PALESTINE

 

LIVRE III. — HISTOIRE DES HÉBREUX

DEUXIÈME PÉRIODE. — ÉTABLISSEMENT SUCCESSIF DANS LE PAYS DE CANAAN ; JUGES.

 

 

1. Conquête de Canaan.

Lorsque les trente jours de deuil furent accomplis, Josué, que Moïse lui-même avait installé comme son successeur, en lui imposant ses mains, ordonna de faire les préparatifs du départ. Les Hébreux étant campés dans les plaines de Moab, en face de Jéricho, cette place, la clef du pays de Canaan, devait avant tout fixer leur attention. Aussi Josué avait-il envoyé d'avance deux hommes pour explorer la ville de Jéricho et pour connaître l'esprit des habitants. Les deux explorateurs étaient allés se loger citez une courtisane nommée Rahab, qui, en les soustrayant aux investigations du roi de Jéricho, leur avait fait connaître le découragement des habitants effrayés de tous les prodiges que la Providence avait faits en faveur des Hébreux et surtout de la victoire remportée par Moïse sur Sillon et Og. Le rapport favorable que firent les explorateurs, à leur retour dans le camp, détermina Josué à faire opérer promptement le passage du Jourdain. Les Schoterim apportèrent au peuple l'ordre de départ, et on se mit en marche de Sittim vers le Jourdain. Le fleuve coulait alors à pleins bords ; car on était au mois d'avril. Les Cananéens négligèrent de défendre le passage du fleuve qui leur paraissait impraticable. Après trois jours de préparatifs, Josué ordonna aux prêtres qui portaient l'arche sainte, accompagnée probablement de la colonne de feu, de se mettre en marche, pour servir de guide au peuple qui devait suivre l'arche à deux mille coudées de distance. Les prêtres n'ont pas plutôt mis le pied dans le Jourdain que le cours du fleuve s'arrête dans cet endroit ; l'eau descendue d'en haut s'amoncelle et forme une digue, tandis que de l'autre côté l'eau découle vers la mer Morte et laisse le lit du fleuve à sec. Les prêtres placés avec l'arche au milieu du lit laissèrent passer tout le peuple ; puis ils montèrent eux-mêmes à l'autre rive pour reprendre leur place à la tête des colonnes. On plaça douze pierres au milieu du fleuve et douze autres sur sa rive droite, près de Guilgal, pour servir de monument, aux générations futures, du passage miraculeux du Jourdain. C'est ainsi que le livre de Josué raconte cet événement mémorable. Ici, comme dans le passage de la mer Rouge, le fait historique a été sans doute amplifié par la tradition : le miracle n'est pas dans le passage en lui-même, car nous savons que le Jourdain est guéable dans plusieurs endroits ; mais c'est la saison dans laquelle s'opérait le passage du Jourdain qui rend cet événement miraculeux. Nous ne répéterons pas les différentes conjectures des rationalistes ; car il nous paraît difficile de faire la part du fait historique et celle de la tradition poétique, accueillie, quelques siècles plus tard, par l'auteur du livre de Josué.

Les Hébreux, après avoir passé le Jourdain, campèrent à Guilgal, le dix du premier mois, quarante ans après la sortie d'Égypte et environ quinze siècles et demi avant l'ère chrétienne.

Immédiatement après être arrivé à Guilgal, Josué ordonna la circoncision de tous les mâles ; car cette opération avait été négligée pendant le séjour dans le désert. Le quatorze du mois on célébra la Pâque, et on mangea des pains azymes du blé du pays. Josué fit ensuite les préparatifs de la prise de Jéricho : chaque jour il fit faire aux troupes en silence le tour de la ville ; le gros de l'armée était suivi de l'arche auprès de laquelle se trouvaient sept prêtres sonnant du cor, et la marche était fermée par l'arrière-garde. Ces processions durèrent six jours, et Josué avait probablement pour but d'endormir la vigilance des ennemis par ces promenades insignifiantes ; le septième jour on alla ainsi sept fois autour de la ville, et au septième tour toute l'armée poussa le cri de guerre. Ce fut sans doute le signal d'un assaut général ; les murs s'écroulèrent subitement et la ville tomba au pouvoir des Hébreux.

On a essayé de donner différentes explications du récit merveilleux du livre de Josué, que les croyants se sont obstinés à prendre à la lettre et que les sceptiques ont cru devoir tourner en ridicule, mais qui est emprunté sans doute à un antique poème. Les uns ont supposé un tremblement de terre qui aurait fait écrouler les murs ; d'autres ont pensé que Josué avait fait miner les murs et que les promenades inoffensives autour de la ville avaient pour but de masquer les opérations. L'hypothèse la plus probable nie paraît être celle d'un assaut auquel le son des trompettes et le cri de guerre avaient servi de signal. Dans le langage poétique de la tradition, on a pu dire que les murs de Jéricho s'écroulèrent au son retentissant des trompettes de guerre[1].

L'anathème fut prononcé contre la ville de Jéricho ; tout ce qu'elle renfermait de vivant fut mis à mort, à l'exception de la courtisane Rahab et de sa famille ; la ville fut brûlée avec tout ce qu'elle renfermait ; l'or et l'argent, ainsi que les vases de métal, furent seuls transportés dans le trésor du sanctuaire. Josué prononça une malédiction contre celui qui rebâtirait la ville de Jéricho, ou du moins qui rétablirait ses fortifications.

Le quartier général de Josué, ainsi que le tabernacle, restait établi à Guilgal. Un détachement d'environ trois mille hommes fut expédié pour la conquête de la ville d'Aï à l'est de Bethel. Au dire des explorateurs que Josué y avait envoyés d'avance, un petit nombre d'hommes devait suffire pour s'emparer de cette ville ; néanmoins le détachement fut repoussé avec perte. Josué, effrayé de cet échec qui pouvait décourager le peuple, se prosterne devant Dieu ; il est convaincu que cette défaite est un châtiment céleste. On trouve en effet qu'un homme de la tribu de Juda, nommé Achan, a retenu plusieurs objets de l'anathème de Jéricho. Achan avoue son crime et on retrouve dans sa tente les objets qu'il a détournés. Par ordre de Josué, lui, ses fils et ses filles sont lapidés par le peuple, et tout ce qui lui appartient est consumé par le feu.

Une seconde attaque contre Aï est conduite avec plus de prudence. Josué s'y rend lui-même avec toute l'armée ; trente mille hommes d'élite sont placés en embuscade à l'occident de la ville[2] ; le reste des troupes, ayant Josué en tête, campe au nord de la ville. Les habitants d'Aï ayant fait une sortie, les Hébreux simulèrent une fuite pour attirer l'ennemi loin de la ville. A un signal donné par Josué, les hommes qui étaient en embuscade entrèrent dans la ville abandonnée de ses défenseurs et y mirent le feu. Alors l'armée des Hébreux, qui avait feint de fuir, se retourna contre l'ennemi ; ceux qui avaient pris la ville arrivèrent du coté opposé, et bientôt l'ennemi, se trouvant enveloppé de tous les côtés, fut totalement battu et détruit. Aï eut le même sort que Jéricho ; mais cette fois les bestiaux et tout le butin furent abandonnés aux soldats. Le roi d'Aï, pris vivant, fut pendu par ordre de Josué.

Si l'ordre chronologique a été strictement observé dans le texte biblique, les Hébreux auraient pénétré i médiatement jusqu'à Sichem ; car le livre de Josué, après avoir parlé du sac d'Aï, dit que Josué bâtit alors un autel sur le mont Ébal et qu'il y fit graver le résumé de la loi de Moïse. Les bénédictions et les malédictions furent prononcées alors, conformément à l'ordre de Moïse, près des monts Ébal et Garizim.

Sur ces entrefaites les rois de Canaan, revenus de leur première stu. peur, préparèrent une ligue pour repousser l'invasion des Hébreux. Quelques villes 'lévites, qui formaient un petit État indépendant sous des institutions républicaines, auraient voulu traiter avec les Hébreux, N'espérant point obtenir de Josué des conditions de paix, elles se servirent d'une ruse pour arriver à leur but. Ce furent les villes de Gabaon, Caphira, Beéroth et Kiryath-Yîmaar. Des députés de ces villes se présentèrent devant Josué à Guilgal sous l'aspect d'hommes venant de faire un voyage lointain ; leurs bagages, leurs vêtements et leurs provisions paraissaient être usés et détruits par le temps. Ils prétendirent venir de très-loin, envoyés par les anciens de leurs villes pour faire une alliance avec les Hébreux, ayant entendu parler de tout ce que leur dieu Jéhova avait fait pour eux en Égypte et de leur victoire sur les rois Sihon et Og. Josué, trompé par les apparences, s'empressa d'accueillir les propositions des députés ; il conclut une alliance avec eux, et les chefs des tribus la scellèrent par un serment. Mais trois jours après on apprit que ces prétendus étrangers étaient des Cananéens. Les Hébreux entrèrent dans leurs villes sans coup férir ; mais, liés par le serment, ils ne purent y renouveler les scènes de Jéricho et d'Aï. On accorda la paix aux habitants ; mais, pour faire taire les murmures du peuple, on les condamna à fournir des coupeurs de bois et des porteurs d'eau pour le service du sanctuaire.

La défection de Gabaon, une des villes les plus importantes de tout le pays, effraya et révolta en même temps les peuplades voisines. Adoni-Sédek, roi de Jébus ou Jérusalem, fit un appel aux rois de Hébron, de Yarmouth, de Lachis et d'Églon, pour châtier les Gabaonites. Les cinq rois se mirent en marche, avec leurs troupes, contre Gabaon que les soldats hébreux avaient quitté. Les Gabaonites envoyèrent à Guilgal pour avertir Josué du danger qui les menaçait. Celui-ci se mit immédiatement en marche ; en une nuit on arriva près de Gabaon. Les ennemis, qui déjà assiégeaient cette ville, furent repoussés avec perte et poursuivis jusqu'à Azékah et Mackédah, dans la plaine de Schephélah. Dans leur fuite, ils furent surpris par une grêle terrible qui en tua un grand nombre. Cette éclatante victoire remportée en un seul jour fut célébrée par Josué dans un cantique jadis conservé dans un antique recueil de poésies nationales intitulé Sépher hayyaschar (le livre du juste). L'auteur du livre de Josué cite le commencement et la tin de ce cantique ; dans lequel Josué, étonné de tout ce qui avait été accompli en une seule journée et pendant une partie de la nuit, présente poétiquement le soleil et la lune comme s'étant arrêtés à son gré pour éclairer le combat :

 Soleil (ai-je dit), arrête-toi à Gabaon, et toi, ô lune, dans la vallée d'Ayyalôn ![3]

Et le soleil s'arrêta, et la lune resta immobile jusqu'à ce que le peuple se fut vengé de ses ennemis..... C'est ainsi, ajoute l'auteur, qu'il est écrit dans le livre Yaschar (jusqu'aux mots) :

 Et le soleil s'arrêta au milieu du ciel, et il n'eut pas hâte de se coucher, bien que le jour fût accompli[4].

Josué continua la poursuite des ennemis, dont un petit nombre put se réfugier dans les places fortes. On apprit que les cinq rois avaient échappé au carnage et s'étaient réfugiés dans une caverne près de Mackédah. Josué les fit prendre, ils furent tués et attachés à cinq potences, et le soir on jeta leurs cadavres dans la caverne qui leur avait servi de refuge et qu'on ferma avec de grandes pierres.

A la suite de cette victoire, les Hébreux s'emparèrent successivement des villes de Mackédah, Libnah, Lachis, Églon, Hébron, Debir, et peu à peu ils occupèrent presque tout le midi de la Palestine depuis Kadès-Barnea jusque dans les environs de Gaza[5], à l'exception des villes des Philistins.

En attendant, la ligue formidable qui s'était formée dans le nord, sous les auspices de Yabîn, roi de Hasor, engagea les Hébreux dans une lutte qui devait être longue et pénible. Le livre de Josué n'entre pas dans tous les détails de cette lutte ; nous savons seulement qu'un combat décisif fut livré enfin près des eaux de Merôm ou du lac Samochonitis, et que, par suite de ce combat, les Hébreux entrèrent victorieux dans la ville de Hasor et la brûlèrent. Le roi de Hasor, chef de la ligue, fut mis à mort, et les villes du nord tombèrent eu grande partie au pouvoir des Hébreux.

Une attaque contre les Anakîm du midi fut également couronnée de succès (Jos. 11, 21).

Cependant les Cananéens avaient pu se maintenir dans beaucoup d'endroits et notamment dans les places fortes[6]. Josué déjà avancé en âge avais acquis la conviction que l'œuvre de la conquête ne pourrait être achevée de sitôt et qu'il devait considérer sa mission comme terminée. Pendant six ou sept ans il avait lutté avec opiniâtreté contre les Cananéens[7], et trente et une principautés avaient été soumises. Au lieu de faire de nouvelles tentatives, qui exigeaient de grands efforts, il aimait mieux consolider ses conquêtes et organiser les affaires intérieures des Hébreux, abandonnant aux différentes tribus le soin d'achever la conquête des villes qui devaient leur appartenir.

Josué résidant toujours à Guilgal, commença à s'occuper de la distribution des terres, opération longue et pénible. Trois tribus, celles de Juda, Éphraïm et Manassé, avaient pris possession des cantons qu'on leur avait assignés, lorsque Josué fit transporter son quartier général, ainsi que le temple portatif, dans la ville de Siloh, qui appartenait à la tribu d'Éphraïm (dont Josué était issu). Arrivé à Siloh, Josué pressa les sept tribus qui ne s'étaient pas encore installées dans leurs possessions, de hâter l'opération du partage, et il envoya, à cet effet, trois hommes de chaque tribu, qui devaient parcourir les différents cantons, noter les villes et les terrains et en soumettre à Josué l'état exact. Leur rapport amena quelques modifications dans les possessions déjà accordées aux trois tribus susdites.

En assignant aux tribus leurs futures demeures, Josué suivait en partie les anciennes traditions qu'on faisait remonter jusqu'à Jacob ; ce fut par la voie du sort qu'on distribua les lots aux familles de chaque tribu. Nous allons donner, sur le résultat général des opérations, quelques détails qu'il est important de connaître, pour l'intelligence de l'histoire, et nous indiquerons brièvement la position relative des douze tribus.

On a déjà vu que les tribus de Ruben et de Gad et une partie de celle de Manassé s'étaient établies, avant la mort de Moïse, à l'est du Jourdain.

Voici dans quel ordre s'établirent les neuf tribus et demie à l'ouest du Jourdain ; nous allons du midi au nord :

JUDA reçut le midi de la Palestine, depuis Kadès-Barnea et le torrent d'Égypte (Wadi-el-Arisch), jusqu'à la vallée de Ben-Hinnom, au midi de Jérusalem, et depuis la mer Morte jusqu'à la Méditerranée. La plus grande partie du territoire philistin devait appartenir à cette tribu, mais elle ne put s'en emparer d'une manière durable. Le canton de Juda était divisé en quatre districts appelés : le Midi, la Schephéla (bas pays sur la Méditerranée), la Montagne ou l'intérieur, et le Désert ou la partie orientale près de la mer Morte. Le nombre des villes et bourgs de cette tribu se monta d'abord a environ 125[8] ; mais elle dut en céder une partie aux tribus de Siméon et de Dan. Parmi les villes de Juda nous remarquons En-Gadi, Thecoa, Bethlehem, Hébron, Kadès-Barnea, etc.

SIMÉON, une des tribus les plus faibles en nombre, ne reçut pas de district particulier ; mais Juda dut lui céder une partie des villes qui lui avaient été accordées à la première distribution, de sorte que le territoire de Siméon se trouvait enclavé dans celui de Juda[9]. Au nombre de ces villes nous trouvons Siclag, Ether, Rimmon, Hormah, Beérséba.

BENJAMIN, au nord-est de Juda, ayant pour limite orientale le Jourdain, et s'étendant à l'ouest jusqu'à Kiryath-Yaarîm. Cette. ribu possédait, sur sa limite méridionale, la ville de Jébus (Jérusalem), plus tard la capitale de tout le pays ; nous remarquons encore les villes de Jéricho, Guilgal, Aï, Gabaa, Rama, Gabaon, Anathoth, etc. La ville de Bethel qui lui fut assignée par le sort, mais dont elle ne put expulser les Cananéens, fut prise plus tard par les Ephraïmites.

DAN, au nord-ouest de Juda et à l'ouest de Benjamin, jusqu'à la Méditerranée. Ses villes étaient Saréali, Esthaol, Ayyalôn,Thimnatha (Ekrôn), Yafo ou Joppé, etc. On verra qu'un peu plus tard, une colonie de Danites prit la ville de Laïsch, à l'extrémité septentrionale du pays, et lui donna le nom de Dan.

ÉPHRAÏM s'étendait au nord de Benjamin et de Dan, jusqu'au delà du mont Ébal, et du Jourdain à la Méditerranée, et renfermait les villes de Sichem, Siloh, Thimnath-Sérah, etc. Les ossements de Joseph, que les Hébreux avaient emportés d'Égypte, furent enterrés à Sichem, dans le champ jadis acquis par Jacob[10].

6° La seconde moitié de MANASSÉ, au nord-ouest d'Éphraïm, avait pour limite, à l'occident, la Méditerranée, et possédait le littoral depuis le torrent de Kana jusqu'à Dor. Au nord, elle touchait Aser, au nord-est et à l'est Isachar (Jos. 17, 10), et non pas le Jourdain, comme le dit Josèphe[11]. Ses villes étaient Dor, Thaanach, Megiddo ; plus tard Samarie fut bâtie sur son territoire. On lui avait donné en outre, sur le territoire d'Isachar et d'Aser, les villes d'Én-dôr, de Beth-seân et de Yibleàm ; mais les Cananéens ne purent de longtemps être expulsés de ces villes (ib. v. 11-13).

ISACHAR, au nord-est d'Éphraïm, s'étendait au nord jusqu'au torrent de Kison ; sa limite à l'est était le Jourdain. A l'ouest et sud-ouest cette tribu touchait le territoire de Manassé et s'étendait au N. O. jusque vers le Carmel. Elle possédait les villes de Yezreël, Aphek, Thirsa, Gelboa, Dabrath, etc.

ASER occupait la côte, au nord-ouest d'Isachar, depuis le midi du Carmel jusque près de Sidon. Ses villes, environ une vingtaine, étaient peu considérables ; nous y remarquons A chsaph, près d'Achzib (Ecdippa). Cette dernière ville ainsi que Acco et même Sidon devaient appartenir à Aser, mais elles ne purent être conquises.

ZABULON, au nord d'Isachar, jusque vers Kinnéreth (dans les environs de Capharnaoum)[12]. Sa limite à l'est était le lac de Génésareth, et à l'ouest le territoire d'Aser. On y remarque les villes de Yokneam, Rima, Gatti-Hépher (patrie du prophète Jonas), Abel-Beth-Maacha[13], et, sur la limite d'Isachar, le mont Thabor.

10° NAPHTHALI s'étendait au nord de Zabulon jusqu'aux sources du Jourdain ; à l'ouest il touchait Aser et le territoire des Phéniciens, et à l'est le Jourdain supérieur avec le lac Samochonitis. Parmi ses villes nous remarquons Kédes, Hasor et Kinnéreth.

Après avoir fait ce partage, Josué et le grand prêtre Éléazar assignèrent à la tribu de Lévi les quarante-huit villes qu'elle devait occuper sur le territoire de toutes les autres tribus. Selon le livre de Josué, les prêtres, qui étaient de la famille de Kehath, reçurent treize villes situées sur le territoire de Juda, de Siméon et de Benjamin ; les autres descendants de Kehath eurent dix villes dans les cantons d'Éphraïm, de Dan et de Manassé (en deçà du Jourdain). Treize villes furent données aux Gersonites, dans les cantons d'Isachar, d'Aser, de Naphthali et de Manassé (au delà du Jourdain), et douze villes, aux Mérarites, dans les cantons de Zabulon, de Gad et de Ruben[14]. Six de ces villes devaient servir d'asile aux meurtriers involontaires ; Moïse lui-même en avait déjà désigné trois au delà du Jourdain, Josué y en ajouta trois autres en deçà du fleuve, savoir : Kédes dans le canton de Naphthali, Sichem dans celui d'Éphraïm et Hébron dans celui de Juda.

La guerre étant terminée pour le moment, Josué convoqua les tribus de Ruben et de Gad et la demi-tribu de Manassé auxquelles Moïse avait donné le pays à l'est du Jourdain, et, après les avoir exhortées à rester fidèles à la loi de Moïse, il leur donna sa bénédiction et les renvoya dans leurs possessions. Arrivées au Jourdain, ces tribus élevèrent, sur les bords du fleuve, un grand autel, pour servir de monument a la postérité, afin qu'on ne pût les exclure un jour de la communauté de Jéhova. Le bruit se répand bientôt que le symbole d'un culte étranger a été élevé sur le Jourdain ; aussitôt les représentants du peuple s'assemblent à Siloh, et déjà il est question de prendre les armes contre les tribus rebelles. Mais on veut d'abord leur demander des explications ; Pinehas, fils du grand prêtre Éléazar, et dix représentants chefs de famille, un de chaque tribu, sont chargés de se rendre de l'autre côté du Jourdain, pour faire des représentations au sujet de l'autel. Les députés reprochent aux tribus de l'est leur infidélité envers Jéhova ; mais ces tribus protestent de la pureté de leurs intentions. L'autel, disent-elles, n'a pas été élevé pour y faire des sacrifices ; nous craignions que vos descendants ne pussent un tour vouloir exclure les nôtres de la communauté d'Israël et du culte de Jéhova, en considérent le Jourdain comme une limite entre vous et nous, et nous avons bâti cet autel comme simple monument, pour servir de témoignage de l'unité de toutes Les tribus sur les deux rives du Jourdain. Satisfaits de 'mire réponse, Pinebas et les députés retournèrent à Siloh, et les explications qu'ils apportèrent furent accueillies avec une satisfaction générale. L'autel reçut nette inscription : C'est un témoignage entre nous que Jéhova est le (seul) Dieu[15].

Josué passa probablement le reste de ses jours tantôt à Sichem[16], tantôt dans la ville de Thimnath-Sérah, qui lui avait été donnée pour récompense de ses services. Il abandonna, sans doute, le gouvernement intérieur des tribus à leurs Anciens et à leurs chefs respectifs. Les Hébreux avaient renoncé pour le moment à continuer la guerre avec les Cananéens ; du moins le livre de Josué, la seule source que nous puissions consulter pour l'histoire de cette époque, ne relate-t-il aucun événement arrivé depuis le partage des terres jusqu'à la mort de Josué. Ce n'est que peu de temps avant sa mort que nous voyons reparaître sur la scène le vainqueur des Cananéens. Se sentant près de mourir, Josué convoqua à Sichem tous les représentants de la nation dans une assemblée générale, à laquelle le peuple lui-même assistait en grand nombre. Probablement l'arche sainte y fut transportée de Siloh (Jos. 24, 26). Josué adressa à l'assemblée un discours, dans lequel il rappela les bienfaits dont Jéhova avait comble les Hébreux. Il exhorta le peuple à la fidèle observation des lois de Moïse, et à la continuation de la guerre, lui prédisant de grands malheurs, s'il abandonnait le culte du vrai Dieu, et s'il se mêlait avec les Cananéens qui restaient encore trop nombreux dans le pays. Les Hébreux promirent d'obéir, et sanctionnèrent de nouveau leur alliance avec Jéhova. Josué dressa un acte de tout ce qui venait de se passer et de la nouvelle sanction de le loi, et l'inscrivit dans le livre de la loi de Moïse[17]. Il fit élever aussi, à l'endroit de l'assemblée, une pierre monumentale, qui, disait-il, servirait de témoin contre le peuple, s'il reniait son Dieu. Josué mourut bien-tut après, à l'âge de cent dix ans, soixante-cinq ans après la sortie d'Égypte, et ii fut enseveli dans sa propriété à Thininath-Sérah. Il avait été pendant vingt-cinq ans le chef suprême du peuple hébreu[18]. Bientôt le grand prêtre Éléazar suivit Josué dans la tombe ; il fut enterré sur une colline qui appartenait à son fils Pinehas, sur la montagne d'Éphraïm.

Tant que vécurent les Anciens qui avaient été contemporains de Josué et qui avaient assisté à la conquête, les Hébreux furent maintenus dans le respect des lois et dans le culte de Jéhova. Il y eut bien çà et là quelques hommes isolés qui se laissèrent entraîner à l'idolâtrie (Jos, 24, 23) ; mais la grande majorité de la nation persista dans la bonne voie et dans ses sentiments hostiles à l'égard des Cananéens. Conformément à la dernière exhortation de Josué, quelques tribus recommencèrent les hostilités, soit pour faire de nouvelles conquêtes, soit pour reprendre des villes déjà conquises autrefois, et dont les Cananéens avaient pu de nouveau se vendre maîtres. C'est ainsi que les tribus de Juda et de Siméon attaquèrent quelques peuplades cananéennes près de Bézek, ville dont la position est inconnue, mais qui était probablement située entre Jérusalem et le Jourdain[19]. Dix mille Cananéens furent défaits près de cette ville, dont le roi, nommé Adoni-Bézek, eut les pouces et les orteils coupés, supplice que, de son propre aveu, il avait fait subir à soixante-dix rois (Juges, 1, 7). Jérusalem (la basse ville) fut prise à la même époque ; toute la montagne de Juda fut déblayée, et on s'empara Mérite momentanément des villes de Gaza, Ascalon et Ekron. Bethel tomba par trahison au pouvoir des Éphraïmites.

Cependant les tribus manquèrent de force ou d'énergie pour expulser ou exterminer les Cananéens, comme l'avait ordonné Moise. Josué avait peut-être fait une grande faute en ne se donnant pas de successeur ; le manque de chef et l'absence d'unité et d'ensemble dans les opérations paralysèrent es forces des Hébreux. Ce furent surtout les tribus du nord, celles de Dan, Manassé, Éphraïm, Aser, Zabulon, Naphthali, qui ne purent s'emparer de toutes les villes qui leur avaient été destinées, ou qui se contentèrent de rendre les Cananéens tributaires, en leur permettant de demeurer au milieu d'elles.

Un messager de Dieu, ou un prophète, se présenta pour affluer aux hébreux les conséquences funestes de leur faiblesse. Le peuple reconnut la vérité de tout ce que disait l'homme de Dieu ; mais il ne pouvait plus répondre à son appel que par des larmes[20]. Les Cananéens devinrent de plus en plus dangereux, par leur force matérielle qui n'était pas brisée, et plus encore par leur culte plein de séductions et par l'exemple de leurs mœurs corrompues. Les Anciens qui avaient entouré Josué moururent peu à peu ; des beaux temps de l'élan guerrier

et de l'enthousiasme religieux il n'en resta plus que le grand prêtre Pinehas qui ne pouvait plus, de son bras vieilli, venger comme autrefois l'outrage fait aux mœurs et au nom de Jéhova, et qui n'était pas capable de maintenir l'unité politique et religieuse des tribus et de les préserver de l'anarchie. L'idolâtrie et la corruption des mœurs augmentèrent de jour en jour ; les tribus, manquant de chef et de centre commun, devinrent étrangères les unes aux autres, et leur indifférence mutuelle menaça de dégénérer en hostilité. Deux événements racontés dans le livre des Juges, et que nous devons faire remonter à l'époque qui suivit la mort de Josué et des Anciens, montrent ce qu'étaient devenus, après si peu de temps, les beaux rêves de Moïse.

Sur la montagne d'Éphraïm vivait, dans une retraite isolée, un homme, nommé Michah. Cet homme avait caché une somme d'argent appartenant à sa mère ; celle-ci, ne sachant ce qu'était devenu cet argent, se lamenta et prononça des, imprécations. Michah vint la rassurer en lui disant qu'il avait mis l'argent en sûreté ; la mère bénit la prévoyance de Michah, et, dans sa joie, elle consacra une partie de la somme à faire faire une image de Jéhova. La statue fut placée dans un petit temple que Mi-chah avait fait bâtir dans sa maison et qu'il fit desservir par un de ses fils revêtu d'un Ephod et muni de Théraphim, à l'imitation des Ourim et Thummim. Quelque temps après, un jeune lévite de Bethlehem, voyageant pour chercher une place, vint à passer devant la maison de Michah ; celui-ci étant entré en conversation avec le lévite, l'engagea à rester chez lui pour servir de prêtre à son temple. Le jeune homme y consentit ; il fut traité comme un fils par Michah qui ne doutait plus des faveurs dont Jéhova allait combler sa maison, ayant pour prêtre un véritable lévite. A cette époque la tribu de Dan, qui n'avait pu prendre possession de ses villes de la côte et que les Cananéens avaient refoulée sur la montagne, se vit obligée d'envoyer des colonies sur d'autres points. Cinq hommes furent expédiés pour aller explorer le pays au nord de la Palestine. Leur chemin les conduisit par la montagne d'Éphraïm et ils passèrent une nuit dans la maison de Michah. Ayant vu le jeune lévite et ayant appris de lui quelles étaient ses fonctions dans cette maison, ils le prièrent d'interroger l'oracle pour savoir si leur entreprise devait réussir. Le lévite leur fit une réponse favorable et les cinq hommes continuèrent leur voyage vers le nord. Ils arrivèrent à la ville de Laïsch habitée par des Phéniciens, qui y vivaient dans une paix profonde, et sans aucune crainte ; car Laïsch était située hors des limites du pays des Hébreux. Aussi la ville était-elle sans défense, et les explorateurs crurent y trouver une occasion pour faire facilement une bonne conquête. Laïsch était trop loin de Sidon pour pouvoir en attendre un prompt secours ; une attaque à l'improviste ne pouvait donc manquer de réussir. Les cinq hommes retournèrent immédiatement auprès de leur tribu, qui expédia aussitôt six cents hommes armés pour s'emparer de Laïsch. Cette bande, en passant devant l'habitation de Michah, fut avertie par les cinq explorateurs qu'il s'y trouvait une idole et un oracle. Les Danites, croyant sans doute que la présence de ces objets sacrés ne pouvait manquer de faire prospérer leur entreprise, emportèrent tout l'appareil du temple et enlevèrent le prêtre. Michah les poursuivit avec ses gens ; mais voyant qu'il était trop faible pour lutter contre la bande, il se retira. Les Danites s'en allèrent à Laïsch, et tombèrent sur cette ville, qu'ils dévastèrent par le feu et le glaive. L'ayant restaurée ensuite sous le nom de Dan, ils y établirent l'idole faite par Michah, et lui consacrèrent un culte en rivalité avec le temple de Siloh ; le lévite qu'on avait emmené y fonda un sacerdoce héréditaire[21].

On voit par ce récit que la loi de Moïse conservée dans le sanctuaire de Siloh restait sans influence sur le peuple qui méconnaissait entièrement son esprit, et qu'il n'y avait pas de pouvoir central assez fort pour empêcher le désordre et les abus.

Une action atroce commise à Gabaa, dans le canton de Benjamin, et que les autorités locales, si toutefois il en existait, avaient laissée impunie, devint la cause d'une guerre civile, qui se termina par la destruction presque totale de la tribu de Benjamin. Un lévite demeurant sur les confins de la montagne d'Éphraïm avait pris pour concubine une femme de Bethlehem. Cette femme l'ayant quitté et étant retournée chez son père à Bethlehem, le lévite la suivit quelque temps après, pour l'engager à revenir chez lui. Il fut bien accueilli par le père de la jeune femme, et celle-ci consentit à retourner avec lui. Cédant aux instances du père, le lévite avait passé quatre jours auprès de lui ; le cinquième jour il voulut partir dès le matin, mais le père parvint encore à le retenir jusque dans l'après-midi. Le lévite, pour ne pas éprouver de nouveau retard, voulut partir, malgré l'heure avancée, se proposant de passer la nuit dans l'une des villes voisines, et il se mit en route avec sa femme et un serviteur qui l'avait accompagné à Bethlehem. Lorsqu'ils passèrent près de Jébus, ou Jérusalem, le serviteur proposa d'y passer la nuit ; mais le lévite refusa d'entrer dans cette ville, qui était encore au pouvoir des Cananéens, et il voulut aller à Gabaa, ou à Rama[22]. On poussa jusqu'à Gabaa ; le soleil était couché, et personne ne voulant recevoir les voyageurs, ils s'établirent avec leurs deux ânes sur la place publique. Un bon vieillard d'Éphraïm, établi à Gabaa, revint de son travail des champs ; ayant vu les étrangers, il leur, offrit une généreuse hospitalité. Un repas joyeux réunissait la famille du vieillard et les voyageurs, lorsque des gens de la populace, imitant la conduite des habitants de Sodom, frappèrent à la porte, demandant à grands cris qu'on leur livrât le lévite. Toutes les représentations de l'hospitalier vieillard furent inutiles ; enfin le lévite ayant conduit sa femme à la porte, ces gens s'emparèrent d'elle et l'outragèrent pendant toute la nuit. A l'aube du jour, ils la renvoyèrent ; la malheureuse femme se traîna jusqu'à la porte du vieillard, et tomba morte sur le seuil, Le matin le lévite ayant trouvé à la porte le cadavre de sa femme, le chargea sur son âne et partit pour la montagne d'Éphraïm. Arrivé dans sa demeure, il découpa le cadavre en douze morceaux qu'il envoya aux douze tribus des Hébreux, afin de les exciter à venger le crime des Benjamites. Cette action inouïe révolta tous les esprits, et en peu de temps quatre cent mille hommes furent prêts à prendre les armes contre la tribu de Benjamin. Une diète fut convoquée à Mispah, où le lévite outragé se présenta pour exposer sa plainte. On envoya d'abord des députés auprès des Benjamites, pour leur ordonner l'extradition des coupables ; mais les Benjamites ayant refusé d'obéir, on décida de leur faire la guerre. Chaque tribu envoya son contingent, et la tribu de Juda ouvrit la marche contre Gabaa, où les Benjamites s'étaient assemblés de toutes leurs villes. Pendant deux jours de suite les Benjamites sortis de Gabaa repoussent l'armée nombreuse des assaillants avec une grande perte. Déjà les tribus se retirent à Béthel, où se trouvait momentanément l'arche sainte ; là on célèbre jin jeûne public, on offre des sacrifices, et hésitant sur le parti qu'on devait prendre, on consulte de nouveau l'oracle sacré. Le grand prêtre Pinehas,

animé comme autrefois d'une sainte jalousie, encourage le peuple, au nom de Jéhova, à marcher de nouveau contre Gabaa. Cette fois l'attaque est entourée de plus de précautions ; un stratagème, semblable à celui qui avait été employé dans l'attaque contre Aï, réussit empiétement. L'armée des tribus, feignant de fuir, attire les Benjamites loin de la ville ; en même temps dix mille hommes, placés en embuscade près de Gabaa, fondent sur cette ville et y mettent le feu. Les Benjamites, voyant monter les flammes, sont stupéfaits, perdent courage, et s'enfuient en désordre. Mais ils se trouvent enveloppés de tous les côtés ; alors il s'en fait un massacre tel que six cents hommes seulement parviennent à se réfugier dans le désert, où ils restent cachés pendant quatre mois, dans une grotte appelée Séla-Rimmôn (rocher de Rimmôm ou du grenadier). L'armée des Hébreux dévasta et brilla toutes les villes de Benjamin et massacra tous les habitants.

Après cette vengeance terrible, les esprits s'étant calmés, on regretta d'avoir anéanti une tribu entière, et un deuil public fut célébré à Béthel. Par malheur tous les Hébreux avaient fait un serment solennel de ne point donner leurs filles en mariage aux Benjamites ; de sorte que le désastre paraissait irréparable. Pour éviter la perte totale de la tribu de Benjamin, on ne sut imaginer rien de mieux que de tomber sur la ville de Jabès-Galaad, dont les habitants n'avaient point envoyé de contingent pour l'attaque de Gabaa. On extermine les habitants de Jabès, à l'exception de quatre cents vierges, qu'on réserve a la tribu de Benjamin. Ensuite on offre la paix aux six cents Benjamites retranchés à Séla-Rimmôn, et on leur livre les quatre cents filles de Jabès. Quant aux deux cents Benjamites restés sans femmes, on leur conseille de se rendre à la fête nationale qu'on célébrait tous les ans à Siloh, et où les jeunes filles allaient danser, et on eur permet de surprendre les danseuses et d'en enlever une chacun, afin de la prendre pour femme. De cette Manière les parents pouvaient consentir, sans tinter leur serment. Ce plan est mis à exécution et les Benjamites se trouvent rétablis.

Les détails de cet événement nous offrent un triste tableau des mœurs barbares de l'époque : la conduite infâme des habitants de Gabaa, le Cadavre dépecé de la femme du lévite servant de provocation à la guerre, le carnage qu'on fait des Benjamites, et où se trouvent confondus les innocents et les coupables, enfin l'expédition contre Jabès et l'enlèvement des filles de Siloh, sont autant d'actes indignes d'un peuple policé et vivant sous un gouvernement régulier et sous des lois civilisatrices. Aussi, l'auteur du livre des Juges, en rapportant ces faits, ajoute-t-il, qu'en ce temps-là il n'y avait pas de roi en Israël et que chacun faisait ce qui lui semblait bon.

 

2. Juges.

Les Hébreux se trouvèrent alors dans la position d'un enfant dont l'éducation, commencée avec beaucoup de méthode par un maitre habile et sévère, a été subitement interrompue. L'enfant, abandonné à lui-même, n'a encore que quelques idées confuses des doctrines qui lui ont été enseignées ; ü les abandonne facilement, ou il les interprète sans intelligence. Il lui faut de temps en temps une rude expérience pour lui rappeler les leçons utiles qu'il a si vite oubliées, et un bras qui le soutienne pour le faire rentrer, s'il est possible, dans une voie meilleure.

Se plaisant dans les douceurs de là paix, les Hébreux s'allièrent avec les Cananéens, et abandonnant de plus en plus le temple de Siloh, ils ne craignirent plus bientôt de se livrer au culte de Baal, d'Astarôth et de tontes les divinités phéniciennes. Le sentiment national, qui devait toujours se retremper dans le culte central et dans les assemblées solennel. les des fêtes mosaïques, se relâchait de plus en plus, et bientôt les tribus isolées et sans chef se Virent attaquées par les peuplades voisines, et par le ennemis qu'on avait tolérés dans l'intérieur du pays et qui recommencèrent à se recueillir et à acquérir des forces. De temps en temps un homme énergique se met à la tête de certaines tribus, ou même de la nation tout entière, pour faire revivre l'esprit national et pour secouer le joug étranger, mais il n'a pas toujours la faculté, ni même la volonté, de faire renaître le sentiment religieux et l'amour des institutions mosaïques, et, après sa mort, le peuple retombe dans l'anarchie. Pendant plusieurs siècles c'est une variation perpétuelle de revers et de prospérité, d'anarchie et de dictature, mais des institutions mosaïques, il n'en est point question. On appelle cette période celle des Juges, parce que les héros qui, de temps à autre, se mirent à la tête du peuple, portaient le titre de Schophét, mot qui en effet signifie juge, mais qui désignait aussi, comme le mot phénicien suffète, un homme revêtu du suprême pouvoir.

Les schophetim, ou juges, ne furent pas toujours élus ; nous ne savons rien de positif sur leurs fonctions et leurs droits qui n'étaient probablement pas basés sur une sanction légale ; le schophét s'emparait d'un pouvoir que lui mettaient entre les mains et son courage personnel et la nécessité du moment. Sa mission temporaire accomplie, il conservait Ordinairement pendant toute sa vie une certaine autorité sur le peuple qùi lui devait sou salut ; mais quelquefois il rentrait dans la vie privée, comme, par exemple, Gédéon (Juges, 8, v. 23 et 29). Ce n'est que vers la fin de cette période que nous trouvons dans les Juges de véritables chefs de la république ; déjà après la mort de Jephté nous voyons successivement trois Schophetim qui ne doivent leur dignité à aucun acte éclatant, et qui probablement furent appelés au pouvoir par le choix du peuple qui reconnut enfin les avantages d'un pouvoir central régulièrement constitué. Ensuite Éli et Samuel jouissent d'une autorité très étendue et signalent une époque intermédiaire entre la démocratie et la monarchie.

Au reste, il est impossible de présenter de l'époque des Schophetirn un tableau historique. Le livre des Juges, que seul nous pouvons consulter pour cette époque, n'est point un livre d'histoire ; tout y est raconté d'une manière décousue, et les événements se succèdent sans une suite rigoureuse et sans ordre chronologique. C'est un recueil de traditions détachées sur les temps des Schophétim, composé probablement sur d'anciens poèmes et sur des légendes populaires qui célébraient la gloire de ces héros. Ce recueil, qui date des premiers temps de la royauté, avait pour but, à ce qu'il paraît, d'encourager le nouveau gouvernement à achever l'œuvre commencée par Josué, et de montrer au peuple tous les avantages d'une royauté héréditaire. Dans ce but il suffisait de montrer par une série d'exemples quels furent les désordres auxquels se livrèrent les Hébreux du temps de la république ; quelles furent les suites malheureuses qu'avait eues la faiblesse des Hébreux vis-à-vis des Cananéens, et comment le pouvoir temporaire d'un seul les avait toujours préservés d'une ruine totale. Il ne faut donc pas penser à établir avec exactitude l'ordre chronologique des faits et époque de chaque juge. Les savants se s'ont donné, sous ce rapport, une peine inutile et tous leurs efforts ont complètement échoué[23]. Il suffira de dire que les chiffres que nous trouvons dans le livre des Juges et dans le premier livre de Samuel nous donnent, depuis la mort de Josué jusqu'au commencement du règne de Saül, le nombre total de cinq cents ans[24] ; ce qui ferait depuis la sortie d'Égypte, cinq cent soixante-cinq ans, tandis que le premier livre des Rois (6, 1) ne compte que quatre cent quatre-vingts ans depuis la sortie d'Égypte jusqu'à la fondation du Temple sous Salomon[25]. Il faudrait supposer d'après cela que plusieurs des Schophetim gouvernaient simultanément dans différentes contrées.

Dans l'incertitude des dates et dans le manque de sources historiques, nous devons nous contenter de résumer ici les traditions renfermées dans le livre des Juges, pour donner un tableau général de l'état des Hébreux dans cette période, sans prétendre établir la suite chronologique.

Dans les temps d'anarchie qui suivirent la mort de Josué et des Anciens, un roi de Mésopotamie, appelé Couschân-Rischataïm, étant devenu puissant, étendit peu à peu sa domination à l'ouest de l'Euphrate, jusqu'au pays de Canaan. Dans l'état où se trouveront alors les Hébreux, ils ne purent défendre leur indépendance, et ils devinrent tributaires du roi de Mésopotamie, qui les opprima pendant huit ans. Mais ils trouvèrent un libérateur dans Othniel, fils de Kenaz, qui, après dix-huit ans d'anarchie[26], fut le premier à prendre le titre de Schophêt et a rétablir l'ordre et l'indépendance. Othniel, demi-frère ou, selon d'autres, neveu de Caleb[27], s'était déjà distingué par la conquête de Debir ou Kiryath-Sépher, et ce fait d'armes lui avait valu la main d'Achsa, fille de Caleb[28]. Étant devenu Schophêt, il fit la guerre au roi de Mésopotamie ; sorti vainqueur de cette lutte, il procura aux Hébreux quarante années de paix et de prospérité.

A la fin de cette époque, Eglôn, roi des Moabites, s'étant allié avec les Ammonites et les Amalécites, envahit le territoire des Hébreux et s'empara de la ville des palmiers ou de Jéricho. Il subjugua les Hébreux (du moins les tribus de la Pérée et du midi de la Palestine) et les rendit tributaires pendant dix-huit ans.

Un jour les Hébreux lui envoyèrent une députation, pour lui offrir un présent ; à la tête des députés se trouva Ehoud (Aod), fils de Géra, de la tribu de Benjamin, homme gaucher ou ambidextre[29]. A près avoir accompli sa mission et s'être retiré avec les autres députés, il revint seul pour demander au roi une audience particulière, ayant, disait-il, quelque secret à lui communiquer. Eglôn fit aussitôt retirer tout le monde. J'ai une mission divine pour toi, dit Éhoud, et le roi se leva de son trône. Alors Éhoud tira avec sa main gauche un glaive à deux tranchants qu'il portait à sa droite caché sous ses vêtements, et il plongea le glaive jusqu'à la garde dans le ventre du corpulent Églôn. Ensuite il se retira promptement en fermant la porte sur lui, et sortit sans obstacle. Les gens du roi trouvant la porte fermée, n'osèrent d'abord pénétrer dans l'appartement, croyant que le roi voulait rester seul ; mais après avoir attendu fort longtemps, ils se décidèrent à ouvrir avec la clef, et ils trouvèrent le roi étendu mort par terre. Ehoud avait eu le temps de s'enfuir, et il arriva sain et sauf à Seïra sur la montagne d'Éphraïm. Là il fait retentir la trompette de la guerre ; on s'assemble autour de lui ; il descend à la tête de ses troupes et s'empare des gués du Jourdain qui servaient de passage aux Moabites. Ayant ainsi coupe la retraite aux ennemis qui occupaient la Palestine, et empêché leurs frères de la rive gauche du Jourdain de venir à leur secours, il attaque les troupes moabites et en fait un grand carnage. L'ennemi perdit environ dix mille hommes. Cette victoire fut suivie de quatre-vingts ans de repos[30].

Les Philistins, à ce qu'il paraît, essayèrent alors, pour la première fois, d'attaquer les tribus du midi ; mais Samgar, fils d'Anath, s'étant mis à la tête d'une troupe de laboureurs armés d'aiguillons servant à piquer les bœufs ; les repoussa avec une perte de six cents hommes. On fait ordinairement de Samgar le troisième Schophêt, et Josèphe dit qu'il mourut dès la première année de son règne.

Les Cananéens du nord que Josué avait vaincus près du lac de Merôm (Samochonitis) étaient redevenus très-puissants, et avaient repris, en grande partie, le pays conquis par les Hébreux. Comme du temps de Josué, nous trouvons à leur tête un roi résidant à Hasor et portant le nom de Yabîn. Avec ses neuf cents chariots de guerre et une nombreuse armée[31], il opprima les tribus du nord, sur lesquelles il fit peser son joug pendant vingt années. Ses troupes étaient commandées par Sisera, qui avait son quartier général dans une ville appelée Haroseth des païens.

A cette époque vivait, sur la montagne d'Ephraïm, une femme célèbre appelée DÉBORAH (abeille) et mariée à un certain Lapidoth. Ayant nourri son imagination des traditions religieuses des Hébreux, et douée d'un haut élan poétique, elle savait, par sa parole puissante, ranimer dans le peuple la croyance en Jéhova et les sentiments de piété étouffés par l'entraînement séducteur de l'idolâtrie cananéenne. Aussi lui donnait-on le titre de Nebiah (prophétesse), et, assise dans un bois de palmiers entre Rama et Bethel, elle répondait, au nom de Jéhova, à la foule des Hébreux qui venait dans sa retraite lui demander des enseignements et des conseils. Elle s'était élevée par là au rang de Sehopleèt ; car elle dirigeait par son influence toutes les affaires publiques et privées, et les enfants d'Israël montaient auprès d'elle pour se faire juger (Juges, 4, 5). Son âme généreuse se sent émue par les souffrances de ses frères ; elle veut briser le joug honteux de Yabtn, et rendre les tribus du nord indépendantes. Barak, fils d'Abinoam, résidant à Kédès, dans le canton de Naphthali, jouissait, à ce qu'il paraît, d'une grande considération parmi ces tribus ; c'est lui que Déborah fait appeler auprès d'elle, et elle lui ordonne au nom de Jéhova, le Dieu d'Israël, de se mettre à la tête de dix mille hommes des tribus de Zabulon et de Naphthali, pour attaquer l'armée de Sisera. Barak ne veut obéir qu'à condition que Déborah ira avec lui. Eh bien, dit la prophétesse, j'irai avec toi ; mais aussi la gloire de cette lutte ne t'appartiendra pas, car Sisera sera livré aux mains d'une femme.

Arrivé à Kédès avec Déborah, Barak y assembla ses troupes qu'il conduisit sur le mont Thabor. Sisera, ayant appris ce mouvement, assembla ses neuf cents chariots près du torrent de Kison. Barak marcha contre lui, avec ses dix mille hommes, et en un seul jour l'armée ennemie fut totalement battue[32]. Les Cananéens fuyant en désordre furent poursuivis par Barak jusqu'à Haroseth, et ils furent tous passés au fil de l'épée. Sisera, descendu de son char, s'enfuit à pied ; il chercha un refuge auprès de Jaël, femme du Kénite Héber (de la famille de Hobab, beau-frère de Moïse), qui était établi dans les environs de Kédes. Jaël, étant allée au-devant de Sisera, l'engagea à entrer dans sa tente ; le guerrier accablé de fatigue demande un peu d'eau, elle lui donne du lait, et l'engage à se reposer, en lui promettant le secret. Mais lorsqu'il est endormi, elle l'assassine traîtreusement, en lui enfonçant un clou dans la tempe. Barak arrivé bientôt après, à la recherche de Sisera, est introduit dans la tente par Jaël, qui lui montre son ennemi étendu par terre. La défaite totale de Yabîn et des Cananéens du nord fut la suite de cette victoire, chantée par Déborah dans le célèbre cantique qui porte son nom, et qui est le plus ancien chant de victoire que nous possédions, comme il est aussi un des plus sublimes et des plus accomplis dans son genre. Il est trop bien empreint des couleurs des temps et des lieux pour que la critique doive (Imiter de son authenticité. A côté du haut élan patriotique et de l'enthousiasme religieux digne de la prophétesse, nous remarquons les mouvements moins nobles, mais bien naturels, du &leur humain, du cœur d'une femme. Après avoir parlé en prophétesse, en héroïne, voyez corme elle se plat à faire l'éloge de la trahison de Jaël, avec quelle sanglante ironie elle parle de la mère du malheureux général des Cananéens[33] :

La mère de Sisera regardait par la fenêtre et gémissait à travers le treillis : Pourquoi son char tarde-t-il à venir ? Pourquoi les pas de ses chariots sont-ils si lents ? Les plus sages d'entre ses femmes la conso« laient ; elle aussi s'adressait à elle-même cette réponse : Ne doivent-ils pas trouver du butin ? Ne faut-il pas le partager ? Une jeune fille, deux jeunes filles, pour chaque homme ; du butin de différentes couleurs pour Sisera, des vêtements de couleur brodés, des broderies doubles et variées pour la parure du cou.

Sous le rapport historique, nous apprenons par ce cantique que les tribus de Zabulon et de Naphthali, vivant sur le théâtre de la guerre, et principales victimes de l'oppression de Yabîn, avaient combattu avec un courage héroïque (v. 18). Quant aux autres tribus, celles que Déborah avait pu encourager par sa parole, en se rendant de la montagne d'Éphraïm à Kédès, telle que Benjamin, Éphraïm, Manassé, Isachar, n'avaient pas fusé leur secours. Dan et Aser, ainsi que les tribus de l'est du Jourdain, n'avalent pas répondu à l'appel. Celles de Juda et de Siméon, demeurant à l'extrémité méridionale du pays, ne sont pas mentionnées par Déborah ; probablement elles n'avaient pas été appelées au combat.

Il résulte de là, avec évidence, que le pouvoir de Yabîn ne s'étendait pas Même sur toutes les tribus du nord, que les tribus des Hébreux ne formaient pas alors une république unie, gouvernée par un pouvoir central, et que Déborah et Barak, tout en jouissant d'une grande influence dans leurs districts, n'exerçaient nullement une autorité légale sur toute la nation. Dans cet état d'isolement, les tribus ne pouvaient manquer d'être en butte aux invasions de voisins hostiles. Selon le livre des Juges, une tranquillité de quarante ans suivit la victoire remportée sur Yabîn ; nous ne savons pas si le texte veut parler d'une paix générale dans toute la Palestine, ou seulement dans les contrées du nord. Quoi qu'il en soit, nous voyons bientôt apparaître au sud-est et à l'est tin nouvel ennemi des Hébreux.

Les Midianites, les Amalécites et d'autres tribus bédouines de l'Orient, faisaient souvent des incursions dans la Palestine. Parcourant le pays de l'est à l'ouest, jusque vers Gaza, ils y campaient avec leurs troupeaux et leurs nombreux chameaux ; ils pillaient les bestiaux des Hébreux, et, semblables aux nuées de sauterelles, ils ravageaient les campagnes, détruisaient les récoltes, et amenaient la famine. Les Hébreux étaient obligés alors de mettre b l'abri leurs bestiaux et les produits de la terre dans des Bote, terrains et des lieux fortifies. Cette calamité durait depuis sept ans, lorsque, dans les environs d'Ophra, canton de Manassé, il se présenta un prophète qui, parlant aux Hébreux au nom de Jéhova, leur fit voir dans les malheurs dont ils étaient frappés les suites de leur infidélité envers le Dieu de leurs ancêtres. Ensuite il se présenta[34] à Gédéon, fils de Joas, qui battait le froment dans un pressoir, n'osant pas le faire publiquement sur l'aire, à cause des Midianites. Jéhova avec toi, vaillant héros, dit-il à Gédéon. Pardon, seigneur, répondit Gédéon, si Jéhova était réellement avec nous, comment tout cela nous serait-il arrivé ? que sont devenus tous ses prodiges que nos ancêtres nous ont racontés en nous parlant de la sortie d'Égypte ! Hélas ! Jéhova nous a abandonnés et nous a livrés au pouvoir de Midian. Va, reprit l'autre, c'est Jéhova qui te dit : Avec ta force tu sauveras Israël du pouvoir de Midian, c'est moi qui t'envoie. — Mais, dit Gédéon, avec quoi sauverai-je Israël ? Ma famille est la plus faible dans Manassé, et moi je suis le plus jeune de la maison de mon père. — Je serai avec toi, dit Jéhova, et tu battras Midian, comme si c'était un seul homme. — Gédéon, subitement inspiré, offrit un sacrifice à Jéhova, et lorsque la flamme s'éleva, le messager divin disparut, en disant : La paix à toi ! Dans la nuit Gédéon détruisit l'autel que son père Joas, de la famille d'Abiézer, avait élevé à Baal. Le lendemain, les gens de la ville, ayant su que Gédéon avait détruit l'autel de Baal, voulurent le tuer ; mais Joas, prenant la défense de son fils, leur dit : Si Baal est un Dieu, qu'il plaide lui-même sa cause. De là on donna à Gédéon le nom de Jérubaal, c'est-à-dire : Baal plaidera avec lui[35].

Gédéon, désormais plein d'enthousiasme pour Jéhova, se sentit la force de combattre les ennemis. Il sut faire partager son courage à toute la famille d'Abiézer, qui se rassembla autour de lui, et, ayant envoyé des messagers à toutes les autres familles de la tribu de Manassé, ainsi qu'à Aser, Zabulon et Naphthali, se vit bientôt entouré d'une nombreuse armée. Les Midianites étaient campés dans la plaine de Yezreël ; Gédéon lit assembler ses troupes sur une hauteur au Midi dit camp ennemi, près d'une source, appelée Harod. Aimant mieux compter sur l'enthousiasme des guerriers que sur le grand nombre qui n'eût fait qu'embarrasser la marche, il renvoya tous ceux dont le courage était douteux. Dix mille hommes avides de combattre restèrent avec lui ; mais Gédéon voulut d'abord employer un stratagème pour lequel il ne lui fallait qu'un petit nombre d'hommes déterminés. Les troupes s'étant rendues au ruisseau pour boire, Gédéon remarqua un certain nombre d'hommes qui ne se donnaient pas le temps de boire à leur aise, et qui prenaient à la hâte quelques gorgées d'eau puisée avec leurs mains. Gédéon crut reconnaitre à ce signe ceux qui étaient le plus impatients de combattre[36] ; ils étaient au nombre de trois cents, et ce fut avec eux que Gédéon voulut essayer son stratagème, en renvoyant, pour le moment, tout le reste des troupes. Dans la nuit il se hasarda lui-même, avec son écuyer Pourah, jusqu'aux avant-postes de l'ennemi. Là il entendit un homme raconter un songe qu'il avait eu et que soit interlocuteur interpréta en faveur de Gédéon qui viendrait détruire le camp des Midianites. Cet incident confirma Gédéon dans son projet. Revenu aussitôt auprès de ses trois cents hommes, il les divisa en trois bandes ; il donna à chaque homme une trompette et une cruche de terre vide avec une torche dedans. Ce que vous me verrez faire, dit-il à ses hommes, vous le ferez aussi ; quand je sonnerai de la trompette, vous en ferez de même, et vous crierez : Pour Jéhova et pour Gédéon ! On était au commencement de la seconde veille, c'est-à-dire à dix heures du soir. Les ennemis, qui venaient de placer les sentinelles, se livraient au sommeil. Gédéon marcha sur l'entrée du camp ennemi avec une bande de cent hommes ; les deux autres bandes s'étaient placées à deux autres points différents. Gédéon et ses gens firent retentir leurs trompettes et brisèrent leurs cruches ; les autres bandes en firent de même. Tenant les torches dans la main gauche et les trompettes dans la droite, tous les hommes s'écrièrent : Guerre pour Jéhova et pour Gédéon ! Les ennemis subitement réveillés, en entendant le son des trompettes et le cri de guerre, et en voyant le feu des torches autour du camp, se crurent entourés par une nombreuse armée[37]. La terreur se répandit parmi eux ; ils poussèrent des cris et s'enfuirent à la hâte, et, dans le désordre, ils tournèrent leurs armes les uns contre les autres. Ils s'enfuirent au sud-est, vers Abel-Mehola, pour repasser le Jourdain. Alors toutes les troupes de Naphthali, d'Aser et de Manassé, que Gédéon avait d'abord fait retirer, se rassemblèrent pour se mettre à la poursuite des Midianites. Les Éphraïmites aussi descendirent de leurs montagnes, et Gédéon fit occuper tous les gués du Jourdain jusqu'à Bethabara. Il paraît cependant que les Midianites, eu' grande partie, avaient eu le temps de passer le Jourdain ; car ce fut de l'autre côté du fleuve (Juges, 7, 25) que les Éphraïmites apportèrent à Gédéon les têtes de deux princes midianites, nommés Oreb et Zeêb, qu'ils avaient tués dans leur fuite. En même temps les Éphraïmites voulurent chercher querelle à Gédéon de ce qu'il ne les avait pas appelés, dès le commencement, pour prendre part à la guerre ; et, sans le calme et la modestie de Gédéon, cette querelle aurait pu dégénérer en une guerre civile. Mais le héros sut persuader aux Ephraïmites, que, par la victoire qu'ils venaient de remporter sur Oreb et Zeêb, ils avaient mérité de la patrie bien mieux que lui-même : Qu'ai-je donc fait, leur dit-il, à l'égal de vous ? Le grappillage d'Éphraïm ne vaut-il pas mieux que les vendanges d'Abiézer ?

Après avoir ainsi calmé les Éphraïmites, Gédéon passa le Jourdain, pour se mettre à la poursuite de deux autres chefs des Midianites, Zébah et Salmona, qui avaient pu se sauver avec quinze mille hommes. Arrivé à Succoth avec ses trois cents guerriers d'élite fatigués de la marche, il demanda aux habitants de fournir du pain à sa troupe ; mais on lui répondit avec ironie : Tiens-tu déjà Zébah et Salmona, pour que nous donnions du pain à ta troupe ? Une réponse semblable lui fut faite à Phanuel. Gédéon, ayant hâte de continuer sa marche, se retira avec des menaces. Il atteignit le camp ennemi à l'est de Nobah ou Kenath ; les AIidianites, pris à l'improviste, furent battus, et les deux chefs fugitifs tombèrent vivants entre les mains de Gédéon. Celui-ci les ramena avec lui pour les montrer aux habitants de Succoth : Les voici, leur dit-il, ce Zébah et ce Salmona, au sujet desquels vous m'avez insulté. Un châtiment bien mérité, mais barbare, fut infligé aux soixante-dix-sept chefs et anciens de la ville, dont Gédéon s'était fait écrire les noms par un jeune homme qu'il avait fait saisir. On les frappa avec des ronces, et on leur fit passer sur le corps des machines qui servaient à triturer le blé. De semblables scènes de massacre se renouvelèrent à Phanuel, dont on démolit le fort. Ensuite Gédéon ordonna à Jéther, son fils premier-né, de tuer les deux chefs ennemis ; mais le jeune homme hésita, et Gédéon se chargea lui-même de cette exécution. C'est ainsi que se termina la défaite des Midianites, que, depuis cette époque, nous ne voyons plus reparaître sur la scène.

La victoire remportée par Gédéon avait excité l'enthousiasme et l'admiration à tel point qu'une partie du peuple offrit à ce héros la souveraineté héréditaire, et c'est ici pour la première fois que nous voyons germer parmi les Hébreux, instruits par les adversités, l'idée d'un gouvernement fixe qui eût assez de force pour prévenir de nouveaux désastres. Mais Gédéon sentit probablement que l'esprit d'unité ne pénétrait pas encore toutes les tribus, et que, en acceptant la couronne de la main d'un parti, il ne ferait qu'augmenter la désunion et le désordre ; il refusa donc, en disant : « Ni moi ni mon fils, ne dominerons sur vous ; que Jéhova domine sur vous. » Ce fut peut-être avec de bonnes intentions, et pour faire revivre par son influence personnelle le culte de Jéhova, qu'il établit dans Ophra, sa ville natale, un brillant Éphod, ou oracle, pour lequel il s'était fait livrer par ses guerriers une partie de l'or provenant du butin. Mais par cet attentat flagrant contre la loi de Moïse, il établit une nouvelle concurrence très-dangereuse pour le sanctuaire de Siloh, le seul autorisé par la loi. L'oracle d'Ophra eut une très-grande vogue, et Gédéon, rentré en apparence dans la vie privée, exerçait peut-être par son Éphod une influence bien plus grande que celle que lui aurait donnée la souveraineté. Il vécut encore quarante ans, pendant lesquels aucun ennemi ne vint inquiéter les Hébreux.

Gédéon, qui avait épousé plusieurs femmes, laissa soixante-dix fils légitimes, et, en outre, une concubine qu'il avait eue à Sichem, lui avait donné un fils, nommé Abimélech. Il paraît qu'après la mort de Gédéon, ses nombreux fils manifestèrent des projets ambitieux ; Abimélech, le plus pervers et en même temps le plus ambitieux de tous, se rendit à Sichem, où, par l'influence de la famille de sa mère, il sut se créer un parti. Ne vaudrait-il pas mieux pour vous, fit-il dire aux habitants de Sichem, d'être gouvernés par un seul homme, que de l'être par soixante-dix ? souvenez-vous que je suis votre proche parent. Les Sichemites, disposés en sa faveur, lui donnèrent soixante-dix pièces d'argent prises dans le trésor du temple de Baal-Berith, dieu phénicien, qui avait trouvé alors de nombreux adorateurs parmi les Hébreux. Abimélech solda des vagabonds avec lesquels il se rendit à Ophra ; il fit massacrer tous ses frères, à l'exception de Jothâm, le plus jeune, qui s'était caché. Après ce forfait inouï il retourna à Sichem, où il fut reconnu roi. Son frère Jothâm eut le courage de se présenter sur le mont Garizim du haut duquel il adressa aux Sichémites le discours suivant :

Écoutez-moi, habitants de Sichem, et Dieu vous écoutera : Les arbres allèrent un jour élire un roi, et, s'adressant à l'olivier, ils lui dirent : Règne sur nous ; mais l'olivier leur répondit : Renoncerai-je à mon huile par laquelle on honore Dieu et les hommes, pour aller planer sur les arbres ?Et les arbres dirent au figuier : Viens, règne sur nous ; mais le figuier leur répondit : Renoncerai-je à ma douceur et à mon bon fruit, pour aller planer sur les arbres ?Et les arbres dirent à la vigne : Viens, règne sur nous ; mais la vigne leur répondit : Renoncerai-je à mon moût qui réjouit Dieu et les hommes, pour aller planer sur les arbres ?Alors tous les arbres dirent au buisson épineux : Viens, toi, règne sur nous. Et le buisson épineux répondit aux arbres : Si c'est avec sincérité que vous voulez m'oindre pour être votre roi, venez vous abriter sous mon cinabre ; sinon, un feu sortira du buisson épineux et dévorera les cèdres du Liban. — Ainsi donc, si vous avez agi avec sincérité et intégrité en prenant Abimélech pour roi ; si ç'a été pour vous montrer reconnaissants envers Jérubaal et sa familleet certes, il n'en est pas ainsi, puisque vous avez fait massacrer tous ses fils, et que vous avez pris pour roi le fils de sa servante. — Si donc, dis-je, vous avez agi avec sincérité, réjouissez-vous d'Abimélech et qu'il se réjouisse de vous ; sinon, qu'un feu sorte d'Abimélech et dévore les habitants de Sichem et de Beth-Millo[38], et qu'un feu sorte de ceux-ci et dévore Abimélech.

Après avoir prononcé ce discours, Jothâm s'enfuit hors des limites du petit royaume, et le bras d'Abimélech ne put l'atteindre. Après trois ans la prédiction de Jothâm s'accomplit. Les 8ichémites, mécontents d'Abimélech, profitèrent un jour de son absence pour se déclarer indépendants : durant les fêtes des vendanges, un certain Gaal ameuta le peuple contre le gouvernement d'Abimélech. Zébul, gouverneur de Sichem, fit prévenir le roi, qui accourut avec des troupes. Gaal étant sorti au-devant de lui avec les autres rebelles fut batta et mis en fuite. La ville, prise le lendemain, fut détruite de fond en comble ; Abimélech fit mettre le feu à la tour du temple de Baal-Berith, où les principaux de la ville s'étaient réfugiés ; environ mille personnes, hommes et femmes, y perdirent la vie. La ville de Thébès[39], ayant pris part à la révolte des Sichémites, eut le même sort que Sichem. Les habitants se réfugièrent dans le fort, et Abimélech s'en étant approché pour y faire mettre le feu, une femme lui jeta une meule sur la tête et lui brisa le crâne. Abimélech, mortellement blessé, ordonna à son écuyer de le tuer sur-le-champ, afin qu'on ne pût pas dire qu'il avait été tué par une femme. Ses troupes se dispersèrent aussitôt et la guerre fut finie. Telle fut la fin d'Abimélech et du royaume de Sichem, qui n'avait eu qu'une très-petite étendue ; il parait que, la grande majorité des Hébreux était restée indépendante, et n'avait pris aucune part dans les querelles d'Abimélech.

Nous trouvons ensuite un Schophêt, nommé Thola, de la tribu d'Isachar[40] ; il résidait à Schamir, sur la montagne d'Éphraïm, où il mourut après avoir gouverné vingt-trois ans. Le livre des Juges (10, 1) nous dit qu'il secourut Israël ; mais nous ne savons pas dans quelle occasion. Après lui Jaïr, de Gilead, fut revêtu de la dignité de Schophêt ; nous ne savons rien de lui, si ce n'est qu'il eut trente fils qui occupaient trente localités, appelées villages de Jaïr, et qui montaient autant d'ânes de luxe. Jaïr mourut après avoir gouverné vingt-deux ans, et il fut enterré à Kamôn, dans la Pérée.

Près d'un siècle s'était écoulé depuis l'éclatante victoire de Gédéon qui avait laissé sans doute une profonde impression dans l'esprit des peuples voisins ; mais ni Gédéon, ni ses successeurs, n'avaient rien fait pour constituer les Hébreux en corps de nation, pour rétablir le culte national et pour prévenir de nouvelles invasions. L'idolâtrie se répandit de plus en plus ; on consacrait un culte à une foule de divinités païennes ; Jéhova seul restait oublié. De nouveaux ennemis s'élevèrent contre les Hébreux ; la puissante tribu de Juda, qui jusque-là paraît être restée en dehors de toutes les luttes, commença elle-même à être inquiétée par de dangereux voisins ; car les Philistins étaient devenus de plus en plus forts, et ils prêtèrent la main aux Ammonites qui recommencèrent à faire valoir d'anciens griefs contre les Hébreux, et qui opprimèrent surtout les tribus établies à l'est du Jourdain. Pendant dix-huit ans les Ammonites firent peser leur joug sur les habitants de la Pérée, et, passant le Jourdain, ils menacèrent les tribus du midi de la Palestine. Dans leur malheur, les habitants de Gilead, ou de la Pérée, cherchèrent un refuge auprès du Dieu national ; on renonça avec repentir aux différents cultes idolâtres, et, sous les auspices de Jéhova, une assemblée générale fut convoquée à Kispah ou Mispé-Gilead[41]. Là on décida que celui qui ferait la guerre aux Ammonites serait nommé chef de tout le pays de Gilead ; mais on ne trouva personne capable de se charger d'une mission aussi dangereuse.

Dans leur embarras les Anciens de Gilead jetèrent les yeux sur un certain Yipktah ou Jephté, qui, fils naturel d'un Gileadite, avait été chassé de la maison paternelle, par ses frères, nés d'une femme légitime, et s'était établi dans la contrée de Tob[42], où, entouré de vagabonds, il se livrait au brigandage. Dans ses expéditions, il avait eu, sans doute, l'occasion de montrer un grand courage et il s'était fait la réputation d'un homme vaillant (Juges, 11, 1). Son héroïsme, digne d'une meilleure cause, attira sur lui l'attention des Anciens de Gilead, qui envoyèrent auprès de lui, pour lui offrir le commandement contre les Ammonites et la principauté du pays de Gilead. Jephté refusa d'abord, en reprochant aux Gileadites d'avoir permis son expulsion : mais, sur l'assurance solennelle que lui donnèrent les Anciens de le créer chef suprême de Gilead, il consentit à prendre le commandement des troupes.

Avant d'entrer en campagne, Jephté voulut tenter des négociations, et il envoya des ambassadeurs au roi des Ammonites, lui demandant de faire connaître ses griefs. Le roi prétendit que les Hébreux s'étaient emparés jadis du pays des Ammonites, en s'établissant entre l'Amon et le Yabbok. Mais Jephté fit comprendre au roi que, lors de l'invasion des Hébreux, ce pays n'appartenait plus aux Ammonites, qu'il avait été pris, avant cette époque, par les Amorites et que Moïse l'avait loyalement conquis sur Sihon. Le roi d'Ammon, ajouta-t-il, serait mal venu de faire valoir des droits effacés depuis trois siècles, sans qu'on eût jamais osé faire aucune réclamation, et la guerre, de sa part, serait injuste. Malgré ces observations, le roi d'Amnon continua les hostilités, et Jephté marcha contre l'ennemi. Ce chef brave, mais barbare, qui jusque-là avait vécu au milieu d'une bande de brigands, et qui, nourri de superstitions païennes, ne connaissait de Jéhova que le nom, fit le vœu impie et sacrilège d'offrir comme holocauste la première personne de sa maison, qui irait au-devant de lui, lorsqu'il retournerait vainqueur de cette guerre. Les Ammonites furent complètement défaits ; Jephté envahit même leur territoire et leur prit vingt villes. De retour à Mispah, où il avait fixé sa résidence, le malheureux Jephté vit sa fille unique, qui, la première, vint le complimenter, en jouant du tambourin et en dansant. Le père désolé déchira ses vêtements ; lié par son vœu barbare, il se crut obligé de sacrifier son enfant unique. La jeune fille, croyant elle aussi qu'un pareil sacrifice était une chose agréable au Dieu national, montra une calme résignation : Mon père, dit-elle, tu as ouvert ta bouche à Jéhova ; fais-moi ce que ta bouche a prononcé, puisque Jéhova t'a permis de te venger de tes ennemis, les fils d'Ammon. Elle demanda seulement un délai de deux mois, pour se rendre avec ses amies dans un lieu isolé au milieu des montagnes afin d'y pleurer sa virginité. Le père accorda sa demande ; après deux mois elle revint, et le vœu s'accomplit[43], sans que personne osât y mettre obstacle, et montrer qu'une pareille action était contraire aux lois et une abomination devant Jéhova ; tant les doctrines de Moïse étaient alors peu connues et ses lois peu observées. Pendant longtemps les filles d'Israël célébrèrent le souvenir de ce tragique événement, en s'assemblant, pendant quatre jours, chaque année, pour chanter des élégies sur la fille de Jephté.

L'expédition contre les Ammonites fut suivie d'une guerre civile : les Éphraïmites reprochèrent à Jephté, comme jadis à Gédéon, d'avoir fait la guerre sans leur avoir demandé leur participation ; ils passèrent le Jourdain, et se dirigeant vers la résidence de Jephté, ils menacèrent d'incendier sa maison. Jephté soutint qu'il avait fait un appel ; mais que, personne ne venant à son secours, il avait été obligé de marcher seul avec ses Gileadites. Il paraît que les Éphraïmites ne se contentèrent pas de cette réponse ; car Jephté fut obligé de rassembler ses troupes, pour repousser l'agression des Éphraïmites. Les Gileadites furent vainqueurs dans cette lutte ; et on ne fit point de quartier aux gens d'Éphraïm. On chercha même à arrêter les fuyards isolés au passage du Jourdain, et pour les reconnaître, on leur fit prononcer le mot Schibboleth (épi ou tourbillon d'eau), ou tout autre mot renfermant la lettre Schin. Les Éphraïmites ne pouvant pas prononcer cette lettre, disaient Sibboleth, et les fuyards, reconnus à ce signe, furent saisis et égorgés. Selon le livre des Juges (12, 6), quarante-deux mille Éphraïmites tombèrent dans cette malheureuse guerre.

Jephté mourut, après avoir dominé six ans sur les Gileadites ; il fut enterré dans sa ville natale, que Josèphe appelle Sébéa. Après lui nous trouvons trois Schophetîm à l'ouest du Jourdain : Ibsân de Bethléhein, qui eut le rare bonheur de marier trente fils et trente filles, gouverna sept ans. Élôn d'Ayyalôn, dans le canton de Zabulon, gouverna dix ans, et Abdôn de Piréathon, dans le canton d'Éphraïm, huit ans. Ce dernier avait quarante fils et trente petits-fils, qui montaient des ânes de luxe, ce qui était un signe d'autorité.

Le bras de Jephté, qui avait vaincu les Ammonites, n'avait pu atteindre leurs alliés à l'ouest du Jourdain. Les Philistins avaient pris une attitude de plus en plus menaçante ; les trois derniers Schophetîm n'avaient rien tenté contre des adversaires aussi dangereux. Il se prépara dans le midi une lutte qui devait être longue et opiniâtre, mais qui devait enfin unir les tribus sous un seul drapeau et faire revivre l'esprit national et l'amour des anciennes institutions. Pendant quarante ans nous verrons les Philistins dominer suries tribus du midi (Juges, 13, 1) ; la fière tribu de Juda, qui autrefois avait fait la conquête de Gaza, d'Ascalon et d'Ékrôn, était obligée elle-même de payer un honteux tribut à ceux dont jadis elle avait été la maîtresse (ib.15, 11). Il se présenta alors, parmi les Hébreux, un homme qui préluda à l'humiliation des Philistins par l'attitude courageuse qu'il prenait devant eux et par les nombreux tours qu'il leur jouait. Cet homme fut Samson, ou mieux Simsôn, l'Hercule des Hébreux. Dans le livre des Juges nous lisons deux fois que Simsôn jugea Israël pendant vingt ans[44] ; c'est-à-dire qu'il occupa le rang de Schophêt. Cependant dans tout ce qu'on raconte de lui, nous ne le voyons exercer aucun acte qui témoigne de son autorité ; il ne se met point à la tête des Hébreux pour les conduire à la guerre, il ne dirige pas leurs affaires intérieures ; sa conduite est sans gravité, et les gens de Juda ne le traitent pas avec le respect dû à un chef de la république[45]. Nous ne saurions donc voir dans Simsôn un homme revêtu d'un caractère politique ; si on l'appelle Schophet, ce n'est là qu'un titre honorifique, qui lui fut donné à cause de la grande sensation que firent ses exploits individuels-et ses tours de force. La relation de ses aventures est d'un intérêt médiocre pour l'histoire des Hébreux ; le récit du livre des Juges n'a même pas un caractère historique, et il ressemble plutôt à un conte populaire. Tout dans la vie de Simsôn, depuis sa naissance jusqu'à sa mort, est enveloppé d'un voile merveilleux. Considérée comme historique sa vie présenterait des difficultés insolubles ; c'est un roman dont le héros est un personnage historique, un conte comme il y en a beaucoup chez les peu pies d'Orient.

L'auteur nous fait voir dans Simsôn, dès sa naissance, un être extraordinaire. Sa mère, femme de Manoah, de Saréah, dans la tribu de Dan, était restée long temps stérile. Un ange lui annonce un jour qu'elle aura un fils qu'elle devra consacrer à Jéhova, comme Nazir, et qui commencera à sauver Israël de la main des Philistins ; il lui ordonne de s'abstenir, pendant sa grossesse, de toute boisson enivrante et de toute chose impure. Revenu une seconde fois, en présence de Manoah, l'ange disparaît au milieu de la flamme du sacrifice offert à Jéhova. La prédiction de l'ange s'accomplit ; l'enfant, appelé Simsôn, porte, comme Nazir, une longue chevelure, qu'on laisse toujours intacte, et qui lui donne une force gigantesque. Devenu grand, il va à Thimnatha, accompagné de son père et de sa mère, pour demander en mariage la fille d'un Philistin qu'il y avait vue, et que la Providence avait destinée à devenir une cause de querelles entre Simsôn et les Philistins. Chemin faisant, Simsôn déchire un lion qui vient au-devant de lui. Quelque temps après, faisant de nouveau le voyage de Thimnatha, pour aller célébrer sa noce, il rencontre le cadavre du lion, dans lequel il trouve un essaim d'abeilles et un rayon de miel, ce qui lui donne l'occasion de proposer, à trente convives philistins, l'énigme suivante : Du mangeur est sorti l'aliment et du fort est sorti la douceur. Les Philistins forcent la femme de Simsôn, par des menaces, de tirer de lui l'explication de l'énigme et de la leur communiquer. Simsôn, obligé de payer à chacun des trente convives le prix de la gageure, le fait aux dépens de trente Philistins qu'il tue à Ascalon. Ayant quitté sa femme qui l'avait trahi, celle-ci se marie avec un autre. Revenu quelque temps après, Simsôn se voit repoussé ; pour se venger il prend trois cents chacals, qu'il attache deux à deux par les queues, et ayant mis le feu aux queues, il laisse courir les animaux dans les champs des Philistins, dont il brûle ainsi les blés. Il tue, en outre, un grand nombre de ses ennemis et se retire. Les Philistins exigent de la tribu de Juda de leur livrer Simsôn ; trois mille hommes de cette tribu vont prendre Simsôn qui se laisse lier, mais arrivé auprès des Philistins qui l'attendaient dans un endroit appelé (plus tard) Léhi (mâchoire), il déchire ses liens, et, avec la mâchoire d'un âne[46], qu'il trouve sur son chemin, il tue mille ennemis. Un jour, étant allé voir une femme à Gaza, les Philistins vinrent entourer la maison ; sans se déconcerter il se lève au milieu de la nuit, se fraie un chemin pour sortir de la ville, dont il enlève les portes, et les transporte sur une hauteur. Mais son amour des femmes finit par lui devenir funeste. Il se lie, dans la vallée de Sorek, avec une certaine Dalilah, qui, gagnée par les Philistins, ne cesse de l'importuner pour connaître le secret de sa force. Après l'avoir trompée plusieurs fois, il finit par lui avouer que c'est sa longue chevelure de Naziréen qui le rend si fort. Dalilah lui coupe les cheveux pendant le sommeil, et Simsôn est livré aux Philistins qui lui crèvent les yeux et le condamnent à tourner la meule dans une prison à Gaza. Un jour les princes des Philistins s'assemblent dans le temple de Dagon pour célébrer la lâche victoire remportée sur leur redoutable ennemi. Le temple était rempli d'hommes et de femmes, et on fait venir Simsôn pour le montrer en spectacle. Simsôn, dont la chevelure avait recommencé à croître, adresse une prière fervente à Jéhova ; il redemande sa force pour un seul instant et il veut mourir lui-même en donnant la mort à ses ennemis. Ayant prié son conducteur de le placer près des colonnes qui supportaient le toit du temple, il les saisit, et, les faisant plier de toutes ses forces, il fait écrouler le temple, et se donne ainsi la mort à lui-même et aux trois mille personnes qui y étaient assemblées. Telle fut la fin tragique de Simsôn ; son corps fut cherché par ses frères qui le déposèrent dans leur tombeau de famille entre Saréah et Esthaol.

Ce résumé fidèle des détails romanesques que le livre des Juges nous donne sur la vie de Simsôn, suffira pour convaincre le lecteur, que l'auteur n'a fait que reproduire des légendes populaires, qui, sans doute, cachent un fond historique, mais qui nous montrent aussi que la tradition n'avait conservé de Simsôn aucun fait éclatant qui puisse nous faire reconnaître en lui un chef du peuple. Celui qui, probablement, était revêtu, du temps de Simsôn, de la dignité de Schophet fut le prêtre Éli[47] successeur, à ce qu'il paraît, du Schophet Abelôn.

Il s'était opéré alors un changement heureux dans l'esprit des tribus, qui sentirent de plus en plus le besoin de se grouper autour de la loi et autour d'un chef qui pût la faire observer. Le sanctuaire de Siloh, longtemps oublié, recommença à recevoir les visites et les sacrifices des fidèles. Ce fut sans doute la puissance toujours croissante des Philistins, et le danger qui unissaient les tribus des Hébreux. Le prêtre bien intentionné, mais faible, qui gouvernait à Siloh n'était pas capable de régénérer la nation et le culte de Jéhova. Cette mission était réservée à un jeune Lévite, qui comprit tous les besoins et qui sut profiter des circonstances.

 

3. Éli et Samuel.

Eli, prêtre de la ligne d'Ithamar[48], fut élevé, à l'âge de cinquante-huit ans, à la dignité de Schophet. Il paraîtrait qu'étant parvenu à restaurer le Tabernacle de Siloh et à y attirer de nouveau un grand nombre de fidèles (I Sam. 2, 14), il usurpa les fonctions de grand-prêtre qui appartenaient de droit à la ligne d'Eléazar. Selon Josèphe, trois descendants de cette ligne avaient exercé le pontificat depuis la mort de Pinehas, savoir, le fils de celui-ci que Josèphe nomme Abiézer, mais qui, selon la Bible, s'appelait Abisoua[49], ensuite Bouki et Ouzi. Après ce dernier Eli fut revêtu de la dignité de grand prêtre.

Avec Eli nous passons sur le terrain historique. Le premier livre de Samuel (ch. 1-4) nous montre ce prêtre dans un âge avancé, assis devant la porte du sanctuaire sur le siège de Schophet. Ses deux fils, Rophni et Pinehas, exerçaient les fonctions ordinaires du sacerdoce, mais ils profanaient leur saint ministère par la cupidité et par leurs mœurs dépravées. Ils se permettaient des vexations contre ceux qui venaient offrir des sacrifices, en s'appropriant violemment les meilleures portions de la viande, avant même d'avoir brillé sur l'autel les parties grasses que la loi consacrait à Jéhova, et ils allaient même jusqu'a attenter à l'honneur des femmes qui venaient à l'entrée du sanctuaire faire des actes de dévotion. Éli, homme pieux mais d'une extrême faiblesse de caractère, au lieu d'agir avec énergie contre ses fils dépravés et de les éloigner du sanctuaire qu'ils souillaient par leur conduite, se contenta de leur adresser de molles réprimandes. Peut-être aussi sa conduite n'était-elle pas exempte d'ambition, et désirait-il conserver à ses descendants la dignité de grand prêtre qu'il avait usurpée. Mais un homme de Dieu, c'est à-dire un zélé partisan de la religion et des lois de Moïse, se présenta un jour à Éli au nom de Jéhova, pour lui reprocher sa coupable mollesse et pour lui prédire la chute de sa maison. On voit bien qu'Eli n'était nullement l'homme qui pût entreprendre la restauration du Culte de Jéhova, dont la conduite de ses fils devait éloigner un grand nombre de fidèles. Son grand âge et ses habitudes paisibles du sanctuaire le rendaient également peu propre à contribuer au rétablissement de l'indépendance de son peuple que les Philistins opprimèrent de plus en plus. Pour sauver à la fois la religion et l'État, il fallut un nouveau Moïse, un homme qui jouît de la confiance de tous et qui sût réunir tout Israël sous un seul drapeau. L'homme que la Providence avait choisi pour cette haute mission, était déjà né et il grandissait sous les yeux d'Éli ; c'était le jeune Samuel, consacré dès sa naissance, par ses pieux parents, au service du sanctuaire

A Rama, ou Ramathaïm-Sophîm[50], sur la montagne d'Éphraïm, dans le canton de Benjamin, vivait un lévite[51], nommé Elkanah, qui avait deux femmes : Hannah et Peniunah. Il avait probablement épousé la seconde à cause de la stérilité de la première, qui possédait tout son amour (I Sam. 1, 5). Tous les ans il se rendait à Siloh, avec toute sa famille, pour offrir des sacrifices dans le sanctuaire de Jéhova. Un jour, au repas qui suivait ordinairement le sacrifice, Hannah, Planifiée par sa rivale Peninnah, qui était entourée de ses fils et de ses tilles, se rendit devant le sanctuaire, pour épancher devant Dieu son âme affligée, faisant vœu, si elle avait un fils, de le consacrer au service de Dieu. Elle pria à voix basse ; Éli qui l'observait et qui voyait le mouvement de ses lèvres, sans entendre sa voix, croyait que c'était l'effet de l'ivresse et il lui fit.une réprimande. Mais ayant appris la cause de son affliction, il la consola, en l'assurant que sa prière serait exaucée ; Hannah partit consolée et pleine d'espoir. La prédiction d'Éli s'accomplit dans la même année. Hannah mit au monde un fils, à qui elle donna le nom de Samuel[52]. Après l'avoir sevré, probablement à l'âge de deux ans[53], elle le conduisit à Siloh et le remit à Éli pour le consacrer au sanctuaire comme Naziréen. Samuel, élevé par le grand prêtre, fut employé sans doute au service ordinaire des lévites[54] ; il se faisait remarquer par sa piété, on voyait en lui un favori de Dieu et il était généralement aimé. Il avait tous les jours l'occasion d'observer la conduite indigne des fils d'Éli, qui devait révolter son innocente piété et laisser une profonde impression dans son âme. Sa jeune imagination s'exalta pour Jéhova et pour sa loi qu'il voyait si indignement outragés, et il se sentit de bonne heure la vocation de rétablir la doctrine de Moïse dans sa pureté primitive. Un soir il était couché dans le lieu saint, lorsqu'il crut entendre une voix qui l'appela plusieurs fois par son nom et qui lui révéla le jugement sévère dont la Divinité devait frapper la famille d'Éli. Le grand prêtre avait été témoin de son agitation pendant la nuit ; car Samuel s'était rendu plusieurs fois auprès de lui, croyant d'abord que c'était lui qui l'appelait. Convaincu que le jeune enfant était agité par l'esprit de Dieu, Éli lui demanda le lendemain de lui faire part de sa vision nocturne, et le jeune Samuel lui parla des malheurs que les crimes de ses fils devaient attirer sur sa maison. C'est ainsi que Samuel débuta dans la carrière de prophète ; selon Josèphe, il était alors âgé de douze ans[55]. Depuis cette époque il continua à manifester dans ses discours une exaltation religieuse qui paraissait alors extraordinaire, car la parole de Jéhova était rare en ce temps (I Sam. 3, 1), et bientôt la réputation du jeune prophète se répandit dans tout le pays des Hébreux.

Il paraîtrait que les discours exaltés de Samuel furent pour quelque chose dans l'expédition malheureuse que les Hébreux entreprirent bientôt contre les Philistins (ib. 4,1). Ces derniers étaient campés dans un endroit appelé Aphek[56] ; attaqués par les Hébreux ils les repoussèrent vigoureusement et leur firent perdre environ quatre mille hommes. Les chefs hébreux délibèrent ; on décide de tenter une nouvelle attaque, et, pour ranimer le courage des troupes, on fait venir de Siloh l'arche sainte, accompagnée des prêtres Hophni et Pinehas. Pour la première fois, depuis le temps de Josué, nous voyons les symboles de Jéhova au milieu du camp, pour servir de Palladium aux combattants ; déjà les Philistins tremblent, en entendant les cris d'enthousiasme retentir dans le camp des Hébreux ; mais ils sentent que, s'ils perdaient courage, c'en serait fait de leur indépendance (ib. v. 9), et le danger imminent redouble leur bravoure. Les Hébreux sont vaincus et mis en déroute, après avoir laissé trente mille hommes sur le champ de bataille ; les deux fils d'Éli meurent en défendant l'arche sainte, et celle-ci tombe entre les mains des Philistins.

Un fuyard, arrivé à Siloh, y apporte ces malheureuses nouvelles ; on l'amène devant Éli, à qui il fait le récit de tous les désastres de cette journée, jusqu'à la mort de Hophni et de Pinehas ; mais, lorsque, à la fin, il parle de la prise de l'arche sainte, Éli tombe de son siège à la renverse, se casse la nuque et meurt à l'instant même. Il était âgé de quatre-vingt-dix-huit ans, et il avait possédé pendant quarante années la dignité de Schophet.

Sa bru, la femme de Pinehas, était alors près d'accoucher ; en apprenant le grand désastre national et la mort de son beau-père et de son mari, elle fut surprise par les douleurs de l'enfantement ; elle mourut en donnant le jour à un fils qu'elle appela I-cabôd (non-gloire). Il resta de Pinehas un autre fils mineur, nommé Achitob, par lequel la dignité de grand prêtre se conserva dans la famille d'Éli (I Sam. 14, 3).

Les Philistins avaient transporté l'arche à la ville d'Asdôd, où ils la placèrent dans le temple de Dagôn, près de la statue de ce dieu. Les prêtres philistins, à ce qu'il paraît, voyaient de mauvais œil un pareil trophée placé dans l'un de leurs temples principaux. Le lendemain on trouva la statue de Dagôn renversée. On la releva et on la remit en place, mais, dans la seconde nuit, elle fut de nouveau renversée et brisée ; on trouva ta tête et les deux mains sur le seuil du temple et il n'en resta que le corps de poisson qui en formait le tronc. En même temps une maladie épidémique, consistant en tumeurs douloureuses dans les parties secrètes[57], se répandit dans la ville d'Asdôd, et les souris champêtres ravagèrent la campagne. Les habitants d'Asdôd, attribuant ces calamités à la présence de l'arche sainte des Hébreux, ne voulurent pas la garder plus longtemps. On essaya de la placer à Gath ; mais là les mêmes calamités se renouvelèrent. Il en fut de même à Ekrôn, où l'on envoya l'arche en dernier lieu. Enfin au bout de sept mois, les prêtres et les devins, interrogés à ce sujet, conseillèrent de renvoyer aux Hébreux l'arche sainte accompagnée d'un présent expiatoire pour leur Dieu. Ce présent devait consister en cinq simulacres en or des parties affectées de tumeurs et en cinq souris d'or, selon le nombre des princes philistins[58]. On plaça l'arche, ainsi que la boîte renfermant le cadeau, sur un chariot neuf, attelé de deux génisses qui n'avaient pas encore porté de joug. Les bêtes abandonnées a elles-mêmes prirent le chemin de Beth-Schémesch, ville sacerdotale sur la frontière des Hébreux[59], ce que les Philistins considérèrent comme' une preuve que l'arche avait été la cause de leurs désastres. On était alors au temps de la récolte du froment ; les moissonneurs de Beth-Schémesch voyant de loin arriver l'arche, poussèrent des cris de joie. Le chariot s'arrêta dans le champ d'un certain Josué ; on fit venir des lévites pour décharger l'arche, qu'on déposa sur une grande pierre, ainsi que la boîte renfermant les simulacres d'or. Le chariot fut brisé, et avec le bois on alluma un feu pour brûler les génisses en holocauste. A Beth-Schémesch on célébra cet événement par des sacrifices solennels. Mais, la contagion s'étant probablement communiquée aux habitants de cette ville, il en mourut soixante-dix personnes, et bientôt on compta, dans les environs, jusqu'à cinquante mille morts. Comme chez les Philistins, on attribua l'épidémie à la présence de l'arche et particulièrement aux regards de curiosité que des hommes profanes (non lévites) avaient jetés dans l'intérieur de l'arche. Sur la demande des gens de Beth-Schémesch, les habitants de Kiryath-Yaarîm envoyèrent prendre l'arche ; on la plaça sur une hauteur, dans la maison d'un certain Abinadab (selon Josèphe, un lévite), et on la confia à la garde de son fils Éléazar.

Éli et ses fils étant morts, il n'y eut, pour le moment, ni Schophet ni grand prêtre en Israël, et personne ne provoqua le retour de l'arche à Siloh. Samuel, encore trop jeune pour se mêler des affaires publiques, retourna, à ce qu'il paraît, dans sa ville natale ; c'est là que nous le retrouverons plus tard. Le joug des Philistins, depuis leur dernière victoire, avait de devenir de plus en plus dur ; mais l'oppression produisit un bon effet moral, et toutes les tribus des Hébreux sentirent, plus que jamais, le besoin de se grouper autour de Jéhova (I Sam. 7, 2).

Vingt ans s'étaient passés depuis que l'arche sainte avait été transportée à Kiryath-Yaarîm[60], lorsque Samuel, après avoir médité en silence l'œuvre de la réforme, et croyant le peuple suffisamment préparé pour ses grands projets, sortit de sa retraite, pour se mettre à la tête de ses concitoyens, et pour les encourager à reconquérir leur indépendance. Il les exhorta d'abord à quitter toute espèce de culte idolâtre, pour n'adorer que Jéhova qui seul pouvait les délivrer dg joug des Philistins. Voyant les Hébreux sincèrement disposes à se laisser guider par lui et à former un ensemble compact autour des symboles du Dieu unique, il fit convoquer à Mispah une assemblée générale. Là les représentants du peuple confessèrent hautement qu'Israël avait péché en s'écartant du culte de Jéhova jour-là en signe de pénitence, on jeûna ce jour-là et on fit des libations d'eau, Samuel fût solennellement proclamé Schophet d'Israël[61].

A la nouvelle de la grande assemblée qui se tenait à Mispah, les princes des Philistins s'émurent, et se mirent en mouvement, avec leurs troupes, peur marcher contre les Hébreux. Ceux-ci, avertis du danger et pris à l'improviste, s'adressent à Samuel ; le secours immédiat de Dieu pouvait seul les sauver, et ils veulent que le prophète intercède pour eux auprès de Jéhova. Samuel prie et offre un holocauste. Le sacrifice n'était pas encore achevé, lorsqu'on voit arriver les Philistins. Mais un violent orage Met le désordre dans leurs rangs. Les Hébreux, profitant de cette circonstance imprévue, sortent de Mispah, fondent sur les ennemis et les repoussent avec une grande perte jusqu'à un endroit appelé Beth-Câr. Samuel éleva dans ces environs une pierre monumentale, qu'il appela la pierre du secours. Le texte biblique nous laisse deviner, et Josèphe le dit clairement[62], que les Hébreux, encouragés par ce succès, et conduits par Samuel, prirent l'offensive coutre les Philistins. Ceux-ci, vaincus par les Hébreux furent forcés de rendre les villes qu'ils leur avaient prises et de leur accorder une paix honorable, après les avoir opprimés pendant quarante ans. Ce fut probablement par une clause du traité de paix que les Philistins conservèrent un poste militaire à Gabaa[63]. Les peuplades cananéennes qui restaient encore en Palestine, vivaient également en paix avec les Hébreux, Tout tendait à favoriser les projets de Samuel, qui désormais pouvait tranquillement travailler à restaurer et à spiritualiser le mosaïsme et à rétablir l'unité dans la république et dans le culte. Il fixa sa résidence à raina, sa ville natale, où il dressa un autel à Jéhova ; mais tous les ans il faisait des tournées à Bethel, à Guilgal et à Mispah, où se tenaient des assemblées populaires, et où il dirigeait les délibérations des affaires publiques.

Samuel sentait bien qu'il faudrait du temps et beaucoup d'efforts ramis pour faire réussir l'œuvre qu'il méditait et pour lui donner des chances de durée. L'expérience de tout ce qui s'était passé depuis la mort de Josué ne lui permettait pas de se faire des illusions sur la force et la stabilité d'une loi écrite, sans autre garantie que la sanction du peuple obtenue par la force des circonstances, et sans qu'il y eût toujours, à la tête de la nation, des hommes qui sussent faire respecter cette loi. Il sentait également que la loi de Moïse aurait besoin de se développer et de se modifier avec les progrès de la nation, et que cependant, d'un autre coté, il serait dangereux de toucher à la lettre de la loi. Il fallait donc des hommes qui sussent interpréter la loi, en inspirant la vie et le mouvement à la lettre morte, des hommes entrant dans le vrai sens de la loi, et participant, pour ainsi dire, de l'inspiration du législateur. Le principe de la communication de l'esprit de Moïse avait été proclamé déjà par ce législateur lui-même et il l'avait appliqué dans une circonstance particulière[64]. Il s'agissait, pour Samuel, d'en profiter pour la fondation d'un institut permanent, d'un collège d'orateurs inspirés, ou, comme on est convenu de l'appeler, d'une école de prophètes[65]. Du moins c'est du temps de Samuel que nous voyons paraître pour la première fois les associations ou confréries de Nebiim (prophètes)[66], et c'est avec raison qu'on a considéré Samuel comme leur fondateur et leur chef. Loin du bruit des armes et de la trompette guerrière, les jeunes prophètes chantaient les louanges de Jéhova aux sons plus doux du luth, de la flûte et de la harpe, et, dans une paisible retraite, ils méditaient sur Dieu et sur le vrai sens de la loi. Ils vivaient ensemble dans plusieurs villes, où ils occupaient des quartiers particuliers, et ces villes sont généralement celles où se tenaient les assemblées publiques, et que Samuel visitait habituellement. Nous les trouvons à Rama, patrie et résidence de Samuel, où ces prophètes habitaient un quartier appelé Noyôth (demeures) ; là leur assemblée était présidée par Samuel lui-même[67] ; nous en verrons également à Béthel, à Guilgal et à Jéricho[68]. Ces confréries étaient destinées à exercer une grande influence et à prendre rang parmi les pouvoirs de l'État, en représentant la loi, selon son véritable esprit, vis-à-vis des prêtres souvent trop attachés au culte matériel, et vis-à-vis du pouvoir exécutif dont elles devaient empêcher les empiétements. On verra dans la suite de notre histoire le rôle important que jouaient les prophètes.

La paix que Samuel avait établie dans le pays, le noble usage qu'il ne cessait de faire de cette paix pour affermir les institutions et pour consolider l'unité et la prospérité de la nation, faisaient naturellement apprécier aux Hébreux tous les avantages qu'il y avait à être gouverné par un chef habile et ferme. Il eût été facile à Samuel de se faire proclamer roi ; mais il considérait l'établissement de la royauté comme étant en opposition avec le véritable esprit de la loi. Dans ses institutions, il voyait une garantie suffisante contre une nouvelle anarchie, et il pouvait espérer que désormais la nation ne manquerait plus d'hommes qui pussent la gouverner dignement et la protéger, grâces à son unité, contre les ennemis du dehors.

Samuel, assez avancé en âge et se sentant trop faible pour supporter seul toutes les charges de l'administration, voulut partager les fonctions de Schophet avec ses deux fils, Joël et Abiah, qu'il installa comme Juges à Beerséba, à l'extrémité méridionale de la Palestine[69]. Mais les fils ne marchèrent pas sur les traces de leur père ; de graves plaintes s'élevèrent contre leur administration ; car ils se laissaient guider par leur intérêt personnel, et, au lieu de l'intégrité de Samuel, on ne voyait chez eux que corruption et injustice.

Les représentants de la nation pensaient avec effroi aux dangers qui menaçaient le pays, si Samuel venait à mourir. Ils désiraient ardemment que Samuel se donnât un successeur qu'il pût guider lui-même pendant le temps qu'il lui restait à vivre, et qui, animé de l'esprit du prophète, sût maintenir dans la nation la paix, l'unité et l'indépendance. Mais, en même temps, ils voulaient assurer au pays tous ces avantages pour un avenir plus éloigné ; ils demandèrent donc que le successeur de Samuel fût investi d'un pouvoir héréditaire et qu'on lui donnât le titre de Mélech (roi). Samuel redoutait ce titre et les droits étendus qu'il donnait à celui qui le portait. En même temps il y voyait une grave atteinte contre la constitution, selon laquelle Jéhova seul devait régner sur les Hébreux par sa loi. Néanmoins, comme il était exempt de toute ambition personnelle, sa conscience et l'esprit divin qui le pénétrait lui faisaient un devoir d'obéir a la volonté de la nation qui s'était prononcée, par l'entremise des Anciens. Toutefois il voulut essayer d'abord de fléchir cette volonté par des avertissements salutaires, en montrant ce que pouvait devenir entre les mains d'un tyran, le pouvoir formidable, qui lui aurait été canné. Il fit à l'assemblée le plus sombre tableau de la conduite d'un roi[70] ; à la place de la liberté, il montra aux Hébreux le plus dur esclavage, leurs fils et leurs filles employés aux corvées et à des travaux de toute espèce, leurs biens dimés ou confisques au profit des courtisans. Et alors, ajouta-t-il, vous gémirez sur le roi que vous vous serez choisi, mais Jéhova ne vous répondra pas. Le peuple néanmoins persista dans sa demande. Samuel alors renvoya l'assemblée en lui promettant de se charger de l'importante mission qui lui était confiée.

Le vénérable prophète avait trop d'amour pour son pays et pour les institutions qu'il avait cherché à consolider, pour ne pas désirer que les événements donnassent un démenti à ses sinistres prédictions. Il obéit à regret à la volonté nationale, mais il obéit sincèrement et sans arrière-pensée. Il lui importait de trouver un homme capable de réunir les suffrages des représentants et qui cependant n'eût pas encore par lui-même assez d'importance pour oser se mettre au-dessus des institutions ; il lui fallait un homme qui se laissât guider par lui et à qui il pût inculquer ses principes. Il dut fixer tout d'abord son attention sur la tribu de Benjamin, au milieu de laquelle il vivait, et qui, étant la moins considérable, offrait, par sa faiblesse, le plus de garanties contre l'usurpation et le despotisme. Quoique habitué à agir avec prévoyance et à mûrir ses projets par une longue méditation, Samuel dut, dans cette circonstance nouvelle, s'abandonner aux inspirations du moment, et plein de confiance dans la voix divine qu'il avait cru entendre si souvent en lui-même, il se proposa de la suivre dans l'acte solennel qu'il devait accomplir. La Providence le mit bientôt en rapport avec un homme qui paraissait parfaitement convenir à ses vues.

Un certain Kîs, de la tribu de Benjamin, demeurant à Gabaa, avait un fils nominé Saül, qui était dans la force de l'âge, d'une beauté remarquable et d'une haute stature. Kîs ayant perdu des ânesses, envoya à leur recherche son fils Saül accompagné d'un serviteur ; après avoir vainement parcouru plusieurs districts, ils arrivèrent dans la contrée de Souph, dans laquelle était située la ville de Rama. Saül, craignant que son père ne fût inquiet de sa longue absence, voulut s'en retourner chez lui ; mais son serviteur l'engagea à aller d'abord interroger le célèbre Voyant, ou prophète (Samuel), qui résidait à Rama, et sur l'objection de Saül qu'ils n'avaient rien à offrir à l'homme de Dieu, le serviteur observa qu'il lui restait encore un quart de sicle d'argent. Ils s'acheminèrent donc vers Rama. A l'entrée de la ville, ils virent des jeunes filles qui sortaient pour puiser de l'eau ; ils leur demandèrent la maison du Voyant, et elles répondirent qu'il venait d'arriver à la ville[71], et qu'il allait se rendre sur la hauteur pour le sacrifice et le festin qu'il devait célébrer ce jour même.

En effet, Samuel avait invité, dès la veille, une trentaine de personnes à un repas solennel, espérant peut-être trouver parmi eux celui que Dieu avait élu pour être roi d'Israël[72]. A la porte de la ville, Saül, ayant rencontré Samuel sans le connaître, s'adressa à lui-même pour lui demander la maison du Voyant. Samuel fut tellement frappé de l'extérieur imposant de Saül qu'il reconnut en lui l'homme qu'il avait espère trouver parmi ses convives. Voici l'homme dont je t'ai parlé, lui dit sa voix divine, c'est lui qui régnera sur Israël. Je suis moi-même le Voyant, répondit Samuel à Saül, et il l'invita, ainsi que son serviteur, à assister au festin, en lui disant, en même temps, de ne plus s'inquiéter des ânesses, qui étaient retrouvées. Arrivés dans la salle du festin Saül et son serviteur furent placés par Samuel à la tête des convies, et le cuisinier apporta à Saül la portion que Samuel avait fait réserver d'avance pour celui qu'il reconnaîtrait comme l'élu de Dieu. Après le repas Samuel se retira avec Saül sur la plate-forme de la maison où ils eurent une longue conversation. Saül passa la nuit chez Samuel ; un second entretien eut lieu le lendemain matin, et Samuel dut être très-satisfait de son élu ; car il procéda immédiatement à la cérémonie provisoire de son élection.

Au départ de Saül, Samuel l'accompagna devant la ville ; là le prophète ayant fait marcher en avant le serviteur de Saül, dit à celui-ci de s'arrêter ; il prit une fiole d'huile qu'il répandit sur sa tête, et lui annonça, en l'embrassant, que Jéhova l'avait oint pour être le chef de son peuple.

L'onction, probablement le symbole de l'inviolabilité, remonte, chez les Hébreux, à la plus haute antiquité. Nous l'avons déjà rencontrée dans le sacre des prêtres ; elle se présentera aussi dans l'initiation des prophètes (I Rois, 19, 16), pouvoir spirituel établi par Samuel. Il n'est donc pas étonnant que Samuel donne l'onction à Saül, destiné à être revêtu du pouvoir suprême. Loin de vouloir faire de Saül un instrument des prêtres, il lui confère, par l'onction, une inviolabilité égale à celle du souverain pontife, et bientôt il essaie de le faire entrer dans l'association des prophètes qui représentait le parti du progrès, opposé au parti sacerdotal[73].

Samuel, après avoir annoncé à Saül son élection, lui donna plusieurs signes auxquels il devait reconnaître la vérité de tout ce que le prophète lui avait dit (I Sam. 10, 2-6). Il lui prédit entre autres que, arrivé à Gabaa, il rencontrerait une troupe de prophètes qui, aux sous des instruments, s'abandonneraient à leurs inspirations divines. Saül devait se joindre à eux et prendre part à leurs transports. Plus tard on devait se rendre à Guilgal, où devaient se célébrer les fêtes de l'installation du nouveau roi. Tout se passa comme le prophète l'avait annoncé. Arrivé à Gabaa et voyant la troupe de prophètes venir au-devant de lui, Saul se sentit inspiré par l'esprit de Dieu, et il récita a son tour des chants et des discours prophétiques. Ceux qui le connaissaient s'adressèrent avec étonnement cette question (qui passa en proverbe) : Est-ce que Saül est aussi parmi les prophètes ? Mais quelqu'un des assistants répliqua : Et qui donc est leur père à tous ?

Samuel, de son côté, pour faire sanctionner l'élection de Saül, convoqua une assemblée nationale à Mispah. Là il prononça une allocution dans laquelle il rappela de nouveau aux Hébreux que c'était pour se conformer à leur volonté qu'il allait leur donner un roi, quoique ce fût une ingratitude envers Jéhova qui les avait fait sortir d'Égypte et qui les avait sauvés de tous leurs ennemis. Faisant ranger le peuple par ordre de tribus et de familles, il déclara que Dieu avait choisi, pour lui donner la royauté, la tribu de Benjamin ; la famille élue était celle de Matri, et, dans celle-ci, l'homme qui avait mérité d'être désigné roi d'Israël était Saül, fils de Kis[74]. Le modeste Saül s'était rendu à l'assemblée, mais n'osait pas se montrer ; il fallut le chercher et on le trouva caché au milieu des bagages. Lorsque Samuel le présenta au peuple, celui-ci fit éclater aussitôt sa joie, et les cris de vive le roi ! retentirent de toutes parts.

Samuel rédigea aussitôt une convention dans laquelle il fixa les droits et les devoirs de la royauté. Nous ne connaissons pas le texte de cette convention ; mais elle avait sans doute les mêmes bases que la loi sur la royauté contenue dans le Deutéronome. Le pouvoir royal était limité par la constitution, et le roi devait s'engager à rester fidèle observateur de la loi de Jéhova ; sous cette condition seulement il pouvait espérer transmettre le pouvoir à ses héritiers (Deut. 17, 20). Mais dans la suite nous verrons le pouvoir royal se modifier sensiblement aux dépens de la démocratie, et nous aurions tort de conclure de l'histoire des rois de Juda et d'Israël sur la nature de la convention faite par Samuel. Nous verrons plus loin quelle a été de fait la royauté chez les Hébreux.

Cependant l'installation de Saül, qui devait avoir lieu à Guilgal, fut ajournée indéfiniment, soit parce qu'il n'existait aucun motif urgent pour priver immédiatement le prophète Samuel de la judicature, soit parce qu'une forte opposition s'était déclarée contre l'élection de Saül, et qu'on voulût attendre une occasion favorable pour proclamer le nouveau roi à la face de tout Israël. Le fait est que des mécontents, que le texte désigne comme des gens pervers (Beliaal), osèrent publiquement manifester leur mépris pour Saül, qui fit semblant de ne pas entendre leurs clameurs. Quoique désigné roi d'Israël, Saül retourna à Gabaa pour s'y livrer, comme par le passé, à ses travaux des champs.

Un événement grave donna bientôt à Saül l'occasion de sortir de sa retraite obscure et de se montrer digne de la confiance du peuple. Nahas, roi des Ammonites, qui avait envahi le pays à l'est du Jourdain, assiégea la ville de Jabès ; les habitants demandèrent à capituler, mais Nahas voulut leur imposer la condition que tous les habitants se fissent crever l'œil droit. Les Anciens de Jabès demandèrent un délai de sept jours qui leur fut accordé ; ils envoyèrent aussitôt des messagers dans tout le pays des Hébreux, pour demander un prompt secours. Saül était si peu reconnu roi d'Israël qu'on ne daigna pas même l'avertir directement de ce qui se passait. Un soir en revenant des champs, et en rentrant avec ses bœufs à Gabaa, il entendit les lamentations du peuple, car les messagers de Jabès venaient d'arriver dans la ville. Informé des insolentes propositions des Ammonites, il se sentit subitement animé d'une sainte ardeur pour la cause de ses compatriotes. Aussitôt il découpa une pairie de bœufs et en remit les morceaux aux messagers pour faire proclamer dans tout le pays que tous ceux qui ne marcheraient pas à la suite de Samuel et de Saül auraient ainsi leurs bœufs taillés en morceaux. Sur cet appel les Hébreux accoururent en masse pour marcher au secours de Jabès ; une demi-journée suffit pour mettre en déroute l'armée des Ammonites. Le peuple alors, plein d'admiration pour Saül, demanda à Samuel de faire mettre à mort ceux qui s'étaient apposés à l'élection de Saül ; mais ce dernier calma l'effervescence du peuple en disant qu'il ne fallait pas souiller de sang le souvenir d'un si beau jour.

Samuel voulut profiter immédiatement de l'enthousiasme qui venait de se manifester pour son élu ; il invita le peuple à se rendre à Guilgal pour y sanctionner l'élection de Saül et pour l'installer comme roi. De toute part les Hébreux accoururent pour assister à cette importante solennité ; on égorgea de nombreuses victimes, et le peuple s'abandonna à la plus grande joie. Samuel en résignant ses fonctions de Schophet, que, selon Josèphe, il avait exercées pendant douze ans[75], prononça un discours dans lequel, protestant de son désintéressement, il rappela les circonstances qui avaient déterminé le peuple à demander un roi. Selon lui, le peuple avait mal agi, et le sincère attachement à Jéhova et à son culte pouvait seul fonder son bonheur d'une manière durable (I Sam. ch. 12.) Toute la nation rendit au dernier Schophet les plus éclatants témoignages de sa probité et de son parfait désintéressement. Un phénomène extraordinaire rendit cette scène encore plus imposante : un violent orage éclata sur l'assemblée, quoiqu'on fût à l'époque de la moisson du froment ; le tonnerre grondait, accompagné d'une forte pluie. Le peuple fut saisi de terreur, croyant entendre la voix du ciel qui désapprouvait l'établissement de la royauté ; mais Samuel rassura l'assemblée. Le mal, dit-il, vous l'avez fait ; mais si vous n'abandonnez pas Jéhova pour les vaines idoles, lui aussi ne vous abandonnera pas, car il a voulu faire de vous son peuple. Le prophète promit ensuite d'être, comme par le passé, l'intermédiaire entre Jéhova et la nation, de prier Dieu pour le bien-être de tous, et d'être toujours leur chef spirituel en leur enseignant la bonne voie.

En résignant sa judicature, Samuel ne renonça nullement à toute influence politique ; il se proposa, au contraire, de surveiller le nouveau roi et de lui retirer sa protection dès qu'il cesserait d'être un fidèle vassal.de Jéhova et de sa loi. Dans l'idée de Samuel, la royauté ne devait être qu'une judicature permanente et héréditaire, et les institutions devaient rester ce qu'elles avaient été jusqu'alors. Aussi Saül n'est-il en quelque sorte qu'un Schophet, c'est-à-dire un chef républicain, portant le titre de roi. Nous verrons même Samuel exercer encore longtemps une véritable tutelle sur son élu ; son rôle politique n'est pas achevé, et nous le verrons encore accomplir quelques actes importants qui mettront encore plus en relief les traits caractéristiques de ce grand homme.

Néanmoins, avec l'installation de Saül, l'histoire des Hébreux entre dans une phase nouvelle, et une grande révolution est accomplie. L'État est définitivement constitué et les Hébreux forment en réalité un corps de nation animé du même esprit et repoussant en commun toute agression du dehors. Par l'établissement de l'ordre des prophètes, le peuple hébreu a fait, à la fin de cette période, un pas immense vers l'accomplissement de sa destinée.

Dans la période qui va suivre, et qui est la plus brillante de toute l'histoire des Hébreux, nous reconnaîtrons l'influence des écoles prophétiques par le rapide développement de la poésie religieuse et du culte monothéiste. La royauté, d'abord modeste, et se bornant à lutter pour l'indépendance de la nation, visera bientôt a étendre sa domination au dehors et à s'entourer d'un grand éclat à l'intérieur. Mais ce vain éclat ne tardera pas à s'effacer ; la pompe extérieure donnée au culte par un roi ami du luxe s'évanouira dans une nouvelle invasion du paganisme. L'idée seule qui est l'âme de l'histoire des Hébreux se développera de plus en plus dans l'ombre des modestes demeures des prophètes.

La révolution qui signale la fin de la période des Juges s'opéra vers l'an 1095 avant l'ère chrétienne.

 

 

 



[1] C'est ainsi que Herder explique le récit de la prise de Jéricho. Voyez Geist der hebrœischen Poesie, t. II, ch. 7, édit. de Carisruhe, p. 239. De même Hartmann dans son ouvrage sur le Pentateuque. p. 312.

[2] Voyez Josué, ch. 8, v. 3. Selon le verset 12, il n'y avait eu que cinq mille hommes placés en embuscade ; il est évident que les versets 10 à 13 ne sont qu'une variante tirée d'un autre document, et qui, mise d'abord en marge, sera entrée plus tard dans le texte. Pour avoir le texte primitif, on doit passer du verset 9 au verset 14.

[3] Ayyalon était situé à l'ouest de Gabaon.

[4] Voyez Josué, ch. 10, v. 12 et 13. Il faut s'étonner, dit Herder (l. c., p. 237), qu'on ait pu si longtemps se méprendre sur le sens de ce beau passage. Josué attaque les Amorites de bon matin et le combat dure jusque dans la nuit, c'est-à-dire une longue journée, et le jour paraissait se prolonger pour achever la victoire. Le soleil et la lune étaient témoins des exploits de Josué ; étonnés, ils s'arrêtent au ciel, jusqu'à ce que la victoire soit complète...... Qui ne voit pas que c'est ici de la poésie, quand même on ne citerait pas un livre de chants héroïques ? Dans le langage d'Israël de pareilles expressions n'étaient ni hardies ni étranges, etc. Voyez aussi Jahn, Introductio in Libros sacros, p. 225.

[5] Voyez Josué, 10, v. 28-42. Il paraîtrait cependant que quelques-unes de ces villes retombèrent au pouvoir des Cananéens ; car plus loin on parle de nouveau de leur conquête (ch. 15, v. 13-15).

[6] Voyez Josué, ch. 13, v. 1-0 ; Josèphe, Antiquités, V, 1, 20.

[7] Il résulte du livre de Josué ch. 14, v. 10, que, à la lin des guerres de Josué, il s'était écoulé quarante-cinq ans depuis le temps où Moïse avait envoyé douze hommes pour reconnaitre le pays de Canaan. Or, cet envoi avait eu lieu la deuxième année de la sortie d'Égypte, vers l'époque des vendanges ; d'où il résulte que les guerres de Josué s'étaient prolongées jusque dans l'année 47 de la sortie d'Égypte ou jusque dans la 7e année après l'entrée dans le pays de Canaan. Voyez des Vignoles, Chronologie de l'histoire sainte, t. I, p. 8.

[8] Voyez les détails dans le livre de Josué, ch. 15.

[9] Josué, ch. 19, v. 1-8.

[10] Voyez Genèse, 33, 19 ; Josué, 24, 32.

[11] Antiquités, l. V, ch. 1, § 22.

[12] Comparez l'Évangile de Matthieu, ch. 4, v. 13.

[13] Plus tard on trouve sur ce territoire quelques villes plus célèbres, telles que Tibériade, Séphoris, Nazareth.

[14] On peut voir les noms de toutes ces villes dans le livre de Josué, ch. 21, v. 13 et suivants.

[15] C'est ainsi que je comprends le passage de Josué, ch. 22, v. 34.

[16] Selon Josèphe (Antiquités, V, I, 28), il résidait à Sichem. Le sanctuaire restait fixé à Siloh.

[17] C'est probablement le document qui nous est conservé dans les chapitres 23 et 24 du livre de Josué.

[18] Ordinairement on ne fait durer que dix-sept ans le gouvernement de Josué, mais ce n'est là qu'une simple supposition qui ne se base sin aucune donnée historique. Josèphe (l. c., § 29) dit expressément que Josué avait gouverné les Hébreux pendant vingt-cinq ans ; la chronique samaritaine dit la même chose, et Des Vignoles a cherché démontrer l'exactitude de ce chiffre. Voyez Chronol. de l'hist. sainte, t. I, p. 8-18. La tradition rabbinique donne au gouvernement de Josué vingt-huit ans. Seder Olam rabba, ch. 12.

[19] Voyez Juges, I, 7 ; I Samuel, II, 8.

[20] Voyez Juges, ch. 2, v. 1-5.

[21] Le texte (Juges, 18, 30) appelle ce lévite Jonathan, fils de Gerson, fils de Manassé. Au lieu de Manassé, une variante porte Mosché (Moise) ; de même la Vulgate. En effet, une ancienne tradition, sans fondement historique, présente le lévite de Michah comme le petit-fils du grand législateur.

[22] Voyez notre Topographie, p. 43.

[23] On peut voir la discussion des différentes opinions dans la Chronologie de Des Vignoles, t. I, p. 91 et suivantes.

[24] Voyez Des Vignoles, l. c., p. 135, 136. J'observerai qu'il encore ajouter à ces cinq cents ans quelques époques que le livre des Juges laisse indéterminées, savoir : l'époque de Samgar (ch. 3, v. 31) et l'anarchie qui précède la 3e servitude, sous Yabin (ch. 4, v. 1), de même les époques d'anarchie qui suivent la mort de Gédéon (ch. 8, v. 33-35), et celle de Jaïr (ch. 10, v. 6). Aussi Josèphe dit-il dans un endroit que la république, sous les Juges, avait duré plus de cinq cents ans. Antiquités, XI, 4, 8.

[25] En ôtant de ces quatre cent quatre-vingts ans les soixante-cinq ans qui s'étaient écoulés depuis la sortie d'Égypte jusqu'à la mort de Josué, et 84 ans qui se passèrent depuis l'établissement de la royauté jusqu'à la construction du Temple, il ne nous resterait, pour la période des juges, que trois cent trente et un ans. Josèphe substitue au nombre de quatre cent quatre vingt du livre des Rois, celui de cinq cent quatre-vingt-douze (Antiquités, VIII, 3, 1) ; mais cette date n'est basée, sans doute, que sur les calculs de Josèphe ; ailleurs ce même auteur compte six cent douze ans (Antiquités, XX, 10 ; contre Apion, II, 2). Les calculs des Juifs de Chine, auxquels d'ailleurs nous ne saurions attacher que peu d'importance, paraitraient s'accorder avec les dates de Josèphe. Voyez Taciti. Opera, éd. Brotier, t. III, p. 567, etc., de Judaeis sinensibus.

[26] Voyez Josèphe, Antiquités, VI, 5, 4.

[27] Le texte dit : Othniel, fils de Kenaz, frère cadet de Caleb (Josué, 16, 17 ; Juges, 1, 13 ; 3, 9). Selon les accents masoréthiques et la Vulgate, le mot frère se rapporte à Othniel. Or, comme Caleb est appelé fils de Jephoné, les rabbins supposent que sa mère avait épousé Kenaz en secondes noces, et que Othniel était le frère de Caleb du côté de sa mère. Selon les Septante, le mot frère se rapporte à Kenaz ; ils traduisent : Γοθονιήλ υίός Κενές άδελφοΰ Κάλεβ, faisant de Caleb l'oncle d'Othniel. D'autres enfin considèrent Caleb et Othniel comme frères germains, voyant dans Kenaz leur grand-père ; car Caleb est appelé aussi le Kenézite (Nombres, 32, 12 ; Josué, 14, 6 et 14).

[28] Josué, 15, 17 ; Juges, 1, 13.

[29] Il parait que la tribu de Benjamin possédait beaucoup d'hommes exercés à se servir également des deux mains. Voyez Juges, 20, 16.

[30] Josèphe (Antiquités, V, 4, 3) dit que, à la suite de cette victoire, Éhoud, nommé chef de tout le peuple, gouverna pendant quatre-vingts ans ; ce qui ne résulte nullement du texte du livre des Juges.

[31] Josèphe (ibid., ch. 5, § 1) ne lui donne pas moins de 300.000 hommes d'infanterie, 10.000 cavaliers et 3.000 chariots.

[32] Josèphe (V, 5, 4) fait intervenir un grand orage ; les Hébreux ayant le vent par derrière, eurent pour auxiliaires la pluie et la grêle, qui accablèrent les Cananéens et qui les empêchèrent de combattre. Déborah dit aussi dans son cantique : Du haut des cieux on combattit ; les astres, de leur carrière, combattirent contre Sisera. (Juges, 5, 20.)

[33] Sur le Cantique de Déborah, jugé et commenté sous le rapport poétique, voyez Herder : Briefe, etc. (Lettres concernant l'étude de la théologie), t. I, 7e lettre.

[34] Selon le texte (Juges, 6, 11), ce fut un messager de Jéhova qui apparut à Gédéon ; selon Josèphe, ce fut une apparition (φάνταςμα) sous la forme d'un jeune homme. Nous croyons, avec quelques commentateurs juifs, que le messager de Jéhova est le même que le prophète qui avait parlé au peuple. Au reste, tout le récit du livre des Juges est enveloppé d'un voile mythique.

[35] C'est à cause de ce surnom de Jérubaal que quelques savants ont crû pouvoir identifier Gédéon avec Hiérombal, prêtre du dieu Jevo dont Sanchoniathon, selon Porphyre (ap. Eusèbe, Prevp. ev., 1, 9), aurait appris beaucoup de choses concernant les Juifs. Et c'est avec de pareilles combinaisons que Bochart et autres ont prétendu fixer l'âge de Sanchoniathon ; et encore de nos jours Saint-Martin n'a pas craint d'appeler le témoignage de Porphyre une indication précieuse et propre, selon toute apparence, à faire connaître la véritable époque de cet historien. Voyez Biogr. universelle, article Sanchoniathon.

[36] Tel me parait être le sens du texte, et c'est aussi l'opinion de plusieurs commentateurs. Josèphe, au contraire, pense que ceux qui buvaient à la hâte étaient les plus craintifs, et, selon lui, Gédéon aurait choisi, par ordre de Dieu, ceux qui montraient le moins de courage, pour que le miracle fût plus éclatant. Voyez Antiquités, V, 6, 3.

[37] Des stratagèmes de ce genre sont rapportés aussi par les anciens auteurs profanes. Hannibal employa la ruse des torches (Tite-Live, t. 22, c. 16 et 17) ; Marius celle des trompettes et des cris de guerre (Salluste, Jugurtha, c. 96).

[38] Nom d'un bourg dans les environs de Sichem.

[39] Cette ville était située, selon Eusèbe et saint Jérôme, à treize milles romains de Sichem, sur le chemin de Beth-Sean ou Scythopolis.

[40] Ce juge manque dans Josèphe, probablement par une inadvertance des copistes.

[41] Voyez Juges, ch. 10, v. 17 ; ch. 11, v. 29 et 31 ; comparez Genèse, 31, 49. Cette ville, très-probablement la même que Ramath-Mispé, ne doit pas être confondue avec Mispah de Benjamin.

[42] Cette contrée était située, à ce qu'il parait, entre l'Ammonitide et la Syrie ; voyez II Samuel, 10, 8.

[43] Le texte (Juges, 11, 39) ne permet pas de douter que Jephté n'ait réellement offert sa fille en holocauste, et Josèphe dit expressément (Antiquités, V, 7, 10) : θύσας τήν παΐδα ώλοκαύτωσεν. Malgré cela, plusieurs théologiens ont cru devoir disculper le juge hébreu, et, en subtilisant sur les mots, ils ont soutenu que Jephté s'est borné à vouer sa fille au célibat. Une foule de dissertations ont été écrites sur cette matière. Voyez Michaelis, Mos. Recht, t. III, § 145.

[44] Ch. 15, v. 20, et ch. 16, v. 31.

[45] Voyez ch. 15, v. 11-13.

[46] On reconnaît ici un mythe sur l'origine du nom de Léhi.

[47] Les opinions des savants varient beaucoup sur la chronologie de celte époque ; les uns voient dans Éli le successeur de Simsôn ; d'autres supposent un interrègne entre Simsôn et Éli ; d'autres, enfin, voient dans Simsôn un contemporain d'Éli, et cette opinion nous parait la plus vraisemblable Éli fut juge pendant quarante ans, dont les vingt derniers à peu près coïncident avec la domination des Philistins. Nous plaçons les vingt années des aventures de Simsôn au milieu de la judicature d'Éli. Des Vignoles, qui voit dans Simsôn un véritable Schophet et qui lui donne Éli pour successeur immédiat, envisage le livre des Juges sous un point de vue que nous ne saurions admettre ; pour lui tout est historique, et il prend pour base de son raisonnement jusqu'aux paroles que l'ange adresse à la mère de Simsôn. Chronol. de l'hist. sainte, t. I, p. 65 et suivantes.

[48] Selon le Ier livre des Chroniques (24, 2), Achimélech (arrière-petit-fils d'Éli) était des descendants d'Ithamar. Josèphe aussi dit expressément qu'Éli fut le premier grand-prêtre de la ligne d'Ithamar. Antiquités, V, 11, 5 ; VIII, 1, 3.

[49] I Chroniques, ch. 6, v. 35 (Vulg. v. 3 et 50).

[50] Littér. Les deux hauteurs des Souphites. Souph, aïeul d'Elkanah, avait donné son nom à cette contrée (I Samuel, 9, 5).

[51] Selon le Ier livre des Chroniques (ch. 6), Elkanah descendit de Kehath par la ligne de Korah. Des critiques modernes ont prétendu que la généalogie des Chroniques est supposée et avait pour but de faire de Samuel un lévite, a cause des fonctions sacerdotales que nous le voyons exercer dans certaines occasions. Mais si réellement on eût voulu se permettre la falsification des tables généalogiques, on aurait plutôt fait descendre Samuel de la race d'Ahron ; car, selon la loi, les lévites des autres lignes n'étaient pas plus propres que les simples Israélites à exercer le sacerdoce. Les autres arguments des critiques ne sont pas plus solides. On a dit que Rama n'était pas une ville lévitique, et que d'ailleurs Elkanah, ou son aïeul, est appelé Ephrathi (I Samuel, 1, 1), mot qui signifie Ephraïmite (Juges, 12, 5 ; I Rois, 11, 26) ; mais Éphrathi désigne aussi bien un habitant de la ville de Bethlehem (Ruth, 1, 2 ; I Samuel, 17, 12). Nous croyons donc devoir admettre l'authenticité de la table généalogique en supposant que les ancêtres d'Elkanah étaient originaires de Bethlehem. Il est vrai que ni Rama ni Bethlehem n'étaient des villes lévitiques ; mais la loi qui accorda aux lévites quarante-huit villes en propriété, ne les empêchait nullement de s'établir partout ailleurs. Nous trouvons un exemple dans le lévite de Michah, qui était également de Bethlehem (Juges, 17, 7).

[52] C'est-à-dire exaucé par Dieu.

[53] Telle est l'opinion des commentateurs juifs, et on peut l'appuyer par quelques passages du Coran, ch. 2, v. 233, et ch. 31, v. 13. Il résulte néanmoins d'un passage du 2e livre des Maccabées (7, 27) qu'on nourrissait quelquefois les enfants jusqu'à l'âge de trois ans.

[54] Voyez I Samuel, 3, 15.

[55] Voyez contre cette opinion, Des Vignoles, t. I, p. 78.

[56] Cet endroit a dû être situé dans le midi de la Palestine et il ne faut pas le confondre avec Aphek dans la pleine d'Esdrélon, que nous rencontrerons dans les guerres de Saül, et dont nous avons parlé dans notre Topographie.

[57] La maladie des Philistins n'est pas encore suffisamment éclaircie ; ce qui fait la grande difficulté, c'est d'expliquer en même temps le mal en lui-même et son caractère épidémique. C'est à cause de ce dernier, sans doute, que Josèphe y a vu une dysenterie accompagnée de vomissements, mais l'étymologie du mot hébreu nous fait voir très-clairement qu'il s'agit de tumeurs, probablement contagieuses. On peut voir les différentes conjectures des savants dans Winer, Bibl. Realwœrterbuch, t. II, p. 301-303.

[58] C'est ainsi que, dans une circonstance analogue, les Athéniens envoient à Bacchus des images du Phallus. Voyez le scoliaste d'Aristophane, Acharn., v. 2.4.

[59] Voyez Josué, 15, 10 ; 21, 16.

[60] Voyez Des Vignoles, l. c., p. 79 et suivantes.

[61] Voyez Des Vignoles, l. c., p. 86.

[62] Voyez I Samuel, 7, 13; Josèphe, Antiquités, VI, 2, 3.

[63] I Samuel, 10, 5 ; 13, 3.

[64] Voyez ce que nous avons dit plus haut, au sujet des soixante-dix Anciens.

[65] Le mot NABI (au pluriel NABIÎM) est un participe passif qui signifie inspiré, on appelait ainsi celui qui se présentait comme Inspiré de la Divinité et parlant en son nom. C'est dans ce sens qu'Abraham déjà est appelé Nabi (Genèse, 20. 7). Plus tard on confondait le NABI avec le Clairvoyant (ROÉH ou HOZÉH), et on lui attribuait la faculté de prédire l'avenir ; c'est pourquoi les versions rendent Nabi par prophète. Voyez mes observations dans la Bible de M. Cahen, t. II (Exode), p. 5, et t. XVIII (Chroniques), p. 77. Pour nous conformer au langage généralement adopté, nous nous servons du mot prophète, auquel nous n'attachons toutefois que le sens d'orateur inspiré, ou d'interprète de la doctrine mosaïque.

[66] Les mots dont on se sert dans le texte sont BÉBEL (cordon, alliance) et LAHAKA (assemblée) ; voyez I Samuel, ch. 10, v. 5 et 10 ; ch. 19, v. 20. Dans les Antiquités nous reviendrons sur ces établissements.

[67] I Samuel, ch. 19, v. 15-23.

[68] Voyez I Samuel, ch. 10, v. 3, 6, 10 ; II Rois, ch. 2, v. 3 et 5 ; ch. 4, v. 38.

[69] Voyez I Samuel, ch. 8, v. 1 et 2 ; Josèphe, Antiquités, VI, 3, 2. Selon ce dernier, l'un des deux fils de Samuel était établi à Béthel et l'autre à Beérseba.

[70] I Samuel, ch. 8, v. 11 et suivants. Les mots MISCHPAT HAM-MÉLECH signifient évidemment la conduite du roi et non pas le droit du roi, comme le portent plusieurs traductions, entre autres celle de M. Cahen. Le mot MISCHPAT se prend souvent dans le sens de coutume, manière d'être, conduite ; voy. Juges, 13, 12 ; I Samuel, 2, 13 ; II Rois, 1, 7, et ailleurs. C'est donc à tort que Volney, qui a si singulièrement travesti la vie de Samuel, accuse le prophète d'être l'auteur d'un statut royal qui établissait un despotisme inouï, une tyrannie légale. Cette interprétation est contraire au bon sens et à l'ensemble du texte.

[71] Il séjournait probablement à Nayôth près de Rama, où se trouvaient les élèves prophètes.

[72] Voyez I Samuel, ch. 9, v. 15 et 16.

[73] On voit qu'il n'y a rien de plus innocent que l'acte symbolique de l'onction accompli par Samuel sur son élu, et que le prophète n'est rien moins que l'inventeur du sacre des rais. Volney qui, pour combattre le droit divin, croyait devoir s'en prendre à la Bible, a singulièrement dénaturé tous les faits.

[74] Le sort dont parle le texte biblique (I Samuel, 10, v. 20 et 21) n'est sans doute qu'une amplification merveilleuse du fait historique.

[75] Voyez Antiquités, VI, 13, 5 ; selon le Thalmud la judicature de Samuel aurait duré dix ans (Nazir, fol. 5), et selon le Séder Olâm (ch. 13) onze ans. Le texte présente Samuel comme un homme âgé (I Samuel, 8, 1 ; 12, 2), mais il ne pouvait guère avoir à cette époque que cinquante et quelques années.