Anciens, après avoir pris devant Dieu l'engagement solennel d'observer fidèlement les conditions convenues de part et d'autre. David était alors dans sa trente-huitième année, et il avait déjà régné sept ans et six mois sur la tribu de Juda[20]. Le couronnement fut célébré par des fêtes durant trois jours ; de toutes les parties du pays, et même des contrées lointaines de Zabulon et de Naphtali, on avait apporté des vivres en abondance pour l'immense multitude qui se trouvait réunie à Hébron[21].

Le premier acte de David, devenu roi de tout Israël, fut la conquête de la haute ville de Jérusalem, ou du fort de Sion, qui, situé au centre du pays et sur le point le plus élevé, lui paraissait l'endroit le plus convenable pour y fixer sa résidence, mais qui se trouvait toujours au pouvoir des Jébusites. David avait fait proclamer que celui qui, le premier, entrerait dans le fort serait nommé général en chef de toute l'armée ; ce fut Joab qui gagna ce prix. Les Jébusites furent expulsés et David s'établit dans le fort de Sion, qui reçut le nom de ville de David. La ville de Jérusalem s'agrandit considérablement depuis cette conquête et devint la capitale de tout le royaume.

Le grand nombre de héros qui entouraient David dès le commencement de son règne, et qui, pour la plupart, l'avaient accompagné dans ses courses vagabondes, faisaient bien augurer de ses entreprises guerrières. L'histoire nous a conservé surtout la mémoire d'une trentaine de ces héros, dont quelques-uns avaient fait des prodiges de valeur. Les plus célèbres étaient Iaschobam fils de Hacmoni ; Éléazar fils de Dodo, et Samma, fils d'Aghé. Dans une guerre contre les Philistins, David, ayant témoigné le désir de boire de l'eau du puits de Bethléhem, ces trois héros se frayèrent un chemin à travers le camp ennemi, et puisèrent de l'eau pour leur maître ; mais David refusa de boire cette eau, à laquelle, disait-il, ces hommes avaient mis leur sang, et il la versa par terre. Après ces trois guerriers, on remarque encore Abisaï, frère de Joab, et Bénaïah, fils de Iehoiada[22].

La cour de David se fit remarquer aussi, dès son origine, par un certain luxe, qui contraste avec la simplicité de la cour de Saül. David se fit construire un magnifique palais, pour lequel Hiram, roi de Tyr, lui envoya du bois de cèdre du Liban, ainsi que les ouvriers et les artistes nécessaires. Sous le rapport des femmes, il imita le luxe des souverains d'Orient. Déjà, à Hébron, le nombre de ses femmes légitimes, sans compter Michal, se monta à six, dont l'une était la fille de Thalmaï, roi de Gessur (en Syrie). Chacune d'elles lui avait donné un fils (II Sam. 3, 2-9-5) ; Michal n'eut jamais d'enfant. Arrivé à Jérusalem, David augmenta le nombre de ses femmes, et se fit un harem (ib. 5, 13). Ce fut là une première infraction à la loi de Moïse ; mais nous verrons le roi, entraîné par l'amour des femmes, commettre des fautes bien plus graves encore.

A part cette faiblesse, David se montra disposé à être fidèle vassal de Jéhova, dans le sens de Samuel. Deux prophètes, probablement disciples de Samuel, furent ses amis et se conseillers intimes : l'un fut Gad, que nous avons déjà rencontré auprès de David dans le pays de Moab, et qui reçut le titre de Voyant ou prophète de David (II Sam. 24, 11), c'est-à-dire, de conseiller intime du roi. L'autre fut Nathan, probablement plus jeune que Gad ; car nous le rencontrerons plus longtemps dans l'histoire de David, et encore plus tard, sous son successeur. Ces deux hommes se distinguèrent par leur noble caractère et par la franchise avec laquelle ils reprochèrent au roi lés fautes de sa vie privée et publique, comme on le verra dans la suite ; et le roi les écoutait toujours avec déférence.

Les premières années du nouveau règne se passèrent en guerres avec les peuples voisins. En première ligne nous trouvons les Philistins, qui reprirent les armes aussitôt que David établi à Jérusalem avait à défendre contre eux les intérêts de tous les Hébreux. Ils marchèrent sur la nouvelle résidence, mais ils furent battus dans la vallée de Rephaïm ; et bientôt, revenus une seconde fois à la charge, ils furent refoulés jusqu'à Geler, de sorte que le haut pays en fut entièrement délivré. Plus tard, David les attaqua avec succès sur leur propre terrain ; il les vainquit à plusieurs reprises, et leur enleva même le territoire de Gath[23].

Ce fut pendant ses guerres avec les Philistins que David lit les premiers pas pour le rétablissement et l'amélioration du culte, dont Jérusalem allait devenir le centre. Accompagné de nombreux représentants de toutes les tribus, le roi se rendit lui-même à Kiryath-Yaarirn, pour retirer l'arche sainte de la maison d'Abinadab, où elle était demeurée depuis qu'elle avait été renvoyée par les Philistins. Il restait encore deux fils d'Abinadab, Oza et Achio, qui se chargèrent eux-mêmes de conduire à Jérusalem l'arche sainte, placée sur un chariot neuf. On se mit en marche au son joyeux de nombreux instruments ; mais en chemin un accident déplorable, vint subitement interrompre la joie. Les bœufs avaient regimbé et Oza ayant saisi l'arche, pour l'empêcher de tomber, fut renversé subitement et mourut sur-le-champ. On vit, dans cette mort extraordinaire, un châtiment de Dieu, Oza ayant porté sur l'arche une main profane. David lui-même en fut saisi à tel point, qu'il renonça, pour le moment, à faire entrer l'arche dans Jérusalem et la fit déposer dans la maison d'un certain Obed-Edom. Ce ne fut qu'après trois mois, lorsqu'on parla partout du bonheur qui était entré, avec l'arche sainte, dans la maison d'Obed-Edom, que David ordonna la translation de l'arche à Sion, où on avait dressé une tente pour la recevoir. Des lévites la transportèrent en procession, au son des trompettes et aux acclamations de la foule. David lui-même, vêtu d'un éphod de lin dansait devant l'arche. Un sacrifice solennel termina cette fête, et on distribua des vivres au peuple qui y assista en foule. Après la cérémonie, Michal reprocha avec ironie à David le peu de dignité qu'il avait montré dans cette fête en dansant au milieu du bas peuple ; mais David lui répondit avec amertume qu'en s'humiliant devant Dieu, qui l'avait préféré à Saül, il n'en pouvait être que plus honoré aux yeux du peuple.

David se proposa dès lors de bâtir un temple à Jéhova, en place du Tabernacle, qui était alors établi à Gabaon, sur une hauteur. Il en parla un jour au prophète Nathan, qui approuva d'abord ce projet ; mais, dès le lendemain, il vint annoncer au roi que Dieu, qui l'avait inspiré pendant la nuit, n'approuvait pas pour le moment la fondation d'un sanctuaire central, et que cette tâche était réservée à son successeur. Le prophète pensait peut-être que le peuple étant épuisé déjà par tant de guerres et ayant encore de nombreux ennemis à combattre, il ne convenait pas de le soumettre aux sacrifices et aux corvées que la construction d'un temple magnifique lui aurait nécessairement imposées[24].

Les Philistins vaincus, David dirigea ses armes victorieuses contre plusieurs autres peuples des alentours. Les Moabites furent rendus tributaires, et les deux tiers des prisonniers qu'on avait faits sur eux furent froidement assassinés, selon l'inexorable loi de guerre de ces temps. Hadadézer[25], roi de Soba, ayant voulu s'emparer des bords de l'Euphrate, David marcha contre lui ; un grand nombre de chevaux et de chariots de guerre et vingt mille hommes d'infanterie tombèrent au pouvoir des Hébreux. N'ayant pas de cavalerie, David mit les chevaux hors de service, en leur faisant couper les jarrets, et n'en réserva que cent attelages. Dans le butin il y avait des boucliers en or ; quelques villes, occupées par les Hébreux, fournirent du cuivre en abondance. David défit également les Syriens de Damas, qui étaient venus au secours d'Hadadézer ; il les obligea de payer un tribut et plaça des postes militaires dans leurs villes. Thoï, roi de Hamath, enchanté de la défaite d'Hadadézer, avec lequel il avait toujours été 'en guerre, envoya son fils pour complimenter David et lui présenter de riches cadeaux. Dans le midi, l'Idumée fut complètement soumise par Abisaï, sous les ordres de son frère Joab, et elle fut occupée militairement. Le roi d'Édom avait péri probablement dans le combat ou après sa défaite ; car quelques serviteurs fidèles s'enfuirent en Égypte avec le jeune prince royal (I Rois, 11, 17)

Ces victoires firent de David un roi très-puissant ; nous le voyons dès lors s'entourer d'une garde royale et de plusieurs grands dignitaires, qui formaient sa cour. Tels furent Joab, chef de l'armée ; Josaphat fils d'Achilud, le Mazkir (chancelier ou historiographe) ; Sadok, fils d'Achitob (de la ligne d'Éléazar), et Abiathar, fils d'Achimélech[26], prêtres de la cour ; Seraïah, secrétaire d'État ; enfin Benaïah, fils de Iehoiada, commandant de la garde royale. Cette garde se composait de deux corps appelés Créthi et Pléthi[27]. Les fils de David portaient le titre honorifique de cohen (prêtre, ministre), étant les premiers en dignité après le roi (I Chron. 18, 17)[28].

Dans sa prospérité, David n'oublia pas la famille du malheureux Saül et l'amitié qu'il avait jurée à Jonathan. Ayant appris par un ancien serviteur de Saül, nommé Siba, l'existence de Méphiboseth, fils de Jonathan, il le fit venir de Lodebar pour lui rendre tous ses biens patrimoniaux. Siba et sa famille furent chargés du service de la maison de Méphiboseth. Celui-ci s'établit à Jérusalem, et le roi voulut le voir toujours à sa table au milieu des princes. Méphiboseth avait déjà un jeune fils nommé Micha, ce qui prouve que les guerres de David, dont nous venons de parler, avaient duré un certain nombre d'années ; car, lorsque David fut proclamé roi de tout Israël, Méphiboseth n'était encore que dans sa treizième année.

David paraissait alors devoir jouir du fruit de ses victoires et consacrer les temps de paix au développement de la civilisation et de la prospérité intérieures et à l'organisation du culte, qu'il avait en vue. Tous les rois voisins étaient ou ses vassaux ou ses alliés. Parmi ces derniers se trouvait le vieux Nahas, roi des Ammonites, l'ancien adversaire de Saül, qui, à ce qu'il paraît, avait rendu à David des services importants (II Sam. 10, 2). La mort de ce roi vint subitement ; troubler la paix qui régnait en Palestine. Nous avons déjà dit comment Milon, fils de Nahas, insulta les ambassadeurs qui vinrent, de la part de David, lui apporter des compliments de condoléance, croyant Voir des espions dans les envoyés du roi hébreu. David résolut de tirer vengeance des Ammonites. L'imprudent Hanon, qui n'avait pas à sa disposition des forces assez considérables pour lutter contre David, prit à sa solde les troupes d'Hadadézer et des autres rois de la Syrie, qui, humiliés eux-mêmes par David, voulurent profiter de cette occasion pour secouer le joug des Hébreux. Les Syriens vinrent camper en face de Médaba (I Chron. 19, 7), au midi de Rabbath-Ammon. Les Ammonites se concentrèrent devant cette dernière ville, leur capitale. David y envoya ses meilleures troupes commandées par Joab. Ce général, voyant les ennemis campés sur deux points différents, marcha lui-même, avec un corps d'élite, contre les Syriens, et envoya son frère Abisaï, avec le reste des troupes, attaquer les Ammonites. Les deux frères convinrent d'accourir, s'il était nécessaire, au secours l'un de l'autre. Les Syriens furent promptement mis en fuite par Joab. Les Ammonites voyant la déroute de leurs alliés, se retirèrent dans leur capitale. Pour le moment Joab ne poussa pas plus loin ses attaques et revint à Jérusalem. Mais Hadadézer avait envoyé chercher des renforts de l'autre côté de l'Euphrate ; ces troupes, conduites par Sobach, général d'Hadadézer, s'avancèrent jusqu'à Hélam, ville dont la position géographique n'est pas connue, mais qui était située probablement en deçà de l'Euphrate, sur les limites S. E. de la Syrie. Cette fois David passa lui-même le Jourdain et marcha contre l'ennemi. Les Syriens furent totalement battus et leur général resta mort sur le champ de bataille. Ils renoncèrent depuis lors à secourir les Ammonites et conclurent avec David une paix humiliante, qui les rendit tributaires des Hébreux.

Au renouvellement de la saison des campagnes, David envoya Joab, avec une armée, faire la guerre aux Ammonites. On mit le siège devant la capitale, après avoir dévasté le pays à l'entour. La résistance des assiégés fut longue et opiniâtre, et mainte fois les Hébreux souffrirent des vigoureuses sorties que firent les Ammonites (II Sam. 11, 17). Enfin Joab s'empara de la ville des Eaux (ib. 12, 27), c'est-à-dire de la basse ville, située sur les deux bords d'une petite rivière qui tombe dans le Yabbok[29]. Il fit annoncer à David qu'il était sur le point de se rendre maître de Rabbah, et il engagea le roi à venir lui-même, avec des renforts, pour achever la conquête et pour en recueillir la gloire. David arriva aussitôt, et s'étant emparé de Rabbah, il enleva au roi des Ammonites sa couronne d'or massif, ornée de pierres précieuses, et se la posa sur la tête. On fit un immense butin, et les vaincus furent livrés à des supplices d'une cruauté barbare, mais bien méritée par ce peuple, qui n'avait voulu accorder la paix aux habitants de Jabès que sous la condition de leur crever a chacun un œil, et qui, dans les pays conquis, fendait le ventre aux femmes enceintes (Amos, 1, 13). David les fit scier en deux, broyer sous des machines de fer, etc. C'est en vain que quelques auteurs, faisant violence au texte[30], ont essayé de présenter le procédé de David envers les Ammonites sous une face qui répugne moins à nos mœurs. Ce procédé s'explique suffisamment par les mœurs barbares de l'époque, par la cruauté bien connue des Ammonites et par l'insulte grave qu'ils avaient faite à David[31]. Les scènes de Rabbah se renouvelèrent dans les autres villes des Ammonites, et, après avoir exercé cette terrible vengeance, David retourna à Jérusalem avec ses troupes.

Ce fut pendant le long siège de Rab-bah que David, resté à Jérusalem, se rendit coupable d'un double crime, dont il, reconnut lui-même toute l'atrocité et qu'il expia plus tard par la pénitence et par de nombreux chagrins domestiques. Se promenant un jour, vers le soir, sur la plate-forme de son palais, il remarqua dans le voisinage une femme qui se baignait et qui était fort belle. Il s'informa qui elle était, et on lui dit que c'était Bathséba, femme d'Uria, qui, Héthite d'origine, servait comme officier dans l'armée de David. Le roi, profitant de l'absence de son mari, qui était au siège de Rabbah, fit venir Bathséba chez lui et eut avec elle des liaisons adultères. Quelque temps après, cette femme devenue enceinte en fit prévenir le roi, qui, voulant cacher son crime, donna ordre à Joab de lui envoyer Uria, sous prétexte de s'informer de l'état de l'armée et des opérations militaires. Uria revint, en effet, à Jérusalem, et David, après l'avoir interrogé, l'engagea à rentrer chez lui. Uria se retira de chez le roi, accompagné d'un riche présent ; mais ce brave guerrier, ne voulant pas jouir des douceurs de la vie domestique, pendant, disait-il, que l'arche sainte, tout Israël et Juda, et Joab avec ses serviteurs demeuraient en plein champ sous des tentes, refusa de rentrer chez sa femme, et se coucha, avec les autres serviteurs, dans les antichambres du palais. Le lendemain, David, l'ayant invité à sa table, tâcha de l'enivrer, mais il ne réussit pas à le faire rentrer chez lui. Se voyant alors dans l'impossibilité

de couvrir son commerce criminel avec Bathséba, le roi eut la fatale idée de se mettre à l'abri par un crime bien plus grand encore. En renvoyant Uria à Rabbah, il lui remit une lettre pour Joab, dans laquelle il ordonna à ce général de placer Uria à la tête d'un détachement, à l'endroit où le péril serait le plus grand, et de l'abandonner au plus fort de la mêlée. A la première sortie, que firent les Ammonites, Joab, fidele aux ordres du roi, exposa le malheureux Uria, qui périt dans le combat. David, averti de sa mort, n'attendit que la fin du deuil de Bathséba, pour couronner, par un mariage que la loi réprouvait, son double crime d'adultère et de meurtre. Quelque temps après, Bathséba lui donna un fils, fruit de leurs liaisons criminelles.

Le prophète Nathan ne put voir avec indifférence la conduite atroce de David : il connaissait les sentiments du roi, il savait que sa faute, quelque grave qu'elle fût, n'était que l'œuvre d'un moment de faiblesse, et qu'elle n'était pas émanée d'un cœur corrompu. Sachant le roi accessible au repentir, mais craignant de l'irriter par des reproches directs, il sut employer en même temps la franchise et la prudence ; et, par un ingénieux apologue, qu'il raconta au roi, il sut l'amener à prononcer lui-même son jugement : Deux hommes, dit le sage prophète, vivaient dans la même ville, l'un riche et l'autre pauvre ; le riche possédait des troupeaux nombreux, mais le pauvre n'avait qu'une petite brebis, qu'il avait achetée, qu'il élevait, qui grandissait près de lui et de ses enfants, qui mangeait de son pain, buvait dans sa coupe, dormait dans son sein, et qu'il tenait comme sa fille. Un voyageur étant venu chez l'homme riche, celui-ci, épargnant ses troupeaux, prit la brebis du pauvre et l'apprêta pour son hôte.....  A ces mots David fort en colère, Par le Dieu vivant, s'écria-t-il, l'homme qui a fait cela mérite la mort, et la brebis sera payée au quadruple !Eh bien, répliqua Nathan, tu es toi-même cet homme riche ! Et, dans un chaleureux discours, il lui reprocha son crime énorme et le menaça du châtiment céleste. Mais bientôt voyant le roi anéanti et ne pouvant proférer que ces mots : j'ai péché contre Jéhova, le prophète adoucit sa sévérité et annonça au roi le pardon de ce Dieu qu'il avait offensé, mais qui accueillait favorablement son sincère repentir. Nous possédons encore la belle prière que David prononça dans cette occasion, et ou, après avoir confessé son péché, il demanda à Dieu de ne pas le rejeter, de ne pas lui retirer ses saintes inspirations et de lui donner un cœur pur et humble, qui est le meilleur sacrifice que l'homme puisse offrir à la Divinité[32].

L'enfant de Bathséba tomba bientôt malade, et David, qui le chérissait beaucoup, ne cessait de jeûner et de prier pour sa guérison. Après sept jours l'enfant mourut ; la résignation que David montra dans cette occasion étonna les gens de sa cour, qui avaient été témoins de sa douleur pendant la maladie de l'enfant. Hélas ! dit le roi, pourrais-je, en jeûnant, le faire revenir ? J'irai le rejoindre un jour, mais lui il ne reviendra plus. Bathséba lui donna ensuite un autre fils qu'il appela Schelomo, ou Salomon ; il en confia l'éducation au prophète Nathan[33], qui lui donna le surnom de Yedidyah (aimé de Dieu).

Après sa victoire sur les Ammonites, David n'eut plus d'autres luttes à soutenir avec ses voisins, à l'exception de plusieurs rencontres avec les Philistins, qui, de temps à autre, firent des incursions sur différents points. mais qui furent toujours repoussés. Dans l'une de ces rencontres David manqua de perdre la vie ; mais Abisaï vint à son secours et tua son agresseur. Dès ce moment, ses gens l'adjurèrent de ne plus prendre part aux combats et de ne pas exposer une vie qui était la lumière d'Israël (II Sam. 1, 17).

Mais David ne put jouir du succès de ses armes ; une fatale destinée lui refusa, pendant toute sa vie, le repos et le bonheur. Dans sa jeunesse, il avait mené une vie errante, hérissée de périls ; son âge viril se consuma en guerres avec les peuples voisins ; sa vieillesse fut abreuvée d'amertume par des troubles intérieurs et par les malheurs qui vinrent l'accabler dans sa propre maison. Pour m'erreur sensible et aimant comme l'était celui de David, il ne pouvait y avoir de plus dures épreuves que celles qu'il dut subir par la conduite désordonnée de ses fils et par les désastres qui en furent la suite.

Maacha, princesse de Gessur, avait donné à David un fils nommé Absalom et une fille nommée Thamar. Amnon, premier-né de David, de sa femme Achinoam, s'éprit d'un amour incestueux pour Thamar. Sur le perfide conseil de son ami Jonadab, neveu de David, Amnon, feignant d'être malade, demanda au roi de lui envoyer sa sœur Thamar pour le soigner, et, resté seul avec elle, il la déshonora. Sa passion étant satisfaite, son amour se changea subitement en haine et en mépris, et il chassa honteusement de chez lui sa malheureuse victime, qui, dans son désespoir, déchira ses vêtements el, s'en alla en poussant des cris lamentables. Absalom, frère germain de Thamar, résolut de venger l'honneur de sa sœur. David, quoique indigné de la conduite d'Amnon, n'eut pas le courage de le punir. Pendant deux ans Absalom dissimula la haine profonde qu'il avait vouée à Amnon ; enfin une fête, qu'il donna loin de la capitale, à l'occasion de la tonte de ses brebis, lui fournit l'occasion d'exécuter la vengeance qu'il avait méditée depuis longtemps. Il invita le roi et tous les princes à assister à cette fête ; David refusa d'y aller, mais, sur les instances d'Absalom, il y envoya tous ses fils. Au milieu du festin Absalom fit assassiner Amnon ; les autres princes consternés s'enfuirent en toute hâte à Jérusalem, où déjà le bruit s'était répandu que tous les princes avaient été assassinés. Le désespoir du roi et des princes fut extrême. Absalom chercha un refuge auprès de son grand-père à Gessur, où il resta trois ans. Au bout de ce temps Joab, ayant remarqué que le roi, consolé de la mort d'Amnon, était porté à l'indulgence à l'égard d'Absalom, tâcha d'obtenir pour ce dernier la permission de revenir à Jérusalem. Il employa à cet effet une femme de Thécoa qui, vêtue de deuil, se présenta au roi, disant qu'elle était restée veuve avec deux fils ; que, dans une rixe, l'un d'eux avait tué son frère, et que les parents voulaient lui arracher l'autre pour venger le sang versé : elle venait donc implorer le secours du roi. David reconnut bientôt dans les paroles de cette femme les inspirations de Joab ; il permit le retour d'Absalom, sous la condition qu'il ne se présenterait pas devant lui. Joab se rendit lui-même à Gessur pour ramener Absalom, qui resta deux ans à Jérusalem sans voir le roi. Il voulut de nouveau avoir recours à Joab ; celui-ci ne s'étant pas présenté chez Absalom, qui l'avait fait appeler deux fois, le prince fit mettre le feu à un champ d'orge appartenant à Joab. Ce général vint alors s'en plaindre à Absalom, et celui-ci avoua qu'il avait employé ce moyen pour le faire venir chez lui, étant fatigué, disait-il, de la vie, qu'il menait à Jérusalem et laquelle il aurait préféré l'exil ou même une sentence de mort. Joab intercéda de nouveau pour le prince ; une entrevue eut lieu entre le roi et son fils, et la réconciliation fut complète.

Cependant, Absalom se montra peu digne de la trop grande indulgence de son père. Ce prince ingrat manifesta bientôt des projets ambitieux, qui, peut-être, avaient déjà germé en lui, lorsque, après deux ans d'intervalle, il vengea si traîtreusement sa sœur sur Amnon, héritier légitime de la couronne. D'un extérieur imposant et passant pour le plus bel homme dans Israël (II Sam. 14, 25), Absalom affichait un luxe royal ; il se faisait traîner dans un char attelé de beaux coursiers, et cinquante hommes couraient devant lui. En même temps, il affectait une grande popularité, embrassant ceux qui venaient lui faire la cour, parlant à tout le monde avec beaucoup d'affabilité, et disant à tous ceux qui allaient demander justice au roi, que s'il était chef de l'État, il protégerait avec impartialité les droits de tout le monde. Il parvint ainsi à se créer de nombreux partisans, et il trama un complot contre David, dans lequel il sut attirer un des conseillers du roi, Achithophel de Giloh (sur la montagne de Juda), dont les conseils étaient considérés comme des oracles. Après quatre ans[34] de menées sourdes, Absalom demanda au roi la permission d'aller à Hébron, sous prétexte d'y accomplir un vœu qu'il avait fait à Gessur. Il y entraîna deux cents hommes de Jérusalem, qui n'étaient pas initiés dans ses projets. A Hébron et dans les provinces ses émissaires avaient tout préparé pour le faire proclamer roi, et bientôt Absalom se trouva à la tête d'une armée formidable. Tout avait été conduit avec tant d'habileté que, lorsque David reçut la première nouvelle de la conspiration, il ne lui resta plus d'autre moyen de préserver la ville de Jérusalem d'une ruine totale, que de la quitter en toute hâte, et de céder la place à son fils rebelle. Le magnanime roi sortit à pied de sa capitale, suivi de toute sa maison, des Créthi et Pléthi et de six cents hommes de Gath, qui, sous le commandement d'un certain Itthaï, s'étaient mis au service de David, et qui, dans cette triste circonstance, lui montrèrent le plus fidèle attachement. De toute la maison du roi, il ne resta à Jérusalem que dix femmes de son harem. Tous les émigrés, le roi en tête, passèrent, en pleurant, le torrent de Eidron et se dirigèrent vers la montagne des Oliviers. Les prêtres Sadok et Abiathar suivirent avec l'arche sainte ; mais le roi les engagea à retourner dans la capitale, pour lui faire connaître les événements par l'entremise de leurs deux fils, qui devaient se tenir près de la ville. La tête enveloppée en signe de deuil, nu-pieds et en versant des larmes, le vieux roi monta, avec une touchante résignation, la montagne des Oliviers. Arrivé au sommet, où il se prosterna devant Dieu, il vit devant lui Husaï, son intime ami, les vêtements déchirés et la tête couverte de poussière. Si tu me suis, lui dit David, tu me seras à charge ; mais à Jérusalem, feignant de reconnaître Absalom, tu peux m'être utile, en déjouant les conseils d'Achithophel, et en faisant connaître aux prêtres Sadok et Abiathar tout ce que tu aurais appris des projets du nouveau roi. Husaï consentit, par dévouement pour David, à rentrer dans la capitale. Le roi avait à peine commencé à descendre de l'autre côté de la montagne, cu'il fut rejoint par Siba, serviteur de Méphiboseth, qui lui amena des ânes et des provisions, accusant son maître d'avoir voulu rester à Jérusalem, dans l'espoir de trouver, au milieu des troubles, l'occasion de se créer un parti parmi les anciens amis de Saül, et de monter sur le trône de son grand-père. David le crut et fit don à Siba de tous les biens de son maître. En passant par le village de Bahurîm, au pied de la montagne, le roi fut cruellement insulté par un certain Siméi, de la famille de Saül, qui ne cessait de lancer des pierres et de proférer des injures : Sors, dit-il, sors, homme inique ; Dieu a fait retomber sur toi tout le sang de la maison de Saül dont tu as usurpé le trône. Abisaï voulut courir sur lui et lui trancher la tête, mais David l'en empêcha : Mon propre fils, dit-il, attente à mes jours ; comment ce Benjamite n'en ferait-il pas autant ? Laissez-le, qu'il maudisse ; c'est Dieu qui le lui a dit.

Absalom fit son entrée dans la capitale ; sur le conseil d'Achithophel, il prit possession ouvertement du harem royal, afin de montrer que toute réconciliation avec son père était impossible, et de faire cesser les hésitations des esprits indécis. Achithophel fut d'avis qu'il fallait immédiatement se mettre, avec douze mille hommes, à la poursuite du roi fugitif ; mais Husaï, qui avait su se faire agréer par Absalom et capter sa confiance, persuada à celui-ci qu'il serait imprudent de mettre à l'épreuve le désespoir de David et de ses gens et leur courage bien connu, avant d'avoir rassemblé des forces imposantes et de s'être assuré le concours de toutes les provinces. Cet avis ayant été approuvé par Absalom, Achithophel, justement inquiet de l'issue de la guerre, s'en retourna aussitôt à Giloh, où, après avoir mis en ordre ses affaires, il s'étrangla. Husaï s'étant mis en rapport avec les deux prêtres, fit promptement avertir David d'être sur ses gardes, et l'engagea à passer le Jourdain. David se rendit à Mahnaïm, où il reçut des preuves touchantes de dévouement. Barzillaï, un des hommes les plus considérables de la Pérée, Machir de Lodebar, l'ancien protecteur de Méphiboseth, et le prince ammonite Schobi de Rabbah lui amenèrent des provisions abondantes. David ayant appris qu'Absalom avait passé le Jourdain et qu'il se dirigeait sur Mahnaïm, envoya au-devant de lui sa troupe divisée en trois bandes, dont il confia le commandement à Joab, à Abisaï et à Itthaï, auxquels il recommanda les plus grands ménagements envers son fils rebelle. Lui-même resta à Manhaïm ses généraux ne voulant pas qu'il prît part au combat. L'armée d'Absalom, commandée par Amasa, cousin de Joab et neveu de David, fut obligée de repasser le Jourdain, et le théâtre de la guerre fut transporté dans la forêt d'Ephraïm. L'habileté et le courage des héros de David l'emporta sur le nombre bien plus grand des troupes d'Absalom, qui furent taillées en pièces ; vingt mille hommes perdirent la vie sur le champ de bataille, ou dans la fuite. Absalom, se sauvant sur une mule, vint à passer sous un chêne touffu ; sa tête s'embarrassa dans les branches de l'arbre, et il resta suspendu par ses cheveux pendant que la mule s'échappa sous lui. Un homme, qui avait vu Absalom dans cette position, vint avertir Joab, qui lui fit des reproches de ce qu'il n'avait pas tué le rebelle. Cet homme rappela à Joab que le roi leur avait bien recommandé d'épargner la vie du prince. Mais Joab n'en tint aucun compte ; il se rendit lui-même à l'endroit où Absalom était suspendu, et le perça de trois dards, ordonnant à dix de ses serviteurs de l'achever. On jeta son cadavre dans une grande fosse qui se trouvait dans la forêt, et on y éleva un monceau de pierres. Joab fit aussitôt sonner la retraite, et on cessa de poursuivre les fugitifs. Un messager fut expédié pour Mahnaïm, où David attendait l'issue du combat. Au lieu de se réjouir de la victoire, le roi, en apprenant la mort d'Absalom, s'abandonna à la plus vive douleur : Mon fils ! mon fils ! dit-il en pleurant, que ne suis-je mort à ta place ! Joab arriva aussitôt, et, irrité de ces larmes d'un père trop tendre, fit entendre au roi qu'il serait menacé du plus grand danger, s'il ne se montrait pas immédiatement an peuple. David obéit à regret à cette triste nécessité ; il sortit sur une place publique à la porte de la ville, où tout le peuplé vint passer devant lui.

Le spectacle touchant du vieux roi s'enfuyant à pied de sa capitale, sa noble résignation et son courage, et surtout la malheureuse issue de la tentative d'Absalom, firent revenir les tribus d'Israël de leur funeste égarement. On se reprocha l'ingratitude manifestée envers ce roi qui avait délivré le pays de tous ses ennemis, et des voix s'élevèrent pour le ramener en triomphe à Jérusalem. Le roi, par l'entremise des prêtres Sadok et Abiathar, fit avertir les Anciens de Juda, afin que, parents du roi, ils ne fussent pas les derniers à faire leur soumission. Ne pouvant pardonner à Joab la mort d'Absalom,  il fit promettre à Amasa de le nommer général en chef en place de Joab. Ces avances firent tout rentrer dans l'ordre ; une députation de Juda se rendit aussitôt a Guilgal ; car ce fut près de cette ville que le roi, qui déjà avait quitté Mahnaim, devait passer le Jourdain. Le noble Barzillaï, quoique octogénaire, voulut accompagner le roi jusqu'au Jourdain ; David l'invita à venir demeurer avec lui à Jérusalem ; mais Barzillaï, s'excusant sur son grand âge, pria le roi de reporter sa bienveillance sur son fils Kimham. Après avoir passé le Jourdain avec le roi, le vieux Barzillaï fit ses adieux, et son fils resta auprès de David. Au passage, le roi fut reçu par les députés de Juda, auxquels étaient venus se joindre ceux de quelques autres tribus qui avaient pu être prévenues à temps. Siméi de Bahurim, qui avait si indignement outragé le roi, lors de sa fuite, amena mille hommes de Benjamin pour le complimenter ; il se jeta à genoux devant le roi, qui lui accorda un généreux pardon. L'hypocrite Siba s'y était aussi rendu avec toute sa maison, pour faire sa cour au roi. Méphiboseth se présenta dans le plus grand désordre ; depuis le jour où le roi avait quitté Jérusalem, il n'avait pas fait sa barbe ni mis de vêtements blancs. Interrogé par le roi pourquoi il ne l'avait pas suivi dans sa fuite, dit que son serviteur Siba l'avait trompé, et qu'il était, parti seul afin de le calomnier auprès du roi. David ne sachant lequel des deux croire et avant donné à Siba les biens de Méphiboseth, proposa à celui-ci de les partager entre eux deux. Qu'il prenne tout, dit Méphiboseth, puisque mon seigneur le roi est revenu en paix. Selon toute apparence, Méphiboseth était innocent ; le moment où le peuple en foule s'assemblait autour d'Absalom, aurait été mal choisi pour faire valoir les droits d'un homme boiteux et entièrement inconnu.

Le roi arrivé à Guilgal allait partir pour Jérusalem, lorsqu'il fut rejoint par les députés de toutes les tribus éloignées. Ils firent des reproches à ceux de Juda d'être allés chercher le roi sans les attendre ; les députés de Juda répondirent avec arrogance et firent valoir leur parenté avec le roi. On répliqua, de part et d'autre, et la querelle s'anima a tel point, qu'un perturbateur, nommé Seba, fils de Bichri, Benjamite, crut le moment favorable pour lever le drapeau de la révolte ; il fut suivi des députés de toutes les tribus, à l'exception de ceux de Juda, qui partirent avec le roi pour Jérusalem. La capitale était tranquille ; David prit paisiblement possession de son palais, dont il éloigna les dix femmes sur lesquelles Absalom avait fait acte de souveraineté, et qui furent condamnées à vivre retirées en état de veuvage.

David ordonna aussitôt à Amasa, son nouveau général en chef, de rassembler les troupes de Juda, dans l'espace de trois jours, Aude se mettre à la poursuite du rebelle Séba. Amasa ayant tardé à revenir, David, qui était fort inquiet de la révolte de Séba, fut obligé de s'adresser à Joab[35], qui partit aussitôt avec la garde royale et tous lés héros. A Gabaon, Joab rencontra Amasa, et aussitôt il résolut de se défaire de son rival. Ramassant son épée qu'il avait, comme par hasard, laissé tomber du fourreau, il aborda Amasa d'un air amical, lui demandant comment il se portait ; et au même instant ii lui plongea son épée dans le côté. Amasa tomba mort au milieu de la route ; un des serviteurs de Joab enleva le cadavre, auprès duquel beaucoup de passants s'étaient arrêtés. Dès lors chacun se rangea sous ce chef redouté, qui venait de se souiller d'un troisième assassinat, sans que personne osât lui en demander compte. Joab traversa tout le pays, se dirigeant au nord ; il apprit que Séba s'était enfermé dans la forteresse d'Abéla ou Abel-Beth-Maacha en Galilée[36]. Cette ville fut assiégée, et déjà Joab voulait faire donner l'assaut, lorsqu'une femme lui cria du haut des murs de ne pas' détruire une ville aussi importante, promettant de lui faire livrer la tête de Séba. Elle sut persuader aux assiégés de trancher la tête du rebelle ; elle fut jetée à Joab, qui fit aussitôt sonner la retraite et retourna à Jérusalem. Joab avait acquis un nouveau titre à la reconnaissance de David, qui n'osa lui reprocher le meurtre d'Amasa, et qui fut obligé de le maintenir dans son grade de général en chef, d'autant plus que la jalousie toujours croissante entre Israël et Juda pouvait, à la première occasion, faire éclater de nouvelles hostilités.

Ce fut peut-être dans cette crainte que David eut la cruauté de sacrifier quelques turbulents descendants de Saül, sous prétexte de les livrer à la vengeance des Gabaonites, que Saül et sa famille avaient persécutes et massacrés, malgré la sauvegarde qui leur avait été accordée du temps de Josué. Selon un passage obscur de la Bible (II Sam. ch. 21), le seul où il soit question de cet acte cruel de Saül, une famine avait affligé le pays pendant trois années de suite ; l'oracle consulté à cet égard répondit que Dieu faisait expier au pays le crime de Saül et de sa maison sanguinaire, pour avoir tué les Gabaonites. David offrit aux Gabaonites de leur donner la satisfaction qu'ils réclameraient eux-mêmes, et ils demandèrent sept des descendants de Saül pour les pendre à Gabaa, ancien lieu de résidence de Saül. David leur livra Armoni et Méphiboseth, fils de Saül et de sa maîtresse Rispah, et cinq fils de Mérab, fille de Saül. Il épargna le boiteux Méphiboseth, à cause de l'amitié qu'il avait jurée à son père Jonathan. Les cadavres des sept victimes étant demeurés suspendus sur une hauteur, Rispah s'assit à côté d'eux sur un sac, pour garder ces restes, qui lui étaient chers ; restant ainsi là jour et nuit, elle ne laissait approcher aucun oiseau de proie, ni aucune bête des champs. David, touché de ce tendre dévouement, fit chercher à Jabès les restes de Saül et de Jonathan et les fit enterrer, ainsi que les sept victimes, dans le tombeau de la famille de Kts.

De quelque manière qu'on explique ce récit obscur, soit que David ait voulu prévenir de nouveaux troubles, ou qu'il ait cédé à l'exigence des Gabaonites et aux superstitions populaires, il sera difficile d'absoudre le roi de sa conduite criminelle dans cette circonstance. Pour disculper David, on a supposé que les fils et les petits-fils de Saül avaient commis des meurtres parmi les Gabaonites, et que David, selon la loi, livra les meurtriers, jusqu'alors impunis, aux parents de ceux qu'ils avaient assassinés[37]. Mais le texte dit clairement qu'il s'agissait d'une persécution des Gabaonites, en général, par Saül, qui voulut les détruire en masse, et que les Gabaonites crurent devoir se venger sur ses enfants[38].

La paix étant assurée au dedans et au dehors, David put employer ses dernières années à achever l'organisation intérieure du pays, à laquelle, sans doute, il avait travaillé depuis longtemps, et qui, sous son règne, prit les plus grands développements. Le premier livre des Chroniques (ch. 23 a 27) nous donne à ce sujet des détails intéressants, que nous devons faire connaître en résumé. Quoique la Chronique ne soit pas exempte d'exagérations, surtout dans certains nombres, nous ne croyons pas pour cela devoir mettre en doute l'authenticité des faits en eux-mêmes.

David, que ses succès militaires avaient rendu puissant, et qui était guerrier avant tout, introduisit de grands changements dans l'organisation militaire des Hébreux. Jusque là les levées de troupes n'avaient eu lieu qu'en temps de guerre, et il n'y avait pas d'armée proprement dite. Les Institutions mosaïques, en général, ne favorisaient nullement l'établissement d'une armée permanente. Saül s'était contenté, en temps de paix, d'une milice de trois mille hommes. David, dont les succès augmentèrent l'ambition et qui savait aussi qu'il devait se garantir contre les ennemis de l'intérieur, s'entoura, dès le commencement de son règne, d'une garde royale, composée probablement, en grande partie, de mercenaires étrangers. Il composa ensuite une armée, ou plutôt une milice citoyenne de deux cent quatre-vingt-huit mille hommes, divisée en douze cohortes de vingt-quatre mille hommes, dont chacune devait être en service actif, dans la résidence, pendant un mois de l'année. Ces divisions exercées tour à tour sous les yeux du roi, et dont les commandants en chef étaient choisis parmi les trente héros de David, formaient, en temps de guerre, une véritable armée habituée aux exercices militaires. Mais David, oubliant qu'un roi hébreu devait se borner à la défense de son territoire, et désirant probablement agrandir son empire par de vastes conquêtes, manifesta l'intention de substituer à cette milice citoyenne une armée permanente. Tel fut probablement le but du recensement général ordonné par David, et que Joab lui-même désapprouva, voyant sans doute, dans cette innovation, un acte illégal et surtout impolitique, qui pouvait avoir des suites dangereuses, en imposant à un peuple livré a l'agriculture un joug inaccoutumé et insupportable ; et en privant le sol des bras nécessaires. Mais David se montra inflexible, et Joab obéit. Ce qui prouve que ce recensement n'était pas une simple mesure civile, c'est qu'il fut confié à une commission militaire conduite par Joab et appuyée, à ce qu'il paraît, par un fort détachement de troupes ; car il est question de campements[39]. La commission parcourut tout le pays, et, après une absence de neuf mois et vingt jours, elle revint à Jérusalem faire son rapport au roi. Nous avons déjà parlé des résultats de ce recensement et des chiffres que nous offrent, sous ce rapport, les livres de Samuel et des Chroniques. Quelles qu'aient été les intentions de David, il ne leur donna pas de suite ; car, immédiatement après le recensement, une peste, qui éclata en Palestine, ayant enlevé beaucoup de monde, le prophète Gad se présenta au roi et lui fit voir dans cette calamité publique un châtiment de la Divinité irritée des arrogantes mesures qu'il venait de prendre. David écouta les avertissements salutaires du prophète, et, pour apaiser le ciel, il dressa un autel ou il offrit des sacrifices, sur l'aire du Jébusite Aravna, ou Ornan, située sur le mont Moria, où l'ange exterminateur s'était arrêté, c'est-à-dire, où la peste n'avait pas pénétré. Cette aire, que David acheta à Aravna, fut choisie plus tard pour l'emplacement du Temple (II Chron. 3, 1)[40].

L'administration civile resta probablement sous David telle qu'elle avait été établie par les anciennes lois et par les usages. Du moins les documents qui nous restent no parlent-ils d'aucune innovation, ni d'aucune plainte qui se soit élevée à cet égard. Nous trouvons encore les chefs des tribus[41] et les anciens revêtus de l'autorité que la loi leur attribue. Dans l'organisation de la justice on remarque des changements notables. David, selon l'usage des rois dans l'ancien Orient, exerça lui-même les fonctions de juge ; non-seulement il prononça arbitrairement, et sans instruction préalable, dans plusieurs circonstances graves[42], mais il paraît que tous les plaideurs étaient admis à ses audiences ; on y accourait de toutes les parties du pays[43]. Le roi fit sans doute beaucoup de mécontents, et Absalom en profita pour exciter le peuple à la rébellion. Plus tard, David modifia sensiblement la composition du corps des juges, en y introduisant un très-grand nombre de Lévites, qui probablement formaient des tribunaux supérieurs[44].

Le personnel de la cour était devenu très-nombreux. Outre les grands dignitaires, dont nous avons déjà parlé, nous trouvons Adoniram préposé aux corvées, ou aux impôts, autre innovation contraire à l'esprit des institutions mosaïques. Le roi possédait de vastes domaines et était riche en troupeaux, et en autres biens, provenant soit des impôts payés en nature, soit du butin fait sur les ennemis. Douze employés supérieurs administraient les possessions du roi ; voici les différents départements confiés à ces employés, appelés SARÉ HA-RECHOUSCH, ou chefs du domaine (I Chron. 27, 25-31) : 1° les trésors du roi ; 2° les magasins établis dans les campagnes, les villes de province et les forts ; 3° l'agriculture et les travaux des champs ; 4° les vignobles ; 5° les entrepôts des vins ; 6° la culture des oliviers et des sycomores dans la plaine de Schephéla ; 7° les entrepôts de l'huile ; 8° les troupeaux de bœufs dans la vallée de Saron ; 9° les troupeaux de bœufs dans les autres vallées ; 10° les chameaux (confiés à un Arabe) ; 11° les ânes ; 12° le menu bétail.

Ce furent surtout les préparatifs pour la construction du Temple et l'organisation des prêtres et des lévites qui occupèrent David dans les dernières années de son règne. Il prépara pour le Temple une grande partie des matériaux nécessaires, et dressa lui-même le plan de l'édifice[45]. Il organisa autour de l'arche sainte un culte provisoire dont la musique devint un élément essentiel. Dans ce but il donna aux corps des lévites et des prêtres une organisation nouvelle, et il fixa en même temps les fonctions dont ils devaient être chargés dans le temple futur. Le corps des lévites se composait alors de trente-huit mille hommes âgés de trente à cinquante ans. David les divisa en quatre ordres : vingt-quatre mille furent affectés au service des prêtres et chargés en même temps de présider à la construction du Temple ; six mille entrèrent dans les corps des juges et des Schoterim ; quatre mille, appelés portiers, furent chargés de la garde du Temple, et quatre mille de la musique sacrée. Les ordres particulièrement destinés au culte furent subdivisés en différentes classes, dont chacune avait son chef, et qui se relevaient chaque semaine ; l'ordre des musiciens comptait vingt-quatre classes[46]. Un soin tout particulier fut donné à l'organisation de ce dernier ordre, formé par le roi sous les inspirations des prophètes Gad et Nathan (II Chron. 29, 25). David en dirigea lui-même les études et composa, en grande partie, les cantiques sacrés et la musique. Nous aurons l'occasion de revenir, dans un autre endroit, sur les grands mérites de David pour la musique et la poésie, qui, sous son règne, prirent le plus grand essor ; ici nous nous contenterons d'observer que David, poète et musicien, composa un grand nombre d'hymnes ou de psaumes, dont nous possédons encore une partie. A côté de lui se distinguèrent, dans la poésie lyrique et dans la musique, les lévites Asaph, Iéduthun et Héman (ce dernier petit-fils de Samuel), auxquels il confia la direction suprême de la musique sacrée. Leurs fils, au nombre de vingt-quatre, composaient, avec d'autres membres de leurs familles, un chœur de deux cent quatre-vingt-huit individus, divisé en vingt-quatre sections qui formaient sans doute le noyau des vingt-quatre grandes classes de musiciens (I Chron. ch. 25).

Les prêtres furent également divisés en vingt-quatre classes, ou familles, dont chacune avait son chef[47]. Seize classes appartenaient à la famille d'Éléazar et huit à celle d'Ithamar ; ceux-là avaient pour chef suprême Sadok, ceux-ci Abiathar[48]. Ces classes devaient être chargées, à tour de rôle, du culte des sacrifices dans le sanctuaire central de Jérusalem. Pour le moment, les sacrifices publics prescrits par la loi s'offraient encore à Gabaon, où se trouvait le Tabernacle, quoique l'Arche sainte restât à Jérusalem. Sadok, assisté des prêtres de sa famille, était chargé provisoirement du culte de Gabaon ; Héman et Iéduthun y dirigeaient la musique sacrée, tandis qu'Asaph avec ses chœurs restait chargé de l'office musical qui fut célébré chaque jour près de l'Arche sainte à Jérusalem (I Chron. 16, 37-42).

Ces soins de l'organisation intérieure du royaume occupèrent le vieux roi jusque dans la dernière année de sa vie (I Chron. 26, 31). Déjà cette vie, épuisée par tant de fatigues et d'agitations, avait perdu tout son feu ; on attacha au service personnel du roi la jeune Abisag de Sunem, la plus belle vierge de tout le royaume ; mais elle ne fut pas capable de ranimer ses sens déjà éteints. On attendait la fin prochaine du roi et il était temps de régler irrévocablement la succession au trône, pour laquelle il y avait deux prétendants. Adoniah, le quatrième et alors l'aîné des fils de David, s'était habitué, depuis la mort d'Absalom, à se considérer comme l'héritier légitime de la couronne. Comme Absalom, il s'était entouré d'un luxe royal et avait su se créer un parti, sans en être empêché par le roi qui avait toujours eu beaucoup de faiblesse pour ses enfants. Cependant, le roi avait promis depuis longtemps à Bathséba de nommer successeur au trône leur fils Salomon. Dans la constitution, à ce qu'il paraît, rien n'avait été fixé sur le droit de succession : Adoniah pouvait invoquer un droit naturel, tandis que Salomon s'appuyait sur la volonté souveraine du roi généralement respectée par la nation. Adoniah avait su attirer dans son parti deux hommes importants : Joab, le chef de l'armée, et Abiathar, le grand prêtre ; les princes, ses frères, lui étaient également favorables. Mais il avait contre lui le prêtre Sadok, le prophète Nathan, Benaïah, général des dardes, et les héros de David. Un jour Adoniah donna un grand festin, auquel il invita tous ses frères et amis et les plus grands personnages de Juda ; Salomon, Nathan et Benaïah ne furent pas invités ; car Adoniah avait l'intention de se faire proclamer roi. Le prophète Nathan alla aussitôt trouver Bathséba et l'engagea à se rendre promptement chez le roi, pour lui rappeler sa promesse au sujet de Salomon ; il lui promit d'aller la rejoindre, lorsqu'elle serait en conversation avec le roi et de lui prêter le secours de sa parole. Le roi instruit par Bathséba et par le prophète de ce qui se passait dans la maison d'Adoniah, et pressé de se prononcer d'une manière irrévocable, jura de nouveau qu'il nommerait Salomon son successeur, et que ce jour même il accomplirait sa promesse. Il ordonna aussitôt à Sadok, à Nathan et à Benaïah de faire monter Salomon sur la mule du roi et de le faire descendre dans la vallée de Guihon, accompagné de toute la cour. Là Sadok et Nathan devaient procéder en public à la cérémonie de l'onction ou du sacre royal, au son des trompettes et aux cris de vive le roi Salomon ! La procession se mit en marche, accompagnée de la garde royale, et la cérémonie eut lieu au milieu d'une foule immense qui répéta le cri de vive le roi Salomon ! Le peuple accompagna le jeune roi, qui remonta au palais, au milieu des cris de joie et du son des flûtes, qui retentissaient de tous côtés. Adoniah et ses convives, étonnés de ce bruit, s'interrogeaient avec anxiété les uns les autres, lorsque Jonathan, fils d'Abiathar, vint leur annoncer ce qui s'était passé. Consternés de cette nouvelle, ils se séparèrent aussitôt. Adoniah chercha un refuge près de l'autel (le l'Arche sainte ; mais Salomon le fit rassurer, en lui promettant de ne pas lui toucher un cheveu, s'il se conduisait en homme d'honneur. Il vint aussitôt faire sa soumission et présenter ses hommages au nouveau roi ; ainsi la conspiration fut étouffée sans effusion de sang.

David fit ensuite convoquer à Jérusalem les chefs des tribus, les coin-mandants des troupes, les chefs des domaines et tous les grands de la cour. Dans une séance solennelle, le vieux roi se tenant debout adressa à cette imposante assemblée un long discours, dans lequel il déclara que, guidé par une inspiration divine, il venait abdiquer la couronne en faveur de son fils Salomon, que celui-ci avait pour mission de construire un temple à Jérusalem, et que tout était préparé pour élever un magnifique édifice. Il en présenta les plans qu'il avait dressés lui-même ; et, en les remettant à Salomon, il l'exhorta à être un fidèle serviteur de Jéhova. Il rendit à Dieu de touchantes actions de grâces et le pria d'inspirer à Salomon des sentiments de piété et le respect des lois. Sur l'invitation du roi, on fit retentir les louanges de Jéhova. Salomon fut de nouveau proclamé roi, et l'assemblée se sépara en rendant pour la dernière fois ses hommages au roi David. Le lendemain, le couronnement fut célébré par une fête publique et par de nombreux sacrifices[49].

Quelque temps après, David, se sentant près de mourir, fit appeler son fils Salomon, pour lui donner ses derniers- conseils, empreints à la fois de la piété et de la froide et sévère politique d'un roi instruit par de tristes expériences. Il lui recommanda d'observer fidèlement les lois de Moïse ; sous cette seule condition, dit-il, sa dynastie pourrait se maintenir sur le trône. Craignant avec raison les dangers que pouvait courir le jeune roi, si de nouveaux troubles éclataient à l'intérieur, il lui conseilla d'avoir les yeux fixés sur deux hommes dangereux et gravement compromis, Joab qui s'était rendu coupable d'un double assassinat et qui naguère encore avait ouvertement embrassé la cause d'Adoniah, et Simeï de Bahurim qui avait si gravement insulté le roi, lors de l'insurrection d'Absalom, et qui avait manifesté les sentiments les plus hostiles contre la dynastie de David. Se reprochant sa propre faiblesse à l'égard de ces deux hommes, David conseilla à son fils d'user envers eux de la plus grande sévérité, s'ils lui donnaient le moindre sujet de mécontentement, et de leur infliger alors le juste châtiment qu'ils avaient mérité par leurs forfaits anciens. Il recommanda à sa bienveillance et à sa protection spéciale les enfants de Barzillaï, le Giléadite, qui l'avait traité avec tant de générosité.

David mourut bientôt après, âgé de soixante-dix ans, dans la quarante-unième année de son règne, et il fut enterré dans la citadelle de Sion. Il laissa à son successeur un royaume fortifié et parfaitement organisé, et un pouvoir respecté au dedans et au dehors. Par lui les tribus des Hébreux étaient devenues une nation indépendante, et avaient atteint un degré de civilisation qui les plaçait bien au-dessus de tous les peuples voisins. David avait exercé la plus grande influence sur l'éducation religieuse et politique de sa nation, et son mérite est d'autant plus grand qu'il avait tout puisé dans lui-même et dans les antiques institutions de sa race, sans rien emprunter à aucune civilisation étrangère. Malgré ses écarts comme homme et comme chef politique, il était un fidèle vassal du roi Jéhova ; ses fautes s'expliquent par la vivacité de ses sentiments, par les mœurs du temps et par l'enivrement des succès et de la gloire ; car d'ailleurs il montra un profond et sincère repentir. Dans ses poésies c'est toujours Dieu que nous voyons au fond de toutes ses pensées et de tous ses sentiments, et ce Dieu il croit le servir mieux par les expressions d'un cœur pur que par les cérémonies d'un culte extérieur, comme il le dit lui-même dans plusieurs de ses psaumes. Sa confiance en Dieu lui faisait supporter le malheur avec une noble résignation. Le peu de détails que nous connaissons de sa vie nous montrent maint trait de noblesse et de générosité ; sa tendresse de père alla jusqu'à la faiblesse. Quant aux imprécations et aux paroles de vengeance que l'on trouve çà et là dans ses psaumes, il ne faut pas oublier que ces poèmes s'adaptent toujours aux circonstances, et qu'ils furent composés pendant les souffrances de la persécution ou pendant la chaleur de la lutte. Ce n'est pas la faute de David si ses chants de guerre eux-mêmes sont devenus des cantiques d'église. L'historien ne verra pas dans David un saint, mais il ne le jugera pas non plus avec les préjugés de ceux qui, comme Bayle et Voltaire, croient devoir s'acharner sur tous les grands caractères bibliques. Le fait est qu'il réalisa en partie l'idéal de l'État mosaïque, et que, sous plusieurs rapports, il fit faire à sa nation un progrès immense. A la fin de son règne le peuple hébreu se trouva à l'apogée de sa gloire, et la postérité lui rendit justice à tel point que plus tard son règne servait de type à la future gloire des Hébreux ou au règne messianique.

 

3. Règne de Salomon

(de 1015 à 975).

Salomon était encore bien jeune lorsqu'il monta sur le trône[50], mais son âge ne saurait être déterminé avec exactitude. N'ayant vu du règne de son père que les jours de paix et de bonheur, il n'avait pas le goût des armes et se plaisait de bonne heure dans le luxe et dans toutes les splendeurs d'une cour brillante. Il avait été instruit probablement dans tout ce qu'on comprenait alors sous le nom de science ou de sagesse, surtout dans les lois, dans la poésie et dans une certaine philosophie populaire qui consistait à présenter des doctrines, des règles de conduite, des réflexions sur les différentes situations de la vie, sous une forme parabolique et par de courtes sentences qui se gravaient facilement dans la mémoire. Salomon aimait cette sagesse, il y excellait de bonne heure et y cherchait sa gloire. Son esprit en était constamment préoccupé ; nous lisons dans son histoire, que dans les premiers temps de son règne, ayant célébré à Gabaon un solennel sacrifice, il crut voir, dans un rêve, la Divinité qui offrit de lui accorder le bien qu'il choisirait lui-même, et qu'il ne demanda autre chose que la sagesse et la connaissance : un cœur intelligent pour juger le peuple et pour discerner entre le bien et le mal[51]. Mais bientôt cette sagesse elle-même ne fut pour lui qu'un objet de luxe, un moyen de briller qui profita peu au bien-être de la nation. Après tous les travaux de son père il ne lui restait qu'a en recueillir les fruits ; il n'y avait plu s d'ennemi à combattre, ni d'institutions à créer, et nous verrons le jeune roi employer toute son activité à augmenter l'éclat de son règne par de magnifiques constructions, par des entreprises commerciales, et, en général, par un luxe peu en rapport avec la constitution du pays. L'amour du luxe et de la nouveauté le conduira peu à peu à défaire l'œuvre de son père, à ruiner le peuple dont il pouvait faire le bonheur, à détruire les institutions et à dédaigner le culte national, auquel il avait d'abord cherché à donner le plus grand éclat. Salué d'abord par les acclamations de tout le peuple, il ne saura que le faire gémir sous un joug insupportable, et il préparera ainsi la prochaine dissolution du royaume.

Salomon signala le commencement de son règne par quelques actes sanglants. Son frère Adoniah, n'ayant peut-être pas entièrement renoncé à ses prétentions, s'était adressé à Bathséba, mère du roi afin d'obtenir de Salomon la permission d'épouser Abisag la Sunamite, qui, attachée au service de David, et faisant partie de son harem, n'avait eu cependant avec le vieux roi aucune liaison intime. Bathséba en parla au roi son fils ; mais celui-ci croyant reconnaître, dans cette demande, des vues ambitieuses d'une bien plus haute portée, répondit avec amertume : Pourquoi ne demandes-tu pas plutôt la royauté pour lui, qui est mon frère aîné, pour Abiathar et pour Joab ? En effet, prendre possession du harem royal[52], est en Orient une des plus éclatantes manifestations de l'autorité souveraine ; on comprend donc pourquoi Salomon fut si irrité de la demande d'Adoniah et jura de le faire mourir le jour même. Bénaïah, chef de la garde royale, fut aussitôt chargé de l'exécution, et le fratricide fut consommé à l'instant même. Le prêtre Abiathar, partisan d'Adoniah, dut son salut au fidèle attachement et au dévouement qu'il avait jadis témoignés à David dans ses jours de malheur ; mais il fut relégué à la ville sacerdotale d'Anatôth, où il possédait des biens. Sadok fut revêtu de la dignité de grand prêtre, qui fut ainsi rendue à la ligne d'Éléazar. Joab, voyant le glaive suspendu sur sa tête, se réfugia près de l'autel ; mais Salomon ordonna à Benaïah de le frapper dans le lieu saint, pour venger le sang innocent qu'il avait versé. C'est ainsi que finit ce vieux général des armées de David, dont l'ambition et la jalousie avaient fait un assassin, et qui mourut pour avoir favorisé un prince guerrier contre le pacifique Salomon. A sa place Benaïah fut nominé général en chef. Quant à Simeï, le moment n'étant pas venu de venger les insultes qu'il avait faites à David, Salomon lui ordonna, sous peine de la vie, de rester à Jérusalem et de ne pas dépasser le torrent de Kidron. Au bout de trois ans, deux esclaves de Simeï prirent la fuite et se rendirent à Gath. Simeï les y suivit et les ramena à Jérusalem ; mais aussitôt le roi, pour punir la désobéissance de Simeï ainsi que la conduite qu'il avait tenue à l'égard de David, ordonna à Benaïah de le mettre à mort, et se débarrassa ainsi du dernier adversaire de la dynastie de David.

Dès le commencement de son règne, Salomon, se mettant au-dessus des lois, contracta des mariages avec des femmes étrangères. Le prince royal Rehabeam ou Roboam, né dans la première année du règne de Salomon, fut fils d'une Ammonite nommée Naama. Bientôt le roi prit pour épouse principale la fille du Pharaon d'Egypte, probablement Osochor, cinquième roi de la XXe dynastie[53]. Le roi d'Égypte donna pour dot à sa fille la ville de Gazer (dans le canton d'Éphraïm), dont il s'était emparé, après en avoir chassé les Cananéens, que les Hébreux n'avaient pu expulser. Salomon établit la princesse égyptienne dans le palais de David, jusqu'à ce qu'il lui en eût élevé un nouveau. Peu à peu son harem s'agrandit prodigieusement ; selon l'historien sacré (I Rois, 11, 3), on n'y comptait pas moins de mille femmes, dont sept cents portaient le titre de princesses et trois cents étaient de simples concubines. Elles étaient presque toutes des pays voisins, et appartenaient à des nations dont Moïse avait défendu les alliances. Au reste, Salomon se conforma extérieurement aux prescriptions du culte mosaïque ; mais à côté des sacrifices qu'il offrait à Gabaon, dans le sanctuaire central, il en célébrait aussi ailleurs sur les hauts lieux.

La cour de Salomon était encore plus nombreuse et plus brillante que ne l'avait été celle de son père. Les grands dignitaires mentionnes au commencement du règne sont en partie les mêmes que nous avons trouvés sous David ; tels sont Josaphat, Adoniram, Benaïah (devenu général des armées), et les deux prêtres Sadok et Abiathar (ce dernier privé de ses fonctions). Le secrétaire Seraïah ou Sisa est remplacé par ses deux fils, auxquels était joint, à ce qu'il paraît, Azariah, fils du prêtre Sadok[54]. Le conseiller intime du roi était un prêtre appelé Zaboud, fils de Nathan. Nous trouvons en outre un intendant de la maison royale, appelé Achisar. Douze commissaires, distribués dans les différentes provinces, étaient chargés, à tour de rôle, chacun pendant un mois de l'année, de fournir l'entretien de la maison royale. Max des commissaires étaient gendres du roi ; ils étaient tous sous les ordres d'un intendant général, Azariah, fils de Nathan. Lés fournitures que faisaient ces commissaires étaient très-considérables ; car les besoins de la cour étaient énormes. Selon le premier livre des Rois (ch. 4, v. 22 et 23), on y consommait chaque jour trente cor de fleur de farine, soixante cor de farine ordinaire, dix bœufs engraissés, vingt bœufs de pâturage et cent pièces de menu bétail, sans compter les différentes espèces de gibier et les volailles, ce qui ne paraîtra pas exagéré si on pense aux nombreux courtisans et pensionnaires du roi (ib. v. 27), aux mille femmes du harem et au personnel nécessaire pour leur service. En outre, les commissaires devaient fournir les fourrages pour les haras du roi ; car, contrairement à la loi mosaïque, Salomon avait beaucoup de chevaux, et, indépendamment d'une nombreuse cavalerie, il avait quatre mille attelages pour ses propres voitures[55]. Ce luxe effrayant pouvait durer un certain temps sans être trop à charge à la nation ; les frais en étaient couverts, en grande partie, par les trésors que David avait ramassés et par le tribut des rois voisins. Les vassaux de Salomon étaient nombreux et sa domination s'étendait depuis Thapsacus (sur la rive occidentale de l'Euphrate) jusqu'à Gaza. Le pays était dans une paix profonde, l'industrie pouvait se développer de plus en plus et augmenter le bien-être de la nation. Aussi Salomon jouissait-il, dans les premiers temps, d'une grande popularité ; par son affabilité et sa grande sagesse il s'attira l'affection générale. Il était accessible au dernier de ses sujets ; toutes les causes pouvaient être portées devant son trône, et il exerçait en personne les fonctions de juge. Tout le monde connaît le célèbre jugement prononcé par Salomon dans la querelle de deux courtisanes qui, demeurant ensemble dans le même appartement, avaient eu chacune un enfant. L'un des deux étant mort, sa mère avait dérobé l'enfant de sa compagne, et les deux femmes étant venues devant Salomon se disputer l'enfant vivant : Qu'on le divise en deux, dit le roi, et qu'on donne à chacune la moitié. L'une des femmes consentit, mais l'autre supplia le roi de donner l'enfant tout entier à sa cruelle compagne plutôt que de le tuer, et à cette prière le roi reconnut la véritable mère. Ce jugement, qui fit ressortir la sagesse de Salomon dans tout son éclat, répandit sa réputation dans tout le pays.

Après avoir réglé les affaires les plus urgentes du royaume et de la cour, Salomon commença à s'occuper de la construction du Temple, qui devait perpétuer à jamais la gloire de son règne. Le pays ne pouvant fournir le bois nécessaire pour les constructions, et les Hébreux n'étant pas alors assez avancés dans les arts pour exécuter dignement les magnifiques travaux que Salomon avait en vue, celui-ci réclama l'assistance de Hiram, roi de Tyr, qui avait été lié d'une étroite amitié avec David, et qui, à l'avènement de Salomon, avait envoyé une ambassade pour complimenter le jeune roi et renouveler l'alliance entre les deux royaumes. Salomon demanda à Hiram de lui faire couper du bois de cèdre et de cyprès sur le Liban, par les ouvriers habiles de Sidon, auxquels se joindraient les ouvriers hébreux. De son côté, le roi des Hébreux s'engagea à fournir à Hiram chaque année une certaine quantité de froment et d'huile. En même temps Salomon pria le roi de Tyr de lui envoyer des architectes phéniciens (I Rois, 5, 18) et un habile artiste qui pût diriger tous les travaux de fonte, de sculpture, etc.[56] Hiram accueillit avec joie la missive de Salomon et y répondit avec le plus grand empressement, offrant de faire lui-même transporter le bois du Liban à Tyr, de le faire disposer en radeaux et de l'expédier par mer à l'endroit que Salomon lui désignerait. Un traité ayant été conclu entre les deux rois[57]. Salomon, pour faire exécuter les corvées, leva trente mille hommes, qu'il divisa en trois sections de dix mille hommes ; les sections devaient alternativement participer pendant un mois aux travaux du Liban, afin que chacune, après le service d'un mois, pût rentrer pour deux mois dans ses foyers. La levée se fit par les soins d'Adoniram, chef des corvées. En outre, Salomon occupa cent cinquante mille Cananéens et autres étrangers à extraire, tailler et transporter les pierres pour les constructions ; car les matériaux devaient arriver tout préparés à l'emplacement du Temple, ou l'on n'entendait résonner ni le marteau, ni la hache, ni aucun autre outil de fer (I Rois, 6, 7). Plus de trois mille hommes, également étrangers, étaient chargés de la surveillance de ces travaux préparatoires[58]. Avant de poser les fondements du Temple, qui devait être élevé sur la colline de Moria, il fallait exécuter de vastes travaux pour agrandir le terrain et pour le consolider. Ce fut dans la quatrième année du règne de Salomon[59], au mois de Ziv (avril-mai), le deuxième de l'année, qu'on commença les travaux de construction, qui durèrent plus de sept ans.

Il est impossible de donner du Temple de Salomon une description exacte ; celles que nous trouvons dans le premier livre des Rois (ch. 6 et ch. 7, v. 15-50) et dans le deuxième livre des Chroniques (ch. 3 et 4) sont fort incomplètes, et souvent même il est difficile de les mettre d'accord. Outre cela, les termes d'architecture que nous y rencontrons ne peuvent pas toujours être expliqués avec certitude. La description de Josèphe diffère quelquefois (surtout pour les dimensions) des deux relations bibliques, et les détails qu'il ajoute ne paraissent être basés que sur de simples conjectures. Les nombreuses descriptions des modernes diffèrent beaucoup les une des autres, et on rencontre de grandes difficultés, dès qu'on veut les convertir en dessins. On n'arrivera jamais à se faire une idée juste des proportions architectoniques de l'édifice de Salomon. Il nous serait impossible d'entrer ici dans tous les détails et de discuter les différentes opinions ; nous devons nous contenter de résumer les données les moins douteuses[60].

Tout l'édifice, bâti sur le modèle du temple portatif de Moïse, mais dans des proportions plus grandes, se composait du Temple proprement dit et de deux cours ou parvis.

Le Temple, bâti en pierres, avait soixante coudées de long (de l'est à l'ouest), vingt coudées de large et trente de hauteur. Devant l'entrée du Temple, à l'est, se trouvait un portique, appelé OULAM (πρόναος), dont la longueur, qui était de vingt coudées (du nord au midi), couvrait toute la largeur de l'édifice ; il avait dix coudées de large (de l'est à l'ouest). Le livre des Rois n'en fixe pas la hauteur, mais, selon les Chroniques (II, ch. 3, v. 4), elle était de cent vingt coudées, de sorte que ce portique aurait formé une espèce de tour large, trois fois plus haute que le Temple. Mais il est difficile d'admettre ces formes aussi disproportionnées que disgracieuses ; nous croyons donc que ce verset des Chroniques, qui d'ailleurs est très-peu clair, a été corrompu par les copistes, et que le portique ne dépassait pas la hauteur du Temple. Il paraît résulter d'un passage (I Rois, 7, 12) que le mur se composait de trois rangées de pierres de taille, surmontées d'une espèce de balustrade en bois de cèdre. Devant ce portique on plaça deux colonnes d'airain creuses en dedans[61]. Elles avaient chacune la hauteur de dix-huit coudées et douze coudées de circonférence ; l'épaisseur du métal était de quatre doigts. Elles étaient surmontées de chapiteaux de la hauteur de cinq coudées[62], de sorte que toute la hauteur était de vingt-trois coudées. Cependant, selon les Chroniques (ib. v. 15), elle aurait été de trente-cinq coudées. Or, pour que cette donnée tût exacte, il faudrait supposer qu'elle comprenait aussi les piédestaux et que ceux-ci avaient une hauteur de douze coudées ; alors ces piédestaux de pierre n'ont pas été compris dans la description des livres des Rois et de Jérémie, où l'on ne voulait parler que du travail en airain. La description des chapiteaux, dans les différents passages bibliques, est assez obscure ; voici ce qui paraît résulter de la combinaison de ces passages : la surface des chapiteaux était couverte de fleurs de lis en relief (I Rois, ch. 7, v. 19 et 22) ; sept chaînes, qui entouraient cette surface, y formaient une espèce de treillage (ib. v. 17). A chacun des deux bords du chapiteau il y avait, sur une chaîne, cent grenades (II Chron. 3, 16), dont quatre-vingt seize aux côtés, dit Jérémie (52, 23), c'est-à-dire, vingt-quatre de chaque côté et une à chaque angle, d'où il résulte que les chapiteaux avaient la forme carrée. Il y avait donc deux cents grenades aux deux bords du chapiteau (I Rois, 7, 20), ce qui fait en tout quatre cents grenades pour les deux colonnes (II Chron. 4, 13). De cette manière tous les passages s'accordent parfaitement. Le texte ne nous dit pas clairement de quelle manière ces deux colonnes étaient placées ; il yen a qui pensent qu'elles supportaient le toit du portique, mais il est plus probable qu'elles étaient placées, comme simple ornement, devant le portique, des deux côtés de l'entrée, l'une au midi, l'autre au nord. Celle du midi reçut le nom de Yachin, celle du nord fut appelée Boaz ; on ne sait rien de positif sur l'origine de ces noms. — Les deux colonnes, ainsi que tous les autres ouvrages de fonte furent exécutés par un artiste phénicien, nommé Hirôm, que Salomon avait fait venir de Tyr, et qui était fils d'un Tyrien et d'une femme israélite de la tribu de Naphthali ; il avait ses ateliers dans la plaine du Jourdain, non loin de Succôth.

Le portique et les deux colonnes formaient la façade du Temple. Sur les deux côtés et sur le derrière, c'est-à-dire au nord, au midi et à l'ouest, on adossa au mur trois étages composés de chambres, qui communiquaient entre elles par des portes[63] et qui étaient destinées aux trésors et aux provisions du Temple. L'étage inférieur, ou le rez-de-chaussée, avait cinq coudées de large, le second en avait six, et le troisième sept ; ces différences provenaient de ce que, pour ne pas endommager les murs du Temple, on avait appliqué, contre leur parement extérieur, une saillie en forme de terrasse, qui devait supporter les poutres des différents étages. Les deux gradins sur lesquels reposaient les plafonds du premier et du second étage, ayant chacun une coudée de large, il s'ensuivait de là que le second étage avait une coudée de plus que le rez-de-chaussée, et de même le troisième une coudée de plus que le second. A l'extérieur les étages étaient au même niveau[64]. La hauteur de chaque étage était de cinq coudées (I Rois, 6, 10) ; ainsi les trois étages avaient une hauteur de quinze coudées, à laquelle il faut ajouter l'épaisseur des plafonds et du toit, de sorte que les étages dépassaient la moitié de la hauteur intégrale du Temple, qui était de trente coudées. L'entrée des étages était sur le côté droit (au midi) du Temple, à la chambre du milieu du rez-de-chaussée, et un escalier tournant conduisait de là aux étages supérieurs (ib. v. 8).

Au-dessus des étages, il y avait, dans les murs du Temple, des fenêtres fermées par un treillage, qui était probablement fixé dans un encadrement et immobile ; c'est là ce que le texte (ib. v. 4) laisse deviner ; mais tout ce qu'on a dit sur la grandeur, la fortune et la distribution de ces fenêtres, ne repose que sur de simples conjectures.

Le Temple était couvert en bois de cèdre (ib. v. 9), mais on ne nous dit rien sur la forme du toit ; c'était probablement une plate-forme entourée d'une balustrade[65].

Ce que nous avons dit jusqu'ici suffira pour donner une idée de l'aspect extérieur du Temple. Nous allons ajouter quelques détails sur l'intérieur de l'édifice.

De même que le Tabernacle de Moïse, le Temple de Salomon était divisé en deux parties : le devant ou le lieu saint, qui reçut le nom de HÉCHAL (palais), et le derrière ou le Saint des Saints, qui fut appelé DEBIR[66]. Ce dernier, situé à l'occident, embrassait la troisième partie de l'espace du Temple, c'est-à-dire vingt coudées sur les soixante qui formaient la longueur de tout l'édifice ; sa largeur étant également de vingt coudées, ainsi que sa hauteur (ib. v. 20), il formait un cube dont les dimensions étaient le double de celles du Saint des Saints de Moïse, et par conséquent l'espace intérieur se trouvait octuplé. — La hauteur de tout l'édifice étant de trente coudées et celle du Debir n'étant que de vingt, il restait nécessairement au-dessus du Debir un espace de dix coudées de hauteur, sur l'emploi duquel les documents gardent le silence. Il y en a qui pensent que, même à l'extérieur, le Debir était plus bas que le Héchal, et que la toiture de ce dernier était plus élevée de dix coudées. D'autres, admettant une chambre au-dessus du Debir, ont cherché à en deviner l'emploi, et on est allé jusqu'à imaginer un appareil électrique en rapport avec l'Arche sainte[67]. Nous ne saurions approuver ni l'une ni l'autre de ces suppositions, et nous pensons que le Héchal, comme le Debir, n'avait, à l'intérieur, qu'une hauteur de vingt coudées, ce qui nous semble résulter, avec évidence, du texte du premier livre des Rois (6, 16) ; les deux parties étaient, sans doute, sous le même toit, et, comme la hauteur extérieure était de trente coudées, il y avait nécessairement, entre le plafond et le toit, tout le long de l'édifice (soixante coud.), une espèce de grenier dont nous ne prétendons pas savoir déterminer l'emploi.

Il résulte de tout ce que nous voyons de dire que le lieu saint ou le Héchal avait quarante coudées de long, vingt coudées de large et vingt de hauteur. Les pierres ne se voyaient nulle part à l'intérieur ; car il y avait sur les murs un lambris de bois de cèdre, sculpté de chérubins, de branches de palmier, de coloquintes et de fleurs épanouies. Le plafond était également en bois de cèdre et le parquet en bois de cyprès. Partout, même au parquet, la boiserie était couverte d'une forte dorure ; sur la paroi occidentale, qui séparait le lieu saint du Saint des Saints, il y avait un ornement de chaînes d'or (ib. v. 21). Les boiseries, les ornements et les dorures[68] étaient les mêmes dans le Saint des Saints, ou le Debir, excepté que là le parquet aussi était en bois de cèdre. L'entrée du Debir était fermée par une porte en bois d'olivier sauvage, à deux battants, sculptée et dorée comme les lambris des murs[69]. Une porte pareille fermait l'entrée du Héchal ; mais ici les coteaux seulement étaient de bois d'olivier ; les battants étaient de bois de cyprès et composés chacun de deux planches qui tournaient dans des verrous (ib v. 34). Tous les gonds étaient d'or (ch. 7, v. 50). Le texte ne parle pas des dimensions des deux portes ; dans le Temple de la vision d'Ezéchiel, qui a beaucoup d'analogie avec celui de Salomon, la porte du Héchal a dix coudées de large, et celle du Saint des Saints sept coudées (Ézéch. ch. 41, v. 2 et 3).

Le Portique, sur la construction duquel nous ne savons rien de positif, n'avait pas de porte fermée ; l'entrée était toujours ouverte.

Il nous reste à parler des deux parvis qui entouraient le Temple (II Rois, 21, 5 ; 23, 12). Le parvis intérieur, seul mentionné dans la description du 1er livre des Rois (6, 36), était entouré d'un mur de trois rangées de pierres de taille surmontées d'une rangée (balustrade) de bois de cèdre. Les dimensions ne sont pas connues ; c'était probablement un carré oblong qui entourait tout le Temple, mais qui en était beaucoup plus rapproché à l'ouest qu'à l'est[70]. Le devant de ce parvis dut être très-vaste, pour contenir les objets dont nous parlerons tout à l'heure. Dans le 2me livre des Chroniques (4, 9), on l'appelle le parvis des prêtres, parce que les prêtres y exerçaient leurs fonctions, et on mentionne aussi la grande cour, ou le parvis extérieur (Ézéch. 40, 17), qui entourait le parvis intérieur, et ou le peuple avait accès. Les entrées des deux parvis étaient fermées par des portes couvertes d'airain. Dans ces parvis nous trouvons plus tard beaucoup de portes, dans différentes directions[71], et un grand nombre d'appartements destinés aux trésors et aux prêtres et lévites de service[72] ; une partie de ces portes et de ces appartements remontaient, sans doute, à la construction primitive de Salomon, notamment un portique à l'orient, appelé plus tard le portique de Salomon[73].

Nous arrivons maintenant aux objets sacrés qui se trouvaient dans les différentes parties du sanctuaire et qui étaient analogues à ceux que nous avons vus dans le Tabernacle de Moïse. Nous pouvons donc nous dispenser d'entrer dans des détails sur l'usage de ces objets.

Au milieu du parvis intérieur était le grand autel d'airain, ayant, selon le deuxième livre des Chroniques (4, 1), vingt coudées en long e t en large et dix coudées de hauteur ; il était composé probablement de plaques d'airain et rempli en dedans de terre ou de pierres. Si ces dimensions sont exactes, ce qui est invraisemblable, l'autel aurait couvert toute la largeur du Temple, et sa solidité aurait été à celle de l'autel du Tabernacle comme quatre mille à soixante et quinze. — Le bassin, qui se trouvait au S. O. de l'autel et au S. E. du Temple, fut appelé, à cause de son immense grandeur, la mer d'airain. Il avait la forme d'un hémisphère[74] ; sa profondeur, ou le rayon, était de cinq coudées et son diamètre de dix[75], et le métal avait un palme d'épaisseur. Le bord était travaillé en forme de calices de fleurs de lis et au ; dessous couraient deux rangées de coloquintes. Le bassin pouvait contenir deux mille bath d'eau[76]. Il reposait sur douze bœufs d'airain, placés, selon Josèphe, autour d'une spire qui soutenait le bassin au centre et qui avait une coudée de diamètre. Trois des bœufs regardaient l'orient, trois l'occident, trois le nord et trois le midi. Le bassin était probablement pourvu de robinets par lesquels les prêtres tiraient l'eau nécessaire pour se laver les mains et les pieds. — Outre ce grand bassin, il y en avait encore dix autres, qui avaient chacun quatre coudées, dit le texte (I Rois, 7, 38), c'est-à-dire selon Josèphe, quatre coudées de profondeur et autant de diamètre au bord. Il paraîtrait donc qu'ils avaient la forme ovale. Ils contenaient chacun quarante bath d'eau, qui servait à laver différentes pièces des sacrifices (Lév. 1, 9). Ils étaient placés sur des piédestaux d'airain, de quatre coudées en long et en large, et de trois coudées de hauteur, et qui reposaient sur quatre roues' chacune d'une coudée et demie de hauteur. Les piédestaux étaient ornés de figures de lions, bœufs et de chérubins. Cinq de ces bassins étaient placés au nard du sanctuaire, et cinq au midi. Enfin, il y avait là des chaudières, des pelles, des aspersoirs, et autres ustensiles d'airain, à l'usage des sacrifices.

Dans le Héchal, devant l'entrée du Saint des Saints, se trouvait l'autel des parfums, en bois de cèdre, couvert de lames d'or. Le chandelier à sept branches et la Table des pains de proposition occupaient la même place que dans le Tabernacle de Moïse[77], et en outre il y avait à chacun des deux côtés cinq candélabres et cinq tables également en or, avec un grand nombre de coupes, de vases et autres instruments d'or[78].

Dans le Debir, ou le Saint des Saints, il n'y avait autre chose que l'arche sainte, probablement placée sur un piédestal. Deux chérubins de bois d'olivier, sauvage, couverts d'or, se trouvaient aux deux extrémités de l'arche ; ils avaient chacun dix coudées de hauteur, et leurs ailes étendues, chacune de cinq coudées, occupaient toute la largeur du Debir, et couvraient l'arche sainte. Celle-ci devait être dérobée à tous les regards ; on ne remarquait, lorsque la porte du Debir était ouverte, que les extrémités des barres qui servaient à porter l'arche et qui dépassaient la hauteur du rideau (I Rois, 8,8 ; II Chr. 5, 9).

Les travaux de construction furent terminés dans la onzième année du règne de Salomon, au mois de Boul (octobre-novembre), le huitième de l'année des Hébreux. Il se passa probablement encore quelque temps dans les arrangements intérieurs. Le roi convoqua. a Jérusalem les anciens et les chefs des tribus et des familles, pour le septième mois, ou le mois sacré (de l'année suivante), afin d'y assister à la translation de l'arche sainte et à la dédicace du Temple. En même temps le Tabernacle de Gabaon, avec tous les objets sacrés qu'il renfermait, fut transporté à Jérusalem et déposé dans les trésors du Temple (I Rois, 8, 4). L'arche sainte, qui se trouvait sur le mont Sion, fut transportée par les prêtres pour être placée dans le Saint des Saints sous les ailes des Chérubins. Le roi Salomon ouvrit lui-même la marche, accompagné des députés de tout Israël. Pendant cette solennité, on immola des victimes innombrables. Les prêtres seuls entrèrent dans le Saint des Saints, dont une nuée épaisse déroba la vue à tous les assistants.

Quand les prêtres furent sortis, le roi prononça ces mots : Jéhova a dit qu'il habiterait dans le brouillard ; j'ai bâti une maison pour te servir de demeure, un lieu pour ta résidence éternelle. Se tournant vers le peuple, il lui annonça que, avec l'aide de Dieu, il avait enfin exécuté le projet conçu par son père David, en bâtissant un Temple au nom de Jéhova, le Dieu d'Israël, et en y plaçant l'arche sainte renfermant le document de l'alliance que Dieu avait conclue avec Israël, à la sortie d'Égypte. Ensuite le roi, agenouillé devant l'autel et les mains tendues vers le ciel, prononça une longue prière, dans laquelle il implora la Divinité d'exaucer les supplications que le peuple d'Israël porterait à ce Temple, dans toutes les circonstances graves et solennelles : Et même l'étranger, ajouta-t-il, qui n'est pas de ton peuple Israël, et qui sera venu d'un pays éloigné, à cause de ton nom, ayant entendu parler de ton grand nom, de ta main puissante et de ton bras étendu, et venant prier vers ce Temple ; tu l'exauceras du haut des cieux, le lieu de ta résidence, afin que tous les peuples de la terre reconnaissent ton nom pour le craindre, comme ton peuple Israël, et qu'ils sachent que ce Temple, que j'ai bâti, est appelé par ton nom. Le texte de toute cette touchante prière nous a été conservé dans l'Écriture sainte[79]. A la fin, le roi debout devant le peuple, le bénit à haute voix : Béni soit Jéhova, dit-il, qui a donné le repos à son peuple Israël, selon tout ce qu'il a dit ; il n'est pas tombé un seul mot de tout le bien qu'il a promis par son serviteur Moïse. Que Jéhova, notre Dieu, soit avec nous, comme il a été avec nos ancêtres, qu'il ne nous abandonne pas et ne nous délaisse pas ; pour faire incliner nos cœurs vers lui, pour que nous marchions dans ses voies, que nous observions ses commandements, ses statuts et a ses droits qu'il a prescrits à nos pères. Et que ces paroles de supplications que j'ai adressées à Jéhova lui soient présentes, jour et nuit, pour qu'il fasse le droit de son serviteur et le droit de son peuple Israël, chaque jour ; afin que tous les peuples de la terre sachent que Jéhova est le seul Dieu et qu'il n'y en a pas d'autre. Puisse votre cœur être entier avec Jéhova, notre Dieu, pour marcher selon ses statuts et pour observer ses commandements, comme en ce jour.

On célébra ensuite la dédicace du Temple par de grands sacrifices ; le roi et la foule immense qui s'était réunie à Jérusalem pour cette solennité, offrirent vingt-deux mille bœufs et cent vingt mille brebis. La fête des Tabernacles, qui tomba à cette époque, fut célébrée pendant deux semaines. Le lendemain de la fête, chacun se retira en bénissant le roi et en louant Dieu qui avait donné à Israël ces jours de bonheur.

Salomon, qui avait su captiver tous les esprits par l'immense éclat qu'il venait de donner au culte national, non content des charges et des sacrifices qu'il avait imposés au peuple, lui en créa d'autres par les vastes et brillantes constructions qu'il fit succéder à celle du Temple. Treize années furent employées à la construction du palais du roi appelé la maison de la forêt du Liban. La description que nous en possédons (I Rois, 7, 2-12) est fort obscure et incomplète ; voici ce que nous pouvons y deviner : tout l'édifice, formant un parallélogramme, avec une cour au milieu, avait cent coudées de long, cinquante de large et trente de hauteur. Les fondements étaient de grandes pierres de prix, de huit à dix coudées de long ; ils supportaient des murs de pierres de taille polies, encadrées dans un échafaudage ou dans des colonnes de bois de cèdre (v. 2 et 9). L'édifice était divisé en trois étages, dont les plafonds étaient en bois de cèdre, et tout autour il y avait à chaque étage des fenêtres symétriquement distribuées. A l'entrée il y avait un portique, soutenu par des colonnes et qui avait cinquante coudées de long et trente de large ; de là ou arrivait dans une salle appelée portique de la justice, car là était le trône, et Salomon y tenait ses audiences cominej tige. Derrière ces portiques, dans la cour intérieure, étaient d'un côté les appartements du roi, et de l'autre ceux de la reine, fille du roi d'Égypte. Tout l'édifice était entouré d'une cour formée par un mur pareil à celui de la cour intérieure du Temple. — Le trône de Salomon était d'ivoire, couvert d'or fin ; le dossier était arrondi en haut, et à chacun des deux accoudoirs il y avait l'image d'un lion. On y montait par six marches portant chacune deux lions aux deux extrémités. Une foule de vases et d'autres objets en or ornaient le magnifique palais ; on y voyait entre autres, dans la salle des armures, deux cents grands boucliers d'or et trois cents autres de moindre dimension.

Après avoir passé vingt ans à la construction du Temple et du palais, Salomon entreprit d'autres travaux pour fortifier et embellir la capitale et quelques autres villes du royaume. Hiram, roi de Tyr, lui envoya de nouveau une grande quantité de bois de cèdre et de cyprès, et reçut en échange un district de la Galilée, renfermant vingt villes ; ce district, limitrophe de la Phénicie, et habité probablement par des Cananéens, reçut le nom de Caboul, sans doute du nom de l'une de ses villes (Josué, 19, 27). Sur tous les autres points du royaume, les descendants des Cananéens, soumis au sceptre de Salomon, furent employés aux corvées. Parmi les villes que Salomon fit bâtir ou fortifier pour protéger le pays contre une invasion, nous trouvons la célèbre ville de Tadmor (Palmyre), dont les fortifications pouvaient servir de boulevard contre les ennemis venant de l'Euphrate et contre les hordes arabes. Les forteresses munies de garnisons et des provisions nécessaires (I Rois, 9, 19), une armée considérable, qui possédait une forte cavalerie et un grand nombre de chariots de guerre, semblaient devoir inspirer le respect aux peuples voisins, garantir les conquêtes faites par David et assurer au royaume une paix durable ; car il n'entrait pas dans' les vues de Salomon d'étendre encore davantage les limites de son royaume par des guerres offensives. Au contraire, il tâchait d'augmenter la prospérité du pays par des entreprises commerciales ; le port d'Asiongaber, sur le golfe Élanitique, qui, depuis la défaite des Iduméens, était au pouvoir des Hébreux, servait de point de départ pour lés contrées de l'Arabie méridionale, ou le pays d'Ophir[80]. Des vaisseaux de Salomon et de Hiram, conduits par des marins phéniciens, allaient tous les trois ans à Ophir, et probablement plus loin, et rapportaient de l'or, du bois de sandal, des pierres précieuses, l'ivoire, des singes et des paons[81]. L'Égypte fourbissait à Salomon un grand nombre de chevaux pour sa cavalerie et ses chars, et probablement il en faisait aussi un article de commerce, dont il se réservait le monopole. Ce commerce devait être très-lucratif ; car les peuples du nord de la Palestine, et notamment les Phéniciens, auront mieux aimé tirer leurs chevaux de la Palestine que de les faire venir directement de l'Égypte, le transport par mer ayant de grands inconvénients[82].

Le grand éclat que Salomon parvint ainsi à donner à son règne fut encore rehaussé par la renommée de ses qualités personnelles. On le disait l'homme le plus sage, le plus instruit de son temps. Ses expéditions maritimes avaient répandu son nom dans l'Arabie. Une reine de Saba, ou de la Sabée[83], dans l'Arabie Heureuse, ayant entendu parler de la haute sagesse de Salomon, fit un voyage à Jérusalem, pour faire la connaissance du célèbre roi et pour l'éprouver par des énigmes. Salomon lui donna des réponses satisfaisantes sur toutes les questions qu'elle lui proposa ; la reine fut aussi surprise de la sagesse de Salomon qu'éblouie de l'éclat qui l'entourait, et elle déclara qu'on ne lui avait pas raconté la moitié de ce qu'elle avait vu elle-même. Elle fit au roi de riches cadeaux en or, en pierreries et en aromates ; Salomon, de son côté, usa à l'égard de la reine de la plus grande munificence. Elle partit, bénissant le roi et enviant le sort de ses serviteurs à qui il était permis d'écouter toujours les paroles de sa haute sagesse.

Plusieurs rois arabes et les gouverneurs des provinces faisaient a Salomon des présents annuels ; il retira, en outre, un revenu considérable de l'impôt payé par les marchands ; car le commerce avait pris de grands développements. Le revenu annuel de Salomon est évalué, par l'historien sacré, à six cent soixante-six talents d'or (environ 29.000 kg.).

Quel immense changement depuis l'installation de Saül, quittant ses bœufs pour aller défendre son pays ! Quelle distance de la maison de Kîs à Gabaa, au palais de Salomon dans la magnifique Jérusalem, resplendissante de richesses et de superbes édifices et déployant tout le luxe d'une cour orientale ! Qu'était devenu le peuple de Moïse, qui ne devait connaître d'autres richesses que le sol et les troupeaux, qui ne devait se composer que de laboureurs, tous égaux en biens et en dignité ? Ce peuple était-il devenu plus heureux, en changeant en or le lait et le miel qui coulait dans son pays, en transformant les faucilles et les serpes en glaives et en lances ? Il paraîtrait, au contraire, que Jérusalem et sa cour absorbaient tout le bien-être des provinces, où les charges inaccoutumées firent naître bientôt un malaise qui menaça de faire éclater le mécontentement général. Le Temple de Jérusalem qui avait coûté tant d'efforts et qui semblait devoir affermir le culte national, et devenir la plus forte garantie de l'union des tribus, fut profané par le roi lui-même, dont les amours cosmopolites favorisèrent d ans la ville sainte la plus abominable idolâtrie. Salomon offrait des sacrifices dans le sanctuaire de Jéhova, trois fois par an, aux grandes fêtes des Hébreux[84] ; mais, pour plaire aux femmes de son harem, il éleva des autels à Asthoreth, à Moloch, à Camos et à d'autres divinités étrangères, et donna ainsi, le premier, l'exemple de la plus révoltante infidélité au Dieu unique et universel et au culte national. Dès lors les orateurs ou prophètes durent se détourner de lui avec indignation et favoriser les projets des mécontents. Déjà on parlait vaguement d'un soulèvement général et il paraîtrait même qu'un prophète osa se présenter devant Salomon, pour lui prédire la défection de toutes les tribus, à l'exception de celle de Juda (I Rois, 11, 11-13). Le prophète Achiah de Siloh, rencontrant un jour, en chemin, l'Éphraïmite Jéroboam, homme vaillant, que Salomon avait nommé inspecteur des corvées de sa tribu et qui revint alors de Jérusalem, lui prédit qu'il régnerait sur dix tribus d'Israël. Voulant présenter sa prédiction sous une forme symbolique, le prophète saisit le vêtement neuf que portait Jéroboam ; et l'ayant déchiré en douze pièces, il lui en donna dix, représentant les dix tribus. Soit que Jéroboam eût déjà manifesté des vues ambitieuses avant cette époque, ou que le prophète Achiah, s'abandonnant, à l'exemple de Samuel, à une certaine divination, crût trouver dans Jéroboam un homme capable de se mettre à la tête des mécontents, ce qui est certain, c'est que, depuis cette époque, Jéroboam se rendit suspect à Salomon, et que, pour sauver sa vie, il fut obligé de fuir en Égypte, où il trouva un protecteur dans le roi Sisac ou Scheschonk, chef d'une nouvelle dynastie, qui venait de monter sur le trône et qui, comme nous le verrons plus loin, était hostile au pays de Juda.

Sur les frontières Salomon était également menacé de quelques dangers. Dans le midi, le prince iduméen Hadad ne cessait de faire des tentatives pour reconquérir le royaume de son père. Ce prince qui, dans son enfance, lors de la catastrophe de l'Idumée, sous David, avait été emmené en Égypte et y avait épousé plus tard une princesse royale, était rentré depuis dans son pays, où ses menées sourdes furent probablement appuyées par l'Égypte, mais sans résultat. Dans le nord, Salomon était inquiété par Rezôn, qui, autrefois au service de Hadadézer, roi de Soba, avait quitté son souverain et était parvenu à se rendre maître de Damas et à y fonder une dynastie. S'il faut en croire Josèphe[85], Hadad voyant échouer ses tentatives en Idumée, se serait rendu à Damas pour se liguer avec Rezôn, et les deux ennemis de Salomon auraient infesté le territoire des Hébreux pour s'y livrer au pillage.

Le respect qu'inspirait le nom de David, auquel se rattachaient de si glorieux souvenirs, protégea son fils Salomon contre l'orage déjà suspendu sur sa tête (ib. v. 34). Salomon put mourir en paix, après avoir régné quarante ans ; mais il laissa à son successeur un règne chancelant et prêt à s'écrouler. La civilisation avait fait de grands progrès, l'industrie, la littérature et les arts s'étaient développés ; mais aussi le peuple, surtout à Jérusalem, s'était habitué au luxe et à la mollesse, et la pompe même du Temple et de son culte avait répandu les germes du paganisme ; car elle agissait plutôt sur les sens que sur le vrai sentiment religieux. La littérature des Hébreux dut à Salomon lui-même des accroissements très-considérables ; il avait composé trois mille sentences ou proverbes, mille et cinq cantiques, et une description des différents règnes de la nature (I Rois, ch. 4, v. 32 et 33). Il devint parmi les Hébreux le représentant de la poésie gnomique et érotique ; une partie du livre des Proverbes est probablement son ouvrage, mais la critique ne saurait lui attribuer le livre de Kohéleth (l'Ecclésiaste), ni même le Cantique des Cantiques tel que nous le possédons. Nous y reviendrons dans un autre endroit.

Avec David et Salomon l'État des Hébreux était arrivé à son apogée ; nous le verrons maintenant marcher vers son déclin. Le successeur naturel de Salomon fut son fils aîné Rehabeam (Roboam), qui, à la mort de son père, était âgé de quarante et un ans. Les députés des tribus d'Israël, qui devaient rendre leurs hommages au nouveau roi, mais qui voulurent en même temps lui dicter des conditions et demander une diminution des charges, jugèrent convenable de ne point se rendre à Jérusalem ; ils s'assemblèrent à Sichem, chef-lieu de la puissante tribu d'Éphraïm. Ils rappelèrent d'Égypte Jéroboam, fils de Nebât, qui avait pris la fuite devant Salomon, et qui vint se placer à la tête des députés opposants. Rehabeam fut invité a se rendre à Sichem pour y être proclamé roi, et loin de se douter du piège qui lui était tendu, il se présenta dans l'assemblée. Jéroboam porta la parole au nom des députés : Ton père, dit-il au roi, a rendu dur notre joug ; mais toi, allège maintenant la dure servitude de ton père et le joug pesant qu'il nous a imposé, et nous te servirons. Rehabeam demanda un délai de trois jours pour donner sa réponse. Il consulta d'abord les anciens, qui avaient assisté de leurs conseils son père Salomon, et ils furent d'avis qu'il fallait répondre avec douceur et se montrer accommodant, pour obtenir la soumission du peuple. Mais Rehabeam, ne trouvant pas ce conseil à son goût, délibéra avec les jeunes courtisans, ses amis d'enfant, et, sur leur avis, il résolut de montrer de l'énergie et de parler en despote. Lorsque, au troisième jour, Jéroboam et les députés se présentèrent devant le roi, celui-ci répondit avec insolence : Mon petit doigt est plus gros que les reins de mon père ; le joug que mon père a fait peser sur vous, moi je l'augmenterai encore ; mon père vous a châtiés avec des fouets, et moi je vous châtierai avec des verges piquantes. Ces paroles devinrent le signal d'un soulèvement général ; comme jadis, dans la révolte de Séba, on s'écria de tout côté : Nous n'avons pas de part à David, ni d'héritage dans le fils d'Isaï ; retourne à tes tentes, Israël ! Adoram, chef des corvées, envoyé par Rehabeam pour calmer l'effervescence du peuple, fut tué à coups de pierres. Rehabeam eut le temps de monter dans son char et de s'enfuir en toute hâte à Jérusalem. Les tribus de Juda et de Benjamin restèrent seules fidèles à la dynastie de David, tandis que les autres dix tribus proclamèrent Jéroboam roi d'Israël[86].

C'est ainsi que s'accomplit le schisme, dont les germes existaient depuis longtemps dans la jalousie avec laquelle la puissance toujours croissante de la tribu de Juda fut regardée par les autres tribus et notamment par celle d'Éphraïm. La désunion avait déjà éclaté sous David ; mais le respect que commandaient les actes éclatants de ce grand roi et l'énergie de son général Joab avaient étouffé la révolte dans sa naissance, et le prestige du règne de Salomon avait fait taire d'abord les dissensions des tribus et les ambitions personnelles. A la fin de son règne une révolution était devenue inévitable, et la tyrannie de Rehabeam ne pouvait manquer de la faire éclater. Cette révolution s'opéra neuf cent soixante-quinze ans avant l'ère chrétienne.

 

 

 



[1] Le texte dit (I Samuel, 13, 1) : Saül en devenant roi, était BEN-SCHANAH, c'est-à-dire, âgé d'un an ; il est évident que le chiffre manque et qu'il faut traduire : âgé de ... ans, car, en hébreu, on met le singulier après les noms de nombre au delà de dix. La Vulgate porte : Filius unius anni erat Saul cum regnare cœpisset, ce qui ne donne aucun sens. Voyez Des Vignoles, I, 138 et suiv.

[2] Michmas, près de Gebaa, était situé au nord de Jérusalem, à environ trois lieues de distance ; il y avait près de là un défilé, dont l'occupation militaire était d'une grande importance. Voyez I Samuel, 14, v. 4 et 5.

[3] I Samuel, 13, 1. Dans ce passage le verbe MALACH doit se rendre par le plus-que-parfait regnaverat et non pas par regnavit, comme le fait la Vulgate ; le sens est, que Saül avait régné deux ans, lorsque arriva l'événement qu'on va raconter.

[4] Voyez I Samuel, 14, 47. Il résulte évidemment de ce passage que l'État de Soba, que nous verrons en conflit avec David, était voisin de la Palestine, et on ne saurait admettre l'opinion de Michaelis, qui, sur la seule autorité des Pères de l'Église syriens, a pris Soba pour Nésibis ou Nisibin en Mésopotamie. (Voyez sa dissertation De Syria Sobœa, dans ses Commentatt.. soc. Gotting oblatæ, t. II.) Dans l'épigraphe du psaume 80, Soba est expressément distingué de la Mésopotamie. Michaelis a été victorieusement réfuté par Rosenmüller, qui, avec beaucoup plus de vraisemblance, place l'État de Soba en deçà de l'Euphrate, qui en était la limite orientale, à l'ouest il touchait le territoire de Damas et celui des Hébreux. Voyez Rosenmüller, Bibl. Geographie, I, 2, p. 145 et 250.

[5] Voyez I Samuel, 14, 49-51. Il mérite d'être remarqué que, dans ce passage où l'on énumère les membres dont se composait la famille royale au commencement du règne, il n'est pas question du quatrième fils de Saül, nommé Isboseth. Il paraitrait donc qu'Isboseth naquit après l'installation de S sut, circonstance importante pour fixer la durée du règne de Saül, car, après la mort de celui-ci, Isboseth était âgé de quarante ans (II Samuel, 2, 10).

[6] Cette ville était dans le canton de Juda (Josué, 15, 65), sur une montagne du même nom.

[7] Espèce de guitare ou de harpe ; nous en parlerons dans un autre endroit.

[8] Le texte, I Samuel, 17, 54, dit que David apporta la tête de Goliath à Jérusalem, Ce n'est là qu'une inadvertance de l'auteur des livres de Samuel, qui vivait à une époque où Sanctuaire et Jérusalem étaient en quelque sorte synonymes.

[9] Selon le texte (I Samuel, 17, 55-58) Saül, en voyant David s'avancer contre Goliath, demanda à Abner qui était ce jeune homme ; mais Abner ne le connaissait pas plus que le roi, et, après la lutte, Saül se fit amener David et l'interrogea pour savoir qui il était. Ce passage, en contradiction avec tout ce qui précède, est évidemment une interpolation tirée, sans doute, d'un autre document moins authentique, où l'origine des rapports de Saül avec David était racontée d'une manière différente. En effet, ce passage manque dans la version grecque.

[10] Achimélech avait succédé à son frère Achiah, qui, comme on l'a vu plus haut s'était trouvé avec l'Éphod auprès de Sel.

[11] Cette ville était probablement située au nord de Jérusalem, entre Rama et Anathoth. Voyez Isaïe, 10, 30.

[12] Voyez I Samuel, ch. 24. Selon une autre relation, la rencontre de Saül et de David aurait eu lieu dans le désert de Ziph, après que David eut été trahi par les habitants de cette contrée. Voyez ibid., chap. 26. Suivant cette version, David, accompagné d'un de ses frères d'armes, se serait rendu, pendant la nuit, au camp de Saül, et, trouvant tout le monde plongé dans un profond sommeil, il aurait enlevé la lance et la coupe du roi ; puis il aurait appelé Abner, pour, lui reprocher la négligence avec laquelle il gardait son roi. Saül, reconnaissant la voix de David, l'aurait appelé et aurait reconnu ses torts. — Je me range à l'opinion de Bayle et de plusieurs autres critiques, qui voient dans le ch. 26 une autre relation du même événement qui est raconté dans le ch. 24, et non pas le récit d'une seconde rencontre entre Saül et David. Les principaux traits des deux récits sont parfaitement semblables. Il n'est pas probable d'ailleurs que David se soit rendu une seconde fois dans la contrée de Ziph dont les habitants l'avaient trahi, ni qu'il ait parlé une seconde fois à Saül, sans faire mention de leur première rencontre, où sa générosité avait désarmé Saül et lui avait déjà fait avouer ses torts.

[13] Voyez I Chroniques, ch. 12, v. 1-22.

[14] Qui sait si tout ce récit n'est pas emprunté à un poème, où l'apparition de Samuel devait encore plus mettre en relief la fin tragique de Saül et de sa dynastie ? Herder compare à cette apparition celle de l'ombre de Darius dans les Perses d'Eschyle.

[15] Josèphe dit (Antiquités, VI, 14, 9) qu'il avait régné dix-huit ans, du vivant de Samuel, et vingt-deux ans après sa mort. Si ces nombres sont exacts, l'exil de David et ses courses vagabondes dans le désert de Pharan auraient duré vingt ans. Saint Épiphane, dans ses exemplaires de Josèphe, a lu deux ans, au lieu de vingt-deux, de sorte que tout le règne de Saül n'aurait duré que vingt ans. Voyez l'édition de Havercamp, t. I, p. 360. Cependant le nombre total de quarante ans, pour le règne de Saül, n'a rien d'invraisemblable et il se trouve confirmé par les Actes des Apôtres, ch. 13, v. 21. Voyez sur les détails, des Vignoles, t. I, p. 136-155. Nous rappellerons encore qu'Isboseth, fils de Saül, qui n'est pas mentionné au commencement de son règne, se trouve âgé de quarante ans après la mort de son père.

[16] Voyez les psaumes 7, 18, 52, 64, 56, 67, 59, et plusieurs autres.

[17] Voyez II Samuel, ch. 1, v. 18 et suivants. Les mots : Pour apprendre aux fils de Juda l'arc qui ont offert tant de difficulté aux interprètes sont, à mon avis, le commencement de l'élégie. Voici comment je traduis le v. 18 : Et il récita (cette élégie) : Pour apprendre, aux fils de Juda (à manier) l'arc, (etc.) comme il est écrit dans le livre Yaschar. Après avoir renvoyé le lecteur à ce recueil de poésies, qui renfermait l'élégie tout entière, l'auteur en cite quelques fragments.

[18] Pour comprendre ces paroles, il faut se rappeler qu'Abner, en tuant Asaël, avait usé du droit de légitime défense. David voulut dire qu'Abner n'avait pas été livré à Joab par la justice, afin qu'il exerçât sur lui le droit du Goël.

[19] Voyez II Samuel, 9, 4.

[20] C'est ce que nous lisons dans plusieurs passages de la Bible : II Samuel, 2, 11 ; 5, 5 ; I Rois, 2, 11 ; I Chroniques, 3, 4 ; 29, 27. Tous ces passages sont conformes, si ce n'est que dans deux les six mois ont été omis. Nous croyons donc que dans l'endroit où on dit que le règne d'Isboseth (parallèle à celui de David à Hébron) dura deux ans (II Samuel, 2, 10), il y a une ancienne faute de copiste ; car tout porte à croire que les tribus se soumirent à David, immédiatement après la mort d'Isboseth. Josèphe ne dit rien de la durée du règne d'Isboseth ; les rabbins supposent un interrègne de cinq ans entre Isboseth et David, Séder Olam rabba, à la fin du ch. 13.

[21] Voyez I Chroniques, ch. 12, v. 39 et 40.

[22] Voyez II Samuel, 23, 9-39 ; I Chroniques, 11, 11-47. Comparez Josèphe, Antiquités, VII, 12, 4.

[23] Voyez, en général, II Samuel, 5, 17-25 ; 8, 1 ; 21, 15-22 ; 23, 9 et suiv. — I Chroniques, 18, 1 ; 20, 4-8.

[24] Voyez II Samuel, ch. 7 ; I Chroniques, ch. 17 ; comparez I Rois, 5, 17,

[25] Dans les versions on lit Hadarézer, de même dans plusieurs passages du texte hébreu ; mais la vraie leçon est Hadadézer, Hadad étant le nom d'une divinité syrienne. Voyez le dictionnaire de Gesénius, sous ce mot.

[26] II Samuel, 8, 17, on lit Achimélech, fils d'Abiathar, ce qui est probablement une ancienne faute ; car, au ch. 20, v. 25, on nomme, comme prêtres de la cour, Sadok et Abiathar. La faute du premier passage aura induit en erreur l'auteur des Chroniques ; voyez I Chroniques, ch. 18, v. 18 (où on lit même Abimélech pour Achimélech), et ch. 24, v. 3 et 5.

[27] L'étymologie de ces deux mots est fort douteuse ; on les traduit ordinairement par exécuteurs et courriers. Il y en a qui y voient des noms dérivés de certaines familles ; d'autres pensent à un corps composé de Philistins, ou formé sur le modèle des archers philistins.

[28] Le texte du 2e livre de Samuel (9, 18) dit : Et les fils de David étaient Cohanim (prêtres), ce que la Chronique explique par les premiers près du roi. On a prétendu que l'auteur des Chroniques, ne voulant pas admettre l'existence de prêtres autres que ceux de la race d'Ahron, s'est permis de substituer d'autres mots au texte primitif. Pour nous, nous ne croyons pas au sacerdoce des fils de David, dont on ne trouve de traces nulle part, et nous voyons dans le mot Cohanim un simple titre, dont la Chronique explique le véritable sens.

[29] Voyez Burckhardt, Travels in Syria, pages 357 et 358.

[30] II Samuel, 12, 31 ; I Chroniques, 20, 3.

[31] Voyez les observations de Michaelis (Mos. Recht, t. I, § 64) contre la dissertation de Danz, intitulée : De miligata Davidis in Ammonitas crudelitate (Jena, 1710).

[32] Voyez le psaume 51 (Vulg. 50), qui selon l'épigraphe, fut composé dans cette occasion. C'est à tort que plusieurs critiques ont douté de l'authenticité de cette épigraphe, parce que, dans lés deux' derniers versets du psaume, on prie pour le rétablissement des murs de Jérusalem et des sacrifices ; ces versets furent ajoutés plus tard, lorsqu'on appliqua les prières et les chants des temps anciens à des circonstances nouvelles. Il y a des exemples analogues dans d'autres psaumes.

[33] Tel parait être le sens des mots : Et il l'envoya entre la main du prophète Nathan (II Samuel, 12, 25).

[34] Le texte (II Samuel, 15, 7) dit : au bout de quarante ans, et les commentateurs ne sont pas d'accord sur l'époque de laquelle il faut dater ces quarante ans. Nous n'hésitons pas à admettre la variante de la version syriaque et de Josèphe (Antiquités, VII, 9, I), qui portent quatre ans, ce qui lève toutes les difficultés.

[35] Le texte (II Samuel, 20,6) nomme Abisaï, mais dans ce qui suit il est constamment question de Joab. Nous croyons donc qu'au lieu d'Abisaï il faut lire Joab, comme le portent en effet la version syriaque et Josèphe (Antiquités, VII, 11, 6).

[36] Saint Jérôme (Onomast. s. v. Bethmaacha) se trompe en plaçant cette ville entre Eleuthéropolis et Jérusalem. Voyez de Boissi, Dissertations, t. I, p. 283-287.

[37] Voyez Jahn, Archœologie, II, 1, p. 144.

[38] II Samuel, ch. 21, v. 2, 5 et 6.

[39] Voyez II Samuel, ch. 24, v. 4 et 5 ; Michaelis, Mos. Recht, t. III, § 174.

[40] Nous avons dépouillé le récit biblique (II Samuel, 24 et I Chroniques, 21) de son enveloppe mythique pour ne présenter que les faits historiques que nous croyons y reconnaître.

[41] Dans les Chroniques (I, 27, 16-22), on trouve les noms des chefs de tribu qui fonctionnaient sous David.

[42] Voyez II Samuel, 1, 5-11 ; 4, 9-12.

[43] Voyez II Samuel, 14, 4-11 ; 15, 2.

[44] Voyez I Chroniques, 23, 4 ; 26, 29 ; Michaelis, l. c., t. I, § 57.

[45] Voyez I Chroniques, ch. 22, v. 1-4 ; ch. 28, v. 11-19.

[46] Voyez I Chroniques, ch. 25 et 28 ; comparez I Chroniques, ch. 9, v. 26 ; II Rois, ch. 11, v. 6-7 ; II Chroniques, ch. 23, v. 4 ; Josèphe, Antiquités, VII, 14, 7. — Selon Josèphe, chaque ordre était divisé, comme les prêtres, en vingt-quatre classes, ou éphéméries.

[47] On peut voir les noms de ces chefs dans le premier livre des Chroniques, ch. 24. Nous retrouverons la même organisation encore après l'exil ; les chefs des classes sont les άρχιερεΐς du Nouveau Testament.

[48] Le texte des Chroniques porte Achemélech.

[49] Voyez I Chroniques, ch. 28 et 29.

[50] Voyez I Rois, 3, 7 ; I Chroniques, 22, 5 ; 29, 1. La chronique rabbinique (Séder Olam, ch. 14) et quelques Pères de l'Église lui donnent douze ans ; mais comme l'Écriture ne le fait régner que 40 ans, qu'elle parle de sa vieillesse, et qu'elle donne à son fils et successeur l'âge de quarante et un ans, il devait avoir au moins vingt ans à son avènement. Josèphe lui en donne 14 ; mais, contre le texte de l'Écriture, il le fait régner pendant quatre-vingt ans.

[51] Voyez I Rois, 3, 9 ; II Chroniques, 1, 10.

[52] On a vu que ce fut en s'appropriant le harem de David qu'Absalom crut faire acte de souveraineté. Le faux Smerdis s'empara, dans le même but, du harem de Cambyse. Voyez Hérodote, l. III, ch. 68.

[53] Le règne d'Osochor, selon Manéthon, dura six ans, c'est-à-dire (selon la chronologie de M. Champollion-Figeac), depuis l'an 1016 avant notre ère jusqu'à l'an 1010. Voyez Greppo, Essai sur le système hiéroglyphique, etc., pages 165 et 185.

[54] I Rois, 4, 2 ; voyez la note dans la Bible de M. Cahen.

[55] Voyez II Chroniques, 9, 25. Dans le premier livre des Rois (4, 26) on lit quarante mille au lieu de quatre mille.

[56] Voyez II Chroniques, ch. 2, v. 6 et 13 ; comparez I Rois, ch. 7, v. 11.

[57] Josèphe dit que les documents de cette convention, ainsi qu'une grande partie des lettres échangées entre Salomon et Hiram, existaient encore de son temps dans les archives de Tyr. Antiquités, VIII, 2, 8 ; Contre Apion, 1, 17.

[58] Voyez I Rois, ch. 5, v. 15-17 ; II Chroniques, ch. 2, v. 16 et 17.

[59] Selon le premier livre des Rois (ch. 8, v. 1) ce fut l'an 480 de la sortie d'Égypte ; mais nous avons déjà dit que ce chiffre offre de grandes difficultés, et que Josèphe compte tantôt 592, tantôt 612 ans. L'auteur des Chroniques a omis la date, probablement parce qu'elle lui paraissait incertaine. Des Vignoles place la fondation du Temple dans l'année 648 de la sortie d'Égypte.

[60] Ceux qui désirent de plus amples détails pourront consulter surtout les ouvrages suivants : Jacob Jehuda Léon, De templo Hierosolymitano (en hébreu), Amsterd. 1650, in-4° ; trad. en latin par Saubert, Helmstad., 1665 ; le même ouvrage en hollandais (Afbeeldinge van den Tempel Salomonis), par l'auteur, Amst., 1669. Cet auteur a confondu dans la même description le Temple de Salomon et celui d'Hérode. — Bernard Lami, De tabernaculo fœderis, de sancta civitate Jerusalem et de templo ejus, Paris, 1720, in-fol. — A. Hirt, Der Tempel Salomons, Berlin, 1809 ; in-4°. — Meyer, Der Tempel Salomons, Berlin, 1830, in-8°. — Winer, Realwœrterbuch, t. II, p. 661-670.

[61] Voyez Rois, ch. 7, v. 15 et suivants ; II Rois, ch. 25, v. 17 ; Jérémie, ch. 52, v. 21-23 ; II Chroniques, ch. 3, v. 15.

[62] Le 2e livre des Rois (25, 17) ne donne à ces chapiteaux que trois coudées. Pour lever la contradiction, Jahn a supposé que plus tard, dans les réparations du Temple, les chapiteaux avaient été diminués de deux coudées ; car, dans le passage en question, on parle de l'état où se trouvaient les colonnes lors de la destruction de Jérusalem par les Chaldéens. Voyez Bibl. Archœologie, t. III, p. 262. Mais Jahn a oublié que, dans le passage parallèle de Jérémie (62, 22), on donne également aux chapiteaux la hauteur de ciel coudées ; il y a donc nécessairement une faute dans le passage des Rois.

[63] I Rois, 6, 5 ; comparez Ézéchiel, 41, 6. Selon Josèphe, il y avait trente chambres dans chaque étage. Antiquités, VIII, 3, 2.

[64] Tel me parait être le sens le plus simple du texte (I Rois, 6, 6) tant tourmenté par les commentateurs et par les auteurs qui ont écrit sur le Temple.

[65] La plate-forme est généralement d'usage chez les Orientaux, même pour les temples ; voyez Juges, 16, 27. Cependant quelques auteurs donnent au Temple de Salomon un toit oblique ou un comble à pignon. Hirt, p. 30.

[66] Saint Jérôme rend ce mot par oraculum, lieu où la Divinité parlait (de DABBER, parler) mais il est plus probable qu'il vient de la racine arabe DABAB, être derrière, et qu'il signifie, comme le mot arabe DABIR, extrémité, partie postérieure.

[67] Voyez l'ouvrage de Hirt, p. 27 et suiv. ; Winer, t. II, p. 665.

[68] L'auteur des Chroniques, qui est extrêmement prodigue de l'or, fait employer à Salomon six cents talents d'or pour les dorures du Saint des Saints. II Chroniques, 3, 8.

[69] Elle avait peut-être la forme d'un pentagone. Voyez les commentateurs, I Rois, 5, 31 ; Jahn, t. III, p. 263. Selon II Chroniques, 3, 14, il y avait aussi à l'entrée un rideau (PAROCHETH) pareil à celui du Tabernacle de Moïse.

[70] Comparez ce que nous avons dit sur le parvis du Tabernacle.

[71] Voyez II Rois, ch. 11, v. 6 et 19 ; ch. 15, v. 35 ; Jérémie, ch. 20, v. 2 ; ch. 26, v. 10 ; ch. 36, v. 10 ; Ézéchiel, ch. 8, v. 3 et 5 ; ch. 9, v. 2 ; ch. 10, v. 19 ; ch. 11, v. 1. ; II Chroniques, ch. 24, v. 8 ; ch. 35, v. 15.

[72] Voyez Jérémie, ch. 35, v. 2 et 4 ; ch. 36, v. 10 ; I Chroniques, ch. 9, v. 25 et 33 ; ch. 23, v. 28 ; ch. 28, v. 12.

[73] Voyez Josèphe, Antiquités, XX, 9, 7 ; Guerre des Juifs, V, 5, 1 ; Évangile de Jean, 10, 23 ; Actes des Apôtres, 3, 11.

[74] Josèphe, Antiquités, VIII, 3, 5.

[75] Le texte ajoute que la périphérie était de trente coudées (I Rois, 7, 23 ; II Chroniques, 4, 2), ce qui nécessairement est inexact, s'il est vrai que le diamètre était exactement de dix coudées. Quelques auteurs, pour soutenir l'exactitude des deux chiffres, ont prétendu que le bassin avait la forme d'un hexagone (Jahn, l. c., p. 259), quoique le texte dise clairement que c'était un rond. Nous pensons que le diamètre seul (ou la ligne droite) avait été exactement mesuré ; la mesure de la courbe n'est fixée, dans le document, que par le calcul, et d'après cette proposition erronée qu'on trouve encore dans le Thalmud, savoir : que le diamètre est à la périphérie comme 1 à 3. Josèphe (l. c.), qui a senti la difficulté, s'abstient de reproduire, dans sa description, la mesure de la périphérie du bassin. Celle-ci était en réalité de coudées 31,4159265...

[76] Selon II Chroniques, 4, 5, il pouvait en contenir trois mille. Le bath, selon Josèphe, équivaut à un métrète attique, ou litres 38,853.

[77] Voyez I Rois, 7, 48 ; II Chroniques, 13, 11.

[78] Voyez I Rois, 7, 49 et 50 ; II Chroniques, 4, 7 et 8. Josèphe parle d'un nombre prodigieux de candélabres, de tables et de vases. Antiquités, VIII, 3, 7.

[79] Nous possédons de cette prière deux rédactions qui n'offrent qu'un très-petit nombre de variantes. Voyez I Rois, ch. 8, v. 23-53 ; II Chroniques, ch. 6, v. 14-42.

[80] Nous ne saurions reproduire ici toutes les différentes opinions des savants sur la position géographique du pays d'Ophir, que les uns cherchent dans l'Inde, les autres sur les côtes orientales de l'Afrique. Toutes les conjectures basées, soit sur la ressemblance de certains noms, soit sur la nature des articles de commerce qu'on tirait d'Ophir, soit enfin sur le temps qu'on mettait à ce voyage, doivent se taire devant la déclaration expresse de la table généalogique de la Genèse (ch. 10, v. 26-29) qui place Ophir parmi les descendants de Yoktan, au milieu d'autres noms qui appartiennent tous à différentes contrées de l'Arabie méridionale. Ces contrées, selon le témoignage de Diodore et de plusieurs autres auteurs grecs, étaient autrefois riches en or. Mais il se peut aussi qu'Ophir ait fait un grand commerce d'or étranger, et que les Hébreux tirant leur or des marchés d'Ophir l'aient appelé par ce nom. Voyez Rosenmüller, Biblische Geographie, t. III, p. 178.

[81] Voyez I Rois, ch. 9, v. 27 ; ch. 10, v. 11 et v. 22. Dans le dernier passage il est question d'un vaisseau de Tharsis (c'est-à-dire, allant à Tartessus en Espagne) ; mais il résulte de la combinaison de ce verset avec le verset 49 du ch. 22, qu'il s'agit ici, comme dans les autres passages, d'un vaisseau partant d'Asiongaber, et qui, par conséquent, n'allait pas en Espagne, ce qui d'ailleurs résulte aussi de la nature de quelques-uns des objets que rapportait ce vaisseau. Dans le langage des marins phéniciens, on appelait généralement les vaisseaux de long cours vaisseaux de Tharsis. L'auteur des Chroniques, qui ne connaissait pas la valeur de cette expression, fait aller les vaisseaux de Salomon à Tharsis en Espagne (II Chroniques, 9, 21).

[82] Voyez Michaelis, Mos. Recht, t. I à la fin du § 59.

[83] C'est à tort que Josèphe (Antiquités, VIII, 6, 5) en fait une reine d'Egypte et d'Ethiopie. Il est vrai que les Éthiopiens, dans leurs traditions fabuleuses, S'approprient cette reine, qu'ils appellent Maqueda ; ils prétendent qu'elle embrassa la religion des Hébreux et qu'elle eut de Salomon un fils, qui devint la souche des rois d'Éthiopie Voyez Ludolf, Hist. Æthiopica, l. II, c. 3. Mais les traditions arabes, qui connaissent la reine de Saba sous le nom de Batkis, la font régner dans le Yémen, ou l'Arabie Heureuse. Voyez Pocock, Specimen histor. Arabum, p. 59.

[84] I Rois, 9, 25 ; II Chroniques, 8, 13.

[85] Voyez Antiquités, VIII, 7, 8.

[86] La tribu de Benjamin, qui avait des griefs particuliers contre la dynastie de David, se serait probablement jointe aux autres tribus d'Israël, si sa position territoriale ne l'eût enchaînée à celle de Juda. La ville de Jérusalem était située sur le territoire de Benjamin.