CHARLES-QUINT

SON ABDICATION, SON SÉJOUR ET SA MORT AU MONASTÈRE DE YUSTE

 

CHAPITRE IV. — INSTALLATION ET VIE À YUSTE.

 

 

Palais de Charles-Quint à Yuste : sa distribution intérieure ; ses communications avec le monastère ; ses terrasses ; son jardin. — Ameublement de l'Empereur ; son argenterie ; ses tableaux ; ses cartes ; ses instruments de mathématiques ; ses livres ; ses mémoires. — Nombre et offices de ses serviteurs ; logements qu'ils occupent, ou dans le cloître du monastère, ou dans le village voisin de Quacos. — Vie de Charles-Quint à Yuste ; distribution de sa journée. — Ses relations avec les moines ; son confesseur Juan Regla ; ses trois prédicateurs ; son lecteur, ses chantres. — Satisfaction qu'il éprouve dans la solitude et le repos du cloître. — Célébration à Yuste du 24 février, anniversaire de sa naissance, de son couronnement et de la victoire de Pavie. — Somme de vingt mille ducats d'or qu'il fixe pour son entretien. — Retour de Lourenço Pires de Tavora à Yuste, et reprise de la négociation à la suite de laquelle Charles-Quint obtient de Jean III la venue de l'infante doña Maria en Espagne.

 

Ce fut le 3 février que Charles-Quint s'enferma à Yuste. L'habitation qu'il y avait fait construire pour sa retraite était plus agréable, plus commode et plus saine que ne l'avaient représentée de Jarandilla, dans leurs moroses descriptions, ses serviteurs attristés par les pluies de la saison et la solitude du lieu. Elle était située au midi du monastère[1], et dominait la Vera de Plasencia. Vers le nord, elle s'adossait à l'église même du couvent, qui l'abritait en la dépassant, et derrière laquelle du levant au couchant s'étendaient les deux cloîtres occupés par les moines et appelés, l'un le cloître vieux, l'autre le cloître neuf. Huit pièces carrées, de dimension égale, ayant chacune vingt-cinq pieds de long sur vingt de large, composaient la demeure impériale. Ces pièces, dont quatre étaient au rez-de-chaussée et quatre formaient l'étage supérieur, s'élevaient pour ainsi dire en amphithéâtre sur la pente très-inclinée de la montagne ; les plus hautes se trouvaient au niveau des cloîtres. La position de celles qui faisaient face au midi les rendait lumineuses et chaudes ; dans toutes, d'ailleurs, l'on avait eu soin de pratiquer, contre les usages du pays, d'assez grandes cheminées.

Un corridor séparait à chaque étage les quatre pièces, dont les portes s'ouvraient sur ce passage intérieur, qui les traversait de l'est à l'ouest. Le corridor d'en haut conduisait des deux côtés à deux terrasses assez vastes situées en plein air et formant une galerie couverte que supportaient des piliers, et que l'Empereur transforma plus tard en jardins[2] ; il les orna de fleurs odoriférantes qu'il se plut à voir cultiver, les planta d'orangers, de citronniers, et y fit placer des fontaines où coulaient les eaux vives sorties des flancs ou descendues des cimes neigeuses de ces montagnes. Dans le bassin d'un réservoir qu'alimentait une source abondante et qui fut revêtu de carreaux de Hollande, se conservèrent comme en un vivier des tanches ainsi que les truites destinées à sa table les jours maigres, et pêchées surtout dans les clairs et froids torrents de Garganta-la-Olla et des villages voisins. Le corridor qui traversait le quartier d'en bas aboutissait par ses deux extrémités au jardin du monastère, que les religieux avaient cédé à l'Empereur, pour s'en ménager un autre au nord-est de leur cloître. De ce jardin couvert de verdure, rempli de plantes potagères et d'arbres à fruit, les tiges des orangers et des citronniers[3] s'élançaient jusqu'aux fenêtres de la demeure impériale, y portaient leurs belles fleurs blanches et leurs suaves odeurs.

L'appartement occupé par Charles-Quint était à l'étage supérieur. De sa chambre même, située au nord du corridor, il se trouvait en communication avec l'église du couvent, qui était contiguë, et sur laquelle s'ouvrait une fenêtre placée au niveau du maitre-autel[4]. Cette fenêtre, d'où on apercevait le prêtre officiant et par où l'on pouvait entrer dans l'église, était à la fois une tribune et un passage. Elle avait la double fermeture d'un vitrage et d'une porte, et devait permettre à l'Empereur d'entendre la messe de son lit lorsqu'il serait malade et d'assister aux offices sans être au milieu des moines[5]. Il pouvait à son gré se mettre en relation avec ceux-ci, en se rendant par des communications intérieures dans le chœur de leur église, ou bien rester séparé d'eux en demeurant dans son indépendante habitation et sur ses terrasses cultivées.

La pièce qui servit de cabinet à Charles-Quint était au sud du corridor, dans une position ravissante, et offrait une vue magnifique. Elle était en plein soleil et plongeait sur le jardin. Des fenêtres de cette pièce, où travailla l'Empereur et où il reçut les ambassadeurs et les grands personnages qui vinrent le visiter à Yuste, s'apercevaient les groupes des coteaux environnants chargés de massifs de châtaigniers, de noyers, de mûriers, d'amandiers, et se terminant par de douces pentes dans le large et verdoyant bassin de la Vera. Les beaux aspects dont il jouissait de son cabinet, Charles-Quint les retrouvait sur la terrasse occidentale, lieu de prédilection où il alla fréquemment se promener et s'asseoir, un peu avant le déclin du jour, lorsque le soleil, s'abaissant déjà vers l'horizon, répandait ses feux adoucis sur la montagne et sur la plaine et les dorait encore de ses rayons. C'est de là qu'en suivant un sentier légèrement incliné il descendait sans fatigue dans le jardin, dont les murailles environnaient son appartement de tous les côtés, et dont la porte principale s'ouvrait sur la vaste forêt de chênes et de châtaigniers qui couvrait les flancs et les cimes de la montagne. Dans cette forêt, où purent paître librement les deux vaches destinées à fournir le lait de sa table,  étaient disposés de loin en loin les oratoires du couvent, à quatre cents pas duquel s'élevait l'ermitage de Belem, que l'Empereur alla visiter le lendemain de son arrivée à Yuste[6].

Charles-Quint ne vécut point parmi les moines, comme on l'a cru, et à Yuste le cénobite ne cessa pas d'être empereur. S'il n'y trouva point la splendeur d'une cour, il fut tout aussi loin de s'y réduire à la nudité d'une cellule et de s'y condamner aux rigueurs de l'existence monastique. Dans cette retraite à la fois pieuse et noble, dans cette vie consacrée à Dieu et encore occupée des grands intérêts du monde, son esprit resta ferme, son âme haute, son caractère décidé, ses vues fortes ; et il donna sur la conduite de la monarchie espagnole les plus habiles conseils et les directions les plus prévoyantes à sa fille, la gouvernante d'Espagne, et au roi son fils, qui les sollicitèrent avec instance et les suivirent avec respect. Il n'y eut pas en lui un seul moment d'affaiblissement moral[7], et les assertions de Robertson à cet égard ne sont pas plus vraies que ne sont exacts les récits donnés par Sandoval et par lui sur le séjour de Charles-Quint au monastère de Yuste. Il y vivait si pauvrement, dit Sandoval, que ses appartements semblaient plutôt avoir été dépouillés par des soldats qu'ornés pour le séjour d'un si grand prince. Il n'y avait qu'une tenture de drap noir, et encore uniquement dans la chambre où dormait Sa Majesté. Il n'y avait qu'un seul fauteuil, et tellement vieux et de si peu de valeur, que, s'il avait été mis en vente, on n'en aurait pas donné quatre réaux. Les vêtements pour sa personne n'étaient pas moins pauvres et toujours en noir[8]. Robertson ajoute : Ce fut dans cette humble retraite, à peine suffisante pour loger un simple particulier, que Charles-Quint entra, accompagné seulement de douze domestiques[9].

A ces descriptions imaginées pour établir un contraste complet entre la grandeur passée du souverain et le dénuement nouveau du solitaire, nous allons substituer des descriptions certaines. Nous les tirerons du codicille[10] dans lequel l'Empereur nommait lui-même, en les récompensant, tous les serviteurs qui l'avaient suivi à Yuste, et de l'inventaire[11] que l'on dressa après sa mort, de tous les objets meublant ou ornant sa demeure. Sans avoir le luxe d'un palais, son habitation n'était dépourvue d'aucune des commodités intérieures que les princes se procuraient à cette époque déjà élégante, et il y jouissait des nobles agréments des arts qu'il avait le mieux aimés. Vingt-quatre pièces de tapisserie, qu'il fit venir de Flandre, les unes en soie, les autres en laine, représentant des sujets divers, des animaux, des paysages, étaient destinées à en couvrir les murailles. L'appartement qu'il occupait, et qui portait les marques du deuil que lui-même ne quitta plus depuis la mort de sa mère jusqu'à la sienne, était tendu tout entier de drap noir fin, avec des portières de la même couleur. Il y avait sept tapis de pied, dont quatre de Turquie et trois d'Alcaraz, et, à côté de bancs à dossier revêtus de tapis, l'on y remarquait trois dais de drap noir et un dais plus riche de velours noir[12].

La chambre de Charles- Quint n'avait rien de la nudité claustrale que lui prête Sandoval. Deux lits, dont l'un plus grand que l'autre, y avaient été dressés avec un luxe extraordinaire de couvertures, de matelas, de coussins[13], pour l'usage de l'Empereur, qui possédait une telle abondance de vêtements, qu'il avait jusqu'à seize robes longues, en velours, en soie, fourrées de plume de l'Inde, garnies d'hermine, tissues avec des poils de chevreau de Tunis[14]. L'ameublement y consistait en douze sièges de noyer artistement travaillés et ornés de clous dorés, six bancs qui s'ouvraient et se fermaient en forme de pliants, auxquels s'adaptaient des couvertures de drap, six fauteuils de velours noir et deux fauteuils particuliers appropriés à l'état presque toujours infirme de Charles-Quint. De ces deux fauteuils, destinés à lui servir de siège quand il était malade, ou à le changer de place lorsqu'il était convalescent, le premier était entouré de six coussins pour soutenir doucement les diverses parties de son corps, avec un tabouret pour appuyer ses pieds ; le second, aussi mollement rembourré, avait des bras en saillie au moyen desquels on le portait d'un lieu dans un autre[15], et notamment sur la terrasse cultivée, où il allait manger quelquefois en plein air, lorsque le temps était beau et sa santé bonne.

Les goûts vifs et délicats qu'il avait eus sur le trône pour la peinture, la musique, l'astronomie, les travaux ingénieux de la mécanique, les œuvres élevées de l'esprit, le suivirent au monastère. Le Titien avait été son peintre de prédilection : il l'avait toujours beaucoup admiré et l'avait comblé de distinctions et de présents : il lui avait donné un ordre de chevalerie, avait payé de mille écus d'or chacun de ses portraits, lui avait assigné une pension de deux cents écus d'or sur les revenus du royaume de Naples[16], et la tradition rapporte que, dans son enthousiasme pour ce grand peintre, qu'il allait voir travailler dans son atelier, il avait un jour ramassé lui-même le pinceau tombé de ses mains en disant que le Titien méritait d'être servi par un empereur. Le Titien avait fait son portrait à tous les âges et sous toutes les formes ; il avait peint aussi plusieurs fois l'Impératrice, dont Charles-Quint conservait un souvenir si cher. Les divers portraits de l'Empereur, ceux de l'Impératrice, au nombre de quatre, plusieurs portraits de son fils, Philippe II, de ses filles, la princesse de Portugal et la reine de Bohême, de sa fille naturelle, la duchesse de Parme, et de ses petits-enfants, tous sur toile ou sur bois[17], suspendus aux murailles de son appartement ou enfermés en des coffrets élégants, décoraient sa demeure et y rendaient sa famille comme présente à ses yeux.

Mais ce n'étaient pas seulement ces souvenirs des affections terrestres qu'il avait portés dans sa solitude, il y avait placé de beaux tableaux religieux qui plaisaient à la fois à son imagination et à sa piété. Le plus magnifique comme le plus grand de ces tableaux était une Trinité qu'il avait commandée au Titien quelques années avant de descendre du trône[18], afin de l'avoir devant lui au monastère de Yuste, d'où elle suivit plus tard ses restes mortels[19] jusqu'à l'Escurial. Dans la partie la plus haute du ciel, au milieu d'un champ de feu, image de l'amour divin, sur des nuages tout resplendissants de lumière, le peintre avait représenté la Trinité chrétienne, qu'environnaient d'innombrables chérubins répandus jusqu'aux profondeurs les plus lointaines de l'espace, et un peu au-dessous de laquelle s'élevait la Vierge du côté du Christ. Presque aux pieds de la Trinité, et vers la gauche, Charles-Quint, soutenu par un ange qui lui montrait le saint mystère, était à genoux, les mains jointes dans l'attitude de la contemplation et de la prière. Près de lui était déposée la couronne impériale. Sa tête, nue et relevée en arrière, était empreinte des fatigues de l'âge et de l'autorité, mais exprimait les élans d'une adoration profonde et d'une foi suppliante. Non loin de lui, l'Impératrice, agenouillée aussi sur un nuage et doucement relevée par un ange dont le bras se plaçait au-dessous du sien, les mains croisées sur la poitrine, les yeux baissés et l'âme ravie, paraissait plongée dans une sainte béatitude, et l'on eût dit que, n'appartenant plus à la terre, elle jouissait déjà de ce que demandait la prière ardente de l'Empereur, prêt à franchir bientôt lui-même le seuil éternel. A quelque distance, parmi d'autres princes et d'autres princesses, apparaissait la figure, jeune, mais sévère, de Philippe II sur laquelle se lisait une piété ferme dans une adoration tranquille. Ce groupe de la famille impériale, invoquant la Trinité, semblait protégé auprès du trône divin et comme porté jusqu'à lui par une foule de patriarches, de prophètes, d'apôtres, de saints, que précédait l'Église sous l'image d'une femme, et qui tous, dans de pieuses attitudes et avec des formes savamment hardies et admirablement variées, se déployaient dans les airs en cercle lumineux au-dessous de la Trinité céleste et formaient, pour ainsi dire, son cortège venu de la terre[20].

D'autres tableaux, la plupart œuvres du Titien, comme celui qui représentait la terrible scène du jugement dernier, retraçaient sur toile, sur bois, sur des battants d'ébène qui s'ouvraient et se fermaient à volonté : le Christ flagellé ; la Vierge tenant sur ses genoux son fils descendu de la croix ; l'enfant Jésus porté au bras droit de sa mère, ayant auprès d'elle, d'un côté Joseph, et, de l'autre, Élisabeth avec saint Jean-Baptiste ; Marie tenant par la main Jésus, qui jouait avec saint Jean-Baptiste, et que contemplaient des hommes et des femmes groupés au-dessous[21]. Un peintre nommé maestro Miguel, qui était aussi sculpteur[22] et qui avait travaillé en commun avec le Titien à plusieurs de ces ouvrages, avait fait pour l'Empereur un Christ portant la croix sur la route du Golgotha, un Christ crucifié, une sculpture de la Vierge, et une peinture du saint sacrement tenu par deux anges avec des encensoirs à la main[23]. Toutes ces religieuses représentations, que complétaient et une Annonciation de la Vierge[24] sur bois et une Adoration des mages reproduites sur une tapisserie d'or, d'argent et de soie[25], retraçaient sans cesse aux yeux de l'Empereur la touchante histoire de la rédemption chrétienne : et l'humble naissance du Sauveur dans une crèche, et sa douce enfance, et sa passion douloureuse, et son sacrifice suprême, et son retour triomphant à la droite de son Père, d'où il répandait les rayons de sa gloire sur la famille impériale, et l'offrande journalière de son corps, au moyen de laquelle il unissait à lui l'humanité purifiée.

Charles-Quint possédait également à Yuste plusieurs reliquaires, dans lesquels il avait d'autant plus de confiance, qu'ils lui avaient été transmis comme contenant du bois de la vraie croix[26] ; et il gardait avec un soin pieux le crucifix que l'Impératrice expirante avait tenu entre ses mains, et que lui[27] et son fils, devaient avoir entre les leurs au moment de la mort. Des objets bien différents, capables de distraire son esprit et d'occuper ses loisirs, avaient été portés au monastère de Yuste pour les travaux de mécanique, d'horlogerie, d'astronomie et de géographie. Le savant mécanicien Giovanni Torriano[28], que secondait un horloger ordinaire appelé Jean Valin, avait construit pour l'Empereur quatre belles et grandes horloges[29], outre un nombre considérable de petites horloges portatives, qu'on a depuis appelées montres, et auxquelles il travaillait à Yuste avec Charles-Quint. La plus grande des quatre horloges, enfermée dans sa caisse et posée sur une table de noyer, était dans la chambre de l'Empereur ; les trois autres, dont l'une se nommait el portal (le portique), l'autre el espejo (le miroir), et dont la dernière était sur pied, mais sans nom[30], avaient été placées dans d'autres pièces de la résidence impériale. Charles-Quint avait aussi un cadran solaire doré et tous les instruments pour en faire d'autres[31].

Les instruments de mathématiques ne lui manquaient pas non plus, et il avait des quarts de cercle, des compas, une règle géométrique à compartiments, deux astrolabes, un anneau astronomique[32], des miroirs de cristal de roche et des lunettes[33], pour lever les hauteurs, mesurer les distances et aider sa vue imparfaite ou fatiguée. Avec une carte marine que lui avait envoyée le prince Doria, il avait des cartes d'Italie, d'Espagne, de Flandre, d'Allemagne, de Constantinople, des Indes[34], sur lesquelles il pouvait suivre du fond de sa retraite les événements du monde.

Sa bibliothèque ne consistait qu'en quelques livres de science, d'histoire, de philosophie chrétienne et de pratique religieuse. L'Almageste, ou la grande composition astronomique de Ptolémée, qui restait encore l'explication et la règle des mouvements célestes ; l'Astronome impérial de Santa-Cruz, qui avait donné des leçons de mathématiques à Charles-Quint ; les Commentaires de César ; les Histoires d'Espagne dans les temps anciens et durant le moyen âge, qu'avait réunies Florian de Ocampo, l'un de ses trois chroniqueurs : plusieurs exemplaires de la Consolation de Boèce en français, en italien et en langue romane ; les Commentaires sur la guerre d'Allemagne, par le grand commandeur d'Alcantara ; le poétique roman du Chevalier délibéré ; les Méditations de saint Augustin ; deux autres livres de Méditations pieuses ; les ouvrages du docteur Constantin Ponce de la Fuente et du Père Pedro de Soto sur la doctrine chrétienne ; la Somme des mystères chrétiens, par Titelman ; deux Bréviaires ; un Missel ; deux Psautiers enluminés ; le Commentaire de fray Tomas de Portocarrero sur le psaume In te, Domine, speravi, et des Prières tirées de la Bible[35] : tels étaient les sujets habituels de ses lectures.

Plusieurs de ces livres avaient un intérêt particulier pour lui. Les Commentaires sur la guerre de 1546 et 1547 contre les protestants d'Allemagne avaient été écrits en espagnol sous son inspiration par don Luis de Avila y Zuniga, puis traduits en latin par van Male, et rapidement publiés aussi en italien et en français[36].

Charles-Quint avait pris une part plus active encore à une autre œuvre : il avait traduit en grande partie en langue espagnole et avec le rythme castillan le poème du Chevalier délibéré, dans lequel Olivier de la Marche avait retracé allégoriquement la vie aventureuse de son bisaïeul Charles le Téméraire. Cette traduction, qu'il remit à don Fernand de Acuna, fut achevée par ce gentilhomme lettré, qui savait aussi bien écrire que combattre, et auquel l'Empereur avait confié, après la bataille de Muhlberg, la garde de l'électeur de Saxe Jean-Frédéric[37]. Ce fut l'un des exemplaires de cette traduction, imprimée par ses ordres, en 1555, chez Jean Steelz, à Anvers, sous le titre du Caballero determinado, que Charles-Quint porta à Yuste, en même temps que le poème français, couvert d'enluminures[38]. Les commentaires de César dont il se servait n'étaient pas en latin ; il ne comprenait pas très-bien cette langue, que son gouverneur Chièvres avait presque interdit au docte précepteur Adrien de lui apprendre à fond, pendant ses jeunes années, parce qu'il prétendait qu'un roi devait être élevé dans les exercices guerriers d'un gentilhomme, et non au milieu des livres comme un savant[39]. Aussi avait-il eu recours à une traduction des Commentaires de César en italien-toscan[40], qui était alors la langue de la politique et de la guerre, et qui seule pouvait rendre, avec sa mâle simplicité et dans sa rapidité élégante, l'œuvre du conquérant de la Gaule et du dominateur de Rome.

Ce livre, digne de servir de modèle à ceux qui, après avoir fait de grandes choses, voulaient les écrire, était sans doute déjà sous les yeux de Charles-Quint lorsque, arrivé au comble de la puissance et de la gloire, il commença, dans l'été de 1550, ses propres Commentaires, dont son confident littéraire van Male parle en ces termes : Dans les loisirs de sa navigation sur le Rhin, l'Empereur, livré aux plus libérales occupations sur son navire, a entrepris d'écrire ses voyages et ses expéditions depuis l'année 1515 jusqu'à présent. L'ouvrage est admirablement poli et élégant, et le style atteste une grande force d'esprit et d'éloquence. A coup sûr, je n'aurais pas cru facilement que l'Empereur possédât des qualités pareilles, puisqu'il m'a avoué lui-même qu'il n'en devait rien à l'éducation et qu'il les avait entièrement puisées dans ses seules méditations et dans son travail. Quant à l'autorité et à l'agrément de l'ouvrage, ils consistent surtout en cette fidélité et cette gravité auxquelles l'histoire doit son crédit et sa puissance[41]. Si Charles-Quint continua dans le couvent de l'Estrémadure ces précieux mémoires commencés sept années auparavant sur le Rhin, ses propres scrupules[42], et peut-être les conseils trop humbles du Père Borja[43], et les volontés trop hautaines de Philippe II, les ont dérobés à la curiosité du monde[44].

Charles-Quint tenait ses propres papiers dans un grand portefeuille de velours noir, qui, à sa mort, fut envoyé cacheté à la gouvernante d'Espagne, sa fille[45].

Ce portefeuille restait toujours dans sa chambre, où se voyaient encore toutes sortes de joyaux et de petits meubles délicatement travaillés en argent, en or, en émail, contenus dans des boîtes couvertes de velours de diverses couleurs ; les plus précieux étaient sans doute ceux qui renfermaient des substances auxquelles la crédulité du temps attribuait des vertus curatives. Charles-Quint possédait une grande quantité de ces talismans médicaux : il avait des pierres incrustées dans de l'or propres à arrêter le sang[46] ; deux bracelets et deux bagues en or et en os contre les hémorroïdes[47] ; une pierre bleue enchâssée dans des griffes d'or pour préserver de la goutte[48] ; neuf bagues d'Angleterre contre la crampe[49] ; une pierre philosophale que lui avait donnée un certain docteur Beltran ; enfin, plusieurs pierres de bézoard venues d'Orient et destinées à combattre diverses indispositions[50]. Avec ces merveilleux spécifiques il aurait dû être délivré de toutes ses maladies. Mais, si son imagination avait pu le disposer un moment à mettre en eux quelque espérance, l'intraitable réalité l'avait ramené bien vile aux ordonnances presque aussi vaines de son médecin Mathys et aux remèdes non moins impuissants préparés par son pharmacien Overstraeten.

L'argenterie qu'il avait portée au monastère était appropriée avec profusion aux besoins variés de sa personne et de sa maison. Il avait en vermeil et double tout le service pour l'autel de sa chapelle particulière[51]. Des cadres d'or, d'argent et d'émail contenaient toutes sortes de joyaux ou d'objets de prix. La vaisselle de sa table, les objets destinés aux soins assez recherchés de sa toilette ou employés dans l'intérieur de sa chambre, des vases, des bassins, des aiguières, des flacons de toutes dimensions, des ustensiles de toute espèce, des meubles de diverses natures pour sa cuisine, sa cave, sa paneterie, sa brasserie, sa pharmacie, etc., étaient en argent et pesaient au delà de quinze cents marcs[52].

Loin d'être indigente et restreinte, comme l'ont prétendu Sandoval et Robertson, la maison de Charles-Quint comprenait des serviteurs dont le nombre était aussi étendu et dont les fonctions étaient aussi variées que pouvaient l'être ses besoins. Elle se composait de cinquante personnes qui en remplissaient les divers offices[53]. Le majordome Luis Quijada en avait la suprême direction. En l'attachant définitivement à son service, l'Empereur lui accorda le traitement qu'avait eu le marquis de Denia lorsqu'il était auprès de sa mère Jeanne la Folle, dans le château de Tordesillas. Venaient ensuite, en les classant d'après la somme d'argent qu'ils recevaient chaque année, d'abord le secrétaire Gaztelù et le médecin Mathys, ayant l'un et l'autre 150.000 maravédis de gages ou 750 florins, dont la valeur équivaudrait à celle de 16.000 francs au moins de notre monnaie[54], puis le Franc-Comtois Guyon de Moron, à qui il était alloué 400 florins comme maître de la garde-robe[55].

Le service de la chambre impériale était confié à quatre ayudas de cámara, qui étaient Guillaume van Male, Charles Prévost, Ogier Bodard, Matthieu Routart, ayant chacun 300 florins, et à quatre barberos ou sous-aides nommés Guillaume Wyckersloot, Nicolas Bénigne, Dierick Tack et Gabriel de Suert, en recevant tous 250[56]. Le savant et habile Giovanni Torriano avait une pension un peu plus forte, puisqu'il touchait 350 florins ; mais l'horloger, Jean Valin, n'en avait que 200[57]. Les autres serviteurs de Charles-Quint, la plupart Belges ou Bourguignons, étaient un apothicaire et son aide de pharmacie, un panetier et son aide, deux boulangers dont un Allemand, deux cuisiniers et deux garçons de cuisine, un sommelier pour le vin avec un valet de cave, un brasseur et un tonnelier, un pâtissier, deux fruitiers, un saucier et son aide, un chef du garde-manger et son contrôleur, un cirier, un pourvoyeur de volaille, un chasseur de gibier, un jardinier, trois laquais porteurs de litière, un garde-joyaux, un portier, un écrivain employé dans l'office de fray Lorenzo del Losar, auquel l'Empereur confia les approvisionnements de sa maison, enfin deux lavandières, Hippolyta Reynier, femme de van Male, et Ysabeau Pletinckx, ayant soin, l'une du linge de corps, l'autre du linge de table. Charles-Quint avait de plus amené pour lui l'aumônier George Nepotis, et pour les gens de sa maison, le moine franciscain Jean de Halis, qui les confessait et leur administrait à Jarandilla les sacrements de l'Église. La totalité de leurs gages montait à plus de 10.000 florins, qui auraient aujourd'hui la valeur d'environ 210.000 de nos francs[58].

Avant de partir de Jarandilla, Charles-Quint avait distribué en présents tous ses chevaux, qui lui étaient désormais inutiles, et n'en avait gardé qu'un seul déjà vieux et plus accommodé à son usage en ce pays de montagnes, si toutefois ses infirmités lui permettaient de s'en servir encore. Il avait renvoyé trente bêtes de somme à Valladolid, et n'avait conservé que six mulets et deux mules[59] pour les transports habituels entre Yuste et les villages voisins. Les relations étaient surtout très-fréquentes avec le village de Quacos, situé à une demi-lieue du couvent, et où s'établirent Quijada, Moron, Gaztelù et tous ceux qui ne purent pas être logés à Yuste, mais qui y vinrent tous les jours. Charles-Quint ne garda auprès de lui que les serviteurs dont la présence lui était le plus indispensable. Les ayudas de cámara, les barberos, les cuisiniers, les panetiers et même l'horloger, habitèrent une partie du nouveau cloître disposée pour eux ; le médecin, le boulanger, le brasseur, occupèrent l'hôtellerie même du monastère. Ils pénétraient facilement dans la demeure impériale, tandis que tous les passages qui pouvaient les mettre en communication avec les moines furent soigneusement fermés[60]. La maison de Charles-Quint formait ainsi, soit à Yuste, soit à Quacos, un établissement commode et complet, qui non-seulement satisfaisait aux services divers de sa personne, mais où se fabriquait encore tout ce qui lui était nécessaire, depuis le pain de sa table jusqu'aux remèdes pour ses maladies, depuis le vin et la bière de sa cave jusqu'à la cire pour sa chapelle.

Dès qu'il fut entré à Yuste, la princesse sa fille, afin de faciliter ses approvisionnements, avait transmis, au nom du roi, l'ordre suivant à la ville la plus voisine : Notre corrégidor ou juge de résidence dans la cité de Plasencia, ou votre lieutenant : vous avez déjà appris comment l'Empereur, mon seigneur, s'est retiré dans le monastère de Yuste, de l'ordre de Saint-Jérôme, où est maintenant son impériale personne. Et parce qu'il sera besoin, pour son service et pour les subsistances de sa maison et de ses serviteurs, qu'on tire de cette cité et de son territoire beaucoup de vivres et toutes les autres choses nécessaires, je vous ordonne de mettre un soin tout particulier à ce que les personnes qui se présenteront à cet effet soient expédiées et pourvues avec beaucoup d'attention et de diligence, ainsi qu'il convient. Nous nous tiendrons en cela pour bien servie par vous[61]. La gouvernante d'Espagne plaça aussi à Quacos un juge licencié nommé Murga, avec son greffier et son alguazil[62], pour prévenir ou terminer les différends qui s'élèveraient entre les gens de l'Empereur et les habitants du pays, ce qui eut lieu en quelques rencontres.

La vie de Charles-Quint au monastère de Yuste, composé de trente-huit religieux, y compris le prieur et son vicaire, était entièrement séparée de celle des moines, avec lesquels il n'avait que des rapports religieux. Il avait choisi parmi eux son confesseur, frère Juan Régla ; son lecteur, frère Bernardino de Salinas, docteur de l'Université de Paris ; et ses trois prédicateurs, frère Francisco de Villalba du couvent de Montamarta près de Zamora, et plus tard chapelain de Philippe II à l'Escurial, frère Juan de Açaloras, profès de Notre-Dame de Prado dans le voisinage de Valladolid, depuis évêque des Canaries, et frère Juan de Santandres, appartenant au monastère de Santa Catalina à Talavera. Les deux premiers avaient d'assez grandes connaissances théologiques et beaucoup d'éloquence religieuse. Le dernier était doué d'une piété plus simple, accompagnée d'une onction touchante[63].

Juan Regla avait acquis de la célébrité comme confesseur, et il avait dû à son savoir et à sa doctrine d'être envoyé, en 1551, au concile de Trente comme l'un des théologiens du royaume d'Aragon. Né de pauvres paysans, dans une humble cabane des montagnes de Jaca, sa vive intelligence et le désir de s'instruire l'avaient conduit, à l'âge de quatorze ans, dans la ville de Saragosse. Il y avait vécu d'aumônes à la porte de Santa Engracia, qui lui avait donné tout à la fois la nourriture du corps et celle de l'esprit, et que, par une affectueuse reconnaissance, il appela depuis lors sa mère. Sur la recommandation des hiéronymites, qui avaient remarqué la studieuse régularité de sa vie et son ardeur intelligente, il avait été placé auprès du fils d'un riche cavallero qu'il avait accompagné à l'université de Salamanque. Il avait consacré treize années à la connaissance du grec et de l'hébreu, aux arts de l'école et aux sciences de la foi. Devenu un profond théologien, un docte canoniste, un casuiste délié et un linguiste habile, il avait pris l'habit religieux dans le monastère même où il avait reçu le pain de la charité et où son intelligence s'était ouverte aux premiers rayons du savoir[64]. A son retour de Trente, il en avait été nommé prieur. Ni sa participation au concile, ni la dignité religieuse dont l'avait revêtu la confiance des moines de Santa Engracia ne l'avaient soustrait aux poursuites de l'inquisition espagnole, qui l'avait contraint d'abjurer dix-huit propositions dénoncées comme suspectes par les jésuites, auxquels Juan Regla ne pardonna jamais cette attaque et cette humiliation[65].

Son gouvernement triennal était expiré lorsque Charles-Quint l'avait appelé à Jarandilla[66] pour lui donner la direction de sa conscience. Juan Regla s'était montré comme épouvanté d'une pareille charge et avait voulu d'abord la refuser. Pourquoi donc ? lui demanda l'Empereur. — Parce que, répondit le moine, je suis insuffisant et ne me trouve point digne de servir en cela Votre Majesté. — Rassurez-vous, frère Juan, lui dit l'Empereur, j'ai eu près de moi, pendant un an entier, avant mon départ de Flandre, cinq théologiens et canonistes avec lesquels j'ai déchargé ma conscience sur toutes les affaires passées ; vous n'aurez à connaître que ce qui surviendra à l'avenir[67]. Juan Regla était timide et insinuant, scrupuleux et soumis, et son caractère faisait de lui un confesseur porté au respect et à l'obéissance, comme il le fallait à un pénitent aussi impérieux.

Charles-Quint voulut qu'il fût assis en sa présence, non-seulement quand ils étaient seuls, mais devant Quijada même, qui ne pouvait pas s'accoutumer à cet abandon de l'étiquette impériale et que choquait toujours la vue d'un simple moine dans une position aussi familière à côté d'un grand empereur. Regla se jeta plusieurs fois aux genoux de Charles-Quint pour qu'il lui permit de rester debout, parce qu'il sentait la rougeur lui monter au front lorsque entrait quelqu'un.

Ne vous inquiétez point de cela, lui répondit l'Empereur. Vous êtes mon maître et mon père en confession ; je suis bien aise qu'on vous voie assis, et je ne le suis pas moins de voir que vous changiez de visage[68]. Mais, s'il le respecta comme pénitent, il l'asservit comme maître. Il exigea qu'il fût toujours prêt à se rendre à ses commandements ; et un jour que Juan Regla était allé dans la ville voisine de Plasencia, l'Empereur lui dépêcha un exprès pour le faire revenir. Sachez, frère Juan, lui dit-il à son retour, que c'est ma volonté bien arrêtée que vous ne sortiez point d'ici sans que j'en sois instruit, parce que j'entends que vous ne me quittiez pas un seul instant. Le moine tout ému s'excusa, et il ne s'éloigna plus du monastère jusqu'à la dernière heure de l'Empereur [69]. Il fut l'un des exécuteurs testamentaires de Charles-Quint, et après avoir été son confesseur à Yuste, il devint celui de Philippe II à l'Escurial[70].

Charles-Quint, comme on l'a déjà vu, avait toujours été très-pieux[71]. Il avait la foi rude et l'intolérance violente d'un Espagnol. Il portait dans les pratiques religieuses la régularité zélée qu'il mettait dans ses croyances. Avant de se retirer au monastère il entendait tous les jours, en se levant, une messe privée pour l'âme de l'Impératrice ; et après avoir donné quelques audiences et expédié les affaires les plus urgentes, il allait à une messe publique dans sa chapelle[72] ; le dimanche et les fêtes solennelles, il assistait aux vêpres et à la prédication ; quatre fois au moins par an il se confessait et communiait[73]. Souvent on le voyait en prière devant la croix : il y avait passé plusieurs heures de la nuit qui précéda la bataille d'Ingolstadt. Ce fut pour ainsi dire de son prie-Dieu qu'il s'élança avec une valeureuse impétuosité à la défense de son camp, attaqué par l'armée luthérienne, beaucoup plus forte que la sienne[74]. Il parcourait à cheval le front de ses troupes au milieu des décharges de l'artillerie ennemie, lorsque le vieux Granvelle, effrayé de son péril, lui fit dire, de la part de son confesseur, de ne pas s'exposer ainsi. Avec une intrépidité résolue et une foi confiante, il répondit qu'on n'avait pas encore vu un roi ou un empereur mourir d'un coup de canon, et que si le sort avait décidé de commencer par lui, il valait mieux qu'il mourût ainsi que de vivre de l'autre manière[75].

La vie religieuse qu'il avait menée sur le trône, il la continua dans le monastère. Chaque jour il y faisait dire quatre messes et offrir le sacrifice chrétien pour l'âme de son père, celle de sa mère, celle de sa femme et la sienne ; c'est à cette dernière qu'il assistait, soit dans le chœur de l'église, où on lui avait élevé une petite tribune séparée, soit de la fenêtre de sa chambre, où il se plaçait toujours pour entendre les vêpres. Les jeudis, une messe du saint sacrement, dans lequel il avait conservé, comme toute sa race, la plus grande dévotion, était célébrée pour lui en plain-chant et avec la pompeuse solennité de la Fête-Dieu[76]. La musique le charmait autant que la peinture, et son ancienne chapelle impériale, où se trouvaient quarante chantres des mieux exercés et des plus habiles, avait été réputée la première de toute la chrétienté[77]. Aussi, quand il fut à Yuste, y fit-on venir, par ses ordres, des divers couvents de l'Espagne, les moines qui avaient les voix les plus belles et qui chantaient le mieux. On y appela du monastère de Saint-Barthélemy de Lupiana fray Antonio de Avila pour servir d'organiste, ainsi que deux ténors, deux contralto, deux basses-tailles et deux dessus, qui furent choisis dans les maisons hiéronymites de Valence, de Prado, de Zamora et de Ségovie. Plus tard, cette musique fut complétée par la venue du frère Juan de Villamayor, qui passa du monastère del Parral à Ségovie dans celui de Yuste pour être maître de chapelle et basse-taille, et par celle d'un nouveau ténor, d'une nouvelle basse, d'un nouveau dessus, tirés des couvents de Barcelone, de Talavera de la Reyna, d'Estrella et de Saragosse. Après la mort de Charles-Quint, ils reçurent tous un don comme prix de leur déplacement et en témoignage de la satisfaction que l'Empereur avait eue à les entendre[78].

La distribution de la journée de l'Empereur à Yuste était très-régulière ; mais l'ordre en était fréquemment troublé par la politique et par les affaires. En s'éveillant il avait coutume de manger, son estomac ne pouvant jamais rester vide. Cette habitude était si impérieuse qu'elle ne cédait ni à la maladie ni à la dévotion. Les jours même où il communiait, il n'était pas à jeun, contrairement à la règle catholique, en recevant l'hostie consacrée ; et par une exception extraordinaire, une bulle du pape Jules III l'y avait autorisé sur sa demande, en 1554. Jules III disait dans cette bulle : Votre Majesté nous a fait connaître qu'elle était poussée et contrainte par l'état de sa santé et d'après le conseil de ses médecins à prendre, pour le soutien de son estomac, un léger déjeuner les jours même où elle avait coutume de recevoir la très-sacrée eucharistie, et elle nous a supplié de lui accorder à cet égard, en vertu de l'autorité apostolique, une absolution pour le passé et une dispense pour l'avenir. C'est pourquoi, considérant cette nécessité où vous êtes et reconnaissant l'esprit pieux et sincère avec lequel Voire Majesté a constamment respecté et en toute rencontre défendu la religion catholique et les constitutions des saints Pères, nous vous déchargeons, au nom du Seigneur, de tout scrupule de conscience que vous pourriez avoir conservé à ce sujet ; et au nom du même Seigneur, en vertu du pouvoir qu'il nous a conféré, nous vous autorisons avec indulgence à prendre la nourriture dont vous avez besoin avant de recevoir le très-saint sacrement de l'eucharistie. Le pape terminait en conjurant Charles-Quint de veiller à la conservation d'une santé sur laquelle reposait à un si haut point le salut de la république chrétienne[79].

Dès que la porte de l'Empereur était ouverte, le confesseur Juan Regla entrait dans sa chambre, où il était souvent précédé par Juanello ; Charles-Quint priait avec l'un et travaillait avec l'autre. A dix heures, les ayudas de cámara et les barberos l'habillaient. Lorsque sa santé le lui permettait, il allait à l'église, ou bien de sa chambre il entendait la messe avec un profond recueillement. L'heure du dîner venue, il aimait à découper lui-même ce qu'il mangeait quand ses mains étaient libres, et il avait auprès de lui van Male et le docteur Mathys, tous les deux fort doctes, qui lui faisaient une lecture ou l'entretenaient de quelque sujet intéressant d'histoire et de science. Après le dîner, revenait Juan Régla, qui lui lisait d'ordinaire un fragment de saint Bernard, ou de "Saint Augustin, ou de saint Jérôme, sur lequel s'engageait une conversation pieuse. Charles-Quint prenait ensuite un peu de repos dans une courte sieste. A trois heures, il se rendait les mercredis et les vendredis au sermon de l'un de ses trois prédicateurs, ou, s'il ne pouvait pas y assister, ce qui lui arrivait souvent, Juan Regla était chargé de lui en rendre compte. Les lundis, les mardis, les jeudis, les samedis, étaient consacrés à des lectures que lui faisait le docteur Bernardino de Salinas[80]. Ces pauvres moines n'étaient, du reste, jamais pleinement rassurés devant lui, et dans le religieux pénitent de Yuste ils reconnaissaient toujours l'imposant empereur. Un jour, en se rendant à l'autel au moment de l'offrande, il fut obligé de prendre lui-même la patène que le moine interdit oubliait de lui offrir[81], et la première fois qu'il entra dans l'église, sa présence jeta dans un tel trouble le religieux qui devait lui donner l'eau bénite, qu'il demeura immobile et comme pétrifié. Saisissant alors le goupillon et s'aspergeant lui-même : Père, lui dit Charles-Quint, c'est ainsi qu'il faut faire désormais et sans avoir peur[82].

Le seul moine qu'il employa dans son service particulier, fut fray Lorenze del Losar, qui connaissait le pays et qui fut chargé de l'achat des vivres pour sa maison. Mais il ne paraît pas qu'il s'en soit beaucoup applaudi, car, quelque temps après, ayant permis à Quijada d'aller voir sa famille à Villagarcia, il le rappela en lui faisant dire de venir au plus tôt, parce que son service avait besoin de lui, et que les moines n'y entendaient rien[83]. Gaztelù ajoutait : Je crois que Sa Majesté est à présent persuadée qu'il lui convient de n'employer les moines en quoi que ce soit[84].

Le séjour de Yuste plaisait infiniment à l'Empereur. Il y goûtait avec une douceur profonde le plaisir inaccoutumé d'être en repos et de se porter mieux. Mais ce qui avait tant de charme pour lui faisait la désolation de ses serviteurs. La solitude de cette maison et de cette terre, écrivait Quijada, est aussi grande que Sa Majesté a pu la désirer depuis tant d'années. C'est la vie la plus délaissée et la plus triste qui se soit jamais vue... Personne ne saurait la supporter, si ce n'est ceux qui laissent et leurs biens et le monde pour devenir moines[85]. Il y était fort peu disposé pour sa part, et il ajoutait dans une autre lettre, après avoir obtenu de l'Empereur l'autorisation de se retirer quelque temps dans son château : J'espère bien n'avoir plus à manger les asperges et les truffes de ce pays[86].

Charles-Quint était depuis vingt et un jours au monastère lorsque arriva le 24 février, fête de saint Matthias. Cette fête était pour lui un grand anniversaire : c'était le 24 février qu'il était venu au monde, en 1500 ; qu'il s'était assuré, en 1525, la possession de l'Italie par la victoire de Pavie et la captivité de François Ier ; qu'il avait été couronné empereur à Bologne, en 1530, et il avait en singulière dévotion l'apôtre qui avait ainsi présidé à sa naissance et à ses plus hautes prospérités. Aussi célébrait-il avec une vénération reconnaissante la fête de saint Matthias, à laquelle un pape avait attaché des indulgences partout où se trouverait Charles-Quint. Ce jour-là, les habitants de l'Estrémadure vinrent à Yuste de quarante lieues à la ronde, afin de gagner l'indulgence promise à leur piété, et aussi afin de voir le religieux et grand empereur auquel ils en étaient redevables. On avait dressé hors du monastère, au milieu des champs déjà ranimés par la vive lumière et la chaleur naissante d'un printemps précoce, un autel et une chaire pour la messe et la prédication des pèlerins. Quant à l'Empereur, dont les officiers et les serviteurs avaient communié dès le matin avec leurs habits de fête, il put lui-même, richement vêtu et portant le collier de la Toison d'or, se rendre jusqu'au pied du grand autel du couvent, où il remercia Dieu de toutes les félicités dont il l'avait comblé durant le cours de sa vie, et où il déposa autant de pièces d'or qu'il comptait d'années, en y comprenant celle dans laquelle il entrait le 24 février 1557[87]. Vous ne sauriez croire, écrivait Quijada à Vasquez, comme Sa Majesté se porte bien ; le jour de saint Matthias il est allé sur ses jambes, en étant, il est vrai, un peu aidé, faire lui-même son offrande au maitre-autel[88].

Trois jours après, il envoya à Valladolid Martin Gaztelù, avec des instructions pour la gouvernante d'Espagne relatives soit à ses arrangements particuliers à Yuste, soit aux levées d'argent qu'exigeait le service du roi son fils. Il le chargea en même temps d'une lettre ainsi conçue pour le ministre principal : Juan Vasquez de Molina, mon secrétaire et de mon conseil, ayant achevé de prendre en tout ma résolution, et de fixer ce dont j'aurai besoin chaque année pour ma dépense, j'ai jugé à propos de faire partir Gaztelù, afin qu'il en instruise la princesse ma fille, et qu'on règle comment, à qui et à quelles époques il conviendra de le fournir[89]. La somme qu'il avait indiquée comme nécessaire à son entretien ne s'élevait qu'à vingt mille ducats d'or[90]. Il l'avait auparavant bornée à seize mille, mais il s'était aperçu qu'elle était insuffisante[91]. Le payement en fut établi sur les mines d'argent de Guadalcanal, qu'on exploitait non loin de Yuste, dans la sierra Morena, et qui commençaient à donner des produits considérables ; il s'était en outre ménagé la perception d'un droit de onze et six sur mille que recevait pour lui le facteur général Herman Lopez del Campo[92]. Satisfait de cet arrangement, l'Empereur tenait de plus en réserve trente mille ducats d'or déposés dans un coffre au château de Simancas[93], pour l'acquittement, après sa mort, des legs pieux qu'il prescrivait par son testament. Il répandit de grandes aumônes à Yuste et dans les villages voisins, qu'une forte disette désola et dépeupla en partie l'année suivante, et où il délivra des prisonniers pour dettes et maria de jeunes filles pauvres[94].

Il avait poursuivi avec activité la venue de l'infante de Portugal. Lourenço Pires de Tavora, après d'infructueuses conférences à Valladolid avec les reines de France et de Hongrie, était revenu à Yuste. La mère et la tante de doña Maria, démêlant dans les artificieuses propositions de mariage que faisait Jean III l'intention où était ce prince de retenir sa sœur en Portugal, demandèrent avant tout qu'elle pût se rendre librement en Espagne, comme les traités lui en donnaient le droit. Elles adressèrent à l'Empereur un long mémoire à ce sujet, et le firent supplier de plus par Vasquez[95] de ne pas souffrir que Jean III gardât l'infante en quelque sorte prisonnière, sous prétexte de lui trouver un mari qu'il ne se souciait pas de lui donner. De son côté, Jean III, irrité des impatientes et injurieuses exigences des deux reines, avait ordonné à Lourenço Pires d'aller retrouver l'Empereur, dont les paroles seules auraient de l'autorité sur lui[96].

Pires arriva au monastère le 4 mars. Charles-Quint, tout occupé dans ce moment de ses dévotions et privé d'ailleurs de son secrétaire Gaztelù, qui était encore à Valladolid, envoya à Quacos pour quelques jours Pires, qui y devint l'hôte de Quijada. Lorsque la négociation tut reprise, le 7 mars, elle fut très-simplifiée. L'infante déclara qu'elle ne voulait pas se marier[97]. Restait la question seule du voyage. Pour la résoudre comme il l'entendait, Charles-Quint s'y prit fort adroitement. Il loua beaucoup l'affectueuse sollicitude de Jean III, qui s'était conduit envers l'infante encore plus en père qu'en frère. Mais il ajouta que Jean III ne devait pas se faire un cas d'honneur de la laisser partir sans être mariée ; que telle était son opinion comme chrétien et comme cavallero[98]. Lourenço Pires lui ayant objecté que, au dire de l'ambassadeur portugais, Soano Rodriguez Correa, arrivé récemment de Londres, la présence de l'infante à la cour de Philippe II serait d'un mauvais effet et pourrait même exciter les inquiètes défiances de la reine d'Angleterre, l'Empereur lui répliqua que les Anglaises n'étaient point jalouses, et que d'ailleurs l'infante demeurerait en Espagne, où sa présence n'aurait aucun inconvénient[99]. Il insista donc pour que Jean III, respectant les stipulations du traité de mariage du roi dom Manuel son père, permit à l'infante de venir auprès de la reine Éléonore. Je l'attends, dit-il, de son amitié comme la plus grande faveur qu'il puisse me faire dans ma solitude. Eussé-je la possession de plus de royaumes et d'États que je n'en ai laissé, je n'emploierais pas autre chose que la prière, qui m'est commandée par la nouvelle profession que j'ai prise[100].

C'est ce qu'il écrivit à Jean III et à la reine Catherine, sa sœur, en expédiant Lourenço Pires pour Lisbonne[101]. Les favorables effets de son intervention ne se firent pas longtemps attendre. Jean III autorisa le départ de l'infante. Il l'annonça lui-même à Charles-Quint par l'envoi d'un gentilhomme portugais, qui lui porta aussi des lettres de la reine Catherine[102], et auquel Charles-Quint, dans son contentement, donna une chaîne d'or de cent ducats[103]. L'évêque de Salamanque et le marquis de Villanueva furent désignés[104] pour aller recevoir à la frontière de Portugal l'infante, auprès de laquelle l'Empereur approuva l'envoi de don Geronimo Ruiz[105] pour régler l'état de sa maison et le nombre de ses serviteurs.

En même temps que se concluait cette affaire de famille qui comblait de joie les deux sœurs de Charles-Quint, l'Empereur avait traité d'autres affaires de très-grande importance et qui touchaient aux intérêts essentiels de la monarchie espagnole.

 

 

 



[1] Cette description est faite d'après le Père Joseph de Siguenza, part. III, liv. I, p. 190 ; le chap. XII du manuscrit hiéronymite espagnol, imprimé dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 15 et 14, et d'après le plan primitif, mais modifié plus tard sur quelques points, et qui est annexé au manuscrit de don Tómas Gonzalez.

[2] Quijada écrivait en septembre : Su Magestad quiere tomar pasa tiempo en hacer un jardin en lo alto, que es donde esta un terrado, et cual quiere cuhrir y traer una fuente en medio del, y á la redonda por los lados hacer un jardin de muchos naranjos y flores ; y lo mismo quiere hacer en lo bajo. (Retiro, estancia, etc., fol. 158 v°, 139 r°. — Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 177.)

[3] ..... Y al fin rodeado todo de naranjos y cidros que se lançan por las mismas ventanas de las quadras, alegrandolo con olor, color y verdura. (Fray Joseph de Siguenza, part. III, liv. I, p. 190.)

[4] Manuscrit hiéronymite, c. X, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 10 et 11.

[5] Quijada y voyait des inconvénients (Retiro, estancia, etc., fol. 75 v°. — Retraite et mort de Charles Quint, etc., vol. I, p. 59.)

[6] Lettre de Quijada à Vasquez du 4 février 1557. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 118.

[7] Robertson, Histoire de Charles-Quint, liv. XII.

[8] Sandoval, Vida del emperador Carlos V en Yuste, § 5, p.825.

[9] Robertson, Histoire de Charles-Quint, liv. XII.

[10] Qu'il fit dresser par Gaztelù le 8, et qu'il signa le 9 septembre, douze jours avant sa mort. Il est dans Sandoval, Vida del emperador Carlos V en Yuste, p. 881 à 891, et dans Retiro, estancia, etc., Appendices n° 11 et 12, fol. 107 v° à 121.

[11] Cet inventaire, dressé par Quijada et Gaztelù, du 28 septembre au 1er novembre 1558, après la mort de l'Empereur, est dans Retiro, estancia, etc., Appendice n° 7, fol. 41 à 54.

[12] Article Tapiceria, dans l'Inventaire, Appendice n° 7, fol. 51 v°.

[13] Appendice n° 7, fol. 52 r°.

[14] Appendice n° 7, fol. 52 v°.

[15] Appendice n° 7, fol. 52 r° et v°.

[16] Vie du Titien, par Vasari, t. XIII des Vite dé più eccelenli pittori, scultori, etc., édit. de Milan de 1841, in-8°, p. 374-375.

[17] Cruces, pintures, y otras cosas, dans l'Inventaire, fol. 50-51, et aussi fol. 42 r°.

[18] Retiro, estancia, etc., Appendice n° 7, Inventaire, fol. 50 r° ; Vasari, t. XIII, p. 376-377.

[19] En 1574.

[20] Ce tableau, de douze pieds huit pouces de haut sur huit pieds sept pouces de large, fut transporté, en 1574, du couvent de Yuste à l'Escurial, où il fut placé dans l'aula de Moral ; il y est resté jusqu'après 1833. Aujourd'hui il se trouve au musée royal de Madrid, sous le n° 752. Il fut gravé par Cort en 1566, sous les yeux mêmes du Titien. Cette gravure, d'après laquelle j'en ai fait la description, se voit au dépôt des estampes de la Bibliothèque impériale.

[21] Retiro, estancia, etc., Appendice, fol. 50.

[22] C'est peut-être le Florentin et maestro Miguel dont Çean Bermudez raconte la venue et expose les travaux en Espagne dans le deuxième volume de son Diccionario historico de los mas ilustres professores de las bellas artes en España. Madrid, 1800.

[23] Retiro, estancia, etc., Appendice, fol. 50-51.

[24] Retiro, estancia, etc., fol. 50 v°.

[25] Retiro, estancia, etc., Appendice, fol. 50 v°.

[26] Retiro, estancia, etc., Appendice, fol. 48 r°. — Ibid., fol. 49 r°.

[27] Retiro, estancia, etc., fol. 49 r°.

[28] Le fameux Cardan, après avoir parlé, dans le livre XVII, De artibus, des horloges à ressorts et à roues dentelées qui avaient succédé aux horloges à poids et à cordes, et dans la confection desquelles excellait Giovanni Torriano, dit qu'il fit, au moyen de ressorts et de cercles sur un char de campagne, un siège où l'Empereur était immobile quel qu'en fût le mouvement, et qu'il construisit pour lui une horloge qui donnait toutes les divisions de la terre et tous les mouvements des astres dans le ciel. Cardan, De subtilitate, p. 478, édit. pet. in-fol., Bâle, 1582.

[29] Retiro, estancia, etc., Appendice n° 7, Inventaire, fol. 51 v°.

[30] Retiro, estancia, etc., fol. 51 r° et v°

[31] Retiro, estancia, etc., Appendice n° 7. Inventaire, fol. 45 v° et 48 v°.

[32] Retiro, estancia, etc., fol. 51 r°.

[33] Il en est dénombré plus de trente paires. Retiro, estancia, etc., fol. 43 V° et 44 r°.

[34] Retiro, estancia, etc., fol. 43 r° et v°.

[35] Retiro, estancia, etc., Appendice n° 7, Inventaire, fol. 42 v° et 45 r°.

[36] En Espagne d'abord, vers 1548, puis chez Jean Steelz, à Anvers, en 1550, dans l'original espagnol et la traduction latine et dans une traduction flamande ; à Paris, en français, en 1551 ; en italien, à Venise, en 1549 et 1555. Lettres de Malinæus (van Male) sur la vie intérieure de Charles-Quint, par le baron de Reiffenberg ; Introd., p. XXIV-XXV, et p. 8-9, gr. in-8°, Bruxelles, 1843.

[37] Lettre de Malinæus, du 13 janvier 1551. Reiffenberg, p. 15-16.

[38] Avec des couvertures de velours cramoisi. Retiro, estancia, etc., Appendice n° 7, Inventaire, fol. 43 v°.

[39] Vita Hadriani sexti, auctore Gerardo Moringo, cap. XII, p. 50-51, dans Casparus Burmannus, in-4°, Utrecht, 1727.

[40] Los Commentarios de Cesar en Toscano. (Retiro, estancia, etc., Appendice n° 7, Inventaire, fol. 45 r°.)

[41] Lettre de Malinæus, écrite, le 17 juillet 1550, d'Augsbourg, dans Reiffenberg, p. 12.

[42] Charles-Quint avait d'abord permis à van Male de les traduire en latin, après qu'ils auraient été vus par Granvelle et par son fils, et van Male se proposait de les traduire en style composé des styles mêlés des plus célèbres historiens latins. Statui, disait-il au seigneur de Prat, novum quoddam scribendi temperamentum effingere mixtum ex Livio, Cæsare, Suetonio, Tacito. Mais bientôt Charles-Quint s'était ravisé, et van Male ajoutait déjà : Iniquus tamen est Cæsar et nobis et sæculo, quod rem supprimi velit et servare centum clavibus. (Reiffenberg, p. 13.)

[43] Sandoval, Historia de Carlos V, liv. XXXII, § 15. Il paraît que le Père Borja dissuada Charles-Quint de publier ses Commentaires. Voyez l'article de M. Macaulay dans la Revue britannique, année 1842.

[44] Van Male mourut en janvier 1561, après avoir lacéré et brûlé beaucoup de papiers ; mais Philippe II, en apprenant sa mort, craignit qu'il n'eût fait une histoire de Charles-Quint, et il écrivit à Granvelle, le 17 février, de visiter les papiers de van Male et de lui envoyer ceux que van Male pouvait avoir écrits sur l'histoire de l'Empereur son père, afin qu'il les jetât au feu. Papiers d'État du cardinal de Granvelle, t. VI, p. 273. Granvelle répondit, le 7 mars, à Philippe II, pour le rassurer, en lui disant : Qu'il n'avait rien trouvé dans les papiers de van Male, qu'il s'était plaint que Quijada lui eût enlevé de force les Mémoires qu'il avait écrits avec l'Empereur, et qui, de plus, avait détruit beaucoup de papiers avant de mourir. (Ibid., t. VI, p. 291.) — Depuis lors on ne trouve plus aucune trace des Commentaires de Charles-Quint, qui ont été perdus ou détruits, et sur le sort desquels M. Gachard a inséré une intéressante dissertation dans le Bulletin de l'Académie de Bruxelles, t. XII, Ire partie, p. 29-58. — Tout récemment, D. Manuel Garcia Gonzalez, garde des archives royales de Simancas, a transmis à M. Gachard une liste des objets ayant appartenu à Charles-Quint et réservés pour le roi son fils. Il s'y trouve cette indication précieuse : Una boisa de terciepolo negro de papeles, la cual llevô et señor Luis Quijada, con algunos papeles de importancia, sellados, para entregallo todo à Su Magestad Real. Lo cual estaba á cargo de Guillermo Malineo, segan dijo et dicho Joanes (Janin Stercke que servia en Yuste de guardajoyas).

M. Gachard, dans une nouvelle dissertation sur les Commentaires de Charles-Quint, a conclu, avec toute vraisemblance, que les papiers contenus dans ce sac de velours étaient les Mémoires de l'Empereur pris à van Male par Quijada, et remis à Philippe II, qui les jeta au feu, comme il y aurait jeté l'histoire de l'Empereur par van Male si on l'avait trouvée à Bruges. (Académie royale de Belgique, vol. XXI des Bulletins, n° 6.)

[45] Retiro, estancia, etc., fol. 43 v°.

[46] Retiro estancia, fol. 48 v°.

[47] Retiro estancia, fol. 48 v°.

[48] Retiro estancia, fol. 48 r°.

[49] Retiro estancia, fol. 48 v°.

[50] Retiro estancia, fol. 41.

[51] Plata de la capilla. (Retiro, estancia, etc., fol. 44.)

[52] Plata de la capilla, plata que servia en la cámara, en la panateria, en la cava, en la sauseria, en la botica, en la cereria, y al cargo del guardajoyas. (Retiro, estancia, etc., fol. 44-49.)

[53] Voir cette liste tirée des archives de Simancas, avec les noms dont l'exactitude est rétablie par M. Gachard aux pages L et LI de la préface de Retraite et mort de Charles-Quint, etc.

[54] Le florin de Flandre pesait alors 6 fr. 97 cent. de notre monnaie et valait 200 maravédis du temps. La valeur dû florin serait aujourd'hui trois fois plus forte au moins que son poids métallique, à cause de l'abaissement successif du pouvoir de l'argent, qui se fit sentir surtout dans le seizième siècle, par suite de la découverte des mines du nouveau monde. D'après les évaluations savantes et judicieuses de M. Leber dans le Mémoire sur l'appréciation de la fortune privée au moyen âge, inséré dans le premier volume des Savants étrangers du Recueil de l'Académie des inscriptions et belles-lettres, le pouvoir de l'argent descendit, sous le même poids, de 11 à 6, depuis Charlemagne jusqu'au premier quart du seizième siècle, à 4 dans le deuxième quart, à 3 dans le troisième quart, et à 2 dans le dernier quart.

[55] Codicille. A Guyon de Moaran my guardarropa, etc. (Retiro, estancia, etc., Appendice n° 12, fol. 115 v°.) Il était baron et seigneur de Terny et de Beaumont. Il fut brûlé en 1565 par inquisition. — P. 26, note 2 du manuscrit hiéronymite analysé par M. Bakhuizen. — Groen van Prinsterer, Archives de la maison de Nassau, t. I, p. 278.

[56] Retiro, estancia, etc., Codicille, Appendice n° 12, fol. 116 et 117 r°.

[57] Retiro, estancia, etc., fol. 117-120.

[58] D'après l'évaluation métallique relative ci-dessus.

[59] C'est ce que Quijada avait écrit à Vasquez le 2 février, en lui disant que l'Empereur enviara á Valladolid treinta acémilas ; que los caballos todos los habia regalado, quedandose solo con uno, con seis mulos, dos mulas, y dos literas y una silla de manos. (Retiro, estancia, etc., fol. 91 v°.)

[60] Sandoval, Vida del emperador en Yuste, d'après le manuscrit du prieur fray Martin de Angulo, § 11, p. 824.

[61] Retiro, estancia, etc., fol. 93.

[62] Ils sont mentionnés dans le codicille de l'Empereur, qui s'en remet à sa fille pour la récompense qui doit leur être accordée. Appendice n° 12, fol. 120 r°.

[63] Siguenza, part. III, cap. XXXVII, p. 192-193. — Manuscrit hiéronymite, ch. XX, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 24-25.

[64] Toute son histoire est racontée par Siguenza, partie III, lib. II, p. 446-449.

[65] Llorente, Histoire critique de l'Inquisition, t. III, c. XXIX, art. 2, § 8.

[66] Lettre de Gaztelù à Vasquez du 16 janvier 1557, Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 90.

[67] Siguenza, c. XXXVI, p. 190, part. III. — Manuscrit hiéronymite analysé par M. Bakhuisen, c. XVI, p. 30.

[68] Siguenza, part. III, lib. II, p. 448.

[69] Manuscrit hiéronymite, c. XVI, dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 19-20.

[70] Siguenza, part. III, p. 448, 449.

[71] Voir Contarini, en 1525, Tiepelo, en 1552, dans Alberi, série I, vol. II, p. 61, et vol. I, p. 65.

[72] Bernardo Navagero, en 1546 ; dans Alberi, sér. I, v. I, p. 342.

[73] Marino Cavalli, en 1551 ; Alberi, sér. I, vol. II, p. 215.

[74] Feder. Badoaro, en 1557. Ms. Saint-Germain Harlay, n° 277.

[75] Relazione di Moncenigo, en 1548, dans Bucholtz, Geschichte der Regierung Ferdinand des ersten, t. VI.

[76] Manuscrit hiéronymite, c. XXI ; dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 25-26.

[77] Marino Cavalli, dans Alberi, série I, vol. II, p. 207 908.

[78] Leurs noms et la somme d'argent qui fut donnée à chacun d'eux sont dans Retiro, estancia, etc., fol. 255 v° à 257 r°.

[79] Cette bulle, du 19 mars 1554, est dans Siguenza, part. III, c. XXXVII, p. 194.

[80] Tous ces détails sont tirés de fray Joseph de Siguenza, ibid., p. 192-195, et des chapitres XIX-XXII du manuscrit hiéronymite publié dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 22 à 27.

[81] Siguenza, p. 195 ; Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, c. XXVI, p. 32.

[82] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 104 ; ibid., c. XXVI, p. 32.

[83] Retiro, estancia, etc., fol. 127 r°.

[84] Retiro, estancia, etc., fol. 127 r°.

[85] Retiro, estancia, etc., fol. 94 v°.

[86] Lettre de Quijada à Vasquez du 28 mars. — Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 155.

[87] Siguenza, part. III, c. XXXVII, p. 195. — C. XXIII du Ms. hiéron., dans Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 27-28.

[88] Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 127.

[89] Retiro, estancia, etc., fol. 95 r°.

[90] Dándose por contento y servido de que los 20e ducados que habia fijado definitivamente para sus gastos y assistencia en et monasterio se hubiesen consiguados sobre et producto de las minas de Guadalcanal. (Retiro, estancia, etc., fol. 97 v°.) Le ducat, dont il était taillé 98 dans la livre d'or de 12 onces espagnoles, valait 12 de nos francs comme poids, et représentait 375 maravédis de veillon. Voyez Demonstracion historica del verdadero valor de todas las monedas que corrian en Castilla, etc., par le Padre fray licenciado Saez, Madrid, 1805, in-4°, p. 258-259. D'après l'évaluation ci-dessus, cette somme équivaudrait à 720.000 de nos francs.

[91] Lettre de Quijada à Vasquez du 14 mars. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 130.

[92] Once y seis al millar. Il en est fait mention dans la lettre que Charles-Quint écrit, le 27 février 1557, à Vasquez, Retiro, estancia, etc., fol. 95 r° ; dans celle du 19 mai au même, fol. 108 r°, et dans son codicille du 9 septembre 1558. Ibid. Appendice n° 12, fol. 120-121.

[93] Retiro, estancia, etc., fol. 126 v°, et Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. II, p. 214, note 1.

[94] Siguenza, part. III, p. 191. Manuscrit hiéronymite, c. XVII dans Retraite et mort de Charles-Quint, vol. II, p. 20.

[95] Lettres de Vasquez à l'Empereur du 26 et du 50 janvier 1557. Retraite et mort de Charles-Quint, etc., vol. I, p. 101 à 104, et p. 106 et 107.

[96] Lettre de Jean III à Lourenço Pires du 21 février 1557. Collection de pièces diplomatiques recueillies par le vicomte de Santarem.

[97] Dépêche de Lourenço Pires à Jean III, mars 1557. Même collection.

[98] Dépêche de Lourenço Pires à Jean III, mars 1557. Même collection.

[99] Dépêche de Lourenço Pires à Jean III, mars 1557. Même collection.

[100] Dépêche de Lourenço Pires à Jean III, mars 1557. Même collection.

[101] Lettres de Quijada et de Gaztelù à Vasquez du 14 mars. Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 129, 131, 132.

[102] Lettre de Gaztelù à Vasquez du 12 avril. Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 143.

[103] Lettre de Gaztelù à Vasquez du 30 avril. Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 145.

[104] Lettre de l'Empereur à Vasquez du 31 mars. Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 140.

[105] Lettre de Gaztelù à Vasquez du 19 mai. Retraite et mort de Charles-Quint, vol. I, p. 150-151.