L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

Fondation de la monarchie militaire

Chapitre X — Brindes. Ilerda. Pharsale et Thapsus.

 

 

Ainsi donc, entre les deux autocrates associés naguère, les armes allaient décider lequel serait désormais le maître absolu de Rome. A cette heure où va s’ouvrir la guerre, il convient de voir comment entre eux s’établit la balance des forces.

Et tout d’abord la puissance de César avait sa base dans l’empire même qu’il exerçait, sur son parti. Concentration pure des idées monarchiques et démocratiques, son empire n’était rien moins que l’œuvre d’une coalition que le hasard aurait formée et que le hasard eût pu dissoudre : il avait ses racines au plus profond de la démocratie non représentative, l’une et l’autre idée rencontrant en sa personne sa plus haute et dernière expression. Dans la politique intérieure, dans les choses de la guerre, César tranchait tout en premier et suprême ressort. En quelque honneur qu’il tint tel ou tel instrument, d’ailleurs utile, c’était un instrument toujours qu’il avait dans la main : à la tête de son parti, il marchait sans collègue ni rival : n’ayant à ses côtés que des aides de camp militaires et civils tout ensemble, qui, sortis presque tous des rangs de l’armée, et façonnés à l’école du soldat, obéissaient sans demander ni le motif ni le but. Aussi, à l’heure décisive de l’explosion de la guerre civile, tous, officiers et soldats, tous, sauf un seul, se montrèrent passivement soumis ; et, chose qui. démontre l’empire de César sur ses troupes, c’est que celui-là qui fit résistance était précisément le premier entre ses lieutenants. Titus Labienus avait partagé avec lui les dures épreuves des temps de la conjuration de Catilina, et les gloires éclatantes de la conquête des Gaules : le plus souvent il avait eu des commandements indépendants, et la moitié de l’armée sous ses ordres : comme il était sans conteste le plus ancien, le plus habile et jusque là le plus fidèle des auxiliaires du proconsul, il était aussi le plus haut placé et le plus honoré. En 704 [50 av. J.-C.] même, César lui avait confié la Cisalpine, soit qu’il voulût mettre ses avant-postes en des mains plus sûres, soit qu’il entendit utiliser son lieutenant pour sa candidature consulaire. Mais Labienus noua intelligence avec le parti adverse ; et quand les hostilités commencèrent, au lieu de rejoindre le quartier général de César, on le vit arriver à celui de Pompée : durant toute la guerre civile il combattit avec un acharnement inouï contre son ancien général et ami[1]. Nous sommes mal renseignés sur le caractère de cet homme et sur sa défection. A tout le moins, il ressort de là, pour nous, que César ne pouvait pas, à beaucoup près, compter sur ses généraux autant que sur les simples capitaines. Selon toute apparence, Labienus joignait comme tant d’autres le mérite militaire à l’incapacité complète de l’homme d’État : il fait songer à ces maréchaux dont l’épopée napoléonienne fourmille et nous fournit l’exemple tragi-comique : quand, pour leur malheur, de tels hommes s’ingèrent, bon gré malgré, de toucher à la politique, le vertige les prend et les emporte ! Labienus, sans doute, se crut appelé, à l’égal de César, à jouer aussi le rôle de chef du parti démocratique. Il fut repoussé, et par dépit se jeta dans le camp ennemi. On vit alors les inconvénients graves du système de César. En traitant ses lieutenants sur le pied de l’indépendance les uns par rapport aux autres, il n’en laissait s’élever aucun qui pût prétendre à un commandement séparé : mais la guerre actuelle, ainsi qu’il était à prévoir, s’allumant et se développant dans toutes les provinces et sur toute l’étendue du vaste empire de Rome, les hommes allaient lui faire grand besoin. Je me hâte de dire que ces inconvénients trouvaient ample compensation dans un premier et immédiat avantage, et que César n’avait conquis qu’à ce prix, c’est à savoir l’unité dans la conduite suprême des opérations militaires.

Cette unité du commandement, elle se manifestait dans sa pleine énergie par l’efficacité même des instruments employés. L’armée venait en première ligne : elle comptait encore neuf légions d’infanterie (50.000 hommes au plus), qui toutes avaient vu l’ennemi en face, et dont les deux tiers avaient fait toutes les campagnes des Gaules. La cavalerie se composait de soldats venus de Germanie et du Noricum, éprouvés et façonnés par les combats avec Vercingétorix. Une guerre de huit années, traversée par mille vicissitudes, contre la nation des Celtes, brave assurément, si inférieure qu’elle fût aux Italiques sous le rapport militaire, avait fourni au proconsul l’occasion de donner à ses troupes l’organisation que, seul, il était capable d’achever. Tout service utile chez le soldat suppose sa vigueur physique : César en recrutant exigeait avant tout la force et la souplesse du corps : avoir du bien, de la moralité, n’était que secondaire. Une armée est une savante machine : facilité, rapidité du mouvement, voilà les conditions essentielles de son bon fonctionnement. Toujours prêts à lever le camp à toute heure, courant plutôt que marchant, les soldats de César sous ce rapport atteignaient la perfection. Ils ont été égalés peut-être, jamais surpassés. Parmi eux, sur toute chose naturellement, le courage avait son prix. César était passé maître dans l’art d’inspirer à ses hommes l’esprit de corps et l’ardeur de la rivalité guerrière : pour ceux mêmes qui restaient en arrière, le rang, les récompenses décernés à tel soldat isolé, à telle section de légion, constituaient la hiérarchie nécessaire des braves. Il les accoutumait à ne rien craindre, ne leur faisant point connaître, lorsqu’il le pouvait sans danger sérieux, l’imminence de l’attaque ou du combat, et les mettant soudain en face de l’ennemi. A côté de la valeur, il exigeait l’obéissance. Le soldat agissait sur l’ordre du chef, sans savoir ni pourquoi, ni comment : maintes fatigues inutiles lui étaient imposées, uniquement pour qu’il se façonnât à la dure école de la soumission aveugle, passive. La discipline était forte, mais non pénible : inflexible devant l’ennemi ; ailleurs et surtout après la victoire, César détendait les rênes : permis alors à tout bon soldat d’user de parfums, d’armes brillantes ou d’autres parures. Que s’il se commettait quelque brutalité, quelque violence grave, la chose n’intéressant point le service militaire, César fermait les yeux : excès de fols plaisirs ou même criminels, il tolérait tout, et n’entendait pas les plaintes des provinciaux victimes. La mutinerie en revanche ne rencontrait jamais de pardon, que les meneurs fussent isolés ou qu’un corps tout entier fût coupable. Mais pour le. vrai soldat, ce n’est point assez que d’être actif, brave et soumis : il doit l’être volontairement, librement, si je puis dire, et il n’est donné qu’au génie d’imprimer un mouvement puissant et vif à cette machine animée qu’il dirige par l’exemple, par les espérances, avant tout par la conscience qu’elle a de son utilité même. Le capitaine, pour demander aux siens la bravoure, a besoin d’avoir vu, avec eux, le danger face à face : César, à ce compte, n’avait-il pas plus d’une fois tiré l’épée ? N’avait-il pas combattu à l’égal des meilleurs ? En fait de fatigues et d’activité incessante, il n’exigeait de personne à beaucoup près autant que de lui-même. Il avait soin que la victoire, toujours et aussitôt profitable au général, offrit à ses soldats une moisson d’espérances et de gains. Il savait aussi, nous l’avons dit ailleurs, enflammer les siens de l’enthousiasme démocratique, si tant est qu’en ces temps prosaïques, il y eût place encore pour un enthousiasme quelconque. Il montrait aux milices transpadanes la contrée où elles étaient nées, promue un jour au partage de l’égalité civique avec les autres pays de l’Italie propre. Il va de soi que les récompenses matérielles ne manquaient point non plus à ses troupes, tant celles particulières données à tout fait d’armes saillant, que celles plus générales advenant au soldat exact et éprouvé : les officiers étaient dotés, les légionnaires recevaient des cadeaux, et devant leurs yeux s’ouvrait la perspective de largesses à profusion, venant le jour du triomphe. Mais où César, chef d’armée, n’avait point d’égal, c’était dans l’art de faire pénétrer dans tous les rouages de son immense machine guerrière, les plus minces comme les plus petits, la conscience de leur vraie fonction. L’homme ordinaire est destiné à servir : il ne regimbe point contre son lot, dès qu’il se sent sous la main du maître. Présent partout et à toute heure, le regard d’aigle du général planait sur l’armée. Impartial et, juste, qu’il eût à punir ou à récompenser, montrant à l’activité d’un chacun les routes les meilleures à suivre dans l’intérêt de tous, jamais il n’eût joué ou fait d’expérience avec les sueurs et le sang du plus mince de ses hommes. Il lui demandait au contraire un dévouement sans réserve et jusqu’à la mort, en cas de nécessité. Sans ouvrir tout l’appareil et le mobile de ses desseins, il ne lui déplaisait point qu’on eût autour de lui nommé un pressentiment de la situation politique et. militaire : par là, tous le saluaient général et homme d’État : il devenait leur idéal à tous. Il ne les traitait point en égaux, mais en hommes qui, ayant droit à la vérité, sont capables de l’entendre et doivent prêter foi aux assurances, aux promesses du chef, sans crainte d’un mensonge, sans souci des bruits qui circulent. Il les traitait en vieux camarades de guerre et de victoire : pas un, peut-être, qu’il ne connût par son nom, ou qui, d’une manière ou d’une autre, ne lui fût attaché par quelque lien personnel. Parmi tous ces bons compagnons il allait en pleine confiance, se jouant et conversant, leur témoignant cette familiarité accorte et vive qui était dans son génie. S’ils avaient à lui obéir, il avait à leur rendre service pour service : venger leur mort ou l’injustice soufferte était sa dette la plus sacrée. Jamais peut-être il ne s’est rencontré armée qui fût aussi complètement que celle-ci ce qu’il faut que soit toute armée, un instrument apte à son but, y concourant de son vouloir, toute dans la main du chef qui place en elle sa propre force et ses moyens d’action. Les légions de César étaient, en réalité, et se sentaient de pair avec un ennemi décuple. Ajoutons qu’aux beaux jours de la tactique romaine, où la lutte corps à corps et à l’épée tenait la principale place, les légionnaires exercés l’emportaient sur les recrues bien plus encore que sous le régime de l’art moderne[2]. Et quand déjà leur bravoure leur donnait sur tout adversaire un incontestable avantage, leur inébranlable et touchante fidélité envers César les plaçait dans l’estime même de l’ennemi à une hauteur où il ne pouvait atteindre. Fait inouï dans l’histoire, quand César les appela à le suivre sur la route de la guerre civile, nul ne le délaissa, officier ou soldat romain, nul, si ce n’est Labienus, ainsi que nous l’avons dit. Ses antagonistes avaient compté sur la désertion en masse de ses hommes[3]. Ils furent déçus. N’avaient-ils pas déjà misérablement échoué quand ils avaient voulu naguère disloquer son armée, à l’exemple de celle de Lucullus. Labienus lui-même arriva au camp de Pompée sans un seul légionnaire, ne menant derrière lui qu’une troupe de cavaliers celtiques et germains. Et comme s’ils tenaient à montrer que la guerre civile était leur affaire propre autant que celle,du général, les soldats césariens décidèrent entre eux qu’ils lui feraient crédit, et jusqu’à la fin, de la solde doublée qu’il leur avait promise au début des opérations : ils voulurent, à frais communs, subvenir aux nécessités des plus pauvres : enfin, chaque officier de troupe entretint de ses deniers un cavalier.

César possédait la chose avant tout nécessaire : il avait le pouvoir absolu, militaire et politique : il avait une armée sûre et excellente au combat. Mais sa puissance ne s’étendait que sur un territoire restreint : son assiette principale consistait dans la province de la Haute-Italie, la mieux peuplée de toutes les régions de la péninsule, et de plus dévouée, comme à la sienne propre, à la cause démocratique. En veut-on la preuve ? Témoin l’héroïsme de ces quelques recrues d’Opitergium (Oderzo, dans le Trévisan) qui, au début de la guerre, surprises sur un frêle radeau dans les eaux d’Illyrie, entourées par les galères de l’ennemi, résistèrent tout le jour, jusqu’au soleil couché, et essuyèrent une grêle de traits sans se rendre : ceux qui n’étaient point transpercés se donnèrent la mort, la nuit venue[4]. A une telle population ne pouvait-on pas tout, demander ? Comme elle avait fourni à César les moyens de doubler déjà son armée, de même, la guerre civile éclatant et les levées étant ordonnées aussitôt sur une large échelle, elle envoya des soldats en grand nombre. — Dans l’Italie propre, au contraire, l’influence de César restait loin en arrière de celle de ses adversaires. Que par ses manœuvres habiles il eût mis les Catoniens dans leur tort : qu’il eût su plaider son bon droit, gagner les consciences de tous ceux qui ne souhaitaient qu’un prétexte, les uns, pour rester neutres (ainsi fit la majorité sénatorienne), les autres, pour embrasser son parti (ainsi firent ses légions et les Transpadans), encore est-il vrai que, pour la plupart, les citoyens romains ne prirent point le change, et qu’à dater du jour où il marcha contre Rome, malgré tous ses appels à la forme légale, ils ne virent plus en lui qu’un démocrate usurpateur. Caton et Pompée étaient, pour eux, les défenseurs de la République et de la loi. A quoi ne pas s’attendre de la part de César ? Le neveu de Marius, le gendre de Cinna, l’ancien associé de Catilina, n’allait-il pas recommencer les horreurs de l’époque marienne, ouvrir les saturnales de l’anarchie que naguère Catilina avait complotées[5] ? Perspectives qui lui amenaient bon nombre d’alliés sans doute. Les exilés politiques accouraient à lui en foule : les enfants perdus le saluaient comme leur libérateur : à la nouvelle de sa marche, les couches infimes de la plèbe, et dans Rome et hors de Rome, fermentaient. Mais tous ces amis nouveaux étaient plus dangereux que de vrais ennemis. — Bien moins encore que l’Italie, les provinces et les États clients obéissaient à l’influence de César. Si la Gaule transalpine, jusqu’au Rhin et au canal, était dans sa main tout entière : si les colons de Narbonne et les autres citoyens qui s’y étaient établis lui portaient un dévouement absolu, il savait bien, d’autre part, que, dans cette même province de Narbonne, les constitutionnels comptaient aussi de nombreux partisans ; que, dans la guerre civile prochaine, ses conquêtes de la veille lui seraient une charge bien plutôt qu’un avantage : il n’avait que trop ses raisons pour ne point demander aux Gaulois leur infanterie et pour n’user qu’avec parcimonie de leurs cavaliers. Ailleurs, dans les États voisins on indépendants, il n’avait rien négligé pour se créer des appuis : riches cadeaux aux princes, monuments grandioses érigés dans les villes, secours en argent ou en soldats, prêtés aux uns et aux autres dans leurs besoins, il les avait en cent façons obligés. Et pourtant, le gain de ce côté était loin, ce semble, de répondre à l’effort. César n’avait pu nouer de relations profitables qu’avec quelques chefs établis sur le Rhin et le Danube, par exemple avec Voctio, rois dans le Norique, dont les cavaliers venaient se mettre à sa solde[6].

César entrait dans la lice, simple proconsul des Gaules, n’ayant pour tous moyens d’action que d’habiles lieutenants, qu’une armée fidèle et une province dévouée. Pompée, au contraire, en commençant le combat, se pouvait dire, en réalité, le chef de toute la République : il avait sous la main toutes les ressources appartenant au gouvernement dans l’immense empire de Rome. Néanmoins, pour plus grande que semblât sa situation politique et militaire, elle était moins nette et moins solide que celle de son rival. L’unité de direction, avantage suprême que la force des choses apportait d’elle-même à César, restait en quelque sorte interdite à la coalition. Pompée, trop bon soldat pour se faire illusion sur ce point capital, s’efforça d’abord d’imposer de même et partout son autorité. Il se fit nommer généralissime seul et unique, avec les pouvoirs les plus illimités sur terre et sur mer. Mais qu’est-ce à dire ? Il ne pouvait mettre le Sénat de côté : il ne pouvait ni lui dénier l’influence prépondérante dans la politique ni s’opposer, dans les opérations de la guerre, à des immixtions doublement fâcheuses, par cela même que les sénateurs en choisissaient l’heure et l’occasion. Les souvenirs de cette lutte de vingt ans où, entre lui et les constitutionnels, on avait combattu de part et d’autre à armes empoisonnées, la certitude, présente à l’esprit de tous, péniblement et mal dissimulée chez tous, qu’au lendemain de la victoire le premier acte serait la rupture entre les vainqueurs, le mépris réciproque et trop mérité qu’on se portait les uns aux autres, la foule incommode des hommes illustres et importants dans les rangs du parti aristocratique, et, d’autre part, l’incurable infériorité intellectuelle et morale du plus grand nombre, que d’éléments antipathiques et réfractaires, nuisant à l’action commune et contrastant tristement, chez les adversaires de César, avec la concorde et la concentration puissante qui régnaient dans l’autre camp !

On subissait donc chez Pompée, dans une énorme mesure, tous les inconvénients qui s’attachent aux coalitions formées entre pouvoirs ennemis pourtant, la coalition anti-césarienne ne laissait pas que d’être très puissante. Maîtresse des mers, sans conteste, elle avait aussi tous les ports, tous les vaisseaux, tout le matériel naval. Les deux Espagnes, apanage militaire de Pompée au même titre que les deux Gaules étaient celui de César ; se montraient fidèles et dévouées : des lieutenants surs et habiles y commandaient. Dans les autres provinces, partout, sauf dans les deux Gaules, les prétures et les proprétures avaient été, au cours des dernières années, confiées à des personnages également sûrs, créatures de Pompée ou de la minorité sénatorienne. Quant aux États clients, tous ils prenaient énergiquement parti pour Pompée contre César. Les princes les plus importants, les grandes cités, en contact fréquent avec Pompée aux anciennes époques de son active carrière, tenaient à lui par mille attaches personnelles et intimes. Compagnon d’armes des rois de Numidie et de Mauritanie pendant les guerres de Marius, il avait de sa main replacé le premier sur son trône : au cours des guerres contre Mithridate, il avait, sans compter une multitude d’autres principicules spirituels et temporels, rétabli les rois du Bosphore, d’Arménie et de Cappadoce, créé un royaume galate pour Dejotarus : tout récemment, enfin, et à son instigation, un de ses lieutenants avait porté la guerre en Égypte et restauré l’empire des Lagides. Il n’était pas jusqu’à Massalie, dans la province même de César, qui redevable d’ailleurs envers celui-ci de maintes faveurs, n’eût également reçu de Pompée, durant la guerre contre Sertorius, des extensions considérables de territoire : l’oligarchie y était toute puissante, et naturellement en alliance constante, fortifiée par cent rapports étroits, avec l’oligarchie romaine. Et comme si ce n’était point assez contre César de tant de contacts et de liens personnels, de ce nimbe de victoire rapporté des trois continents et refoulant dans l’ombre la gloire du conquérant des Gaules, le nom de celui-ci n’était-il pas le nom d’un héritier de Gaius Gracchus, connu jusqu’en ces lointaines contrées pour l’audace de ses idées et de ses projets sociaux, tenant pour nécessaire la réunion à Rome des États libres, et professant l’utilité des colonisations dans les provinces ? Parmi les dynastes indépendants, nul ne se voyait en proche péril autant que Juba, le roi des Numides. Jadis, du vivant d’Hiempsal, son père, il avait eu avec César lui-même une violente querelle[7]. Et Curion, ce même Curion qui aujourd’hui se plaçait au premier rang entre les lieutenants du proconsul, il avait tout récemment proposé au peuple l’annexion pure et simple du royaume africain. Que si, un jour, on devait voir entrer dans la lutte les voisins et les princes, le seul roi qui fût fort, celui des Parthes, concluait à ce moment alliance avec le parti aristocratique : Bibulus et Pacoros négociaient sur la frontière. César, au contraire, était de cœur trop haut, trop romain, pour jamais composer, dans un intérêt de faction, avec les vainqueurs de Crassus, son collègue et son ami.

En Italie, nous l’avons dit, la grande majorité des citoyens se montrait hostile. Les aristocrates marchaient en tête avec leur nombreuse clientèle, puis la haute finance, non moins mal disposée : elle ne pouvait, au milieu des réformes complètes projetées par César, garder ses tribunaux de jury, accessibles aux passions de parti, et son monopole des extorsions financières. La cause démocratique ne comptait point de partisans chez les petits capitalistes, chez les propriétaires fonciers, et enfin dans toutes les classes ayant quelque chose à perdre : dans ces couches sociales, à vrai dire, on n’avait cure que d’une chose, la rentrée des intérêts à la due échéance, ou la réussite des semailles et des moissons[8].

L’armée que Pompée allait conduire consistait principalement dans les troupes d’Espagne, en tout sept légions faites à la guerre et solides sous tous les rapports : il y pouvait ajouter divers corps stationnés alors en Syrie, en Asie, en Macédoine, en Afrique, en Sicile et ailleurs, faibles pour la plupart et éparpillés au loin. En Italie, il n’avait encore sous la main et prêtes au combat que les deux légions, naguère reprises à César, dont l’effectif n’allait pas au delà de sept mille hommes. Leur fidélité était plus que douteuse. Levées dans la Cisalpine, ayant longtemps servi sous César, victimes d’une assez perfide intrigue qui les avait fait passer d’un camp dans l’autre[9], elles ne cachaient point leur colère et s’émouvaient au souvenir de leur ancien général qui, à l’heure de leur départ, avait généreusement devancé sa dette et distribué aux soldats le cadeau promis pour le jour du triomphe. Mais les légions d’Espagne pouvaient facilement arriver en Italie, dès le printemps, soit par la route de terre et la Gaule, soit par mer. Et avant cela, rien de plus facile que de rappeler sous les armes les hommes des trois légions de la conscription de 699 [55 av. J.-C.] demeurées en congé, et ceux des levées italiques de 702 [-52], déjà reçues au serment. En sorte que, laissant de côté les six légions d’Espagne et les corps répartis dans les autres provinces, Pompée dès le début pouvait disposer, en Italie seulement, d’une force totale de dix légions, ou d’environ 60.000 soldats[10]. Il n’exagérait pas à dire qu’il n’avait qu’à frapper du pied la terre d’Italie pour en faire aussitôt sortir cavaliers et fantassins[11]. J’accorde qu’il lui fallait un délai, si court qu’il fût, pour mobiliser tout son monde : mais partout déjà on était à l’œuvre, remplissant les anciens cadres ou appelant les levées nouvelles ordonnées par le Sénat, le jour de la rupture. Immédiatement après le vote du sénatus-consulte qui donnait le signal de la guerre civile (7 janv. 705 [-49]), au cœur même de l’hiver, les hommes les plus considérables de l’aristocratie étaient partis dans toutes les directions, activant le mouvement des recrues et les envois d’armes[12]. On souffrait beaucoup du manque de cavalerie, celle-ci d’ordinaire étant tirée des provinces et surtout des contingents celtiques : il fallait à tout prix en former un premier noyau, et l’on s’empara, pour les monter, de 300 gladiateurs que César avait dans les écoles d’escrime de Capoue. Mais la mesure excita un mécontentement si grand que Pompée licencia la troupe et fit venir en place 300 esclaves-pasteurs des campagnes d’Apulie[13]. Comme d’habitude, il y avait baisse d’argent comptant dans le trésor on y para aussitôt en puisant dans les caisses de la Ville et dans les trésors des temples des municipalités[14].

C’est dans ces conjonctures que la guerre commença aux premiers jours de janvier 705 [49 av. J.-C.]. César n’avait sous la main qu’une seule légion qui fût prête, soit 5.000 hommes d’infanterie et 300 chevaux. Il était à Ravenne avec elle, à 50 milles (allem. = 100 lieues) environ de Rome, par la grande chaussée publique [la Flaminienne]. Pompée avait deux faibles légions (7.000 hommes d’infanterie et un escadron de cavalerie), postées à Lucérie sous les ordres d’Appius Claudius, à peu près à pareille distance de la capitale, aussi en suivant la grande route [la voie Latine]. Les autres troupes de César (je ne parle pas ici des contingents et des recrues toutes neuves en voie de formation) campaient encore, moitié sur la Saône et la Loire, moitié chez les Belges, pendant que les réserves italiennes de Pompée arrivaient déjà de toutes parts sur les lieux de concentration. Bien avant que les têtes de colonne des légions transalpines pussent descendre dans la Péninsule, une armée beaucoup plus nombreuse devait tenir la campagne, prête à les recevoir. Il semblait qu’il y eût folie à prendre l’offensive avec une troupe à peine égale aux bandes des Catilinariens, sans nul appui ni réserves en ce premier moment ; à s’en aller attaquer des légions supérieures en force, grossissant d’heure en heure et commandées par un habile chef. Folie, soit ! mais folie à la façon d’Hannibal ! Si César tardait d’agir et laissait venir le printemps, le corps pompéien d’Espagne faisait irruption dans la Transalpine, les Italiens se jetaient sur la Cisalpine, et Pompée, tacticien tenu pour aussi fort que César, général plus expérimenté que lui, la campagne prenant des allures régulières, se changeait assurément en un très redoutable adversaire. Au contraire, habitué qu’il était à ne manœuvrer que lentement, à coup sûr, et ayant pour soi toujours la supériorité du nombre, n’allait-il pas se troubler en face d’une attaque à l’improviste ? La XIIIe légion avait fait ses preuves sous César : elle avait repoussé les assauts de l’insurrection gauloise ; elle avait sans broncher supporté les rigueurs d’une expédition en plein cœur de janvier chez les Bellovaques. Mais les soldats de Pompée, anciens Césariens ou recrues mal exercées encore et à peine réunies ou formées, tiendraient-ils pied dans cette guerre éclatant soudain, et leur apportant les maux d’une campagne d’hiver ?

Cependant César s’était mis en marche[15]. Deux routes conduisaient alors de la Romagne dans le sud : l’une, la voie Émilienne-Cassienne, qui franchissant l’Apennin, allait à Rome par Arretium ; l’autre, la voie Popilienne-Flaminienne, qui partant de Ravenne, longeait la côte jusqu’à Fanum [Fano], et là, se divisant, courait vers Rome, à l’ouest par le col de Furlo, vers Ancône et l’Apulie, au sud. Marc Antoine suivit la première jusqu’à Arretium. César en personne s’avança par la seconde. Nulle part on ne leur résistait : les nobles personnages qui s’étaient faits officiers recruteurs n’étaient point des hommes de guerre ; les recrues n’étaient point des soldats ; et quant aux villes, elles n’avaient souci que de ne pas être assiégées. Lorsque Curion, avec 4.500 hommes, arriva devant Iguvium [Gubbio], où le préteur Quintus Minucius Thermus[16] avait ramassé une couple de mille hommes du contingent nouveau de l’Ombrie, à la première annonce de l’approche de l’ennemi, général et soldats tirèrent au large : partout il en alla de même, sur une moindre échelle. César pouvait à son choix, ou se porter sur Rome, dont ses cavaliers, à Arretium, n’étaient plus qu’à 28 milles [allem. = 56 lieues], ou marcher contre les légions pompéiennes, postées à Lucérie. Il prit le second parti. La consternation de ses adversaires, dans Rome, était immense. Pompée y était encore quand on apprit que César avançait. D’abord il sembla vouloir défendre la capitale : mais ayant su le mouvement de César sur le Picenum, ainsi que ses premiers succès de ce côté, il abandonna toute idée de résistance, et ordonna l’évacuation[17]. La panique avait gagné tout le beau monde de Rome, panique accrue de mille fausses rumeurs. Déjà, disait-on, les cavaliers césariens se montraient devant les portes ! Que si, parmi les sénateurs, il en était qui voulussent rester en ville, on les menaçait de les traiter comme complices de la rébellion[18]. Ils sortirent en foule. Les consuls eux-mêmes, perdant la tête, ne songèrent pas à mettre le trésor en sûreté, et quand Pompée les invita à l’aller chercher, ajoutant qu’ils en avaient le temps encore, ils lui répondirent qu’ils tenaient pour plus sûr qu’il allât lui-même d’abord occuper le Picenum[19]. Dans les conseils, même désarroi. Une réunion eut lieu à Teanum Sidicinum (23 janvier) : les deux consuls et Labienus y assistaient. On y traita d’abord des propositions nouvelles d’arrangement venues de César, se disant prêt encore à licencier immédiatement son armée, à remettre ses provinces à ses successeurs désignés, et à rentrer seul à Rome pour s’y porter candidat au consulat, selon les règles constitutionnelles, à la condition que Pompée, de son coté, partirait sans délai pour l’Espagne, et que l’on procéderait au désarmement de l’Italie. A cette demande on répondit qu’il fallait que d’abord César se retirât dans sa province ; qu’alors on s’engageait à désarmer et à faire voter le départ de Pompée pour l’Espagne en la bonne et due forme d’un sénatus-consulte délibéré dans Rome : peut-être ce langage n’était-il point tromperie grossière, mais acceptant dans ces termes les propositions de César, ne les repoussait-on pas en réalité ? César avait réclamé une entrevue avec Pompée : celui-ci la refusait, et devait la refuser pour ne point exciter davantage, par les apparences d’une entente nouvelle entre les deux triumvirs, les méfiances déjà trop vives des constitutionnels[20]. Le plan de guerre fut réglé comme il suit, dans les conseils tenus à Teanum. Pompée prenait le commandement des troupes de Lucérie, sur qui s’étayait tout l’espoir des coalisés, malgré leur peu de solidité. De Lucérie, il se porterait sur le Picenum, sa patrie, et celle de Labienus, y appellerait les populations aux armes, comme il l’avait fait trente-six ans avant, et se mettant à la tête des fidèles cohortes picentines et des vigoureux soldats des légions reprises à César, il irait barrer, s’il se pouvait, le passage à l’ennemi. Mais le Picenum tiendrait-il jusqu’à l’arrivée de Pompée accourant à sa défense ? Tout roulait sur cette unique chance. Déjà César, ramenant à lui ses divers corps, et longeant la route côtière, a dépassé Ancône et est entré au cœur du pays. Partout on arme : Auximum (Osimo), la première place qu’on rencontre en venant du nord, est gardée par Publius Attius Varus[21], avec une garnison considérable de jeunes recrues. Mais le Sénat municipal [decuriones], avant que César soit en vue, leur notifie d’avoir à déguerpir. Une poignée de Césariens de l’avant-garde les poursuit ; les atteint non loin de la ville, et les disperse en un instant : c’était la première fois qu’on en venait aux mains. A peu de temps de là, Gaius Lucilius Hirrus[22] évacue Camerinum [Camerino], où il avait 3.000 hommes, et Publius Lentulus Spinther s’enfuit d’Asculum qu’il tenait avec 5.000 autres. Les hommes des milices, dévoués à Pompée pour la plupart, abandonnaient sans trop se plaindre, et leurs maisons et leurs champs, et suivaient leurs chefs par delà la frontière : mais le pays n’en était pas moins perdu déjà pour la cause constitutionnelle, lorsque s’y montra enfin l’officier dépêché par Pompée, et chargé par lui de diriger provisoirement la défense. Lucius Vibullius Rufus, sénateur obscur, était d’ailleurs bon militaire[23]. Il ne put que réunir en hâte les six ou huit mille recrues, amenées par les médiocres capitaines qui les avaient levées, et les jeter dans la forteresse la plus proche. C’était Corfinium[24], placée au centre des recrutements d’Alba, des pays marse et pélignien. Les levées s’y étaient ralliées, au nombre d’environ 15.000 hommes [plus de 30 cohortes] : elles formaient le contingent des plus belliqueuses et plus énergiques populations de l’Italie, noyau excellent pour l’armée constitutionnelle en voie de formation. Quand Vibullius y arriva, César était en arrière encore de quelques marches : rien de plus aisé, si l’on voulait obéir aux instructions de Pompée, que de sortir de la place et d’aller rejoindre, avec les Picentins qui fuyaient devant César, le corps d’armée principal d’Apulie. Mais Lucius Domitius [Ahenobarbus] commandait à Corfinium, l’un des plus obstinés et des plus étroits parmi les aristocrates, successeur désigné de César, dans le proconsulat de la Transalpine[25]. Loin de déférer pour son compte aux ordres reçus, il empêcha même Vibullius d’emmener son monde dans le sud. Persuadé que Pompée n’hésitait que par entêtement, et allait bon gré malgré accourir le dégager, il prit à peine quelques dispositions pour soutenir le siège, et ne rallia pas dans les murs de la place les petites garnisons disséminées dans les villes environnantes. Pompée ne vint point, et par une bonne raison : avec ses deux légions trop peu sûres dans sa main, il pouvait bien attendre et soutenir les milices picentines, mais il ne lui était point permis d’aller en avant et d’offrir le combat à César. Au bout de peu de jours, César se montre (14 février) dans le Picenum : il avait été rejoint par la XIIe légion : devant Corfinium, il est rejoint encore par la VIIe, toutes les deux venues d’au delà des Alpes. De plus, il a réparti dans trois légions nouvelles ses prisonniers, les soldats pompéiens transfuges volontaires, et les enrôlés levés par tout le pays. Son armée, devant Corfinium, compte déjà 40.000 hommes, dont moitié a servi. Domitius, tant qu’il compta sur Pompée, laissa la place se défendre : mais enfin, désabusé par les dépêches qu’il reçut[26], il ne voulut plus tenir dans ce poste perdu, où pourtant sa résistance aurait grandement profité au parti. Il ne songea pas davantage à capituler. Mais, en annonçant au soldat l’arrivée prochaine d’une armée de secours, il se prépare à fuir dans la nuit même avec quelques nobles, ses officiers. Beau projet, qu’il ne sut même pas mener à fin ! Sa contenance, son trouble le trahissent. Dans son armée, les uns s’ameutent : les recrues marses, qui ne veulent pas croire à la honte de leur général, prennent les armes contre les mutins : mais à leur tour, elles se convainquent de la réalité du bruit accusateur :

toute la garnison, se soulevant, arrête ses chefs et les livre à César, eux, l’armée et la ville (20 février)[27]. Là-dessus, 3.000 hommes cantonnés à Alba mettent bas les armes : 4.500 recrues, à Terracine, en font autant, lorsque paraissent les premiers cavaliers de César ; et auparavant déjà, un troisième corps de 3.500 hommes a dû capituler à Sulmo[28].

César maître du Picenum, Pompée regardait l’Italie comme perdue, et ne songeait plus à s’y maintenir : ce qu’il voulait, c’était différer son départ par mer, pour sauver le plus de monde possible. Il marcha donc lentement vers Brundisium, le port le plus voisin. Là, se concentrèrent enfin les deux légions de Lucérie, les recrues hâtivement levées dans l’Apulie, pays mal peuplé comme on sait, celles ramassées en Campanie par les consuls et leurs délégués (on les avait aussitôt dirigées vers la mer) : là foisonnaient les fugitifs de Rome et les plus notables sénateurs, accompagnés de leurs familles. L’embarquement se fit : il n’y avait point assez de vaisseaux pour emmener à la fois toute cette foulé qui comptait encore 35.000 têtes. Il fallut bien partager l’armée. La plus forte moitié partit (le 4 mars) ; et avec la moitié plus faible (10.000 hommes environ), Pompée attendit le retour de sa flotte ; car si désirable qu’il fût de rester maître de Brindes en vue d’une tentative ultérieure sur l’Italie, on ne savait que trop qu’il n’était pas possible d’y tenir longtemps devant César[29]. César arrive, et aussitôt commence le siége. Il tenta surtout de fermer le port à la bouche, par des digues et des ponts flottants, et d’empêcher la flotte républicaine d’y rentrer : mais Pompée avait armé en hâte tous les navires marchands qui se trouvaient sous la main : il réussit d’ailleurs à garder sa communication ouverte jusqu’à l’arrivée des galères. Quelle que fût la vigilance des assiégeants, en dépit du mauvais vouloir des gens de la ville, il fit très habilement sortir ses troupes intactes jusqu’au dernier homme, et les transporta en Grèce, hors de portée des coups de César (17 mars). Celui-ci, dépourvu de flotte, n’avait pu ni investir la place, ni poursuivre les Pompéiens.

Ainsi, après deux mois de campagne, sans livrer même une seule grande bataille, César avait poursuivi, mis à néant une armée de dix légions, dont la moitié à peine avait précipitamment fui au delà de la mer. Toute la péninsule italique était tombée dans les mains du vainqueur, y compris la capitale, le trésor public, et les approvisionnements immenses partout amoncelés. Les vaincus ne disaient que vrai quand ils déploraient la stupéfiante rapidité, la vigilance et la vigueur du monstre ![30]

Quoi qu’il en soit, l’évacuation de l’Italie, tout en étant pour César un grand gain ne laissait pas que d’être aussi un grand embarras. Militairement parlant, des moyens d’action considérables allaient faire défaut à Pompée pour affluer chez son rival. Dès le printemps de 705 [49 av. J.-C.], son armée, renforcée d’une multitude de contingents levés partout en masses, comptait un grand nombre de légions nouvelles ; en sus de ses neuf vieilles légions. Mais il lui fallait laisser en Italie une garnison puissante : il lui fallait prendre d’immédiates mesures pour empêcher le blocus auquel Pompée, maître absolu des mers, ne manquerait pas de tenir aussitôt la main : il fallait écarter de Rome la disette, suite de ce blocus. Toutes complications graves qui venaient s’ajouter à la tâche guerrière de César, déjà difficile par elle-même. Pour ce qui était des finances, il avait eu cette chance heureuse qu’on lui laissât le trésor public. Mais les principales sources de revenu lui étaient fermées : les tributs orientaux allaient se verser chez l’ennemi. Les besoins démesurément accrus de l’armée, les approvisionnements nécessaires à la population affamée de Rome, dévorèrent en un clin d’œil les sommes dont s’empara César, quelque grosses qu’elles fussent. Il se vit obligé bientôt de recourir au crédit privé, et ce moyen ne pouvant lui donner qu’un court répit, déjà l’on s’attendait à la seule issue qui semblait ouverte, au régime fatal des confiscations en masse[31].

Sous le rapport politique, César, en mettant le pied en Italie, y rencontrait des difficultés encore plus sérieuses, nées de l’état des choses. L’inquiétude était partout dans les classes qui possédaient : on croyait à un bouleversement anarchique. Amis et ennemis voyaient, dans César un second Catilina, et Pompée croyait ou affectait de croire qu’il n’avait été poussé à la guerre civile que par l’impossibilité de payer ses dettes, pensée tout simplement absurde. En réalité, les antécédents de César n’étaient rien moins que rassurants ; et l’on s’effrayait bien plus quand on jetait les yeux sur les hommes à sa suite ou de son entourage. Perdus tous de mœurs et de réputation, tous débauchés notoires, les Quintus Hortensius[32], les  Gaius Curion, les Marcus Antonius, ce dernier beau-fils du catilinarien Lentulus, exécuté jadis par ordre de Cicéron, se tenaient au premier rang à ses côtés : les postes de haute confiance étaient donnés à des hommes qui depuis longues années ne songeaient plus même à faire le compte de leurs dettes ; et l’on voyait les lieutenants du proconsul, non pas seulement entretenir des danseuses — combien d’autres en faisaient autant ! — mais parader en public avec des courtisanes[33]. Quoi d’étonnant à ce que les citoyens sérieux, étrangers aux partis politiques, ne présageassent que proclamations d’amnistie en faveur des criminels les plus éhontés, naguère exilés de Rome, que radiation des livres de créance, que confiscations ; proscriptions et meurtres, que pillages en règle par la soldatesque gauloise lâchée dans les rues de Rome ? Mais le monstre en cela donna le démenti à ses amis et ennemis. Et tout d’abord, en mettant le pied dans la première ville d’Italie, dans Ariminum même, il avait défendu au simple soldat de se montrer en armes, en dedans des murs : il avait protégé contre les excès toutes les cités, quelles qu’elles fussent, qu’il y eût trouvé un bon ou un hostile accueil. Quand le soir, sur le tard, la garnison révoltée lui livrait la ville de Corfinium, il voulut, en dépit des traditions militaires, différer l’occupation jusqu’au lendemain matin, craignant d’exposer les habitants à la colère de ses soldats et aux hasards d’une entrée de nuit [B. C., 1, 21]. Les prisonniers faits sur ses adversaires étaient-ils de simples soldats ? Comme il les savait indifférents en matière de politique, il les fondait dans ses propres troupes. Avait-il affaire aux officiers ? Non content de les épargner, il les relâchait sans distinction de personnes, sans exiger d’eux aucune promesse ; et ce qu’ils réclamaient comme leur appartenant leur était rendu sans difficulté, sans regarder de près au bien ou au mal fondé de leur demande. Ainsi agit-il envers Lucius Domitius[34] : il renvoya même à Labienus, jusque dans le camp ennemi, et son argent et ses bagages. Malgré son extrême pénurie d’argent, il ne saisit jamais les biens énormes de ses adversaires, absents ou présents ; et plutôt que de s’aliéner la classe des propriétaires, en remettant en vigueur les contributions foncières, légalement dues, mais tombées en désuétude, il aima mieux emprunter à ses amis. A ses yeux, vaincre l’ennemi ne constituait que la moitié, moins que la moitié de sa tâche ; et à l’entendre lui-même ; il ne pouvait imprimer à son œuvre le cachet de la durée, qu’en faisant grâce aux vaincus[35]. De même on le voit, le long de la route de Ravenne à Brindes, renouveler sans cesse auprès de Pompée, et la demande d’une entrevue, et la proposition d’un arrangement acceptable[36]. Mais, de même qu’auparavant elle n’avait rien voulu entendre ; de même, après son émigration inattendue et honteuse, l’aristocratie, dans sa colère, s’emportait jusqu’au délire ; et les menaces de vengeance dans la bouche du vaincu faisaient étrangement contraste avec l’attitude conciliante du vainqueur. La correspondance tous les jours échangée entre le camp des émigrés et leurs amis restés en Italie, ne parlait plus d’autre chose que des confiscations et des proscriptions futures, que de l’épuration du Sénat et de l’État : auprès de ces beaux projets la restauration de Sylla n’avait été que jeu d’enfants ; et les modérés du parti en ressentaient une juste épouvante. Tant de folie à côté de tant d’impuissance, tant de modération au contraire et de sagesse chez le plus fort, ne tardèrent point à produire leur effet. La foule des gens pour qui l’intérêt matériel passait avant l’intérêt politique se jeta dans les bras de César. Dans les villes de l’intérieur on portait aux nues la loyauté, la douceur, la sagesse du vainqueur : et ses adversaires eux-mêmes reconnaissaient qu’un tel hommage lui était dû. La haute finance, les publicains et les chevaliers-juges, au lendemain du désastreux naufrage du parti constitutionnel en Italie, n’inclinaient aucunement à se confier plus longtemps à d’aussi tristes pilotes : les capitaux revenaient sur l’eau et les riches retournaient au travail quotidien de leurs registres d’échéances ! Et dans le Sénat, la grande majorité, quant au nombre tout au moins, — car, à vrai dire, on n’y comptait que bien peu de sénatoriaux considérables et influents, — en dépit des ordres de Pompée et des consuls, demeurait en Italie, beaucoup même dans Rome, et s’accommodait du gouvernement césarien. En se montrant indulgent au delà de toute mesure, César avait calculé juste : bientôt se calmèrent les frayeurs et les angoisses des classes qui possédaient, et le désordre ne menaça plus. C’était là un gain d’immense conséquence pour l’avenir. Écarter l’anarchie, écarter les non moins dangereuses terreurs de son attente, était la condition première et nécessaire de la réorganisation de l’État. Pour le moment, cependant, la douceur de César lui faisait plus de mal que s’il eût recommencé les fureurs des temps de Cinna et de Sylla : ses ennemis ne se changeaient point en amis : ses amis lui devenaient hostiles. Tous les Catilinariens à sa suite murmuraient, ne pouvant ni tuer ni piller : tous ces enfants perdus, ces coureurs désespérés d’aventures, hommes de talent souvent, ne donnaient que trop à prévoir les plus dangereux écarts. Quant aux républicains de toutes nuances, le pardon du vainqueur n’amenait ni leur conversion, ni leur apaisement. Selon le Credo du parti catonien, le devoir envers la patrie déliait de tous les autres devoirs : César vous faisait-il grâce de la liberté, de la vie ? Vous n’en restiez pas moins en droit, vous étiez obligé même de reprendre aussitôt les armes, ou tout au moins de comploter contre lui. Certaines fractions plus modérées du parti constitutionnel s’arrangeaient assez de recevoir paix et protection du nouveau monarque, elles n’en maudissaient pas moins du fond du coeur et le monarque et la monarchie. Plus se manifestait en plein jour le système nouveau de gouvernement, plus les sentiments républicains allaient s’affirmant dans les consciences de la grande majorité des citoyens, aussi bien chez les citadins de la capitale, davantage ouverts à la vie politique ; que chez les populations plus énergiques des villes et des campagnes italiennes ; et les constitutionnels de Rome pouvaient sans exagération mander à leurs amis dans l’exil que toutes les classes, tous les individus étaient nettement pompéiens. Cette disposition fâcheuse des esprits s’aggravait encore par la pression morale que les hommes importants et énergiques du parti, tous en émigration, exerçaient sur la cohue des petits et dés tièdes. L’homme honnête se sentait un remords à ne point quitter l’Italie[37]. A ne point prendre la route de l’exil, en compagnie des Domitius et des Metellus ; à s’en aller s’asseoir au Sénat, à côté des mannequins de César, les demi aristocrates se seraient cru retombés dans la plèbe. Il n’était pas jusqu’à l’indulgence du maître qui ne donnât à cette opposition d’abord passive un accent plus prononcé : César ne voulant pas du régime de la terreur, ses adversaires cachés s’enhardissaient sans grand danger jusqu’à l’hostilité déclarée. Il en fit promptement l’expérience, et cela au sein du Sénat. Il avait commencé la lutte, voulant délivrer ce même Sénat, que ses oppresseurs menaient par la peur. Le but une fois atteint, il voulut obtenir un bill d’indemnité et en même temps faire voter la continuation de la guerre. En conséquence, dés qu’il arriva devant les portes de Rome (fin mars), les tribuns du peuple, ses adhérents, convoquèrent pour lui la Curie (4 avril)[38]. La réunion fut assez nombreuse : il y manquait pourtant les plus notables parmi les sénateurs non émigrés : il y manquait Marcus Cicéron, l’ancien chef de la majorité asservie[39], le propre beau-père de César, Lucius Pison[40] ; et ce qui pis est, les sénateurs présents, ne se montrèrent point disposés à donner les mains à ses motions. A sa demande de pleins pouvoirs pour continuer la guerre, un des deux seuls consulaires qui assistassent à la séance, un homme dont toute la vie s’était passée à craindre, et qui ne souhaitait rien qu’une mort tranquille dans son lit, Servius Sulpicius Rufus, pour le nommer, émit l’avis que César, mériterait bien de la patrie s’il abandonnait le dessein de porter la lutte en Grèce et en Espagne[41].

César. alors de proposer que le Sénat se fit auprès de Pompée l’intermédiaire de ses offres de paix. A cela, nulle objection : mais les menaces des émigrés contre quiconque restait neutre les glaçaient tous d’effroi, et il ne se trouva personne qui voulût être l’envoyé de paix [B. civ., 1, 33]. L’aristocratie répugnait à aider César à bâtir son trône ; et le Collège suprême montrait la même inertie qu’au jour tout récent encore où, grâce à cette inertie même, le Triumvir avait pu rendre absolument illusoire la nomination de Pompée à la dignité de généralissime de la guerre civile. Demandant à son tour le même titre, il échoua pareillement. D’autres obstacles étaient aussi devant lui. Voulant régulariser sa position quand même, il souhaita la dictature, mais comment le faire dictateur ? Aux termes de la Constitution, on ne pouvait tenir l’investiture que d’un des Consuls. César tenta bien d’acheter Lentulus : dans le désordre de la fortune de cet homme, rien de plus naturel que de compter sur un tel moyen ! La tentative ne réussit pas. Puis voici que le tribun du peuple Lucius Metellus proteste contre les actes du tout puissant Proconsul : il fait mine de défendre de son corps les caisses du Trésor, où les affidés de César sont venus violemment puiser[42]. César ne pouvait pas s’arrêter devant l’inviolable ! Passant outre, il agit du moins en toute douceur, et, sauf en cette circonstance, il s’abstint des voies de fait. Il parla au Sénat le langage qui tout récemment encore était dans la bouche des constitutionnels : il aurait voulu ne pas s’écarter de la légalité, et réorganiser l’État avec le concours des n grands pouvoirs publics : mais puisqu’on lui refusait assistance, il saurait se suffire ![43] Puis, sans plus se soucier du Sénart et des formes constitutionnelles, il remit l’administration provisoire de Rome à son préteur Marcus Æmilius Lepidus, en qualité de préfet urbain ; et pourvut à tous les arrangements nécessaires pour les provinces dont il était maître, et pour la continuation de la guerre. Au milieu du tumulte de cette lutte gigantesque, malgré le fracas alléchant des promesses de largesses infinies, la multitude à Rome se sentait saisie d’une impression profonde, indéfinissable, à voir pour la première fois, dans la libre cité, un citoyen trancher ouvertement du monarque, et briser par la main du soldat les portes saintes du trésor ! Mais les temps n’étaient plus où les événements obéissaient aux sentiments et aux impressions des masses. Qu’importent quelques angoisses de plus ou de moins dans les âmes ? La crise se précipite[44].

César, sans perte de temps, reprit les opérations militaires. Il devait ses premiers succès à son système d’offensive, et il entendait la continuer. La situation de son adversaire était singulière. L’attaque subite partie du Rubicon ayant réduit à néant le premier plan de Pompée, qui consistait à prendre César entre deux feux entre l’Italie et la Gaule, Pompée avait songé d’abord à gagner l’Espagne. Il y était très fort. L’armée y comptait sept légions, où servaient en grand nombre des vétérans. Soldats et officiers s’y étaient endurcis pendant des années dans les combats avec les montagnards de Lusitanie. Parmi les chefs, Marcus Varron ne valait que comme érudit illustre et comme partisan fidèle[45] : mais Lucius Afranius s’était distingué en Orient et dans les Alpes, et Marcus Petreius[46], le vainqueur de Catilina, était brave à toute épreuve et bon capitaine. Dans la province Ultérieure, le souvenir de la préture de César faisait à celui-ci de nombreux adhérents : au contraire, dans la Citérieure, bien plus considérable, le respect et la reconnaissance enchaînaient la foule au général fameux qui, vingt ans avant, dans les guerres contre Sertorius, avait commandé sur l’Èbre, et la lutte finie, réorganisé le pays. Après ses revers, en Italie, Pompée ne pouvait, mieux faire évidemment que de se porter sur ce point avec les débris de son armée, pour marcher ensuite contre César à la tête de toutes ses forces. Malheureusement, il s’était trop attardé en Apulie, espérant sauver les troupes enfermées dans Corfinium, et au lieu des ports campaniens, il lui avait fallu gagner celui de Brindes et s’y embarquer. Mais il était maître de la mer et de la Sicile. Pourquoi ne pas revenir à son plan primitif ? Sa décision est pour nous un problème. L’aristocratie constitutionnelle, bornée d’esprit et toujours méfiante, se refusa-t-elle à mettre sa confiance dans les légions d’Espagne et dans les populations locales ? Quoi qu’il en soit, Pompée resta dans l’est et laissa César maître de l’aller attaquer en Grèce, où l’armée se reformait sous le commandement personnel de son généralissime, ou de se porter en Espagne, à l’encontre de l’armée de ses lieutenants, prête pour la lutte. César se décida pour le dernier parti. La campagne d’Italie est à peine finie que déjà il a pris ses mesures : par son ordre, neuf de ses meilleures légions, 6.000 cavaliers, les uns triés un à un et levés dans les clans gaulois, les autres mercenaires germains, avec un fort noyau d’archers ibères et ligures, se concentrent sur le Bas-Rhône.

Ses adversaires ne s’y étaient point endormis. Le proconsul désigné naguère par le Sénat pour lui succéder dans la Transalpine, Lucius Domitius, capturé à Corfinium et relâché, comme on l’a vu, était aussitôt parti avec tout son monde et avec Lucius Vibullius Rufus, l’affidé de Pompée. Arrivés à Marseille ils avaient tant fait que la ville, se prononçant pour Pompée, avait refusé le passage aux soldats de César [B. c., I, 34-36]. Varron gardait la Péninsule Ultérieure avec deux des légions espagnoles moins sures que les autres : les cinq autres, renforcées de 40.000 fantassins du pays, moitié Celtibères, moitié lusitaniens, ou d’autres milices légères et de 5.000 hommes de cavalerie locale, se portaient vers les Pyrénées. Elles obéissaient à Afranius et à Petreius ; et selon les instructions de Pompée apportées par Vibullius, elles devaient fermer les montagnes à César [B. c., I, 38-39].

Mais celui-ci était déjà dans les Gaules : s’arrêtant de sa personne devant Massalie investie, il mettait en mouvement la plus grande partie de l’armée du Rhône, faisait filer six légions et sa cavalerie sur la grande voie romaine, par Narbonne et Rhodè (Rosas), et devançait heureusement l’ennemi. Quand Afranius et Petreius arrivèrent aux Pyrénées, déjà les Césariens les occupaient en force : la ligne était perdue pour eux[47]. Ils prirent alors position à Ilerda (Lérida), entre la chaîne au nord, et l’Èbre au sud. Ilerda est à 4 milles [allem. = 8 lieues] du fleuve sur la rive droite du Sicoris (la Ségre), l’un de ses affluents : la route [venant de Tarraco (Tarragone)] franchissait cet affluent sur un pont qui touchait immédiatement à la ville. Au midi, les collines qui longent la rive gauche de l’Èbre venaient mourir non loin des murs. Mais au nord et des deux côtés du Sicoris s’étendait une belle plaine dominée par la hauteur sur laquelle Ilerda se dressait. Pour une armée voulant se laisser assiéger c’était là une position excellente : mais ayant couru trop tard aux Pyrénées, et leur ligne perdue, il fallait reporter au-delà de l’Èbre la défense véritable de l’Espagne. Or, comme entre la ville et le fleuve il n’y avait pas de forteresse qui les reliât ; comme il n’y avait pas de pont sur le fleuve lui-même, la retraite de la position provisoire d’Ilerda à la ligne défensive principale n’était rien moins qu’assurée. Les Césariens se placèrent au-dessus de la place, dans le delta formé par le Sicoris et la rivière de la Cinga (Cinca) qui le vient joindre en aval. La lutte ne devint sérieuse qu’après l’arrivée de César au camp (23 juin). Il y eut devant la ville bon nombre de rencontres où l’on combattit avec bravoure et fureur des deux parts et avec des fortunes diverses. Les Césariens ne purent se loger entre Ilerda et les Pompéiens, ni se rendre maîtres du pont de pierre [B. c., I, 40-47]. Leurs communications avec la Gaule n’étaient établies que par deux autres ponts jetés en hâte sur le Sicoris, à 4 ou 5 milles [allem. = 8 ou 10 lieues] en amont, la rivière, étant trop large dans le voisinage de la place. Quand vinrent les eaux gonflées par la fonte des neiges, elles emportèrent ces ponts volants, et les embarcations manquaient pour passer le haut flot. Il n’y avait point à songer d’ailleurs à rétablir les ouvrages ; et l’armée de César, resserrée dans l’angle du Sicoris et de la Cinga, ne commandait plus la rive gauche et la route par où l’on se reliait avec les Gaules et l’Italie. Les Pompéiens en étaient maîtres à peu près sans coup férir, ayant pour passer le Sicoris, soit le pont d’Ilerda, soit la ressource des outres, à la façon lusitanienne. La moisson approchait : mais les récoltes anciennes étant presque totalement consommées, les récoltes nouvelles demeuraient sur pied encore. Tout était coupé et ravagé dans l’étroit espace entre les deux rivières. La famine régnait au camp (le boisseau [prussien] de blé se vendit jusque 300. deniers [90 thaler = 337 fr., 50 c.][48]). De graves maladies se déclaraient ; et pendant ce temps, les convois s’entassaient sur la rive gauche, ainsi que les munitions de toutes sortes et les hommes, cavaliers auxiliaires et archers envoyés des Gaules, officiers et soldats rentrant de leurs congés, ou fourrageurs revenant au camp (ils étaient 6.000 en tout). Les Pompéiens les attaquèrent en force démesurément supérieure, leur infligèrent de grosses pertes et les rejetèrent dans la montagne, pendant que les Césariens, sur l’autre rive, assistaient immobiles à cet inégal combat. Les Pompéiens coupaient l’armée de toutes ses communications ; et sur l’entre-temps, les nouvelles d’Espagne ayant tout à coup cessé de parvenir en Italie, il y circulait les plus fâcheuses rumeurs, lesquelles après tout ne s’éloignaient guère de la vérité[49]. Si les Pompéiens avaient énergiquement poursuivi leurs avantages, ils n’eussent point manqué, ou de capturer toute cette foule emprisonnée sur la rive gauche, à peine en état de faire résistance, ou tout au moins de la refouler dans les Gaules. En tous cas, ils pouvaient tenir complètement les rives et ne laisser personne passer sans qu’ils le vissent. Mais cette fois encore, ils ne furent que négligents. Ils avaient repoussé avec perte les convois d’auxiliaires : ils ne les avaient ni détruits, ni chassés complètement au-delà des Pyrénées ; et tout occupés de les écarter du fleuve, ils omirent de garder le fleuve même[50]. Aussitôt César change son plan. Il fait fabriquer au camp des canots portatifs, à fond de bois léger, aux flancs d’osiers entrelacés et recouverts de cuir, pareils aux embarcations des Bretons du canal, ou à celles dont les Saxons usèrent plus tard[51] ; puis il les fait porter sur chariot au point même où naguère étaient les ponts. On atteignit enfin l’autre rive sur ces frêles nacelles, et comme on les trouva inoccupées, on refit les ponts sans grande peine : on rétablit sans délai les communications avec le nord, et les convois, impatiemment attendus, entrèrent enfin au camp. Une heureuse pensée avait sauvé l’armée de l’immense danger qui la menaçait. Avec sa cavalerie, bien plus agile que celle de l’ennemi, César bat toute la région sur la rive gauche du Sicoris ; et dès ce moment, les cités espagnoles les plus importantes d’entre les Pyrénées et, l’Èbre, Osca, Tarraco, Dertosa [Tortose] et d’autres encore, même au sud du fleuve, passent à lui. Harcelés par les escouades volantes de César, abandonnés par les villes voisines, les Pompéiens souffrent à leur tour : ils se décident à la retraite et voulant se couvrir derrière l’Èbre, ils s’empressent d’y jeter un pont de bateaux, au-dessous du confluent du Sicoris. César voulait leur couper la route, et les renfermer dans Ilerda. Mais tant que l’ennemi possédait le pont de la ville, tant que, lui-même, il n’avait sur ce point ni pont ni gué à sa disposition, il lui était interdit de partager son armée en deux sur les deux rives, et partant, d’investir la place. Alors ses soldats de travailler jour et nuit, de creuser des canaux de dérivation, et par là, en abaissant le niveau d’eau, de faciliter le passage à son infanterie[52]. Cependant, les Pompéiens ont achevé leurs préparatifs sur l’Èbre, avant que César ait pu enfermer Ilerda ; et quand, ayant posé leurs bateaux, ils descendirent à l’Èbre en longeant le Sicoris sur la gauche, les fossés des Césariens n’avaient point été assez poussés pour ouvrir un gué aux soldats de pied. Les cavaliers seuls franchirent la rivière. Du moins ils purent se jeter sur les derrières de l’ennemi, le gêner dans sa marche et lui faire du mal. Les légions de César, depuis le milieu de la nuit, assistaient au départ des colonnes pompéiennes. Quand vint le petit jour, tous ces vieux soldats, avec leur infaillible instinct militaire, se rendirent compte sur le champ du mouvement de retraite de l’armée espagnole et de sa haute importance stratégique ; désormais il leur faudrait suivre les Pompéiens au travers de pays éloignés, impraticables, peuplés de tribus hostiles. Aussitôt ils supplient leur général : ils descendent à la rivière, et quoique ayant de l’eau jusqu’aux épaules, ils la franchissent sans accident fâcheux. Il était temps. Laisser les Pompéiens traverser l’étroite plaine qui sépare Ilerda du massif montueux au milieu duquel l’Ebre court à la mer, les laisser se jeter eux-mêmes dans la montagne, c’était leur donner la vie sauve. Nul obstacle alors ne les empêchait de mettre le fleuve entre eux et César. Déjà, malgré les efforts de la cavalerie qui les harcèle sanas cesse et les retarde beaucoup, déjà ils ne sont plus qu’à un mille des premiers contreforts ; mais cette longue marche, depuis minuit, les a épuisés : ils n’en peuvent plus, et ils plantent leur camp, renonçant à entrer ce même jour dans les montagnes. César les a enfin atteints : il campe en face d’eux, le soir et les ténèbres survenant. Les Pompéiens qui, d’abord, avaient l’intention de se remettre en marche durant la nuit, ne bougent plus, craignant dans l’obscurité l’attaque des terribles cavaliers. Le lendemain les deux armées restent encore là, immobiles, et seulement occupées à reconnaître le terrain. Enfin, sur le matin du troisième jour, les fantassins de César s’ébranlent, tournent la position par une marche de flanc dans la montagne, loin de tous sentiers, et passant à l’avant de l’ennemi, vont lui fermer la route. Alors seulement, les lieutenants de Pompée se rendent compte de cette singulière manœuvre, qui leur a semblé d’abord un simple retour vers Ilerda. Aussitôt ils sacrifient camp et bagages et s’élancent à pas précipités sur la grande route : ils voudraient avant César gagner les dernières crêtes. Il est trop tard. Quand ils y arrivent, déjà l’ennemi occupe la voie romaine, en masses serrées. Alors ils tentent à leur tour de se frayer ailleurs un passage et se jettent au travers des coteaux ardus qui bordent le fleuve. Là, la cavalerie les arrête encore : elle entoure et taille en pièces les avant-gardes lusitaniennes. Le combat ne pouvait plus être douteux entre les Césariens et l’armée pompéienne, totalement démoralisée, ayant à dos les cavaliers et en face toute l’infanterie du Proconsul. Ce combat, mainte occasion s’offrit de l’engager ; mais César n’en avait pas besoin : il refréna, non sans peine, l’impatiente ardeur de ses soldats trop sûrs de la victoire. En une seule manœuvre l’armée pompéienne avait été poussée à sa perte. César évita de s’affaiblir en dépensant inutilement le sang de ses troupes : à quoi bon d’ailleurs envenimer les haines ? Dès le jour qui suivit, sur le lieu même où la route de l’Èbre venait d’être interceptée, les soldats se mirent à fraterniser, d’une armée à l’autre, et à parler de capitulation : déjà les Pompéiens avaient obtenu le consentement de César à leurs demandes, notamment la vie sauve pour leurs officiers ; mais voici que Petreius survient avec son escorte formée d’esclaves et d’Espagnols : ils se jette sur ceux de ses hommes qui parlementent et fait massacrer tous les Césariens dont il s’empare. César ne lui renvoie pas moins les Pompéiens venus à son camp, et persiste à attendre une issue certaine. Il y avait encore à Ilerda une garnison et de vastes magasins : on veut y revenir, mais comment le faire, ayant en front l’armée ennemie et séparé de la place par la rivière ? On ne put s’en rapprocher ; la cavalerie pompéienne a perdu courage, il faut la mettre à couvert au milieu de l’infanterie, et les légions se rangent à l’arrière-garde. Impossible de se procurer, l’eau et le fourrage : déjà l’on tue les bêtes de somme faute d’avoir de quoi les nourrir. Enfin tonte cette armée qui tourbillonne se voit enveloppée, adossée qu’elle est au Sicoris, ayant devant elle les Césariens qui creusent le fossé et élèvent l’agger. Essaie-t-elle de franchir la rivière ? Les cavaliers de César sont là avec l’infanterie légère, qui les a devancés, et commandent l’autre rive. La valeur et la fidélité ne purent retarder l’inévitable capitulation (2 août 745 [49 av. J.-C.]). César laissa la vie sauve et la liberté aux officiers et aux soldats : il leur laissa ce qui leur restait de leurs bagages, et leur rendit même le butin fait sur eux, s’engageant à indemniser d’autant ses propres soldats. Mais tandis qu’en Italie, il avait de force enrégimenté les recrues prisonnières, il voulut honorer les vieux soldats de Pompée, leur promettant que nul ne serait contraint à servir dans son armée. Il n’exigea d’eux que de remettre leurs armes et de s’en retourner dans leurs foyers. Ainsi furent congédiés sur le champ tous les soldats natifs de l’Espagne (ils faisaient le tiers environ) : quant aux Italiens, leur licenciement s’opéra, à la frontière des Gaules transalpine et cisalpine[53].

L’armée pompéienne dissoute, l’Espagne citérieure était dans la main du vainqueur. Dans la Province ultérieure, où Varron commandait pour Pompée, celui-ci, à la nouvelle du désastre d’Ilerda, crut n’avoir rien de mieux à faire que de se jeter dans Gadès et son île, et de s’y mettre en sûreté, lui, les sommes considérables qu’il avait tirées des temples des dieux ou confisquées sur les notables Césariens, la flotte assez importante qu’il avait formée, et les deux légions placées sous ses ordres. Mais au premier vent qu’on eut de l’approche de César, les principales villes de cette province, dévouée à lui depuis longtemps, se prononcèrent, chassèrent les garnisons pompéiennes ou les entraînèrent dans leur défection : ainsi il en advint à Corduba, à Carmo (Carmone) et même à Gadès. Une des légions de Varron s’ameuta, partit d’elle-même pour Hispalis (Séville), où elle se donna à César de concert avec la cité. Enfin Italica[54] ayant fermé ses portes à Varron, celui-ci fut réduit à capituler aussi[55].

Presque à la même heure, Massalie faisait sa soumission. Les Massaliotes investis avaient soutenu le siège avec une héroïque énergie : ils avaient aussi lutté sur mer contre César. Là, ils étaient sur leur élément et pouvaient espérer de puissants secours envoyés par Pompée, celui-ci demeurant le maître incontesté de la Méditerranée. Mais le lieutenant de César, l’habile Decimus Brutus, celui-là même qui avait combattu les Vénètes[56], et remporté sur l’Océan la première victoire navale de Rome, sut promptement, ramasser ou construire une flotte[57]. En vain, l’ennemi fit bravement résistance ; en vain Domitius mit sur ses vaisseaux les mercenaires Albiœques[58], à la solde de Massalie, et ses propres esclaves-pasteurs[59]. Les soldats de marine, choisis dans les légions césariennes, eurent promptement raison de l’escadre plus nombreuse des assiégés ; ils la coulèrent ou la prirent presque tout entière[60]. Mais voici qu’à peu de temps de là une escadrille pompéienne, commandée par Lucius Nasidius[61], arrive d’Orient en rangeant la Sicile et la Sardaigne : les Massaliotes aussitôt recommencent à armer, et se joignant aux vaisseaux de Nasidius courent sus aux Césariens. Le choc eut lieu à la hauteur de Tauroëis (La Ciotat, à l’est de Marseille). Si les Pompéiens s’étaient battus avec autant d’ardeur qu’en montrèrent les Massaliotes dans la lutte, la journée peut-être aurait eu une autre fin, mais la flotte de Nasidius prit la fuite, laissant la victoire à Brutus ; et les débris des Pompéiens allèrent se réfugier dans les eaux d’Espagne[62]. La mer était complètement fermée aux assiégés. Du côté de terre, où Gaius Trebonius dirigeait l’investissement, la défense se continua énergique et opiniâtre : enfin, malgré les sorties fréquentes des Albiœques mercenaires et la manœuvre savante des engins balistiques accumulés en nombre immense dans la ville, les assiégeants arrivèrent proche des murailles, et l’une des tours s’écroula. Les Massaliotes se dirent prêts à cesser toute résistance, mais ils désiraient ne se rendre qu’à César en personne, et demandèrent à son lieutenant de suspendre les travaux jusqu’à ce qu’il fût de retour. Trebonius accorda la trêve sollicitée : César lui avait donné l’ordre exprès d’épargner la ville dans la mesure du possible. Mais cette trêve, les assiégés en profitèrent pour effectuer une perfide sortie, pour brûler la moitié des ouvrages romains qui n’étaient en quelque sorte plus gardés, et les hostilités recommencèrent plus actives, plus acharnées que devant. Trebonius rétablit, avec une rapidité surprenante ses tours et ses épaulements renversés : les Massaliotes se virent de nouveau complètement investis. Sur ces entrefaites, l’Espagne étant soumise, César revint devant leurs murs : les attaques de l’armée de siège, la faim, les maladies avaient réduit la place aux abois. Pour la seconde fois, et sérieusement cette fois, elle s’offrit à merci. Pour Domitius, qui avait à se reprocher d’avoir répondu par une trahison au pardon du vainqueur, il monta sur un esquif, et se glissant au travers de la flotte romaine, il s’en alla, chercher ailleurs pour son irréconciliable haine un troisième champ de bataille. Les soldats césariens avaient juré de passer au fil de l’épée toute la population virile de la cité parjure : ils demandèrent à grands cris et en tumulte le signal du pillage. Leur chef resta fidèle à sa noble mission de promoteur de la civilisation helléno-italienne en Occident : il ne voulut point se laisser forcer la main, et recommencer sur un nouveau théâtre les excès de la destruction de Corinthe[63]. De toutes les cités libres et puissantes sur mer qu’avait jadis fondées l’antique peuple des navigateurs d’Ionie, Massalie, la colonie le plus loin placée de la métropole, avait presque la dernière gardé pures et vivaces les mœurs et les institutions des Hellènes maritimes : elle fut aussi la dernière qui guerroya sur les flots. Aujourd’hui elle livre au vainqueur ses arsenaux, ses armes et ses flottes ; elle perd une partie de son territoire et de ses franchises privilégiées. Pourtant César lui laissa sa liberté, sa nationalité ; et quoique réduite à une mince importance, elle resta, après comme avant, le centre de la culture grecque dans ces régions lointaines des Gaules, promises par les destins à d’autres grandeurs dans l’histoire[64].

Pendant que dans l’ouest, et après maintes graves vicissitudes, la guerre se décidait en faveur de César par la soumission des Espagnes et de Massalie, et lui mettait ainsi dans les mains, captive jusqu’au dernier homme, la principale armée de Pompée, le sort des armes tournait de même pour lui sur un autre théâtre, où il avait jugé à propos, l’Italie une fois conquise, d’aller prendre aussi l’offensive.

Nous avons dit déjà que les Pompéiens voulaient affamer l’Italie. Ils avaient tous les moyens de le faire. Ils étaient maîtres de la mer : partout, à Gadès, à Utique, à Messine, et principalement en Orient, ils travaillaient avec ardeur à augmenter leurs flottes. Ils possédaient toutes les provinces d’où la capitale pouvait tirer ses subsistances. Ils avaient Marcus Cotta[65] en Sardaigne et en Corse, Marcus Caton en Sicile. L’Afrique obéissait à Attius Varus, qui s’y était improvisé général en chef, et à son allié, le roi Juba, de Numidie. Il était d’absolue nécessité pour César de prévenir l’ennemi et de lui enlever les provinces à blé. Quintus Valerius[66] alla en Sardaigne avec une légion et força le commandant pompéien à quitter l’île[67]. S’emparer de la Sicile et de l’Afrique était chose plus difficile. César en donna la mission au jeune et brave Gaius Curion, avec l’assistance d’un lieutenant habile et éprouvé, Caninius Rebilus[68]. La Sicile fut occupée sans coup férir. Caton n’avait point à vrai dire d’armée. Il n’était point homme de guerre : il partit, non sans avoir à sa loyale façon conseillé aux Siciliens de ne pas se compromettre inutilement par une résistance impossible[69]. Curion laissa dans l’île, dont la possession importait à la sûreté de Rome, la moitié de ses troupes ; et s’embarquant avec le surplus (deux légions et 500 cavaliers), fit voile vers l’Afrique. Il devait s’y attendre à une lutte opiniâtre. Outre l’armée de Juba, nombreuse et assez solide dans son genre, Varus était là avec deux légions formées des citoyens romains établis dans le pays, et il avait armé une petite escadre de dix voiles[70]. Mais Curion disposait d’une force bien supérieure. Son débarquement s’effectua sans difficulté entre Hadrumette, gardée par une légion et les navires ennemis, et Utique[71], sous laquelle se tenait Varus en personne avec une seconde légion. Curion marchant à lui plante son camp non loin d’Utique, là même où, un siècle et demi avant, Scipion l’Ancien a établi ses premiers quartiers d’hiver en Afrique[72]. Obligé de garder ses troupes d’élite par devers lui pour la guerre d’Espagne, César avait en grande partie formé son armée de Sicile et d’Afrique avec les anciens légionnaires de l’ennemi, notamment avec ceux capturés à. Corfinium. Les officiers pompéiens d’Afrique, qui presque tous avaient commandé ces mêmes légionnaires à Corfinium, employèrent à leur tour tous les moyens pour ramener à leur premier serment les soldats qu’ils avaient en face d’eux. Mais César ne s’était point trompé dans le choix de son lieutenant. Aussi habile à manier une armée et à conduire une flotte qu’à conquérir sur ses hommes l’ascendant et la confiance, Curion les approvisionnait abondamment, et les combats qu’il livra furent tous heureux. Varus croyait que l’occasion seule manquait, et qu’au premier choc les nouveaux Césariens passeraient à ses aigles. Mû surtout par cette pensée, il se décida à livrer la bataille : son espoir fut déçu [B. c., 2, 27-33]. Aux paroles enflammées de son jeune général, la cavalerie de Curion se précipite et met les chevaux de l’ennemi en fuite : en vue des deux armées rangées en bataille, elle sabre les fantassins légers qui ont accompagné ceux-ci.. Puis bientôt, les légions césariennes, enhardies par le succès, par l’exemple de Curion lui-même, se jettent dans la vallée profonde et difficile qui les sépare du corps principal de Varus. Les Pompéiens n’attendent pas son attaque : ils se réfugient honteusement dans leur camp, ils l’évacuent même la nuit venue. La victoire était complète : Curion aussitôt se met en devoir d’assiéger Utique[73]. Mais on lui annonce que Juba vient la délivrer avec toutes ses forces. Comme avait fait Scipion à l’arrivée de Syphax, il prend résolument son parti. Il lèvera le siège et se retirera dans les positions jadis occupées par l’Africain, afin d’y attendre tranquille les renforts venant de Sicile[74]. Sur les entrefaites, un nouveau rapport lui arrive. Juba, dit-on, attaqué lui-même par les princes voisins, a dû s’en retourner avec le gros de son armée. Il n’a détaché au secours d’Utique qu’un faible corps, sous les ordres de Saburra. Ardent qu’il était par nature, ce n’était point sans peine que le Césarien s’était décidé à l’immobilité. Aussitôt il reprend la campagne et veut se jeter sur Saburra, avant que celui-ci ait pu se mettre en communication avec la garnison de la place. Sa cavalerie sort le soir, surprend la troupe de Saburra endormie au bord du Bagradas et la malmène. A la nouvelle de ce succès, Curion hâte la marche de son infanterie pour achever la défaite. On arrive et bientôt l’on voit l’ennemi luttant péniblement sur les derniers contreforts qui descendent au fleuve : les légions s’élancent et le poussent en désordre dans la plaine. Mais ici la fortune du combat change. Saburra n’était point seul et sans ses réserves, comme on l’avait cru : à moins d’un mille (allemand = 2 lieues) derrière lui se tenait toute l’armée numide. Déjà accourait l’élite de l’infanterie de Juba : déjà se montraient sur le champ de bataille 2.000 cavaliers gaulois et espagnols, qui venaient appuyer l’avant-garde africaine : enfin le roi lui-même se hâte avec le gros de ses soldats et seize éléphants[75]. Après toute une longue nuit de marche, et l’opiniâtre lutte de la matinée, il ne reste plus guère à Curion que 200 cavaliers romains en ligne, et comme eux ses fantassins succombent à la fatigue, à l’épuisement. Bientôt, dans cette vaste plaine, où ils se sont laissés emporter, les bandes ennemies grossissent à chaque minute et les entourent. En vain Curion tente d’en venir aux mains : les chevau-légers libyques se refusent aussitôt qu’une cohorte marche à eux ; et quand elle se retire, ils la pourchassent. En vain, les Romains tentent de remonter la pente des hauteurs : la cavalerie de Juba les y a devancés et ferme le passage. Tout est perdu. L’infanterie de Curion se fait tuer jusqu’au dernier homme. Seuls quelques cavaliers se firent jour. Curion aurait pu fuir facilement : il ne voulut pas reparaître devant son général sans l’armée qu’il lui avait confiée ; il mourut l’épée à la main[76]. Quant à la garnison laissée au camp devant Utique, quant aux équipages de la flotte qui pouvaient sans peine regagner la Sicile, ils se rendirent à Varus, le jour qui suivit, terrifiés qu’ils étaient par la catastrophe sanglante du Bagradas (août ou septembre 705 [49 av. J.-C.]).

Ainsi finit l’expédition envoyée par César en Sicile et en Afrique. Elle ne laissait pas que d’avoir atteint son but principal. La Sicile et la Sardaigne ayant été simultanément occupées, il était paré par là aux plus urgents besoins de la capitale. Que si l’on avait échoué dans l’entreprise sur l’Afrique, les vainqueurs, il faut le dire, n’en retiraient point un grand et décisif avantage : ce n’était point pour César une perte irréparable que, celle des deux peu solides légions conquises naguère à Corfinium. Mais pour lui, pour Rome elle-même, la mort prématurée de Curion était un immense malheur. Le général avait eu ses motifs en choisissant pour un grand et indépendant commandement ce jeune homme, novice dans le métier des armes, et qui n’était fameux encore que par les scandales de sa vie privée. Chez Curion, il y avait l’étincelle du génie de César. Comme César, il avait vidé jusqu’à la lie la coupe des voluptés : comme lui, il avait été homme d’État, sans passer d’abord par le métier de capitaine, et la politique, sa première institutrice, lui avait mis l’épée à la main. De même son éloquence ignorait les périodes arrondies, il parlait en homme qu’inspire une haute pensée[77] ; de même il menait hardiment, rapidement la guerre, dédaigneux des petits moyens : de même enfin il était tout aisance accorte, empreinte de légèreté parfois, tout aimable, ouvert de cœur, et se donnant entier à tout instant. Il n’est que trop vrai, son général le déclare, l’emportement de la jeunesse et du courage le firent téméraire ! Il ne voulut point de pardon pour une faute assurément pardonnable, et il courut à la mort par excès de fierté ! Mais dans la vie de César aussi, ne se rencontre-t-il pas maint trait d’imprudence égale et d’égal orgueil ? Il faut regretter sans doute que cette nature bouillonnante et débordante n’ait point eu le temps de rentrer apaisée dans ses rives, et que la fortune n’ait point réservé Curion pour les temps qui sont proches, temps misérablement pauvres en grands hommes, fatalement et immédiatement voués au régime détestable des médiocrités !

On ne peut savoir que par conjectures quelle influence les faits de guerre de l’an 705 [49 av. J.-C.] exercèrent sur l’ensemble des plans de Pompée, et surtout quel rôle il avait réservé à ses grands corps d’armée de l’ouest, après la perte de l’Italie. Au camp d’Ilerda le bruit avait couru qu’il appellerait à lui l’armée d’Espagne par la voie de terre, par l’Afrique et la Mauritanie : rumeur purement aventureuse et qui, assurément, n’avait rien de fondé. Ce qui me parait beaucoup plus vraisemblable, c’est que même l’Italie perdue pour lui, il persistait encore dans son projet primitif, qu’il voulait attaquer César de deux côtés à la fois dans les Gaules cisalpine et transalpine, et qu’il préparait à cet effet un grand mouvement concentrique du fond de l’Espagne et de la Macédoine. On peut croire que les légions espagnoles avaient mission de se tenir à l’état de défensive sur la ligne des Pyrénées, jusqu’au moment. où l’armée de Macédoine, en voie de formation, serait prête à marcher à son tour : toutes les deux alors, elles devaient s’ébranler et se donner rendez-vous, soit sur le Rhône, soit sur le Pô, suivant les circonstances : en même temps, la flotte tenterait de reconquérir l’Italie propre. César, ce semble, l’avait prévu, et tout d’abord il avait pris ses précautions dans la Péninsule. L’un de ses meilleurs lieutenants, le tribun du peuple Marc Antoine, y commandait au titre de propréteur. Les ports du sud-est, Sipuntum[78], Brundisium, Tarente (on craignait un débarquement sur ces divers points), avaient une garnison de trois légions. Quintus Hortensius, le fils dégénéré du fameux orateur, rassemblait des vaisseaux dans les eaux tyrrhéniennes : Publius Dolabella[79] formait dans l’Adriatique une deuxième flotte. Utiles pour la défense de l’Italie, tous ces vaisseaux devaient aussi servir au transport projeté des légions de César en Grèce. Que si Pompée tentait de pénétrer en Italie par la voie de terre, Marcus Licinius Crassus[80], le fils aîné de l’ancien collègue de César, était posté dans la Cisalpine avec un corps de troupes, et Gaius Antonius[81], le frère puîné de Marc Antoine, occupait en force l’Illyrie. Mais les jours se passèrent et Pompée n’attaquait point. Le premier choc n’eut lieu qu’au cœur de l’été, en Illyrie. Le lieutenant de César, Gaius Antonius, se tenait avec ses deux légions dans l’île de Curicta (Veglia, dans le golfe de Quarnero) ; et Publius Dolabella, avec sa flotte, croisait dans l’étroit bras de mer qui sépare Curicta de la terre ferme. A ce moment, les escadres pompéiennes dans ces mers, celle de Grèce, commandée par Marcus Octavius[82], l’autre, celle d’Illyrie, commandée par Lucius Scribonius Libo[83], fondirent sur Dolabella, anéantirent tous ses vaisseaux, et enfermèrent Antonius dans son île. Il fallait le sauver à tout prix. Basilus[84] et Salluste accoururent d’Italie avec un gros de troupes, et Hortensius fit voile dans la même direction avec la flotte. tyrrhénienne : mais les amiraux ennemis étaient trop forts pour eux ; les légions d’Antoine furent abandonnées à leur sort. Les vivres manquaient : les soldats mécontents s’ameutent, et à l’exception de quelques pelotons qui réussissent à gagner la terre ferme en radeau, le corps entier, gros de quinze cohortes encore, met bas les armes. Transféré en Macédoine sur les navires de Libo, il y est incorporé à l’armée de Pompée. Quant à Octavius, il reste dans ces parages pour y achever la soumission de l’Illyrie, actuellement dégarnie de troupes. Les Dalmates, toujours en lutte avec César, depuis les temps de son proconsulat des Gaules ; les insulaires de la forte cité d’Issa (Lissa), et maints autres peuples se tournent du côté de Pompée : César n’y comptait plus de partisans que dans Salone (Spalato) et Lissos (Alessio). Les gens de Salone soutinrent bravement un siège ; et réduits à toute extrémité, ils firent une sortie heureuse, si bien qu’Octavius rebuté leva le camp et s’en alla hiverner à Dyrrachium[85].

Si considérables que fussent les succès de la flatte pompéienne en Illyrie, ils n’influaient pourtant pas puissamment sur l’ensemble des opérations : ils semblent se réduire même à néant, quand l’on voit que dans toute cette année 705 [49 av. J.-C.], si remplie d’événements immenses, ils furent les seuls faits militaires à placer au compte des forces de terre et de mer qui obéissaient directement à Pompée. Rien ne vint de l’Orient, où tout s’amassait contre César, général en chef, Sénat, deuxième grande armée, grandes flottes, approvisionnements militaires, énormes ressources financières. A l’heure du besoin, l’Occident ne reçut nul secours. Sans l’excuser, tout à fait, on expliquera, je le veux, cette inaction funeste des soldats de terre, par l’absence de concentration des forces militaires éparpillées encore dans toute la moitié orientale de l’Empire, par la méthode même de Pompée, qui ne voulut jamais se mettre en mouvement, tant qu’il n’avait pas la supériorité écrasante du nombre, par son indécision et sa lenteur naturelle, par les dissensions même des coalisés entre eux. Encore avait-on la flotte maîtresse sans conteste de la Méditerranée, et qui ne fit rien pour arrêter ; les événements, rien pour défendre l’Espagne, rien ou presque rien pour la fidèle Massalie, rien pour la Sardaigne, la Sicile, l’Afrique ; et qui, sans tenter de reconquérir l’Italie, aurait pu bien facilement lui couper les vivres ! La confusion, le désordre étaient-ils donc au comble dans le camp des Pompéiens ? Impossible de s’en rendre suffisamment compte, si fondée que s’en impose la conviction ! — Jugeons du moins la situation par les résultats de la campagne. César avait pris la double offensive en Espagne, en Sicile et en Afrique ; là, il avait complètement réussi ; ailleurs, son succès était mélangé de male fortune : mais, en reprenant la Sicile, il avait, dans son objet principal, anéanti le plan de Pompée, qui voulait affamer l’Italie : en détruisant l’armée constitutionnelle d’Espagne, il avait rendu impossible son grand mouvement combiné : en Italie enfin, les préparatifs de défense restaient, à très peu près, intacts. Malgré de sensibles pertes en Afrique et en Illyrie, à la fin de la première année de la guerre, César avait décidément et décisivement campagne gagnée. Mais, tandis qu’ils n’avaient fait aucun sérieux effort, en Orient, pour arrêter la marche conquérante de César dans l’ouest, les Constitutionnels avaient voulu, du moins, mettant à profit un répit honteusement gagné, se consolider, autant qu’il était en eux, dans leurs positions et, politiques et militaires. La Macédoine était le grand rendez-vous des Anti-Césariens. Là étaient venus Pompée et la masse des émigrés de Brindes : là, tous les autres fugitifs arrivant de l’ouest, Marcus Caton, de Sicile, Lucius Domitius, de Massalie, et d’Espagne surtout une foule d’excellents officiers et soldats de l’armée dissoute, Afranius et Varron, leurs anciens généraux, en tête. En Italie, l’émigration aristocratique n’était pas seulement affaire d’honneur, mais de mode : elle avait pris un élan nouveau, quand arrivèrent les nouvelles défavorables des embarras de César devant Ilerda : les tièdes eux-mêmes, les politiques, qui avaient nagé entre deux eaux, rejoignaient. peu à peu : enfin Cicéron avait fini par se convaincre lui-même qu’à vouloir satisfaire pleinement à son devoir de bon citoyen, il ne suffisait pas d’écrire quelque beau traité sur la Concorde. Le Sénat des fugitifs siégeait à Thessalonique, où la Rome officielle tenait ses états généraux par intérim. Il comptait environ 200 membres, vieillards blanchis par l’âge, pour la plupart ; et presque tous consulaires. Toujours est-il qu’ils n’étaient que des émigrés. Le Coblentz romain, d’ailleurs, affichant toutes les hautes prétentions du beau monde de la capitale, faisait comme lui pauvre mine au jour. de l’action : réminiscences inopportunes, récriminations plus inopportunes encore, corruption et sottise politique, misères financières enfin, rien ne manquait au tableau. C’était bien le moins qu’à l’heure où s’écroulait l’édifice antique de la Constitution, les émigrés prissent à tâche d’en sauver avant tout les vieilleries usées et rouillées : pour comble de ridicule, on les entendit un jour, saisis d’un scrupule de conscience, et n’osant prendre le nom de Sénat hors de l’enceinte sacrée de Rome, se donner prudemment une autre appellation : les Trois Cents ![86] Et puis, les voilà qui instituent de. longues procédures de droit public. Une loi curiate se peut-elle faire ailleurs qu’au Capitole ? Où et comment la décréter ? — Mais le plus grand mal était dans l’indifférence des tièdes, et dans les colères stupides des ultras. Impossible d’amener les premiers à se remuer, ou seulement à se taire. Leur demandait-on quelque service dans l’intérêt commun, aussitôt, avec cet esprit d’inconséquence, qui est le propre des gens faibles, ils tenaient la mise en demeure pour une méchanceté calculée en vue de les compromettre davantage, et ils n’agissaient point ou n’agissaient presque qu’à contrecœur. Naturellement, avec leur science meilleure, venant trop tard toujours, avec leur génie suprême de l’inexécution, ils étaient un fléau, à chaque heure, pour les hommes d’action. Tout critiquer, affaire petite ou grande, bafouer, déplorer, décourager ou énerver la foule par leur propre abattement ou leur attitude désespérée, voilà leur œuvre ! Si telle était l’atonie chez les faibles, chez les ultras l’exaltation[87] débordait. Ici, on professait hautement qu’avant de par Ier de paix, il fallait qu’on apportât la tête de César[88]. Les tentatives essayées par César jusqu’à ce moment extrême et à tant de reprises, on les repoussait sans y vouloir regarder : on en profitait toutefois pour attenter perfidement à la vie de ses envoyés. Que les Césariens déclarés jouassent le gros enjeu de leurs corps et de leurs biens, cela se comprend : mais aux gens restés neutres, absolument ou à demi, on ne faisait pas meilleure part [B. C., 1, 31]. Lucius Domitius, le héros de Corfinium, ouvrit sérieusement, en plein conseil de guerre, la proposition suivante : Les Sénateurs, combattant dans les légions de Pompée, feront passer par les votes tous ceux qui sont demeurés neutres, et tous ceux qui, ayant émigré, n’ont point rejoint l’armée : selon les cas, ces hommes seront ou acquittés, ou condamnés soit à l’amende, soit à la mort avec confiscation[89]. Un autre se levant un jour[90], accusa en forme, devant Pompée, Lucius Afranius. Ayant mal défendu l’Espagne contre César, Afranius était, coupable de corruption et de trahison. Chez ces républicains bon teint[91] l’idée politique revêtait le caractère d’un dogme religieux : contre les tièdes du parti, contre Pompée lui-même et son entourage, ils nourrissaient plus de colère encore, s’il était possible, que contre leurs adversaires déclarés : ils les haïssaient de cette stupide haine fréquente chez les théologiens ultra orthodoxes : enfin, dans ces querelles innombrables, amères, qui divisaient en groupes hostiles et le Sénat et l’armée des émigrés, ils étaient à la fois les instigateurs et les coupables. Et ils ne s’en tenaient point aux mots. Marcus Bibulus, Titus Labienus et ceux de leur coterie, joignant la pratique à la théorie, massacraient en masse tous les officiers et soldats de César qui leur tombaient dans les mains, cruautés qui n’étaient rien moins que faites, on le comprend, pour ôter aux Césariens leur énergie sous les armes. Si, pendant que César était hors d’Italie, la contre-révolution constitutionnelle n’y leva jamais son drapeau, alors pourtant que l’élément contre-révolutionnaire y était en force, la cause en est, selon le dire même des ennemis plus clairvoyants de César, dans l’inquiétude générale et profonde que suscitaient ces Républicains extrêmes, prêts à lâcher bride à leurs fureurs au lendemain d’une restauration. Les honnêtes gens du camp de Pompée étaient au désespoir en face de pareilles folies. Pompée, brave soldat de sa personne, épargnait les captifs, quand il osait et pouvait : mais pusillanime qu’il était, et se sentant dans une situation fausse, il ne savait point faire œuvre de général en chef, et empêcher ou punir de telles abominations. Un seul homme lutta avec une énergie meilleure, Marcus Caton. Lui, du moins, il entrait dans le champ avec la droiture de ses mœurs ; et grâce à ses efforts, le Sénat des émigrés, par décret exprès, interdit le pillage des villes sujettes, et la mise à mort des citoyens ailleurs que dans la mêlée des combats[92]. Ainsi encore pensait le vaillant Marcus Marcellus. A la vérité, mieux que personne ils savaient combien, dans la soi-disant mission de salut qu’ils s’arrogent, les partis excessifs vont jusqu’au bout de la route, en dépit même de tous les sénatus-consultes du monde. Que si, à l’heure encore où la prudence eut conseillé la modération, la fureur des ultras ne se laissait déjà plus contenir, pouvait-on, après la victoire, s’attendre à autre chose qu’à un régime de terreur tel qu’il eût fait reculer Marius et Sylla ? Et l’on se rend compte du sentiment qui fit dire à Caton que le triomphe des siens l’effrayait plus que leur défaite.

La direction des préparatifs militaires, dans le camp de Macédoine, appartenait au général en chef. Difficile et entourée d’entraves qu’elle était par elle-même, la situation de Pompée n’avait fait qu’empirer après les événements malheureux de l’an 705 [49 av. J.-C.]. Aux yeux du parti, la faute en revenait principalement à lui : mais le parti jugeait mal, à beaucoup d’égards. L’issue malheureuse de bien des combats était due, sans nul doute, à l’ineptie, au défaut d’autorité des lieutenants, de Lentulus et de Domitius entre autres. Du jour où Pompée avait pris le commandement en personne, il avait habilement et bravement conduit l’armée : tout au moins avait-il sauvé du naufrage des forces considérables. C’était se montrer injuste que de lui reprocher de n’être point égal à César, en qui tout le monde aujourd’hui reconnaissait un génie supérieur. Quoi qu’il en soit, le succès seul en décidait. Ayant foi naguère en Pompée, lés constitutionnels avaient rompu avec César : aujourd’hui les suites déplorables de la rupture retombaient sur l’homme de leur choix. Non qu’ils songeassent à donner le commandement à un autre (chez les autres chefs on n’eût trouvé qu’incapacité notoire), mais la confiance dans le général en chef était comme paralysée désormais. Aux douleurs des défaites subies venaient s’ajouter les funestes effets de l’émigration. Parmi les fugitifs affluant au camp, on comptait beaucoup d’excellents soldats, beaucoup d’officiers capables, notamment ceux de l’ancienne armée d’Espagne : mais le nombre était petit de ceux qui venaient pour servir et se battre : ils disparaissaient perdus dans la foule énorme, effrayante, des généraux de salon qui se disaient Proconsuls, Imperators, au même droit que Pompée, et des élégants du beau monde, jetés plus ou moins à contrecœur dans la vie militaire active. Ils avaient apporté au camp les habitudes de la capitale, chose fâcheuse pour l’armée : leurs tentes se changeaient en aimables cabinets de verdure, au sol recouvert de frais gazons, aux parois garnies de lierre : la vaisselle d’argent chargeait leurs tables ou, dès le jour levant, circulaient les coupes. Quel contraste entre ces guerriers parfumés et les rudes grognards nourris d’un pain grossier à faire peur à leurs adversaires, quand encore à défaut de pain, ils ne vivaient pas de racines, et jurant qu’ils mâcheraient l’écorce des arbres, avant de céder d’une semelle [B. c., 3, 96,49]. Tenu déjà à toutes sortes d’égards nécessaires envers d’autres magistrats ses collègues, envers tout un corps mal affectionné à sa personne, Pompée se sentait les bras liés, et ce fut bien pis encore, quand il les vit se réunir jusque dans son prétoire, pour ainsi dire et dans de longues séances épancher les âcres venins que l’émigration fomente. Ajouterai-je qu’il n’était ni assez haut d’intelligence, ni de cœur assez ferme pour surmonter l’obstacle ? Il allait comme toujours, lent, embarrassé, caché. M. Caton, sans doute, avait une autorité morale suffisante, et en cas qu’on requît son assistance, son bon vouloir était de même assuré. Mais loin de l’appeler à l’aide, Pompée, méfiant et jaloux, le tenait à l’arrière-plan : dans la question si importante du. commandement en chef de la flotte, il lui avait préféré Bibulus, l’homme incapable, à tous les points de vue. Ainsi, en tout ce qui tient à la politique, autant d’actes, autant de fautes, fautes conformes à son génie ; et sous sa main, les choses, en mauvaise voie déjà, s’en allaient de mal en pis. Ailleurs pourtant, il fit preuve d’un louable zèle ; et quand il s’agit de l’organisation des forces militaires, disséminées mais nombreuses, des constitutionnels, il se montra à la hauteur de sa tâche.

Le noyau de son armée consistait dans les troupes amenées d’Italie : grossies des soldats de César capturés en Illyrie ; et des Romains résidant en Grèce, elles formaient cinq légions. Il lui en vint trois autres d’Orient, les deux légions de Syrie, formées des débris de l’armée de Crassus, et une troisième comprenant les deux faibles légions de la station cilicienne fondues dans ses cadres. Nul inconvénient au rappel de ces corps. Les Pompéiens alors étaient en bonne intelligence avec les Parthes ; et l’on aurait pu même en venir à l’alliance formelle, si Pompée n’avait point, à contrecœur peut-être, refusé d’en payer le prix demandé, à savoir, la rétrocession de la province de Syrie, jadis annexée par lui à l’Empire[93]. César, de son côté, avait voulu envoyer deux de ses légions en Syrie, pour y reconduire le prince Aristobule, qu’il avait trouvé captif dans Rome, et pour soulever de nouveau les Juifs[94]. Mais diverses causes, et surtout la mort d’Aristobule, firent échouer son projet. La Crète et la Macédoine fournirent un certain nombre de vieux soldats, fixés dans ces pays : ils formèrent une légion : les Romains d’Asie-Mineure en fournirent deux autres. A ces onze légions pompéiennes se joignirent 2.000 volontaires, débris des vieilles troupes d’Espagne ou provenant d’ailleurs, et enfin les contingents des pays sujets. Comme César, Pompée n’avait pas jugé utile de demander à ceux-ci de l’infanterie : seulement, il confia la garde des côtes aux milices épirotes, étoliennes et thraciques : de plus, 3.000 sagittaires grecs et asiatiques, et 4.200 frondeurs étaient arrivés en troupes légères auxiliaires. — Pour ce qui est de la cavalerie, à l’exception de la jeune aristocratie romaine, sorte de garde noble plus nombreuse que solide, et des esclaves-pasteurs d’Apulie, que Pompée avait mis à cheval, elle était exclusivement formée des contingents des sujets et clients de Rome. Elle avait pour noyau des bandes celtiques, les unes tirées de la garnison d’Alexandrie, les autres fournies par le roi Dejotarus, venu en personne à leur tête, malgré son grand âge, ou par la plupart des dynastes plates. D’autres corps s’y joignirent : les chevau-légers excellents de la Thrace, conduits en partie par leurs princes Sadala et Rhaskyporis, en partie levés par Pompée lui-même dans la province de Macédoine, le contingent équestre de la Cappadoce, les archers montés [hippotoxotæ] envoyés par Antiochus, roi de Commagène, une troupe d’Arméniens, d’en deçà de l’Euphrate, sous Taxile, une autre d’Arméniens, d’au delà du même fleuve, sous Mégabatès, et enfin un escadron des Numides du roi Juba : le tout, faisant 7.000 chevaux[95].

La flotte n’était pas moins nombreuse. On y voyait les vaisseaux romains amenés de Brindes ou construits plus tard, ceux des rois d’Égypte, des princes de la Colchide, du dynaste cilicien Tarchondimotos[96], des villes de Tyr, de Rhodes, d’Athènes, de Corcyre, et surtout de toutes les villes maritimes grecques et asiatiques. Elle comptait 500 voiles, dont les navires romains faisaient le cinquième. D’immenses approvisionnements en armes, munitions et vivres étaient entassés dans Dyrrachium. La caisse de l’armée était pleine. Les Pompéiens étaient maîtres des principales sources du revenu public ; mettant à profit les richesses des princes clients, des plus illustres Sénateurs, des Publicains, et puisant dans les coffres de tous les citoyens romains qui résidaient en Orient. Afrique, Égypte, Macédoine, Grèce, Asie Occidentale et Syrie, partout où s’étendaient l’autorité du gouvernement légitime de Rome, et le crédit tant vanté de Pompée sur les rois et les peuples clients, la République constitutionnelle mettait tout à contribution pour sa défense. Enfin, en Italie, il n’y avait aucune exagération à dire que Pompée armait contre la Rome de César, les Gètes, les Colchidiens et les Arméniens[97], ou à lui donner au camp le titre de roi des rois[98]. — Somme toute, il commandait à une armée de 7.000 cavaliers et de onze légions, dont cinq parfaitement aguerries, et enfin à une flotte de 500 vaisseaux. Chez le soldat, bien payé, bien traité par ses soins, ayant la promesse, en cas de victoire, de largesses infinies, l’esprit était bon généralement, souvent même et parmi les plus valeureux corps, excellent. Pourtant, une grande partie de l’armée ne se composait que de recrues à former et exercer. Si activement qu’on s’en occupât, c’était là une oeuvre de temps. Somme toute, une masse bariolée peut-être, mais dans l’ensemble imposante.

Dans l’intention de Pompée, la flotte et l’armée devaient se tenir le long de la côte et dans les eaux d’Épire, massées et reliées ensemble pendant tout l’hiver (705-706 [49-48 av. J.-C.]). Déjà, Bibulus, son amiral, avait gagné son nouveau poste de Corcyre, avec 110 vaisseaux. Mais l’armée de terre, qui, pendant l’été, avait stationné à Berrhœa, sur l’Haliacmon[99], restait encore en arrière : elle se mouvait lentement sur la grande voie [Egnatienne] qui va de Thessalonique à la côte occidentale et à Dyrrachium, ses futurs quartiers ; et quant aux deux légions que Metellus Scipion amenait de Syrie, elles hivernaient en Asie-Mineure, à Pergame, attendant la venue du printemps. C’était en prendre bien à son aise. Les ports de l’Épire, au premier moment, n’avaient, pour se défendre, outre la flotte, que les milices locales, et les quelques levées faites dans les pays voisins.

Ainsi l’on s’explique comment César, ayant eu sur les bras dans l’intervalle la rude guerre espagnole, arrivait encore à temps pour prendre l’offensive. Lui, du moins, il ne perd pas une heure. Il avait, de longue main, préparé ses transports et réuni des navires de guerre à Brindes. Aussitôt la capitulation de l’armée d’Espagne et de Massalie, ses plus solides troupes, devenues disponibles, furent dirigées vers ce point. Il avait demandé à ses hommes des efforts inouïs. Aussi, les fatigues, bien plus que les combats, avaient diminué leurs rangs. L’une de ses quatre plus vieilles légions, la neuvième, passant par Plaisance, s’était laissée aller à la mutinerie, dangereux symptôme de l’état des esprits dans son armée : à force de présence d’esprit, d’énergie et d’autorité, il comprima le mal[100], et rien ne s’opposait plus à leur départ. Mais, de même qu’en mars précédent, il n’avait pu poursuivre Pompée, de même, le petit nombre de ses navires paralysait aujourd’hui l’expédition projetée. Les vaisseaux commandés dans les arsenaux des Gaules, de Sicile et d’Italie n’étaient pas prêts encore, ou n’étaient point arrivés à Brindes : l’escadre de l’Adriatique avait péri, l’année d’avant, dans les eaux de Curicta : il n’avait sous la main que 12 vaisseaux de guerre, et quelques navires de charge, à peine en nombre. suffisant pour recevoir et transporter en Grèce le tiers de son armée, qui comptait alors 12 légions et 10.000 chevaux. L’ennemi avec ses nombreuses flottes commandait toute l’Adriatique, tous les ports et les îles de la côte orientale. On se demande, les choses étant ainsi, pourquoi César, au lieu de la voie de mer, n’avait pas pris celle de terre par l’Illyrie[101] : il évitait par là, tous les dangers qui le menaçaient du chef de l’amiral ennemi, et pour ses troupes, revenant la plupart des Gaules, le chemin eût été plus court que le détour par Brundisium. Sans doute, l’Illyrie était affreusement rude et pauvre : mais, combien d’armées ne l’ont pas traversée peu après ! Et puis, était-ce là un obstacle qui dût paraître invincible au conquérant des Gaules ? Sans doute, j’imagine, César a pu craindre que, pendant qu’il s’avancerait péniblement en ‘contournant le fond de l’Adriatique, Pompée ne se jetât avec, toutes ses forces de l’autre côté de lamer, et renversant les rôles, n’allât occuper l’Italie, pendant que son adversaire s’enfonçait en Macédoine. Mais, chez Pompée, l’homme lent par excellence, un mouvement si brusque, un tel coup d’audace était-il bien à prévoir ?[102] Peut-être qu’en prenant son parti, César avait espéré, pouvoir réunir à temps une flotte respectable : peut-être aussi ne connut-il le véritable état des choses. qu’à son retour d’Espagne, alors qu’il était trop tard pour modifier ses plans. Peut-être enfin (très vraisemblablement, devrait-on dire, quand l’on songe à son génie plein d’ardeur et de rapide décision), qu’il céda, ce jour-là, à l’irrésistible tentation qui s’offrait de se jeter soudain, témérairement même, à la traverse du dessein de Pompée, et d’occuper à l’improviste la côté de l’Épire, où, sous peu, l’ennemi voulait se, porter en masse. Quoi qu’il en soit, le 4 janvier 706 [48 av. J.-C.][103], César mit à la voile avec six légions, fort affaiblies [in fréquentiores] par l’excès des fatigues et des maladies, et avec 600 cavaliers [B. c., 3, 2]. On fit route droit sur la côte d’Épire. C’était le pendant de l’imprudente descente en Bretagne. Ce nouveau dé jeté, le coup fut d’abord heureux. On atterrit sous les roches Acrocérauniennes (ou de Chimara)[104], dans la rade infréquentée de Paleassa (Paljassa aujourd’hui). Les Pompéiens avaient vu passer la flottille, et d’Oricum (baie d’Avlona), où ils avaient 18 vaisseaux à l’ancre, et aussi du quartier général de la flotte, à Corcyre. A Oricum, on se crut trop faible : à Corcyre, on n’était point prêt à mettre à la voile. Le premier convoi s’effectua sans empêchement, et les troupes débarquèrent. Pendant que ses navires se remettaient en mer pour aller prendre un second chargement, César franchit le soir même les Monts Aerocérauniens. Ses succès, au début, furent grands, aussi grands que la surprise de l’ennemi. Nulle part les milices épirotes ne font résistance : les places maritimes importantes d’Oricum (Eriko) et d’Apollonie [à l’embouchure de l’Aoiis, aujourd’hui la Vojussa], une foule d’autres localités de la côte se soumettent ; et Dyrrachium (Durazzo), la principale place d’armes des Pompéiens, Dyrrachium, remplie de munitions de toutes sortes, court les plus grands dangers, avec sa faible garnison.

Mais la suite de la campagne ne répondit point à ses débuts éclatants. Bibulus, coupable de négligence à la première heure, redoubla d’efforts et répara ses fautes en partie. Capturant d’abord trente transports environ qui s’en retournaient à Brindes, il les fit tous brûler, corps, biens et équipages : puis, il établit sur toute la côte, de l’île Sason (Saseno) à Corcyre, la surveillance la plus étroite, malgré la rigueur de la saison, malgré la difficulté du ravitaillement de ses croiseurs, auxquels il fallait tout apporter de Corcyre, jusqu’au bois et à l’eau. Il mourut bientôt, épuisé par tant de fatigues inaccoutumées [B. c., 3, 7-8 & 18]. Libo, son successeur, parvint à bloquer quelque temps le port de Brindes, jusqu’à ce qu’enfin le manque d’eau le chassât lui-même de l’îlot placé au débouché du port, où il s’était posté. Impossible aux officiers de César de lui amener le second corps d’armée [B. c., 3, 23-24]. Quant à lui, il n’avait pas pu s’emparer de Dyrrachium. Les messagers de paix qu’il avait envoyés à Pompée avaient appris à celui-ci les préparatifs de son adversaire, et sa descente prochaine sur la côte de l’Épire[105]. Accourant à marches forcées, il avait pu se jeter encore à temps dans l’importante place d’armes. La position de César devenait critique. Quoiqu’il s’étendit en Épire aussi loin que le lui permettait l’exiguïté de ses forces, ses subsistances n’étaient ni faciles ni assurées, pendant que les Pompéiens, en possession des magasins de Dyrrachium et maîtres de la mer, avaient toutes choses en abondance. A la tête de quelque 20.000 au plus, comment offrir le combat à une armée du double supérieure ? César dut s’estimer heureux d’avoir affaire à un antagoniste méthodique, comme était Pompée. Celui-ci, au lieu d’en venir aux mains sans tarder, avait planté, son camp d’hiver sur la rive droite de l’Apsos [Beratino], entre Dyrrachium et Apollonie. Là, ayant César en face de lui sur la rive gauche, il attendait le printemps, comptant l’écraser alors sous le poids irrésistible de ses forces, augmentées des légions qui arrivaient de Pergame. Les mois se passaient. S’il laissait la belle saison s’ouvrir ; s’il recevait enfin les puissants renforts, attendus, et retrouvait le libre usage de sa flotte, la position de César n’ayant point changé, celui-ci semblait voué à la destruction, emprisonné qu’il était avec sa petite armée dans les rochers de l’Épire, entre les innombrables navires de l’ennemi, et sa grosse armée de terre. Déjà l’hiver tirait à sa fin. On n’avait plus d’espoir que dans les transports : comment, sans témérité folle, tenter de forcer les lignes du blocus, soit les armes à la main, soit à l’aide de la ruse ? Et pourtant, après l’audace inouïe du premier débarquement, une seconde et pareille audace était devenue nécessité. César, mieux que personne, sentait quel jeu désespéré il jouait. Un jour, dit-on, il voulut, impatient des retards de sa flotte, retraverser la mer, tout seul ; dans une barque de pêcheur, et s’en aller chercher son monde à Brindes. Entreprise insensée, qu’il aurait abandonnée faute d’un nautonier[106] !

Quoi qu’il, en soit, il n’était pas besoin qu’il se montrât en Italie. Le fidèle lieutenant qu’il y avait laissé, Marc Antoine, n’hésita pas à dégager et sauver son chef à tout prix. Les transports quittèrent une seconde fois le port Brindes, portant k légions, 800 cavaliers, et par une heureuse fortune, fuyant devant un vent violent du sud, elles défilèrent devant les galères de Libon. Mais, en même temps qu’il protégeait l’escadre, le vent l’empêchait d’aborder, comme elle en avait l’ordre, sur la côte d’Apollonie : elle passa en vue des camps de César et de Pompée, et gouverna, au nord de Dyrrachium, sur Lissos, dont les habitants heureusement encore tenaient pour César[107]. A la hauteur de la rade de Dyrrachium, les galères rhodiennes s’élancèrent à force. de rames à sa poursuite : Antoine n’eut que le temps d’entrer dans le port de Lissos ; déjà l’escadre ennemie se mon-trait. A ce moment le vent tourna tout à coup, et refoula les croiseurs ; quelques uns même allèrent aux rochers de la côte. Par un prodige de bonne fortune, le second convoi des Césariens avait pu atteindre l’Épire. Antoine et César étaient ; il est vrai, à quatre jours de marche l’un de l’autre, Dyrrachium et toute l’armée de Pompée entre les deux. Mais Antoine accomplissant une marche périlleuse par les passes du Graba Balkan, tourna la forteresse et rejoignit, sur la rive droite de l’Apsos, César qui de son côté venait à lui. Pompée avait en vain tenté d’empêcher la réunion des deux corps ennemis, et de contraindre Antoine à subir seul le combat[108]. Il s’en alla se poster ailleurs, près d’Asparagion, sur le Genusos (Uschkomobin), torrent qui coule parallèlement à l’Apsos, entre celui-ci et Dyrrachium : là, il se tint de nouveau immobile[109]. César se sentait assez fort maintenant pour livrer bataille : il ne put y entraîner son adversaire. En revanche il sut le tromper, et répétant avec ses troupes, meilleures marcheuses, la manœuvre d’Ilerda, il se glissa entre la place et le camp de Pompée, qui s’appuyait sur elle. La chaîne du Graba Balkan, qui va de l’Est à l’Ouest, se termine à l’Adriatique, en y projetant l’étroit promontoire de Dyrrachium : à trois milles à l’est de la ville, il s’en détache un tronçon qui, décrivant une ligne courbe vers le sud-est, va pareillement vers la mer : entre la chaîne principale et son prolongement secondaire, s’étend une petite plaine fermée jusqu’aux récifs du rivage. Là Pompée alla planter son camp ; et quoique séparé de Dyrrachium par les Césariens, du côté de terre, il restait par sa flotte en communication constante avec la place ; il en tirait facilement et en abondance tous les approvisionnements dont il avait besoin. Quant aux Césariens, malgré les forts détachements qu’ils lançaient dans le pays derrière eux, malgré tous les efforts de leur général, leurs hommes du train ne marchaient pas régulièrement, tant s’en faut, et par suite les munitions ne leur arrivaient point à heure fixe : de là la gêne et la souffrance : au lieu du blé de froment, nourriture habituelle des troupes, il leur fallait souvent vivre de viande, d’orge ou même de racines[110]. César veut avoir raison de l’obstination passive de son flegmatique rival. Il occupe tout le cercle des hauteurs qui environnent la plage où campe Pompée dans son camp. Il annulera ainsi la cavalerie ennemie, supérieure à la sienne ; il pourra sans crainte opérer contre Dyrrachium, ou encore il obligera Pompée à se battre ou même à s’embarquer. Mais déjà la moitié presque des Césariens avait été détachée à l’intérieur, et c’était courir une dangereuse aventure que de vouloir tenir assiégée une armée du double environ plus nombreuse, compacte et s’appuyant sur la mer et sur sa flotte[111]. Les vétérans de César ne s’en mirent pas moins à l’œuvre. Au prix d’indicibles labeurs, ils enfermèrent le camp pompéien dans une ligne de redoutes de trois milles et demi [allem. = 7 lieues] : puis, comme à Alise, à cette circonvallation intérieure, ils ajoutèrent une contrevallation au dehors, pour se couvrir contre la garnison de Dyrrachium et les attaques à revers, si faciles pour Pompée, grâce à sa flotte. Celui-ci tenta souvent, se jetant sur une redoute, puis sur une autre, de rompre les lignes : mais il n’en vint point à la bataille générale, et loin d’empêcher son propre investissement, il construisit à son tour devant son camp un certain nombre de redoutes, réunies entre elles par un retranchement continu. Des deux côtés on se fortifiait, poussant devant soi aussi loin que faire se pouvait. Interrompus sans cesse par les combats partiels, les travaux n’avançaient que lentement. Les Césariens, d’autre part, avaient affaire sur leurs derrières aux gens de Dyrrachium : César avait noué des intelligences dans la place et espérait s’en rendre maître : la flotte ennemie l’en empêcha. Ainsi, sur tous les points on avait les armes à la main : un jour, le plus chaud de tous, on se battit en six endroits à la fois. Habituellement, grâce à leur valeur éprouvée, les soldats de César avaient le dessus dans ces escarmouches ; et l’on vit même une simple cohorte, dans ses lignes, tenir tête durant plusieurs heures à quatre- légions, qui reculèrent enfin lorsque arriva du secours[112]. D’aucun côté, nul succès décisif : mais peu à peu les Pompéiens investis souffraient. En détournant les ruisseaux qui tombaient des montagnes dans la plaine, César les réduisait à l’eau des sources, rare et mauvaise à boire [B. c., 3, 49.]. Ils souffraient davantage encore du manque de fourrage pour les bêtes de train et les chevaux, la flotte n’y pouvant suffisamment pourvoir. Comme les animaux mouraient en masse, on les fit transporter à Dyrrachium : mais là aussi ils trouvèrent la disette [Ibid., 3, 58]. Pompée ne pouvait plus différer. A tout prix, il lui fallait frapper un grand coup et se dégager d’une position devenue difficile. A ce moment il apprit par des transfuges gaulois que César avait omis de fermer sur la plage par une muraille transversale ses deux lignes de redoutes, distantes de 600 pieds l’une de l’autre[113]. Là-dessus, il bâtit son plan. Il fait attaquer les lignes intérieures par les légions sorties du camp, celles extérieures par les légions de la flotte, débarquées exprès au-delà des retranchements : en même temps un troisième corps se jette dans l’intervalle entre les redoutes et prend à dos l’ennemi déjà tout à la défense. Les retranchements voisins de la mer sont enlevés, et la garnison s’enfuit en désordre : Marc Antoine qui commande dans la seconde redoute a grande peine à s’y tenir : pour le moment, il arrête le torrent, mais César n’en a pas moins perdu beaucoup de monde : la tête de ses lignes sur la plage demeure aux mains des Pompéiens, et le blocus est rompu[114]. César n’en était que plus ardent à saisir la première occasion. qui pourrait s’offrir : à peu de temps de là, il se jette avec le gros de son infanterie sur une légion pompéienne imprudemment lancée en avant ; celle-ci résiste bravement : on se bat sur un terrain difficile, tout jalonné par les camps des divers corps, grands ou petits, et coupé en tous sens par les revêtements et les fossés ; bientôt l’aile droite et la cavalerie de César s’égarent et au lieu de soutenir l’attaque de l’aile gauche, elles vont se, perdre dans un étroit fossé qui va de l’un des anciens campements à la. rivière voisine. Sur ces entrefaites, Pompée accourt à la rescousse avec cinq légions : il trouve l’armée de César séparée en deux, avec une de ses ailes gravement compromise. En le voyant en force, les Césariens se prennent d’une soudaine panique : ils s’ébranlent, fuient en masse : César perd là mille de ses meilleurs soldats, heureux d’avoir échappé à une défaite complète. L’armée ne dut son salut qu’à l’excessive prudence de Pompée qui lui-même n’avait pu se déployer sur ce terrain, et qui, redoutant une ruse de guerre, arrêta court ses soldats au lieu de poursuivre l’ennemi[115].

César n’avait pas seulement fait de sensibles pertes et vu d’un seul coup tomber ses lignes et ces travaux de géants qui lui avaient coûté quatre mois : au lendemain des derniers combats livrés, il se trouvait juste ramené au point de départ. Plus que jamais, la mer lui était fermée, surtout depuis que l’aîné des fils de Pompée, Gnæus, surprenant quelques navires de guerre Césariens dans le havre d’Oricum, les avait hardiment attaqués, brûlés en partie, en partie capturés, puis, presque aussitôt, avait de même réduit en cendres les transports laissés dans Lissos [B. c., 3, 40]. Impossible désormais d’attendre de Brindes de nouveaux renforts venant par mer.

La cavalerie nombreuse de Pompée, dégagée maintenant de tous les obstacles, se répandait aux alentours et allait couper César de ses approvisionnements déjà si difficiles. Il y avait eu plus que de l’audace à. César à prendre, sans flotte, l’offensive contre un ennemi qui tenait la mer, et l’insuccès était complet. Sur le terrain qu’il s’était choisi, il s’était heurté contre des obstacles défensifs invincibles. Il ne fallait plus songer à donner l’assaut à Dyrrachium ou à livrer à l’armée pompéienne une bataille décisive. Pompée, au contraire, n’était-il pas le, maître de choisir l’occasion et l’heure et de se jeter sur son rival en péril de famine ? La guerre était à son solstice. Jusque là, Pompée avait joué, ce semble, sans avoir son jeu à soi, arrangeant sa défense selon l’attaque de chaque jour. En quoi il n’était point dans son tort, car à faire durer la guerre il façonnait ses recrues, il laissait à ses réserves le temps d’accourir, il assurait et développait la prépondérance écrasante de sa : flotte dans les eaux de l’Adriatique. Néanmoins les échecs de César devant Dyrrachium n’eurent point les conséquences fatales que son rival était fondé, peut-être, à en attendre : quand on les croyait en pleine dissolution, sous l’étreinte de la faim ou par l’effet de la révolte, les vétérans de César attestèrent cette fois encore leur magnifique énergie militaire. Quoi qu’il en soit, César était battu sur le champ de bataille, battu dans sa grande opération stratégique : il semblait qu’il ne pût ni se tenir là où il campait, ni changer utilement sa position :

Pompée était vainqueur à lui appartenait maintenant l’offensive et il voulait la saisir. Trois moyens lui étaient ouverts pour faire fructifier sa victoire. Le premier, le plus simple de tous, consistait à ne pas laisser le vaincu respirer, à le poursuivre à outrance s’il quittait le terrain. Pompée pouvait aussi laisser César en Grèce avec sa principale armée et passer lui-même en Italie, ainsi qu’il s’y était de longue main préparé, emmenant le gros de ses troupes. Là, il avait pour lui le vent de l’opinion, décidément hostile à César, et anti-monarchique. Après le départ pour la Grèce de ses meilleurs légionnaires et de son brave et solide lieutenant, les soldats qui restaient à celui-ci dans la Péninsule ne comptaient plus guère comme un obstacle : Enfin, Pompée pouvait se jeter dans le massif hellénique, attirant à lui les légions de Metellus Scipion et, de là, revenir sur l’armée de César et l’enlever. César, aussitôt sa jonction faite avec son second corps, avait lancé de forts détachements vers l’Étolie et la Thessalie, pour aider à l’approvisionnement de son armée. Il avait aussi envoyé deux légions par la voie Égnatienne dans la direction de la Macédoine. Gnæus Domitius Calvinus, qui les commandait[116], avait ordre d’arrêter Scipion, qui s’en venait de Thessalonique sur la même chaussée, et de le battre avant qu’il eût rejoint Pompée[117]. Déjà Calvinus et Scipion n’étaient plus qu’à quelques milles l’un de l’autre quand le dernier tourna tout à,coup vers le sud, franchit rapidement l’Haliacmon (Jadsché-Karasou) et, laissant ses bagages à Marcus Favonius [le singe de Caton], poussa en Thessalie. Il comptait y écraser une légion de fraîches recrues occupées alors, sous les ordres de Lucius Cassius Longinus[118], à soumettre le pays à César. Mais Longinus passa les montagnes, descendit vers Ambracie et se rabattit sur Gnæus Calvisius Sabinus et la division d’Étolie[119]. Tout ce que put faire Scipion fut de lancer ses cavaliers Thraces à sa poursuite. Pour lui, il, dut revenir en arrière : Calvinus déjà manoeuvrait contre Favonius et les réserves de l’Haliacmon, et les menaçait à son tour comme Scipion lui-même avait menacé les Césariens de Cassius. Calvinus et Scipion se retrouvèrent donc face à face sur l’Haliacmon : ils restèrent quelque temps campés et se regardant immobiles[120].

Si Pompée avait le choix, il n’en était point de même pour César. Battu deux fois de suite, il fit retraite vers Apollonie[121]. Pompée le suivit pas à pas. Ce n’était point chose facile que de défiler ainsi de Dyrrachium à Apollonie, sur une route difficile, coupée de nombreux torrents, avec une armée vaincue, avec le vainqueur sur ses talons : mais César était là, dirigeant la marche avec son habileté ordinaire, et ses infatigables fantassins lassèrent Pompée qui s’arrêta après quatre jours d’une inutile, poursuite. Qu’allait-il décider ? Allait-il essayer la descente en Italie ? Valait-il mieux rentrer dans l’intérieur du pays ? La première entreprise était tentante : beaucoup la conseillaient[122]. Mais Pompée ne voulut pas abandonner le corps de Metellus Scipion. D’ailleurs, en prenant cette direction, il espérait rencontrer et détruire Domitius Calvinus. A cette heure, en effet, celui-ci, placé sur la voie Égnatienne, sous Héraclée de Lyncestide, se trouvait pris entre Scipion et Pompée. César, retiré sous Apollonie, était beaucoup plus loin de lui que la grande armée des constitutionnels. Calvinus ne savait rien d’ailleurs des événements de Dyrrachium ni même de son propre danger. Après les revers récents, tout le pays s’était retourné vers Pompée, et les messagers de César étaient partout enlevés. L’armée de Pompée n’était plus qu’à peu d’heures de lui quand il apprit l’état des choses par le récit des avant-postes ennemis. Aussitôt et à la minute extrême, il se dérobe à l’orage qui va fondre sur lui et se jette vers le sud. Pompée du moins avait dégagé Scipion[123]. Cependant César était arrivé à Apollonie sans combats nouveaux. Après la catastrophe de Dyrrachium, il prit de suite son parti. Il lui importait de changer le terrain de la lutte et de quitter la côte pour l’intérieur : ainsi faisant, il mettait hors de jeu la flotte de Pompée, cause finale des échecs subis dans toutes ses récentes entreprises. En regagnant Apollonie où étaient ses dépôts, il n’avait qu’un but : y mettre ses blessés en lieu sûr, et y payer leur solde à ses troupes. Cette tâche accomplie, il se remit aussitôt en marche pour la Thessalie, laissant des garnisons dans Apollonie, Oricum et Lissos[124]. De son côté, Calvinus manoeuvrait vers le même point ; enfin, les renforts d’Italie (deux légions commandées par Quintus Cornificius[125]), traversaient actuellement l’Illyrie par la voie de terre, et, allaient aussi le rejoindre en Thessalie plus aisément qu’en Épire. César remonte donc le val de l’Aoüs [la Vojoussa] par des sentiers difficiles, passe les montagnes qui font barrière entre l’un et l’autre pays [le Lacmon et le Pinde], et arrive sur le Pénée : Calvinus s’est avancé vers lui, et bientôt les deux armées, tirant au plus court, par là route la moins exposée, se trouvent réunies sous Æginion, non loin des sources mêmes du fleuve. La première place thessalienne devant laquelle on se, montre en force, Gomphi[126], a fermé ses portes : elle est aussitôt prise d’assaut et livrée au pillage : épouvantées, les autres villes du pays se rendent dès que les légions se montrent devant leurs murs. Les marches et les combats plus heureux, les vivres plus faciles sur le haut Pénée, quoique peu abondants encore, ont peu à peu fait oublier au soldat les journées malheureuses de Dyrrachium. Des misères du début, il n’est plus trace.

Ainsi s’annulaient pour Pompée les résultats premiers de ses deux victoires. Avec toute sa lourde armée, avec sa nombreuse cavalerie, il n’avait pu suivre son rapide ennemi jusque dans le massif des montagnes. César et Calvinus s’étaient dérobés tous les deux, s’étaient rejoints et occupaient en sûreté le pays de Thessalie. Peut-être eût-ce été le moment pour les coalisés de s’embarquer en masse et sans délai pour l’Italie. Le succès les y attendait. Une division de la flotte avait pris les devants et mis le cap sur la Péninsule et la Sicile[127]. Mais au camp, tout le monde croyait qu’après les victoires de Dyrrachium il y avait partie gagnée, qu’il n’y avait plus qu’à récolter une moisson mûre, qu’il fallait s’attacher à l’armée battue, et la faire captive. Aux hésitations, à l’excessive prudence d’autrefois a succédé l’excès d’une confiance moins que jamais justifiée cependant. On ne voit pas qu’on n’a pas même su poursuivre l’ennemi, qu’il faut se tenir prêt à attaquer en Thessalie une armée refaite, réorganisée et ravitaillée, et qu’il n’est point sans danger, quittant la côte, de renoncer à l’appui de la flotte, pour aller chercher l’adversaire sur le champ de bataille qu’il a choisi. Il est décidé qu’à tout prix l’on en viendra aux mains : on ira donc à César au plus vite, et par le meilleur chemin possible. Caton commande à Dyrrachium, où on lui a laissé 18 cohortes ; à Corcyre, où 300 navires sont à l’ancre. Quant à Pompée et Scipion, le premier, ce semble, filant sur la chaussée égnatienne, jusqu’à Pella, puis tournant à droite, par le grand chemin du sud, le second revenant de l’Haliacmon sur les passes de l’Olympe, ils se rejoignent dans les campagnes du Bas-Pénée, à Larissa. César était campé plus au midi, dans la plaine qui s’étend entre les collines des Cynocéphales et le mont Othrys, et que sillonnent les affluents du Pénée. Il les attendait sous Pharsale, ville située sur la rive gauche de l’un de ces cours d’eau, l’Énipéos. Pompée y vint aussi dresser son camp. sur la rive droite en face, au pied des contre-forts des Cynocéphales[128].

Il avait toute son armée sous la main. César, au contraire, attendait encore sa division de près de deux légions, détachée naguère en Étolie et en Thessalie sous les ordres de Quintus Fufius Calenus[129], en, ce rhument posté en Grèce, et les deux légions de Cornificius qui, venant d’Italie par terre, arrivaient justement en Illyrie. L’armée de Pompée, comptant 11 légions ou 47.000 hommes et 7.000 chevaux, était deux fois plus forte que celle de César en infanterie, et sept fois supérieure en cavalerie : les 8 légions de César, décimées par les fatigues et les combats, ne pouvaient mettre chacune que 2.200 hommes en ligne, soit moitié de leur effectif normal. Pompée, vainqueur jusque-là, avec sa cavalerie nombreuse et ses magasins remplis, faisait vivre son monde dans l’abondance : les Césariens, avaient peine à subsister : ils n’attendaient de meilleures ressources que de la moisson prochaine. Les Pompéiens, dans la récente campagne, s’étaient façonnés à la guerre : ils avaient pris confiance dans leurs chefs : l’esprit du soldat était excellent. Donc, chez Pompée, puisqu’on avait tant fait que de marcher droit à César en Thessalie, la raison militaire commandait d’en venir sans tarder au combat décisif : mais plus encore que la raison militaire, l’impatience, qui est le propre de toute émigration, se faisait jour dans le conseil : officiers nobles et gens du beau monde à la suite de l’armée ; tous voulaient la bataille. A leurs yeux, depuis les affaires de Dyrrachium, le triomphe de leur parti était chose accomplie : déjà l’on se disputait le Grand-Pontificat au lieu et place de César ; déjà l’on donnait commission à Rome de louer les maisons voisines du Forum, en vue des élections futures[130]. Et Pompée, s’il hésitait à attaquer, c’est qu’il voulait commander plus longtemps à la foule des prétoriens et des consulaires : c’est qu’il voulait se perpétuer dans son rôle d’Agamemnon ! — Pompée céda. César ne croyait point qu’il en adviendrait ainsi ; il avait projeté un mouvement sur le flanc de l’ennemi, et se disposait à marcher sur Scotussa : mais, voyant les Pompéiens faire leurs préparatifs, et lui offrir le combat sur la rive gauche, il rangea aussitôt ses légions. Ainsi fut livrée la bataille de Pharsale (9 août 706 [48 av. J.-C.]), sur le même lieu, où 200 ans avant, l’épée de Rome avait conquis l’Empire de l’Orient. Pompée tenait sa droite appuyée à l’Énipée. César, en face de lui, assurait sa gauche sur le terrain coupé en avant du ruisseau : les deux autres ailes ennemies s’étendaient dans la plaine, couvertes chacune par la cavalerie et les troupes légères. Le plan de Pompée était simple. Tenir son infanterie sur la défensive : lancer sa cavalerie sur les faibles escadrons qui lui faisaient face, mêlés à des fantassins légers, selon la mode des Germains. Une fois ceux-ci enfoncés et dispersés, il tournerait et prendrait à dos l’aile droite des Césariens. Son infanterie, en effet, soutint bravement le choc de César : au centre la bataille était indécise. Labienus, après une brave mais courte résistance, rompit la cavalerie césarienne, et se développant sur sa gauche, se mit en devoir de tourner les fantassins. Mais César avait prévu que ses cavaliers ne pourraient lutter, et derrière eux, sur le flanc menacé, se tenaient 2.000 de ses meilleurs légionnaires. Quand les escadrons de Pompée, poussant et chassant leurs adversaires, arrivèrent en tourbillonnant sur ses lignes, ils se heurtèrent contre une muraille vivante. Les légionnaires sans peur marchaient à eux, et leur attaque à la fois inattendue et insolite les rejeta en désordre[131]. Ils vidèrent le champ à bride abattue. Les Césariens font main basse sur les sagittaires livrés sans défense, se précipitent ensuite sur la gauche ennemie, et la prennent à revers à leur tour. Au même moment César, sur tout le front de bataille, pousse en avant sa troisième ligne tenue jusque-là en réserve. A cette défaite inattendue des meilleures troupes de Pompée, armée et général, celui-ci avant tous, perdent courage, et le courage de l’ennemi s’accroît. A peine a-t-il vu ses cavaliers battre en retraite, que Pompée, qui n’a jamais eu confiance dans son infanterie, quitte lui-même aussitôt le terrain, et se réfugie dans son camp, sans même attendre l’issue de l’attaque générale de César. Ses légions hésitent, et bientôt elles aussi, repassant le ruisseau, elles rentrent au camp, non sans d’énormes pertes. La journée était perdue : nombre de bons soldats gisaient à terre. Pourtant le gros de l’armée était sauf. César, après sa défaite devant Dyrrachium, avait’ couru de plus grands dangers. Mais il avait appris, dans les vicissitudes de sa vie, que si la fortune aime à se dérober parfois à ses favoris, c’est qu’elle veut être contrainte à force d’opiniâtre énergie. Pompée jusque-là ne l’avait connue que comme une déesse sans inconstance : il douta d’elle et de lui-même, dès qu’elle lui échappa. Chez les grandes natures, chez César, le désespoir ne fait qu’accroître l’effort : il écrase les Pompée et autres minces génies, et les précipite dans l’abîme sans fond de leur misère. Jadis, déjà, commandant l’armée contre Sertorius, Pompée avait songé à la désertion devant un ennemi plus fort. De même en ce jour, quand il vit ses légions repasser l’Énipée, il rejeta les trop lourds insignes du commandement, et remontant à cheval, s’enfuit par la route, la plus courte jusqu’à la mer, où il demanda un vaisseau. — Cependant son armée démoralisée et sans chef (Scipion, son collègue, revêtu comme lui de l’Imperium, n’était général que de nom), espérait trouver un abri derrière les murailles du camp. César ne lui laisse point de repos : en dépit de leur résistance opiniâtre, les gardes thraces et romaines sont assaillies et enfoncées, et les masses compactes des Pompéiens se retirent en désordre sur les hauteurs dé Crannon et de Scotussa, au-dessus du camp. De là, se tenant sur les crêtes, elles veulent regagner Larisse : mais les légions de César, oublieuses du butin et de la fatigue, s’avancent dans la plaine par des sentiers meilleurs, et bientôt leur ferment la route. Sur le soir, quand les fugitifs s’arrêtent, elles creusent leur fossé devant eux, et les coupent de l’unique ruisseau qui coule dans le voisinage. Ainsi finit la journée de Pharsale. L’armée de Pompée n’était point seulement battue : elle était détruite. Elle laissait 45.000 morts ou blessés sur le terrain, tandis que les Césariens avaient à peine perdu 200 hommes. Pour le reste, 20.000 au moins, il mit bas les armes le lendemain matin. Bien peu, et parmi ceux-ci les principaux officiers, cherchèrent un refuge dans la montagne : des onze aigles de l’ennemi, il en fut rapporté neuf à César. Quant à lui, de même qu’avant le combat, il avait invité les siens à épargner leurs concitoyens dans leurs adversaires, de même il ne traita pas ses prisonniers comme avaient fait Bibulus et Labienus : pourtant, dans une certaine mesure, il crut qu’il était besoin de se montrer sévère. Les simples soldats, il les enrôla dans son armée : les gens de meilleure condition subirent l’amende et la confiscation : les sénateurs et les chevaliers de marque furent mis à mort, sauf de rares exceptions. Les temps de l’indulgence étaient passés : à la laisser se prolonger, la guerre civile grandissait en atrocité irréconciliable[132].

Il s’écoula quelque temps, avant que les résultats de la bataille du 9 août 706 [48 av. J.-C.] se manifestassent complètement. Ce dont il n’y avait point à douter, tout d’abord, c’était de voir passer à César, quiconque, parmi les adhérents de Pompée, n’avait en lui cherché que le plus fort. La défaite était si décisive, que tous coururent au vainqueur, tous, hormis ceux qui, par volonté ou par devoir, luttaient encore, même pour une cause perdue. Les rois, les peuples et les villes de la clientèle pompéienne s’empressent de rappeler leurs flottes, leurs contingents en soldats, et refusent asile aux fugitifs du parti vaincu. Ainsi firent l’Égypte, Cyrène, les cités de Syrie, de Phénicie, de Cilicie et d’Asie-Mineure, Rhodes, Athènes et tout l’Orient. Sur le Bosphore, le roi Pharnace, à la nouvelle du désastre de Pharsale, pousse le zèle jusque-là que non content d’occuper Phanagorie, ville que Pompée a déclarée libre autrefois, et les territoires des princes de Colchide installés aussi par le Romain, il s’empare en outre du royaume de l’Arménie-Mineure, que Dejotarus tenait de la même main. Presque seuls, la petite ville de Mégare et Juba firent exception. Mégare assiégée par les Césariens fut emportée d’assaut. Quant à Juba, il savait de longue date que César songeait à annexer la Numidie à l’Empire : après la défaite de Curion, il n’avait plus de ménagements à attendre, et bon gré malgré il lui fallait demeurer dans la faction pompéienne. A côté des villes et cités de la clientèle, le vainqueur de Pharsale vit revenir à lui la queue du parti constitutionnel, tous ceux qui n’étaient point engagés de plein cœur, et ceux qui, à l’instar de Marcus Cicéron et de tant d’autres, ne faisaient que s’agiter sur place autour du sabbat aristocratique, comme les sorcières novices du Blocksberg[133]. C’est à qui fera sa paix avec le nouveau maître, et celui-ci la leur octroie courtoisement et de bonne grâce, indulgent toujours envers les suppliants, alors qu’il les tient en mince estime. Quant au vrai et principal noyau, aucune transaction ne se fit avec lui. L’aristocratie était morte : mais les aristocrates ne pouvaient se convertir à la monarchie. Dans la société humaine, tout s’affaisse et tout passe, même les manifestations morales les plus hautes : la religion, vérité jadis, dégénère un jour en erreur : l’édifice politique le plus beau, le meilleur, se change en oeuvre perverse. Mais l’Évangile du passé garde encore des adeptes, et si la foi en lui ne peut plus, comme la foi en la vérité douée de vie, transporter les, montagnes, elle n’en demeure pas moins jusqu’à la mort fidèle à elle-même : elle ne se retire pas de ce monde tant qu’il lui reste debout un dernier prêtre, un dernier confesseur ; elle ne disparaît enfin que quand une race nouvelle, délivrée des liens de ce passé périssable et de son dogme, s’en vient régner sur l’univers rajeuni. Rome en était là. Quelque profond que fût l’abîme de corruption où s’était englouti le régime aristocratique, on ne le peut nier, l’aristocratie avait fondé jadis un système politique grandiose : le feu sacré, par qui Rome avait conquis l’Italie et vaincu Hannibal, ce feu qui brûlait au fond des cœurs dans la noblesse romaine, si étouffé et obscurci qu’il soit, il ne s’éteindra pas tant qu’il y aura une noblesse à Rome. Entre les hommes de l’ancien régime et le monarque nouveau, il empêché toute sincère réconciliation. Quoi qu’il en soit, extérieurement au moins, une grande partie des constitutionnels fit son accommodement et reconnut la monarchie césarienne, en ce sens que César leur fit grâce et qu’ils se retirèrent autant qu’ils le purent dans l’inaction de la vie privée : d’ailleurs, ils ne restaient point sans l’arrière pensée de se réserver pour une révolution future. Ainsi se comportèrent les constitutionnels moins fameux : mais parmi ces prudents du jour vint aussi se ranger un homme énergique, Marcus Marcellus, celui qui avait provoqué la rupture avec César ; il alla vivre à Lesbos en exil volontaire. J’ajoute que chez la plupart des vrais aristocrates la passion l’emportait sur le sang-froid illusion sur les résultats encore possibles de la lutte, crainte de l’inévitable vengeance du vainqueur, tout les entraînait en des sens divers.

Nul ne jugea mieux la situation que Marcus Caton. Inaccessible à la peur et à l’espoir, lui seul il vit clair dans les douloureuses épreuves du moment. Après les journées d’Ilerda et de Pharsale, il avait acquis la conviction que la monarchie ne pouvait plus être évitée. Assez ferme et honnête pour se faire cet aveu plein d’amertume et pour agir en conséquence, il hésita d’abord et se demanda si les constitutionnels devaient rester sous les armes. La cause étant perdue, la guerre allait coûter cher à bien des victimes qui ne sauraient même plus pour qui se consommait leur sacrifice. Il se décida pourtant à lutter encore, non pour vaincre, mais pour tomber plus vite et plus honorablement. Toutefois dans la lutte nouvelle, il s’appliqua à n’entraîner personne qui pût survivre à la mort de la République, et faire accommodement avec la monarchie. Tant que la République n’avait été que menacée, pousser au combat, y contraindre même les citoyens tièdes ou mauvais était un droit aussi bien qu’un devoir : aujourd’hui il y aurait eu folie, cruauté, à obliger tel et tel à se précipiter dans l’abîme avec la vieille constitution. Ceux des siens qui voulurent rentrer en Italie, il les laissa libres ; et l’un des plus farouches partisans, Gnæus Pompée le fils, ayant voulu les faire mettre à mort, Cicéron entre autres, il fut le seul à interposer sa loyale autorité[134].

Pompée, lui-même, ne voulait point la paix. S’il eût été à la hauteur de la situation qu’il avait occupée, il semble qu’il aurait dû comprendre que qui a. mis la main sur la couronne ne peut plus rentrer dans l’ornière de la vie commune, et qu’ayant manqué le but, il n’y a plus de place pour lui ici-bas. Non qu’il se sentit le cœur trop fier pour demander merci au vainqueur, celui-ci étant assez magnanime ; peut-être pour ne point le repousser : loin de là, j’estime plutôt qu’il était au-dessous d’une telle pensée. Soit qu’il ne pût prendre sur lui de s’abandonner à César, soit que, comme toujours, hésitant, ballotté et voyant mal clair au milieu de ses indécisions continuelles, déjà il se reprit à l’espoir quand s’effaçait la première et immédiate impression du désastre de Pharsale : il voulut, lui aussi, continuer la lutte et s’en aller la ponter sur un autre théâtre.

Ainsi la guerre rentrait dans sa même route sanglante : quoi que fit César pour apaiser la fureur de ses adversaires ou diminuer leur nombre, sa prudence, sa modération étaient en pure perte. Cependant les chefs du parti avaient pour la plupart combattu à Pharsale, et quoique sains et saufs, tous, à l’exception de Lucius Domitius Ahenobarbus, tué dans la déroute, ils s’étaient dispersés et n’avaient pu se concerter en commun sur le plan à suivre dans la future campagne. Les uns fuyant par les sentiers déserts des montagnes de Macédoine et d’Illyrie, les autres avec le secours de la flotte, ils finirent par se rejoindre à Corcyre, où Caton commandait les réserves. Là se tint, sous sa présidence, une sorte de conseil de guerre où assistaient Metellus Scipion, Titus Labienus, Lucius Afranius, Gnæus Pompée le fils, et d’autres encore : on ne put s’entendre, soit à cause de l’absence du général et de l’incertitude cruelle où l’on était sur son sort, soit à cause des divisions même du parti. Chacun s’en alla de son côté, avisant au mieux de ses intérêts propres ou de ceux de la cause. Véritables fétus de paille surnageant encore, auquel fallait-il se rattacher ? Lequel tiendrait le plus longtemps sur l’eau ? Le choix était difficile.

La journée de Pharsale coûta tout d’abord au parti la Macédoine et la Grèce. Il est vrai que Caton abandonnant Dyrrachium à la nouvelle de la catastrophe, s’était retranché dans Corcyre ; et que durant quelque temps encore, Rutilius Lupus[135] occupa le Péloponnèse pour lés constitutionnels. D’abord les Pompéiens. parurent vouloir s’y défendre à Patras : mais Calenus s’avançait, et ils fuirent. On n’essaya pas davantage de tenir dans Corcyre.

Sur les côtes d’Italie et de Sicile, les flottes pompéiennes, détachées après les affaires de Dyrrachium, avaient manœuvré, non sans de nouveaux et considérables succès, contre les ports de Brindes, de Messine et de Vibo [sur le golfe de Sainte-Eufémie] : à Messine, toute une escadre en armement pour le compte de César avait été, livrée aux flammes. Mais bientôt les navires les meilleurs, venus en grande partie d’Asie-Mineure et de Syrie, sont rappelés par les villes maritimes au lendemain de Pharsale, et l’expédition s’arrête court. En Asie-Mineure et en Syrie, il n’y avait plus de soldats ni de l’une ni de l’autre faction, sauf sur le Bosphore, où, nous l’avons vu, Pharnace était sous les armes, et, sous prétexte de travailler pour César, avait occupé divers territoires appartenant à l’ennemi. — En Égypte, il restait encore une division assez forte, formée des troupes jadis laissées par Gabinius, soldats italiques, irréguliers, coureurs et anciens brigands syriens et ciliciens. Mais il allait de soi, et le fait se confirma bientôt par le rappel officiel des vaisseaux royaux, que la cour d’Alexandrie ne se souciait en aucune façon de rester dans le parti des vaincus, ou de mettre ses soldats à leur service.

Dans l’ouest, leurs affaires avaient un peu meilleur aspect. En Espagne, les sympathies pompéiennes demeuraient puissantes, et dans l’armée et au sein des populations, tellement. que les Césariens durent renoncer à la descente qu’ils avaient projetée de la Péninsule en Afrique : qu’un chef de renom osât s’y montrer, et l’on pouvait prédire que l’insurrection éclaterait aussitôt. En Afrique, la coalition, ou mieux, le seul homme qui dominât dans le pays, le roi Juba de Numidie, n’avait point discontinué ses armements, à partir de l’automne de 705 [49 av. J.-C.].

Ainsi la coalition avait perdu l’Orient tout entier en perdant la journée de Pharsale : mais il lui restait des chances en Espagne, et en Afrique elle était sûre de pouvoir encore honorablement tenir. A demander contre les révolutionnaires, contre des concitoyens, l’assistance du Numide, d’un roi si longtemps le sujet de la République, il y avait, sans nul doute, extrémité pénible et humiliante, il n’y avait point trahison contre Rome. Et pourtant dans cette lutte du désespoir, où ni le droit, ni l’honneur ne se font plus entendre, pouvait-on dire qu’en se proclamant affranchi de la loi, on n’allait pas bientôt commencer une guerre de forbans ? En recherchant l’alliance des voisins indépendants, n’allait-on pas, peut-être, introduire l’ennemi du nom romain dans les querelles intérieures de Rome ? Et tel désormais qui ne reconnaissait la monarchie que des lèvres n’allait-il pas pousser à la restauration républicaine en s’aidant du poignard de l’assassin ? Pour les constitutionnels vaincus, se tenir à l’écart, refuser hommage au nouveau monarque, c’était là, dans la ruine de leur cause, la conduite la plus naturelle à tenir : c’était aussi leur plus juste attitude. Si la montagne, si surtout la mer, en ces temps comme depuis tant de siècles, étaient le repaire ouvert à tous les crimes, elles ouvraient aussi libre asile aux insupportables malheurs, au bon droit opprimé. Là, républicains et Pompéiens, ils pouvaient tous défier encore la monarchie de César qui les repoussait de Rome : ils pouvaient, sinon faire la guerre, du moins se faire pirates sur une grande échelle, se réunissant en masses compactes et poursuivant un but mieux déterminé. Après le rappel des escadres orientales, leur flotte était très forte encore : César, au contraire, n’avait pour ainsi dire plus de vaisseaux. Ayant pour amis les Delmates, soulevés contre César pour leur propre compte, maîtres des mers et des places maritimes les plus importantes, les coalisés, s’ils voulaient faire la guerre d’escadre et surtout la guerre de course, entraient en campagne avec tout l’avantage. De même qu’autrefois, au temps de Sylla, la chasse sanglante aux démocrates avait abouti à l’insurrection de Sertorius, simple tumulte de pirates et de brigands au début, et bientôt grande et redoutable guerre ; de même, si dans les rangs de l’aristocratie catonienne, si parmi les adhérents de Pompée, le feu et l’énergie survivaient comme au temps jadis parmi les débris de l’armée démocratique de Marius, si quelque jour il s’y rencontrait un vrai roi de la mer, quoi d’étonnant à ce que, sur ces flots non domptés par César, on vit aussi s’élever une république libre, l’égale en puissance de la monarchie nouvelle ?

A tous ces points de vue, il faut blâmer, et blâmer sévèrement, cette pensée funeste d’aller, pour la guerre entre les Romains, demander le concours d’un voisin, d’un prince indépendant, et de l’appeler à l’aide de la contre-révolution. Les lois et la conscience sont plus sévères pour le transfuge que pour le pirate : la bande de brigands victorieuse revient plus aisément à la république libre et bien ordonnée que la tourbe d’émigrants marchant à la suite de l’ennemi du pays. D’ailleurs il semblait peu probable que les vaincus pussent jamais faire entrer la restauration par une telle porte. Il n’était qu’un seul empire, celui des Parthes, sur lequel ils auraient pu tenter de s’appuyer : encore était-il douteux que les Parthes voulussent prendre leur fait et cause : il y avait moins d’apparence encore à ce qu’ils se souciassent de le faire à l’encontre de César.

Mais les temps n’étaient point encore venus des conspirations républicaines.

Pendant que s’en allaient éperdus, et comme à la dérive du Destin, les débris de la faction vaincue, pendant en Égypte. que ceux qui voulaient encore combattre n’en trouvaient plus ni le lieu ni les moyens, César, toujours rapide dans la décision et l’action, quittait tout pour se lancer à la poursuite de Pompée, le seul de ses adversaires qu’il tînt pour un capitaine. Le faire prisonnier, c’eût été peut-être, et d’un seul coup, paralyser la moitié, et la moitié la plus redoutable du parti. Il franchit l’Hellespont avec quelques troupes : en route, avec sa frêle embarcation, il tombe au milieu d’une flotte pompéienne à destination de la Mer Noire[136] ; mais la nouvelle de la victoire de Pharsale l’a frappée de stupeur : il la capture tout entière ; puis, dès qu’il a pris en hâte les dispositions nécessaires, il se précipite vers l’Orient, à la poursuite du fugitif. Ce dernier, échappé des champs de Pharsale, avait touché à Lesbos, pour y prendre sa femme et Sextus, son second fils, gagné la Cilicie en longeant l’Asie-Mineure, et s’était dirigé vers Chypre. Rien de plus aisé que d’aller rejoindre ses partisans à Corcyre ou en Afrique. Mais, soit rancune contre les Aristocrates, ses alliés, soit prévision ou crainte dé l’accueil qui l’attendait au lendemain de sa défaite et surtout de sa fuite honteuse, il aima mieux continuer sa route et quêter la protection du roi des Parthes au lieu de celle de Caton[137]. Tandis qu’il négocie avec les publicains et les marchands de Chypre, leur demandant de l’or et des esclaves, et qu’il arme déjà 2.000 de ces derniers, on lui annonce qu’Antioche s’est rendue à César. La route de la Parthie lui est fermée. Il change alors son plan et fait voile vers l’Égypte. Là, d’anciens soldats à lui remplissent les cadres de l’armée : la position, les ressources du pays, tout l’aidera à gagner du temps et à réorganiser la guerre.

Après la mort de Ptolémée l’Aulète (mai 703 [51 av. J.-C.]), les enfants de celui-ci, Cléopâtre, sa fille, âgée de 16 ans, et son fils Ptolémée Dionysos, âgé de 10 ans ; rois ensemble et époux de par la volonté paternelle, étaient montés sur le trône d’Alexandrie : mais. bientôt le frère, ou plutôt Pothin, le tuteur du frère, avait expulsé la sœur ; et celle-ci, réfugiée en Syrie, s’y préparait à rentrer les armes à la main dans ses états héréditaires. A cette heure, Ptolémée et Pothin étaient à Péluse avec toute l’armée égyptienne, gardant la frontière de l’Est. Pompée vint jeter l’ancre devant le promontoire Casius[138], demandant au roi permission de descendre à terre. A la cour, on connaissait depuis longtemps la catastrophe de Pharsale, et l’on voulait d’abord répondre par un refus ; mais Théodotos, majordome du roi, fit observer que Pompée, ayant de nombreuses intelligences dans l’armée, ne manquerait pas d’y pratiquer la révolte. N’était-il pas plus sûr et plus avantageux, au regard de César, de saisir l’occasion de se défaire du fugitif ? De telles et si puissantes raisons ne pouvaient manquer leur effet sur des politiques appartenant au monde grec d’alors. Aussitôt, le chef des troupes royales, Achillas, monte sur un canot avec quelques anciens soldats de Pompée ; il l’accoste, l’invite à se rendre auprès du roi, et, comme l’on est sur les bas-fonds de la côte, à passer sur son bord. A peine Pompée y a mis le pied, qu’un tribun militaire, Lucius Septimius, le frappe par derrière, sous les yeux de sa femme et de son fils, qui, debout sur le pont de leur navire, assistent au meurtre, sans pouvoir rien ni pour sauver la victime ni pour la venger (28 septembre 706 [-48]). Treize ans avant, à pareil jour, Pompée, vainqueur de Mithridate, avait mené son triomphe dans la capitale romaine ; et voici que l’homme paré depuis trente années du titre de Grand, voici que l’ancien maître de Rome vient finir misérablement sur les lagunes désertes d’un promontoire inhospitalier, assassiné par un de ses vétérans. Général de capacité moyenne, médiocre du côté dé l’esprit et du cœur, le sort, démon perfide, l’avait accablé de ses constantes faveurs durant trente ans. Missions faciles autant que brillantes, lauriers plantés par d’autres et recueillis par lui seul, tout lui avait été donné, tout jusqu’au pouvoir suprême, mis en réalité sous sa main, et cela pour n’arriver qu’à fournir le plus éclatant exemple de fausse grandeur qu’ait connu l’histoire ! Parmi tous les rôles lamentables, quel rôle plus triste que celui de paraître et n’être pas ! Telle est la loi des monarchies ! A peine si, une fois en mille ans, il se lève au sein d’un peuple un homme, voulant qu’on l’appelle roi et sachant régner ! Vice fatal, inéluctable du trône ! Or, s’il est vrai de dire que nul plus que Pompée, peut-être, n’a offert ce contraste marqué entre l’apparence vaine et la réalité, il ne saurait, non plus échapper à la réflexion, quand elle s’arrête sûr cet homme, que c’est lui qui ouvre, à vrai dire, la série des monarques de Rome.

Cependant César, toujours à la piste du vaincu, entrait dans la rade d’Alexandrie. Le crime était consommé déjà. Il se détourna, sous le coup d’une émotion profonde, quand l’assassin, montant à son bord, lui présenta la tête de ce Pompée, naguère son gendre, et durant si longtemps son associé dans le pouvoir, de ce Pompée enfin qu’il venait prendre vivant en Égypte. Quelle conduite il eût tenue à son égard, le poignard d’un assassin ne permet pas de le dire : mais, à supposer que les sentiments d’humanité, innés dans sa grande âme, n’y auraient pas gardé leur place à côté de l’ambition, et ne lui commandaient pas d’épargner les jours d’un ancien ami, son propre intérêt ne lui aurait-il pas conseillé de le réduire à l’impuissance autrement que par l’épée du bourreau[139]. Vingt ans durant, Pompée avait été le maître incontesté de Rome : quand elle a poussé d’aussi profondes racines, la souveraineté ne meurt point avec le souverain. Après Pompée, les Pompéiens restaient debout, encore compacts, ayant deux chefs à leur tête, Gnæus et Sextus, à la place de leur père incapable et usé, jeunes tous les deux, tous les deux actifs, le second même armé d’un réel talent. A la monarchie héréditaire de fondation nouvelle s’attachait l’excroissance parasite des prétendants héréditaires. A ce changement des rôles il était douteux qu’il y eût gain ; il y avait perte plutôt pour César[140].

Cependant, celui-ci n’avait plus rien à faire en Égypte. Romains et gens du pays, tous s’attendaient à le voir remettre à la voile, courir vers la province d’Afrique, qui restait à abattre, puis entamer aussitôt l’œuvre immense de réorganisation que lui léguait sa victoire. Mais lui, fidèle à sa propre tradition, et, en quelque point qu’il se trouve du gigantesque empire de Rome, voulant vider sans délai et de sa personne toutes les questions pendantes, convaincu d’ailleurs qu’aucune résistance n’est à prévoir, ni de la part de la garnison romaine, ni de la part de la cour égyptienne, et pressé par le besoin d’argent, il débarque à Alexandrie, avec les deux légions qui l’accompagnent, lesquelles ne comptent plus que 3200 hommes et 800 cavaliers gaulois et germains. Il prend quartier dans la citadelle royale : il ordonne le versement des sommes qui lui sont nécessaires, et se met à régler l’affaire de la succession au trône égyptien, sans prêter l’oreille à d’impertinents conseils. A entendre Pothin, en effet, absorbé qu’il est par tant de grands intérêts, César ne saurait les négliger pour des misères. En ce qui touche les peuples d’Égypte, il se montre équitable en même temps qu’indulgent. Ils ont prêté secours à Pompée : quoi de plus juste. que de leur imposer une contribution de guerre ? Mais le pays est épuisé. César lui fait grâce et, donnant quittance de l’arriéré dû sur le traité de l’an 693 [59 av. J.-C.], dont moitié seulement a été payée, il ne réclame que 10.000 deniers (3.000,000 thaler =11.250.000 fr.[141]). Au frère et à la sœur qui se disputent le trône, il ordonne de cesser les hostilités ; il leur impose son arbitrage et les mande devant lui pour recevoir sa sentence après la cause entendue. Ils obéirent. Déjà le jeune roi était là, dans sa forteresse : Cléopâtre arriva sans tarder. César, tenant la main au testament de l’Aulète, adjugea la couronne aux deux époux, frère et sœur : il fit plus, et annulant de son propre mouvement l’annexion, naguère consommée, du royaume de Chypre, il le donna aux deux enfants peinés du roi défunt, Arsinoé et Ptolémée le Jeune, à titre de secundo-géniture.

Cependant une tempête se formait sans bruit. Alexandrie, non moins que Rome, était une des capitales du monde, à peine inférieure à la ville italienne par le nombre de ses habitants, mais la devançant de beaucoup par le mouvement commercial, le génie industriel, le progrès scientifique et des arts. Au sein du peuple, le sentiment national était vivace, s’emportant à de mobiles ardeurs, à défaut d’esprit politique, et suscitant à toute heure, comme chez les Parisiens de nos jours, les furieuses révoltes de la rue. Qu’on se figure la colère de ce peuple, à la vue d’un général romain tranchant du potentat dans le palais des Lagides et jugeant les rois du haut de son prétoire ! Mécontents qu’ils étaient de cette sommation péremptoire relative à l’ancienne dette égyptienne et de cette intervention du Romain dans un litige où le gain de la sentence, assuré d’avance à Cléopâtre, lui fut en effet adjugé, Pothin et son royal pupille envoyèrent à la monnaie, avec force ostentation, les trésors des temples et la vaisselle d’or du palais, pour les fondre. La pieuse superstition des Égyptiens s’en blessa. La magnificence de la cour alexandrine était fameuse dans le monde. Le peuple s’en parait comme d’une richesse à lui. A la vue des sanctuaires dépouillés et de la vaisselle de bois placée désormais sur la table royale, il entra en fureur. Et l’armée d’occupation elle-même, à demi dénationalisée par son long séjour en Égypte, par les nombreux mariages entre les soldats romains et les filles du pays, comptant dans ses rangs un grand nombre de vétérans de Pompée et de transfuges italiens, anciens criminels ou anciens esclaves, cette armée murmurait contre César, dont les ordres avaient entravé son action à la frontière de, Syrie ; elle murmurait contre une poignée d’orgueilleux légionnaires. Déjà la foule attroupée quand César prenait terre, quand les haches romaines entraient dans le palais des rois : déjà les meurtres nombreux consommés sur les légionnaires dans les rues de la ville, lui indiquaient assez en quel péril extrême il allait se trouver, noyé qu’il était avec sa petite armée au milieu de ces masses irritées. Les vents du nord régnaient alors : se rembarquer devenait chose difficile, et le signal donné de monter sur les vaisseaux eût dégénéré vite en signal d’insurrection. Partir, d’ailleurs, sans mettre à fin son entreprise, n’était point dans les habitudes de César. Aussitôt il appelle des renforts d’Asie, gardant jusqu’à leur arrivée les apparences de la plus entière sécurité. Jamais on n’avait mené au camp plus joyeuse vie que durant ce séjour dans Alexandrie, et quand la belle et artificieuse reine, gracieuse envers tous, prodiguait les séductions à l’adresse de son juge, César, à son tour, affectait l’oubli de ses hauts faits pour ne plus songer qu’à ses victoires galantes[142]. Prologue joyeux à la veille d’un sombre drame ! Tout à coup, amené par Achillas, et, ce qui fut vérifié plus tard, mandé par l’ordre secret du roi et de son tuteur, le corps romain d’occupation entre dans Alexandrie. Dès qu’ils apprennent qu’il n’est venu que pour attaquer César, tous les Alexandrins font avec lui cause commune. Mais César, avec cette présence d’esprit qui absout presque sa témérité, rassemble tout son monde épars sans perdre un seul moment, met la main sur le petit roi et ses ministres, se barricade dans le château et dans le théâtre voisin, et, comme il ne peut mettre en sûreté la flotte égyptienne stationnée dans le grand port au devant de ce théâtre, il la brûle et envoyé des embarcations pour occuper l’île de Pharos et la tour du fanal qui commande la rade[143]. Du moins, il a conquis un poste restreint, mais sur, de défense, où lui arriveront facilement et les vivres et les renforts. En même temps, il donne ordre à ses lieutenants en Asie-Mineure de lui expédier au plus vite des vaisseaux et des soldats. Les peuples sujets plus voisins, Syriens et Nabatéens, Crétois et Rhodiens, sont mis de même en réquisition. Pendant ce temps, l’insurrection s’était étendue sans obstacle sur toute l’Égypte. Les révoltés obéissaient à la princesse Arsinoé et à l’eunuque Ganymède, son confident. Ils étaient maîtres de la plus grande partie de la ville. On se battit dans les rues. César ne put ni se dégager ni même gagner jusqu’aux eaux douces du Maréotis, derrière la place, où il eût voulu s’abreuver et lancer ses fourrageurs. Les Alexandrins, d’autre part, ne surent ni vaincre les assiégés, ni les détruire par la soif : bien qu’ils eussent jeté l’eau de la mer dans les canaux du Nil qui alimentaient le quartier du Romain, celui-ci, par une chance inattendue, ayant fait creuser des puits dans le sable du rivage, y trouva encore de l’eau potable[144]. Le voyant inexpugnable du côté de terre, les assiégeants songèrent à détruire sa flottille et à le couper du côté de la mer, d’où lui venaient ses vivres. L’île du Phare et le môle qui la reliait à la terre ferme partageaient le port en deux moitiés, à l’est et à l’ouest, ces deux moitiés communiquant entre elles par deux arches percées en travers de la digue. César était maître de l’île et du port de l’est, tandis que les Alexandrins occupaient celui de l’ouest et le môle : mais ses vaisseaux, l’ennemi n’ayant plus de flotte, entraient et sortaient librement[145]. Les Alexandrins, après avoir sans succès tenté d’envoyer des brûlots du port de l’ouest dans le bassin oriental, rassemblèrent les débris de leur arsenal, et, mettant une petite escadre en mer, ils voulurent attaquer les navires de César au moment où ceux-ci se montrèrent, traînant à la remorque des transports et une légion amenée de l’Asie-Mineure[146]. Mais ils avaient affaire aux marins excellents de Rhodes, qui les battirent. A peu de temps de là, ils s’emparent de l’île du Phare et réussissent à barrer aux grands navires l’entrée du goulet étroit et rocheux du port oriental[147]. La flotte césarienne, à son tour, dut stationner en pleine rade : les communications des assiégés avec la mer ne tenaient plus qu’à un fil. Attaqués tous les jours par les forces maritimes croissantes de l’ennemi, leurs vaisseaux ne pouvaient ni refuser le combat, quoique inégal, le port intérieur leur étant fermé depuis la prise de file, ni tirer au large, abandonnant la rade, ils eussent livré César à l’investissement complet du côté de la mer. En vain les intrépides légionnaires, aidés par les habiles marins de Rhodes, l’emportent dans cent combats quotidiens, les Alexandrins s’acharnent, infatigables, et renouvellent ou augmentent leur armement. Il faut que César se batte quand il leur plait de l’attaquer : vienne une seule défaite, il sera aussitôt complètement investi. Sa perte est presque certaine, à moins de reconquérir file à tout prix. Une double attaque, avec les bateaux du côté du port, avec les navires du côté de la mer, la lui rendit en effet, et avec elle toute la partie inférieure du môle. Par son ordre, ses soldats s’arrêtèrent au second pont : là il voulut fermer le passage par un mur avec escarpe tournée vers la ville. Mais voici qu’au plus fort du combat, sur les travaux mêmes, les Romains ayant abandonné le point où le môle joignait l’île, un corps égyptien y aborda soudain, assaillit à dos les légionnaires et les marins, les mit en désordre et les jeta en masse à la mer. Beaucoup furent repêchés par la flotte ; le plus grand nombre périt. La journée coûta 400 soldats et plus de 400 hommes de mer. Partageant le sort des siens, César s’était de sa personne réfugié sur son vaisseau ; qui coula à fond sous le poids des fuyards, et le général n’échappa qu’en gagnant. une autre embarcation à la nage[148]. Quoi qu’il en soit, et malgré les pertes subies, on avait reconquis l’île et le môle, jusqu’au premier pont du côté de la terre ferme : la partie était sauvée. Enfin s’annoncèrent les secours tant attendus. Mithridate de Pergame, habile capitaine, élevé à l’école de Mithridate Eupator dont il se vantait d’être le fils naturel, arrivait de Syrie par la route de terre, avec une armée faite de toutes pièces : Ityréens du prince du Liban, Bédouins de Jamblique, fils de Sampsikérame, Juifs conduits par le ministre Antipater, enfin, et pour le plus grand nombre, contingents des principicules et des cités de Cilicie et de Syrie. Mithridate se montre devant Péluse et l’occupe heureusement le jour même : puis, voulant éviter les contrées coupées et difficiles du Delta, il remonte au-dessus du point de partage des eaux du Nil par la route de Memphis, où ses troupes rencontreront des auxiliaires dévoués parmi les Juifs établis dans la contrée. De leur côté, mettant à leur tête leur petit roi Ptolémée, que César leur avait rendu un jour, dans l’espoir, de s’en faire un instrument de conciliation, les Égyptiens avaient aussi remonté le Nil avec une armée et se montraient en face de Mithridate, sur la rive droite du fleuve. Ils l’atteignirent au-dessous de Memphis, au lieu dit le Camp Juif (Vicus Judœorum), entre Onion et Héliopolis (Matarieh). Mais ils avaient affaire à un ennemi expert dans la stratégie et la castramétation romaines : le combat tourna contre eux, et Mithridate, traversant le fleuve, entra dans Memphis. Au même instant César, averti de l’approche de son allié, embarquait, une partie de son monde, gagnait la pointe du lac Maréotique, à l’ouest d’Alexandrie, et le contournant, puis arrivant au fleuve, marchait à la rencontre de l’armée de secours du Haut-Nil. La jonction se fit sans que l’ennemi tentait rien pour l’empêcher. César alors entra dans le Delta, où le roi s’était retiré, dispersa du premier choc son avant-garde, malgré l’obstacle d’un profond canal qui la couvrait, puis aussitôt donna l’assaut à son camp. Ce camp était au pied d’une hauteur entre le Nil, dont une étroite chaussée le séparait, et des marais presque infranchissables. Les légionnaires attaquent de front et de flanc le long de la chaussée, pendant qu’une division tourne la hauteur et la couronne à l’improviste. La victoire est complète : le camp est pris ; tout ce qui ne périt pas par l’épée se noie dans le Nil, en cherchant à gagner la flotte royale. Là aussi meurt le jeune roi : fuyant sur un canot chargé de monde, il disparaît dans les eaux de son fleuve natal. Aussitôt le combat fini, César, à la-tête de sa cavalerie, revient droit sur Alexandrie, qu’il prend à revers, par le côté même où les Égyptiens étaient maîtres de la place. La population le reçoit en habits de deuil, à genoux, apportant ses idoles et implorant la paix. Quant aux siens, le voyant revenir en vainqueur par une autre route, ils l’accueillent avec un indicible enthousiasme. Il tenait dans ses mains le sort de la cité qui avait osé contrecarrer les desseins du maître du monde, et l’avait mis lui-même à deux doigts de sa perte : mais, toujours habile politique et toujours oublieux des injures, il traite les Alexandrins comme il a fait des Massaliotes. Il leur montre leur cité ravagée par la guerre, leurs riches magasins à blé, leur bibliothèque, la merveille du monde, et tous les autres grands édifices détruits lors de l’incendie de la flotte ; il leur enjoint de ne songer dorénavant qu’aux arts de la paix et qu’à panser aujourd’hui les blessures qu’ils se sont faites. Aux Juifs établis dans la ville il n’octroyé que les droits et franchises dont jouissent déjà les Grecs, et au lieu de cette armée romaine d’occupation nominalement mise dans la main du roi égyptien naguère, il installe dans la capitale une garnison véritable, formée de deux des légions qui campaient en Égypte, et d’un troisième corps appelé de Syrie : cette armée aura son chef indépendant, qu’il se réserve de nommer. Il choisit pour ce poste de confiance l’homme à qui son humble extraction ne permet pas les abus, Rufio, bon soldat, simple fils d’affranchi. Cléopâtre régnera, sous le protectorat de Rome, avec son autre jeune frère Ptolémée. Quant à la princesse Arsinoé, comme elle pourrait être un prétexte à l’insurrection chez les Orientaux, amoureux de la dynastie, indifférents pour le monarque, elle sera conduite en Italie. Chypre enfin est annexée à la province de Cilicie [B. Alex., 1-23].

Si mince qu’elle fût en elle-même, et de si loin qu’elle se rattachât aux événements généraux de l’histoire[149] alors concentrée dans le monde et l’empire romains, l’insurrection. d’Alexandrie avait eu son influence non douteuse, arrêtant dans sa course l’homme qui était tout en toutes choses, et sans qui rien ne pouvait ni se préparer ni se dénouer. D’octobre 706 à mars 707 [48-47 av. J.-C.], force fut à César de laisser là tous ses projets pour combattre la populace d’une seule ville, à l’aide de quelques Juifs ou Bédouins[150]. Déjà se faisaient sentir les effets du gouvernement personnel. On était en monarchie : et le monarque n’étant nulle part, un épouvantable désordre régnait en tous pays. A l’égal des Pompéiens, les Césariens manquaient à ce moment d’un guide suprême : partout les choses étaient abandonnées au hasard ou au talent de quelque officier subalterne.

César, en quittant l’Asie-Mineure, n’y comptait plus d’ennemi derrière lui. Son lieutenant, l’énergique Gnœus Domitius Calvinus[151], avait ordre de reprendre à Pharnace ce que celui-ci avait sans mandat enlevé aux alliés de Pompée. Despote entêté et présomptueux comme son père, Pharnace refusait la restitution de l’Arménie. Il fallut marcher contre lui. Des trois légions formées des captifs de Pharsale que César lui avait données, Calvinus déjà en avait expédié deux en Égypte : il combla rapidement ses vides avec une légion levée parmi les Romains domiciliés dans le Pont, avec deux autres encore, exercées à la romaine, que lui prêta Dejotarus. Il prit le chemin de la Petite-Arménie. Mais l’armée du roi du Bosphore, éprouvée dans cent combats livrés aux riverains de la mer Noire, se montra la plus forte. Le choc eut lieu près de Nicopolis, où les recrues pontiques de Calvinus furent taillées en pièces. Les légions galates prirent la fuite : seule, la vieille légion romaine se fit jour, non sans quelques pertes. Loin de reconquérir la Petite-Arménie, Calvinus ne put empêcher Pharnace de s’emparer de ses États héréditaires du Pont et d’écraser du poids de ses colères et de ses cruautés de sultan les malheureux habitants d’Amisos (hiver de 706-707 [48-47 av. J.-C.]) [B. Alex., 34-41]. Enfin César arrive en Asie-Mineure et lui fait savoir qu’en n’envoyant point de secours à Pompée il a bien mérité sans doute, mais qu’un tel service n’est point en rapport avec le dommage qu’il cause aujourd’hui à l’Empire. Il faut donc qu’avant tous pourparlers il évacue la province du Pont et restitue ce qu’il a dérobé. Pharnace se dit prêt à obéir : d’ailleurs, sachant que César a hâte de s’en retourner en Occident, il ne fait pas mine de bouger. Il ne sait pas que ce que César entreprend, toujours il l’exécute. Sans plus négocier, en effet, César prend la légion qu’il a amenée d’Alexandrie, les soldats de Calvinus et de Dejotarus, et marche droit au camp royal de Ziéla. Les Bosphoriens, dès qu’ils l’aperçoivent, traversent audacieusement un ravin profond en montagne qui défendait leur front, et, remontant l’autre pente, courent aux Romains. Les légionnaires étaient occupés à l’œuvre du campement : il. y eut un instant d’hésitation dans les rangs. Mais bientôt les invincibles vétérans se rassemblent, donnent l’exemple de l’attaque générale, et la victoire est complète (3 août 707 [-47]). En cinq jours la campagne est finie : bonne fortune inestimable, alors que chaque minute coûtait cher[152] ! César confie la poursuite du vaincu réfugié dans Sinope à son frère illégitime, au brave Mithridate de Pergame, lequel, en récompense du secours apporté naguère en Égypte, recevra la couronne du royaume Bosphorien à la place de Pharnace. Quant aux affaires de Syrie et d’Asie-Mineure, elles sont promptement réglées à l’amiable : les alliés de César s’en vont richement dotés, ceux de Pompée sont rudement éconduits ou payent de larges amendes. Quant à Dejotarus, le plus puissant parmi les clients pompéiens, il est réduit à son domaine héréditaire, l’étroit canton des Tolissoboïes. Ariobarzane, roi de Cappadoce, lui succède dans la Petite-Arménie, et l’investiture du tétrarchat des Trocmes, qu’il avait aussi usurpé, est conférée au nouveau roi du Bosphore, lequel est issu de la lignée royale du Pont du côté paternel, et du côté maternel d’une des familles princières de Galatie [B. Alex., 34-41 ; 65-78].

Mais, pendant le séjour de César en Égypte, de graves événements s’étaient aussi passés en Illyrie. Depuis, plusieurs siècles, la côte dalmate était un point malade dans et sur terre. l’empire. On se souvient, que les habitants, au cours même du proconsulat de César, s’étaient montrés ouvertement hostiles. A l’intérieur, depuis la campagne de Thessalie, on ne rencontrait que débris de Pompéiens encore en armes. D’abord Quintus Cornificius, avec les légions venues d’Italie, avait tenu tout le monde en bride, habitants du pays et réfugiés, et, dans cette rude et difficile région, il avait su pourvoir à l’entretien de ses troupes. Et quand l’énergique Marcus Octavius, le vainqueur de Curicta, s’était montré dans les eaux dalmatiques avec une escadre de navires pompéiens, pour y combattre les adhérents de César et sur mer et sur terre, le même Cornificius, s’aidant des vaisseaux et des ports des Jadestins (Zara), avait pu se maintenir, et même, dans plus d’un combat naval, remporter quelques avantages. Mais voici venir le nouveau lieutenant de César, Aulus Gabinius, rappelé d’exil. Il amenait en Illyrie (hiver de 706-707 [48-47 av. J.-C.]) 15 cohortes et 3.000 cavaliers par la voie de terre. Loin de s’en tenir à la méthode qui avait réussi à son prédécesseur, la guerre de détail et d’escarmouches ne suffit plus au hardi et actif général : malgré les rigueurs de la saison, il se lança dans la montagne avec toutes ses forces. Les temps mauvais, les approvisionnements difficiles, et l’énergique résistance des Dalmates éclaircirent bientôt ses cadres : il lui fallut battre en retraite. Assailli par l’ennemi, ignominieusement défait, il atteignit Salone à grande peine avec les restes d’une armée la veille puissante. Il mourut à peu de temps de là. Presque toutes les villes de la côte se soumirent à Octavius et à sa flotte ; et quant à celles qui tinrent encore pour César, Salone, Epidauros (Ragusa vecchia), investies du côté de la mer par les navires octaviens, serrées de près à terre par les Barbares, il semblait qu’elles dussent succomber, entraînant dans leur capitulation les débris des légions enfermées dans les murs de la première. A ce moment, Publius Vatinius commandait les dépôts de César à Brindes. Il ramasse, à défaut de navires de guerre, de simples bateaux ordinaires qu’il munit d’un éperon ; il y fait monter les soldats qui sortent des hôpitaux. Son énergie tire bon parti de cette escadre improvisée. Il livre le combat aux Octaviens, supérieurs à tous égards, sous le vent de l’île de Tauris (Torcula, entre Lesina et Curzola). Là, la bravoure du chef et des légionnaires supplée encore une fois à l’insuffisance de la flotte. Les Césariens remportent une éclatante victoire. Marcus Octavius abandonne les mers d’Illyrie et se dirige sur l’Afrique (printemps de 707 [-47]). Les Dalmates lutteront opiniâtrement durant deux ans encore, mais la lute ne sera plus qu’une guerre locale de montagnes. Quand César arrive d’Orient, déjà, grâce aux vigoureuses mesures prises par son lieutenant, tout danger a disparu [B. Alex., 42-47].

En Afrique, la situation était des plus compromises. On se souvient que, dès le début de la guerre civile, le parti constitutionnel y avait absolument pris le dessus. Depuis, ses forces n’avaient fait que croître. Jusqu’à la bataille de Pharsale, le roi Juba avait, à lui seul presque, gouverné les affaires et détruit Curion. Ses rapides cavaliers, ses innombrables archers étaient le nerf de l’armée. Enfin, le lieutenant de Pompée, Attius Varus, ne jouait auprès de lui qu’un rôle subalterne, tellement qu’il avait dû lui livrer les soldats de Curion qui s’étaient rendus à lui, et assister passif à leur exécution ou à leur envoi, dans l’intérieur de la Numidie. Mais tout, change après la bataille de Pharsale. Nul homme notable du parti pompéien, si ce n’est Pompée lui-même, n’a songé un seul instant à fuir chez les Parthes. On n’adopta pas davantage la pensée de tenir la mer en réunissant toutes les. flottes : l’expédition de Marcus Octavius en Illyrie n’était qu’un acte isolé et ne tirant point à conséquence. En grande majorité, républicains et pompéiens se tournèrent vers l’Afrique, seul point où l’on pouvait encore honorablement et constitutionnellement offrir le combat à l’usurpateur. Là se réunirent peu à peu les débris de l’armée dispersée de Pharsale, les garnisons de Dyrrachium, de Corcyre et du Péloponnèse, et ce qui restait de la flotte d’Illyrie : là se remontrèrent et Metellus Scipion, l’un des deux généraux en chef, les deux fils de Pompée, Gnæus et Sextus, l’homme politique des républicains, Marcus Caton[153], quelques bons capitaines, Labienus, Afranius, Petreius, Octavius et d’autres encore. Si l’émigration avait perdu de sa force, lé fanatisme avait grandi dans ses rangs. Comme auparavant les prisonniers faits sur César, ses envoyés parlementaires même sont mis à mort, et Juba, en qui les haines de l’homme de parti s’associent à la cruauté furieuse de l’Africain semi-barbare, tient à maxime que toute cité suspecte de sympathie envers César doit être détruite et brûlée, ville et habitants. Ainsi qu’il a dit, il agit ; témoin le sac de la malheureuse Vaga, non loin d’Hadrumette[154]. Utique, la capitale de la province, florissante à l’égal de Carthage au temps jadis, et sur qui depuis longues années les rois numides jettent un oeil jaloux, Utique est menacée d’un sort pareil. Mais Caton s’interpose énergiquement, et grâce à lui il n’est pris contre elle que les mesures justifiées d’ailleurs par les sentiments notoires de sa population envers César[155].

Pendant ce temps, ni celui-ci ni aucun de ses lieutenants n’ayant tenté quoi que ce soit en Afrique, la coalition s’y réorganise tout à l’aise, politiquement et militairement. Et. d’abord il fallait pourvoir au commandement en chef, vacant par la mort de Pompée. Le roi Juba n’eût point été lâché de se continuer dans la position prépondérante qu’il avait eue sur le continent jusqu’à la bataille de Pharsale. Est-ce qu’il était encore le simple client de Rome ? N’était-il pas plutôt un allié sûr le pied d’égalité, un protecteur même ? N’avait-il point osé frapper le denier romain d’argent, à son nom et à ses insignes, poussant. ses prétentions jusque-là qu’il voulait, revêtir seul la pourpre dans le camp, invitant les généraux italiens à y déposer le paludamentum ? [B. Afr., 57] Metellus Scipion réclamait aussi le commandement suprême : Pompée, en Thessalie, ne l’avait-il pas tenu pour son collègue, plutôt il est vrai par déférence envers son beau-père que par raison militaire ? Attius Varus le réclamait à son tour. Il avait le gouvernement dé la province d’Afrique (gouvernement usurpé, il est vrai) et c’était en Afrique qu’on allait faire la guerre. Enfin, à consulter l’armée, on eût choisi le propréteur Marcus Caton. Et l’armée avait. manifestement raison. Caton était le seul homme qui, pour une telle mission, possédât le dévouement, l’énergie et l’autorité nécessaires. Il n’était point homme de guerre, il est vrai. Mais ne valait-il pas mieux mille fois avoir à la tête de l’armée un simple citoyen, non officier, s’accommodant aux circonstances et laissant faire ses capitaines en sous-ordre, qu’un général de talents non encore éprouvés, comme Varus, ou que tel autre notoirement incapable, comme Metellus Scipion ? Quoi qu’il en soit, Scipion fut nommé, et Caton entre tous influa sur le choix. Non qu’il s’estimât inférieur à la tâche, ou que sa vanité lui fit trouver mieux son compte à rester à l’écart qu’à prendre en main l’imperium non qu’il aimât ou estimât Scipion. Loin de là, il y avait de l’hostilité entre eux. Général malhabile aux yeux de tous, l’alliance de Pompée seule avait pu jeter quelque reflet sur le consulaire. Une seule et unique pensée dirigea Caton. Dans son entêtement formaliste, et dût la République périr, il se cramponnait à la règle du droit, plutôt que de sauver la patrie en sortant de la loi. Déjà, après Pharsale, se rencontrant à Corcyre avec Cicéron nanti de l’imperium en sa qualité de proconsul revenant de Cilicie, il s’était offert de remettre à ce dernier, en raison de son titre légalement supérieur, le commandement de file et des troupes. Une telle condescendance avait fait le désespoir du malheureux avocat, qui maudissait mille fois ses lauriers cueillis dans l’Amanus : elle avait fait l’étonnement de tous les Pompéiens, même des moins avisés[156]. Aujourd’hui que tout est en feu, il obéit encore aux mêmes principes. Lorsqu’il s’agit du généralat suprême, il en décide comme de la propriété de quelque champ à Tusculum, et Scipion est nommé. De sa propre voix, Caton a écarté la candidature de Varus et la sienne[157]. Seul d’ailleurs il s’est énergiquement opposé à la prétention de Juba : il lui a fait sentir que la noblesse romaine ne vient point à lui en suppliante, comme s’il était le grand-roi des Parthes : elle ne sollicite point. l’assistance d’un protecteur ; elle commande encore, et c’est le concours d’un sujet qu’elle exige. Les forces romaines rassemblées en Afrique étaient considérables : Juba dut baisser le ton. Il n’en sut pas moins obtenir de Scipion le payement de ses troupes sur la caisse des Italiens ; et, en cas de victoire, on lui promit la cession de la province africaine.

Cependant, aux côtés du nouveau général on revoyait le sénat des Trois-Cents, qui ouvrait ses séances à Utique, et complétait ses rangs éclaircis en s’adjoignant les chevaliers les plus notables et les plus riches. Grâce au zèle de Caton, principalement, les armements étaient poussés aussi vivement que possible. Affranchis, Libyens, tous les hommes valides étaient enrôlés dans les légions : il ne resta bientôt plus de bras à l’agriculture, et les champs demeurèrent en friche. Les résultats obtenus ne, laissèrent pas que d’être considérables. L’armée comptait maintenant quatorze légions de grosse infanterie, dont deux anciennement formées par Varus ; huit autres avaient rempli leurs cadres avec les réfugiés pompéiens, avec des recrues levées dans la province : enfin, Juba avait quatre légions armées à la romaine. La grosse cavalerie, composée des Celto-Germains amenés par Labienus ; et de gens de toute provenance, comptait 1600 hommes, non compris les cavaliers royaux armés à la romaine. Quant aux troupes légères, tillés se composaient d’une innombrable multitude de Numides, montés sans mors ni bride, armés de simples javelots,. d’un corps de sagittaires à chevâl1 et d’un vaste essaim d’archers à pied. Enfin, Juba menait avec lui 120 éléphants. Puis venait la flotte de Varus et de Marcus Octavius, qui comptait 55 voiles. L’argent manquait : on y pourvut à peu près par une contribution volontaire que s’imposa le sénat : moyen d’autant plus fructueux que les plus riches capitalistes d’Afrique avaient été faits sénateurs. Les munitions de toutes sortes et les vivres étaient emmagasinés en quantités énormes dans les forteresses susceptibles d’une bonne défense, en même temps qu’on les tenait loin de tous les lieux ouverts. L’absence de César, l’état mauvais des esprits dans ses légions, l’Espagne et l’Italie en fermentation ; tout donnait motif d’espérer ; et, comptant sur une victoire prochaine, on oubliait la défaite de Pharsale. Nulle part autant qu’en Afrique le temps perdu sous Alexandrie ne se faisait payer cher. Si César y fût accouru au lendemain de la mort de Pompée, il y eût trouvé une. armée affaiblie, désorganisée, éperdue ; aujourd’hui elle était debout, ressuscitée par l’énergie de Caton, aussi nombreuse que dans les champs de Thessalie, conduite par des chefs de renom et munie de son général régulièrement constitué[158].

Il semblait qu’une mauvaise étoile influât désastreusement sur les affaires de César en Afrique. Avant de s’embarquer pour l’Égypte, il avait ordonné tant en Espagne qu’en Italie les mesures et les préparatifs commandés par les besoins de la guerre qui renaissait au-delà de la Méditerranée. Mais tout avait tourné. à mal. Selon ses instructions, son lieutenant dans la province espagnole du sud, Quintus Cassius Longinus, devait passer avec quatre légions en Afrique, appeler à soi Bogud, roi de la Mauritanie occidentale[159], et marcher avec lui sur la Numidie et l’Afrique. Mais cette armée de renfort comptait dans ses rangs bon nombre de natifs espagnols et deux légions entières, jadis pompéiennes : dans la province, les sympathies étaient pour Pompée, et d’ailleurs Cassius, par ses façons tyranniques d’agir, n’était rien moins que propre à apaiser les mécontentements. Les choses en vinrent jusqu’à la révolte. Déjà tout ce qui se prononçait contre le lieutenant de César levait ouvertement les aigles pour la cause adverse déjà le fils aîné de Pompée, Gnæus, profitant de l’occasion favorable, quittait l’Afrique et gagnait la péninsule ! Cassius fut désavoué à temps par les principaux césariens : le lieutenant de la province du nord, Marcellus Lepidus, intervint et rétablit les affaires. Gnæus Pompée arriva trop tard : il s’était amusé en route à une vaine tentative sur la Mauritanie ; et quand apparut Gaius Trebonius, envoyé par César à son retour d’Orient pour relever Cassius. Longinus (automne de 707 [47 av. J.-C.]), il ne rencontra partout qu’obéissance. En attendant, la révolte avortée en Espagne avait paralysé l’expédition à destination d’Afrique : rien n’avait été fait pour empêcher la réorganisation des républicains ; bien plus, appelé lui-même avec ses troupes au secours de Longinus dans la péninsule, Bogud, l’ami de César, n’avait pas pu, de son côté, contrecarrer son voisin de Numidie[160].

Des événements plus graves encore surgirent dans l’Italie du sud, où César avait concentré les troupes qu’il voulait emmener en Afrique. Là se trouvèrent réunies en grande partie les vieilles légions qui, dans les Gaules, l’Espagne et la Thessalie, avaient bâti les assises du trône futur. Mais leurs victoires n’avaient point fait leur esprit meilleur, et leur longue oisiveté dans la Basse-Italie avait détruit la discipline. En leur demandant des efforts presque surhumains, dont les conséquences ne se voyaient que trop à leurs rangs éclaircis, leur général avait jeté dans ces coeurs de fer un ferment de mécontentement. Le temps et le repos aidant, l’explosion devait avoir lieu un jour ou l’autre. Or, depuis plus d’un an, le seul homme qui leur en imposait était comme perdu dans les régions lointaines ; leurs propres officiers les craignaient bien plus qu’ils n’en étaient craints, et fermaient les yeux devant les excès et les désordres commis par eux dans leurs quartiers. Quand arriva l’ordre de s’embarquer pour la Sicile et d’échanger les délices des cantonnements de l’Italie du sud contre les fatigues et les épreuves d’une troisième campagne, épreuves qui devaient né le céder en rien à celles des guerres d’Espagne et de Thessalie, le soldat rompit la bride trop longtemps lâchée, puis serrée soudain. Il refusa d’obéir, exigeant d’abord la remise dés cadeaux promis. Les lieutenants envoyés par César furent reçus avec des injures et même à coups de pierre[161]. On leur promit accroissement de largesses, mais rien ne put arrêter la révolte. Les légionnaires, soulevés en masse, marchèrent sur Rome, où ils voulaient exiger de César en personne le payement des sommes promises. Quelques officiers se mirent en travers de la route et voulurent lutter contre l’émeute : ils furent massacrés[162]. Le péril était grand. César plaça aux portes de la ville les soldats peu nombreux qu’il avait sous la main (avant tout il fallait parer aux menaces de pillage) : puis, se montrant à l’improviste devant les bandes furieuses, il leur demanda ce qu’elles voulaient. Notre congé ! s’écrièrent-elles. Le congé est donné sur l’heure. Pour ce qui est du donativum que je vous devais au jour de mon triomphe, ajouta le général, et des assignations de terres que je vous ai promises, vous les viendrez de mander quand je triompherai dans Rome avec le reste de mes soldats ; mais, comme de juste, vous ne ferez point partie du cortége, vous que je congédie ! Les mutins ne s’attendaient point au tour que prenaient les choses. Convaincus qu’ils étaient nécessaires à César pour son expédition d’Afrique, ils n’avaient réclamé la mission que pour se faire payer à bon prix leur maintien sous les aigles. Trompés d’abord par la pensée que sans eux on ne pouvait rien, incapables de rentrer d’eux-mêmes dans la juste voie et de mener à bien la négociation, d’abord mal entamée : honteux, comme hommes, en face de l’imperator esclave de sa parole envers ses légionnaires même : infidèles en face du dictateur généreux qui leur donne encore au-delà de ce qui était promis : comme soldats, profondément émus à cette pensée qu’ils assisteront, simples spectateurs, à la fête triomphale menée par leurs camarades d’armes à ce mot de quirites (citoyens) que César leur a jeté au lieu de l’appellation militaire (commilitones), à ce mot qui résonne étrangement à leurs oreilles et abolit d’un seul coup toute la gloire guerrière de leur passé, ils retombent sous l’irrésistible charme. Muets et hésitants, ils s’arrêtent ; mais bientôt, tous et d’un cri, ils sollicitent leur grâce : qu’il leur soit permis de s’appeler toujours les soldats de César ! Leur chef se fait prier, puis enfin il pardonne mais les meneurs perdront un tiers de l’honoraire triomphal. L’histoire ne sait point de plus beau coup de maître, ni de victoire morale plus grande et plus complète[163] !

L’émeute militaire des vétérans n’en eut pas moins ses conséquences fâcheuses, en retardant considérablement l’ouverture des opérations de la campagne en Afrique. Quand César arriva à Lilybée, où devait s’embarquer l’armée, les dix légions désignées pour l’expédition n’y étaient point, à beaucoup près, au complet ; et les soldats les meilleurs avaient encore les plus longues étapes à faire. Il ne se trouvait là réunies que six légions à peine, dont cinq de formation nouvelle, avec les navires de ligne et les transports nécessaires. César mit aussitôt à la mer (le 25 décembre 707 [47 av. J.-C.], selon le calendrier ancien ; le 8 octobre, environ, selon le calendrier julien). La flotte ennemie, redoutant les tempêtes, alors régnantes, de l’équinoxe, avait atterri au rivage dans la Baie carthaginoise, sous l’île d’Ægimure[164]. Elle ne fit rien pour empêcher la traversée vers la côte d’Afrique. Mais les mêmes orages ne laissèrent pas que de disperser l’escadre césarienne, et quand son chef aborda enfin non loin d’Hadrumette (Sousa), il ne put déployer sur le rivage que trois mille hommes, recrues toutes neuves pour la plupart, et quelque 150 chevaux. La ville était fortement gardée : il tenta de l’enlever, mais sans succès. Plus heureux ailleurs, il se rendit maître de deux autres villes, peu éloignées l’une de l’autre, Ruspina (Sahalil, près de Sousa) et Leptis-la-Petite : Il s’y retranche sans délai, mais s’y sentant peu en sûreté, il fait remonter sa petite cavalerie sur les navires, bien pourvus d’eau et prêts à remettre à la voile. Il veut pouvoir à toute heure se rembarquer au cas où l’ennemi le viendrait attaquer avec des forces supérieures. Il n’eut point à le faire. Ses vaisseaux battus par la tempête rejoignirent à temps (3 janvier 708 [-46]). Dès le lendemain, comme le blé lui manquait à la suite des dispositions prises par les Pompéiens, il se lança avec trois légions dans l’intérieur du pays : mais, non loin de Ruspina, il est attaqué en pleine marche par les bandes de Labienus, accouru pour le rejeter à la nier. Celui-ci n’avait que de la cavalerie et des archers : César n’avait presque que de l’infanterie régulière. Ses légionnaires se virent tout à coup enveloppés et livrés sans défense à une grêle de traits. Impossible de joindre l’ennemi. Enfin, en se déployant, il parvint à dégager ses ailes ; et une audacieuse agressive sauva l’honneur de ses armes. Il n’en fallut pas moins battre en retraite. Si l’on n’avait point eu Ruspina tout près, le javelot maure eût accompli peut-être sur ce champ de bataille la même œuvre désastreuse que naguère l’arc des Parthes devant Carrhes. La journée avait montré à César toutes les difficultés de la campagne actuelle : il ne voulut plus exposer à de tels combats [B. Afr., 1-18] les légionnaires trop novices et s’affolant de peur en face de cette tactique inusitée : il attendit ses légions vétéranes et s’occupa, entre temps, à rétablir tant bien que mal l’équilibre compromis par la supériorité écrasante des armes de jet chez l’ennemi. Il ramasse sur sa flotte tous les hommes dont il peut faire des cavaliers légers ou des archers, et les réunit à son armée de terre. Le profit était mince. Mais, chose plus efficace, il sut pratiquer d’habiles diversions, soulevant contre Juba les hordes nomades des Gétules, le long des pentes de l’Atlas, du côté du sud, et à l’entrée du Sahara. Jusque chez elles avait porté le contrecoup des luttes de Marius et de Sylla : elles haïssaient le nom de Pompée, qui leur avait alors imposé la suzeraineté des rois numides ; et d’avance elles se montraient favorables à l’héritier du puissant héros dont le souvenir, depuis les guerres de Jugurtha, était resté vivant dans ces contrées [B. Afr., 32, 35, 56, 57]. Ailleurs les rois de Mauritanie, Bogud à Tingis, Bocchus à Jôl, rivaux naturels de Juba, étaient restés de tout temps les alliés fidèles de César. Enfin, sur les frontières dès royaumes de, Juba et de Bocchus, chevauchait à la tête de ses bandes le dernier des Catilinariens, ce Publius Sittius de Nucérie, jadis trafiquant italien, puis banqueroutier, et qui un jour, il y avait de cela dix huit ans, s’improvisant partisan en Mauritanie, s’était conquis, à la faveur des affaires troublées de la Libye, et un nom et une armée. Il s’unit à Bocchus, et tous deux tombent sur le pays numide. Ils occupent. l’importante place de Cirta. Pris entre deux feux, attaqué à la fois au sud et à l’Ouest par les Gétules et les Maures, force est bien à Juba d’envoyer contre eux une partie de son armée [B. Afr., 25]. Quoi qu’il en soit, César n’était point libre encore. Ses troupes étaient ramassées sur un espace d’un mille carré (2 lieues carrées). Si la flotte pouvait fournir du blé. pour les hommes, les chevaux manquaient de fourrage on souffrait dans le camp, comme Pompée avait souffert devant Dyrrachium. En dépit des efforts de César, ses troupes légères restaient démesurément inférieures à celles de l’armée pompéienne ; et même avec ses vétérans il lui était à peu près interdit de prendre l’offensive et de pénétrer dans l’intérieur du pays. Que Scipion s’y enfonçât ou abandonnât les villes des côtes, et peut-être allait s’ouvrir devant lui la perspective d’une victoire pareille à celle du vizir d’Orodès sur Crassus, ou de Juba sur Curion. A tout le moins il traînait la guerre en longueur. Tout conseillait ce plan de campagne, au premier examen ; et Caton, qui n’était rien moins qu’un stratégiste, le prônait lui-même, s’offrant à passer en Italie avec un détachement choisi, pour y appeler les républicains aux armes. Par ces temps d’excitation et de troubles, une telle entreprise avait ses chances de succès. Mais Caton n’avait que son avis et non l’imperium. Le général en chef, Scipion, décida que la guerre se maintiendrait dans la région des côtes. Résolution funeste, puisqu’on abandonnait ainsi les avantages promis par une autre et sûre méthode, plaçant la lutte sur un théâtre où régnait une fermentation dangereuse, en même temps que dans l’armée même engagée contre César l’esprit était généralement mauvais. L’effroyable tyrannie d’une conscription à outrance, les approvisionnements partout enlevés, les petites localités ravagées, et par dessus tout cela la pensée qu’on s’enchaînait à une cause étrangère et d’avance perdue, avaient suscité chez les indigènes un sentiment d’amertume contre ces républicains de Rome, venus en Afrique pour y livrer leurs derniers combats désespérés, et ce sentiment s’était changé en haine terrible quand on les avait vus agir par la terreur contre des villes simplement suspectes d’indifférence. Aussi les cités africaines, dès qu’elles purent l’oser, se déclarèrent-elles pour César : les Gétules et les Libyens, adjoints aux légions ou aux auxiliaires d’armes légères ; désertèrent presque tous. Scipion n’en persista pas moins dans son plan, avec cette obstination qui est le propre de l’inintelligence. Parti d’Utique avec toutes ses troupes, il marcha sur les villes de Ruspina et de Petite-Leptis, que César avait occupées. Jeta de fortes garnisons au nord dans Hadrumète, au sud dans Thapsus (sur le cap Râs ed Dimâs), et, réuni à Juba qui accourait avec toutes les bandes qui lui restaient disponibles, ses frontières garnies, il offrit à plusieurs fois la bataille à l’ennemi. Mais César avait son parti pris d’attendre ses légions vétéranes. Celles-ci débarquèrent les unes après les autres, et quand elles débouchèrent sur le champ de bataille, Scipion et Juba n’étaient plus en goût d’en venir aux mains : César, trop faible en cavalerie légère, ne pouvait les y contraindre. Deux mois presque se passèrent, en marches et contremarches, en escarmouches dans les environs de Ruspina et de Thapsus : on se battait pour la découverte de quelque silo (ou fosse à grains cachés selon l’usage du pays)[165], pour le placement de quelque poste avancé. Les chevau-légers de l’ennemi obligeaient césar à tenir les hauteurs, à couvrir ses flancs de lignes retranchées : à la longue et dans ces combats pénibles ou sans résultat, ses jeunes soldats s’étaient faits à la tactique de leurs adversaires. Dans ce nouveau capitaine-instructeur, prudent, soigneux, et donnant de sa personne la leçon à ses gens, nul ne reconnaissait plus, ami ou ennemi, l’ancien et impétueux général des campagnes passées : mais, qu’il temporisât aujourd’hui, comme autrefois il s’était précipité à l’attaque, il n’en restait pas moins le maître merveilleux, toujours égal à lui-même[166].

Enfin, ses derniers renforts le rejoignirent. Aussitôt il s’élance sur Thapsus, par une marche de flanc. Nous avons vu que Scipion y avait mis une forte garnison, première et énorme faute et qui livrait à l’adversaire un point d’attaque commode ! Il en fit bientôt une seconde et non moins désastreuse, en courant au secours de la place, en allant offrir à César la bataille si longtemps souhaitée, si sagement refusée, et cela sur un terrain où l’infanterie légionnaire allait retrouver son décisif avantage. Donc un jour on vit se développer le long du rivage, en face du camp césarien, les armées de Scipion et de Juba, les deux premières lignes prêtes à en venir aux mains ; la troisième occupée elle-même à planter le camp. A la même heure, la garnison de Thapsus préparait une sortie. Pour repousser celle-ci, il suffit des gardes du retranchement de César. Quant à ses légionnaires, rien n’échappait à leur coup d’œil expérimenté. Ils constatèrent aussitôt chez l’ennemi l’incertitude des mouvements, l’ordonnance mal unie de ses divisions ; et pendant qu’il travaille encore à son agger, sans attendre le signal de leur général, ils forcent un trompette à sonner l’attaque ; et se précipitent sur toute la ligne, César galopant à leur tête, après qu’il a vu son monde s’ébranler. L’aile droite, emportée en avant des autres corps, jette l’épouvante, à coups de balles de fronde et de traits, parmi les éléphants de Juba (ce fut là la dernière grande bataille où on les ait employés). Les énormes bêtes reculent sur le corps d’armée. Les cohortes placées à l’avant des Pompéiens sont hachées, leur aile gauche se disperse, et toute leur ligne se renverse et se débande. La défaite se change en un immense désastre, d’autant que le nouveau camp des vaincus n’était point encore achevé et que l’ancien était trop loin. César les enlève l’un après l’autre ; presque sans résistance. Le gros de l’armée battue jeta ses armes et demanda quartier : mais les soldats de César n’étaient plus ces soldats qui, jadis, aux alentours d’Ilerda, avaient su se refuser au combat avant l’heure, ou qui à Pharsale traitaient honorablement un ennemi sans défense. La longue habitude des guerres civiles, les colères mal apaisées de la révolte récente, engendrèrent de terribles conséquences à Thapsus. Que si l’hydre contre laquelle luttaient les Césariens se redressait chaque jour avec des forces nouvelles ; que si l’armée de César avait dît se lancer d’Italie en Espagne, d’Espagne en Macédoine, de Macédoine en Afrique ; si le repos tant souhaité n’arrivait jamais, la faute, aux yeux du soldat et non sans, quelque raison, la faute n’en était-elle point dans la mansuétude intempestive du général ? Le soldat s’était promis de réparer le tort de son chef : il se montra sourd aux prières de ses concitoyens désarmés, sourd aux ordres de César et de ses capitaines. Cinquante mille cadavres gisaient dans les champs de Thapsus, et parmi eux bon nombre d’officiers césariens (leurs propres hommes les avaient tués parce qu’on les savait hostiles en secret à la monarchie nouvelle). Ainsi le soldat achète son repos. L’armée victorieuse ne comptait pas plus de 50 morts[167].

Après la catastrophe de Thapsus, la guerre d’Afrique était finie, de même qu’un an et demi avant, la guerre avait pris fin en Orient au lendemain de Pharsale. Caton, en sa qualité de commandant d’Utique, y convoqua le sénat, y exposa l’état des moyens de défense, et laissa à l’assemblée à décider s’il convenait de se soumettre, ou si l’on aimait mieux lutter jusqu’au dernier homme, conjurant ses amis de voter et d’agir, non pas chacun pour soi, mais tous pour chacun. Plusieurs inclinaient vers le parti le plus hardi : on ouvrit l’avis d’une manumission d’office de tous les esclaves, mais Caton y voyait une atteinte illégale à la propriété privée. On proposa alors un appel patriotique aux maîtres. Mais un acte de vigoureux désintéressement n’était point du goût des grands. trafiquants d’Afrique, qui faisaient la majorité dans ce concile : on décida la capitulation. A ce moment entraient dans la ville Faustus Sylla[168], le fils du régent, et Lucius Afranius. Ils ramenaient une forte division de cavalerie des champs de Thapsus. Caton alors de faire une nouvelle tentative ; mais, comme ils voulaient, pour tenir dans la place, qu’on commençât par massacrer tous les habitants inutiles à sa défense, il s’y refusa net, aimant mieux, sans coup férir, laisser tomber au pouvoir de la monarchie l’asile suprême des républicains, que de déshonorer par un meurtre en masse les derniers jours de la république. Moitié par l’ascendant de son autorité, moitié par le sacrifice généreux de sa fortune personnelle, il arrête les fureurs d’une soldatesque déchaînée déjà contre les malheureux habitants d’Utique ; à ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas s’en remettre à la clémence de César, il procure les moyens de fuir ; à ceux qui restent il procure les moyens d’une capitulation, la moins désastreuse qui soit possible : puis, quand il s’est assuré qu’il ne peut plus être utile, il se tient pour déchargé de son office, il se retire dans son cubiculum, et se perce le sein de son épée[169].

Des autres chefs qui restaient, bien peu s’échappèrent. Les cavaliers qui avaient fui du champ de bataille allèrent donner dans les bandes de Sittius, qui les tua ou fit captifs : Afranius et Faustus Sylla furent livrés à César, et, comme il n’ordonnait point leur exécution immédiate, les vétérans s’insurgèrent et les taillèrent en pièces. Metellus Scipion, le général en chef, tomba de même ; avec la flotte de la faction vaincue, au pouvoir des croiseurs de Sittius, et se jeta sur son épée au moment où on mettait la main sur lui. Juba, que l’événement n’avait point trouvé non préparé, s’était promis, le cas échéant, de mourir en roi. Il avait fait dresser un bûcher immense sur la place de sa ville de Zama : il y voulait anéantir lui, ses trésors et tous les habitants. Mais ceux-ci n’entendaient point servir, aux dépens de leur vie, à la décoration des funérailles du Sardanapale africain ; et quand, échappé du massacre, il se montra devant la ville en compagnie de Marcus Petreius, il en trouva la porte close. A ces natures dépravées par l’excès des jouissances sensuelles et de l’orgueil, il faut, même à l’heure de la mort, les fêtes et l’orgie. Juba, avec son compagnon, se rendit à l’une de ses villas. On lui servit un riche banquet : puis, après et pour en finir, il arrangea un duel entre lui et Petreius. Le vainqueur de Catilina périt de sa main, et force lui fut alors de se faire tuer par un esclave[170].

Quelques notables pourtant avaient eu la vie sauve. Labienus et Sextus Pompée rejoignirent Gaïus, le frère aîné de celui-ci, en Espagne. Comme autrefois Sertorius Avait fait, ils allaient chercher dans les mers et les montagnes de la Péninsule à moitié soumise, à moitié indépendante, l’asile suprême ouvert à la piraterie et au brigandage.

Cependant César, sans rencontrer désormais de résistance, mettait ordre à toutes choses en Afrique. Ainsi que Curion l’avait proposé naguère, le royaume de Massinissa cesse d’exister. La région de l’Est, ou le pays de Sétif, est réuni au royaume de la Mauritanie orientale, sous Bocchus, et Bogud, le fidèle roi de Tingis, reçoit aussi d’amples agrandissements. Cirta (Constantine) et le pays environnant, occupés avant, sous la suzeraineté de Juba, par un prince du nom de Massinissa et par son fils, Arabion[171], sont donnés au condottiere Publius Sittius, qui s’y établira avec ses bandes à demi romaines[172]. En même temps, ce district, avec la plus grande et de beaucoup la plus fertile partie de l’ancien royaume numide, est réuni sous le nom d’Afrique neuve (Africa nova) à l’ancienne province africaine[173] ; et quant à la défense du littoral contre les hordes nomades du désert, que Rome avait jadis départie à un roi client, elle est prise en charge par le monarque nouveau, aux frais de l’empire.

Ainsi, après quatre ans de durée, la lutte entre Pompée et les républicains, d’une part, et César de l’autre, se termine par la complète victoire du dictateur. Non, certes, que la monarchie n’ait été fondée que sur les champs de bataille de Pharsale et de Thapsus. Elle date de l’heure où Pompée et César coalisés ont établi leur commune suprématie, renversant de fond en comble l’ancienne constitution aristocratique. Mais les baptêmes sanglants du 9 août 706 et du 6 avril 708 [48-46 av. J.-C.] avaient mis fin à ce gouvernement à deux, contraire à d’essence même de la monarchie, et le monarque nouveau y puisait la consécration et la reconnaissance formelle de son pouvoir. On verra bien encore surgir des insurrections de prétendants ou des conjurations républicaines appelant de nouvelles secousses ; on verra la révolution peut-être, ou même la restauration : mais c’en est fait à jamais de l’antique et libre république et de sa vie non interrompue durant cinq cents ans : dans toute l’étendue du vaste empire de Rome, la monarchie s’assoit désormais sur la légitimité du fait accompli. Le combat pour la constitution a cessé. C’est Marcus Caton qui le proclame quand, à Utique, il se perce de son épée. Depuis longues années le premier dans la mêlée parmi les défenseurs de la république légale, il a persévéré même alors qu’il n’a plus l’espoir de vaincre. Aujourd’hui, combattre n’était même plus possible : la république, fondée par Marcus Brutus, était morte, morte sans retour : que restait-il à faire aux républicains ici-bas ? Le trésor enlevé, les hommes de garde avaient leur congé : comment les blâmer s’ils rentraient dans leurs foyers ? Dans la mort de Caton il y eut plus grande noblesse et plus haute intelligence que dans tout le reste de sa vie. Caton n’était rien moins qu’un grand homme : mais, si court de vue, si maladroit, si ennuyeux et stérile que fût le personnage, avec toute l’emphase de ses fausses phrases qui en firent, dans son siècle et dans tous les temps, le type idéal du républicanisme vide et le héros favori de ceux qui spéculent sur le mot de république, encore était-il le seul à représenter dignement, courageusement le système déchu, à l’heure de l’agonie ! Et, comme devant la vérité sincère, le mensonge le plus habile tombe ; comme, enfin, dans la nature humaine toute grandeur et toute beauté gît, non dans la prudence, mais dans l’honneur, il convient de dire que Caton a rempli dans l’histoire un plus grand et plus beau rôle que nombre d’hommes infiniment supérieurs à lui par, les dons de l’esprit. Caton était un fou, je le veux : mais sa folie rehausse le sens profond et tragique de sa mort. C’est parce qu’il est fou, que Don Quichotte est une figure tragique. Quelle émouvante péripétie ! Sur ce théâtre du monde, ancien, où passèrent et agirent tant de sages, tant de grands hommes, fallait-il donc qu’un maniaque vint dire l’épilogue ? Mais Caton n’est point mort en vain. Protestation frappante et terrible de la république contre la monarchie, le dernier républicain sortait de scène quand arrivait le nouveau roi : devant sa protestation se déchiraient comme toiles d’araignée toutes les soi-disant institutions modérées dont César enveloppait son trône : devant elle se mettait à nu le mensonge hypocrite de ce schiboleth de la réconciliation des partis ; de cette prétendue égide protectrice de la souveraineté césarienne. La guerre impitoyable que le spectre de, la république légitime a menée pendant des siècles contre la monarchie impériale, de Cassius et Brutus à Thraséas et à Tacite, et plus loin encore ; la guerre des complots et des belles-lettres, ne sont autres que le legs de Caton mourant à son ennemi. C’est de Caton que les opposants républicains tiendront leur attitude de gens de haute caste, leur rhétorique transcendante, leur austérité ambitieuse, leurs opinions sans espoir et fidèlement nourries jusqu’à la mort. A peine il n’est plus, que celui qui, de son vivant, ne fut pour eux le plus souvent qu’un jouet et qu’une cause de dépit, ils le transfigurent et l’honorent en saint. Mais de tous les hommages qu’il reçut, le plus grand sans doute fut l’hommage involontaire de César. Tandis que pour tous les autres, pompéiens et républicains, César n’avait qu’indulgence dédaigneuse, pour Caton il fit exception ; il le poursuivit jusqu’au tombeau de cette vigoureuse haine que les politiques d’action ressentent d’ordinaire contre leurs adversaires dans le champ de l’idée, adversaires dangereux autant qu’impossibles à atteindre[174].

 

 

 



[1] [Labienus a été mentionné plusieurs fois déjà. Il avait eu en Gaule le titre de propréteur (B. G., 1, 21). Il avait d’ordinaire les commandements les plus importants, quand César s’absentait entre deux campagnes (B. G. 5, 24, 54). — Dans l’hiver de 700 [54 av. J.-C.], il défait les Trévires et tue Indutiomar (B. G., 5, 24, 53-58, etc.). Dans la campagne contre Vercingétorix, il prend Lutèce, revient à Agedincum, bat Camulogène et Comm l’Atrébate (Bell. G., 7, 57-82. - 8, 23, 24, 25, 45, 52). En 703 [-51], il commande chez les Trévires. Nous le suivrons avec notre texte parmi toutes les péripéties de la guerre civile, à Cingulum, à Dyrrachium, à Pharsale, en Afrique : il périt enfin à Munda. — Du jour où Labienus a quitté César, sa vie militaire n’est plus marquée que par des échecs.]

[2] Un centurion de la 10e (alias 14e) légion de César, est un jour fait prisonnier. Mené devant le général républicain, il lui déclare qu’avec dix de ses hommes, il se fait fort de tenir contre la meilleure des cohortes ennemies (500 hommes. César, Bell. Afric., 45). Aussi Napoléon dira-t-il que les armées anciennes se battant à l’arme blanche, avaient besoin d’être composées d’hommes plus exercés ; c’étaient autant de combats singuliers... Ce que ce centurion avançait était vrai : un soldat moderne qui tiendrait le même langage ne serait qu’un fanfaron ! (Précis des Guerres de J. César, ch. XI, observation 5). — Que si l’on veut savoir quel esprit militaire animait l’armée de César, qu’on lise les relations, annexées à ses mémoires de la guerre d’Afrique et de la seconde guerre d’Espagne, l’une qui paraît avoir pour auteur un officier en second ordre, l’autre qui n’est qu’un journal de camp, dressé par un subalterne (Bell. Afric. et Bell. Hispaniense).

[3] [Appien, B. C., 2, 30. — Plutarque, César, 29, et Pompée, 57 — Alieno esse animo in milites neque iis passe persuaderi, uti eum defendant aut sequantur saltem (B. G., 1, 6.) — V. aussi Cicéron, ad fam., 16, 12.]

[4] [Tite-Live, Epit. 110. — Florus, 4, 2, 33. – Lucain, 4, 462 et s.]

[5] [Voleur de grand chemin !Tyran !Il sera un Pisistrate, un Phalaris ! (Cicéron, ad Att., 7, 18. 8, 11, 12, etc., etc.]

[6] [Ce roi est cité B. G., 1. 53. et Bell. civ., 1. 18. Il envoya à César quelque chose comme 300 hommes à cheval.]

[7] [Suétone, César, 71. — Juba était venu combattre à Rome les prétentions d’un prince vassal, Masintha, qui refusait le tribut à Hiempsal. César avait défendu Masintha, et dans un accès de colère, avait tiré Juba par la barbe (in altereatione barbare invaserit), puis il avait caché le Numide chez lui, et l’avait emmené en Espagne.]

[8] [Nihil prorsus aliud curant (municipales, rusticani), nisi agros, nisi villulas, nisi nummulos suos. (ad Att., 8, 13). — v. aussi ibid., 9, 12 ; et ad fam., 9, b : viri boni usuras prescribunt !]

[9] [Insidiose retentœ : c’est Cicéron lui-même qui en convient (ad Att., 7, 13).]

[10] C’est le chiffre qu’il fixait lui-même (César, Bell. civ., 16), et ce qui vient en confirmer l’exactitude, c’est qu’après avoir perdu en Italie 60 cohortes, ou 30.000 hommes, il lui sera possible encore de s’en aller en Grèce avec 25.000.

[11] [Plutarque, Pompée, 57 et 60.]

[12] [Tota Italia dilectus habentur, arma imperantur, etc. B. civ., 1, 6.]

[13] [B. G., 1, 14. — C’est Lentulus qui avait imaginé de s’emparer des gladiateurs peuplant le jeu (ludo) de César. — Quand on les licencia, ne sachant qu’en faire, et craignant du désordre, Pompée les distribua chez les chefs de famille campaniens (B. G., ibid. – Cicéron, ad Att., 7, 14).]

[14] [Pecunia a municipiis exiguntur, e fanis tolluntur, omnia divina humanaque jura permiscentur. B. civ., 1, 6.]

[15] Le sénatus-consulte avait été rendu le 7 janvier : dès le 18, on savait à Rome, et cela depuis plusieurs jours, que César avait franchi le Rubicon (Cicéron, ad Atticus, 7, 10, 9, 10) : il fallait au moins trois jours à un courrier pour venir de Ravenne. Il convient dès lors de fixer le départ de César au 12 janvier, date qui répond au 24 novembre 704 [50 av. J.-C.] du calendrier Julien, selon la réduction usuelle.

[16] [L’un des correspondants de Cicéron (ad fam., 13, 53-57), et son propréteur en Asie quand celui-ci était proconsul en Cilicie. — Après la mort de César, il quittera Sextus Pompée et passera à Antoine.]

[17] [Pompée quitte Rome, première et grande faute stratégique et politique. C’est Rome qu’il fallait garder, c’est là qu’il eût dû concentrer toutes ses forces. Au commencement des guerres civiles, il faut tenir toutes les troupes réunies, parce qu’elles s’électrisent et prennent confiance dans la force du parti : elles s’y attachent et s’y maintiennent fidèles ! (Précis des G. de J. César, ch. XI, 3e observation). — Aux yeux des Romains, Pompée désertait. Il a beau dire qu’il fait comme Thémistocle, que la République n’est point dans les murs de Rome ! Cicéron répond amèrement que Périclès a autrement agi : et que les Romains jadis, quand leur ville fut prise, se retranchèrent dans le Capitole (urbe reliqua capta, arcem lamen retinuerunt. - Ad Att., 7, 11). — Aussi quels reproches il déverse sur ce général hésitant, stupéfié (stupens, ad Att., 7, 10), le plus incapable des généraux (άστρατήγητος : ad Att., 7, 13) !]

[18] [César était plus clément et plus habile. Il pardonnait à ses prisonniers et tolérait la neutralité. - B. civ., 1, 63. — Suétone, César, 75. — Sur la panique à Rome, v. Dion Cassius, 12, 7, 8. – Lucain, 1, 475 et 486 et sq. : lire surtout Cicéron, ad Att., 7, 10-12. La procession de fugitifs couvrait la voie Appienne jusqu’à Capoue.]

[19] [Lentulus, à entendre César, n’aurait même pas pris le temps de fermer l’œrarium sanctius, contenant le fond de réserve, où se versait la vicésime prélevée sur la valeur des affranchissements (Tite-Live, 27,10), et auquel on ne touchait qu’à la dernière extrémité.]

[20] [B. civ., 1. 8-11 — cf. avec Cicéron, ad Att., 7, 14 ; 7,17 ; et ad fam., 16, 12. Les porteurs de paroles de César étaient les propres émissaires de Pompée : 1° L. Cœsar, le jeune (adolescens), fils d’un César lieutenant du Proconsul des Gaules ; homme de peu de portée et dont Cicéron se moque. Il combattit pour Pompée durant la guerre civile, fut gracié par César, puis alla peu après se faire tuer en Afrique : 2° le préteur urbain L. Roscius, ancien lieutenant de César dans les Gaules.]

[21] [B. civ., 1, 15. — Il ne faut pas le confondre avec le chef de cavalerie, qui servit dans les Gaules, et que Hirtius loue comme un homme de courage et de prudence (singularis et animi et prudentiœ. B. G., 8. 28). Le lieutenant de Pompée, qui commandait à Auximum au début de la guerre civile, était un prétorien, qui resta toujours fidèle au parti pompéien. — Après que Pompée aura abandonné l’Italie, il s’en ira en Afrique, s’y emparera du commandement (B. civ., 1, 31), se fera battre par Curion, brûlera quelques vaisseaux à César devant Hadrumète, et après Thapsus gagnera l’Espagne, où il retrouvera Gn. Pompée le fils. Il perdra la bataille navale de Cartéia, et ira mourir sur le champ de Munda (B. civ., 2, 23-34. – Hirtius, Bell. Afr., 62-63. - Dion Cassius, 41 ; 41, 42. 42, 57. 43 ; 30, 31. – Appien, B. civ., 2, 44, 46, 105).]

[22] [Appelé souvent à tort Gaius Lucceius Hirrus. — Tribun du peuple en 701 [53 av. J.-C.], ancien compétiteur de Cicéron pour l’augurat, de Cœlius pour l’édilité, souvent bafoué par eux dans la correspondance familière. Ils l’appellent le bègue (hillus. - ad fam., 2, 10). — C’est lui que Pompée enverra solliciter le secours du roi des Parthes ; et avant Pharsale, quand on se partage, dans le camp pompéien, les dignités et les honneurs, il se nomme préteur, pour son compte. César lui pardonnera.]

[23] [On ne le connaît guère que par la mention que César fait de lui à plusieurs reprises (B. civ., 1, 15, 22 ; 34, 38 ; 2, 10-11). — Il était l’un des ingénieurs de Pompée (prœfectus fabrum). César le relâchera après la prise de Corfinium. Il retournera aussitôt à Pompée, qui l’enverra en Espagne. Prisonnier une seconde fois, une seconde fois pardonné, et chargé de nouvelles paroles de paix, il accourt en Grèce, et annonce aux Pompéiens la prochaine arrivée de César en Grèce. — V. Cicéron, ad Q. frat., 3, 6, § 7. - ad Atticus, 7, 24. 8, 1, 2, 11, 15.]

[24] [On en trouve les ruines non loin de la petite ville de Popoli et de l’église de San Pelino, dans la vallée de la Pianata di Valva. Corfinium, l’ancienne capitale des Péligniens, la capitale de l’insurrection marse, sous le nom d’Italica, était restée une forte et importante position militaire.]

[25] [V. B. civ., 1, 15-23 ]

[26] [Nous connaissons par Cicéron la correspondance officielle de Pompée avec Domitius (Cicéron, ad Atticus, 8, 12). Il lui dit qu’avec sa petite armée, éparpillée encore, il ne peut lutter contre César (nos disjecta manu pares adversariis esse non possumus). Il faut venir à moi sans délai, sous peine d’être coupé : tout au moins, laisse partir Vibullius avec les cohortes du Picenum et de Camerinum... César, en ce moment, a plus d’hommes que nous : bientôt, nous en aurons plus que lui... Je n’ai encore que 14 cohortes à Lucérie... Viens donc, viens au plus vite avec tout ton monde. — Je ne puis aller à toi : je ne me fie pas à mes légions (quod non magnopere his legionibus confido). Je doute trop de leurs bonnes dispositions pour engager toute la fortune de la République (neque... eorum militum... voluntati satis confido, ut de omnibus fortunis Reipublicœ dimicem). Dégage-toi donc, et viens si tu peux !]

[27] [V. les détails fort intéressants donnés par César, B. civ., 15-23. Il ne s’est arrêté que sept jours devant la place (ibid., 23). Rien de plus admirable que sa vigilance à côté de sa foudroyante rapidité. Il pardonne à tous, à Lentulus, à Domitius, qui s’est fait donner du poison par son médecin, et qui, heureusement, n’a pris qu’un narcotique (Plutarque, César, 34), à Vibullius, à tous. Il rend à Domitius 6.000.000 sesterces, qu’il avait déposés dans les caisses de la ville, et que les duumvirs corfiniens venaient de livrer.]

[28] [Aujourd’hui Sulmona, dans le val du Cizio. Patrie d’Ovide. Domitius y avait posté 7 cohortes. César, averti du bon vouloir des habitants, y dépêcha Marc-Antoine avec 5 cohortes. A la vue des aigles, Sulmoniens et soldats sortent en foule, remettent la place, et le soir du même jour, Antoine revient devant Corfinium (B. civ., 1, 18).]

[29] [César doutait que Pompée abandonnât sitôt Brindes et l’Italie. A cheval sur l’extrémité de la Péninsule et sur la Grèce, Pompée pouvait vouloir s’y réserver pour toutes les éventualités. Mais Dion Cassius affirme qu’il ne s’attarda à Brindes qu’à cause de l’insuffisance de sa flotte (Dion Cassius, 41, 12. - B. civ., 1, 25). — Les consuls étaient partis par le premier convoi, c’en était fait de toutes les tentatives d’accommodement : discessu illorum actio de pace sublata est, quam quidem ego meditabar : dit Cicéron (ad Atticus, 9, 9. V. aussi Bell. civ., 1, 26, in fine). — M. Mommsen n’a relevé que les faits les plus importants de la campagne du Picenum, vraie promenade militaire de César (ad Att., 8, 15 : ambulando bellum fecerunt. 8, 14 : eo modo autem ambulat). — Parti d’Ariminum, César a envoyé Antoine occuper Aretium : il s’empare lui-même de Pisaurum (Pesaro), de Fanum et d’Ancône (B. C., 1, 11). Curion va prendre Inguvium, où tenait Thermus avec 5 cohortes pompéiennes (B. civ., 13) : suivent les redditions d’Auximum, de Cingulum, reconstruite par Labienus, d’Asculum, et enfin de Corfinium (B. civ., 15, 25).]

[30] [Cicécon, ad Att., 8, 9 : hoc τέρας horribili vigilantia, celeritate, diligentia est. Plane quid futurum sit nescio. - Et ailleurs : Volare dicitur (ad Att., 10, 9). — L’abandon de l’Italie a été vivement reproché à Pompée, et par les contemporains et par les modernes. Cicéron ne voit plus chez lui que pusillanimité (μιxροψυχίαν : ad Att., 8, 11. - 9, 11). César s’étonne que maître de la mer, maître d’une ville très forte, et attendant ses légions d’Espagne, il lui ait livré le pays (Plutarque, Pompée, 68). Enfin Napoléon Ier le condamne non moins sévèrement (Précis : ch. IX, observation 3). — Et il ajoute : Si les trente cohortes de Domitius eussent été campées devant Rome avec les deux premières légions de Pompée ; si les légions d’Espagne, celles d’Afrique, d’Egypte, de Grèce, se fussent portées, par un mouvement combiné, sur l’Italie, par mer, il eût réuni avant César une plus grande armée que celui-ci. — D’autres, au contraire, louèrent la résolution de Pompée comme un coup de maître, et ne virent dans le départ pour la Grèce qu’une manœuvre habile qui déplaçait la guerre tout à son avantage. Pompée ne pouvait plus rien faire d’utile en Italie. Il y aurait promptement et infailliblement succombé. En Grèce, en Orient, comme on l’a vu plus haut, il disposait d’immenses ressources. Aux yeux des princes restaurés par lui, il était le vrai représentant de Rome. En Orient, il trouvait et l’argent et les vaisseaux, à l’aide desquels il concentrait ses troupes, les expédiait sur toutes les mers, et des hommes et des munitions. En Orient, pays immense, il échappait à César, le fatiguait et l’épuisait. — Ce plan, il est certain qu’il l’a conçu et qu’il l’a voulu exécuter. Il y trouva même le succès, jusqu’au jour où, quittant malgré lui l’offensive, il s’arrêta et combattit. — Nous empruntons ces considérations à l’auteur estimé d’une Hist. Rom., le docteur Peter, II, p. 331. Elles ont assurément du spécieux. Mais Pompée n’en avait pas moins eu le tort grave de se laisser surprendre et acculer dans Brindes, avant d’avoir pu se défendre ; et surtout d’abandonner Rome, en proie à la panique, la laissant, ville et trésor public, à la merci de César. Quant la capitale tombe, l’envahisseur a vaincu plus qu’à demi ; l’envahi perd courage et croit tout perdu. — A la place de Pompée, César et Napoléon se seraient attachés à la défense de Rome et de l’Italie.]

[31] [On aurait de même redouté les proscriptions si Pompée eût été vainqueur. Leur langage est cruel, à dit Cicéron, parlant de Lentulus, de Scipion et autres, à ce point que je m’épouvanterais de leur victoire. (In oratione ita crudeles ut ipsam victoriam horrerem) ! Ailleurs, il dit de même : Tanta erat illis crudelitas ut non nominatim, sed generatim proscriptio esset informata (ad fam., 7, 3, 4, 14. — Ad Att. 8, 11. - 11 6.]

[32] [Quinius Hortensius Hortalus, le fils du grand orateur (qui mourut dans la retraite vers 704 [50 av. J.-C.]). Il avait mené une vie dissipée : chassé par son père, il courut le monde : Cicéron le trouva à Laodicée, dans la compagnie de gladiateurs et de gens de basse profession (ad Att., 10, 18, 6, 3). Hortensius avait songé à l’exhéréder (Val. Max., 5, 9, 2). — Il courut à César au début de la guerre civile, et c’est lui qui alla saisir Ariminum, passant le premier le Rubicon (Suétone, César, 31. – Plutarque, César, 32). A peu de temps de là, il rendit de bons offices à Cicéron et à sa famille (ad Att., 10, 12, 16, 17, 18). Il commanda ensuite une escadre. — Après la mort de César, il revient au parti républicain, commande en Macédoine, est proscrit, fait tuer G. Antonius, frère de Marcus, et après Philippes, où il est fait prisonnier, est exécuté sur le tombeau de sa victime.]

[33] [Allusion à Antoine, que César laissera en Italie, en qualité de propréteur, et qui, au grand scandale de Cicéron, parcourra les villes, ayant la mime Cythéris dans sa litière ouverte, sa femme dans une autre, et suivi de sept autres litières encore, remplies de ses amies et amis (ad Att., 10, 10).]

[34] [B. civ., 1, 23. — V. aussi Appien, 2, 38. — Cependant le fait a été d’abord contesté. Cicéron, ad Att., 8, 14.]

[35] [On ne connaît bien César que quand on lit dans la correspondance de Cicéron, et la lettre qu’il écrivit à celui-ci (ad Att., 9, 16), et celle qu’il adresse à Oppius et Balbus, ses familiers (ad Att., 9, 7, c). Il sait gré à Cicéron d’avoir bien auguré de lui : rien n’est plus loin de lui que la cruauté... Peu lui importe que ceux qu’il a mis en liberté [à Corfinium], s’en retournent à l’ennemi : il aime mieux, avant tout, rester semblable à lui-même (nihil enim malo, quam et me mei similem esse, et illos sui) ! — Et à Balbus : J’agis d’autant plus volontiers selon votre conseil, que je ne fais, d’ailleurs, que ce que j’ai résolu de moi-même, en me montrant le plus doux possible, et en travaillant à me réconcilier avec Pompée. Ici je cite textuellement d’admirables paroles : Temptenus hoc modo, si possumus omnium voluntates recuperare et diuturna victoria uti : quoniam reliqui crudelitate odium effuagere non potuerunt, neque victoriam diutius tenere prœter unum L. Sullam, quem imitaturus non sum. Hœc nova sit ratio vincendi ut misericordia et liberalitate nos muniomus. (Essayons par là de ramener à nous, s’il est possible, les volontés de tous, et usons ainsi de notre victoire d’aujourd’hui : les autres, se montrant à cruels, n’ont pu éviter la haine, et consolider la victoire, sauf un seul, L. Sylla, que je n’imiterai point. Telle est, pour vaincre, ma recette nouvelle : le pardon et la bienveillance me seront un rempart). Et il continue sur ce ton, en racontant comment il renvoie avec la vie sauve, Gn. Magius, le second ingénieur de Pompée qu’il ait fait prisonnier. — Balbus et Oppius, qui écrivent à César, à qui César répond, et dont Cicéron communique ici les dépêches, étaient des hommes importants.

L. Cornelius Balbus major, Espagnol, né à Gadès, avait rendu des services à la République dans les guerres contre Sertorius. Arrivé à Rome, il était entré dans la tribu caustuminienne. Riche, ami de Pompée et de César, son ingénieur (prœfectus fabrum) en Espagne, en 693 [61 av. J.-C.], et dans les Gaules, son mandataire avec Oppius pour l’administration de sa fortune privée, il fut un jour accusé d’usurpation du titre de citoyen romain. Il eut pour défenseurs Pompée et Crassus, auxquels se joignit Cicéron, dont le plaidoyer, curieuse étude de droit public, nous a été conservé (pro Balbo). Balbus acquitté resta l’intime de César, et l’ami de Cicéron. Pendant la guerre civile, on le trouve à Rome, travaillant à la conciliation des partis. Plus tard, il est du parti d’Octave. Il avait écrit des Ephémérides (Suétone, César, 81), et veilla à la continuation des Commentaires de César.

G. Oppius mena à Rome la même vie d’affaires que Balbus, aussi dans l’intérêt de César, et de concert avec l’Espagnol naturalisé. Au temps d’Aulu-Gelle, il existait encore toute une correspondance entre lui et César. On sait l’anecdote racontée par Plutarque (César, 17) et Suétone (César, 71). Un jour, durant un orage, le Triumvir fit entrer son ami, malade et délicat, dans une petite hutte, et coucha en plein air. — Après la mort de César, Oppius se rangea aussi du côté d’Octave. Niebuhr et quelques autres lui attribuent la rédaction du livre de Bello africano, dans les Commentaires. Il écrivit, d’ailleurs, une série de biographies sur les principaux hommes politiques de son siècle.]

[36] [Ainsi, après le Rubicon franchi, il négocie avec Pompée, par l’intermédiaire de L. César et du préteur Roscius (B. c., 1, 7-11) : devant Brindes il emploie Numerius Magius Cremona (1, 24, 26) : à Rome il veut que le Sénat envoie des députés à Pompée (1, 32) : en Illyrie, plus lard, il renouvelle ses tentatives par la bouche de L. Vibullius Rufus : sur l’Apsos, par la bouche de P. Vatinius (3, 10, 19) : et enfin par celle de Scipion, beau-père de Pompée (3, 51-58). — Et l’historien Velleius en fait la remarque ; nil relictum a Cœsare, quod servandœ pacis causa tentari posset : nihil receptum a Pompeianis... Il faut lire tout le passage (2. 49).]

[37] [Voyez les angoisses de conscience de Cicéron, si longtemps indécis, et demandant conseil à ses amis, dans toutes ses lettres d’alors.]

[38] [B. civ., 1, 32-33. Ces tribuns étaient Antoine et Cassius : César ne pouvait faire la convocation, étant proconsul. De même l’assemblée eut lieu hors des portes.]

[39] [Pompée quittant Rome avait préposé Cicéron à la garde des côtes campaniennes (ad fam., 16, 11. - ad Att., 7, 7). A Formies, où il va d’abord, celui-ci voit Lentulus, le consul, et se répand en plaintes, en gémissements sur la situation. Il ne sait s’il doit persister dans le parti de Pompée, dont la cause, mal conduite, lui semble désespérée. — A Minturnes, il s’entretient avec Lucius Cœsar, porteur de paroles pour l’Imperator. — Puis, quand il apprend, en Campanie, que Pompée a battu en retraite sur Brindes, ses incertitudes redoublent. Il ne veut pas se donner à César, qui cherche à le gagner par mille moyens : il hésite à suivre au-delà des mers le déplorable général de la République ! En attendant il ne fait rien, ne bouge pas, et vit tranquille à Formies : voilà la seule réponse que Trébatius rapportera de lui à César (ad Att., 7, 17). César alors de lui écrire lui-même : pareille réponse évasive (ad Att., 8, 9). Enfin César quitte le camp de Brindes et part pour Rome. Il adresse à Cicéron une invitation nouvelle, et plus pressante en même temps qu’amicale : il a besoin de lui, de son conseil, de son crédit (v. sa lettre relatée dans celle ad Att., 9, 6). Il lui fait écrire encore par Oppius et Balbus (ad Att., 9, 7). Rien ne fait. Comment aller à César ? plus de lois ! plus de tribunaux, ni de Sénat ! Il n’y a que passion, audace, dépense folle et besoins énormes, chez tous ces affamés ! Comment voulez-vous que la fortune des particuliers, que celle de la République y suffise ! (ibid.). — Il ne croit pas à la clémence, à l’amour de l’ordre chez César, et il revient souvent sur ce sujet (ad Att., 9, 9). Comme si Pompée n’avait pas lui aussi fait de sanglantes menaces ! (Gnœus noster sullani regni similitudinem concupivit). Comme s’il ne voulait pas, lui aussi, affamer Rome et l’Italie, ravager, brûler les champs, ravir l’argent des riches (ad Att., 9, 9) !

Le 27 mars, César est à Sinuessa. Nouvelle lettre à Cicéron ; nouvelles instances rassurantes (ad Att., 9, 16). Cicéron ne va pas au rendez-vous : César alors va le trouver chez lui, à Formies (28 mars). Ici le grand orateur retrouve quelque fermeté, et la dignité du caractère. — Il ne lui sied pas de s’employer pour la paix, en obéissant aux intentions de César, à l’encontre de la volonté du Sénat. Je ne veux point être là : ou je tiendrais ce langage, et je dirais bien d’autres choses encore que je ne puis taire, ou il me faut ne pas y aller ! (ad Att., 9, 18). On se sépare là-dessus, et en froid. Mais Cicéron est content de lui-même (At ego me amavi, quod mihi jam pridem usu non venit). Je l’ai offensé ; raison de plus pour agir prudemment !

A quelque temps de là César lui écrit encore de Rome : il lui pardonne son abstention, mais pendant ce temps, soit affection pour Pompée, soit plutôt affection pour la République légitime et aristocratique, Cicéron a enfin pris son parti, et malgré les incitations de Curion qui le visite, en se rendant en Sicile, malgré les assurances qui lui sont données, il quitte l’Italie, s’embarque à Cajeta, le 11 juin, avec douleur, mais avec sa conscience pour compagne (ad Att., 10, 4).]

[40] [Adjuvat etiam Piso, quod ab urbe, discedit, et condemnat generum suum (ad fam., 14, 14).]

[41] [Consul en 703 [51 av. J.-C.] avec M. Claudius Marcellus. Servius Sulpicius Lemonia Rufus fut l’ami de Cicéron, qui le vante comme un orateur et un jurisconsulte réputé (Brutus, 41). Il fut l’un des accusateurs de Muréna ; consul élu pour 691 [-63]. — C’est lui qui, interroi en 702 [-52], avait nommé Pompée consul sans collègue. — Plus tard, après Pharsale, César le fit proconsul en Achaïe (ad fam., d, 3). Il mourut (711 [-43]) au camp d’Antoine, sous Modane, où le Sénat l’avait envoyé en mission.]

[42] [Il y prit (selon Orose, 6, 15), 4.135 livres d’or, et 90.000 livres d’argent (environ 8.000.000 fr.) ; plus encore selon Pline (33, 17, 3). — Metellus le menaça des malédictions divines — Il violait le trésor destiné à repousser les Gaulois !Les Gaulois ne sont plus à craindre, répondit César : je les ai domptés (Appien, 2, 42). — V. aussi toute cette scène dans Plutarque, César, 35. Après la guerre, dit-il à Marcellus, tu pourras jouer à l’orateur ! Et comme l’autre persiste, César s’irrite, et le menace de le faire tuer : Ne vois-tu donc pas qu’il m’est plus difficile de dire le mot, que de faire la chose ! — Cette voie de fait nuisit à César, dans l’opinion : il l’a, comme on sait, dissimulée dans ses Commentaires, I, 14 et 33. — Le L. Metellus Creticus, dont il est ici question, n’est guère connu que par l’incident qui vient d’être relaté (Plutarque, César, 35 ; Pompée, 62. - Dion Cassius, 12, 17. – Appien, B. c., 2, 41. – César, B. c., 1, 33. – Cicéron, ad Att., 10, 4). — Il a probablement péri dans le flot des guerres civiles.]

[43] [Cf. le discours de Lentulus, B. c., 1, 1 : et le discours de César, B. c., 1, 32.]

[44] [César convient qu’il perdit trois jours à entendre les protestations des uns, les excuses des autres (triduum disputationibus excusationibusque extrahitur) ; puis, que la querelle avec Metellus lui prit quelques jours encore (1, 33) — Il aurait quitté Rome fort mécontent. Il sait, dit Cicéron, que l’affaire du trésor a froissé le peuple (se apud ipsam plebem offendisse de œrario) : il voulait le réunir une fois encore : il ne l’osa pas, et partit vivement troublé. C’est Curion qui, visitant Cicéron à sa villa de Cume, lui fait ce récit (ad Att., 90, 4, § 3). N’est-il pas exagéré ? Drumann suppose que le peuple ne regretta qu’une chose, l’argent qui lui était promis, mais non encore distribué (Drum., III. p. 446).]

[45] [C’est bien du fameux polygraphe, Marcus Terentius Varro, du plus savant des Romains qu’il s’agit ici. Varron, était né en 638 [116 av. J.-C.]. Sous le rapport littéraire, il en sera amplement question plus loin (ch. XII). Mais sa carrière politique n’avait point été insignifiante : il avait eu un commandement naval dans la guerre contre Mithridate (Pline, H. n., 3, 11, 7, 30. Appien, Mithridate, 95, et Varron, de re rust., 2, prœf.). Lieutenant de Pompée en Espagne, on le verra lui rester fidèle, passer en Grèce, et assister au désastre de Pharsale. Reçu à pardon par César, il ne s’occupe plus que de ses travaux d’homme de lettres et de bibliothécaire (Cicéron, ad fam., 9, 6). — Un jour il est proscrit : plus heureux que Cicéron, il échappe aux assassins, et gagne la protection d’Octave. Il meurt, à 89 ans, en 726.]

[46] [Marcus Petreius, bon et énergique soldat, qui gagna tous ses grades à la pointe de l’épée (v. Salluste, Catilina, 59, 60. – Cicéron, pro Sest., 5). — Après le désastre d’Ilerda, il ira rejoindre Pompée : puis, après celui de Pharsale, ira combattre en Afrique. Enfin, après Thapsus, il se réfugiera avec Juba dans une villa du roi numide, où tous deux se donneront la mort.]

[47] [Les critiques militaires varient sur la route prise par l’avant-garde de César. Les uns (Guischardt, mémoires militaires, I, 28), pensent que Fabius, le lieutenant de César, suivit tout simplement la route du Col de Pertuis, la route du trophée de Pompée, par Ruscino, Illiberis, Fircaria (Figueras), Girona, et Barcino (Barcelone), puis de là gagnant Tarragone, quitta la côte, et tira sur Ilerda, par l’embranchement de la voie de l’ouest. — Mais ce trajet était bien long, alors qu’il s’agissait d’une lutte de vitesse (adhibita celeritate. B. civ., 1, 37), Gœler (Guerre civ., p. 25) estime au contraire que les Césariens partis de Narbonne ont remonté la vallée du Tet, et franchissant le col de Puycerda, sont immédiatement descendus dans la vallée de la Ségre, par la Seu d’Urgel, arrivant ainsi par la rive droite, au-dessus d’Ilerda. Napoléon, dans son Précis (ch. X), ne tranche pas la question. — On sait peu de chose du lieutenant de César, Q. Fabius Maximus, qui commanda l’avant-garde, et assura par ses habiles dispositions le succès de la campagne. Il avait été poursuivi en 695 [59 av. J.-C.], pour extorsion en Macédoine (Cicéron, in Vatin., 11) : à raison de ses services dans les Gaules et dans les deux guerres d’Espagne (Bell. Hisp., 2, 41), César lui donna le triomphe et le consulat. Il mourut en sortant de charge.]

[48] [Le modius romain (6 fois moindre) valait 50 deniers (César, B. c., I, 52), environ 41 francs.]

[49] [B. C., I, 53. — On alla en foule à la maison d’Afranius, pour complimenter les siens : d’autres se décidaient enfin pour Pompée, et accouraient à lui, voulant lui porter les premiers la nouvelle de la défaite de César.]

[50] [Sur tous les détails qui précédent : B civ., 1, 48-54]

[51] [Carabus : parva scapha ex vimine facta, quœ contexta erudo crudo genus navigii prœbet (Isidore, orig., I, 19. - B. c., I, 54. - Luc., 4, 130 et s.). — Les Bretons appelaient ces embarcations des coricle ou coracles.]

[52] [César, dans cette campagne d’Ilerda, a, comme d’habitude, ordonné à ses soldas des travaux gigantesques. Déjà, durant la première partie du siège, et pendant la guerre d’escarmouches qui a précédé le débordement de la Sègre et la rupture des ponts, il a fait combattre ses deux premières lignes, masquant la troisième qui, pendant ce temps, creuse les fossés et construit le retranchement (B. c., I, 41 et 42). (On dit que nos troupes, au camp de Saint-Maur, sont exercées à un semblable travail). Aujourd’hui, il ne veut pas moins faire que dériver la rivière qui le gêne. Il creuse des coupures transversales qui n’ont pas moins de 30 pieds romains de large. Ces saignées allaient ou se déversera l’ouest, dans un affluent du Sicoris, la Noguera Ribagorsana, ou dans le cours du Sicoris lui-même, au-dessous d’Ilerda (Guischardt, Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains). — Napoléon admire ce travail (Précis, ch. X).]

[53] [B. c., 1, 59-89. César a consacré toute la fin du premier livre de ses Commentaires au récit de la campagne d’Ilerda. Nous y renvoyons pour les détails. En partant pour l’Espagne, il avait dit qu’il allait y combattre une armée sans général, pour revenir combattre un général sans armée (ire se ad exercitum sine duce, et inde reversurum ad ducem sine exercitu (Suétone, César, 84). — Par la rapidité, et l’ascendant de ses manœuvres, il enlève à l’ennemi la ligne des Pyrénées, et profitant de sa faute, il s’attache à le tourner devant Ilerda, lui barre le passage de l’Èbre, et réduit une armée égale en force à la sienne. - (V. Précis des guerres de César, ch. X). — La campagne de Lérida a été étudiée par tous les écrivains militaires, par le colonel C. Gottlieb Guischardt (Quintus Icilius), l’historiographe savant à la suite du Grand Frédéric, dans les Mémoires militaires sur les Grecs et les Romains (La Haye, 1757), et plus récemment par le général de Gœler (Bürgerkrieg zwischen Cæs. und Pomp. - Guerre civile entre C. et P.) — Citons aussi le nom du Grand Condé. Les campements de César firent son étude. Je me souviens qu’il nous ravissait en nous contant comme en Catalogne, dans les lieux où ce fameux capitaine, par l’avantage des postes, contraignit cinq légions romaines et deux chefs expérimentés à poser les armes sans combat, lui-même, il avait été reconnaître les rivières et les montagnes qui servirent à un si grand dessein ; et jamais un si digne maître n’avait expliqué par d’aussi doctes leçons les Commentaires de César (Bossuet, Oraison fun. du Prince de Condé).

Quant au lieu où se fit la capitulation, il ne peut être Mequinenza, comme le dit Napoléon (Précis. l. c.) : Mequinenza est sur la rive droite de la Ségre, à son confluent. Or, toute la marche au travers de la plaine d’Ilerda, et vers le massif montagneux qui borde l’Èbre au nord, et la capitulation finale, se sont effectuées, sur la rive gauche du Sicoris : il faut tenir le fait pour certain avec Guischardt, Mannert (I, 417), et Gœler (p. 49) : ce dernier nous fournit une description topographique exacte ; et il faut placer, soit à La Granja, soit à Almatret, sous la croupe du Mancu Montana, la localité d’Octogesa, où, selon César, les Pompéiens avaient réuni une flottille pour passer l’Èbre (B. c., I, 61).]

[54] [Santiponce, non loin de Séville, sur la rive droite du Guadalquivir.]

[55] [B. c., 1, 38 ; 2, 17-22. Varron se comporta en homme de faible cœur. — Au début, son langage, son attitude affectent une modération grande envers César. Il ne fait aucun mouvement défensif (B. c., 2, 16). Mais, quand il voit César en échec devant Ilerda, il se décide (se quoque ad motus fortunaœ movere cœpit) ; ramasse des armes, des vaisseaux, des munitions, dépouille les temples au profit de la caisse militaire, et parle haut contre César (I, 18). — Toute cette effervescence tombe quand la fortune a tourné (16-21). Epouvanté (perterritus), il se rend à merci ; et livre ses munitions et sa flotte, ne demandant que le pardon.]

[56] [Déjà nous avons dit qu’il ne faut pas confondre D. Brutus Albinus avec M. Junius Brutus, le favori de César et l’un des chefs de la conspiration des Ides de Mars. Decimus Brutus Albinus, le héros de la guerre des Vénètes et du siège de Marseille, fils du Brutus, consul en 617 [77 av. J.-C.], reçut de César, après Marseille prise, le commandement de la Gaule Ultérieure : il se signala dans la secondé guerre d’Espagne, et eut la promesse de la préture et du consulat. On ignore pourquoi, lui aussi, il fut l’un des assassins de son bienfaiteur. — Plus tard, il s’enferme dans Modène, où Antoine, qui l’assiégé, est défait ; puis passe en Macédoine, où un de ses Gaulois le trahit et le livre. Antoine le fait tuer.]

[57] [12 vaisseaux longs, mis en chantier à Arles (B. c., 1, 36).]

[58] [Population des montagnes au nord de Marseille, B. c., 1, 34.]

[59] [Ramassés dans les îles et sur la côte de Toscane. - B. c., 1, 36, 56.]

[60] [B. c., 34-37 ; 56-59. Brutus eut recours au moyen qui avait servi a Duilius contre les Carthaginois (à Mylæ), et à lui-même contre les Vénètes. Ses hommes abordaient les vaisseaux de Domitius à l’aide de grappins et de mains de fer ; puis, combattant comme sur terre, ils reprenaient aussitôt leur avantage.]

[61] [Lucius ou Quintus Nasidius, lieutenant naval de Pompée. De Marseille, il ira en Afrique avec ses vaisseaux ; puis d’Afrique en Espagne. En 719 [35 av. J. C.], on le retrouve auprès de Sextus Pompée : enfin, il se rangera du côté d’Antoine, et se fera battre à Patræ, par Agrippa, à la veille d’Actium.]

[62] [B. c., 2, 3-7. Lire le détail intéressant du combat naval ; qui se livra en vue de terre.]

[63] [Magis eos pro nomine et vetustate quam pro meritis in se civitatis conservans. B. c., 2, 22.]

[64] [César donne, pour ainsi dire, le bulletin du siège de Marseille (B. c., I, 34-36 ; 2 1-16, et 22). Les détails précis sur lesquels il s’étend, sont, pour la topographie et l’histoire, d’un haut intérêt, en même temps qu’on y voit en action tous les moyens et engins à l’usage des Grecs et des Romains, pour l’investissement et la défense des places. Mamurra y fut le principal, ingénieur de César.

La situation de Marseille était encore, au temps de César, ce qu’elle avait été à l’origine : la ville s’élevait sur une presqu’île, baignée de trois côtés par la mer : du quatrième côté, un mur avec tours, au-dessus d’un vallon profond, la séparait de la terre ferme. Le port de Lacydon, ainsi il s’appelait, était au sud (B. c., 2, 1) :

......... cujus urbis hic situs :

Pro fonte litus prœjacet : tenuis via

Patet inter undas : latera gurges alluit :

Stagnum ambit urbem, et unda lambit oppidum

Laremque fusa : civitas pœne insula est...

(Fest. Avien. ora maritima, 94).

Aujourd’hui le port ancien n’existe plus, et le port actuel (le Vieux-Port) est tourné vers le couchant (Walkenaer, Geogr. anc. des Gaules, I, p. 25 et note 2). La cathédrale (N.-D. de la Major) occupe l’emplacement du temple de Diane, centre de la ville phocéenne. Le front d’attaque par terre allait de la colline de la citadelle au fond du vieux port actuel, vers le cours St-Louis et la Canebière (Merivale, hist, of the Rom. (hist. des Romains sous l’empire), 2, p. 204). La ville avait de vastes arsenaux et des chantiers (Eumène, Paneg. Constantin, c. 19, et Augustin Thierry, Hist. des Gaules, 2, IIe part, c. I : son récit plus détaillé du siège, reproduit les bulletins de César, et y mêle industrieusement la narration poétique de Lucain, Pharsale, 3).]

[65] [M. Aurelius Cotta (B. c., 1, 5, 28), avait été consul en 689 [66 av. J.-C.]. Après la conjuration de Catilina, il avait le premier, dans le Sénat, proposé une supplicatio, en l’honneur de Cicéron : puis, le premier encore, avait proposé son rappel d’exil. — Il paraît au cours de la guerre civile être revenu à César. Cicéron vante souvent son talent et sa prudence.]

[66] [Q. Valerius Orca. Il n’est connu que par trois lettres de Cicéron (ad fam., 13, 6, 4, 5), et par la mention que fait de lui César. Il avait été préteur en 696 [58 av. J.-C.] : puis avait administré la province d’Afrique : durant la guerre civile, César l’a pour lieutenant (B. c., 1, 30-31), et, en 708 [-46], le fait commissaire répartiteur des terres à donner à ses soldats. C’est alors que Cicéron lui écrit dans l’intérêt des Volaterrans.]

[67] [Les Caralitains le chassèrent en apprenant que Valérius arrivait (B. c., 1, 30).]

[68] [Gaius Caninius Rebilus, de la gens plébéienne Caninia, fut lieutenant de César dans les Gaules (B. G., 7, 83, 90 ; 8, 24). Devant Brindes, il alla porter à Scribonius Libo, son ami, et lieutenant de Pompée, des propositions de paix (B. c., I, 26). César, comme le dit notre texte, l’avait placé prés de Curion, parce qu’on le savait magnum habere usum in re militari (B. c., 2,  34). — En Afrique, il échappera au désastre où Curion périt (ibid., 2, 24), prendra part, plus tard, à la campagne de Thapsus (Bell. Afric., 86, 93), puis passera en Espagne. Consul suffectus, pour quelques heures, à la fin de 705 [-49], en remplacement de Q. Fabius Maximus, décédé la veille des Calendes de Janvier. De là les plaisanteries de Cicéron : Ce consul-là n’a point fait de mal ! Il fut d’une admirable vigilance, et n’a point dormi durant tout son office ! C’est à en pleurer, à force d’en rire ! (Cicéron, ad fam., 7, 30. – Plutarque, César, 58).]

[69] [B. c., 1, 30. — Sa conduite n’en fut pas moins sévèrement jugée (ad Att., 10, 16) : Si tenuisset, omnes boni ad eum se contulissent... O... turpem Calonem !]

[70] [Le commandant désigné par le Sénat pour la province d’Afrique, était Lucius Ælius Tubero, ami et compagnon d’études de Cicéron (B. C., 1, 30). Mais, le propréteur, C. Considius Longus, auquel il succédait, était parti sans l’attendre, laissant toutes choses aux mains de Q. Ligarius, son lieutenant. Sur ces entrefaites, arrive Altius Varus, abandonné par ses soldats à Auximum : ils s’entendent entre eux et empêchent le débarquement de Tubéron, qui s’en va rejoindre Pompée en Grèce : César lui pardonnera. — Quant à Q. Ligarius, il combat sous Varus, et reste en Afrique jusqu’après Thapsus. Plus tard, accusé devant César par le fils de Tubéron, il est défendu par Cicéron (pro Ligar.). Cette fois encore, César pardonne, et Ligarius, un jour, se rangera parmi ses assassins. Il périra proscrit.]

[71] [A Anquilaria, entre les promontoires de Mercure (cap Bon), et d’Apollon (cap Zibeh). Lucius Cœsar, le jeune, lieutenant de Pompée, l’attendait à la hauteur de Clypea : mais il prit terre, et gagna Hadrumette où Considius Longus, revenu en Afrique, s’était posté avec une légion (B. C., 2, 23).]

[72] [Castra Corneliana (Tite-Live, 29, 35 - et César, B. c., 2, 24) : les deux descriptions sont conformes.]

[73] [Voir le récit du combat où Varus, fuyant, faillit être tué par un simple soldat (B. c., 2, 35-36).]

[74] [Les deux légions qu’il y a laissées et le reste de sa cavalerie (B. c., 2, 35.37).]

[75] [César dit LX éléphants, B. civ., 2. 40.]

[76] [B. c., 2, 38-44. — Comparez le récit d’Appien, 2, 44 et s. et celui de Dion Cassius, 41, 41. — Ces historiens sont sévères pour Curion, dont César, au contraire, voudrait excuser la témérité folle. La mort de Curion a inspiré à Lucain de beaux vers (Pharsale, 4. 799 et sq.) :

Quid nunc rosira tibi prosunt turbata, forumque ?...

Puis, son invective tourne aussi bientôt à l’éloge et aux regrets :

Digna damus, juvenis, merito prœconia vitœ !

Haud alium tanto civem tulit indole Roma......]

[77] [V. ses discours à ses officiers en conseil de guerre, et à ses soldats (B. civ., 2, 31, 32). Sans doute, c’est César qui les met dans sa bouche ; mais César n’écrit que sur le rapport des témoins auriculaires.]

[78] [Santa Maria di Siponto, à un kilomètre au sud de Manfredonia.]

[79] [Le gendre de Cicéron, aussi dépravé que Curion, sans racheter, comme lui, ses fautes par l’éclat du talent. P. Cornelius Dolabella, de la gens patricienne Cornelia, fort jeune encore est membre du collège des quindecemvirs (sacris faciundis : 703 [51 av. J.-C.]) : il accuse App. Claudius (consul en 700 [-54]), pour crime de majesté et de      brigue.

Lui-même, Cicéron l’avait défendu avant son départ pour la Cilicie : on ne lui reprochait rien moins que des crimes capitaux, meurtre, attentats honteux, etc. (v. la IIe Philipp. de Cicéron, 3, 4 : puero pro deliciis crudelitas fuit, etc.). A peu de temps de là, ayant su gagner les bonnes grâces de Terentia, il épouse Tullia (elle était sa troisième femme) malgré la vive répugnance du grand orateur, qui ensuite se met à l’admirer, et l’aide à régler ses dettes. Mais bientôt il recommence ses excès et se jette dans le parti de César. Cicéron en souffre d’abord, puis s’en accommode. Il aura un appui dans l’autre camp.

Après Pharsale, Dolabella reviendra à Rome, où, toujours perdu de dettes, il passe aux plébéiens, comme avait fait Clodius, en se faisant adopter par Gnœus Lentulus. Tribun du peuple en 706 [-48], il propose la radiation totale des dettes, pendant que César est retenu dans Alexandrie (v. infra, ch. XI). De là des tumultes sanglants. — César l’emmène ensuite en Afrique et en Espagne. Il lui avait promis le consulat pour l’an 710 [-44] ; à sa mort, Dolabella, faisant cause commune avec les meurtriers, prend les insignes consulaires. Il n’a encore que 25 ans, et n’a point passé par les charges antérieures. Il renverse l’autel de César et la colonne qui lui est dédiée sur le Forum : il précipite de la roche Tarpéienne ou fait clouer sur la croix les fanatiques venus pour sacrifier au dieu assassiné la veille ; et ces férocités républicaines lui valent l’éloge du parti. Bientôt, il se fait donner la Syrie pour province : mais avant de s’y rendre, il passe par la Grèce, la Macédoine et l’Asie Mineure, pillant partout. Il fait tuer Trebonius, le proconsul d’Asie (février 711 [-43]), recommence ses extorsions, et enfin est déclaré ennemi public. En Syrie, il trouve Cassius, arrivé avant lui, qui l’assiége et le fait tuer dans Laodicée.

Tullia avait divorcé, alors qu’elle était enceinte.

Nous avons insisté sur la simple esquisse qui précède, parce qu’elle est aussi de celles qui nous font voir au vrai l’état des moeurs privées et politiques, à Rome, en ces temps funestes. — On trouvera dans la correspondance de Cicéron nombre de lettres concernant Dolabella, ou même adressées à lui. Les sentiments les plus opposés s’y font successivement jour. — Tantôt, dans une missive à Terentia (Cal. février 704 [-50]. - ad fam., 14, 14), le beau-père se flatte que si César livre Rome au pillage, Dolabella, du moins, pourra leur être utile (sin homo amens diripiendam urbem daturus est, vereor ut D. ipse satis nabis prodesse possit. - V. aussi ad Att., 7, 13 ; ad fam., 14, 18). — Ailleurs, il lui peine de le savoir auprès de César (ad fam., 16, 12) ; puis bientôt, Dolabella est un jeune homme excellent, qui lui est cher (ad fam., 11, 16) ! — Puis, il lui donne des leçons d’éloquence (en 707 [-47] - ad fam., 9, 16 ; 7, 33). Mais voici que Tullia divorce, et Cicéron voudrait bien faire rentrer la dot (ad fam., 6, 28), que Dolabella se gardera de rendre jamais : quand sa fille est morte, des suites de ses couches (février 708 [-46]) Cicéron lui écrit une lettre triste, affectueuse, et curieuse en ce sens qu’elle atteste que malgré le divorce, les bonnes relations n’ont pas cessé entre eux. D’ailleurs, Dolabella s’emploie alors et lutte même pour son ex-beau-père (prœlia te mea causa sustinere - ad Dolab. - ad fam., 11, 11). Et puis, plus tard, quels éloges, quand Dolabella massacre les Césariens ! Ô mon admirable Dolabella ! ...... spectacle grandiose ! ...... la roche Tarpéienne ! ...... la croix ! ...... Cette colonne jetée à bas ! ...... quel héroïsme ! etc. (ad Att., 14, 15). Quelle vaillance ! Je ne cesse de l’exhorter, de le louer (ibid., 14, 16). — Je suis content de ta gloire ! (Cicéron, Dolab. suo, ad fam., 9, 14). Et il continue ainsi (ad Att., 14, 19 ; 18, 21) : On le porterait aux nues, si seulement il payait quelque terme sur la dot ! Mais bientôt, comme je l’ai dit, tout change : le héros n’est plus qu’un scélérat (ad fam., 12, 15), chose hélas ! trop vraie, et lorsqu’on apprend qu’il s’est enfermé dans Laodicée, on espère, bien qu’il y trouvera la peine de ses crimes (ibi spero celeriter eum pœnas daturum. Lentulus à Cicéron, ad fam., 12, 14, et Cicéron à Cassius, 12, 8 ; 12, 10). — Que de faiblesse, que d’inconsistance de caractère et d’opinions chez ce grand et bon citoyen !]

[80] [Marcus Licinius Crassus Dives. On ne sait que peu de chose de lui, si ce n’est qu’à cause de sa ressemblance avec le sénateur Axius, on soupçonna sa mère Tertulla de n’avoir point gardé la fidélité conjugale (Suétone d’ailleurs (César, 50), rapporte qu’elle avait aussi cédé à César). Il avait été questeur en Gaule, après le départ de son frère Publius, le lieutenant de Crassus le père dans la guerre parthique (B. G., 5, 24, 46-47 ; 6, 6). Par Publius, il s’était lié avec Cicéron. On ne sait pas la suite de sa vie.]

[81] [G. Antonius, le second fils de M. Antonius, surnommé par dérision Creticus. Il avait été questeur de Minucius Thermus, propréteur en Asie (703 [51 av. J.-C.]). — Capturé à Curicta, comme on le va voir, il resta prisonnier au camp de Pompée : la bataille de Pharsale le délivra. — A l’époque de la mort de César, il est pontife, puis préteur urbain (710 [-44]), alors que son frère aîné, Marcus, est consul, et que son plus jeune frère, Lucius, a le tribunat. — Il reçoit la province de Macédoine. Mais déjà Brutus l’y a précédé avec des forces supérieures : il est battu par Cicéron le Jeune, et se réfugie dans Apollonie, où il est pris. A quelque temps de là, Brutus le fait tuer (712 [-42]), à l’instigation d’Hortensius le fils, et pour venger l’assassinat de Cicéron le consulaire.]

[82] [M. Octavius, de la gens plébéienne des Octaviens, édile en 704 [50 av. J.-C.] avec M. Cœlius (Cicéron, ad fam., 3, 4 - ad Att., 5, 21 ; 6, 1). Quand éclate la guerre civile, fidèle aux traditions aristocratiques de sa famille, il se range du côté de Pompée. — Après Pharsale, il revient en Illyrie avec sa flotte, défait Gabinius : puis, battu lui-même par Vatinius et Cornificius, il va en Afrique (B. Alex., 42-46). Après Thapsus, il a encore sous ses ordres deux légions, et prétend au commandement. — Enfin on le revoit à Actium, où, lieutenant d’Antoine, il commande au centre (Plutarque, Cato min., 65, et Antoine, 65).]

[83] [Lucius Scribonius Libo, d’une famille plébéienne, fut tribun du peuple en 698 [56 av. J.-C.] : dès cette époque, il appuie Pompée qui veut l’expédition d’Égypte. — Au début de la guerre civile, il a le commandement de l’Étrurie. Il rejoint Pompée en Campanie, et le suit à Brindes. Là, César, par l’intermédiaire de Caninius Rebilus, ami de Libo, transmet à celui-ci de nouvelles paroles d’accommodement auxquelles Pompée coupe court. Les consuls sont partis : on ne peut entrer en pourparlers sans eux ! (B. c., 1, 26. – Cicéron, ad Att., 1, 12 ; 8, 11). Libo sert ensuite sur la flotte comme lieutenant de Bibulus, l’amiral de Pompée : puis, à la mort de Bibulus, il lui succède. Chargé de bloquer Antoine dans Brindes, il le laisse échapper, avec le second corps, qui va rejoindre César en Épire (B. c., 3, 15-24). — Jusqu’à la mort du dictateur, on n’entend plus parler de lui. Mais, en 710 [-44], nous le retrouvons en Espagne avec Sextus Pompée, son gendre (ad Att., 16, 4). Un peu plus tard, Octave, par le conseil habile de Mécène, épouse Seribonia, sa sœur, déjà deux fois veuve. Ce mariage amène la réconciliation des Triumvirs, à laquelle Libo contribue (715 [-39]). Enfin, en 720 [-34], Libo est consul avec M. Antoine : et son nom, depuis lors, tombe dans l’oubli de l’histoire.]

[84] [Lucius Minucius Basilus prit le nom de son oncle maternel, qui l’avait adopté : son nom d’origine était Marcus Satrius. Il servit en Gaule, en 700 et 702 [54-52 av. J.-C.] (B. G., 6. 29-30 ; 7, 92), où il demeura, sans doute, jusqu’à la guerre civile. César lui donna alors un commandement naval (Florus, 4., 2 ; Lucain, 416). Comme Brutus et tant d’autres lieutenants, il leva le poignard sur le dictateur, ce dont Cicéron le loue (ad fam., 6, 15). Il fut bientôt tué lui-même par un esclave.]

[85] [Appien, B. c., 2, 47. – Florus, 4, 2. – Orose, 6, 15. - Dion Cassius, 41, 40, et Lucain, 4, 402-581. Tout cet épisode manque dans les Commentaires. Selon les critiques allemands, il était raconté à la fin du livre 2, B. civ., qui tourne court, et est de moitié moins long que les deux autres. Le chap. 9 du livre 3 est également incomplet ; mais au chap. 10, dans les paroles qu’il charge Vibullius Rufus, son prisonnier pour la seconde fois, de porter à Pompée, César fait mention de l’affaire de l’île Curicta (militumque deditione ad Curiclam). Ailleurs (B. c., 3, 67), il dit que G. Antonius avait été trahi par Tit. Pulio, un de ses officiers. (V. sur lui B. G., 44). — Enfin (3, 4) César énumère, parmi les forces de Pompée, les soldats d’Antoine faits prisonniers (Antonianos milites admiscuerat). — C’est au cours de la campagne malheureuse d’Illyrie que se place le trait d’héroïsme des recrues d’Opitergium.]

[86] [Aux termes exprès du droit l’assemblée légitime du conseil de Rome de même que la Justice légitime ne pouvait siéger que dans la ville, ou dans l’enceinte de sa banlieue [infra pomœrium]. D’ailleurs, le Sénat de Thessalonique prit ce nom des Trois-Cents (B. Afr., 88, 90 ; Appien, 2, 95), non parce qu’il aurait compté, en effet, 300 membres, mais parce que c’était là le nombre originaire des sièges sénatoriaux de Rome. Je tiens pour très croyable que cette assemblée se renforça par une adjonction de chevaliers notables : mais quand Plutarque (Cato min., 59, 61) ne voit dans les Trois-Cents qu’un groupe de gros marchands italiens, il comprend mal le document où il puise. (V. Dion Cass. 42, 43. – Lucain, 5, 7 et s. – Appien, B. civ., 2, 50-52).]

[87] [M. Mommsen dit par antithèse l’hypertonie en pleine fleur. Nous n’avons pu traduire mot à mot.]

[88] [C’est le mot de Labienus, rompant les conférences sur l’Apsos, entre Vatinius et Varron. B. c., 3, 19... nam nobis nisi Cœsaris capite relato pax esse nulla potest.]

[89] [B. c., 3, 83. – Cicéron, ad Att., 11, 6. – Suétone, Néron, 2). — Et toutes ces propositions follement cruelles émanaient d’hommes qui se disputaient par tous les moyens les simulacres des honneurs républicains. A Domitius, il fallait le pontificat, et il avait pour rivaux Lentulus et Scipion, le beau-père de Pompée. Il appelait Cicéron, son ancien ami, un lâche, mais celui-ci redoutait la victoire des Pompéiens plus que celle de César : Je ne me repens pas de m’être tenu à l’écart de l’armée : toutes ces cruautés, toutes ces alliances avec les nations barbares, la proscription préparée, non contre tels et tels, mais en masse ! J’ajoute, que tous l’avaient décidé, vos biens étaient la proie de leur victoire : je dis vos biens, etc. (ad Att., 11, 6).]

[90] [Acutius Rufus, un inconnu (B. c., 3, 83. – Plutarque, Pompée, 67 ; César, 41).]

[91] [Le texte dit teints en laine (in der Wolle gefœrbten).]

[92] [Plutarque, Pompée, 65, et Cato min., 53.]

[93] [César, B. civ., 3, 82. - Dion Cassius 12, 55. — Pompée avait dépêché à Orodès Lucilius Hirrus, demandant l’alliance et des secours : et celui-ci ne voulant pas consentir à l’abandon de la Syrie, le Parthe l’avait jeté en prison.]

[94] [Échappé de Rome, où, une première fois, Pompée l’avait conduit prisonnier (691 [63 av. J.-C.]), Aristobule était rentré en Judée. Là, Gabinius l’avait assiégé et pris (697 [-67]) dans Machœrus de Pérée (au nord de la Mer-Morte). Renvoyé à Rome, César le relâche, et va le réexpédier en Orient, quand il périt, traîtreusement empoisonné dans Rome par quelque partisan de Pompée (Josèphe, Bell. Jud., 1, 9. - Dion Cass., 12, 38). — Tout cet épisode est raconté avec détails dans la savante histoire d’Hérode de M. de Saulcy. Paris, 1867, première partie).]

[95] [Presque tous ces détails sont fournis par César (B. c., 3, 3-5 ; Appien, B. c., 2, 70, Velleius, 2, 51, et d’autres le complètent). Déjà, M. Mommsen a dit l’ascendant tout puissant de Pompée parmi les Orientaux : pour n’être point tout à fait injuste envers lui, il faut reconnaître que son mouvement d’Italie en Grèce avait eu lieu sous l’inspiration d’un double motif politique et militaire. Politiquement, Pompée, champion apparent des constitutionnels, ne travaillait en réalité que pour lui-même. La cause républicaine lui était indifférente : il voulait être un Sylla, mais pour régner (mirandum in modum Gnœus poster Sullani regni similitudinem concupivit (ad Att., 8, 3). - Sullaturit ejus animus et proscripturit diu (ad Att., 9,.10). Il ne dissimulait guère sa pensée. De là, son stationnement en Macédoine. Il y appelait les forces de l’Orient, et ne songeait à repasser en Italie que quand, ayant terrassé César, il pourrait rentrer dans Rome en maître et monarque absolu. — Militairement, les soldats des Orientaux et leurs flottes lui appartenaient à lui seul, et au besoin, il comptait les pouvoir tourner aussi bien contre ses amis que contre son adversaire (V. sur ce point, les très-justes observations de Merivale : hist. of the Rom. under the Empire (hist. des Rom. sous l’empire) 2, p. 159 et s.). — Quant aux dynastes auxiliaires, nous n’avons que quelques mots à en dire.

Dejotarus nous est bien connu. — Tétrarque en Galatie, il avait aidé Pompée contre Mithridate, ainsi qu’il a été raconté. Il avait de même offert ses services à Cicéron, lorsque celui-ci, proconsul en Cilicie (703 [51 av. J.-C.]), manœuvrait contre les Parthes, menaçant la Cappadoce (Cicéron, Phil., 11, 13 ; ad fam., 8, 10). A Pharsale, il fuit avec Pompée. Mais plus tard, quand César vient en Asie, il le reçoit et fait sa soumission. César lui laisse son titre, mais lui ôte une portion de ses états (B. Alex., 67, 10. – Cicéron, pro Dejot., 13. – Dion Cass. 12, 63). En 709 [-45], il est accusé par Castor, son gendre, à ce que l’on croit, d’avoir médité, entre autres crimes, l’assassinat du vainqueur de Pharsale, lorsqu’il lui donnait l’hospitalité. Cicéron le défend, dans la maison même de César, à Rome. Nous avons son plaidoyer (pro Dejot.). A la mort de César, des émissaires de Dejotarus obtiennent d’Antoine, à deniers comptants, la restitution des territoires confisqués. Mais déjà le roi s’est remis en possession. Plus tard, il donne aide à Brutus. — Dejotarus, malgré les louanges de Cicéron, n’est pas autre chose qu’un sultan d’Asie, perfide, lâche et cruel, une sorte de Mithridate en petit. Il avait fait mourir tous ses enfants (Plutarque, de Stoic. repugn. 32),  sauf un seul, Dejotarus II, qui lui succède en 712 [-42], et trahit Antoine à Actium.

Sadala ou Sadales, fils de Catys, roi thracique. César lui pardonna après Pharsale. Il succède à son père et meurt, léguant son royaume à Rome (702 [-42]).

Rhascypolis ou Rhaskyporos, chef de clan sur la côte nord de la Propontide. Dans la campagne de Philippes, il amènera à Cassius 3.000 chevaux, tandis que son frère Rhascus servira comme auxiliaire auprès des triumvirs. Grâce à ce jeu de bascule (Appien, B. c., 103-106), le vaincu sera sauvé par le vainqueur.

Ariobarzane avait amené les 500 cavaliers du contingent de Cappadoce. Il était le petit-fils du roi Ariobarzane Philoromœus, qui lutta contre Mithridate : il portait lui-même les surnoms d’Eusébès et Philoromœus (Cicéron, ad fam., 15, 2). Il devait de fortes sommes à Pompée et à M. Brutus (ad Att., 6, 1-3). César lui pardonna et le protégea contre Pharnace (B. Alex., 34 et s). Cassius le fit tuer, parce qu’il complotait (702 [-42]) contre lui en Asie (Dion Cass. 46, 33. – Appien, B. civ., 4, 63).

Antiochus Ier, roi de Commagène. En 716 [-38], Antoine tentera de le renverser pour s’emparer de ses trésors, mais n’ayant pu prendre Samosate, sa capitale, il fera sa paix avec lui (Plutarque, Antoine, 34 ; Dion Cass., 49, 20-22). On ne sait rien de plus de lui.

De l’arménien Taxile, on ne connaît que la mention (Appien, 2, 7.1), du secours qu’il amène à Pompée. Il en faut dire autant de Mégabatès. César ne les nomme même pas.]

[96] [Tarcondimotos, roi de Cilicie (ainsi l’écrivent les médailles), le Tarcondarius Castor de César (B. civ., 3, 4), le Tarcondimatus de Cicéron (ad Att., 15, 1), le Castor Saôcondarios de Strabon (12, 568), gendre de Dejotarus (v, la note qui précède). César lui pardonna. Tué en 723 [31 av. J.-C.], dans un combat naval contre Agrippa.]

[97] [Ad Att., 9, 10 ; Lucain, 7, 526.]

[98] [Lucain, 3, 284, et passim. — Domitius Ahenobarbus l’appelait Agamemnon et Roi des rois (Plutarque, Pompée, 67 ; Appien, B. c., 2, 67.]

[99] [Verria, sur les pentes est de l’Olympe (Leake, Northern Greece, 3, p. 291).]

[100] [Suétone (César, 69) affirme qu’il n’y eut jamais de sédition parmi les troupes de César au cours de la guerre des Gaules, mais qu’au contraire plusieurs mutineries se manifestèrent au cours de la guerre civile : à Plaisance, César aurait licencié ignominieusement la IXe ; puis cédant aux supplications de ses soldats, il leur aurait pardonné, non sans faire un exemple sur quelques coupables. – Appien, B. c., 4, 47-48. — N’est-ce point là que cessant de les appeler soldats ou camarades, il lés aurait ramenés au devoir, en les interpellant du seul mot de quirites (citoyens) (Luc., 5, 237-373, où tout cet incident est poétiquement délayé

.........Discedite castris.

Tradite nostra viris, ignavi, signa, Quirites !

— V. aussi Dion Cass., 42, 63) ?]

[101] [Il semble qu’il eût mieux fait de les diriger (ses légions) par l’Illyrie et la Dalmatie sur la Macédoine. De Plaisance, point d’intersection des deux routes, la distance est égale pour arriver en Épire. Son armée y serait arrivée réunie : il n’aurait point eu à passer la mer, obstacle si important, et qui faillit lui être si funeste... Napoléon Ier, Précis... ch. XI, obs. 1, 2.]

[102] [On y avait cru pourtant : on lui prêtait un grand dessein à la Thémistocle (consilium Themistocleum). Maître de la mer, on est maître partout. Et Cicéron d’ajouter : Navigabit igitur, quum erit tempus, maximis classibus, et ad Italiam accedet (ad Att., 10, 8).]

[103] Le 5 novembre 705, selon le calendrier rectifié.

[104] [César dit terrain Germiniorum (B. c., 3, 6). On croit généralement à une leçon fautive des manuscrits. Non loin-de là était la localité appelée Chimœra, dont le nom s’est conservé jusqu’à ce jour.]

[105] [César fit de nouveau plusieurs tentatives de paix. - B. c., 3, 10-11, 19.]

[106] [Plutarque, César, 38. - Dion Cass., 41, 46. – Appien, B. c., 2, 57. – Lucain, 5, 500-677. – Florus, 4, 3. — Après avoir avec peine franchi la barre de l’Apsos, voyant le nautonier épuisé de fatigue, et effrayé par les vagues et la tempête - Que crains-tu, lui aurait-il dit : tu portes César et sa fortune ! — Je crois à la tentative téméraire : je ne crois pas au mot. Il sent son rhéteur. Bon gré malgré, il fallut bientôt revenir à la côte.]

[107] [Pompée y avait mis un de ses officiers, Otacilius Crassus, lequel massacra même 220 recrues, amenées par un des navires d’Antoine, qui fit côte. — Les gens de Lissos se prononcèrent aussitôt pour Antoine, et Crassus dut fuir. - B. c., 3, 26-29.]

[108] [Les Grecs du pays firent savoir à Antoine que Pompée l’attendait au passage. Antoine s’arrêta et attendit César (B. c., l. cit.]

[109] B. c., 3, 30. — V. Gœler (die Kœmpfe. v. Dyrr. u. Pharsalus. Batailles de Dyrr. et Pharsale), p. 12, 106.

[110] [La viande ne venait qu’en ordre tout secondaire dans l’alimentation du soldat romain, César le dit plusieurs fois (pecora, quod secundum poterat inopiœ esse subsidium (B. c., 1, 48, devant Ilerda) : pecore... extremam famem sustentarent (B. Gall., 7, 17 : devant Avaricum). — V. aussi Tacite, Annal., 14, 24). Devant Dyrrachium, le soldat s’estimait heureux, quand au lieu d’orge ou de légumes, il avait de la viande à manger (pecus vero... magna in honore habebant. B. civ., 3, 47). Il se nourrissait même alors d’une racine trouvée dans les travaux, la chara (*), triturée avec du lait, en forme de pain (ibid., 48). L’énergie et la dure sobriété du soldat de César étonna Pompée, qui s’écria, en voyant ce pain d’herbe « qu’il avait affaire à des bêtes sauvages, Suétone (César, 68). Et ce même soldat, à son tour, faisait vœu, on l’a vu, de se nourrir de l’écorce des arbres, plutôt que de laisser Pompée s’échapper (B. c., 3, 49).

(*) Les uns y voient la crambe tartarica (chou marin de Russie) ; d’autres le carum carvi, de Linné : enfin selon Pline (H. nat., 19, 8, 144), il s’agirait ici du laiteron, ou lampsane commune, que le soldat chantait dans les poésies de camp.]

[111] [Tous les écrivains militaires ont blâmé l’entreprise de César devant les lignes de Pompée, sous Dyrrachium. Laissons parler le plus illustre. Les manœuvres de César à Dyrrachium sont extrêmement téméraires : aussi en fut-il puni. Comment pouvait-il espérer se maintenir avec avantage le long d’une ligne de contrevallation de 6 lieues, entourant une armée qui avait l’avantage d’être maîtresse de la mer, et d’occuper une position centrale ? Après des travaux immenses, il échoua, fut battu, perdit l’élite de ses troupes, et fut contraint de quitter le champ de bataille. Mais (Pompée) eût dû tirer un plus grand avantage du combat de Dyrrachium ; ce jour-là il eût pu faire triompher la République ! (Précis des guerres de César, Ch. XI. Campagne de Thessalie, observation 4. V. aussi l’observation 5). — On lira dans César lui-même tout le récit de l’investissement du camp de Pompée, et de la défaite finale (B. c., 3, 41 et s.). César voyait que Pompée ne voulait pas se battre avant d’avoir réuni toutes ses troupes et façonné toutes ses recrues (B. C., 44). Il pensait que l’investissement durerait longtemps (l. c., 42) ; et il croyait discréditer Pompée auprès des nations auxiliaires, lorsqu’on le saurait comme assiégé dans son camp, et n’osant pas combattre (l. c., 43, et Dolabella à Cicéron : ad fam., 9, 9). — Pompée avait lui-même construit 24 redoutes autour de son camp. César en avait élevé 26, allant de Dyrrachium au Genusos. C’était bien là, comme dit César, un genre de guerre nouveau et inusité (l. c., 47, 50).]

[112] [Suétone, César, 68. Cette cohorte appartenait à la 6e légion. — Il y a ici une lacune dans les Commentaires (B. c., 3, 50, in fine). César absent (peut-être faisait-il alors sur Dyrrachium la démonstration dont parle Appien, B. civ., 2, 60), avait laissé la garde du camp à l’un de ses lieutenants, Publius Cornelius Sylla, lequel accourut avec 2 légions, battit et repoussa les Pompéiens. On lui reprocha de n’avoir pas poursuivi son avantage : il eût pu du coup achever la guerre ! Toutefois César le loue de sa prudence. Le lieutenant, dit-il, n’a point la mission du général : l’un agit selon la lettre de ses ordres, l’autre est libre et prend conseil des circonstances (l. c., 51).

Ce Sylla était le propre neveu du dictateur. Compromis (Salluste, Catilina, 17) dans la conspiration de Catilina, il fut accusé, défendu par Hortensius et par Cicéron (dont nous avons le plaidoyer), puis acquitté. Ce même Sylla commandera l’aile droite de César à Pharsale. — La confiance de son chef atteste ses talents militaires. Il mourut en 709 [45 av. J.-C.], en Italie, au cours d’un voyage. Cicéron, qui jadis, lui avait emprunté de l’argent (A. Gell., noct. Att. 12, 12), puis s’était brouillé avec lui à propos de Clodius (ad Att., 4, 3), affirme que le peuple s’est réjoui de sa mort : qu’il ait été assassiné par les brigands, ou qu’il ait fini par une indigestion, peu importe ! (ad fam., 9, 10. 15, 17).

On peut lire avec fruit, dans Gœler, les recherches topographiques auxquelles il s’est livré sur le terrain aux alentours de Dyrrachium.]

[113] [B. c., 3, 50-61 — Deux frères, deux Allobroges, Raucil et Egus, que César avait comblés de bienfaits, créés sénateurs dans leur cité, et enrichis, le trompaient, soit en détournant la solde de leurs cavaliers, soit en se la faisant payer sur de faux rôles pour plus de monde qu’ils n’en avaient. César les réprimande en secret, et les veut ménager, car ils sont braves et influents. Mais ils s’irritent, et passent traîtreusement à Pompée avec un certain nombre d’hommes et de chevaux. Pompée les promène dans tout son camp. Ils sont les premiers transfuges qu’il ait à montrer, tandis que tous les jours, les défections sont nombreuses dans ses divers corps d’armée. Les deux Gaulois savaient les points faibles ou inachevés des immenses retranchements de César, et ils donnèrent à Pompée des renseignements dont celui-ci profita aussitôt.]

[114] [Tous les détails de l’attaque sont relatés par César (B. c., 63-64). Il n’avait pas achevé encore sa jonction retranchée entre ses deux légions, quand tout à coup 60 cohortes pompéiennes se jettent sur la circonvallation intérieure ; en même temps la flotte débarque au sud une autre division d’infanterie légère, et un troisième corps aborde entre les deux retranchements. César n’avait sur ce point que deux cohortes ; et l’officier qui y commandait, Lentulus Marcellinus, questeur, était malade (l’histoire ne sait rien de lui). Surpris, il accourt avec quelques cohortes qui luttent héroïquement et sauvent leur aigle : mais il va succomber, quand Antoine arrive avec douze autres cohortes. César lui-même se montre ; Pompée s’arrête. Mais il est resté maître de l’extrémité des lignes ennemies, du côté du rivage : il peut sortir et rentrer sans obstacle, et envoyer ses hommes aux vivres et aux fourrages. C’est alors que César se retire et se fortifie dans son camp (B. c., 65).]

[115] [Quelques jours s’étaient passés, les deux adversaires se tenant en observation dans leurs camps nouveaux. Mais César crut voir une légion ennemie lancée sans appui derrière un bois, à laquelle s’appuyait un petit camp jadis occupé par la 9e légion. Au départ de celle-ci, Pompée s’y était établi à son tour, en l’enveloppant d’un retranchement plus vaste, et en le reliant au torrent voisin par un fossé perpendiculaire. Toute l’affaire se passe au milieu de ces retranchements, de campagne. César se jette sur les Pompéiens avec 33 cohortes, les refoule, arrache la herse du grand camp, et leur tue du monde. Mais son aile droite égarée a couru le long du fossé jusqu’au fleuve. Ici la chance tourne. Pompée arrive avec cinq légions, écrase les deux ailes éloignées l’une de l’autre, et met les Césariens en fuite. César confesse une perte de 960 soldats, sans compter les cavaliers, de 32 officiers, et de 32 insignes militaires (Selon Orose (6, 15), sa perte aurait été de 4.000 hommes). Lui-même, il avait failli périr de la main d’un des fuyards, qu’il voulait arrêter — Pompée fut appelé Imperator par ses soldats. Mais César déclara qu’il ne savait pas vaincre (Suétone, César, 38). — V. pour les détails B. c., 66-72. – Plutarque, César, 30. – Appien, B. c., 2, 62.]

[116] [Gnæus Domitius Calvinus, était entré en Macédoine avec deux légions, la 11e et la 12e, et 500 cavaliers.]

[117] [On a vu que Pompée attendait de Syrie deux légions. Metellus Scipion, son beau-père, nommé proconsul de cette province, immédiatement avant l’explosion de la guerre civile, était chargé de les amener en Macédoine (B. c., 1, 6 ; 3, 4). Il avait exigé des publicains les dîmes arriérées de deux années, prélevé par emprunt forcé la dîme de l’année suivante : frappé des taxes toutes nouvelles, capitation, impôts sur les colonnes et les portes, impôts en nature, en blé, en armes, etc., à ce point que la misère, la dette et les usures avaient partout grandi dans ces malheureux pays. Il menaçait de piller le temple d’Éphèse (selon César, qui peut-être exagère), quand l’ordre lui vint de passer immédiatement en Macédoine, César ayant débarqué en Épire. Il quitta, aussitôt Pergame, où il avait distribué ses troupes en cantonnements d’hiver, et se mit en route (B. c., 3, 31-33).]

[118] [Lucius Cassius Longinus, frère du lieutenant de Crassus qui assassinera César, et cousin de Quintus Cassius. Il avait en 700 [54 av. J.-C.], de concert avec Laterensis, accuse de brigue Gn. Plancius, concurrent heureux de Laterensis à l’édilité. Cicéron défendit Plancius, et son plaidoyer nous reste. — En 702 [-52], c’est encore L. Cassius qui accuse Saufeius, autre client de Cicéron. A la guerre civile, pendant que son frère passe à Pompée, dont il sera l’un des amiraux, Lucius se range du parti de César. — Plus tard il suivra la fortune d’Octave. Après la bataille de Philippes, Antoine lui pardonne, et l’histoire ne le nomme plus.]

[119] [Gaius Calvisius Sabinus, questeur en 694 [60 av. J.-C.], tribun du peuple en 699 [-55]. Lieutenant de César en Étolie, il soumet toute la province, entre dans Calydon et Naupacte (Lépante). En 709 [-45], César l’envoie en Afrique, où Antoine voudra le maintenir. Consul en 715 [-39], il commande une flotte pour Octave, est battu devant Cumes. Agrippa vient le remplacer. Il reste d’ailleurs fidèle à son parti.]

[120] [Ces marches et contremarches sont décrites par César (B. c., 3, 34-36.]

[121] [César ne ménage pas d’ailleurs l’expression qui caractérise sa défaite (C. a superioribus consiliis depulsus). Il réunit ses soldats, relève leur courage, en punit quelques uns et part pour Apollonie. Il faut lire la description de la marche savante par laquelle il échappe à Pompée (B. c., 73-79).]

[122] [Selon Appien, B. C., 2, 65, Afranius aurait proposé en conseil de tenir bloqué avec la flotte César à moitié détruit déjà et errant : pendant ce temps l’armée de terre ira sans délai reprendre l’Italie vide de soldats, et où l’opinion est bien disposée, puis l’Italie, la Gaule et l’Espagne reconquises, repartant de la contrée mère et siège de l’Empire, on reviendra achever le rebelle, s’il le faut. — Quant à Pompée, il préféra poursuivre la campagne. Il espérait écraser César et rester le maître absolu.]

[123] [Pompée n’était plus qu’à quatre heures de Domitius Calvinus, quand celui-ci fut averti par les confidences ou les paroles de jactance de ces mêmes Allobroges qui avaient trahi César, et s’étaient rencontrés avec ses éclaireurs. Il se rejette aussitôt sur sa gauche, et vient retrouver César à Æginion (Stagus) sur la frontière d’Athamanie (B. c., 3, 79).]

[124] [César, B. c., 3, 78. — César remontant l’Aoüs, franchit la Stena de Viosa (fauces Antigonenses). — Plutarque, Flamin., 3. V. Leake, Northern Greece, 1, p. 389.]

[125] [Q. Cornificius, fils d’un des juges de Verrès, s’était fiancé à la fille d’Aurelia Orestilla, la veuve dissolue de Catilina (Cicéron, ad fam., 8, 1). — Il paraît, du reste, être demeuré en Illyrie, où il avait le titre de propréteur. Il y rend des services signalés après Pharsale, et pendant que César lutte emprisonné dans Alexandrie (Bell. Alex., 412, et s.). L’année suivante, on le rencontre à Rome, honoré de l’Augurat. Cicéron lui écrit souvent (ad fam., 12, 17-30). Plus tard César l’envoie en Syrie. A la mort de César, il gouverne la province de la Vieille-Afrique. Là il tient pour le Sénat, donne asile aux proscrits, défait Titus Sextius qui commande pour les Triumvirs dans la province voisine, puis est battu et tué. — Il avait des goûts littéraires, et on lui a attribué quoique sans raison solide, les Rhetorica ad Herennium.]

[126] [Gomphi avait joué un rôle dans les campagnes de Flaminius, et depuis. Elle commandait les passages de la Dolopie, et ceux de l’Athamanie en Thessalie. — César, après le sac de Gomphi, se présente devant la place voisine, Métropolis (Paleokastro, selon Leake), qui ouvre aussitôt ses portes (B. c., 3, 80-81).]

[127] [La division navale de Cassius, formée des vaisseaux syriens, phéniciens et ciliciens. Elle brûla les escadres de César, à Messine, et à Vibo, d’où Cassius fut ensuite chassé, en perdant quelques galères. Il disparut à la nouvelle du désastre de Pharsale. B. c., 3, 101.]

[128] C’est chose difficile que de déterminer exactement le champ de bataille. Appien (2, 75) est précis : il le place entre Néo-Pharsalos et l’Énipée. Des deux seuls cours d’eau de quelque importance que l’on rencontre sur les lieux, et qui assurément représentent l’Apidanos et l’Énipée des anciens (le Sofadhitiko et le Fersaliti), l’un sort des monts de Thaumacœ (Dhomoco) et des hauteurs Dolopiennes, l’autre descend de l’Othrys, et coule devant Fersala. Or, comme Strabon (9, p. 432) enseigne aussi que l’Énipée vient de l’Othrys, il en faut conclure à bon droit avec Leake (Northern Greece, 4, 320), que le Fersaliti est bien l’Énipée. Par contre, Gœler est dans l’erreur quand il prend le Fersaliti pour l’Apidanos. Toutes les indications fournies par les Anciens concordent d’ailleurs en faveur de notre opinion. Seulement il faut tenir avec Leake que la rivière formée par les deux eaux après leur confluent, et qui de là va tomber dans le Pénée, gardait chez les Anciens le nom d’Apidanos, comme aujourd’hui elle porte celui du Sofadhitiko, dénomination naturelle après tout, car le Fersaliti est souvent à sec, le Sofadhitiko ne tarit jamais (Leake, 4, 321). C’est donc entre Fersala et le Fersaliti, qu’était située Palœo-Pharsalos, d’où la bataille a tiré son nom. Donc encore, elle s’est livrée sur la rive gauche, les Pompéiens appuyant leur droite au Fersaliti, et ayant leur front tourné vers Pharsale (César, B. c., 3, 83. - Frontin, Stratagèmes, 2, 3, 22). Mais leur camp n’a pas pu être là. Il s’étendait au pied des Cynocéphales, sur la rive droite, barrant à César le chemin de Scotussa, et gardant évidemment leur ligne de retraite sur Larisse par les hauteurs : s’ils avaient campé, comme le veut Leake (4, 482), à l’est de Pharsale, et sur la rive gauche de l’Énipée, jamais ils n’auraient pu, après le combat, tirer au nord, ayant à franchir ce cours d’eau, aux berges profondes, coupées à pie (Leake, 4, 469). Au lieu de regagner Larisse, Pompée eût dû fuir vers Lamia. Il est donc vraisemblable que les Pompéiens avaient planté leur camp sur la rive droite du Fersaliti, et qu’ils le passèrent avant la bataille et après, pour rentrer dans leur camp ; puis, qu’ils remontèrent les pentes voisines de Crannon et de Scotussa, lesquelles vont se rattacher par leurs crêtes aux hauteurs des Cynocéphales. A cela rien d’impossible. L’Énipée n’est qu’un ruisseau étroit et lent, où en novembre Leake trouva deux pieds d’eau et souvent à sec dans la saison chaude (Leake, 4, 448, et 4, 472. - Cf. Lucain, 6, 373 [nunquamque celer nisi mixtus Enipeus]) ; or, on était au cœur de l’été, quand se donna la bataille. Avant d’en venir aux mains, les deux armées étaient à 30 stades l’une de l’autre (Appien, B. c., 2, 65 : ¾ de mille allem. = une lieue et demie) : les Pompéiens avaient pu tout à l’aise faire leurs préparatifs, jeter des ponts, et assurer leurs communications avec le camp. A la vérité, si la bataille avait fini par une déroute, ils n’eussent pu effectuer leur retraite le long du torrent et pardessus ses berges : et c’était là, je n’en doute point, l’une des raisons pour lesquelles Pompée ne voulut point d’abord se battre. Aussi son aile gauche, placée plus loin de la ligne de retraite, s’est-elle le plus ressentie de ce désavantage des lieux. Pour le centre et l’aile droite, ils se retirèrent sans trop de hâte, et purent fort bien franchir le Fersaliti, dans les conditions données. Que si César et ses copistes n’ont point parlé de ce passage du torrent, c’est qu’en le faisant, ils eussent trop mis en lumière cette folle ardeur de combattre, qui, tout le prouve, poussait les Pompéiens en avant, et aussi les ressources mêmes qu’ils se ménageaient pour la retraite.

[Nous ne voulons ajouter que peu de mots à cette longue note de M. Mommsen. Nous ferons remarquer seulement que M. Leake et M. Merivale (2, p. 284) ne diffèrent d’avec lui qu’en ce qu’ils placent le camp de Pompée, comme celui de César, sur la rive gauche de l’Énipée, tandis que M. Mommsen le place au nord, sur la rive droite : quant au champ de bataille lui-même, ils sont tous les trois d’accord. — Les positions de Palœo et Néo-Pharsale, dans l’opinion commune, étaient sur la rive gauche, et la bataille eut lieu près de la première localité (Orose, 6. 95. - B. Alex., 48). D’autre part, il est certain que la droite de Pompée s’appuyait à l’Énipée (B. c., 3, 88, et surtout Frontin, 2, 3, 22. – Appien, B. c., 2, 75). Dans l’hypothèse de M. Mommsen et de Leake, les troupes de Pompée, ayant leur droite appuyée à la rive gauche, regardaient le nord-ouest : César au contraire, aurait eu son armée tournée vers le sud-est. — Mais un troisième système s’est produit, celui de Gœler, qui fait couler l’Apidanos entre Palœo et Néo-Pharsale (l. cit., pp. 73, 136 et s.). Selon lui, le terrain de la bataille était sur la rive droite (au nord) de l’Apidan ; Pompée regardant le sud et appuyant sa droite au torrent. — Qui a tort ? Qui a raison ? César, observe Napoléon (Précis, c. XII, Observation 3), ne dit jamais quelle était la force de son armée, ni le lieu ou il se bat : ses batailles n’ont pas de nom. — Je me sentirais porté à abonder dans l’opinion de M. Mommsen. Il y a là un champ d’études intéressant à recommander aux jeunes hellénistes de l’École d’Athènes.]

[129] [Quintus Fufius Calenus, d’une branche de la gens Fufia, originaire de Calés en Étrurie. Il s’était employé pour Clodius dans l’affaire des mystères de la bonne déesse : tribun du peuple en 693 [61 av. J.-C.] : moteur de la loi Fufia, de religione, qui renvoyait le procès devant les juges ordinaires (ad Att., 1, 14). Préteur en 695 [-59], où il fait passer une autre loi judiciaire, aux termes de laquelle les juges (sénateurs, chevaliers, tribuns du trésor), voteront séparément désormais. Il soutient Clodius contre Milon. L’année d’après il sert dans les Gaules. Puis, durant la guerre civile, il coopère puissamment avec Antoine au transport des troupes, de Brindes en Épire (B. c., 1, 87 ; 3, 8, 14, 26). César, durant l’investissement de Dyrrachium, l’avait envoyé pour appuyer Lucius Cassius Longinus et Calvisius Sabinus en Etolie, et, pour soulever l’Achaïe. Il s’était emparé de Delphes, de Thèbes, d’Orchomène : mais les Pompéiens lui avaient fermé l’isthme de Corinthe (B. c., 3, 55). - Il fut consul en 701 [-47] : passa à Antoine pour qui il combattit durant la guerre de Pérouse, et mourut dans la Transalpine, en 713 [-41]. Son fils se rendit à Octave.]

[130] [Plutarque, Pompée, 66. — Favonius craignait, si l’on tardait, de ne point aller, durant l’été, manger des figues à Tusculum (Plutarque, Pompée, 67).]

[131] Ici se place le conseil célèbre donné par César à ses soldats, de frapper les cavaliers ennemis au visage [faciem feri]. L’infanterie marchant, ce jour, irrégulièrement à l’attaque de la cavalerie, ne pouvait se servir utilement de l’épée : elle dut garder le pilum au lieu de le jeter, et s’en servir comme d’une pique, portant en haut la pointe pour mieux se défendre (Plutarque, Pompée, 69, 91. ; César, 45. – Appien, 2, 76, 78. – Florus, 4, 2. – Orose, 6, 15. - Cf. Frontin qui est dans l’erreur, 4, 7, 32). L’ordre donné par César a dérivé en anecdote. Les cavaliers de Pompée auraient tourné bride, de peur de balafres reçues au visage ; et ils se seraient enfuis, tenant la main devant les yeux (Plutarque). A cela pas un mot de vrai. L’historiette ne serait piquante qu’autant que la cavalerie pompéienne aurait été composée, pour le plus grand nombre, vraiment, de tous ces jeunes nobles et beaux danseurs venus de Rome. Mais il n’en était rien. Peut-être que l’ordre du jour très simple et très militaire de César aura fourni le canevas à des plaisanteries de camp, et par suite, à un récit absurde.

[132] [V. le récit de la bataille B. c., 3, 85-100. Nous n’insistons pas sur les détails, qui se lisent partout, et nous renvoyons notamment le lecteur au Précis de l’Empereur Napoléon Ier, Ch. XI, Campagne de Thessalie, n° III, et observations 5 et 6. Caton, on l’a vu, n’y figurait pas. On n’avait nulle confiance, dans ses talents militaires, qui étaient médiocres, il le faut confesser. On redoutait surtout l’austérité de ses principes politiques. — Cicéron n’avait pas non plus suivi l’armée des Pompéiens en Thessalie : il fallait là des bras forts, et l’on n’y avait que faire de sa parole et de son autorité dans les conseils (ad fam., 4, 7). Il était souffrant d’ailleurs, et resta en arrière auprès de Caton (Plutarque, Cicéron, 39. - ad Att., 11. 4), puis s’en revint à Brindes, en passant aussi par Corcyre. - V. infra.]

[133] [V. le Faust de Gœthe. — La Tragédie, 1ère partie : nuit de la Walpurgis, dans la montagne du Harz. — Chœur des sorcières, où on lit la strophe qui suit : Demi-sorcière (voix d’en bas) :

Depuis bien longtemps je piétine : que les autres sont loin a déjà ! Chez moi, point de repos ; et pourtant, je n’arrive point à encore !

Ces allusions au grand poème de Gœthe, si étranges qu’elles sonnent à nos oreilles, au milieu d’une sévère page d’histoire romaine, sont chose acceptée en Allemagne.]

[134] [Caton voulait que Cicéron prît le commandement. Cicéron s’y refusa, croyant la lutte désormais impossible : aussitôt Pompée le jeune et ses amis l’appellent traître et, tirant l’épée, l’auraient tué sur le lieu si Caton ne se fût mis entre eux (Plutarque, Cicéron, 39 ; Cato min., 55. – Cicéron, pro Dejot. 10. — Dans la vie de Caton, Plutarque adoucit les détails de la scène).]

[135] [Publius Rutilius Rufus, tribun du peuple en 698 [56 av. J.-C.], avait aussitôt proposé le rappel des lois agraires de César. Préteur en 705 [-49], il stationnait à Terracine avec 3 cohortes qui, on l’a vu, passèrent à César à l’approche de ses cavaliers (B. civ., 1. 24). Il retourne à Rome, puis bientôt passe en Grèce où Pompée le charge de la défense de l’Achaïe contre les lieutenants césariens, Cassius Longinus, Calvinus Sabinus et Fufius Calenus (Bell. civ., 3, 55).]

[136] [Commandée par G. Cassius : Suétone, César, 63. – Appien, bell. civ., 2, 88. – Dion, 43, 6.]

[137] [Dion ne croit pas à l’humiliant projet que tous les autres historiens ont prêté à Pompée (Dion, 13, 2).]

[138] [El Kalieh, ou El Kas, à l’est de Péluse ; au sud du lac Sirbonis (Sebaket-Bardoïl).]

[139] [On a vu que César mentionne sèchement la mort de Pompée (B. civ., 3, 1041). Mais cf. Plutarque, Pompée, 80. – César, 48 ; Lucain, 9, 109 ; et Val. Max, 5, 1, 10.]

[140] [Pour tout ce récit, et le commencement de la guerre d’Alexandrie, voir César, Bell. civ., 3, 102-104.]

[141] [Plutarque, César, 48]

[142] [Plutarque (César, 49) raconte qu’elle se fit porter à son insu dans sa chambre, et se donna bientôt à lui. — V. Lucain, 10, 74.

Sanguine Thessalicæ cladis perfusus adulter

Admisit Venerem curis et miscuit armis...

— Voir sur la beauté de Cléopâtre, ce qu’en dit Plutarque, Antoine, 27. - cf. Dion, 43, 53.]

[143] [C’est dans cette première bataille des rues qu’aurait brûlé la Bibliothèque des Ptolémées. Là périrent, selon Sénèque (de tranquill, 9), environ 400.000 volumes. — Le troisième livre des Commentaires sur la guerre civile se termine par l’occupation de l’île du Phare (3, 112). La suite du récit appartient à l’œuvre d’Oppius ou d’Hirtius (Suétone ne sait déjà plus lequel : César, 56 ) de Bell. Alexandr.]

[144] [Pareil fait s’est renouvelé au siège d’Alexandrie, en 1801. — Les Anglais assiégeants coupèrent le canal d’eau douce : la garnison française y suppléa par l’eau des puits.]

[145] [V. la description topographique d’Alexandrie, par Bonamy, Mémoires de l’Acad. des inscr. et belles-lettres, t. 9. — V. Dict. géogr. de Smith, v° Alexandria, et plan, p. 96.]

[146] [La bataille navale eut lieu à la pointe de Chersonèse, à 6 ou 7 lieues, vers le couchant, d’Alexandrie.]

[147] L’enlèvement de l’île était raconté sans doute dans le fragment détruit du Commentaire sur la guerre d’Alexandrie (bell. Alex., 12), là même où était aussi décrit un second combat naval, où périt écrasée la flotte égyptienne déjà repoussée à Chersonèse. On vient en effet de voir que César, dès le début de la guerre, avait occupé le Phare (B. civ., 3, 112 ; bell. Alex., 8). Le Môle au contraire avait toujours été occupé par l’ennemi, puisque César ne communiquait avec l’île que par eau.

[148] [Dion, 43, 40 ; Suétone, César, 64 ; et César, bell. Alex., 21.]

[149] [Sine partibus bellum. Florus, 4. 2.]

[150] [Antipater l’Iduméen avait fourni à Mithridate un renfort de 3.000 Juifs, auxquels s’étaient jointes des bandes d’Arabes de Syrie et du Liban. – Josèphe, Ann. Jud., 14, 8).]

[151] [Celui qui a figuré dans la campagne de Macédoine.]

[152] [C’est cette campagne étonnamment rapide que César aurait racontée en trois mots fameux : veni, vidi, vici. Plutarque, César, 50. – Suétone, César, 37.]

[153] La traversée de Caton et de Gnæus Pompée, de Corcyre à Cyrène, et leur marche pénible au travers de la Petite-Syrte, forment dans la Pharsale de Lucain (1. 9), un intéressant épisode, dont le fond vrai, attesté par Plutarque (Cato min., 56 et s), a été embelli jusqu’au miracle par ce poète.

[154] [Bell. Afr., 74. Juba en fit massacrer tous les habitants, la livra au pillage, et la détruisit.]

[155] [Plutarque, Cato min., 57. - Dion, 43, 57.]

[156] [Plutarque, Cicéron, 39. — C’est alors que Sextus Pompée, furieux de la lâcheté de Cicéron, l’avait voulu faire mettre à mort, l’intervention de Caton le sauva, et il s’alla cacher en Italie, sans suivre les Pompéiens, ni en Afrique, ni ailleurs. Il demeura à Brindes, attendant le bon plaisir du vainqueur, vacillant dans ses résolutions, gêné par le manque d’argent, en correspondance avec Antoine et Dolabella. Enfin César rentre en Italie : Cicéron le voit, en est bien reçu, et s’en va à sa villa de Tusculum, puis de là à Rome (ad Att., 11, 7. 8. 14, 13).]

[157] [Plutarque, Cato min., 57. — Appien, b. civ., 2, 87. — Dion, 13, 57.]

[158] [Aussi le parti aristocratique et constitutionnel était-il plein d’espoir, et relevait la tête, et à. Rome, et en Italie. Les nouvelles d’Afrique sont tout différentes de ce que tu me l’écrivais ; on y est très ferme, très préparé. En outre l’Espagne, l’Italie sont mal disposées pour lui : ses légions n’ont ni la même vigueur, ni le même bon vouloir : à la ville, ses affaires sont perdues ! Ainsi s’exprime Cicéron dans une lettre de février 707 [49 av. J.-C.] (ad Att., 11, 10).]

[159] La géographie politique de l’Afrique du nord-ouest, en ces temps, est fort confuse. Après la guerre de Jugurtha, Bocchus, roi de Mauritanie, avait possédé, ce semble, tout le territoire depuis la mer de l’Ouest, jusqu’au havre de Soldae (Maroc et Algérie, - Saldae : Bougie). Non qu’il n’y ait eu à côté des rois mauritaniens quelques princes, indépendants ou vassaux, appartenant à d’autres maisons, et régnant sur de minces territoires, ceux de Tingis (Tanger) par ex., qu’on a rencontrés déjà (Plutarque, Sertor, 91, et qu’il convient d’identifier sans doute avec les Leptasta de Salluste (Hist., 31, éd. Kritz), et les Mastanesosus de Cicéron (in Vatin., 5, 12). Jadis Syphax avait pareillement régné sur maint prince vassal (Appien, Pun., 10) ; et au temps même où nous sommes, Cirta, dans la Numidie, voisine des États Mauritaniens, obéissait à un prince du nom de Massinissa, ayant probablement Juba pour suzerain (Appien, b. c., 4, 54). Vers 672 [82 av. J.-C.], le trône de Bocchus est occupé par un Bocut ou Bogud, son fils peut-être. Après 705 [-49], le royaume paraît partagé entre Bogud, roi dans la partie ouest, et Bocchus, roi dans l’est. C’est à ce partage que se réfèrent les désignations ultérieurement suivies : royaume de Bogud, ou de Tingis ; et royaume de Bocchus ou de Jôl (Césarée : Pline, hist. n., 5, 2. 19. - Cf. Bell. Afr., 23).

[160] [Sur cet épisode espagnol, avant-coureur de la grande lutte qui finira à Munda : Bell. Alex., 48-64. – Dion, 44. 15,.16 et s. — Cassius quittant l’Espagne avec les trésors mal acquis, alla s’échouer et périr aux bouches de l’Èbre. Bell. Alex., 64.]

[161] [Legio XII ad quant primum Sulla venit, lapidibus egisse hominem dicitur. Cicéron, ad Att., 11, 21.]

[162] [La révolte avait commencé pendant que César était en Orient encore. — César avait envoyé à Antoine, son lieutenant à Rome, ordre de réduire les mutins par la menace ou les promesses, mais les efforts d’Antoine et de ses officiers avaient été vains : ils avaient chassé Salluste (l’historien), et tué deux prétoriens sénateurs, Cosconius et Galba (Dion, 13, 52. - Appien, b. civ., 2, 92). Enfin César rentra dans Rome (septembre 707 [47 av. J.-C.], et mit un terme à la sédition.]

[163] [Déjà à Plaisance, en 706 [48 av. J.-C.], César avait eu recours aux mêmes moyens d’autorité. Suétone, César, 59, 60. Appien, b. c., 2, 92-94. Selon Lucain, 5, 237 et s., c’est lors de la révolte de la 9e légion, à Plaisance, que César aurait dit le mot fameux : Quirites ! mais Suétone et Appien semblent mieux informés. Quoi qu’il en soit, César garda longtemps rancune à ses soldats, et au cours même des opérations de la campagne, il leur rappelait encore leur faute, en même temps qu’il punissait plusieurs de leurs officiers (Bell. Afr., 64).]

[164] [Zowamour, à l’entrée du golfe de Tunis.]

[165] [Est in Africa consuetudo incolarum ut in agris et in omnibus fere villis sub terra specus condendi frumenti gratis clam habeant. Bell. Afr., 65, 67, 73. Il en est encore de même aujourd’hui.]

[166] [On peut lire dans le Journal de Bell. Afr. les longs et assez peu intéressants détails de cette guerre d’escarmouches et de batailles non décisives (Bell. Afr., 19-79). Elle avait d’ailleurs sa grande importance, en permettant à César d’attendre ses légions, arrivant une à une, de se maintenir sur la côte sans danger d’être enveloppé ou affamé, et enfin de façonner ses recrues. — Sous ce dernier rapport, il faut lire le chap. 71 : Cœsar... copias suas non ut imperator exercitum veteranum..., sed ut lanista tirones gladiatores condocefacere, etc. — Il fait venir d’Italie jusqu’à des éléphants pour enseigner l’art de les combattre : ibid., 72.]

[167] [Bell. Afr., 79-87. L’auteur du Journal fait remarquer avec beaucoup de soin (85) les efforts faits en vain par César pour empêcher l’effusion du sang, à la fin de la bataille.]

[168] [Faustus Corn. Sylla, fils du dictateur par sa quatrième femme Metella, né en 666 [88 av. J.-C.]. A la mort de son père, il eut Lucullus pour tuteur. Cicéron, préteur, le protégea contre les revendications des partis. Il accompagna Pompée en Asie, escalada le premier la muraille du temple à Jérusalem (691 [-63]). Il fut successivement questeur et augure, épousa une fille de Pompée, et fit à sa suite la campagne de Macédoine. Après Pharsale, il était venu en Afrique.]

[169] [Il faut lire dans Plutarque (Cato Min., 58 et 59. - cf. Dion, 44, 10-11. – Appien, Bell. civ., 2, 98-99), et dans le journal de Bell. Afr., 88) le récit de cette mort tragique. Elle a une incontestable grandeur. Cet homme qui, désespérant de sa patrie, met ordre à ses affaires, publiques et privées, prend soin de faire embarquer tous ceux pour les jours desquels il peut craindre ; puis qui se met tranquillement au bain, soupe, disserte avec son philosophe sur la liberté du sage ; se couche, et, enfin, se tue après avoir lu le traité de Platon sur l’Immortalité de l’âme, cet homme, dis-je, meurt en vrai stoïque. — Il ne fut pas un génie, sans doute ; et M. Mommsen le lui reproche aigrement ; mais il fut un grand et noble caractère. Cicéron ne pouvait mieux faire que louer une telle mort (Tusculanes, 1, 30 ; De off., 1, 31. — cf. Senec., ep. 24, 67, 71, 95. - S. Augustin lui oppose et lui préfère celle de Regulus, qu’il trouve plus sublime. Cela est juste. La fin de Regulus n’est pas un suicide. (Aug., de Civit. Dei, 1, 24.)]

[170] [Bell. Afr., 91-96. — Appien, B. civ., 2. 100.]

[171] [Le nom d’Arabion ne se rencontre qu’ici dans l’histoire : Dion, 48, 22. – Appien, Bell. civ., 54, 83.]

[172] Les inscriptions locales offrent des traces nombreuses de cette colonisation. Sans cesse on y lit les noms des Sittiens : dans la petite localité de Milev, autrefois romaine, on rencontre même l’appellation de Colonia sarnensis (Renier, Inscript., 1254, 2323, 2324), dérivée évidemment du nom du dieu du Sarnus, le fleuve de Nucérie (patrie de Sittius) (Suétone, Rhetor., 4).

[173] [Avec Crispus Sallustius (l’historien) pour proconsul, pour le malheur de cette même province. Salluste la pilla impudemment et y couronna sa renommée de malhonnête homme. - Bell. Afr., 97. Dion (43, 9) dit qu’il fut placé là soi-disant pour commander, en réalité pour voler !]

[174] [César eût-il fait mourir Caton, s’il l’eût vu tomber dans ses mains ? Cela n’est pas à croire. En arrivant à Utique et en apprenant sa mort, il s’écria que le stoïcien lui avait dérobé le bonheur de pardonner à son plus noble et plus obstiné ennemi ! Il frappa d’ailleurs de fortes amendes sur les villes qui lui avaient résisté, Thapsus, Hadrumette, Leptis, Thysdra, etc. (Bell. Afr., 97), et sur les compagnies de marchands, et vendit à l’encan le butin fait sur Juba dans Zama.

A coté des sources antiques, le journal de Bell. Afr., et les documents historiques fournis par Appien, B. civ., 2 ; par Dion Cassius, 43, et par Plutarque (César et Cato min.), sans compter les détails que l’on peut glaner dans Suétone (César), dans les lettres de Cicéron, dans Velleius, Florus, et ailleurs encore, le lecteur curieux des choses de la guerre d’Afrique pourra consulter avec intérêt : 1° l’étude spéciale que Guischardt a consacrée à cet épisode important des guerres de César (Mémoires milit. sur les Grecs et les Romains, t. 2, Berlin, 1774) ; - 2° le Précis de Napoléon Ier, déjà plusieurs fois cité par nous.]