L’HISTOIRE ROMAINE À ROME

 

Depuis l’expulsion des rois jusqu’à la réunion des états italiques

Chapitre V — Assujettissement du Latium et de la Campanie.

 

 

La grande oeuvre des rois avait été l’établissement de la suprématie de Rome dans le Latium, sous la forme d’une véritable hégémonie. Les révolutions ou les réformes de la constitution ne pouvaient pas ne pas amener aussi des changements sensibles dans les rapports existants. Le bon sens l’indique et la tradition le confirme. La confédération Romano-latine fut souvent ébranlée par le contrecoup de ces révolutions : témoin la légende de la bataille du lac Régille[1], toute chargée de brillantes et vives couleurs. Le dictateur ou consul, Allus Postumius (255 ou 258 ? [499 ou 498 ? av. J.-C.]) y aurait vaincu les Latins avec l’aide des Dioscures : après quoi aurait été renouvelé le pacte d’éternelle alliance, sous le deuxième consulat et par l’entremise de Spurius Cassius (261 [-493]). Mais ces récits, tout curieux qu’ils soient, ne nous font en aucune façon connaître, ce qu’il nous importerait le plus de savoir. Quelle place fut assignée à la jeune république dans la confédération renouvelée ? Les indications qui nous sont parvenues n’ont pas de date précise pour les rattacher à l’époque actuelle, il faut s’en référer à des vraisemblances purement accidentelles peut-être.

Toute hégémonie, par la pente naturelle des choses, se transforme tôt ou tard en une domination véritable : ainsi en advint-il de celle de Rome dans le Latium. Bien que fondée, à l’origine, sur le principe de l’égalité parfaite des droits entre Rome et la fédération Latine, cette hégémonie ne comportait à vrai dire l’égalité nulle part, et moins que jamais dans les choses de la guerre, dans la distribution des parts de conquête : vouloir en pareil cas la mettre en pratique, c’eût été du même coup détruire le privilège de suprématie appartenant au peuple Romain. Le traité primitif d’alliance avait décidé que la paix ou la guerre, que les conventions avec l’étranger, qui sont du ressort et de l’essence de l’État, au premier chef, appartiendraient à la fois aux Romains et aux Latins. De plus, en cas de guerre fédérale, Rome et le Latium avaient le même contingent à fournir, soit, pour chacun, une armée de deux légions, ou 8.000 hommes[2]. L’une et l’autre nommaient alternativement le général en chef, lequel à son tour avait le choix de son état-major, ou des six tribuns militaires (tribuni militum) pour chacune des quatre divisions de l’armée. Après la victoire, le butin mobilier et les terres conquises se partageaient par moitié entre Rome et les fédérés. Décidait-on de bâtir une forteresse dans le pays vaincu, la garnison comme la population elle-même se composaient de Romains et de Latins envoyés en nombre égal ; et la nouvelle ville fédérale, incorporée à titré de cité Latine souveraine dans la grande confédération, avait aussitôt et sa place et sa voix dans l’assemblée fédérale. 

Ces règles, si elles avaient reçu leur exécution à la lettre, auraient promptement, je le répète, annihilé l’hégémonie romaine. Au temps des rois déjà, elles avaient dû subir des restrictions et des exceptions importantes : sous la république, elles furent nécessairement et formellement modifiées. Tout d’abord, la confédération perd le droit de traiter avec l’étranger de la paix ou de la guerre[3], et le droit à la nomination du général en chef pour chaque deuxième année. Rome désormais décide seule de la paix ou de la guerre, et seule elle nomme le chef de l’armée fédérale. Par suite, la désignation des officiers supérieurs, même dans les contingents latins, appartint au général romain : d’où surgit une autre innovation plus gravé encore dans ses conséquences. Les officiers, dans le contingent de Rome, étant sans exception choisis dans les rangs des Romains, ceux du contingent Latin y furent également pris, sinon tous, du moins presque tous[4]. D’un autre côté, il resta en usage de n’appeler jamais un contingent Latin fédéral plus nombreux que ne l’était l’armée sortie des murs de Rome : et il continua d’être interdit au général en chef romain de diviser ou d’éparpiller l’armée latine. Dans l’ordre de marche ou de bataille, chacune des bandes envoyées par les cités Latines formait une subdivision et gardait son chef local[5]. Tous les alliés durent avoir, comme parle passé, part égale au butin et au pays conquis ; néanmoins nous n’hésitons pas à croire que la cité dirigeante a de fort bonne heure été avantagée dans la distribution. S’agissait-il de bâtir une forteresse fédérale, de fonder une colonie dite latine, le plus grand nombre des colons, souvent même tous, étaient Romains : que si par le fait de leur émigration, ils cessaient d’avoir les droits de citoyens romains actifs, la cité fédérale nouvelle devenait, grâce à eux, un auxiliaire prépondérant et redoutable de la mère patrie, à laquelle ils restaient invinciblement attachés.

En revanche, on ne toucha pas aux droits fort étendus dont les traités d’alliance assuraient l’exercice dans toutes les cités de la fédération aux citoyens venus des autres villes. Ces droits consistaient dans la faculté d’acquérir librement les biens meubles et immeubles ; de faire le commerce, de contracter mariage et de tester ; dans la faculté surtout d’aller et venir sans nul obstacle ni gène. Ainsi, l’individu citoyen de la ville alliée, n’avait pas seulement le droit de fonder un établissement dans une autre ville : il était de plus et aussitôt investi des droits de cité passive (municeps); c’est-à-dire, qu’à l’exception de l’éligibilité, il participait à tous les droits, à tous les devoirs privés et politiques de ses nouveaux concitoyens ; et que, dans les assemblées du peuple convoqué par tribus, il émettait son vote, vote restreint, il est vrai, à quelques égards[6]. Tels étaient à peu près, on le peut supposer, les rapports établis entre Rome et l’alliance Latine, dans les premiers temps qui suivirent la révolution républicaine. On ne saurait dire, d’ailleurs, avec certitude, quelles institutions remontent aux anciens temps, quelles autres ont été établies lors de la révision du pacte fédéral en 261 [493 av. J.-C.].

Mais une innovation certaine, et qui se rattache sûrement aux relations établies entre Latins et Romains, a été le remaniement total des institutions des cités alliées, d’après le modèle de la constitution consulaire de Rome. Sans nul doute, quand elle chassa son roi, chacune de ces villes agit de son chef et dans son indépendance locale ; mais, comme partout, soit dans Rome, soit dans les villes Latines, on voit celui-ci remplacé de même par des rois annuels ; comme les constitutions nouvelles inaugurent toutes le système de la pluralité des fonctionnaires exerçant ensemble le pouvoir suprême à titre de collègues[7], il faut bien reconnaître, dans ce fait capital, le résultat certain d’une incontestable communauté de rapports entre toutes les cités. Très probablement, c’est en voyant les Tarquins chassée de Rome que les villes Latines ont, pour la première fois, songé aussi à la réforme de leurs institutions et à l’établissement d’un régime semblable au gouvernement consulaire de Rome. Que, d’ailleurs, l’assimilation des institutions latines avec celles de la cité dirigeante ne se soit consommée que plus tard, c’est là un fait très possible, et qui même a pour lui toutes les vraisemblances. La noblesse Romaine, après avoir aboli la royauté chez elle, a dû naturellement poursuivre la même réforme dans les cités fédérales, et introduire le régime aristocratique dans tout le Latium, en dépit des résistances sérieuses qu’elle y rencontrait, et malgré des luttes qui mirent en question l’existence du pacte fédéral, à un moment où il fallait combattre tout à la fois et les Tarquins bannis de Rome, et les familles royales, et les factions royalistes puissantes alors dans le pays. La puissance Étrusque grandissait encore : les Véiens recouraient à des hostilités sans cesse renouvelées, et Porsena passait le Tibre : toutes circonstances qui commandaient aux Latins de persister quand même dans leur union, telle que l’alliance l’avait faite, et dans la reconnaissance de la suprématie des Romains. L’intérêt du salut public voulait qu’ils se laissassent imposer tantôt une réforme sollicitée déjà par tant de causes à l’intérieur des cités, et tantôt même l’aggravation des droits d’hégémonie concédés jadis à la cité de Rome.

Ainsi unie et compacte à toujours, la nation Latine sut non seulement défendre, mais encore élargir, sa position et sa puissance. Nous avons raconté plus haut comment les Étrusques n’avaient pas longtemps gardé leur suprématie au-delà du Tibre ; comment les limites existantes au temps des rois avaient été bientôt rétablies : ce ne fut guère qu’un long siècle après l’abolition de la royauté que Rome songea à s’étendre au Nord. Les conquêtes des rois et de la république, au lendemain de sa fondation, se dirigeaient vers l’est et le sud ; contre les Sabins, d’entre le Tibre et l’Anio ; contre les Eques, placés à côté d’eux sur l’Anio supérieur, et contre les Volsques des rivages de la mer Tyrrhénienne. Rome a de bonne heure mis le pays Sabin sous sa dépendance on en voit la preuve dans ce fait, que pendant les guerres Samnites, ses armées traversent sans cesse la Sabine comme un pays ami. Bien avant les Volsques, les Sabins abandonnent leur dialecte originaire et adoptent l’idiome romain. La conquête semble s’être opérée chez eux sans difficultés sérieuses : les annales ne leur attribuent qu’une participation très faible à la résistance désespérée des Eques et des Volsques ; et, chose plus remarquable, nulle part le vainqueur n’élève chez eux de citadelles pareilles à celles qu’il érige en grand nombre dans la plaine des Volsques, pour les contenir. Peut-être aussi les Sabins se répandaient-ils déjà dans l’Italie méridionale : peut-être qu’attirés et séduits par les bords enchanteurs du Tiferne et du Vulturne[8], ils n’avaient plus souci de disputer sérieusement leur patrie aux Romains. La Sabine, à demi abandonnée, offrait à ceux-ci une conquête des plus faciles. Les Eques et les Volsques luttèrent au contraire avec vigueur et opiniâtreté. Nous ne dirons pas les querelles se renouvelant chaque année entre eux et Rome. La chronique locale ne distingue pas entre les incursions les plus insignifiantes et les combats les plus décisifs ; et laisse de côté, d’ailleurs, l’enchaînement historique des faits. Il nous suffira d’indiquer ici les résultats les plus importants. Les Romains avaient tout avantage à séparer les Eques des Volsques, et à occuper tous les points de communication. A cette fin, ils fondèrent les forteresses fédérales les plus anciennes, ou les soi-disant colonies latines de Cora, Norba (vers 262 [492 av. J.-C.], probablement) et Signia (renforcée vers 259 [-495])[9], qui toutes commandaient les passages entre les pays Eque et Volsque. Les Herniques, en entrant dans l’alliance Romano-latine, apportèrent de nouvelles forces à Rome (265 [-489]) ; achevèrent d’isoler les Volsques, et formèrent un inexpugnable boulevard du côté des Sabelliens du sud et de l’est. Aussi leur peuple, en échange d’un tel service, fut-il admis par ses deux alliés sur un pied d’égalité dans les conseils et dans le partage du butin. Les Eques, trop faibles, cessèrent d’être un danger à l’avenir; il suffit, pour les dompter, de leur infliger de temps, en temps une invasion et un pillage. Mais la lutte fut plus sérieuse avec les Volsques : là, les Latins ne gagnèrent du terrain qu’en y construisant l’une après l’autre des citadelles formidables. Dès 260 [-494], Vélitres [Velletri] avait été érigée en poste avancé du Latium : vinrent ensuite Suessa Pometia, Ardée (312 [-442]), et surtout Circéies [Circéï][10], fondée ou renforcée en 361 [-393], et qui, tant qu’Antium et Terracine conservèrent leur indépendance, ne pouvait communiquer que par la voie de mer avec la métropole. Les Romains tentèrent souvent d’enlever Antium ; ils l’occupèrent temporairement en 287 [-467] ; mais huit ans après (295 [-459]), elle reconquit sa liberté ; et il ne fallût pas moins que treize années de guerres sanglantes (365-377 [-389/-377]), après l’incendie des Gaulois, pour assurer enfin aux Romains la domination incontestée des marais Pontins. Tenant le pays dans leurs mains par les forteresses de Satricum (369 [-385]) et de Sétia[11] (372, renforcée en 375 [-382/-379]), ils le divisèrent (371 [-383] et années suivantes) en lots d’assignation tirés au sort, et en tribus territoriales. Depuis ce temps, les Volsques se sont encore révoltés quelquefois ; ils n’ont plus été assez forts pour mener une vraie guerre contre Rome.

A mesure que les succès des Romains, des Latins et des Herniques devinrent plus décisifs en Étrurie et dans la Sabine, et à l’encontre des Èques et des Volsques, la concorde cessa entre les alliés. D’une part la puissance grandissante de Rome, sa suprématie chaque jour plus lourde pour les Latins, et progressant, ainsi qu’il a été dit, par les nécessités mêmes de la situation commune ; de l’autre, certains actes odieux d’injustice finirent par soulever les esprits. En 308 [446 av. J-C.] les gens d’Aricie et d’Ardée se disputaient la possession d’un territoire litigieux, placé entre les deux villes : les Romains appelés à titre d’arbitres, tranchèrent le procès, en s’adjugeant à eux-mêmes la contrée réclamée par les deux cités. A la suite de cette étrange sentence, de graves désordres éclatent dans Ardée : le peuple veut se jeter dans les bras des Volsques : la noblesse tient pour Rome, et celle-ci, profitant effrontément de ces discordes, envoie ses colons dans l’opulente cité alliée, et partage entre eux les terres des partisans de la faction anti-romaine (312 [-442]). Enfin, la principale cause de la dissolution de l’alliance fut précisément l’abaissement de l’ennemi commun. Le jour où l’on crut n’avoir plus rien à craindre du dehors, les ménagements cessèrent d’un côté et les concessions de l’autre. Survint la prise de Rome par les Gaulois et l’épuisement momentané de la République. Un peu plus tard, les Marais Pontins, occupés par les Romains et partagés fournirent un prétexte et une cause de rupture ouverte. Les Latins et les Herniques se coalisèrent, et l’on vit bientôt les alliés de la veille se changer en ennemis.

Déjà bon nombre de Latins avaient spontanément combattu dans les rangs des Volsques, durant leur lutte dernière et désespérée : mais voici que les villes Latines les plus illustres se soulèvent : Lanuvium (371 [-383]), Praneste (372-374, 400 [382-380, 354]), Tusculum (373), Tibur (394-400),

et avec elles, plusieurs des places fortes établies par la fédération Romano-latine dans le pays Volsque, Velitres,  Cicéies. Rome se voit obligée de les réduire par les armes. Les Tiburtins vont même jusqu’à faire cause commune avec les bandes Gauloises qui envahissent encore une fois le territoire de la République. Quoi qu’il en soit, la révolte n’embrasse jamais tout le pays, et les cités hostiles sont battues sans peine les unes après les autres. Tusculum (373) est dépouillée de son droit d’indépendance politique ; et absorbée dans la cité romaine, elle offre le premier exemple d’une incorporation totale, alors pourtant que ses murs sont laissés debout, et qu’elle conserve de fait une sorte d’autonomie communale. A peu de temps de là Satricum subit le même sort. — Avec les Herniques la lutte fut plus difficile (392-396) : Rome perdit sur le champ de bataille son premier général consulaire issu du peuple, Lucius Genucius. La victoire pourtant lui resta. En définitive, les traités d’alliance entre elle et les ligues Latine et Hernique furent de nouveau signées en 396. Quelles clauses y étaient insérées cette fois ? Nous ne le savons pas bien. Pour sûr, les deux ligues durent accepter encore l’hégémonie de la République, et cela, il le faut croire, sous de plus dures conditions. Dans cette même année, il est établi deux tribus nouvelles de citoyens sur le territoire Pontin [Tribus Ponptinœ], preuve irrécusable de l’influence actuellement prédominante de la puissance romaine.

A la crise que nous venons de raconter, se rattache immédiatement la conclusion définitive de la ligue Latine, soit qu’elle ait suivi, soit, ce qui parait plus probable, qu’elle ait précédé et amené même le soulèvement des Latins contre Rome. Elle se place, en tous cas, vers l’an 370[12]. Jusque-là, toute cité fondée par Rome ou par les Latins, était souveraine sur son territoire, et entrait dans la ligue arec sa place dans les fêtes latines et son vote dans l’assemblée fédérale ; mais aujourd’hui toute cité incorporée à une autre perd à la fois son indépendance politique et se voit exclue de la ligue. D’un autre côté, le nombre des villes fédérales y ayant voix demeure fixé à trente, ni plus ni moins, suivant l’usage antique ; quant à celles admises plus tard, elles ne votent pas, soit parce qu’elles sont trop peu considérables, soit parce qu’à raison de quelque faute commise, elles ont été repoussées au second rang. Voici d’ailleurs les noms de ces villes fédérales vers l’an 370 [-381]. Parmi les anciens lieux Latins, laissant de côté ceux disparus ou ceux dont la position est restée inconnue, on comptait, comme ayant leur autonomie et leur  voix dans la diète, Nomentum , entre le Tibre et l’Agio ; Tibur, Gables, Scaptia, Labicum[13], Pedum et Prægeste, entre l’Anio et le mont Albain ; Corbio, Tusculum, Bovilles, Aricie, Corioles et Lanuvium, dans la région de cette même montagne ; et enfin Laurentum et Lavinium, dans la plaine voisin de la côte. Il y faut ajouter les colonies fondées par Rome et par la ligue : Ardée, dans l’ancien pays des Rutules, et, dans celui des Volsques, Velitres ; Satricum, Cora, Norba, Setia et Circéies. Sept autres localités, dont les noms sont mal connus, avaient part aussi aux fêtes latines et aux votes fédéraux. Au résumé, 47 villes en tout, dont 30 avec voix délibératives composèrent définitivement la ligue : quant aux cités Latines postérieurement fondées, Sutrium, Nepete, Calés, Terracine, elles n’y furent jamais admises ; et de même, Tusculum, Satricum, et toutes celles qui perdirent leur autonomie par la suite, continuèrent d’être portées sur la liste[14]. L’étendue de la ligue ayant été ainsi fixée, le Latium reçut enfin l’exacte détermination de ses frontières. Avant, la fédération restait ouverte à des adjonctions nouvelles, et le territoire Latin s’accroissait de tout le territoire des villes fédérales annexées ; mais un jour vint où les colonies Latines, plus jeunes, ne furent plus admises aux fêtes du mont Albain, et se trouvèrent géographiquement placées en dehors du pays Latin : Ardée et Circéies avaient été faites Latines ; Sutrium et Terracine ne le deviennent point. Ce n’est pas tout : en même temps qu’elles se voyaient exclues de la ligue, par cela seul que leur admission au Droit Latin était postérieure à 370, elles restaient isolées les unes par rapport aux autres, dans tout ce qui tient aux choses du Droit privé. Chacune d’elles avait le commerce et le mariage (commercium et connubium) avec Rome, dans les avoir avec les autres cités Latines. Tel citoyen de Sutrium, par exemple, pouvait acquérir et posséder en pleine propriété un champ sur le territoire de Rome, qui ne l’aurait pas pu faire à Præneste : tel pouvait procréer des enfants légitimes en s’alliant à une femme Romaine, qui ne l’aurait pu, se mariant à une Tiburtine[15]. 

Autrefois, les villes fédérales avaient leur entière liberté d’action à l’intérieur de la ligue. Les cinq villes palœo-latines d’Aricie, Tusculum, de Tibur, de Lanuvium et de Laurente, par exemple, réunies aux trois cités, néo-latines d’Ardée, de Suessa-Pometia et de Cora, avaient pu sans obstacle se grouper autour de l’autel de Diane Aricine. Désormais, et ce n’est point là l’effet du hasard, nous ne rencontrerons plus d’associations particulières au sein de la fédération. Il y aurait eu là un danger pour l’hégémonie de Rome. — C’est alors aussi que des réformes profondes viennent modifier les constitutions intérieures des cités : celles-ci se modèlent toutes et en tout sur les institutions de la ville capitale. Les représentants principaux de la magistrature latine sont, en effet, les deux préteurs ; puis, plus tard, et à côté d’eux, les deux édiles, qui ont la police et la juridiction des marchés et des rues.  Or, comme il est certain que ces officiers sont créés partout à la fois, dans les villes de la ligue, à l’instigation du pouvoir dirigeant, et qu’ils ne remontent certainement pas avant l’année 387 [367 av. J.-C.], époque de la création des édiles curules de Rome, il y a tout lieu de penser que des deux côtés ces magistratures  sont contemporaines. L’organisation judiciaire n’était enfin, dans les villes fédérales, qu’un anneau de la longue chaîne du protectorat savamment conduit de Rome ; et les réformes introduites dans les cités tendaient toutes à mettre la police dans les mains de l’aristocratie.

Véies tombée, la région Pontine conquise, Rome se crut assez forte pour resserrer encore davantage les liens de son hégémonie : elle voulut réduire toutes les cités à un état complet de dépendance ; et en faire, à vrai dire, autant de villes assujetties. En ce même temps (406 [-348]), les Carthaginois, dans un traité de commerce avec la République, s’obligèrent à ne point nuire aux Latins qui acceptaient sa domination, aux habitants d’Ardée, d’Antium, de Circéies, de Terracine, par exemple : que si l’une des villes fédérales se détachait de l’alliance, il leur devenait loisible de l’attaque. Ils promirent de plus qu’en cas de conquête, au lieu de la démanteler, ils la livreraient aux Romains. L’on voit par là par quels liens puissants Rome savait contenir sa clientèle, et quels dangers courait toute cité qui aurait tenté de se soustraire à la domination indigène. — La ligue Latine d’ailleurs, à l’exclusion des Herniques, conserve formellement son droit au tiers des profits de guerre : et nombre d’autres avantages lui demeurent maintenu sur l’ancien pied d’égalité. Il n’importe. Les Latins, perdant trop aux arrangements nouveaux, se laissèrent aller à une irritation croissante. Partout où Rome est en guerre, leurs transfuges accourent en foule sous les étendards de l’ennemi ; et en 405 [-349], l’assemblée de la ligue refuse même son contingent. Tout annonce une levée de boucliers en masse et prochaine, au moment même où Rome va se heurter contre une autre nation Italique, nation puissante cette fois, et capable de tenir tête à tous les Latins réunis.

Au sud, derrière les Volsques domptés, les Romains n’avaient plus trouvé d’ennemi qui fut redoutable ; et leurs légions s’étaient portées sans obstacle jusque sur le Liris[16]. En 397 [357 av. J.-C.], ils avaient livré un combat heureux aux Privernates[17] : ils avaient battu les Aurunces en 409 [-345], et pris       Sora sur le haut du fleuve. Ils touchaient maintenant à la frontière des Samnites : et le traité d’amitié et d’alliance conclu naguère (400 [-354]) entre les deux peuples les plus braves et les plus puissants de l’Italie n’était qu’un sûr avant-coureur de la tempête. La domination de l’Italie était en jeu, et la guerre se déchaînait, menaçante précisément, à l’heure où les Latins se débattaient dans cette crise intestine, dont nous avons retracé le tableau.

Longtemps avant l’expulsion des Tarquins, la nation des Samnites avait occupé les chaînes montueuses qui s’élèvent entre les plaines d’Apulie et celles de Campanie, et les commandent. Mais elle n’avait pu les envahir, contenue qu’elle était d’un côté par les Dauniens, dont la ville d’Arpi [l’ancienne Argyripa] florissait alors, et était puissante ; et de l’autre, par les Grecs et les Étrusques. Mais l’empire Étrusque s’étant écroulé à la fin du IIIe siècle de Rome, et les colonies Grecques s’acheminant vers une rapide décadence, durant le cours du IVe, le champ s’ouvre pour les Samnites, et vers l’ouest et vers le sud. Leurs bandes aussitôt se mettent en campagne et descendent jusqu’aux mers de l’Italie méridionale. Tout d’abord, on les voit inonder les terres du golfe, auquel les Campaniens ont attaché leur nom depuis les premières années du IVe siècle : ils y écrasent les Étrusques, et y resserrent les Grecs, enlevant Capoue aux premiers (330 [-424]), et Cymé aux seconds (334 [-420]). A la même époque, et peut-être un peu plus tôt, les Lucaniens se montrent dans la grande Grèce : au commencement du IVe siècle, ils ont bataillé contre les habitants de Terina et de Thurii[18], et, bien avant 364 [-390], ils se sont logés et fortifiés dans la cité grecque de Laos[19]. Leur armée compte 30.000 hommes de pied et 4.000 cavaliers. A la fin de ce même IVe siècle, on entend pour la première fois parler de la ligue séparée des Bruttiens[20] : ceux-ci, suivant une autre route que les autres races Sabelliques, s’étaient détachés des Lucaniens, non pas à titre de colonie, mais à titre de belligérants, et s’étaient mêlés à beaucoup d’éléments étrangers. Les Grecs tentèrent de résister à l’assaut des hordes barbares : la ligue Achéenne se reconstitua (361 [-393]) ; et il fut ordonné qu’à la première attaque des Lucaniens contre une ville faisant partie de la ligue, tous les contingents devaient accourir : la peine de mort était édictée contre le chef d’armée qui n’amènerait pas ses troupes. Mais la coalition des villes grecques resta inefficace, Denys l’Ancien, de Syracuse, ayant fait cause commune avec les Italiques contre ses compatriotes. Pendant que l’un arrache l’empire des mers aux Ilottes de la Grande Grèce, les autres occupent ou détruisent successivement les villes helléniques ; toutes ces cités naguère florissantes sont, en un rien de temps, ruinées ou changées en désert. Un petit nombre seulement, Naples entre autres, purent à grand peine sauver leur existence et leur nationalité, en mendiant des traités plutôt qu’en se défendant par les armes. Tarente seule resta indépendante et puissante ; elle était plus éloignée, et des guerres continuelles avec les Messapiens y avaient trempé les courages et entretenu l’esprit militaire.

Luttant aussi tous les jours contre les Lucaniens, qui la mettaient en péril, elle avait dû se retourner vers sa métropole au delà de l’Adriatique, et lui demander des alliances et des soldats. Au résumé, à l’heure où Rome conquérait Véies et la région Pontine, les bandes Samnites occupaient déjà toute l’Italie méridionale, à l’exception de quelques colonies Grecques isolées et des rivages Apulio Messapiens. Une description côtière qui nous vient des Grecs (418 [336 av. J.-C]), place les Samnites propres avec leurs  cinq langues  dans tout le pays allant d’une mer à l’autre : à côté d’eux et au nord, sur la mer Tyrrhénienne, elle mentionne les Campaniens, au sud les Lucaniens ; rangeant parmi ceux-ci, comme on l’a fait souvent, les Bruttiens, auxquels elle assigne toute la côte Tyrrhénienne, depuis Pœstum jusqu’à Thurii, sur la mer Ionienne. Et de fait, quand l’on compare les conquêtes alors accomplies par les deux grandes nations Italiques, les Latins et les Samnites, avant qu’elles n’en viennent à la lutte terrible qui s’approche, l’essor victorieux de ces derniers semble infiniment plus grand, plus brillant que celui des Romains. Mais quelle différence dans la nature et le caractère des conquêtes ? Appuyée sur un centre puissant, la cité de Rome, le Latium s’étend lentement et de tous les côtés : si le périmètre de ses frontières est relativement médiocre encore, il convient de remarquer que partout il prend pied solidement, et qu’il assure sa domination, tantôt par la fondation de places fortifiées à la romaine, et assujetties au droit fédéral, tantôt en faisant Romain tout le territoire conquis. Il en est autrement chez les Samnites. Là, point de politique obéissant à une direction une et puissante : partant point de conquêtes systématiquement poursuivies. Tandis que la soumission de Véies et de la région Pontine deviennent pour Rome un réel accroissement de force, le Samnium s’affaiblit plutôt quand il se rend maître des villes de Campanie, et quand s’organisent les ligues Lucaniennes et Bruttiennes. Chaque bande sortie du pays, pour chercher de nouvelles terres, marche seule et s’établit à l’aventure. Ces bandes se répandent sur un territoire démesurément étendu, qu’elles ne songent pas le moins du monde à s’approprier tout entier ; elles laissent subsister, affaiblies, il est vrai, ou dépendantes, les villes Grecques, Tarente, Thurii, Crotone, Métaponte, Héraclée, Rhégium, Néapolis : les Grecs demeurent tolérés même dans le plat pays et dans les petites cités ; et Cymé, par exemple, Posidonie [Pœstum], Laos, Hipponion[21], selon ce que nous enseignent la relation descriptive citée plus haut et les monnaies locales, restent décidément Grecques sous la domination Sabellique. De là des populations mixtes, telles que les Bruttiens, parlant deux langues[22] et chez qui se combinent les éléments samnites et grecs, et quelques débris des races autochtones. De semblables mélanges, mais à un degré moindre, s’étaient aussi opérés en Lucanie et en Campanie. Les Samnites propres ne surent pas non plus résister au charme dangereux de la civilisation grecque : dans la Campanie surtout, la cité de Naples [Neapolis] entra aussitôt en commerce amical avec les nouveaux venus : le ciel même y humanisait les Barbares. Capoue, Nola, Nucérie[23], Téanum[24], quoique renfermant une population Samnite pure, adoptèrent les mœurs et les institutions grecques. Il faut dire aussi que le régime indigène, par cantons ou par clans ne se conciliait plus avec la situation nouvelle. Les villes Samnites-Campaniennes commencèrent à frapper monnaie, celle-ci portant souvent une inscription grecque. Le commerce et l’agriculture font Capoue florissante : si elle n’est qu’au seconde rang pour la grandeur, elle dépasse toutes ses rivales par son luxe et sa richesse. Les récits des anciens ont rendu sa démoralisation fameuse. En veut-on la preuve caractéristique ? Pour armée elle racole des mercenaires, et elle se passionne pour les combats de gladiateurs. Métropole brillante d’une civilisation dégénérée, on y voit plus qu’ailleurs les embaucheurs y faire foule ; et pendant qu’elle ne sait pas se couvrir contre les agressions des Samnites, toute la jeunesse valide de la Campanie, court les aventures à la suite de quelques condottieri qui l’entraînent en masse jusque dans la Sicile. Ces entreprises de lansquenets ont-elles pesé sur les destinées de l’Italie ? Nous le dirons plus tard. Quant aux combats de gladiateurs, s’ils ne furent pas inventés à Capoue, ils y firent aussitôt fureur et y reçurent de nombreux perfectionnements. On appelait les gladiateurs même pendant le repas, et leur nombre se mesurait sur l’importance des convives. Ainsi allait en s’abâtardissant la plus puissante des cités Samnites, soit par ses propres tendances, soit aussi, sans doute, sous l’influence desséchante des mœurs étrusques. La ruine de la nation était au bout. Les nobles Campaniens avaient beau joindre à leur dépravation profonde la plus chevaleresque valeur et la culture d’esprit la plus haute, il ne leur était plus donné d’être pour leur patrie ce que la noblesse Romaine était pour la patrie Latine. Comme les Campaniens, mais moins, qu’eux, les Lucaniens et les Bruttiens subirent aussi l’influence des Grecs. Les fouilles pratiquées dans ces contrées font voir comment chez tous ces peuples l’art grec s’était allié avec le luxe barbare. Les bijoux d’or et d’ambre, les ustensiles splendides aux brillantes couleurs trouvés dans les nécropoles, disent éloquemment combien ils s’étaient tous éloignés de l’antique simplicité de leurs pères. Leur écriture porte un semblable témoignage : le vieil alphabet apporté du nord fut échangé par les Lacaniens et les Bruttiens pour l’alphabet grec ; en Campanie, l’alphabet, et le parler national, se développant à part sous l’empire des mêmes influences, avaient revêtu une clarté et une délicatesse singulières. Enfin, çà et là, se rencontrent les traces des théories philosophiques de la Grèce.

Quant au Samnium propre, il ne fut point entamé. Mais toutes ces nouveautés, si belles, si naturelles qu’elles paraissent à certains égards, n’en avaient pas moins pour effet de dissoudre les liens de l’unité nationale, déjà trop peu resserrés à l’origine. L’hellénisme fit une brèche profonde dans l’organisme de la race Samnite. Les Philhellènes délicats de la Campanie s’accoutumèrent, comme faisaient les Grecs, à trembler devant les rudes peuplades de la montagne, qui de leur côté se jetaient sur la plaine, et ne laissaient ni repos ni trêve aux habitants actuels, leurs anciens compatriotes dégénérés. Rome, au contraire, était une cité compacte, qui disposait de toutes les forces du Latium : ses sujets murmuraient, mais ils obéissaient. Les Samnites, eux s’étaient brisés et disséminés. Leur confédération dans le Samnium propre avait maintenu intactes, sans doute, les coutumes et la bravoure des ancêtres, mais elle s’était, de même, affaiblie et comme pulvérisée par l’émiettement et la dispersion de toutes les peuplades et de toutes les cités.

La querelle des Samnites de la plaine contre ceux de la montagne, fut la vraie cause lui fit passer le Liris aux Romains. Les Sidicins de Teanum et les Campaniens de Capoue, les  appelèrent à leur secours (411 [343 av. J.-C.]) en se voyant chaque jour envahis par leurs compatriotes, dont les essaims ravageaient toute la contrée, et voulaient s’y fixer à demeure. Rome refusa l’alliance sollicitée : alors les ambassadeurs Campaniens lui offrirent la soumission de leur pays. Une telle proposition était irrésistible. Les députés Romains allèrent donc trouver les Samnites, leur dénoncèrent l’acquisition que la République venait de faire, et les invitèrent à respecter des frontières appartenant désormais à un peuple ami. Comment se déroulèrent les événements subséquents, c’est ce qu’il n’est guère possible de reconnaître[25]. Tout ce que nous savons, c’est qu’entre Rome et le Samnium, soit sans qu’il ait eu guerre, soit au contraire après une guerre réelle, il intervint un arrangement, aux termes duquel les Romains auraient gardé Capoue, les Samnites ayant leurs coudées franches contre Teanum et contre les Volsques du haut Liris. Les Samnites avaient un puissant intérêt à la paix, car à ce moment même, les Tarentins faisaient d’énergiques efforts pour chasser leurs incommodes voisins ; mais les Romains avaient de leur côté, les plus graves motifs pour s’accommoder au plus tôt avec les Samnites. Agités déjà avant, et en pleine effervescence, les Latins se soulevèrent en masse, lorsqu’ils virent toute la contrée limitrophe de leur pays, du côté du sud, sur le point d’appartenir aux Romains. Toutes les villes d’origine latine, les Tusculans eux-mêmes, admis dans Rome au partage des droits de cité, se prononcent contre elle.  Laurentum seule lui reste fidèle. D’un autre côté, à l’exception de Vélitres, toutes les colonies romaines du Latium persistent dans l’alliance de la République. Que Capoue, après s’être une première fois donnée, ait saisi l’occasion de rejeter le joug : qu’elle ait fait alors cause commune avec les fédérés latins, en dépit de la faction des grands (optimates) qui tenaient pour Rome. Que les Volsques, à leur tour, aient couru aux armes, espérant trouver dans l’insurrection latine un moyen suprême de reconquérir leur liberté perdue, ce sont là des faits pleinement croyables : en revanche, on ne s’explique pas pourquoi les Herniques adoptèrent la ligne de conduite suivie par l’aristocratie Campanienne, et se tinrent en effet à l’écart. La situation des Romains était dangereuse. Enfoncés au delà du Liris, dans les plaines de la Campanie qu’ils occupaient, ils se voyaient coupés de la mère patrie par les Volsques et les Latins révoltés ; il leur fallait vaincre pour ne pas périr. C’est alors (414 [340 av. J.-C.]) que fut livrée la décisive de Trifanum (entre Minturnes, Suessa et Sinuessa[26]), où le consul Titus Manlius Imperiosus défit les Latins et les Campaniens coalisés. Durant les deux années qui suivirent, les cités des Latins et des Volsques furent réduites : l’assaut ou les capitulations en eurent raison lorsqu’elles résistèrent, et toute la contrée rentra bientôt sous la domination de Rome.

La victoire des Romains entraîne après elle la dissolution de la ligue Latine. Cessant d’être une confédération politique indépendante, elle se transforme en une simple association religieuse. Les antiques chartes des fédérés, leur contingent de guerre avec maximum qui ne peut être dépassé leur part proportionnelle au butin, rien de tout cela ne fait plus loi ; et quand ils obtiennent d’être traités comme au temps jadis, ce n’est plus qu’à titre de bon office. À la place de l’unique pacte fédéral entre Rome d’une part et la ligue Latine de l’autre, il est conclu de nombreux pactes éternels entre Rome et les diverses cités anciennement fédérées. Déjà les Romains avaient essayé du système de l’isolement à l’égard des villes fondées après 370 [-384] : aujourd’hui ils l’étendent et l’appliquent à la nation Latine tout entière, laissant d’ailleurs à chaque cité, et ses anciens droits locaux, et son autonomie. Tibur et Prœneste sont plus maltraitées : Rome leur prend une portion de leur territoire, et elle fait peser plus lourdement encore les lois de la guerre sur d’autres localités Latines ou Volsques. Antium, la place la plus importante des Volsques, très forte à la fois du côté de la terre et du côté de         la mer, reçoit dans        ses murs des colons romains : ses habitants se voient contraints d’abandonner des terres aux nouveaux citoyens qui leur arrivent, et de subir pour eux mêmes la loi civile de Rome (416 [338 av. J.-C.]). Quelques années plus tard (425 [-329]), les colons s’établissent aussi à Terracine, la seconde cité maritime du même peuple : là encore, les anciens habitants sont ou expulsés, ou incorporés à la cité Romaine qui y est créée. Lanuvium, Aricie, Nomentum, Pedum, perdent à leur tour leur indépendance, et sont aussi faites romaines. Les murs de Vélitres sont abattus ; son sénat, expulsé en masse, est interné en Étrurie, et la ville, devenue sujette, est reconstituée sur le pied des institutions données à Cœré (jus cœretitum). Une part du territoire, des terres des sénateurs, par exemple, est distribuée aux citoyens romains : toutes ces assignations nouvelles, toutes ces incorporations à la cité de Rome des villes assujetties, amènent la création, en 422 [-332],  de deux nouvelles tribus de citoyens. Le peuple, à Rome, comprit bien l’importance de toutes ces conquêtes : une colonne fut érigée dans le Forum en l’honneur de Gaïus Mœnius, le consul victorieux de l’an 416 [-338] ; et l’on y orna la tribune aux harangues, avec les éperons ou rostres de celles des galères d’Antium, qui avaient été reconnues hors de service.       

Le sud du pays Volsque et la Campanie sont traités de même, sous d’autres formes, et Rome y assure sa domination. Fundi, Formies, Capoue, Cymé et une foule assujettis d’autres localités moindres y sont reçues au droit cœrite, et deviennent romaines et sujettes. Pour empêcher Capoue de se révolter jamais, Rome y favorise avec un art perfide la division entre les nobles et le peuple : elle révise et contrôle au point de vue de ses intérêts, tous les actes de l’administration locale : Prevernum a le même sort. Ses habitants, avec l’aide d’un brave condottiere de Fundi, Vitruvius Vaccus, avaient eu l’honneur de soutenir le dernier combat pour la liberté latine. Leur ville fut prise d’assaut (425 [-329]), et Vaccus subit la peine de mort au fond d’un cachot. Il fallait à tout prix créer dans ces contrées une population romaine. Les terres conquises furent distribuées aux colons, accourus en grand nombre, notamment dans les territoires de Privernum et de Falernes ; si bien qu’au bout de peu d’années (436 [-318]), deux autres tribus civiques durent être instituées sur ce point. Deux citadelles s’y élevèrent, colonies dotées du droit latin : elles garantirent la soumission définitive de la contrée. L’une, Calès [Calvi] (420 [-334]), au milieu de la plaine Campanienne, observa Capoue et Teanum ; l’autre, Frégelles [Ceprano ou Ponte-Corvo], commanda le passage du Liris (426 [-328]). Toutes deux étaient très fortes : elles prospérèrent rapidement, en dépit des obstacles que les Sidicins tentèrent d’apporter à la fondation de la première, et que les Samnites voulurent mettre à celle de la seconde. Une garnison romaine occupa Sora, les Samnites se plaignant en vain de ce manquement à la foi des traités qui les avaient laissés maîtres du pays. Rome va droit à son but, sans jamais dévier de sa route : déployant dans la politique une habileté et une énergie plus grandes encore que sur le champ de bataille : assurant son empire sur les cités conquises, et couvrant la contrée d’un réseau d’institutions et de soldats qui ne pourra plus être rompu.

Il va de soi que les Samnites voyaient d’un oeil inquiet les progrès de leur ennemis, mais s’ils essayèrent de lui susciter des embarras, ils n’osèrent pas, quand peut-être il en était temps encore, ouvrir avec elle la lutte opiniâtre que réclamaient les circonstances, et tenter de l’arrêter dans sa course conquérante. On les voit bien, après la paix conclue, s’emparer de Teanum, et y mettre une garnison nombreuse : et de même qu’autrefois cette ville a sollicité contre eux le secours de Capoue et de Rome, elle va devenir leur poste avancé du côté de l’ouest. Sur le Liris supérieur, on les voit aussi s’étendre, conquérir ou ravager le pays ; mais ils négligèrent d’y fonder un établissement solide. Un jour ils détruisent la ville Volsque de Frégelles ; mais ils donnent par là même à Rome un prétexte pour y envoyer une colonie, comme nous l’avons dit tout à l’heure. Ils jettent l’effroi dans Fabrateria (Falvattera) et Luca (situation inconnue) ; et ces deux villes, Volsques aussi, suivent l’exemple de Capoue en se donnant aux Romains.

En résumé, la ligue Samnite laisse Rome accomplir et consolider ses conquêtes en Campanie, avant de se résoudre à une opposition sérieuse. Son inaction pourtant s’explique. Les Samnites à cette époque étaient en luttes quotidiennes avec les Hellènes de la Grande-Grèce : et puis, leur constitution fédérale elle-même, ne comportait pas l’action concentrée d’une politique plus prévoyante.

 

 

 



[1] Auj. le Laghetto, sur la Via Lavicana. — V. dans Tite-Live, le récit de cette bataille, 2, 19 et 20. — V. aussi Florus, I, 11, qui fait mention de l’intervention des Dioscures, dont Tite-Live n’a pas parlé.

[2] Déjà on trouve dans Tite-Live (I, - 52, 8, 8, 14), et dans Denys d’Halicarnasse (8, 15), la mention de cette égalité de l’une et de l’autre armée ; mais c’est Polybe (VI, 26), qui a surtout précisé le fait.

[3] Denys d’Halicarnasse, 8, 15, rapporte que dans les traités postérieurs relatifs à l’alliance Romano-latine, il était expressément interdit aux cités Latines de mobiliser leurs contingents d’elles-mêmes, et de les mettre toutes seules en campagne.

[4] Les officiers supérieurs du contingent Latin sont les 12 préfets des alliés (prœfecti sociorum) préposés, six d’un côté, six de l’autre, au commandement des deux ailes (alœ) des milices fédérales Latines ; de même que les 12 tribuns militaires conduisent, au même nombre de six pour chaque légion, le contingent Romain. Polybe dit formellement (6, 25, 5) que le consul eut autrefois la nomination des uns comme des autres. Tout simple soldat pouvant devenir officier, d’après les anciennes règles, il s’ensuivit que le général en chef eut le droit de mettre un Romain à la tète d’une légion Latine, aussi bien qu’un Latin à la tête d’une légion Romaine, et que naturellement les tribuns militaires étant toujours pris parmi les Romains, les préfets des alliés furent aussi pris parmi eux le plus souvent.

[5] Il s’agit ici des préfets des turmes et des cohortes (prœfecti turmarum, cohortium) (Polybe, 6, 21, 5. — Tite-Live, 25, 14. — Salluste, Jug., 69, etc.). Il est naturel de penser que, comme les consuls Romains avaient le commandement des milices romaines, les magistrats suprêmes des villes alliées étaient aussi le plus souvent mis à la tète du contingent de celles-ci (Tite-Live, 23, 19. — Orelli, Inscript., 7022) : et même le nom ordinaire de ces magistrats (prœtores) fait assez voir qu’ils annulaient les attributions militaires avec leurs fonctions civiles. [V. à ce sujet, W. Smith, Diction. of antiquities, v. exercitus.]

[6] L’habitant immigré dans ces conditions n’était point porté, une fois pour toutes, dans une tribu déterminée ; mais lorsqu’il y avait lieu à un vote et qu’il y prenait part, le sort décidait de la tribu dans laquelle il exerçait son droit. Ce fait s’explique par la raison que, dans les comices Romains par tribus, il n’était donné qu’une seule voix aux Latins. Les Incolœ ne votaient pas dans les centuries, la condition préalable de tout droit de vote centuriate étant d’avoir une place assurée dans une tribu. Dans les curies au contraire, l’incola votait comme tous les plébéiens. [V. Smith, v. colonia, civitas, fœderatœ civitates]

[7] On sait que les cités latines avaient d’ordinaire deux préteurs (prœtores) à leur tête. Toutefois dans quelques-unes on trouve un magistrat unique, avec le titre de dictateur. Nous citerons comme étant dans ce cas, Albe (Orelli-Henzen, Inscript., 2293) ; Lanuvium (Cicéron, pro Mil., 10, 27, 17, 45. Asconius in Mil. p. 32. Orell. — Orelli, n° 3786, 5157, 6086) ; Compitum [non loin d’Anagni, auj. Savignano ?] (Orelli, 3324) ; Nomentum (Orelli, 208, 6138, 7032. — Cf., Henzen, Bullett., 1858, p. 169) ; et Aricie (Orelli, 1455) : mais il se peut que ce dernier document n’ait trait qu’à la consécration du temple d’Aricie, par un dictateur de l’alliance Latine. (Cato, Origin., l. II, fr. 21, Jordan.) Ajoutons-y la dictature également pratiquée à Cœré (Orelli, 5772). Tous ces dignitaires sont annuels comme les prêtres qu’ils instituent (Orelli, 208) : car aux préteurs et aux dictateurs des villes complètement dissoutes par la conquête romaine, comme aussi au dictateur d’Albe, il faut appliquer ce que dit Tite-Live, 9, 43 : Anagninis magistratibus prœter quam sacrorum curatione interdictum. Et quand Macer, avec les annalistes à sa suite, rapporte qu’Albe, à l’époque de sa chute, n’avait déjà plus de rois, mais seulement des dictateurs annuels (Denys d’Hal., 5, 74 ; Plutarque, Romulus, 27 ; Tite-Live, 1, 23), il est clair qu’il ne parle que par induction. Il raisonne, en se fondant sur l’existence de l’institution bien connue de la dictature sacerdotale albaise, annuelle, sans nul doute, comme l’était la dictature de Nomentum. Mais en fournissant cette indication, l’écrivain que nous citons ne cédait-il pas évidemment à ses tendances toutes démocratiques ? Sa conjecture est-elle vraie ou non ? nous ne saurions le dire. N’est-il pas possible qu’au temps de sa ruine, Albe ait encore été gouvernée par des chefs à vie, et que ce ne soit que plus tard que la suppression des rois à Rome ait aussi amené cette transformation de la dictature Albaine en une fonction annuelle ? — Les deux dictateurs de Fidènes font pourtant exception (Orelli, 112). Leur nom n’est qu’une application abusive et postérieure du mot dictator, lequel exclut toujours, même dans les villes non romaines, le partage de l’autorité entre deux ou plusieurs collègues. — Ces magistratures Latines, on le voit donc, et quant à leur nom, et quant au fond des chose, offrent des rapports frappants avec les institutions fondées à Rome après la révolution ; mais les ressemblances politiques ne suffisent point seules à expliquer toutes ces analogies si remarquables.

[8] Auj. le Biferno, qui traverse la province de Molise, et se jette dans l’Adriatique : — le Volturno, qui arrose Capoue.

[9] Cora, dont les ruines sont encore visibles, et Norba ou Norb sont dans le voisinage de Velletri. — Signia, auj. Segni.

[10] Auj. Torre Petrara ou Mesa suivant Mannert et Abeken. Ardea et Circei (San Felice) n’ont pas changé de nom.

[11] Satricum, auj. Pratica. — Setia, auj. Sezze.

[12] La seule liste qui soit parvenue jusqu’à nous des 30 villes fédérales Latines nous a été fournie par Denys d’Halicarnasse. Il y porté les Ardéates, les Aricins (Aricie), les Bovillans, les Bubentans (position inconnue), les Corniens (Coca ; Coraniens ?), les Carventaniens (position inconnue), les Circéiens, les Coriolans, les Corbintiens (Corbio ?), les Cabaniens (position inconnue), les Fortinéens (id.), les Gabiniens, les Laurentins, les Lanuviens, les Laviniens, les Labicans, les Nomentans, les Norbaniens, les Prœnestins, les Pédaniens (Pedum), les Querquetulants (position inconnue), les Satricans (Satricum), les Scaptiens (Scaptia), les Sétiniens (Setia), les Telléniens (position inconnue), les Tiburtins, les Tusculans, les Tolérens (position inconnue), les Tricrius (id.), les Veliterniens (Velitres). Les indications isolées que l’on rencontre chez les divers auteurs concordent d’ailleurs avec cette liste. Tite-Live fait mention d’Ardée (32, 1), de Laurentum (37, 3), de Lanuvium (41, 16), comme faisant partie de la Ligue — Cicéron nomme aussi Bovilles, Gabies, Labici (pro Planc. 9, 23) ; Denys donne sa liste à l’occasion de la déclaration de guerre dénoncée par le Latium, à Rome, en 256 (I .129), et il a paru tout naturel, à Niebuhr et à d’autres après lui de regarder que cet auteur l’avait empruntée au pacte d’alliance renouvela de 261. Mais qu’on le remarque, cette liste est alphabétique ; et les noms de peuples commençant par un G (Gabiniens, etc.), y occupent une place que le G n’avait point encore dans l’alphabet latin au temps des XII Tables, et qu’il n’a guère obtenue avant le Ve siècle (V. mes unterilal. Dialekten. Dialectes de la basse Italie), 1850, Leipzig) De là j’infère que Denys a dû puiser à une source beaucoup plus récente que le document de 261 ; et il me semble juste de rattacher tout simplement sa liste à l’époque de l’organisation actuelle et définitive de la ligue. Denys, avec ses habitudes positives et non historiques, n’a-t-il pis pu la reporter ainsi toute faite jusqu’au temps des origines fédérales ? — Quoi qu’il en soit, nous n’y voyons figurer aucune cité non Latine pas même Cœrè ; elle n’énumère que des localités Latines pures, ou peuplés de colonies dites Latines (ni Corioles, ni Corbio ne seront regardées comme des exceptions). Que si maintenant on compare la liste de Denys avec celle des colonies latines, nous constatons que sur les 9 colonies fondées jusqu’en 369, Suessa Pometia, CORA, Sigitia, VELITRES, NORIA, ANTIUM (si réellement elle a jamais été ainsi colonisée), Ardée, CIRCÉI S, et SATRICUM, il en est six (celles écrites ci-dessus en plus gros caractères) qui figurent dans la ligue , et que parmi les colonies postérieures à 372, Setia est la seule qui, suivant Denys, en fasse également partie. De même les colonies Latines fondées avant 370 font partie de l’association des fêtes Albaines ; celles postérieurement établies n’y entrent pas. — Il n’est pas étonnant que Denys n’ait point placé Antium et Suessa Pometia sur sa liste, ces deux cités, à peine colonisées, furent de nouveau perdues par les Latins : pendant longtemps encore les Volsques eurent dans Antium leur principale place forte ; et Suessa avait été ruinée. La seule difficulté à résoudre concernerait l’exclusion de Signia de la liste, et la mention faite au contraire de la ville de Setia. Faut-il dans le texte lire ΣΙΓΝΙΝΩΝ, au lieu de ΣΗΤΙΝΩΝ ? Ou bien faut-il admettre que la fondation de Setia était déjà arrêtée avant 370, et que Signia n’a jamais compté parmi les cités ayant voix dans la ligue ? Dans tous les cas, l’exception est unique, et la loi d’exclusion, pour les colonies postérieures à 370, parait certaine. Nous ne trouvons pas non plus sur la liste, et par une raison manifeste, les noms des cités incorporées à Rome avant cette même date, Ostie, Antemnès, Albe, etc. Au contraire, nous y voyons figurer celles incorporées plus tard, Tusculum, Satricum, Velitres, lesquelles            ont toutes perdu leur autonomie de 370 à 536. — Pline donne aussi une liste de 32 villes, n’existant plus de son temps, et qui auraient eu part jadis aux fêtes du mont Albain. Si l’on en retranche 8, dont les noms se trouvent aussi sur la liste de Denys (les Cusuétans et les Tutiens de Pline semblent n’être autres que les Carventans et les Tricrins de Denys), il reste encore 24 localités dont la situation nous est à peu près inconnue, et qui se composent des 16 cités non votante membres les plus anciens de l’association Albaine, et rejetés plus tard sur le second plan ; puis de 7 ou 8 autres cités appartenant jadis à la ligue, disparues depuis ou exclues à un titre quelconque, et parmi lesquelles il faudrait tout d’abord compter l’antique chef-lieu lui-même, Albe, dont Pline, d’ailleurs, ne manque pas de mentionner le nom.

[13] Tite-Live dit formellement (4, 47), que Labicum a reçu une colonie en 336. Mais sans qu’il soit besoin d’objecter le silence significatif de Diodore (13, 7), il parait certain que cette ville n’a point été une colonie de citoyens [coloria civium Romanorum] ; d’abord, parce qu’elle, n’était pas située dans le voisinage de la côte, et ensuite, parce que longtemps après, elle jouissait encore de son indépendance politique. Elle n’a point été colonie latine [colonia latina] ; car il n’existe pas, et, selon la loi de ces sortes de fondations, il n’a pas pu exister un second exemple d’une colonie latine établie dans le pays Latin primitif. Très probablement, il s’est passé là ce qui s’est passé ailleurs, lors des assignations de terre à 2 jugères par lot ; la tradition a transformé en assignations coloniales ce qui n’était d’abord qu’un simple allotissement bourgeois.

[14] Les noms modernes des villes qui viennent d’être citées, sont les suivants, selon la tradition tantôt certaine et tantôt débattue entre les critiques : Nomentum, Mentana ; — Tibur, Tivoli ; — Gabies, Lago di Castiglione ; — Scaptia (situation inconnue) ; — Labici, la Colonna ; — Pedum, Gallicano ; — Prœneste, Palestrina ; — Corbio, Carboniano ; — Tusculum, Frascati ; — Bovilles, localité sans vestiges, à 10 milles de Rome sur la voie Appienne ; — Aricia, Lariccia ; — Corioles, sur le Monte Giove ; — Lanuvium, Citta-Lavinia ; — Laurentum, Torre di Paterno ; — Lavinium ; qu’on veut placer à Pratica, où d’autres voient Satricum. Nous avons déjà donné ailleurs les indications relatives à Cora, Norba (Norma) Setia et Circei. Sutrium (Sutri) et Nepete (Nepi) étaient en Étrurie : Cales (Calvi) était située en Campanie.

[15] Ces restrictions à la communication de l’ancien droit latin plein [Jus latinitatis plenum] se rencontrent pour la première fois dans le pacte d’alliance renouvelé de 416 [338 av. J.-C] (Tite-Live, 8, 14). Les tendances particularistes et d’isolement, auxquelles elles se rattachent dans le fond, se manifestent déjà dans l’exclusion imposée aux colonies Latines, après 370 [-284]. En 416, elles se généralisent, et sont écrites dans le pacte            fédéral. Il convenait de le faire remarquer ici.

[16] Garigliano auj.

[17] Privernum, Piperno Vecchio.

[18] Thurii ou Thurium, non loin de Sybaris. — Terina, sur le golfe de Sainte-Euphémie, au nord de Reggio (Calabre).

[19] Sur le golfe actuel de Policastro.

[20] Le nom de Bruttiens (ou mieux Brettiens) est le nom primitif : il est la plus ancienne appellation indigène des habitants des Calabres actuelles (Antioch., fr. 5, Muller). L’origine pélasgique qui leur est attribuée d’ordinaire n’est qu’une fable.

[21] Hipponion, ou Vibo, ou Vibona Valentia, auj. Bivona, colonie Locrienne, sur la côte ouest de la Calabre.

[22] Bruttates bilingues Ennius dixit, quod Brutii et Osce, et Grœce loqui soliti sint, Fest., p. 25.

[23] Nola, au S. E. de Capoue. — Nucérie, Nuceria Alfaterna, auj. Notera, non loin de Pompéi.

[24] Teanum des Sidicins, auj. Teano, au N. 0. de Capoue.

[25] Nous ne savons rien de plus embrouillé dans les annales Romaines, que le récit de la première guerre Samnite dans Tite-Live, dans Denys d’Halicarnasse, ou dans Appien ; du moins si l’on accepte les textes tels que nous les possédons. Voici, selon eux, ce qui se serait passé. Les deux consuls ayant marché en Campanie (411), le consul Marcus Valerius Comics aurait d’abord remporté sur les Samnites une première et sanglante victoire au pied du mont Gaurus [au sud-ouest de Capoue] : puis son collègue Aulus Cornelius Cossus les aurait aussi défaits, après avoir failli succomber dans un défilé, où il dut sacrifier toute une division commandée par le tribun militaire Publius Decius. Un troisième et décisif combat aurait ensuite été livré par les deux consuls à l’entrée des Fourches Caudines non loin de Suessula [Sessola ou Maddalini] : les Samnites écrasés (40.000 boucliers auraient été ramassés sur le champ de bataille !) subirent la paix imposée par le vainqueur. Rome aurait conservé la possession de Capoue qui s’était donnée à elle, ne laissant que Teanum à ses adversaires (413). Les félicitations lui vinrent de tous côtés, même de Carthage. Les Latins qui lui avaient refusé le passage, et qui semblaient vouloir se lever en armes contre elle, se tournèrent alors contre les Pœligniens. Durant ce temps les Romains avaient sur les bras une conspiration militaire, éclatant au sein même de la garnison qu’ils avaient laissée en Campanie (412) : il leur fallût s’emparer de Privernum [Piperno, à l’E. d’Antium], et guerroyer contre les Antiates. Mais voici que soudain la scène change, et que les partis se transforment. Les Latins, mécontents de se voir refuser la cité romaine et la participation au consulat, se liguent contre Rome, avec les Sidicins qui avaient en vain offert leur soumission et ne pouvaient tout seuls repousser les Samnites, et avec les Campaniens, déjà las de la domination romaine. Les Laurentius, dans le Latium, et les chevaliers de Campanie, tiennent seuls encore pour eux. D’un autre côté, Rome trouve maintenant secours et appui chez les Pœligniens et les Samnites. L’armée Latine se jette sur le Samnium : l’armée Romano-Samnite marche vers le lac Eucin [lac de Celano], et passant derrière le Latium s’avance en Campanie : une bataille décisive se donne au pied du Vésuve ; elle est gagnée sur les Latins et les Campaniens unis, par le consul Titus Manlius Imperiosus, qui, pour rétablir la discipline ébranlée au sein de ses troupes, a du faire exécuter son fils, rentré victorieux au camp dont il était sorti contre l’ordre du général. Il a aussi fallu que l’autre consul, Publius Decius Mus, se dévouât pour réconcilier les dieux : enfin la dernière réserve a donné. Un second combat livré près de Tifanum, termine la guerre : le Latium et la Campanie se soumettent, et sont punis par la confiscation d’une partie de leur territoire. — Ce récit fourmille d’impossibilités de toutes sortes et qui sautent aux yeux du lecteur, pour peu qu’il ait de la clairvoyance et de l’attention. Que signifie la guerre menée contre les Antiates, après leur soumission de 377 (Tite-Live, 6, 33) ? Comment admettre une expédition dirigée par les Latins seuls contre les Pœligniens, en violation flagrante des traités fédéraux entre Rome et le Latium ? Comment comprendre cette marche inouïe de l’armée Romaine sur Capoue, au travers des pays Marse et Samnite, pendant le soulèvement de tout le Latium ? Ajoutez-y le récit embrouillé et sentimental de la révolte militaire de 412, et l’historiette du chef qu’elle se donna malgré lui, le boiteux Tems Quinctius, le Gœtz de Berlichingen Romain ! Et puis, combien de répétitions inexplicables ! L’aventure du tribun militaire Publius Decius est calquée sur l’action héroïque d’un Marcus Calpurnius Flamma, ou de quelque autre nom qu’il s’appelle, durant la seconde guerre punique. Privernum est de nouveau prise, en l’an 425, par Gaïus Plautius : or cette seconde capture est la seule dont parlent les Fastes triomphaux. Enfin la mort expiatoire de Publius Decius est, comme on sait, répétée par le dévouement de son fils, en 459. Toute cette histoire accuse un autre temps et une autre main : elle ne reproduit pas les documents plus anciens et plus dignes de foi des vieilles annales : la narration s’y embellit d’une foule de tableaux de batailles composés à loisir, et d’anecdotes cousues tant bien que mal dans sa trame, comme celle, par exemple, de ce préteur de Sétia, précipité du haut des marches du palais du Sénat, parce qu’il a osé ambitionner le consulat ; ou celles encore, si nombreuses, qui servent de commentaire au surnom de Titus Manlius. Il s’y trouve enfin en foule de digressions soi-disant archéologiques d’une valeur plus que contestable. Citons une sorte d’histoire de la légion, dont une seconde édition a évidemment fourni à Tite-Live (1, 52) des indications très probablement apocryphes sur les manipules, mélangés de Romains et de Latins, du second des Tarquins : citons encore tous les mensonges échafaudés à l’occasion du traité entre Capoue et Rome (v. mon Système monétaire des Romains, p. 334, note 122) ; tout ce qui a trait aux formules de l’acte du dévouement [devotio], au denier Campanien, à l’alliance avec Laurentum, aux deux jugères (bina jugera) par lot d’assignation, (p. 141 en note), etc. Au milieu d’une confusion pareille, n’est-il pas fort remarquable de voir Diodore, qui d’ordinaire puise à d’autres et plus anciennes sources, ne rien dire de tous ces événements ? Il n’en connaît que le dernier, la bataille de Trifanum, laquelle s’accorde mal avec tout le récit qui précède d’après les lois de la composition poétique, la mort de Decius devrait clore le drame !

[26] Minturnes, auj. TrajettoSuessa Acunca, auj. SessaSinuessa, non loin de Rocca di Mondragone.