HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION

 

LIVRE XIV.

CHAPITRE IV. — LA CONVENTION POUR LE NOUVEAU MOUVEMENT.

(11-21 novembre 1793).

 

La Convention donne les églises et presbytères aux pauvres et aux écoles (16 novembre). — Elle supprime l'hérédité du crime. — Hébert, isolé de Chaumette, attaque les Conventionnels. — La Convention effrayée se rapproche de Robespierre. — Chabot et Basire en prison (17 novembre). — Terreur des représentants en mission. — La monarchie des comités (18 novembre). — Elle n'osa toucher les petites tyrannies locales. — Mouvement des filles publiques et des dames de la halle. — La Convention accueille les dépouilles des églises. — Robespierre assure que la Convention ne touchera pas au Catholicisme (21 novembre).

 

La grande initiative de la Commune fut suivie sans difficulté de la Convention. Elle décréta, le 16 novembre, sur la proposition de Cambon : qu'en principe, tous les bâtiments qui servaient au culte et au logement de ses ministres devaient servir d'asiles aux pauvres et d'établissements pour l'instruction publique.

L'Assemblée, par ce seul mot, déclarait implicitement le catholicisme déchu du culte public.

La Convention pensa, ce qu'ont si bien démontré M. de Bonald et M. de Maistre, que royalisme et catholicisme sont choses identiques, deux formes du même principe : incarnation religieuse, incarnation politique.

Le christianisme même, démocratique extérieurement et dans sa légende historique, est en son essence, en son dogme, fatalement monarchique. Le monde perdu par un seul est relevé par un seul. Et cette restauration continue par le gouvernement d'un seul. Dieu y dit aux rois : Vous êtes mes Christs. Bossuet établit admirablement contre les protestants, contre les républicains catholiques, que, le christianisme donné, la royauté en ressort, comme sa forme logique et nécessaire dans l'ordre temporel.

La vie du catholicisme, c'est la mort de la république. La vie de la république, c'est la mort du catholicisme.

La liberté du catholicisme, dans un gouvernement républicain, est uniquement et simplement la liberté de conspiration.

Un système, un être, est-il obligé, au nom de la liberté, à laisser libre ce qui doit nécessairement le tuer ? Non, la nature n'impose à nul être le devoir du suicide.

La Convention ne s'arrêta pas aux Grégoire, à l'inconséquence des absurdes gallicans, qui ne savent pas seulement ce qui est au fond de leur dogme. Ce clergé assermenté, républicain de position, n'en gardait pas moins, par la force des choses et comme clergé catholique, les principes les plus ennemis de la Révolution. Leur patriarche Grégoire meurt dans le dogme monarchique du monde sauvé par un seul, dans la foi contre-révolutionnaire de l'hérédité du crime (ou péché originel). Il meurt « enfant soumis du pape u, finit comme a fini Bossuet. C'est l'invariable histoire de cette église, ridicule et respectable, un grand esprit de résistance, de l'éloquence et des menaces ; — tout cela, en conclusion, pour se faire fouetter à Rome.

Du reste, la Convention ne persécuta nullement le clergé soumis aux lois. Elle laissa Grégoire siéger tant qu'il voulut, en habit violet. Elle maintint les pensions ecclésiastiques, et nourrit ces gallicans, qui travaillèrent la plupart à la destruction de la République.

Ce qui est assez remarquable, c'est que ce décret de Cambon qui enlevait au clergé les églises et les presbytères, fut voté sans réclamation, ni des gallicans, ni des robespierristes, leurs patrons, et l'on put croire qu'il avait pour lui l'unanimité de l'Assemblée.

Ce même jour, 16 novembre, la Convention expia le dernier sacrifice humain. Les enfants de Calas étaient à la barre ; ils furent accueillis avec effusion ; on décréta une colonne pour la place de Toulouse où Calas subit son martyre. Voltaire, enfin satisfait, reposa dans son tombeau.

Le principe terrible du moyen-âge (l'hérédité du crime ou péché originel), frappé déjà par la Constituante, fut décidément rayé par la Convention, ut d'une manière sublime. Elle adopta, comme enfants de la France, ceux des suppliciés. Des secours furent donnés aux enfants indigents des Girondins qui venaient de périr. Le président formula ainsi la pensée de l'Assemblée, la foi du monde nouveau : Les fautes sont personnelles ; le supplice mérité du père n'empêche pas la nation de recueillir les enfants (17 ventôse). Ce président était Saint-Just.

Cette doctrine n'était point du tout la clémence, mais la justice. La question du moment ne pouvait être d'arrêter la Terreur, lorsque le monde entier l'employait contre la France. Mais on pouvait rendre la Terreur moins aveugle et plus efficace. Là encore, au défaut des hauts Comités gouvernementaux qui n'essayaient rien, la Commune de Paris avait pris l'initiative. Nous l'avons vue déjà réformer en divers cas les décisions fantasques des comités de sections qui terrorisaient pour leur compte, au hasard de leurs passions. Le 15 novembre, Chaumette hasarda de poser la chose en principe, revendiqua pour la Commune qui, depuis le 8 septembre, épurait, recréait ces comités, la surveillance et la censure de leurs actes, exigeant du moins qu'ils correspondissent avec elle, travaillassent au grand jour, ne fussent plus une inquisition.

Ce grand mouvement de la Commune, qui ouvrait à la Révolution sa voie religieuse en essayant de la guider dans sa voie politique, fut accueilli, poussé unanimement dans les provinces par les Représentants en mission. Ils changèrent partout les églises en temples de la Raison. Partout, ils organisèrent la prédication religieuse et politique du décadi. Seulement, la majorité des masses républicaines entendant par le mot Raison la Raison divine, ou Dieu, la figure féminine que l'on promena s'appela la Liberté. L'attachement des patriotes à cette forme de culte parut en ceci, que les robespierristes même qui l'écrasèrent à Paris, furent obligés de la ménager infiniment dans les départements, et, même après que Robespierre eut fait périr Clootz et Chaumette, les sociétés populaires des frontières, nos armées victorieuses ouvraient encore, même hors de France, des temples de la Raison.

L'obstacle vint non de la France, mais de Paris même, du désaccord de la Commune, de la désertion d'Hébert qui abandonna Chaumette, de la violente opposition du Comité de Salut public et de Robespierre[1], singulièrement jaloux de l'allure indépendante qu'avait prise la Convention en cette affaire, irrités surtout de la grande décision prise (le 16) sans les consulter, de la majorité inattendue que Cambon avait trouvée sur ce terrain, et qui, si on ne la brisait, se retrouverait sur bien d'autres.

La décision du 16, en un mot, parut au Comité un cas de révolte.

La partie honteuse et faible où Clootz et Chaumette étaient vulnérables était l'alliance d'Hébert. Étrange apôtre ! une doctrine qui passait par la gueule du Père Duchesne, bonne ou mauvaise, d'avance était tuée. Et non-seulement Hébert salissait l'idée nouvelle, mais il la compromettait et la ruinait directement, en frappant la Convention, dont l'alliance faisait seule la force de la Commune.

Hébert paraissait très-peu à la Commune, ne s'entendait nullement avec Chaumette, vivait aux Jacobins, à son journal, au spectacle, dans certaines compagnies. Il marchait seul, et dans ses voies. Pendant que Chaumette, assidu à l'Hôtel-de-Ville, y tentait son suprême effort pour subordonner à la Commune les comités révolutionnaires, Hébert, pour se les attacher, lançait contre la Convention toutes les fureurs des Jacobins. On pouvait prévoir aisément que l'Assemblée qui avait essayé quelques pas hardis à la suite de la Commune, effrayée par les Hébertistes, se réfugierait sous l'aile de Robespierre, qui étoufferait le mouvement à la grande satisfaction de tous les amis du passé.

Hébert, sans s'en apercevoir, agit au profit des robespierristes, et le plus souvent sous leur influence. Ils s'en servirent comme d'un épouvantail pour pousser à eux le troupeau.

Les objets habituels des morsures du Père Duchesne étaient les faiblesses de Basire, les belles solliciteuses, la corruption de Chabot, les méfaits, vrais ou supposés, de l'ancien Comité de sûreté, généralement dantoniste. Le nouveau, très-robespierriste alors, surveillé, mené, poussé par David (l'homme de Robespierre), guettait cet ancien comité et voulait le perdre, croyant avec raison que Danton serait mortellement atteint par ce procès dantoniste. Chabot venait de se marier avec la sœur d'un banquier autrichien, fort suspect, et d'autre part on savait qu'il tripotait avec des banquiers royalistes, amis des représentants Delaunai et Julien de Toulouse. David, pour être mieux instruit, se fit l'amant de la maîtresse de Delaunai, et quand par elle il eut de quoi perdre Chabot, il le livra préalablement aux attaques du Père Duchesne. Chabot eut peur, fit inviter à dîner celui-ci par sa jeune femme. Hébert n'en tint compte, le poussa à mort, mais comme les chiens trop ardents, il se fit mal à lui-même, et, mordant Chabot, se mordit.

Cette chasse se fit aux Jacobins, Celui qui lancé la bête, fut un Dufourni qu'Hébert croyait hébertiste, mais qui ne bougeait pas de l'antichambre des Comités, et dont le zèle excessif lassait Robespierre. Un ami personnel de celui-ci, Renaudie, juré du tribunal révolutionnaire, poussa, avec Dufourni, sur Basire, sur Chabot, sur Thuriot.

Le tout, rédigé en une pétition atroce à la Convention, pétition menaçante, méprisante, où on lui prescrivait d'être impitoyable pour elle-même et de se saigner aux quatre membres,

Hébert était si aveugle qu'il rendit cet acte plus utile encore à Robespierre que les robespierristes ne l'avaient voulu, faisant demander en outre la mort des soixante-treize qu'avait défendus Robespierre, et poussant la Convention à chercher son salut en lui !

Basire, Thuriot, s'excusèrent. La Convention supprima la faible et dernière barrière qu'elle avait élevée le 9 entre la vie de ses membres et la guillotine (son droit d'examen préalable sur tout représentant qu'on accuserait). Hébert n'en suivit pas moins contre Thuriot son élan sauvage : Le 13, il le fit chasser des Jacobins, sans lui tenir compte de l'appui qu'il avait donné à la Commune dans l'affaire religieuse, sans voir qu'il rompait l'alliance entre la Commune et la Montagne, A qui profiterait ce divorce ? Il était facile de le deviner.

Le 16, Chabot, poussé, pressé, étranglé aux Jacobins... se sauva chez Robespierre, qui, comprenant à merveille le parti qu'il en tirerait, ne le reçut pas trop mal, le conseilla paternellement, lui dit qu'il fallait dire ceci, ajourner cela, qu'au total, il n'y avait qu'une chose à faire, c'était d'aller au-devant, de se constituer prisonnier au Comité de sûreté générale, comme complice d'un complot où il n'était entré que pour le révéler.

La confession de Chabot, semblable à celle de Scapin, en fit savoir encore plus qu'on n'imaginait. Il fit découvrir lui-même cent mille francs qu'il avait reçus pour corrompre Fabre d'Églantine, mais dont il n'avait pu jusque-là se séparer, et que provisoirement il tenait suspendus dans ses lieux d'aisance.

Le plus étrange, c'est que le pauvre Basire, étranger à ces vilenies, se mit en prison avec le voleur. Basire n'était plus à lui. On avait lu le matin à la Convention le procès d'Osselin et de la jeune femme qu'il avait cachée. Chacun regardait Basire. Lui-même se reconnaissait. Lui aussi, il avait essayé de sauver des femmes, entre autres une princesse polonaise qui n'avait nulle pièce contre elle, et qui n'en périt pas moins. Basire, se croyant perdu, le fut en effet. Avec l'aveugle vertige du mouton qui par peur se jette à la boucherie, lui-même il alla se livrer.

La Terreur gagnait la Montagne. Chabot, il est vrai, était un fripon. Basire n'était pas sans reproche. Mais nombre de Montagnards, inattaquables sous les deux rapports, n'en étaient pas moins en péril, ceux surtout qui, dans leurs missions, avaient été obligés par la loi du salut public, d'agir en dictateurs, en rois, qui avaient fait et dû faire cent choses illégales, qui, sur chaque point de la France, s'étaient préparé des légions d'accusateurs. Maintenant, les faiseurs de discours, les sédentaires, les assis, les croupions, qui n'avaient jamais eu occasion de se compromettre avec les affaires, n'allaient-ils pas, à leur aise, recueillir ces accusations, éplucher cruellement la conduite de leurs collègues sacrifiés dans les missions, et dire : Seuls, nous sommes purs. Chose facile à qui n'a rien fait.

Mais ceux qui avaient ces craintes étaient, après tout, trop heureux, si en oubliant leurs services, on oubliait aussi leurs fautes. Les Comités lurent en eux cette pensée et cette peur. Et, le 18, ils présentèrent hardiment la grande loi gouvernementale qui fondait la monarchie des Comités de Salut public et de sûreté générale, brisant à leur profit d'une part le pouvoir de la Commune de Paris, d'autre part celui des Représentants en mission.

Cette loi fut présentée par Billaud-Varenne, qui, le 6 septembre, avait été porté au Comité par la victoire de la Commune. On le croyait hébertiste. Mais quelles que fussent ses sympathies pour le mouvement d'Hébert et Chaumette, elles étaient bien moins fortes que ses haines pour les Représentants illustrés par leurs missions. Billaud n'avait pas brillé dans la sienne à l'armée du Nord ; on plaisantait de son courage. Il satisfit ses rancunes et suivit d'ailleurs l'idéal d'unité gouvernementale, automatique et mécanique, qu'il avait naturellement dans l'esprit.

La loi nouvelle en trois choses, était un bienfait : 1° Elle créait le Bulletin des lois, en assurait la promulgation, la connaissance universelle ; 2° Elle resserrait les autorités diverses dans leurs limites naturelles ; 3° Elle supprimait les administrations départementales, aristocratie bourgeoise, d'esprit girondin, qui s'était montrée infiniment dangereuse pour la liberté.

Cette loi voulait la chose que toute la France voulait : Créer l'unité d'action, supprimer les petits tyrans.

Les Représentants en mission ne correspondent plus avec l'Assemblée, mais avec son Comité de salut public ;

Les comités de sections, de communes, ne correspondent plus qu'avec son Comité de sûreté générale.

Pour que les deux mots indiqués ne fussent pas un mensonge, il fallait qu'en effet la Convention pût appeler siens les deux Comités.

C'est-à-dire qu'ils fussent renouvelés, en tout ou partie, à époque fixe, et renouvelés de droit, par la force de la loi, non par le vote éventuel d'une Assemblée, ou terrorisée, ou quasi-déserte.

C'est ce que la loi se garde bien d'exiger. Et là est son crime. De temps à autre, ces rois (j'appelle ainsi les Comités) viendront dire, ayant derrière eux les clubs et la guillotine : Voulez-vous nous renouveler ?

Comment se fait-il que les membres des deux Comités, qui vraiment étaient patriotes, aient présenté ce piège à la Convention ?

Parce que leur vanité leur dit : Nous sommes les seuls, — les seuls purs, les bons citoyens,,. La Patrie périrait sans nous.

Qu'ils soient absous pour cette erreur. Nous allons montrer toutefois, d'après les actes authentiques qu'ils se trompaient absolument. Sans méconnaître l'éminent mérite de ces excellents citoyens qui se chargèrent de régner, il faut dire que l'originalité spéculative des hautes et grandes idées qui dominaient la situation sociale et religieuse, leur manqua entièrement, — et que, d'autre part, les deux grands actes pratiques qui tranchèrent les questions de salut (le Rhin, la Vendée) réussirent précisément parce qu'on ne suivit aucune des idées du Comité de salut public. Sa singulière indifférence à la question polonaise, en 94, témoigne aussi contre lui.

Le Comité de sûreté générale (ses registres le montrent assez) ne fit aucune des choses qu'il ôta à 13 Commune. Il ne centralisa point l'action de la police révolutionnaire. Il n'osa exercer sur les petits comités la surveillance qu'il interdisait à Chaumette.

Sa faiblesse ou sa négligence alla à ce point qu'il laissa un des comités, celui de la Crois rouge ou dg faubourg Saint-Germain, faire la spéculation lucrative d'avoir une prison à lui, où les gens très-riches payaient des pensions énormes. Au fond, ils achetaient la vie : le comité protégeait ses précieux pensionnaires ; cette maison fut entamée la dernière, en thermidor.

Si ces petits comités furent ainsi maîtres à Paris, sous les yeux du pouvoir, combien plus partout ailleurs ! Ils eurent à discrétion les fortunes et les personnes.

De sorte qu'en détruisant le fédéralisme départemental, on conserva tout entier le fédéralisme communal, et la tyrannie locale, si pesante et si tracassière, que la France en est redevenue monarchique pour soixante années.

La loi d'unité gouvernementale au profit des deux Comités, se vota pendant dix jours, du 18 au 29. Personne n'osa dire non.

Mais revenons sur nos pas, et suivons Paris.

De grands rassemblements de femmes se faisaient à Saint-Eustache, sous la protection des Dames de la Halle, maîtresses de cette église et très-bonnes royalistes ; mais elles ne l'étaient pas plus que les filles, contrariées par la Commune, qui frappait d'amende ceux qui les logeaient. Le Palais-Royal s'était fait dévot. Le royaliste Beugnot nous a conservé l'histoire d'Églé et autres, qui se firent guillotiner pour le trône et l'autel. On vit, vers le 15 novembre, une longue file de ces Madeleines, le rosaire en main, s'acheminer vers Saint-Eustache. Le but était d'expier la profanation de Notre-Dame, où, disait-on, on avait eu l'infamie d'exposer une femme nue sur l’autel. Cette belle légende fut répandue dans toute l'Europe, imprimée par les émigrés. D'autres disaient que l'évêque républicain de Cambrai avait eu, à son élection, pour concurrent une femme, et que, sans une voix qu'il eut de plus, l'histoire de la papesse Jeanne se renouvelait dans cet évêché. Dans la Vendée, on faisait mieux ; on fabriquait des hosties empreintes de figures d'animaux, pour faire croire aux paysans que la République adorait les bêtes.

L'Assemblée et la Commune apprenaient en même temps les scènes terribles qui suivirent le passage de la Loire. Une lettre portait : Leurs prêtres leur ont fait jeter des patriotes dans le feu, etc.

Quand l'Assemblée reçut, le 20, les ornements, les costumes de Saint-Roch et de Saint-Germain-des-Prés, elle les vit, comme elle eût vu un butin pris sur l'ennemi, les dépouilles des Vendéens, elle s'associa sans réserve à la passion populaire. Un mannequin, couvert d'un drap noir, figurait l'enterrement du fanatisme ; les canonniers de Paris, en habits sacerdotaux, exécutèrent une ronde pour célébrer son décès. Tous crièrent : Plus de culte que celui de la Raison, de la Liberté, de la République ! Un cri unanime partit : Nous le jurons ! nous le jurons ! Un enfant, sorti du cortège, demanda que l'Assemblée fît faire un petit catéchisme républicain. Émotion générale. On décrète que tout le détail sera envoyé à tous les départements.

Personne, d'après cette séance, ne douta que le décret obtenu par Cambon, le 16, ne fût mis à exécution, que l'Assemblée ne donnât les églises aux hôpitaux, les presbytères aux écoles, que le culte public du catholicisme ne fût supprimé.

Il ne fallait plus qu'une chose : qu'on en fit la motion.

L'Assemblée s'était montrée déjà fort audacieuse, d'agir sans l'aveu de son pédagogue, le Comité de salut public. Irait-elle jusqu'au bout ? Ce Comité était très-mécontent. Il se sentait fort, ayant un Chabot sous la clef, homme perdu, qui, pour plaire, étendait déjà ses accusations.

Dans ce moment où tant d'hommes tremblaient dans la Convention, la démentir outrageusement c'était une inconvenance, mais ce n'était pas un péril. Robespierre eut ce courage. Le soir du 21, aux Jacobins, il assura froidement : Que la Convention ne voulait point toucher au culte catholique, que jamais elle ne ferait cette démarche téméraire ;que leurs le fanatisme expirait, qu'il était mort, qu'il n'y avait plus de fanatisme que celui des hommes moraux, soudoyés par l'étranger pour donner à notre Révolution le vernis de l'immoralité.

La question posée le 16, ou plutôt déjà résolue per le décret de l'Assemblée, était de savoir si le clergé catholique conserverait la possession des églises. Robespierre n'en dit pas un mot. Il s'étendit longuement sur l'existence de Dieu.

Cela s'entendait de reste. Et quoique Robespierre assurât qu'il avait toujours été mauvais catholique, les catholiques le tinrent quitte des croyances, et virent en lui dès ce jour leur défenseur politique,

La Convention, dit encore Robespierre, n'est point un faiseur de livres, un auteur de systèmes métaphysiques. Dans un de ces discours qui suivent, il parla avec mépris du philosophisme. Ainsi l'élève de Rousseau allait s'enfonçant rapidement dans les voies rétrogrades. Le même jour où il opposait à l'Assemblée le veto de sa royauté, il fut pris du mal des rois, qui est : la haine de l'Idée.

Caractère indélébile de la nature dans l'homme le plus artificiel ! véridiques harmonies du dehors et du dedans !... Qui eût rencontré Robespierre, poudré, costumé dans la tenue de l'ancien régime, l'eût déclaré un ci-devant. Eh bien ! cet air ne mentait pas. Après tant d'efforts sincères, de progrès réels, d'élans, de nobles aspirations, tel il fut, tel il retombait, pour la question capitale, et redevenait l'espoir de ceux qu'il avait combattus !

Son discours du 21 novembre, justifiable ou louable pour tout ignorant qui n'y voit qu'une thèse générale et ne sait pas le sens précis que lui donnait le moment, fut parfaitement compris de l'Europe. Elle sentit dès lors que tôt ou tard la Révolution traiterait. En décembre 93, en juin 94, à la fête de l'Être-Suprême, les rois, aussi bien que les prêtres, espérèrent en Robespierre.

Quoiqu'en ce discours il eût suivi vraiment sa nature, et n'eût point du tout dévié, on crut y voir une grande conversion, un miracle et le doigt de Dieu. Et comme il y a au ciel cent fois plus de joie pour un pécheur qui revient que pour un juste, la joie fut intime, profonde, dans la Contre-révolution. Robespierre, sans s'en douter, était rentré par son discours dans le monde des honnêtes gens. Il n'y eut pas dès lors une femme bien pensante en Europe qui dans sa prière du soir n'ajoutât quelques mots pour M. de Robespierre.

 

 

 



[1] Une machine très-habile fut employée par les Robespierristes pour guérir le mal homéopathiquement, pour neutraliser par un autre culte celui de la Raison. Robespierre, très-peu sympathique à Marat (V. le remarquable ouvrage de M. Hilbey), avait empêché qu'on ne le mît au Panthéon. On fut bien étonné (le 14 novembre) de voir l'homme de Robespierre, David, demander que Marat y fût porté en pompe solennelle. La Raison ne pouvait manquer d'être compromise par la concurrence ou l'adjonction de ce nouveau Dieu. La dévotion des Cordeliers avait exposé son cœur à l'adoration perpétuelle avec une autre relique, le cœur du bossu Verrières. Les idiots mêlaient Marat avec le Sacré Cœur, marmottant : Cœur de Marat ! cœur de Jésus, etc. La tête de Chalier partagea bientôt les mêmes honneurs. Telles et telles sections de Paris y firent des adjonctions fantasques, celle entre autres du buste de Mucius Scævola. Chaumette eut peur un moment que sa propre image ne devint un objet d'idolâtrie, et défendit de la graver. Il avait refusé au peuple les plus innocents symboles. Par exemple, le faubourg Salut-Antoine, les forgerons des Quinze-Vingts auraient voulu que le nouveau culte eût un foyer, un feu éternel. Cette idée, nullement idolâtrique, fut repoussée par la Commune. La seule parole humaine, le seul enseignement moral, disait Chaumette, est avouée de la Raison. (Procès-verbaux de la Commune et des sections. — Archives du département et de la Police.)