L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

Fondation de la monarchie militaire

Chapitre VIII — Régence de Pompée et César.

 

 

Au lendemain du consulat de César, parmi les chefs démocrates officiellement reconnus à vrai dire pour les régents communs maîtres de, la République, parmi les Triumvirs enfin, Pompée, selon l’opinion publique, occupait indubitablement la première place. C’était Pompée que les optimates appelaient leur dictateur : devant lui, Cicéron s’était en vain prosterné : sur lui tombaient les sarcasmes les plus acérés des placards collés aux murs par Bibulus, et les flèches les plus empoisonnées des cercles de l’opposition. Il n’en pouvait être autrement. A juger par les faits antérieurs, Pompée ne marchait-il pas sans rival à la tête de tous les généraux du siècle ? Quant à César, habile chef et habile orateur de parti, avec ses incontestables talents, loin d’avoir acquis encore l’illustration guerrière, il passait pour un homme efféminé. Ce jugement sur son compte courait depuis longtemps la ville : l’on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les Populaires importants allassent davantage au fond des choses, et pour quelques obscurs exploits sur les bords du Tage changeassent aussitôt l’adresse habituelle de leurs plates adulations. En apparence, César, dans la coalition, n’avait qu’un rôle d’adjudant, bon au plus à remplir, pour le compte du chef, telles ou telles missions confiées naguère aux Flavius, aux Afranius[1] ou à tels autres ouvriers non moins médiocres, et qui souvent avortaient dans leurs mains. Quand il passa proconsul, il ne sembla pas qu’il se. fût fait un changement. Peu avant, Afranius, lui aussi, avait eu le proconsulat de la Cisalpine, sans pour cela grandir en importance. Souvent, dans ces derniers temps, plusieurs provinces avaient été données à un seul : souvent aussi, plus de quatre légions avaient été placées dans la même main. Le calme n’était-il pas rétabli au-delà des Alpes ? Arioviste n’avait-il pas été proclamé l’ami et le voisin du peuple romain ? Dès lors, comment prévoir de ce côté une lourde et longue guerre ? Entre la situation faite à César par la loi Vatinia, et celle jadis faite à Pompée par les lois Gabinia et Manilia, l’analogie était grande, sans doute ; mais à les comparer, combien César restait au-dessous de Pompée ?

Le commandement de Pompée s’était étendu sur presque tout l’empire : César ne régentait que deux provinces. L’un’ avait eu à, ses ordres tous les soldats, toutes les caisses de l’État, presque sans réserve ; l’autre ne disposait que d’allocations limitées et d’une armée de 24.000 hommes. Pompée était resté maître de fixer l’époque de son retour : l’imperium de César, si long qu’il lui fût imparti, prenait terme pourtant à due échéance. Enfin, Pompée avait eu la conduite des expéditions les plus importantes et sur terre et sur mer : César était envoyé dans le Nord, surveillant Rome depuis la haute Italie, et aidant encore Pompée à y régner sans entravés.

Quoi qu’il en soit, en prenant le pouvoir dans Rome des mains de la coalition, Pompée tentait une entreprise bien au-dessus de ses forces. Il ne savait rien du maniement du pouvoir, qui pour lui se résumait dans la parole et les dehors du commandement. A Rome, les flots montaient gros des révolutions passées et futures : gouverner sans force armée une ville comparable à tous égards au Paris du XIXe siècle était chose infiniment difficile ; à Pompée moins qu’à tout autre, ce soldat modèle, raide et anguleux, il était donné de résoudre le problème. Bientôt on en vint à ce point, qu’amis et ennemis, tous également incommodes, se mirent à faire ce qu’ils voulaient. Une fois César parti, si la coalition commandait encore au monde, elle n’était plus la maîtresse dans les rues de la capitale[2]. Au Sénat lui-même appartenait encore une sorte de pouvoir nominal : à son tour, il laisse les choses aller à la dérive, ainsi qu’il pouvait et devait se faire, soit que les Triumvirs n’eussent pas transmis leurs. instructions à la fraction des sénateurs assujettis à leur mot d’ordre, soit que l’opposition frondeuse voulût se tenir à l’écart dans son indifférence ou ses convictions pessimistes, soit principalement que tout le collège noble eût déjà la conscience, sinon l’intelligence, de son impuissance totale. Pour le moment, quel que fût le Gouvernement, on eût en vain cherché dans Rome un centre de résistance, une autorité effective ! On vivait comme en temps d’interrègne entre les ruines du régime aristocratique et les progrès croissants du régime militaire ; et s’il est vrai de dire qu’un jour il avait été donné à la république romaine, plus qu’à nulle autre dans l’antiquité ou dans l’histoire moderne, de réunir dans son système politique les organes et les institutions les plus diverses se mouvant dans leur pureté et leur régularité primitives, il faut convenir aussi qu’elle offrait actuellement le tableau de la désorganisation la plus funeste et de la plus cruelle anarchie. Étrange concordance ! A cette même heure où César travaille pour l’éternité au-delà des Alpes, à Rome, sur la scène politique, on voit parader l’un des plus malheureux grotesques qui se soit jamais rencontré dans l’histoire. Le nouveau régent ne gouverne pas : il se tient coi et boudeur au fond de sa maison[3]. L’ancien gouvernement sénatorial, aux trois quarts dépossédé, demeure pareillement inerte : on pousse des soupirs dans les cercles privés, entre intimes, dans les villas : on soupire en choeur dans la curie. Quant aux bons citoyens, quant aux amis de l’ordre et de la liberté, si fatigués qu’ils soient de la marche déplorable des affaires, ils attendent sans personne qui les guide ou les conseille. Passifs, inutiles, ils se gardent de tout acte politique ; ils s’éloignent quand ils le peuvent de la Sodome romaine. Quant à la multitude, elle n’a jamais eu ni de meilleurs jours, ni de plus joyeux ébats. Les petits grands hommes sont légion. La démocratie est à l’œuvre avec tout l’attirail de l’emploi : manteaux râpés, barbes ébouriffées, longs cheveux flottants, basses-tailles profondes ; et souvent son métier est d’or ! Pour les bruyants exploits de chaque jour, c’était alors article couru que les solides gosiers des histrions du théâtre[4] : Grecs et Juifs, affranchis et esclaves, fournissaient l’assistance régulière, et les plus forts hurleurs dans les assemblées publiques ; et quand on allait aux votes, il n’y avait guère parmi les votants que la plus minime fraction qui pût légalement et constitutionnellement voter. Bientôt, lisons-nous dans une lettre du temps[5], nous verrons nos esclaves voter l’abrogation de la taxe des affranchissements ! Les vraies puissances du jour étaient ces bandes armées et enrégimentées, véritables bataillons de l’anarchie, levés par les capitaines d’aventure parmi les esclaves gladiateurs et les vauriens de toute sorte. Leurs chefs, pour la plupart, avaient compté toujours parmi les populaires : mais depuis le départ de César, qui seul savait les conduire et leur en imposer, elles étaient tout indiscipline, et chaque meneur obéissait à la politique de son caprice. Par préférence, tous ces hommes auraient combattu peut-être encore sous la bannière de la liberté : mais, à vrai dire, ils n’étaient ni démocrates,. ni anti-démocrates ; et sur leur drapeau (il leur en fallait bien un quel qu’il fût) ils inscrivaient tantôt le nom du peuple, et tantôt celui du sénat ou d’un chef de parti. Ainsi, Clodius, pour ne citer que lui, s’était fait successivement le champion de la démocratie souveraine, puis du sénat, puis de Crassus. Ils n’arboraient leurs couleurs, qu’en vue de faire à leurs ennemis personnels une guerre impitoyable, Clodius à Cicéron, Milon à Clodius ; masquant leurs querelles privées derrière le nom du parti où ils avaient pris position. Essayer l’histoire de ce sabbat politique, c’est vouloir noter en musique les cris confus d’un charivari. On n’y trouverait que récits de meurtres, d’assauts donnés aux maisons, d’incendies et d’autres actes innombrables de brigandage, consommés dans la ville capitale du monde. Après des sifflets et les cris, on se crachait au visage, on se foulait aux pieds : après les coups de pierre, on tirait l’épée. Or, le protagoniste de la troupe, sur le théâtre de la rue, était ce Publius Clodius que les régents avaient naguère déchaîné contre Caton et Cicéron. Influent, doué de quelque talent et d’énergie, il était passé maître dans le métier des factieux. Laissé à ses penchants durant son tribunat (696 [58 av. J.-C.]), il avait suivi la ligne ultra-démocratique ; il avait distribué l’annone gratuite aux citadins, porté atteinte à l’antique droit des censeurs de noter les citoyens de moeurs mauvaises ; il avait interdit aux magistrats l’obnonciation et la formalité religieuse qui arrêtait court la machine des comices ; il avait enfin renversé les barrières qui, récemment élevées (690 [-64]) contre le droit d’association des basses classes, empêchaient la formation des bandes d’émeute, et rétabli les clubs de carrefours (collegia compitalicia) du même coup supprimés, véritable armée du prolétariat libre ou, servile, organisée militairement en quelque sorte dans la capitale, et distribuée par rues et par quartiers[6]. Il alla plus loin, et projetant une loi dont il comptait porter la motion durant sa préture (en 702 [-52]), il voulut donner, à l’égal des ingénus, les droits politiques à tous les affranchis et aux esclaves en possession de la liberté de fait : que si le succès eût couronné une telle entreprise, il eût pu à bon droit se vanter de l’achèvement de son œuvre de hardie réforme, et nouveau Numa des franchises et de l’égalité civiles, inviter ses chers amis de la plèbe à monter en foule au temple neuf du Palatin, élevé et dédié par lui à la déesse Liberté sur l’emplacement même de l’un de ses incendies, et là, à célébrer l’avènement et les fêtes du Millenium démocratique. Naturellement, ces tendances radicales n’excluaient point le trafic impudent des votes des comices, et singeant César jusqu’au bout, Clodius voulait aussi, comme avait fait César, des gouvernements de province, des postes grands et petits pour ses compagnons : il vendait à bon prix la souveraineté locale, et aux rois sujets et aux villes ![7]

Pompée assistait à tout, sans remuer. Mais s’il ne comprenait pas à quel point il se compromettait, Clodius le voyait parfaitement. Dans sa rare impudence, il ose un jour rompre en visière au régent de Rome sur une question des plus insignifiantes, le renvoi chez lui d’un prince arménien captif[8]. La querelle s’envenime et gagne, et met en pleine lumière l’absolu désarroi du triumvir. Le soi-disant chef de l’État, pour lutter contre le factieux, ne put rien faire que lui emprunter ses armes, sans savoir à beaucoup près s’en servir comme lui. Clodius avait cherché noise à Pompée à propos du prince arménien : Pompée se venge en facilitant à Cicéron, l’homme haï entre tous par Clodius, le retour de l’exil où celui-ci l’avait fait envoyer. Il y gagne de changer son adversaire du moment en un irréconciliable ennemi. Clodius, à la tête de ses bandes, fait-il que les rues ne sont point sûres, le glorieux général enrôle à son tour des esclaves et des gladiateurs. Comme on le prévoit, le démagogue, dans l’émeute, est plus fort que le soldat : Pompée est battu dans la guerre de rues ; et les sbires de Clodius tiennent Gaïus Caton presque continuellement bloqué dans son jardin. Péripéties étranges, dans l’étrange drame qui se joue : on voit le régent et le chevalier d’industrie se tourner tour à tour, dans leur mutuelle haine, du côté du gouvernement tombé, et tour à tour courtiser ses faveurs. C’est en partie pour plaire au sénat que Pompée a laissé rappeler Cicéron : Clodius, de son côté, déclare nulles et non avenues les lois juliennes : il invoque Marcus Bibulus et lui demande d’attester solennellement leur inconstitutionnalité ! Quel résultat sérieux attendre de ce conflit tumultueux de basses passions ? Néant du but, ridicule et honteux, voilà ce qui le caractérise ! César, lui-même, pour grand génie qu’il fût, César aurait appris à ses dépens que la panacée démocratique était usée désormais, et qu’à marcher vers le trône il convenait de ne plus passer par la démagogie. Dans l’interrègne actuel entre la république et la monarchie, c’était jouer un pauvre rôle de remplissage historique que de s’étaler sottement avec le manteau et le bâton du prophète, dont César faisait fi depuis longtemps, que de ramener en scène je ne sais quelle parodie défigurée des grandes pensées de Gaius Gracchus. La prétendue armée qui essaya ce renouvellement d’agitation démocratique était si peu un parti qu’il ne lui fut point -laissé de place à l’heure de la bataille décisive. Il y aurait pareille erreur à soutenir que l’anarchie, à tout le moins, a pu réagir sur les convictions des indifférents et susciter en eux une aspiration quelconque vers l’intronisation d’un pouvoir militaire, durable et fort. Rappelons-le, la plupart des citoyens demeurés neutres se tenaient éloignés de Rome et n’étaient plus directement lésés par l’émeute quotidienne. En outre, tous les hommes dont l’opinion aurait eu à fléchir devant de tels motifs, après l’épreuve faite de la conspiration de Catilina, étaient d’avance convertis à la doctrine de l’autorité. Néanmoins, les trembleurs politiques redoutaient par dessus tout la terrible crise, inséparable de la catastrophe finale, et ils subissaient de préférence l’anarchie se perpétuant dans Rome, anarchie d’ailleurs qui demeurait à la surface. Elle n’avait en effet d’autres conséquences que de faire à Pompée, chaque jour en butté aux attaques des Clodiens, une position à peu près intenable, et de le pousser ainsi, bon gré, malgré, dans la voie où nous l’allons suivre.

Si mal disposé que fût le régent à l’initiative, défaut de caractère ou défaut d’intelligence, pourtant il lui fallut bien un jour sortir de sa léthargie. Comment faire autrement, les choses ayant du tout au tout changé, tant`au regard de Clodius qu’au regard de César ? Les embarras et les hontes que le premier .lui avait attirés avaient à la longue allumé la haine et la colère dans sa paresseuse nature. Mais dans ses rapports avec César, l’altération était bien plus sérieuse encore : Tandis que le triumvir demeuré dans Rome se laissait aller en complète défaillance sur le terrain réservé à son activité, l’autre avait su, de son lot d’attributions, tirer un parti prodigieux et dépassant toutes les espérances et toutes les craintes. Sans demander les autorisations préalables, il avait doublé son armée par les levées faites dans la province méridionale des Gaules, en grande partie peuplée de citoyens : puis au lieu de simplement monter la garde dans l’Italie du nord, et veiller sur Rome, il avait franchi les Alpes, étouffé à ses débuts une nouvelle invasion cimbrique, et porté en deux années (696-697 [58-57 av. J.-C.]) les armes romaines jusqu’au Rhin, jusqu’au canal de Bretagne. En face de pareils exploits tombait à plat la tactique ordinaire des aristocrates. Ignorer, rapetisser, n’était plus possible. Cet efféminé qu’on dédaignait jadis, il était aujourd’hui le dieu de l’armée, le héros fameux couronné par la victoire : ses jeunes lauriers repoussaient dans l’ombre les lauriers fanés de Pompée ; et dès l’année 697 [-57], à l’issue d’une glorieuse campagne, le sénat lui décernait des honneurs publics, tels qu’il ne les avait jamais ordonnés, même pour Pompée[9]. Auprès de son ancien adjudant politique, celui-ci ne tenait plus que le second rang, le rang que César avait derrière lui au lendemain des lois Gabinienne et Manilienne. César était l’homme du jour : il avait dans sa main la plus puissante des armées romaines. Pompée n’était plus qu’un général d’ancien renom, en vétérance. Entre le gendre et le beau-père les choses, sans doute, n’en arrivaient point encore au conflit : les rapports étaient bons, en apparence ; mais n’en est-ce point fini de toute alliance politique, dès qu’entre les parties intéressées la balance des forces se déplace ? La querelle avec Clodius n’était qu’un embarras : la nouvelle et grande importance de César devenait un sérieux danger. En allant à l’armée, César et ses associés avaient pris contre Pompée des gages : Pompée à son tour se voyait forcé de recourir aux mêmes moyens : il lui fallait contre César un appui militaire. Aussi, sortant de sa fierté et de sa nullité officielle, le voilà qui veut réclamer à son tour une mission extraordinaire, n’importe laquelle, où il disposera d’une puissance égale, supérieure même. à celle du proconsul des Gaules, et arriver, ainsi à se remettre ou à son niveau, ou même au-dessus de lui. Sa position actuelle, la tactique à laquelle il allait recourir, tout cela, c’était répéter le jeu de César pendant la guerre contre Mithridate. Mais pour obtenir un commandement pareil à celui du proconsul, pour arriver à peser du même poids, à la tête d’une armée, que cet adversaire plus fort et se tenant éloigné, par bonheur, Pompée avait besoin de l’ancienne machine du gouvernement. Moins de deux ans avant, elle était tout entière à sa disposition. Alors les régents, dans l’État, commandaient et aux comices, que les meneurs démagogiens avaient dans la main, et au sénat, que l’énergie de César avait terrifié. Laissé dans Rome par la coalition à titre de représentant et de chef reconnu, Pompée, à cette époque, eût tout obtenu, et du sénat, et du peuple, alors même que ses motions eussent tourné contre les intérêts de César. Mais sa maladresse envers Clodius lui avait enlevé le royaume de la rue impossible de compter désormais sur l’assentiment des comices populaires. Au sénat, les choses allaient pour lui moins mal : on pouvait douter pourtant qu’ayant si longtemps et si malheureusement laissé flotter les rênes, il pût facilement ressaisir sur la majorité son ancien ascendant, et lui imposer les votes nécessaires à ses projets.

La situation du sénat, ou mieux de toute la noblesse, s’était aussi, dans l’intervalle, grandement modifiée. La coalition de 694 [60 av. J.-C.] avait porté des fruits qui n’étaient point mûrs pour la lumière. L’éloignement de Caton, l’exil de Cicéron, que l’opinion publique, avec son infaillible tact, faisait remonter à leurs véritables auteurs, si attentifs que fussent les triumvirs à y paraître étrangers ou à s’en montrer même chagrins, le mariage qui avait fait de Pompée le beau-père de César, bien d’autres choses encore avaient leur triste et certaine signification : la monarchie s’annonçait avec ses lettres de bannissement et ses alliances de famille. Quant au gros public lui-même, bien que plus loin des événements, il ne voyait pas sans inquiétude planter les jalons qui menaient clairement au régime futur. Du jour où l’on comprit que César ne visait point seulement à une réforme constitutionnelle et qu’il y allait de la vie ou de la mort de la république, bon nombre de citoyens honnêtes, jusque là fauteurs du parti populaire et dévoués à César comme à leur chef naturel, passèrent aussitôt, à n’en point douter, dans le camp opposé. Ce ne fut plus seulement dans les salons et les villas de la noblesse, jadis maîtresse du pouvoir, que l’on entendit retentir les objurgations contre les trois dynastes, contre le monstre à trois têtes[10] ! La foule se pressait aux discours consulaires de César, muette et sans un signe d’assentiment. Nulle main ne se levait pour applaudir quand le consul démocrate entrait au théâtre. Que si l’un des souteneurs des triumvirs se faisait voir dans la rue, il était reçu à coups de sifflets, et les spectateurs, même ceux assis, applaudissaient à toute sentence antimonarchique, à toute allusion contre Pompée, débitée par l’acteur en scène. Quand Cicéron dut quitter Rome, les citoyens en grand nombre (il y en eut, dit-on, 201000, la plupart appartenant à la classe moyenne) imitèrent le Sénat, et portèrent le deuil. En ce moment, lisons-nous, dans une lettre de ce temps, rien de plus populaire que la haine des populaires ![11] Là-dessus, les régents laissèrent entendre qu’à faire de l’opposition les chevaliers pourraient bien perdre leurs nouvelles places au théâtre, et l’homme de la plèbe sa part à l’annone. Le mauvais vouloir se tut prudemment, mais l’esprit public n’en resta pas moins ce qu’il était. Alors, et cette fois avec plus de succès, on mit en jeu le levier des ‘intérêts matériels. L’or de César coula à flots. Faux riches à la bourse à demi vide, dames influentes en embarras d’argent, jeunesse noble endettée, marchands et banquiers au-dessous de leurs affaires, tous s’en allèrent dans les Gaules pour y puiser à même à la source, ou frappèrent à la porte des agents de César, dans Rome. Ici ou là, tout homme d’honnêtes dehors — César tenait à l’écart les enfants perdus de la rue — était sûr d’un bon accueil. Ajoutez à cela les énormes constructions élevées à Rome de ses deniers, où trouvaient emploi d’innombrables besogneux, depuis le consulaire jusqu’au simple manœuvre, et les profusions immenses consacrées aux jeux publics. Pompée faisait de même dans une moindre mesure : c’est à lui que Rome dut son premier théâtre bâti en pierre : il en célébra l’ouverture avec une magnificence inusitée. Que ces largesses corruptrices réconciliassent jusqu’à un certain point nombre d’opposants avec le nouvel ordre de choses, on le comprend : il va de soi pourtant que le noyau de l’opposition ne se laissait point entamer par de tels moyens. Chaque jour faisait voir combien les institutions républicaines avaient jeté de profondes racines au sein du peuplé, et combien peu surtout les hommes vivant en dehors et loin de l’agitation des partis, combien peu les villes de l’intérieur, se sentaient portés vers la monarchie, ou seulement se préparaient à la subir. Si Rome avait connu le système représentatif, le mécontentement du peuple aurait trouvé dans les élections son issue naturelle, et, se faisant jour, se serait fortifié. Dans l’état des choses, il ne restait aux constitutionnels d’autre ressource que de se rallier au Sénat, au Sénat qui, dans sa déchéance, n’en restait pas moins à leurs yeux le représentant et le défenseur né de la légitimité républicaine. Tout à coup ce corps, abaissé jusqu’à terre, vit arriver à lui toute une armée à la fois plus forte et incomparablement plus fidèle qu’au jour où, au faite de son éclatante puissance, il avait pu écraser les Gracques, qu’au jour où, protégé par le sabre de Sylla, il avait restauré l’ancien régime. L’aristocratie comprit ses avantages : aussitôt elle se mit en mouvement. C’est à ce moment que Marcus Tullius Cicéron avait eu permission de revenir. Il promettait de marcher avec le groupe des dociles dans la Curie, de se garder de toute velléité d’opposition, et de travailler même de son pouvoir dans l’intérêt des triumvirs. En le rappelant, Pompée n’avait voulu faire à l’oligarchie qu’une concession temporaire, jouer un tour à Clodius surtout, et enfin conquérir, si faire se pouvait, à sa cause, dans la personne de l’éloquent consulaire, un instrument désormais assoupli par tant d’épreuves. Mais de même que son exil avait été une démonstration contre le Sénat, son retour servit aussi de prétexte avidement saisi à démonstrations républicaines. Les deux consuls, protégés contre les Clodiens par la faction de Titus Annius Milon, apportèrent au peuple, de la façon la plus solennelle, la motion du rappel, préalablement autorisée par sénatus-consulte exprès. Le Sénat avait invité tous les citoyens,-amis de la constitution, à ne point faire défaut au vote. Et de fait, au jour faxé (4 août 697 [-57]), une foule inaccoutumée de notables citoyens, beaucoup venant de leur province, se réunit dans les comices. Le voyage du consulaire, de Brundusium à Rome, ne fut qu’une suite de manifestations semblables et non moins éclatante[12]. Dans cette occasion, se scella publiquement le pacte de la nouvelle alliance entre le Sénat et les conservateurs : on passa ces derniers en revue, pour ainsi dire, et leur attitude excellente ne contribua pas peu à faire lever la tête à l’aristocratie étonnée d’un tel retour de fortune. Cependant, Pompée assistait dérouté aux défis de l’opinion. Son immobilité passée, l’indignité, le ridicule de sa position actuelle au regard de Clodius, avaient tué le crédit de la coalition ; et dans le Sénat, la fraction qui tenait pour elle, démoralisée par, tant de maladresses commises, délaissée, dépourvue de conseils, ne pouvait rien pour empêcher les républicains et les aristocrates unis d’y reprendre partout la haute main. Assurément, à cette heure (697 [-57]), qu’ils jouassent leur jeu hardiment et avec adresse, et la partie n’était point désespérée. Ils trouvaient dans le peuple le ferme appui qui leur ‘avait fait défaut depuis un siècle : avoir foi en lui, en eux-mêmes, c’était là le plus court et le plus honorable moyen pour arriver au but ! Pourquoi ne pas attaquer les triumvirs de front ? Pourquoi, s’il se rencontrait quelque noble, homme de cœur, pourquoi ne se mettrait-il pas à la tête des sénateurs ? Pourquoi ne pas faire annuler les mesures exceptionnelles et violentes des triumvirs, et ne pas appeler aux armes contre les tyrans et leur faction tous les républicains de l’Italie ? Peut-être était-il temps encore de rétablir le Sénat dans son ancienne souveraineté ! A tout prendre, les Républicains couraient gros risque mais qui sait ? Ainsi qu’il arrive souvent, l’audace ici n’était-elle point la sagesse ? Par malheur, l’aristocratie manquait d’énergie : à peine si elle était capable d’une telle décision, à la fois simple et forte. Restait une autre voie plus sûre peut-être, plus à la portée des constitutionnels, en tous cas, étant donnés leur caractère et leurs habitudes. Ils songèrent à séparer les deux principaux triumvirs, et profitant de la division qu’ils allaient faire naître, à s’emparer pour eux-mêmes du gouvernail. Depuis que César avait pris le pas sur Pompée, le contraignant à ambitionner de nouveaux pouvoirs, l’intimité s’était refroidie et relâchée entre les hommes qui dominaient le Sénat : si Pompée obtenait l’objet de ses convoitises, ne devait-il pas bientôt se faire, d’une manière ou d’une autre, qu’ils en vinssent à une rupture à la lutte ouverte ? Pompée entrant seul en campagne, sa défaite était certaine : il tombait, et après le combat, le parti constitutionnel n’avait rien gagné, passant sous la loi d’un seul au lieu d’obéir à deux maîtres. Mais si les nobles savaient user contre César des moyens qui lui avaient jusqu’alors assuré la -victoire : s’ils entraient en alliance avec son rival plus faible, disposant alors d’un capitaine tel que Pompée et d’une armée solide de constitutionnels ; ne pouvaient-ils pas espérer l’avantage ? Puis après, n’ayant plus affaire qu’à ce même Pompée et à son incapacité politique, depuis si longtemps notoire, ne leur serait-il pas facile de venir promptement à bout de lui ?

Les choses tournaient donc à rapprocher Pompée et le parti républicain, et se Prêtaient à une entente : l’entente se ferait-elle ? Quels seraient à l’avenir les rapports entre les deux triumvirs d’une part, et l’aristocratie de l’autre, rapports confus et indécis, au plus haut point, en ce moment ? C’est ce qu’allait décider la motion portée devant le Sénat par Pompée quand vint l’automne de 697 [57 av. J.-C.] : il sollicitait formellement un commandement extraordinaire. A sa demande, il rattachait tout d’abord les mesures qui, onze ans plus tôt, avaient aidé à fonder sa puissance : il entendait remédier à la cherté du pain, cherté accrue dans Rome d’une façon désolante, absolument comme avant la loi Gabinia. Les prix avaient-ils monté par l’effet de certaines manoeuvres, ainsi que Clodius en accusait tantôt Pompée et tantôt Cicéron, ceux-ci lui renvoyant l’accusation à lui-même[13] ? C’est ce que l’on ne saurait dire. La piraterie toujours active, la détresse du Trésor, la négligence ou le désordre administratif dans la surveillance des approvisionnements suffisaient et au-delà, sans qu’il fût besoin d’accapareurs agissant dans des vues politiques, pour amener la disette dans cette grande capitale, qui ne subsistait presque que des importations d’outre-mer. Le plan de Pompée était celui-ci : se faire donner par le Sénat l’administration des céréales [rei frumentariæ potestas] dans toute l’étendue de l’Empire, et par suite le droit illimité de puiser dans les caisses de l’Etat, en même temps qu’il aurait une armée et une flotte ; et que son commandement, pareillement étendu sur toutes les régions appartenant à la République, primerait, dans chaque province, l’imperium du proconsul ou préteur local. Bref, il ne rêvait rien moins qu’une édition nouvelle et augmentée de la loi Gabinia, avec la perspective de la conduite d’une guerre en Egypte, alors prochaine, et se rattachant, comme jadis la guerre contre Mithridate, à une expédition contre les pirates. Quelques progrès qu’eût faits durant ces dernières années l’opposition contre les nouveaux dynastes, la majorité du Sénat, quand la discussion s’ouvrit sur cette motion (septembre 697 [-57]), était encore, il en faut convenir, sous le coup de la terreur imprimée par César. Elle admit docilement la motion en principe, et cela, sur la proposition même de Cicéron qui, dans cette première occasion, devait donner et donna en effet la preuve de la soumission enseignée par l’exil[14]. Mais quand on en vint aux articles de détail, le projet primitif, sorti des mains du tribun du peuple Gaius Messius[15], subit des modifications essentielles. Pompée n’avait ni la libre disposition des deniers du Trésor, ni une armée et une flotte à lui, ni l’imperium sur les commandants de province : on lui mettait en main seulement pour l’approvisionnement de Rome des sommes considérables : on lui donnait quinze lieutenants : il aurait la pleine puissance dans tout l’Empire proconsulaire en matière d’administration frumentaire, et cela pendant les cinq années qui allaient, suivre. Telle était la teneur du plébiscite proposé au vote des comices. Ces amendements au projet primitif équivalaient presque à son rejet ; ils s’expliquent par de nombreuses et diverses causes. Le nom de César pesait sur les délibérations ; et quoique absent et enfoncé dans les Gaules, à mettre Pompée non plus à côté, mais au-dessus de lui, il y avait de quoi faire reculer tous les timides. Crassus, à son tour, l’ennemi héréditaire et l’associé malveillant de Pompée, le poursuivait de son opposition sourde ; et Pompée, plus tard, ne manqua pas, sincèrement ou non, de faire remonter à lui l’insuccès de la motion. Joignez à cela l’antipathie de la faction républicaine, dans le Sénat, contre toute mesure accroissant, de nom ou de fait, les pouvoirs des triumvirs ; enfin et surtout l’incapacité personnelle de Pompée qui, même après l’heure venue de l’action, ne put prendre sur lui de se déclarer et d’agir, aimant mieux, selon son usage, se cacher derrière l’incognito,lançant en avant ses amis chargés de révéler sa pensée, pendant que, comme toujours, il affectait la modestie et se déclarait content même à moins, si moins lui était donné. Chose toute simple, on le prit au mot. Quoi qu’il en soit, c’était une chance heureuse que de rencontrer enfin quelque chose à faire, et surtout de tenir un honnête prétexte de quitter Rome. Pompée réussit tout d’abord, non sans que les provinces s’en ressentissent grièvement, à y faire arriver les blés en abondance et- à bon prix. Pourtant, son but principal n’était point atteint, et le titre proconsulaire, qu’il avait droit de porter dans toutes les provinces, restait un vain nom, tant que le Proconsul n’avait pas de soldats. Aussi, fit-il bientôt saisir le Sénat d’une seconde motion, aux termes de laquelle il aurait à ramener dans son pays, même à main armée, s’il était nécessaire, le roi d’Égypte expulsé par la révolte. Mais plus il devenait manifeste qu’il avait besoin du Sénat et ne pouvait rien sans lui, moins les sénateurs se montraient faciles et traitables. D’abord, on découvrit dans les livres sibyllins un oracle qui prohibait comme impie tout envoi de troupes romaines en Égypte : aussitôt le Sénat, saisi d’une terreur sainte, de voter unanimement contre une intervention armée. Pompée, tant était grande son humilité présente, .aurait accepté la mission, même usant des voies pacifiques ; mais comme toujours il joua son malheureux jeu caché ; et pendant qu’il faisait parler pour lui ses amis, il parla et vota pour l’envoi d’un autre sénateur. Naturellement, le Sénat repoussa sa proposition : il y aurait eu crime à exposer une tête si précieuse à la patrie ; et en fin de compte, après. tous ces longs débats, il fut décidé que Rome n’interviendrait point (janvier 698 [-56])[16].

Toutes ces rebuffades de la part du Sénat, rebuffades que Pompée subit et, ce qui pis est, qu’il dut subir sans représailles, étaient aux yeux du gros public, de quelque part qu’elles vinssent, autant de victoires pour les républicains, autant de défaites pour le triumvirat. Le flot de l’opposition républicaine montait chaque jour. Déjà, les élections de 698 [56 av. J.-C.] n’avaient qu’en partie réussi au profit des dynastes. Si d’un côté Publius Vatinius[17] et Gaius Alfius[18], candidats césariens à la préture, avaient pu passer, le peuple d’autre part avait élu deux partisans décidés de l’ancien gouvernement : Gnæus Lentulus Marcellinus[19] et Gnæus Domitius Calvinus[20] avaient été nommés l’un consul, l’autre préteur. Mais pour 699 [-55], Lucius Domitius Ahenobarbus[21] se portait candidat au consulat. Il était difficile d’empêcher son élection, tant à cause de sa grande influence à Rome, qu’à cause de sa colossale fortune ; et l’on ne pouvait douter que ses actes ne fussent aussitôt ceux d’une opposition nullement déguisée. Ainsi les comices se rebellaient du plein assentiment du sénat. Le ciel lui-même faisait connaître qu’au milieu des querelles des hauts ordres, la puissance militaire et les caisses du trésor couraient danger de tomber aux mains d’un maître, que la liberté était pareillement en péril. Les dieux eux-mêmes montraient clairement, au doigt la motion de Gaius Messius !

Mais les républicains, quittant le ciel, redescendent bientôt sur la terre. Toujours ils avaient soutenu la nullité des lois consulaires de César, tant de celle relative au territoire de Capoue que de toutes les autres ; et dès le mois de décembre 697 [57 av. J.-C.], ils avaient en plein sénat demandé d’urgence leur cassation pour vice de forme. Le 6 avril 698 [-56], Cicéron, consulaire, proposa solennellement que le décret du partage des terres de Campanie fût placé à l’ordre du jour du 16 mai. C’était là déclarer la guerre. La motion venait d’un de ces hommes qui ne montrent leurs couleurs que quand ils le croient pouvoir faire en toute sûreté. Évidemment l’aristocratie jugeait le moment venu d’engager le combat, non point seulement contre César, avec l’aide de Pompée, mais encore contre la tyrannie, quelle qu’elle fût, de quel côté qu’elle vint. Ce qui allait arriver, il était facile de le prévoir. Domitius parlait haut, et se disait prêt à demander au peuple le rappel immédiat du vainqueur des Gaules. La restauration aristocratique était en plein travail : en attaquant la colonie de Capoue, la noblesse jetait le gant.

César recevait jour par jour des rapports circonstanciés sur les événements de Rome. Autant que le lui permettaient ses occupations militaires, il les suivait de l’œil du fond de la Province du sud, tout en évitant encore de s’y mêler en rien. Cependant, voici qu’on lui déclare la guerre, non point seulement à son collègue, mais et surtout à lui-même. L’heure est venue d’agir, il agit sans tarder. Justement il n’était pas loin : les aristocrates imprudemment n’avaient point attendu, pour éclater, qu’il eût repassé les Alpes. Au début d’avril (698 [56 av. J.-C.]), Crassus quitte Rome et s’en va au-devant de son collègue plus puissant, pour aviser de concert aux mesures que leur intérêt commande il le joint à Ravenne. De là, tous deux se rendent à Luca, où se réunit à eux Pompée qui, lui aussi, avait quitté Rome peu de jours après Crassus (11 avril), soi-disant pour aller hâter les envois de blé de Sardaigne et d’Afrique. Leurs principaux partisans, Metellus Nepos, proconsul de l’Espagne citérieure[22], Appius Claudius[23], propréteur de Sardaigne, et bien d’autres se trouvèrent au rendez-vous : on y compta 120 licteurs ; et plus de 200 sénateurs assistèrent à ces conférences fameuses, où la monarchie opposait un sénat nouveau à l’assemblée des Pères Conscrits de la République. A tous les points de vue, c’était à César qu’appartenait le mot décisif. Mettant à profit sa prépondérante influence, il rétablit aussitôt et fortifia la régence commune des triumvirs sur les bases nouvelles d’une répartition plus égale des pouvoirs. Les provinces les plus importantes, militairement parlant, qui restaient libres en dehors des deux Gaules, sont attribuées à ses deux collègues. Pompée détient les deux Espagnes, et Crassus la Syrie : ils en auront pour cinq années (de 700 à 704 [-54/-50]), en vertu d’un plébiscite exprès, l’administration militaire et financière. César, de son côté, stipulait une prorogation, dans son commandement, lequel expirant avec l’an 700 [-54], se verrait continué jusqu’à la fin de 705 [-49] : il lui était licite de porter ses légions à dix, et les troupes qu’il lèverait ainsi de son chef seraient payées sur le trésor de l’État. Pour l’année qui allait suivre (699 [-55]), Pompée et Crassus s’assuraient leur second consulat, avant leur départ pour leurs provinces respectives ; et César se réservait pareillement son second siége consulaire, à la fin de son proconsulat, en 706 [-48], alors qu’il aurait atteint les dix années révolues de l’intervalle exigé par la loi entre les investitures de deux magistratures suprêmes. Comme Crassus et Pompée, pour régner en maîtres dans la capitale, avaient besoin de soldats ; comme on ne pouvait faire revenir de la Gaule transalpine, les légions primitivement affectées à la garde de Rome, il fut entendu qu’ils utiliseraient pour leurs besoins Ies légions nouvelles levées par eux à destination de l’Espagne et de la Syrie, et qu’ils ne les expédieraient d’Italie qu’à leur convenance personnelle. Les points principaux étant ainsi réglés, la tactique à suivre, vis-à-vis de l’opposition dans Rome, la détermination des candidatures pour l’année suivante, tous ces détails et autres articles secondaires, ne demandèrent pas longue délibération. Les dissidences personnelles, qui s’étaient à chaque pas rencontrées, grâce à son génie sans égal de conciliation, César sut les aplanir avec sa facilité ordinaire ; et de gré ou de force, il ramena dans une même voie tous les éléments contraires. De Pompée à Crassus, l’entente se rétablit, en apparence du moins, et comme entre bons collègues. Il n’y eut pas jusqu’à Clodius qui ne donnât des gages, promettant de se tenir tranquille, lui et sa meute, et de ne plus inquiéter Pompée. Exploit non moins étonnant de l’irrésistible enchanteur !

Tout démontre que cet arrangement des grosses questions pendantes ne fut pas un simple compromis entre hommes également puissants, et luttant à armes égales. Pompée, à Lucques, était dans la position d’un fugitif, tombé du faîte de la puissance, et qui vient solliciter l’aide de son rival. Que César le repoussât en déclarant la coalition dissoute, ou qu’en l’accueillant, il laissât leur alliance vivre dans ses conditions actuelles, dans un cas comme dans l’autre, Pompée était perdu, politiquement parlant. Que si alors il ne rompait pas avec César, il devenait le client impuissant de son associé. Que si, au contraire, il se séparait de lui, si, ce qui d’ailleurs n’était guère en ce moment vraisemblable, il entrait lui-même dans une coalition nouvelle avec l’aristocratie ; un tel pacte, contraint et forcé, et conclu à la dernière heure, n’avait rien qui pût effrayer César et le déterminer, pour en prévenir la consommation, à faire à Pompée d’aussi, grandes concessions. Quant à une rivalité sérieuse de Crassus à César, elle était absolument impossible. Quels motifs avaient donc poussé César à descendre sans nécessité de la hauteur d’où il dominait Pompée ? Pourquoi, aujourd’hui, lui accorde-t-il de bonne grâce ce deuxième consulat qu’il lui avait nettement refusé en 694 [60 av. J.-C.], en concluant la première coalition, ce consulat que depuis lors, dans le dessein manifeste de s’en faire une arme contre son associé, Pompée avait en vain, et par tous les moyens, poursuivi sans le concours de César, ou même malgré lui ? A cette question, la réponse n’est point facile. Je sais bien que Pompée n’y gagnait point tout seul d’être mis à la tête d’une armée : autant en obtenait Crassus, son vieil ennemi et le vieil allié de César. Evidemment, la puissance nouvellement remise à Crassus servait de contrepoids à la puissance militaire grande mise dans la main de son futur collègue au consulat. Encore César perdait-il infiniment par cela seul que son rival allait échanger son insignifiance actuelle contre un commandement important. Peut-être qu’à cette heure, le Proconsul des Gaules ne se sentait point encore assez maître de ses soldats pour se lancer sans crainte dans une entreprise contre les autorités régulières du pays. La guerre civile éclatant, il lui fallait ramener son armée d’au-delà des Alpes, ce qu’il ne voulait pas faire. Mais qu’on en vint ou non à la guerre civile, n’avait-il pas devant lui les aristocrates de Rome, bien plutôt que Pompée ? 11 semble que tout au plus il aurait eu intérêt à ne pas rompre avec lui, pour ne point encourager l’opposition par une telle rupture. Encore une fois, pourquoi lui tant accorder ? Peut-être qu’il céda à des motifs tout personnels : peut-être se souvint-il du jour où, se trouvant lui-même sans crédit et sans force en face de Pompée, celui-ci l’avait sauvé en faisant tout à coup retraite, par pusillanimité, il est vrai, plutôt que par élan de générosité. Et puis, qui sait s’il ne voulut pas ménager le coeur de sa fille chérie, de l’épouse aimante de Pompée ? Dans l’âme de César, combien de sentiments avaient place à côté des préoccupations du politique ! En tout cas, ce qui le décida, ce fut la Gaule. Quoi, qu’en aient dit ses biographes, la Gaule, à ses yeux, n’était point seulement une conquête du moment, bonne à lui valoir la couronne : il y allait pour lui, dans cette vaste entreprise, de la sûreté extérieure de Rome, de sa réorganisation intérieure, en un mot, de tout l’avenir de la patrie. Pour pouvoir achever sa conquête sans être dérangé, pour n’avoir point avant l’heure ‘à toucher à l’écheveau embrouillé des affaires italiennes, il abandonna sans hésiter son immense avantage sur ses rivaux ; il donna à Pompée la force nécessaire pour battre le Sénat et les adhérents du Sénat. Que s’il n’avait eu en vue que de se faire roi le plus vite possible, César assurément- aurait commis à Lucques une bien lourde bévue ; mais dans cette âme rare, l’ambition ne se bornait pas à l’humble gain d’un trône. Il s’était tracé deux tâches immenses à mener et à accomplir de front : au-dedans, donner à l’Italie un système politique meilleur ; au. dehors, conquérir. et assurer à la civilisation italienne un terrain vierge et nouveau. Naturellement, ses projets se contrariaient parfois ; et son expédition dans les Gaules, si elle lui frayait la route vers le trône, ne laissait pas que. d’arrêter sa marche. Combien il se préparait de fruits amers à retarder la Révolution italienne jusqu’en 706 [-48], alors qu’il l’aurait pu faire dès l’an 698 [-56] ! Il n’importe ! Général ou homme d’État, César était joueur plus qu’audacieux : plein de foi en lui-même autant que de mépris pour ses adversaires, toujours il leur rendit des points, souvent au-delà de toute prudence et mesure !

L’heure avait sonné pour l’aristocratie de défendre son dernier enjeu, et comme elle avait bravement déclaré la guerre, de la mener bravement. Hélas ! est-il spectacle plus lamentable que celui de la lâcheté ayant la malchance de ne pouvoir agir que par un coup de vigueur ? Tous, ces hommes n’avaient rien prévu. Il n’était venu à l’esprit d’aucun d’eux que César, de façon ou d’autre, saurait bien rendre coup pour coup, et que surtout Pompée et Crassus, en se rapprochant de lui, noueraient aussitôt une alliance plus que jamais étroite. L’aveuglement du parti semble incroyable, et pourtant on s’en rend compte quand on passe en revue l’armée de l’opposition constitutionnelle dans le Sénat. Caton, à la vérité, était encore éloigné de Rome[24], et l’homme alors le plus influent du Sénat était Marcus Bibulus, ce héros de la résistance passive, le plus hébété et le plus entêté de tous les consulaires[25]. On n’avait donc pris les armes que pour les mettre bas, dès que l’ennemi faisait mine de toucher au fourreau de l’épée. A peine a-t-on la nouvelle des conférences de Lucques, que tombe toute pensée d’opposition sérieuse ; et la masse des timides, ou mieux l’immense majorité des sénateurs, se prosterne sous ce joug, qu’à une heure malheureuse on a tenté de secouer. Du débat à l’ordre du jour sur la validité des lois Juliennes, il n’est plus soufflé mot : César a-t-il levé des légions de son autorité, un sénatus-consulte décide que le Trésor en défraiera la solde ; et de même, au moment de la répartition des prochaines provinces consulaires, la majorité repousse (fin de mai 698 [56 av. J.-C.]), la motion qui retirerait au Triumvir les deux Gaules, ou l’une d’elles, tout au moins. Le corps sénatorial faisait publiquement amende honorable. Les sénateurs se présentaient en secret, l’un après l’autre, et mortellement enrayés de leur témérité de la veille ; ils demandaient la paix et promettaient obéissance absolue. Marcus Cicéron les devança tous, trop tard repentant d’avoir trahi sa parole et faisant à sa récente conduite les honneurs de vives épithètes, qui mordaient jusqu’au sang loin qu’elles fussent flatteuses[26]. Comme bien on pense, les triumvirs se montrèrent de facile humeur : à tous ils donnèrent leur pardon : il n’en était pas un seul entre tous qui valût la peine d’une exception. Veut-on juger du revirement soudain et du changement de ton qui se firent dans les cercles aristocratiques à la nouvelle de la convention de Lucques ? Qu’on lise et que l’on compare, on ne. perdra pas son temps, les pamphlets de Cicéron, publiés la veille, puis bientôt ceux où, chantant la palinodie, il témoigne en public de ses regrets et de ses bonnes intentions futures[27].

Ainsi les Triumvirs étaient maîtres de reconstituer à leur gré tout le système italique, et de le reprendre en sous-œuvre plus profondément qu’avant. Rome et l’Italie désormais auront, avec l’un des régents pour chef, leur garnison assignée, sinon tenue assemblée sous les armes. Des troupes levées par Crassus et Pompée pour la Syrie et l’Espagne, les premières s’en vont en Orient : mais Pompée laisse ses deux provinces espagnoles sous la garde de ses lieutenants, à la tête des soldats qui s’y trouvent ; et quant aux officiers et soldats des légions de nouvelle levée, nominalement à destination de l’Espagne, il les retient en Italie en congé de disponibilité ; comme il y demeure lui-même. Cependant la résistance sourde de l’opinion publique allait croissant à mesure que la pensée du Triumvirat se manifestait davantage. Ne travaillait-on pas ouvertement à supprimer la constitution antique de Rome, à remplacer tout doucement le système actuel du gouvernement et de l’administration par les formes de la monarchie ? Mais il fallait obéir : on obéit. Et d’abord, les questions les,plus importantes, toutes celles intéressant l’armée ou les relations extérieures, étaient désormais tranchées, sans consulter le Sénat, tantôt par la voie du plébiscite, tantôt même par le bon plaisir des régents. Les arrangements conclus à Lucques recevaient leur exécution. Crassus et Pompée faisaient approuver par un vote direct des comices la prorogation du commandement militaire de César dans les Gaules : le tribun du peuple, Gaius Trebonius[28], en agissait de même au regard des provinces de Syrie et d’Espagne : enfin bon nombre d’autres gouvernements, les plus importants’ jadis, étaient aussi donnés par plébiscite[29]. Déjà César avait montré que pour augmenter leurs armées, les Triumvirs n’avaient plus besoin de l’autorisation des anciens pouvoirs de l’État : ils ne se font pas davantage scrupule de s’emprunter leurs soldats les uns aux autres : on a vu Pompée prêter les siens à César pour guerroyer dans les Gaules ; et nous verrons Crassus, allant en guerre contre les Parthes, recevoir aussi de César, son collègue, un corps de légionnaires auxiliaires. Les Transpadans, aux termes de la constitution, n’avaient que le droit Latin : César, durant son proconsulat, les traite comme s’ils jouissaient de la cité pleine[30]. Jadis une commission sénatoriale organisait les territoires conquis : César n’obéit qu’à son plein arbitre dans les immenses contrées gauloises qu’il a soumises à ses armes : il fonde, par exemple, des colonies de citoyens sans se munir de pouvoirs préalables ; et à Novum-Comum (Côme), entre autres, il établit 5.000 Colons. Pison fait la guerre en Thrace. Gabinius la fait en Égypte. Crassus marche contre les Parthes, tous sans prendre l’avis du Sénat, sans même seulement lui rendre compte, selon l’antique usage : triomphes, honneurs militaires se décernent, se prennent, sans les solliciter du Sénat. Et ce n’est point là seulement négligence des formes, laquelle serait d’autant moins explicable, que dans presque tous les cas, on n’aurait à craindre aucune opposition de sa part. Non, c’est manifestement et de propos délibéré qu’on agit, on veut le mettre en ,dehors de tout ce qui tient à l’armée, à la haute administration : on veut qu’il n’ait plus la main ni dans les questions de finances ni dans les affaires intérieures. Les adversaires des Triumvirs ne s’y méprirent point ; et, autant qu’ils le pouvaient, à coups de sénatus-consultes et d’accusations criminelles, ils protestèrent contre tous ces empiétements. Mais au moment même où ils rejetaient ainsi le Sénat à l’arrière plan,. les coalisés pratiquaient fort bien encore la machine des comices populaires, celle-ci leur offrant moins de dangers : ils avaient pris soin que les tyrans de la rue ne leur missent pas d’obstacle sur la voie. Pourtant, plus d’une fois, il leur arriva de laisser là toutes ces vaines formalités, et de se gérer sans détours en autocrates.

Le Sénat était abattu : il lui fallut bon gré mal gré se résigner. Marcus Cicéron demeura le chef de la majorité. Il avait son utilité d’avocat de talent, et qui sait trouver pour toute chose le mot et le motif. Ici se montre bien l’ironie césarienne. Cet homme, hier l’instrument choisi des démonstrations aristocratiques contre les Triumvirs, on en faisait aujourd’hui le porte-voix de la servilité ! A ce prix, on daignait lui pardonner ses velléités éphémères de révolte, tout en prenant des sûretés pour son entière soumission. Son frère avait dû, en qualité d’officier sous César, ou plutôt d’otage, s’en aller à l’armée des Gaules ; et Pompée lui avait, à lui-même, imposé une lieutenance, moyen facile et honorable de l’exiler à toute heure de Rome. Clodius, à la vérité, avait ordre de le laisser en paix ; mais César ne voulait pas plus se défaire de Clodius pour l’amour de Cicéron, que de Cicéron dans l’intérêt de Clodius. L’illustre sauveur de la patrie d’un côté, et le champion de la liberté, non moins grand que lui, d’un autre, se faisaient concurrence d’antichambre au quartier général de Samarobriva (Amiénois). Quel tableau, si Rome avait eu son Aristophane ! D’ailleurs, non contents de tenir suspendues sur la tête de Cicéron les verges qui déjà l’avaient rudement frappé, on l’enchaînait encore avec des chaînes dorées. César venant en aide à ses embarras de fortune, lui octroyait de gros prêts sans intérêt, et lui donnait dans Rome, mission qui fut assurément la bienvenue, l’intendance des constructions pour lesquelles se dépensaient d’énormes sommes. Combien alors de belles harangues sénatoriales, combien de beaux discours, immortels s’ils avaient vu le jour, durent rentrer au néant devant le fantôme de l’homme d’affaires de César,. tout -prêt à se dresser à la fin de la séance, sa lettre de change à la main ! Et le grand orateur de promettre qu’il ne s’enquerra plus du droit ni de l’honneur, mais qu’il n’aura souci que de la faveur des forts ;... et qu’il sera souple comme le petit bout de l’oreille ![31] En attendant on l’emploie au métier où il est bon : avocat, on le voue à la tâche malheureuse de défendre par ordre ses plus acharnés ennemis : sénateur, il est devenu l’organe ordinaire des dynastes ; il présente les motions auxquelles consentent les autres, quand lui il voterait contre ! Enfin, leader reconnu et officiel de la majorité soumise, il a ainsi reconquis l’importance politique. Avec le reste du troupeau, on agit de même : la crainte, les caresses, l’or corrompent quiconque laisse prise sur soi : le corps, sénatorial dans son ensemble est à la discrétion des triumvirs[32].

Restait une fraction hostile qui, celle-là, gardait ses couleurs, inaccessible à la crainte ou à la séduction. Les triumvirs avaient constaté que les mesures de rigueur, comme étaient celles prises naguère contre Caton et Cicéron, nuisaient plus qu’elles n’étaient utiles, et qu’il y avait moindre mal à subir une opposition incommode qu’à faire des opposants les martyrs de la cause républicaine. Ils laissèrent donc aussi Caton revenir (fin de 698 [56 av. J.-C.]) ; mais lui, aussitôt, au Sénat et dans le Forum, de recommencer la guerre, souvent au, péril de sa vie ; guerre honorable sans doute, ridicule après tout. Ils tolérèrent que devant le peuple il combattit les motions de Trebonius, tant et si bien qu’on en vint aux mains[33] : ils tolérèrent que dans le Sénat il attaquât César proconsul, à l’occasion du perfide massacre des Usipètes et des Tenctères, et demandât même qu’il fût livré aux barbares[34]. Le jour où le Sénat mit à la charge du trésor la solde des légions césariennes, Marcus Favonius, le Sancho de Caton, put impunément s’élancer à la porte de la curie, et crier aux passants de la rue que la patrie était en danger : une autre fois, comme Pompée portait un bandeau de linge autour de sa jambe malade, le même fou, dans son scurrile langage, osa dire qu’il n’avait fait que déplacer son diadème[35]. Un autre jour, le consulaire Lentulus Marcellinus se voyait applaudir par la foule. Usez, usez toujours, s’écria-t-il, de ce droit de proclamer votre pensée, puisqu’on vous le laisse encore ! Enfin, quand Crassus allait partir pour sa province syrienne, le tribun du peuple, Gaius Ateius Capito[36] le voua publiquement aux dieux infernaux selon la formule des imprécations religieuses. Après tout, ce n’était là que démonstrations vaines d’une minorité ulcérée : pourtant, si mince que fut le parti, il avait son importance en ce qu’il donnait aliment et issue au ferment de l’opposition républicaine ; en ce que parfois aussi il entraînait à des mesures hostiles au triumvirat la majorité des sénateurs, au fond animée du même esprit. Celle-ci, en effet, dans l’occasion et dans les questions de moindre intérêt, cédait au besoin de soulager ses. rancunes ; et à la façon des serviles mécontents qui se sentent impuissants contre les forts, elle assouvissait sa rage sur le chétif ennemi. L’heure s’y prêtait-elle, aussitôt elle donnait le croc-en-jambe aux instruments du triumvirat ; c’est ainsi qu’un jour Gabinius se voit refuser les supplications qu’il réclame (698 [-56])[37] : une autre fois, Pison est rappelé de sa province[38] : ainsi les sénateurs prennent et gardent le deuil, quand un tribun du peuple, Gaius Caton, met obstacle aux élections pour 699 [-55], jusqu’à la sortie de charge de Marcellinus, le consul constitutionnel[39]. Et Cicéron lui-même, si humble qu’il se montre devant la personne des triumvirs, ose publier contre le beau-père de César une brochure à la fois venimeuse et d’un goût détestable[40]. Mais toutes ces velléités opposantes de la part de la majorité sénatoriale, mais cette résistance stérile de la minorité, n’aboutissent qu’à mieux faire voir que si jadis le pouvoir a pu passer des mains du peuple aux mains du Sénat, il est allé aujourd’hui du Sénat aux triumvirs. La curie n’est plus guère que le Conseil d’État d’une monarchie, en même temps qu’elle est encore le réceptacle de tous les éléments antimonarchiques. Nul ne vaut en dehors des triumvirs ! s’écrient les partisans du gouvernement déchu : nous avons des maîtres tout-puissants, et qui prennent soin que nul n’en ignore : la république entière est transformée et obéit à des maîtres : notre génération ne verra pas de retour de fortune[41]. Bref, on ne vit plus en république ; on est sous le régime du pouvoir absolu.

Toutefois, pendant que les triumvirs, dans la conduite de l’État n’avaient devant eux que la loi de leur bon plaisir, il restait encore dans le domaine de la politique un terrain en quelque sorte réservé, à la fois plus facile à défendre et de plus difficile conquête, je veux parler des élections périodiques et des tribunaux. Ces derniers, alors même qu’ils ne relèvent pas directement de la politique, n’en subissent pas moins d’ordinaire (et tel était le cas, surtout, à Rome) l’influence de l’esprit qui prédomine dans la constitution : le fait est patent par lui-même. Quant aux élections des magistratures, à tous égards et aux termes de la loi, elles ressortaient bien aussi du pouvoir gouvernant. Néanmoins, comme en ces temps, le pouvoir était aux mains de magistrats d’exception, ou même d’hommes sans titre régulier ; comme les hauts fonctionnaires voulus par la constitution, dès qu’ils appartenaient à l’opposition antimonarchique, n’exerçaient plus d’action sensible sur la machine du Gouvernement, on les vit descendre peu à peu au rôle de simples figurants, les plus énergiques d’entre eux se qualifiant eux-mêmes, et à juste titre, du nom de nullités impuissantes ! Et leur élection même ne valait guère que comme démonstration. C’était donc dans les élections et les procès criminels que, chassés de toutes les grandes positions du champ de bataille, les constitutionnels tentaient encore de continuer la lutte. Là aussi, les triumvirs n’épargnaient nul effort pour sortir vainqueurs. Déjà, à Lucques, en ce qui touche les magistratures ; ils avaient dressé de commun accord leurs listes de candidatures pour les années suivantes : tous les moyens leur furent bons pour les faire réussir. Et d’abord, pendant l’agitation électorale, ils répandirent l’or à profusion. Chaque année, les soldats des armées de César et de Pompée arrivèrent en foule à Rome, munis de permissions d’absence, et prenant part au vote. César se tenait en personne dans la Haute-Italie, aussi près de Rome qu’il lui était possible, et de là surveillait et conduisait le mouvement. Cependant, les triumvirs ne purent atteindre leur but que très imparfaitement. Pour 699 [55 av. J.-C.], les consuls nommés furent Pompée et Crassus, comme le voulait la convention de Lucques : l’opposition vit écarter son unique candidat qui d’ailleurs avait tenu bon jusqu’au bout, Lucius Domitius [Ahenobarbus][42] : mais déjà pour triompher, il avait fallu user publiquement de violence : entre autres graves excès, Caton avait été blessé. Aux élections consulaires suivantes (pour 700 [-54]), le même Domitius l’emporta, quoique eût pu faire le triumvirat à l’encontre ; et Caton réussit dans sa candidature à l’office de Préteur, tandis que l’année d’avant, Vatinius, le client de César, l’avait évincé du champ, au grand déplaisir de la masse des citoyens. Aux élections pour 701 [-53], l’opposition démontra à la charge des candidats de César et de Pompée, principalement, les faits de corruption les plus éhontés, si bien que les triumvirs, sur qui retombait le scandale, abandonnèrent leurs créatures en fin de compte. Ces défaites répétées et cuisantes dans les comices électoraux pouvaient s’expliquer en partie par le fonctionnement mauvais d’un mécanisme détraqué, par les hasards impossibles à prévoir du. mouvement électoral, par les entraînements de l’opposition chez les classes moyennes, par le jeu des intérêts privés, réagissant en sens multiples et venant parfois étrangement à la traverse des intérêts de parti. Pourtant, leur cause principale se trouve ailleurs. A cette époque, les élections étaient dans la main des clubs divers où se groupait l’aristocratie : là, la corruption organisée en système, disposait d’immenses ressources et de toute une armée, rangée en bataille. Ainsi, cette même aristocratie, qui avait dans le Sénat sa représentation régulière, pouvait l’emporter encore dans les élections :. mais tandis que dans le Sénat elle cédait en étouffant son dépit, dans les luttes électorales elle, agissait et votait en secret, et tenait tête aux Triumvirs aux jours où se rendaient les comptes. En dehors même des élections pour l’an 700 [-52], les lois contre les brigues des clubistes, celles que Crassus fit confirmer par le peuple, durant son consulat, en 699[43] [-51], montrent bien dé quel poids était encore l’influence du parti noble.

Les tribunaux jurés ne suscitaient pas aux Triumvirs de moindres difficultés. Composés comme ils l’étaient alors, la classe moyenne y avait voix prépondérante à côté de la noblesse sénatoriale, qui, là aussi, se faisait compter. En 699 [55 av. J.-C.], une loi nouvelle, sur la motion de Pompée, porte à un taux élevé le cens du jury[44]. La chose vaut d’être remarquée. C’était, en effet, dans l’ordre moyen que se concentrait l’esprit d’opposition ; et dans les tribunaux, comme ailleurs, la haute finance se montrait plus souple et plus accessible. Néanmoins le parti républicain y avait encore un pied n’osant s’attaquer à la personne même des chefs, ils poursuivaient leurs principaux agents de leurs infatigables accusations politiques. Et cette guerre de procès était d’autant plus vive, que selon l’antique usagé l’accusation était mue par déjeunes Sénatoriaux. Naturellement on trouvait chez, ceux-ci, plus que chez les hommes d’âge mûr de,leur caste, la passion républicaine, la verdeur du talent, et l’audace agressive. Cependant les tribunaux n’étaient point libres : les Triumvirs fronçaient-ils le sourcil, pas plus que le Sénat, ils n’auraient osé désobéir. L’opposition n’avait pas d’adversaires contre qui elle se montrât plus acharnée que contre Vatinius. Sa haine furieuse était presque proverbiale envers ce familier de César, le plus téméraire de beaucoup entre tous et aussi le plus insignifiant : mais le maître parla et l’acquittement s’en suivit dans tous les procès qui lui étaient suscités. Cependant quand l’accusation avait pour organe les Gaius Licinius Calvus[45], les Gaius Asinius Pollion[46], puissamment armés de l’épée de la dialectique et du fouet de la moquerie, elle ne laissait pas que de toucher le but, alors même qu’elle n’avait pas réussi : enfin le partie compta quelque succès. Ceux qui succombèrent n’étaient, pour la plupart, que d’obscurs subalternes : un jour, pourtant, on vint à bout de l’un des plus puissants et aussi des plus odieux parmi les acolytes de César, j’entends parler du consulaire Gabinius. En lui, l’aristocratie voyait un ennemi irréconciliable : elle ne lui pardonnait ni sa loi sur le commandement de l’expédition contre les pirates, ni son manque d’égards pour le Sénat durant son proconsulat de Syrie. Les financiers lui en voulaient. En Syrie aussi, il avait osé prendre en main les intérêts des provinciaux : enfin Crassus lui gardait rancune pour sa lenteur à lui remettre sa province (infra, ch. IX). Contre tant d’ennemis, il ne lui restait qu’un appui, Pompée ; et Pompée lui-même avait cent raisons de défendre, coûte que coûte, le plus capable, le plus hardi, le plus fidèle de ses lieutenants. Mais dans cette occasion, comme en toute autre, il ne savait point se servir de sa puissance et patronner ses clients ainsi que César faisait les siens. Les juges (fin de 700 [-54]), déclarèrent Gabinius coupable de concussion et le condamnèrent à l’exil[47].

Ainsi, dans les élections, et devant la justice réglée, les Triumvirs étaient parfois battus. Les éléments influents y laissant sur eux moins de prise, échappaient à la corruption et à la peur mieux que les- organes directs du gouvernement et de l’administration. Dans les élections surtout, les Triumvirs avaient affaire aux résistances persistantes d’une oligarchie exclusive, concentrée dans ses coteries, dont on n’est pas maître le moins du monde pour l’avoir jetée à bas du pouvoir, qu’il est enfin d’autant plus difficile de briser qu’elle agit plus cachée. Et dans les tribunaux du jury principalement, ils avaient affaire au mauvais vouloir des classes moyennes contre le nouveau régime monarchique, mauvais vouloir amenant mille embarras, et qu’il ne leur était pas davantage possible de détruire. De là, cette série dé défaites essuyées sur l’un et l’autre terrain : mais, je le répète, les victoires électorales de l’opposition n’avaient d’importance qu’à titre de démonstrations, les Triumvirs ayant les moyens, et ne manquant pas d’en user aussitôt, d’annuler tout fonctionnaire mal pensant. Les verdicts hostiles, au contraire, leur portaient des coups sensibles en leur enlevant d’utiles auxiliaires. En résumé, ils ne pouvaient ni se débarrasser des élections et des jurys, ni les dominer suffisamment ; et, pour gênée et comprimée qu’elle y fût encore, l’opposition ne laissait pas que d’y soutenir le champ.

L’opposition avait un autre refuge d’où il fallait renoncer à la débusquer, et elle s’y portait avec d’autant plus d’ardeur qu’elle était plus complètement chassée de ses diverses positions purement politiques. Je veux parler de la littérature. Déjà, devant les prétoires, les manifestations étaient, à vrai dire et -avant tout, littéraires ; et les plaidoyers des avocats, régulièrement publiés, circulaient en feuilles à la main et traitaient des affaires du jour. Plus rapides et plus acérés encore volaient les traits lancés par les poètes. La jeunesse alerte et brillante de la haute aristocratie, et, plus énergiques que celle-ci peut-être, les beaux esprits appartenant à la classe moyenne des villes de l’intérieur, tous, à l’envi, et non sans succès, menaient une rude guerre de pamphlets et d’épigrammes. Au premier rang combattaient ensemble Gaius Licinius Calvus, noble et fis de sénateur (672-706 [82-48 av. J.-C.]), redouté pour ses discours, ses pamphlets et ses vers agiles, et les deux autres municipaux de Crémone et de Vérone, Marcus Furius Bibaculus[48] (652-691 [-102/-63]), et Quintus Valerius Catullus (667 vers 700 [-87/-54]), dont les élégantes et mordantes épigrammes couraient. par toute l’Italie, décochées comme des flèches, et frappaient droit au visage. Bref, toute oeuvre littéraire, dans ces années, revêt un vif cachet d’opposition. La colère et le mépris s’y donnent carrière contre le grand César, l’imperator unique ; contre l’aimable beau-père et l’aimable gendre, qui ruinent l’univers, et pourquoi ? Pour donner à leurs ignobles favoris l’occasion de parader dans les rues de Rome avec les dépouilles du Celte aux longs cheveux, de mener festins et vie de roi avec le butin rapporté des îles lointaines de l’Occident, ou de s’en venir, rivaux d’amour et payant en pluie d’or, voler leurs amantes aux honnêtes jeunes gens de Rome ! Dans les poésies de Catulle[49], et dans les autres débris de la littérature du temps, on retrouve l’accent primesautier de ces haines vigoureuses, personnelles et politiques : on y sent frémir la passion républicaine à l’agonie, se complaisant jusque dans ses fureurs dernières, dans son désespoir qui déborde, et parlant encore, mais moins puissamment, je le concède, le langage des Aristophane et des Démosthène ! Du moins, le plus intelligent des Triumvirs reconnaissait que, si peu à dédaigner que fût l’opposition des lettrés, il n’y avait pas à songer à la briser sous les coups de la force. Il aima mieux, autant qu’il était en son pouvoir, tenter de ramener à lui les principaux d’entre eux. Cicéron, le premier, devait en grande partie à son renom d’écrivain les attentions bienveillantes que. lui prodiguait César. Une autre fois, mettant à profit la connaissance qu’il avait faite à Vérone du père de Catulle[50], le proconsul des Gaules ne dédaignait pas de recourir à son intermédiaire pour conclure la paix avec le fils : on vit même, le puissant imperator, oublieux de tant de sarcasmes amers et d’injures directes, accabler le jeune poète des plus flatteuses distinctions. Bien plus, il voulut, esprit original entre tous, suivre jusque sur leur propre terrain les littérateurs, ses ennemis : il publia à titre de défense indirecte contre leurs multiples attaques, le récit détaillé de la guerre des Gaules, affectant la simplicité la plus curieuse de la forme, et exposant aux regards de tous les motifs nécessaires et la régularité constitutionnelle de ses opérations militaires[51] : mais il n’est que la liberté, la liberté seule, quoi qu’on fasse ou qu’on tente, qui sache susciter les poètes et leurs brillantes créations : seule, elle enflamme les riches et vives natures : seule enfin elle anime de son dernier souffle de vie jusqu’aux plus pauvres caricatures des pamphlétaires. Donc, tous les éléments littéraires, toutes les inspirations fortes étaient et restaient antimonarchiques ; et s’il fût donné à César de s’essayer, sans faillir, dans le champ clos des lettres, c’est qu’il avait, lui aussi, devant les yeux, le rêve grandiose d’une société libre, ce rêve dont l’accomplissement ne se pouvait confier ni â ses adversaires ni â ses partisans. Résumons. Dans le domaine des lettres les Républicains étaient maîtres absolus tout autant que les Triumvirs dans la politique pratique et courante[52].

Il devenait pourtant nécessaire d’user de rigueur envers cette opposition, audacieuse et incommode, si impuissante qu’elle fût. La condamnation de Gabinius donna, paraît-il, le signal. Les Triumvirs s’entendirent pour constituer une dictature temporaire : la dictature leur permettait toutes les mesures de coercition contre les élections et les tribunaux. Comme Pompée avait alors la haute main sur les affaires de Rome et d’Italie, c’était aussi à lui qu’était remise l’exécution du plan projeté. Il y apporta naturellement sa lenteur indécise et inactive et son étonnant mutisme, alors même qu’il avait et la volonté et le pouvoir de dicter la loi. Déjà, dans le Sénat, vers la fin de l’an 700 [54 av. J.-C.], par d’autres bouches que la sienne, il s’était fait plus d’une allusion à la prochaine dictature[53]. Les triumvirs n’avaient-ils pas un prétexte spécieux à mettre en avant ? Les clubs, les bandes ne remplissaient-ils pas-la capitale, pesant sur les élections et les jurés par la corruption et la plus déplorable violence, et organisant l’émeute en permanence ? De tels excès semblaient justifier les mesures exceptionnelles concertées entre les coalisés. Mais, d’autre part, pendant que le futur Dictateur se refusait en apparence à une demande nette et claire de pouvoirs, la majorité servile se refusait aussi à l’offrir. Vint l’agitation sans exemple des élections consulaires pour 701 [-53] : il s’y commit les plus tristes excès. Retardé, pendant toute une année, au-delà du terme légal, le vote ne put avoir lieu qu’en juillet 701 [-53], après sept mois d’interrègne. Pompée avait enfin l’occasion tant souhaitée de se prononcer, au sein de la curie, sur l’opportunité de la dictature, ce moyen unique de trancher le noeud, sinon de le dénouer : cette fois encore il ne laissa pas tomber le mot décisif. Peut-être même se serait-il tu longtemps encore si, aux élections consulaires pour 702 [-52], les candidats triumviraux, Quintus Metellus Scipion[54] et Publius Plautius Hypsæus[55], tous deux lui tenant de près, et entièrement dévoués, n’avaient pas eu pour concurrent. dans la lice, Titus Annius Milon, l’un des plus ardents meneurs de l’opposition. Milon était doué du courage physique : il avait un certain talent d’intrigue, il savait faire des dettes. Naturellement riche d’audace, et d’une audace accrue par l’éducation même, il s’était conquis un nom parmi les chevaliers d’industrie de la politique du jour. Après Clodius, il était l’homme le plus réputé du métier ; par conséquent, entre eux, il y avait rivalité, haine à mort[56]. Les triumvirs ayant acheté cet Achille de la rue, par permission ex-presse il jouait à l’ultra démocrate. Aussitôt, l’Hector de l’autre camp de se faire le champion de l’aristocratie.

L’opposition républicaine était de force aujourd’hui à s’allier avec Catilina lui-même, si Catilina ressuscitant s’était tourné vers elle. Elle avoue donc Milon pour son héros dans toutes les échauffourées du Forum. Et de fait, les quelques succès qu’elle remporte sur ce champ de bataille, elle les doit à Milon et à sa bande de gladiateurs savamment dressés. C’est alors que Caton et les siens se remettent à l’œuvre et poussent la candidature de cet homme : Cicéron lui-même ne peut pas ne pas parler pour l’ennemi de son ennemi, pour celui qui, durant de longues années, a pris sa défense. Comme Milon d’ailleurs, pour assurer son élection, n’épargnait ni l’or ni la voie de fait, son succès paraissait assuré. Sa nomination n’eût point été seulement une nouvelle et sensible défaite pour les triumvirs, elle aurait aussi été un grave danger. Comment croire que le hardi partisan, promu consul, se laissât facilement annuler, à l’exemple de Domitius et des autres personnages de l’opposition honnête ? Il arriva sur ces entrefaites, qu’Achille et Hector se rencontrèrent par hasard hors de la ville, sur la voie Appienne : la bataille s’engagea entre leurs bandes ; et Clodius blessé d’un coup de sabre à l’épaule, se réfugia dans une maison voisine. Tout cela s’était fait sans l’ordre de Milon : mais les choses étant à ce point, et l’orage ayant tant fait que d’éclater, achever le crime lui sembla plus profitable et moins dangereux qu’un crime à demi perpétré. Il expédia donc ses gens qui tirèrent Clodius dehors et le massacrèrent (13 janvier 702 [52 av. J.-C.]). Aussitôt, les autres coureurs de rue du parti, les tribuns du peuple Titus Munatius Plancus[57], Quintus Pompeius Rufus[58], et Gaius Sallustius Crispus[59], saisissent dans cette échauffourée l’excellente occasion qui s’offre : ils veulent faire écarter ; au profit de leurs patrons, la candidature hostile de Milon, et porter enfin Pompée à la dictature. La lie du peuple, affranchis et esclaves, en perdant Clodius, avaient perdu un protecteur et un émancipateur futur. Rien de plus aisé, en pareille occurrence, que de susciter l’émeute dont on avait besoin. On expose solennellement le cadavre« ensanglanté sur la tribune aux harangues ; on tient auprès force discours de circonstance, et aussitôt se fait l’explosion. Pour bûcher du sauveur du peuple, on a choisi la Curie elle-même, la citadelle de la perfide aristocratie : lai foule y porte le corps, et met le feu au bâtiment : Puis, l’émeute se rue vers la maison de Milon et l’assiége : les habitants chassent enfin les assaillants à coups de flèches. De là, on se rend chez Pompée et chez les candidats- ses amis, saluant l’un dictateur, et les autres consuls ; puis enfin chez l’interroi Marcus Lepidus[60], à qui appartient la direction des élections. Et comme celui-ci ; aux termes de la loi, se refuse à les rouvrir sur l’heure, ce qu’exige la foule, elle le tient de même assiégé cinq jours durant[61]. Les entrepreneurs de scandales avaient dépassé le but. Quoi qu’il en soit, leur seigneur et maître, se décidant enfin, profite de l’heureux accident du meurtre de Clodius, non seulement pour évincer Milon, mais aussi pour se faire faire dictateur toutefois, il ne veut pas tenir son titre d’une bande d’assommeurs, il lui faut la désignation même du Sénat. Il rassemble des troupes, soi-disant pour abattre l’anarchie devenue toute puissante dans Rome, et intolérable à tous. Il ordonne aujourd’hui, quand avant il demandait, et le Sénat cède aussitôt. Seulement, et sur la proposition de Caton et de Bibulus, on recourt à un subterfuge. Le 25 du mois intercalaire[62] de 702 [-52], Pompée proconsul, tout en gardant ses autres charges, est nommé, non pas dictateur, mais consul sans collègue. Échappatoire misérable donnant un autre nom à la chose, au prix d’une double et substantielle contradiction[63]. Mais on avait reculé devant la dénomination usuelle, laquelle disait ce qu’elle avait à dire. De même, au temps jadis, on avait vu la noblesse expirante ne concéder aux Plébéiens que la puissance consulaire, au lieu de leur ouvrir le consulat[64].

Une fois en possession légale de la toute-puissance, Pompée se mit à l’œuvre, et agit de vigueur contre le parti républicain qui dominait dans, les clubs et parmi les Jurés. Il renforce la discipline électorale à deux reprises, par une loi spéciale, et par une autre loi encore contre la brigue : celle-ci ayant effet rétroactif à l’égard de toutes les infractions commises depuis 684 [70 av. J.-C.], les peines anciennes sont de même aggravées[65]. En vertu d’une mesure plus importante encore, il est réglé que les Provinces, ce département de beaucoup le plus étendu et le plus rémunératoire des fonctions publiques, ne seront plus données aux consuls et aux préteurs, à l’échéance immédiate de leurs charges, mais seulement après un intervalle écoulé de cinq années. Il va de soi que l’organisation nouvelle n’entrera en vigueur que dans quatre ans ; que jusque-là il sera pourvu aux gouvernements divers par des sénatus-consultes statuant pour l’intérim[66]. On mettait tout dans la main de l’homme ou de la faction. à laquelle obéissait le Sénat lui-même. Les commissions des juges-jurés restèrent ce«qu’elles étaient : pourtant on édicta certaines restrictions au droit de récusation, et ce qui peut-être avait une gravité plus. grande, On ne laissa plus libre carrière à la parole dans les cours de justice les avocats, quant à leur nombre dans chaque cause, les plaidoiries, quant à la durée, étaient limités désormais à un maximum fixe. L’usage avait insensiblement prévalu d’amener à l’appui de l’accusé, en sus des témoins sur, le fait, des témoins sur sa bonne renommée, des laudateurs [laudatores] : cette pratique mauvaise fut supprimée[67]. Ensuite, le Sénat, toujours obéissant, décréta, sur un signe de Pompée, que la patrie avait été mise en danger par la rixe sanglante de la voie Appienne ; et en vertu d’une loi extraordinaire on institua une commission spéciale à l’effet de procéder contre tous les. crimes se rattachant à cette affaire : les membres de cette commission devaient être directement nommés par Pompée. Enfin, on tenta de rendre à la censure une efficacité sérieuse, et de purger d’une foule de gens indignes le corps civique aujourd’hui abandonné au désordre et à la corruption.

Toutes ces mesures se votaient sous la menace du sabre. Le Sénat ayant déclaré, comme on l’a vu, que la patrie était en danger, Pompée appela sous les armes tous les contingents des levées italiques, et les reçut à serment et à hommage absolus : puis il plaça provisoirement garnison suffisante au Capitole, faisant mine d’agir par la force au premier mouvement que tenterait l’opposition. Pendant le procès contre les meurtriers de Clodius, il aposta même des soldats, chose insolite et inouïe, autour des gradins des juges[68].

La résurrection de la censure avorta, nul ne se rencontrant parmi les serviles de la majorité sénatoriale qui se sentît assez de courage ou d’autorité pour oser se porter candidat à une telle charge. Par contre, les juges jurés condamnèrent Milon (8 avril 702 [62 av. J.-C.])[69] ; et la tentative de candidature consulaire de Caton pour 703 [-61], restait sans résultat[70]. La réforme de la procédure porta à l’opposition du pamphlet et de la plaidoirie un coup dont elle ne se releva jamais : l’éloquence judiciaire, jusque-là redoutable, expulsée désormais du domaine de la politique, revêtit à son tour le harnais monarchique. Pourtant, l’esprit d’opposition n’avait ni cessé de vivre dans les coeurs de la grande majorité des citoyens, ni cessé tout à fait de se manifester dans les choses de la vie publique : il n’eût point suffi pour cela de quelques mesures restrictives dans les élections, la justice et la littérature, il eût fallu tout anéantir. Disons-le même, étant donnée la situation nouvelle, Pompée trouva moyen encore, ‘à force de maladresse et de contresens, de ménager aux Républicains, lui Dictateur, plusieurs succès qui durent le froisser au vif. Naturellement, quand, dans le but de fortifier leur domination, les régents édictaient force mesure à tendance aristocratique, ils n’omettaient jamais d’y attacher l’étiquette officielle du bon ordre et de la paix publique. Tout citoyen, à les entendre, y était hautement intéressé, s’il ne voulait se faire le fauteur de l’anarchie. Mais Pompée alla trop loin dans la mise en oeuvre d’une fiction si transparente. En composant la commission spéciale pour informer contre la dernière émeute, au lieu de prendre des hommes qui fussent de sûrs instruments dans sa main, il choisit les personnages les plus honorables de tous les partis, Caton le premier : il s’appliqua, de tout le poids de son influence, à maintenir l’ordre matériel dans le prétoire, rendant impossibles désormais, à ses amis comme à ses adversaires, les scènes et les tumultes, ordinaire appendice de la justice en ces temps. A cette impartialité affectée les sentences judiciaires répondirent aussitôt. Si les juges n’osèrent point acquitter Milon, on les vit renvoyer absous la plupart des accusés en sous ordre de la faction républicaine. En même temps, une condamnation certaine frappait quiconque, dans la récente bagarre, avait pris parti pour Clodius, c’est-à-dire pour le drapeau des Triumvirs. On compta parmi les victimes bon nombre des plus intimes familiers de César, de Pompée lui-même, son propre candidat au consulat, Hypsœus, et les tribuns du peuple, Plancus et Rufus, qui s’étaient mis aussi pour lui à la tête de l’émeute. Le Dictateur, voulant toujours paraître impartial, n’empêcha pas leur condamnation. Première faute, au point de vue de son intérêt. Ailleurs, il en commit une seconde, soit que de sa personne, et tout à fait sans nécessité, il violât, en faveur de ses amis, les lois qu’il avait promulguées la veille[71], (ainsi on le vit assister Plancus dans son procès, à titre de témoin louangeur[72]) ; soit que, couvrant de sa protection certains accusés lui tenant de près (Metellus Scipion, par exemple), il les sauvât du verdict des Juges[73]. Comme toujours, il voulait à la fois les choses les plus contraires, s’essayant à accomplir les devoirs du gouvernant qui n’a qu’un poids et qu’une mesuré, et à rester néanmoins le chef d’un parti. A jouer ce jeu on ne réussit d’aucun côté. Tandis que l’opinion continua de voir en lui, et à juste titre, un despote, pour ses adhérents il n’était qu’un capitaine qui ne sait ni ne veut protéger ses hommes.

Donc l’opposition remuait encore, et grâce aux fautes de Pompée surtout, enlevait çà et là telle victoire qui lui rendait courage. Mais les Triumvirs n’en avarient pas moins atteint à peu près complètement le but qu’ils s’étaient proposé en érigeant la dictature : les rênes étaient tendues de plus court ; et le parti républicain humilié laissait la place à l’autocratie. Le peuple commençait à s’y faire. Un jour que Pompée relevait d’une grave maladie, on célébra sa guérison par toute l’Italie, avec force réjouissances obligées, ainsi qu’il se fait en pareille occasion chez les peuples en monarchie[74]. Les régents se montraient satisfaits. Vint le 1er août 702 [52 av. J.-C.] : Pompée déposa la dictature et partagea le consulat avec Metellus Scipion, son client[75].

 

 

 



[1] [L. Flavius, tribun du peuple en 694 [60 av. J.-C.], préteur l’année suivante : Pompée lui avait confié la garde du jeune Tigrane, l’arménien : — L. Afranius a été un homme plus important : il fut le lieutenant de Pompée, en Espagne, dans la guerre contre Sertorius, en Asie dans celle contre Mithridate. Pompée le fait élire consul pour 694 [-60]. Durant la guerre civile nous le retrouverons en Espagne, à Pharsale et à Thapsus.]

[2] [Hist. de C., II, p. 357.]

[3] [Et puis il s’absorbait dans les joies de son récent mariage avec Julia (Plutarque, Pompée, 53. — H. de C., II, p. 357).]

[4] C’est ce que Cicéron appelle cantorum convitio contiones celebrare (pro Sest., 55, 118) : [remplir les assemblées des criailleries des chanteurs de théâtre.]

[5] [Cicéron, ad Attic.]

[6] [Hist. de C., II, p. 358.]

[7] [Déjà M. Mommsen, en quelques mots, a fait connaître Clodius. Ici il achève le portrait. On connaît cet homme assez par les discours et les lettres de Cicéron. Drumann lui a consacré un article spécial dans ses biographies (II, pp.199-370). Rappelons ici sommairement que son nom réel était Publius Claudius Pulcher, et qu’il appartenait en effet à la gens noble des Claudiens, dont l’origine remontait aux premiers temps de Rome. Il servit en Asie sous Lucullus (684 [70 av- J.-C.]), puis eu Cilicie, sous Q. Martius Rex, ses deux- beaux frères. Fait prisonnier par les pirates, relâché sans rançon, il va en Syrie, où il sert aussi contre les Arabes ; puis revenu à Rome en 679 [-65], il accuse Catilina, pour crime de concussion. Catilina l’achète et est acquitté. Cicéron lui-même s’était proposé pour le défendre. En 678 [-64], il accompagne Muréna, propréteur, dans la Transalpine, où il ne se signale que par son avidité et ses excès. — En 676 [-62], il est à Rome et y fait scandale, comme on sait, en s’introduisant, sous un costume de femme et de musicienne, dans la maison de César, à l’heure où s’y célèbrent les mystères de la Bonne Déesse. Il avait noué une intrigue avec Pompéia, fille de Pompée et femme de César. Celui-ci divorça. La femme de César ne doit pas être soupçonnée ! De là un long procès, où Cicéron témoigna contre Clodius, qui devint, de ce jour, son ennemi acharné. Les juges, vendus, l’acquittèrent d’ailleurs à la majorité de 31 contre 25. Ensuite Clodius, pour mieux se venger, veut être tribun du peuple. Mais il n’est pas du peuple. Qu’importe ? Il se fait adopter (adragalio), non sans difficulté, par un plébéien, Fonteius, plus jeune que lui, qui n’a pas 20 ans, marié, et qui pourra avoir des enfants ! Une fois sa transitio ad plebem effectuée, il est élu tribun pour l’an 695 [-59]. Il tient enfin sa vengeance. Cicéron est exilé, et c’est sur sa motion que Caton est envoyé en Chypre.

Durant son tribunat, Clodius fit voter les diverses lois dont il est question au texte. L’une d’elles statue que l’annone, au lieu d’être payée 10/12 d’as, le modius, par les pauvres qui la reçoivent, leur sera distribuée gratuitement. — Un autre plébiscite abroge les lois Æliœ Fufiœ, de 598 [-156], sur les comices, lesquelles réglaient l’obnonciation, et enjoignaient d’y obéir, dès que le magistrat avait constaté que le ciel ordonnait de suspendre les délibérations. Cette loi, Cicéron (in Pison, 9) l’appelait propugnacula murique tranquillilatis et otii. — Un troisième permet de nouveau les confréries et corporations souvent défendues ou restreintes (sodalitates), au moyen desquelles il est si facile de conduire les sections de tribu, par quartiers, par groupes, au vote des comices (V. Smith, vis Ambitus : decuriatio). Enfin Clodius fait décider qu’à l’avenir les censeurs ne pourront plus atteindre que les citoyens accusés devant eux, par un tiers, ou condamnés antérieurement pour crime (cette loi équivalait à supprimer la censure : elle fut rapportée en 702 [-52]).

Après le bannissement de Cicéron, l’on sait que Clodius brûla la maison du grand orateur, sur le Palatin, et alla saccager ses villas de Tusculum et de Formies. C’est sur l’emplacement de la maison du Palatin qu’il éleva ce temple à la déesse Liberté dont il est question au texte. — Il empoisonne Q. Séius Postumus, qui refuse de lui vendre une autre habitation. Il blesse Gabinius (le consul) dans une lutte de rues, et tente de faire assassiner Pompée par un esclave. — Descendu de charge, il continue ses excès et ses crimes, à la tête de ses affranchis et de ses gladiateurs : il attaque le tribun Sextius. il assiège le tribun Milon et le préteur Cœcilius dans leurs maisons, et s’oppose en vain au rappel de Cicéron (697 [-57]). Il lutte contre les ouvriers de celui-ci, quand il reprend possession de son terrain du Palatin, et se jetant sur lui, le force à se réfugier chez un voisin.

Enfin il brigue l’édilité. Une fois nommé il accuse Milon de vi. C’est au milieu de ces incidents qu’a lieu la rencontre sur la voie Appienne, et qu’il périt.

Il nous a semblé opportun de faire passer tous ces détails sous les yeux du lecteur. A côté de Catilina, Clodius joue un rôle tout plein d’enseignements, et qui fait voir dans quel abîme de désordre et de corruption morale et politique était tombée la société romaine. D’une manière ou de l’autre les jours de la République étaient comptés. Elle devait périr.]

[8] [Tigrane le fils, que Pompée avait amené à Rome où il le retenait. Clodius le fit échapper moyennant rançon (Hist. de C., II, p. 358).]

[9] [Dies quindecim supplicatio decreta est, quod ante id tempus accidit nulli (Bell. Gall., 2, 35) (Le sénat décréta quinze jours d’actions de grâce, ce qui n’avait jamais eu lieu pour personne). Le fait est attesté par Cicéron presque dans les mêmes termes : Cœsari supplicationes decrevislis, numero ut nemini uno ex bello, honore ut omnino nemini (De prov. consul., 10). Enfin Plutarque n’est pas moins explicite (César, 21 ). Après la guerre d’Orient, les Supplications rendues en l’honneur de Pompée n’avaient été que de 12 jours. Elles se renouvelèrent pour César en 700 [-54], et après la campagne d’Alésia (702 [-52]), et durèrent chaque fois 20 jours (Bell. G., 4, 38, et 7, 90. — H. de C., II, p. 361 et 459.]

[10] [Τριxάρανον, selon le mot de Varron : App. Bell. Gal. 2, 9.]

[11] [Cicéron, ad Attic., 2, 20. Populare nunc nihil tam est quom odium popularium.]

[12] [V. Cicéron notamment lettre ad Attic, IV, 1, et les discours post reditum, passim. Il se vante d’être venu, porté sur les épaules de toute l’Italie (Italia cureta pœne suis humeris reportârit !...Post reditum, 1, 15).]

[13] [Qu’on lise à ce propos ta scène curieuse qui se passe au Forum, le 8 des ides de février (12 janvier 698 [-56]). Il y a là tout un tableau des mœurs politiques de l’époque : on injurie Clodius, on lui jette à la face des vers qui l’accusent d’inceste avec sa sœur. Et Clodius, furieux, pâle, de demander aux siens quis esset qui plebem fame necaret ? - Et sa troupe de répondre : Pompée ! (Cicéron, ad Quint. fr. 2, 3.) — V. la même scène dans Plutarque, Pompée, 48, et H. de C., II, p. 374.]

[14] [V. Plutarque, Pompée, 49, et Cicéron, ad Attic., 1, 4. Pompée le nommait le premier parmi ses quinze lieutenants, et le tenait pour un autre lui-même (Ille legatos quindecim quum postularet, me principem nominavit, et ad omnia me alterum se fore dixit.). H. de César, II, p. 366.]

[15] [Ce Gaius Messius, l’auteur de la loi Messia, fut attaqué par les Césariens, à son retour d’une légation, et Cicéron le défendit (ad Att., 4, 15 ; 8, 11). Plus tard, il est gagné à César et lui rend des services dans la guerre d’Afrique (César, Bell. Afr. 33).]

[16] [Déjà, et par anticipation, à la fin du chap. IV, consacré aux affaires de l’Orient, M. Mommsen a dit un mot de toute cette affaire de la restauration de Ptolémée Aulète. — Ici, il n’en parle qu’à l’occasion de la comédie qui se joue dans Rome, et de la déconvenue de Pompée. On en trouvera le détail tout au long, avec indication des sources, dans Drumann, à la Biographie du Cornélien (n° 21) P. Lentulus Spinther (consul 697 [57 av. J.-C.]), l’ami de Cicéron et le promoteur officiel de son rappel de l’exil. Ptolémée, venu à Rome pour solliciter le secours de la République contre son peuple et sa fille Bérénice, logea chez Pompée même, dans sa villa d’Albanum, et c’est de là que, comme Jugurtha jadis, il achetait à beaux deniers les voix des sénateurs (aperte pecunia nos oppugnat. Ad Attic., I, 1). L’abîme était sans fond, et ses largesses ne le pouvaient remplir. Il emprunte alors, sous la garantie de Pompée. Les Alexandrins envoyant une ambassade pour déjouer les manoeuvres du roi expulsé. Celui-ci, à l’instar de Jugurtha encore. empoisonne le principal des envoyés, l’académicien Dion, Lentulus jouait Pompée sous main. Futur proconsul de Cilicie, au sortir de son consulat, il demanda qu’on lui confiât l’expédition : Cicéron, entre son ami et Pompée, se tut. Quant à ce dernier (comme M. Mommsen l’indique), il déclara qu’il verrait volontiers donner cette mission au Proconsul. Gaius Caton, tribun du peuple, fit proroger l’affaire : la foudre avait frappé une statue de Jupiter sur le mont Albain (Dion Cass., 29, 30), sans compter l’oracle prohibitif des livres sibyllins ! La question revint en 698 [-56]. Bibulus proposait d’envoyer trois commissaires en Égypte : Lentulus avait l’appui de Q. Hortensius : Pompée se faisait porter par le consulaire Volcatius et par le tribun Lupus. On finit, de guerre lasse, par décider qu’on ne ferait rien, et l’affaire dormit jusqu’après les conférences de Lucques. Alors Gabinius, partant de Syrie, restaura, comme on le sait, Ptolémée (chap. VI. — Hist. de César, II, p. 371).

A côté du triste rôle que joue ici Pompée, celui de Cicéron n’est pas moins pitoyable. Il redoute à ce moment un second exil et les menaces de Clodius. Il est l’obligé de Lentulus, il veut à tout prix rester bien avec Pompée (in ea re nos et officio erga Lentulum mirifice, et voluntati Pompeii prœclare satisfacimus - ad A. frat., 2, 2). De là, la conduite la plus tortueuse, les assurances données à Lentulus, puis celles données au Triumvir, les conseils les plus divers envoyés à l’un et à l’autre, et par dessus tout la crainte que ses lettres ne tombent dans des mains indiscrètes (non ejus generis meœ literœ ; sunt, ut eas audeam temere committere, etc. - Ad famil., 1, 7). E faut lire toute sa correspondance à cette époque. Elle est le tableau vrai de la situation, mais elle diminue l’homme.

Nous retrouverons plus tard Lentulus parmi les anti-Césariens. Il capitule à Corfinium (v. infra, ch. X), et profite de la liberté que César lui laisse pour l’aller de nouveau combattre à Pharsale. Il aborde en Egypte après Pompée, et de là gagne Rhodes, on l’histoire perd sa trace.]

[17] Vatinius, le père de la loi Vatinia, qui avait donné à César la province cisalpine pour cinq ans). Encore un de ces personnages sans foi ni loi, comme il en regorgeait dans Rome. Struma civitatis (les écrouelles de l’État) ! C’est le nom que Cicéron lui donne (pro Sest., 65), par allusion aux tumeurs qui le défiguraient. Questeur en 691 [-63], tribun du peuple en 695 [-59], un instant lieutenant de César dans les Gaules, dans le procès de Sestius, il eut l’honneur d’une invective dirigée contre lui par Cicéron (in Vatin.). Plus tard encore accusé par Licinius, il vit cette fois Cicéron se lever pour lui. Il fallait bien racheter les attaques passées, et se faire un titre auprès de César (Cicéron, ad fam., 1, 9. — Toute cette lettre à Lentulus, n’est qu’un plaidoyer embarrassé). Au cours de la guerre civile, Vatinius défendra Brundusium. Consul suppléant (suffectus) à la fin de l’an 707 [-47], il commande, non sans succès en Illyrie ; est proclamé imperator, et quoique, après la mort de César, il ait dû rendre Dyrrachium à Brutus, il a le triomphe (déc. 711 [-43]).]

[18] [Gaius Flavus, tribun du peuple en 695 [59 av. J.-C.] : homme sans importance, que Cicéron n’indique pas comme malhonnête.]

[19] [Gn. Lentulus Cornelius Marcellinus, l’un des soutiens des Siciliens contre Verrès, et l’un des accusateurs de Clodius, dans l’affaire du sacrilège de la Bonne Déesse. Préteur en 695 [59 av. J.-C.], puis propréteur en Syrie, et enfin consul. Ami de Cicéron, il aida à lui faire rendre ses propriétés : ennemi de Clodius, il le combattit, et Cicéron le tient pour un consul modèle (ad Q. frat., 2, 6). Il ne fut pas favorable à Pompée dans l’affaire du roi d’Egypte. Il avait de l’éloquence (Brut., 70).]

[20] [Gn. Domitius Calvinus, tribun du peuple en 695 [59 av. J.-C.]. Lutte contre son collègue Vatinius : préteur trois ans après. Après bien des traverses, il sera nommé consul en 701 [-53]. Il passe à Pompée et à César, pour qui il commandera en Afrique et en Illyrie durant la guerre civile. Nous le retrouvons à Pharsale, où il commande le centre de l’armée de César. Il pacifie pour lui l’Asie. — Après la mort de César, il est encore consul (714 [-40]). Il va en Espagne et a le triomphe en 718 [-36]. Depuis, on n’en entend plus parler.]

[21] [De la gens Domitia, branche des Ahenobarbi, témoin de Cicéron contre Verrès, en 684 [70 av. J.-C.]. Edile curule en 693 [-61], il donne des jeux, où les lions de Numidie sont montrés en tel nombre, que le peuple, fatigué, va se reposer et quitte le cirque (diludium Hor. ep. I, 19, 47). Beau-frère de Caton, il suit comme lui le parti oligarchique. Préteur en 696 [-58]. En 699 [-55], il brigue le consulat. Ecarté une première fois, il se fera nommer pour 700 [-54], et s’alliant avec Pompée, présidera le tribunal chargé de juger Clodius. En 705 [-49], il est nommé proconsul des Gaules au lieu et place de César : est capturé dans Corfinium : s’en va à Marseille où il se défend contre les troupes de César : s’enfuit, et va périr à Pharsale où il a commandé l’aile gauche des républicains.]

[22] [Il s’agit ici du Q. Metellus Nepos, l’ancien lieutenant de Pompée. en Asie, qui fut son porteur de paroles en 691 [63 av. J.-C.]. Tribun, dans la même année, il contribue â rappeler dans Rome le Triumvir. Préteur en 694 [-60] ; consul en 697 [-57] avec Lentulus Spinther. Après les conférences de Lucques, il s’en va en Espagne citérieure, et revient mourir à Rome vers 699 [-55].]

[23] [App. Claudius Pulcher, préteur en 697 [57 av. J.-C.]. En 700 [-54], consul avec Ahenobarbus. Homme vénal et douteux. Censeur en 704 [-50], il expulse Salluste du Sénat, suit Pompée en Grèce, où il meurt avant la bataille de Pharsale. Savant augure, bon orateur (Cicéron, ad fam., 3. 10, 3, 4, 9,  11. — De Legib., 2, 13. — De Divin., 2, 35. — Brut., 77).]

[24] Il n’y était point encore revenu, quand Cicéron, le 1 mars 698 [66 av. J.-C.], parla pour Sestius (pro Sest., 28, 60), et quand le Sénat, à la suite des conférences de Lucques, délibéra au sujet des légions de César (Plutarque, César, 21). Ce n’est qu’au commencement de 699 [-55] que, pour la première fois, nous le voyons prendre une part active aux discussions : or, comme il avait voyagé durant l’hiver (Plutarque, Cat. min., 38), il faut conclure de là qu’il ne rentra dans Rome qu’à la fin de 698 [-66]. Dès lors, il n’a pas pu, comme on l’a mal à propos inféré d’un passage d’Asconius (p. 35, 53), défendre Milon au mois de février de cette même année.

[25] [L. Calpurnius Bibulus, qui fut édile curule, préteur et consul dans les mêmes années que César (689, 692, 695 [-62, -62, -59]). On a vu quelle opposition il lui fit. Il s’opposa aussi à l’envoi de Pompée en Égypte. Il alla proconsul en Syrie, après le désastre de Crassus, où il s’attribua sur le Parthe les succès remportés par Cassius (v. au chap. IX, infra). Enfin, pendant la guerre civile, il ne sut pas empêcher César de passer en Grèce (705 [-49]), et mourut de maladie, devant Corcyre (706 [-48]).]

[26] Me asinum germanum fuisse [j’ai été véritablement un âne !] (Ad att., 4, 5, 3).

[27] Cette palinodie [subturpicula.... παλίνψδία, l. cit.] on la lira dans le discours qui nous reste sur les provinces consulaires de l’an 699 [55 av. J.-C.]. Il fut prononcé au commencement de mai 698 [-56] : les discours qui font contraste sont celui pour Sestius, celui contre Vatinius, et la discussion sur l’avis donné par les devins Étrusques, des mois de mars et d’avril précédents ; ici l’ancien Consul avait exalté ardemment le régime aristocratique et pris le ton cavalier en parlant de César. Il faut assurément l’approuver, quand il avoue (ad Attic., d, 5, 1) que ce n’est point sans honte qu’il envoie à ses amis intimes ce monument de versatile soumission. [V. H. de César, II, pp. 377-389. L’auteur impérial annexe à son récit les passages les plus notables du discours de provinciis procons., et s’y montre également sévère pour Cicéron. Nous n’irons pas jusqu’à dire avec lui, pourtant, que l’entrevue de Lucques n’était pas un triumvirat, et qu’il n’y avait dans toute cette affaire rien que de parfaitement conforme au sentiment général (l. c., p. 383).]

[28] [Nous avons déjà nommé Trebonius parmi les lieutenants de César, dans les Gaules. Il avait débuté dans le camp ,aristocratique comme questeur (694 [60 av. J.-C.]), et s’était opposé à la transitio ad plebem de Clodius. Tribun du peuple en 699 [-55], il a passé à César et à Pompée. Le plébiscite de prorogation quinquennale des provinces des triumvirs porte son nom (lex Trebonia). — A l’ouverture de la guerre civile, il commandera les troupes de siège devant Marseille (v. infra, ch. X). En 706 [-48], on le trouve préteur urbain : l’année suivante, il est propréteur en Espagne ultérieure : César le nomme consul suffectus ; en 709 [-45], ce qui ne l’empêche pas de lever contre lui le poignard aux ides de mars 710 [-44]. Après la mort du Dictateur, il passe en Asie comme proconsul, et est surpris et tué par Dolabella dans Smyrne. — Cicéron loue platement ce triste homme et lui dit quelque part son regret sauvage de n’avoir pas été invité par lui au banquet superbe de l’assassinat (quam vellem ad allas pulcherrimas epulas me idibus martiis invitasses : reliquiarum nil haberemus ! - Ad fam., 10, 28.)]

[29] [V. Hist. de César, II, p. 399.]

[30] On ne trouve pas le fait consigné dans les auteurs. Mais que César n’ait point levé de soldats dans les municipes latins, de beaucoup en majorité dans sa province, c’est là tout d’abord ce qui parait incroyable. Une telle abstention est d’ailleurs contredite par le mépris même qu’affectait l’opposition pour les recrues césariennes tirées pour la plupart des colonies transpadanes (Bell. civ., 3, 87). En parlant ainsi, Labienus n’a-t-il pas évidemment en vue les colonies latines de Strabon (Ascon., in Pison, p. 3 : Suétone, César, 8) ? Nulle part, il est vrai, on ne voit de cohortes latines attachées à l’armée de César dans les Gaules ; et selon le dire exprès de l’auteur des Commentaires, toutes les recrues levées dans la Cisalpine avaient été, soit versées dans les légions, soit formées en légions complètes. Il se peut bien que César ait donné la cité à tous ces soldats, au moment de la conscription : à mon sens cependant, il est plus probable qu’il s’en tint alors au mot d’ordre démocratique, s’attachant bien moins à procurer la. cité romaine aux Transpadans, qu’à les traiter comme s’ils en avaient déjà la jouissance légale acquise. C’est ainsi seulement que le bruit a pu se répandre qu’il aurait importé dans les cités transpadanes l’institution des municipalités romaines (Cicéron, ad. Attic., 5, 3, 2 ; ad famil., 8, 1, 2.). Ainsi encore s’explique le langage d’Hirtius, qui donne aux villes transpadanes le titre de colonies de citoyens romains (Bell. gall., 8, 24) : ainsi l’on voit César traiter la colonie de Côme à l’égal d’une colonie civique (Suétone, César, 28 : Strabon, 5, 1, p. 213 : Plutarque, César, 29), tandis que les aristocrates modérés ne lui reconnaissent que le droit latin, jadis accordé aux autres cités d’au-delà du Pô, tandis même que les ultras du parti vont jusqu’à déclarer nul et non avenu le droit conféré aux immigrants, et par suite refusent à ces mêmes gens de Côme les privilèges civiques attachés d’ordinaire à la magistrature, dans les municipes du droit latin (Cicéron, ad Att., 5, 11, 12 ; Appien, Bell. civ., 2, 26).

[31] [V. ad Attic., 4, 5, etc., et ad Quint. fr. 2, 15, …ita et esse et fore auricula in fima molliorem.]

[32] [V. H. de César, II, pp.417 et s. un bon résumé des relations de César et Cicéron à cette époque.]

[33] [H. de C., II, p. 400.]

[34] [H. de C., II, p. 406.]

[35] [Marcus Favonius, le singe de Caton, comme on l’appelait, était en effet l’ami de Caton qu’il suivit et imita en tout. Honnête homme, mais d’esprit plus étroit encore que son modèle, pour la première fois on le rencontre se remuant à l’occasion du procès de Clodius, pour fait de sacrilège (693 [61 av. J.-C.]) . L’année d’après il accuse Scipion Nasica, de ambitu. En 695 [-59], il figure parmi les adversaires actifs du triumvirat (comme on le voit au texte) : il est le dernier sénateur, même après Caton, qui vote la loi agraire de César. — En 697 [-57], il s’obstine à refuser à Pompée la surintendance frumentaire, il le dénonce pour la protection donnée au roi d’Égypte, assassin et acheteur des voix sénatoriales — En 699 [-55], il combat à outrance la rogation trébonienne. — Edile en 700 [-54], il est jeté en prison par un tribun. Il lutte avec Caton pour sauver Milon (702 [-52]). — Réconcilié avec Pompée, au moment de l’explosion de la guerre civile, il le suit à Capoue, fait la campagne de Macédoine, et fuit avec le triumvir en Égypte. — Il se réconcilie avec César et avec la monarchie, et ne prend pas part à l’assassinat de mars 710 [-44]. Il revient cependant aux républicains, qu’il importune souvent de son humeur grondeuse : est fait prisonnier à Philippes et mis à mort. — Honnête homme, je le répète, chose si rare en ces temps, mais sans intelligence politique, sans valeur de caractère, et bien dépeint par ces mots du Pseudo-Salluste (ad Cœs., 2) : magnœ navis supervacua onera (lest inutile d’un grand vaisseau) !]

[36] [Ateius Capito, comme tribun, avait fait opposition au plébiscite Trébonien, de concert avec son collègue Aquilius Gallus. — Appius, le censeur le nota, à raison du fait signalé au texte (V. Hist. de César, II, p. 401) : on soutenait que les prodiges révélés par lui étaient falsifiés. Plus tard, il semble s’être rapproché des triumvirs (ad fam., 13, 29.) il a été préteur (Tacite, Annales, 3, 45), et lieutenant d’Antoine (Appien, Bell. civ., 5, 33, 50).]

[37] [Quand il revint d’Orient, chargé d’or il est vrai, ses ennemis et surtout les publicains qu’il avait gênés et troublés dans leurs opérations, excitèrent contre lui une véritable tempête. Il renonça au triomphe, et rentra de nuit dans Rome. Accusé par Lentulus pour crime de majesté, il fut acquitté : accusé de concussion (de repetundis ex lege Julia : il avait reçu 10.000 talents de Ptolémée Aulète), il fut condamné, quoique défendu par Cicéron, à la prière de Pompée. — Il alla en exil, revint en 705 [-49] à Rome : resta fidèle à César dans la guerre civile, et mourut de maladie à Salone, après avoir été battu parles Dalmates (fin de 706 [-48]).]

[38] [Il s’agit ici du Pison, beau-père de J. César, L. Calpurnius Piso Cœsoninus (V. sa biographie, dans Drumann, II p. 62 et s.) fut l’un des ennemis personnels de Cicéron, qui s’acharna à son tour contre lui. — En 695 [-59], Clodius l’avait accusé pour concussions commises étant propréteur. Il est consul en 696 [-58], avec Gabinius, dans l’année de l’exil de Cicéron. En 697 [-57] et 698 [-56], il pille sa province proconsulaire de Macédoine et est rappelé, à sa grande colère, en 699 [-55]. Dans le débat sur cet incident, que mentionne M. Mommsen, Cicéron prononça son invective de provinciis consularibus, qu’il répéta, au retour de Pison, en renchérissant encore (in Pisonem). — En 704 [-50], cet homme flétri reparaît sur la scène politique, revêtu de la dignité de censeur. Il s’offre ensuite au Sénat comme médiateur auprès de César, mais les Oligarques ne veulent point d’accommodement. A dater de ce jour, Pison semble avoir tenu une honorable conduite : sorti de Rome avec Pompée, il se mit à l’écart, et son ardent ennemi, Cicéron, ne put s’empêcher de s’écrier : amo etiam Pisonem ! (J’aime Pison) (ad Att., 7, 13. - Ad famil., 14, 14.) — Après la mort de César, celui-ci tenta de faire maintenir les institutions de création nouvelle. — Il se range ensuite du côté d’Antoine. Après 711 [-43], l’histoire ne prononce plus son nom. — Cet homme, dépravé comme presque tous les Romains de ce siècle, avait jusqu’à un certain point le sens politique.]

[39] [Il ne faut pas confondre ce Caïus Porcius Caton avec le héros d’Utique. Le tribunat de celui-ci se place dans l’année du consulat de Cicéron (699 [-55]. Le tribunat de Gaius Caton est de l’année 698 [-56]. C’est lui qui dans l’affaire de Ptolémée Aulète vint déclarer que les livres sibyllins ne permettaient pas de venir en aide au roi d’Égypte. Plus tard il passa aux triumvirs.]

[40] [V. la note 38. M. Mommsen fait allusion ici à l’invective in Pisonem, où le grand orateur ne ménage à son ennemi aucune sale injure : bête féroce, âne qu’on ne peut faire avancer qu’à coups de bâton, chien mort, âme de boue, sentine de vices, etc. etc. J’en passe et des meilleures.]

[41] [V. aussi Cicéron, ad. fam., 1, 8, lettre à Lentulus.]

[42] [H. de César, II. p. 397.]

[43] [Lex Licinia, de sodalitiis]

[44] [Lex Pompeia Judiciaria]

[45] [G. Licinius Macer Calvus, fils de l’annaliste fameux. Licinius Macer (V. infra, ch. XII) était placé, par l’estime publique, comme orateur, à côté dé César, Brutus et Cicéron lui-même, et comme poète, à côté de Catulle. Il mourut jeune, épuisé par l’étude. A vingt-sept ans il accusa Vatinius, que Cicéron défendait. Là, il déploya tant de talent et de force, que Vatinius se récria : Juges, je vous prie, faut-il donc me condamner parce que cet homme est éloquent ? (Rogo vos, judices, num, ut iste disertes est, ideo me damnari oporteat !) — Cicéron, le Dialogue des orateurs, et Quintilien le louent (ad fam., 15, 21. - De Orat. 17, 21, 25, 34. - Sénèque, controv., 3, 19. - Quintil., 10, 1, 111, 10, 2, 25. 12, 10, 11). Il ne nous reste rien ou presque rien des vingt et un discours ou harangues qu’il avait laissés.

Ses poésies légères et fugitives, ses élégies (celle notamment sur la mort de Quintilia, sa maîtresse), ses épigrammes mordantes (famosa epigrammata) lui avaient fait une grande réputation ; et il est vanté par Catulle, Properce et Ovide. D’autres (Pline, Ep. 1, 16 ; Aul. Gell. 19, 9 ; et Horace lui-même (Sat., 1, 10, 16)) blâment certaines duretés dans ses vers. Il était très petit de taille, et Catulle l’appelle un nain éloquent (salaputium disertum). — M. Mommsen reparlera de lui, infra. ch. XII.]

[46] [G. Asinius Pollio, le patron de Virgile et d’Horace (Virgile, Eclog., 4 et 8), le fondateur de la première bibliothèque ouverte au public dans Rome, célèbre comme orateur, historien et poète (né en 678 [76 av. J.-C.], † en l’an 4 ap. J.-C.). Il appartient pour toute la fin, et la plus importante moitié de sa vie, à l’ère Augustéenne. Qu’il suffise ici de dire qu’à vingt-deux ans (en 700 [-54]), après s’être formé à l’école de Cicéron et d’Hortensius, il accusait Caton pour les troubles suscités par lui, durant les élections consulaires de 698 [-56]. Caton fut défendu par Calvus et Scaurus, et c’est à ce procès que M. Mommsen fait allusion en nommant Pollion. Celui-ci d’ailleurs se rangea de bonne heure dans le parti de César, se battit pour lui en Sicile, en Afrique et à Pharsale. Après sa mort, il se range aussi bientôt du côté du second triumvirat : joue un rôle actif, administre la Transpadane, où il rend à Virgile son domaine de Mantoue qui allait être confisqué ; est consul en 714 [-40], commande plus tard une expédition en Illyrie, et pendant la guerre entre Antoine et Auguste se tient à l’écart, étant l’ami de chacun d’eux. Il meurt à quatre-vingts ans, dans sa villa de Tusculum.

A l’occasion de ses premiers succès littéraires, Catulle l’avait appelé (Carm., 12, 9) :

..........leporum puer

Disertus et facetiarum !

(V. aussi Hor. Carm. 2, 1, 13). — Comme Calvus il affectait d’ailleurs la rudesse (duras et sicus (Dial. de l’orat., 21, Quintil., 10, 1, 113). On a les titres de vingt de ses harangues ou plaidoyers. — Il a écrit l’Histoire des guerres civiles de l’an 684 [-60] (premier triumvirat), jusqu’à l’époque d’Auguste. Ces mémoires d’un contemporain, très vanté par les écrivains postérieurs, nous eussent fourni de précieux renseignements. Pollion s’y montrait sévère pour Cicéron (Sénec., Suas., 6, 6). — Poète, il écrivit des tragédies, et enfin il était estimé comme critique : c’est lui qui trouvait dans Tite-Live un goût de terroir et de patavinité (Quintil., 1, 5, 56. - 8, 1 , 3). — De tant de travaux, rien n’est venu jusqu’à nous, que l’éloge de ses amis.]

[47] [Hist. de C., II, p. 413. — Cicéron l’avait défendu.]

[48] [M. Furius Bibaculus, l’Archiloque des Latins au dire des anciens (Quintil. 10, 1, 96. — Diomed., De oratione et partibus - et de genere metrorum, éd. Futsch, p. 482). Ses Iambes satiriques étaient comme ceux de Catulle, bourrés d’insultes contre J. César (referta contumeliis Cœsarum) Tacite, Ann., 4, 34. Il ne nous reste de lui que deux ou trois vers et deux courtes épigrammes (Suétone, de Illust. gramm., 9 et 11) sur la déconfiture et la pauvreté du grammairien Valerius Cato. — La biographie privée ou politique de Bibaculus est d’ailleurs muette. Il vivait en épicurien, à en juger par ce vers intraduisible où il joue sur son nom : Et Bibaculus eram et vocabar.]

[49] [V. ch. XII, où, en traitant de la ‘littérature au siècle de César, M. Mommsen parle de Catulle avec suffisamment de détails.] Le recueil qui nous est resté de lui fourmille d’allusions aux événements des années 699 et 700 [56-54 av. J.-C.] : il a été publié évidemment à cette dernière date. Le fait le, plus récent qu’il mentionne est le procès fait à Vatinius (août 700 [-54], V. Cat., 94, 52, 53). Saint Jérôme reporte la mort de Catulle aux années 697 ou 698 [-57/-56] : on voit qu’il faut la retarder au contraire de quelques années. S’attachant aux invectives du poète contre Vatinius, qui se parjure par son consulat (per consulatum pejerat Vatinius. Cat., 52), on a conclu, mais à tort, que le recueil Catullien n’a paru qu’en 707 [-47]. Tout ce qu’on en peut inférer, c’est qu’à ce moment Vatinius avait l’expectative du consulat pour une année fixée d’avance : or, dès 700 [-54], il avait toutes raisons de compter sur sa nomination future, et bien certainement son nom figurait sur les listes de candidature concertées à Lucques.]

[50] [Suétone, J. Cæs., 73.]

[51] [M. Mommsen reviendra ailleurs avec plus de détails, infra, ch. XII, sur cette opinion qu’il exprime au sujet des commentaires. — V. appendice B.]

[52] La pièce qui suit est de Catulle (29e de son recueil) : elle a été écrite vers 699 ou 700 [55-54 av. J.-C.], après l’expédition de César en Bretagne, et avant la mort de Julia.

Quis hoc potest videre, quis potest pati

Nisi impudictis, et vorax, et aleo,

Mamurram habere quod comata Gallia

Habebat uncti, et ultima Britannia ?

Cinæde Romule, hæc videbis et feres ?

Es impudicus, et vorax, et aleo !

Et ille nunc superbus et superfluens

Perambulabit omnium cubilia

Ut albulus columbus, ut Adonaeus ?

Cinæde Romule, hæc videbis et feres !

Es impudicus, et vorax et aleo !

Eone nomine, imperator unice,

Fuisti in ultima occidentis insula

Ut ista vostra diffututa mentula

Ducenties comesset, ut trecenties ?

Quid est ? ait sinistra liberatitas,

Paterrna expatravit. An parum helluatus est ?

Paterna prima lancinata sunt bona ;

Secunda præda Pontica ; inde tertia

Hibera, quam scit amnis aurifer Tagus.

Hunc, Galliæ, timetis, et Britanniæ.

Quid hune, malum, fovetis ? aut quid hic potest,

Nisi uncta devorare patrimonia ?

Eone nomine, imperator unice,

Socer, generque, perdidistis omnia ?

[Dans la traduction qui suit, nous ne rendons que par des à-peu-près les ordures intraduisibles parsemées dans le texte latin.

Qui peut voir cela ? Qui le peut souffrir ? A moins d’être un impudique, un mangeur, un joueur ? Ainsi, Mamurra aura les trésors de la Gaule chevelue et ceux de la Bretagne lointaine ! — Fils lascif de Romulus (Cinœde Romule), tu le vois ! tu le souffres ! Impudique es-tu, mangeur et joueur ! — Et lui, superbe et gorgé, tel que le blanc ramier ou qu’un autre Adonis, il se promènera dans tous les lits ! — Fils lascif de Romulus, tu le vois, tu le souffres ! Impudique es-tu, mangeur et joueur ! — Etait-ce donc pour cela, Imperator sans pareil, que tu allais jusque dans l’île la plus reculée de l’Occident ? Pour que votre lubricité éreintée (ista vostra diffututa mentula) engloutisse deux millions, trois millions ? N’est-ce que cela ? dira ta libéralité malheureuse : il n’a fait qu’effleurer son bien ! Est-ce donc peu que d’avoir dévoré d’abord l’héritage paternel ; puis les dépouilles du Pont ; puis celles de l’Ibérie, et tout ce que sait de riche le Tage aux flots d’or ? Redoutez-le, Gaules et Bretagne ! Pourquoi tant de faveurs à ce misérable ? ou que peut-il encore, si ce n est dévorer toujours de gros patrimoines ? — Imperator sans pareil, et vous, gendre et beau-père, est-ce pour cela que vous avez ruiné le monde ?]

Mamurra, de Formies [decoctor Formianus, dit ailleurs Catulle, 41], favori de César, fut durant quelque temps l’un de ses officiers à l’armée des Gaules [il était le chef ingénieur (prœfectus fabrum)]. Vraisemblablement rentré à Rome peu de temps avant la composition de la pièce qui précède, il était occupé sans doute à l’édification de ce fameux palais de marbre du mont Cœlius, dont l’incroyable et coûteuse magnificence a tant fait parler. Par les dépouilles du Pont, Catulle entend le butin fait à Mytilène en 675 [-76]. César y eut sa part, comme officier dans l’armée du préteur de Bithynie et du Pont : par les dépouilles de l’Ibérie, il désigne les gains de guerre rapportés de l’Espagne ultérieure après la préture de César. — Citons une autre pièce, moins amère que l’invective empoisonnée qu’on vient de lire, et qui blessa César au vif (Suétone, César, 73). Elle est à peu près du même temps (11e du recueil). Elle mérite l’attention par son début lyrique et pathétique et par sa chute bien différente. Le persiflage ingénieux du poète s’y attaque à l’état-major du nouveau maître, à ces Gabinius, à ces Antoine, et tutti quanti, échappés la veille de leur antre, et promus soudain aux hauts grades. Qu’on se souvienne qu’elle fut écrite au moment où César passait le Rhin et combattait sur la Tamise, et où se préparaient les expéditions de Crassus contre les Parthes, et de Gabinius en Egypte. Le poète espère pour son propre compte une des lieutenances vacantes, et avant de partir, il donne [en strophes saphiques] à deux de ses clients ses dernières instructions.

Furi et Aureli, comites Catulli,

Sive in extremos penetrabit Indos,

Litus ut longe resonante Eoa

Tunditur unda :

Sive in Hircanos Arabasque molles,

Seu Sacas sagittiferosque Parthos,

Sive qua septemgeminus colorat

Æquora Nilus ;

Sive trans allas gradietur Alpes,

Cæsaris visens monumenta magni,

Gallicum Rhenum, horribilesque ultimosque Britannos :

Omnia hæc, quæcumque feret voluntas

Cœlitum, tentare simul parati,

Pauca nuntiale meæ puellæ

Non bona dicta :

Cum suis vivat valeatque mœchis,

Quos simul complexa tenet trecentos,

Nullum amans vere, sed identidem omnium

Ilia rumpens.

Nec meum respectet, ut ante, amorem

Qui illius culpa cecidit, velut prati

Ultimi flos, prætereunte postquam

Tactus aratro est.

[Furius et Aurelius, compagnons de Catulle, soit qu’il pénètre jusqu’au fond de l’Inde, aux rivages battus par l’onde orientale, au loin retentissante ; — soit qu’il aille en Hyrcanie, et dans la molle Arabie, ou chez les Saces, et les Parthes armés de flèches, ou sur les bords du Nil aux sept bras qui teignent les mers ; — soit que franchissant les cimes des Alpes, il aille voir les monuments de gloire du grand César, le Rhin Gaulois et les Bretons hideux, au bout du monde ! — Prêts que vous êtes à oser avec moi, quoi qu’en ordonne la volonté des Dieux, portez à ma maîtresse ce peu de mots, ma malédiction ! — Qu’elle vive et soit prospère avec ses amants ! Ils sont trois cents qu’elle tient tous embrassés, n’en aimant aucun, les épuisant tous à la fois ! — Et qu’elle ne compte plus comme avant sur mon amour : il est mort par sa faute, mort à comme au bord du pré la fleur qu’a touchée le soc au passage. — Faut-il ajouter que Catulle, selon la vraie tradition aristocratique, n’aurait nullement dédaigné de s’enrichir à la suite de quelque préteur, s’il l’avait pu (Voir les pièces 10 et 28. — V. aussi les pièces 54, 57, 93, celles-ci prenant encore César à partie).]

[53] [Plutarque, César, 31. — Hist. de C., II, p. 425.]

[54] [G. Cœcilius Metellus Pius Scipio, des Scipions Nasicas, fils adoptif du Metellus Pius, le consul syllanien et l’adversaire malheureux de Sertorius, en Espagne. Tribun du peuple en 695 [59 av. J.-C.] : ami chaud de Pompée, bien plus que de César, il devint, comme on l’a vu, le beau-père du premier, dont il fut aussi le collègue adjoint, pendant les derniers mois de l’an 702 [-52]. A dater de là, on le verra toujours à ses côtés, ou travaillant activement pour lui. Proconsul en Syrie, pendant la guerre civile, il la pille, et s’enrichit d’une façon scandaleuse. Revenu en Grèce, il commande à Pharsale le centre de l’armée pompéienne, gagne l’Afrique, et se fait battre par César à Thapsus. Cruel, avide, et médiocre en tout le reste, il est assurément l’un des plus tristes personnages de cette triste époque (V. Valère Maxime, 9. 1, 8 et 5, 3. — V. aussi César, B. civ., 3, 31, 32).]

[55] [P. Plautius Hypsœus, tribun du peuple en 700 [54 av. J.-C.], s’est déjà activement entremis pour faire obtenir à Pompée la mission de restaurer l’Aulète sur le trône d’Alexandrie. Dans la lutte électorale dont parle M. Mommsen, Hypsæus et Metellus Scipion assiégèrent un jour M. Æmilius Lepidus, interroi, dans sa maison ; et Clodius, avec sa bande, enlevant de force les faisceaux déposés dans le temple de Libitine, les remit aux deux candidats de Pompée, qui les offrirent à ce dernier. Après le meurtre de Milon, Hypsœus, accusé de ambitu, est abandonné par Pompée lui-même. En vain, il se jette à ses genoux et lui demande appui. Pompée sort du bain et va se mettre à table : Laisse-moi ! Tu retardes mon souper ! — Hypsæus est condamné. (Val. 9 ; 5. 3, et Plutarque, Pompée, 55).]

[56] [Faut-il ici parler plus longuement de T. Annius Milo Papianus, si connu par le fameux plaidoyer de Cicéron, et par la correspondante du grand orateur ? L’histoire a dû aussi flétrir de son jugement sévère cet homme qui, n’en déplaise aux louanges décernées par la passion et l’esprit de parti, ne valait pas mieux que ses adversaires, et que Clodius lui-même. Né à Lanuvium, il fut en 701 [53 av. J.-C.], dictateur dans cette ville latine. Comme Clodius il avait sa bande de gladiateurs à gages : de là, peut-être le surnom grec de Milo, qu’il portait. En 697 [-57], on le trouve à Rome tribun du peuple. Il s’attacha à la fortune de Pompée, et aida au rappel de Cicéron. Il se mit en lutte ouverte avec Clodius et par deux fois défendit Cicéron contre les violences du roi de la rue. Par deux fois aussi, il fut lui-même assailli dans ses maisons sur le Capitolin et le Cermale. Il donna des jeux magnifiques, sans avoir été édile, et enfin se porta candidat consulaire. Endetté par dessus la tête, il eut encore recours à Cicéron qui plaida pour lui (de œre alieno Milonis. Il reste quelques fragments de ce discours). — Après le meurtre de Clodius, il fut accusé par les deux neveux de celui-ci pour crimes de violence, de brigue et de haute trahison. On sait que Cicéron, effrayé par les soldats de Pompée, ne le défendit point ou le défendit mal. La fameuse Milonienne, le chef-d’œuvre classique de l’éloquence latine, n’a jamais été prononcée. Elle n’est qu’un pamphlet littéraire et politique composé et étudié après coup. — Milon condamné alla en exil à Marseille : ses maisons, ses gladiateurs furent vendus au profit de ses créanciers. — Au cours de la guerre civile, il se montra en Campanie à la tête de quelques esclaves, se proclama lieutenant de Sextus Pompée, et périt sans gloire aux environs de Thurium.]

[57] [L. Munatius Plancus Bursa, de la gens plébéienne Munatia (branche des Pieds-plats : Plancœ, Fest ), frère du célèbre lieutenant de César en Gaule et en Afrique, plus tard consul et fauteur d’Auguste. C’est Plancus Bursa qui fit porter le corps de Clodius sur la tribune aux harangues, et qui suscita l’émeute à la suite de laquelle brûla la Curia Hostilia. Il fut condamné pour ce dernier fait, sur l’accusation de Cicéron, Pompée ne lui ayant pas tendu la main. Il se retira à Ravenne auprès de César : et quand celui-ci revint d’Espagne et triompha, on le vit descendant dans l’arène, combattre comme gladiateur. Plus tard, il suivit la faction d’Antoine.]

[58] [Q. Pompeius Rufus, petit-fils de Sylla, par sa mère. Durant l’année de son triumvirat, le sénat le fit arrêter : à son tour il fit arrêter et emprisonner Favonius, l’édile. Il sera accusé de vi par M. Cœlius, au sortir du tribunat, et, condamné, s’en ira vivre en Campanie, ou nous perdrons sa trace.]

[59] [C’est de Salluste, l’historien, qu’il s’agit ici. Il est trop connu pour que nous fassions autre chose que le nommer (V. ch. XII).]

[60] [Le triumvir futur, et le futur associé d’Antoine et d’Octave, le fils du M. Æmilius Lepidus, qui après la mort de Sylla, conspira contre le Sénat.]

[61] [V. sur tout cet épisode du meurtre de Clodius, et des troubles qui suivent, un résumé très complet, fait, d’après les sources, et surtout d’après Asconius Pedianus (comm. in Milon., dans l’Hist. de C., p. 437 et s.).]

[62] Cette année, après les mois de janvier de 29 jours, et de février de 23 jours, un mois intercalaire de 28 jours précédait celui de mars.

[63] Consul et collègue sont synonymes : être à la fois proconsul et consul, c’est être consul et consul suppléant, tout ensemble.

[64] [V. Dion Cassius, 40, 50. — et H. de César, II, p. 441.]

[65] [Cette loi nouvelle confirmait celle de l’an 684 [70 av. J.-C.], promulguée sous le (premier) consulat de Pompée et de M. Licinius Crassus, et connue sous le nom de lex Licinia de sodalitiis, ou de ambitu. Elle punissait l’emploi d’agents électoraux (sodales) qui séparaient les tribus en petites sections (decuriatio) plus faciles à diriger dans les votes.]

[66] [Loi Pompeia, de Jure magistratuum.]

[67] [Chez les peuples modernes, les Anglais n’admettent aussi dans leurs procès criminels que les témoins sur le fait : et parmi les jurisconsultes allemands, une école nombreuse critique notre système français, selon lequel les témoins sur la bonne ou mauvaise renommée de l’accusé sont produits de part et d’autre par l’accusation et la défense. On ne peut nier que l’excès et l’abus ne puissent naître de cette pratique comme de toute bonne chose. Et pourtant s’il est vrai que les antécédents mauvais, que l’irréprochabilité de la vie antérieure sont de nature â peser en sens divers sur la conviction du juge et sur l’application du taux de la peine, pourquoi ne pas admettre un tel élément au procès ? Le grand argument des Anglais est celui-ci : Le juré n’a qu’a examiner si l’accusé est l’auteur du fait, oui ou non. Or, à vérifier cette question, on n’a rien à rechercher que les éléments de preuve matériels ou immédiats, et ayant trait directement è la prévention. — Les lois judiciaires pompéiennes auxquelles notre texte fait allusion étaient les lois de ambitu , et de vi, celle-ci dirigée surtout contre Milon. Elles réduisaient la durée du procès à trois jours : l’accusateur avait deux heures pour parler, l’accusé trois heures pour se défendre (Ascon., in Milon., 37, 39, 40. — Cicéron, Brutus, 324. — Tacite, de orat., 38. — Cicéron, pro Mil., 15).]

[68] [Tout le monde sait par coeur l’allusion qu’y fait Cicéron au début de la Milonienne.]

[69] [V. H. de C., II, p. 443.]

[70] [H. de C., II, p. 449.]

[71] [Suarum legum auctor idem ac subversor – Tacite, Ann., 3, 28.]

[72] [H. de C., II, p. 246.]

[73] [Ibid., p. 247.]

[74] [C’est vers la fin de 703 [51 av. J.-C.] qu’il tomba malade à Naples, de la fièvre d’automne à laquelle il était sujet. On le crut perdu, mais il guérit, les Dieux le réservant pour d’immenses désastres (Cicéron, qu. Tuscul., 1, 35. — Velleius Paterculus, 2, 48. — Sénèque, Consol. ad Marc., 20. — Juven., 10, 283). La maladie de Pompée est devenue un thème à déclamations pour les moralistes latins. — Les Napolitains et les Pouzzolans s’abandonnèrent, quand il était en danger, et quand il revint à la santé, à des démonstrations inouïes de douleur et de joie. Ils étaient Grecs ! dit Cicéron (Coronati Napolitani fuerunt, nimirum etiam Puteolitani : vulgo ex oppidis publice gratulabantur : ineptum sane negotium et Grœculum). — Son retour à Rome fut un triomphe sur toute la route (Plutarque, Pompée, 57).]

[75] [V. sur ces faits, le récit de l’H. de César, II, pp. 449 et 491.]