Ce qui fait de Jeanne d'Arc une figure éminemment originale, ce qui la sépare de la foule des enthousiastes qui dans les âges d'ignorance entraînèrent les masses populaires, c'est que ceux-ci pour la plupart durent leur puissance à une force contagieuse de vertige. Elle, au contraire, eut action par la vive lumière qu'elle jeta sur une situation obscure, par une force singulière de bon sens et de bon cœur. Le nœud que les politiques et les incrédules ne pouvaient délier, elle le trancha. Elle déclara au nom de Dieu, que Charles VII était l'héritier ; elle le rassura sur sa légitimité dont il doutait lui-même. Cette légitimité, elle la sanctifia, menant son roi droit à Reims, et gagnant de vitesse sur les Anglais l'avantage décisif du sacre. Il n'était pas rare de voir des femmes prendre les armes. Elles combattaient souvent dans les sièges[1], témoin les trente femmes blessées à Amiens[2], témoin Jeanne Hachette. Au temps de la Pucelle et dans les mêmes années, les femmes de Bohême se battaient comme les hommes, dans les guerres des hussites[3]. L'originalité de la Pucelle, je le répète, ne fut pas non plus dans ses visions. Qui n'en avait au moyen âge ? Même dans ce prosaïque quinzième siècle, l'excès des souffrances avait singulièrement exalté les esprits. Nous voyons, à Paris, un frère Richard remuer tout le peuple par ses sermons, au point que les Anglais finirent par le chasser de la ville[4]. Le carme breton Conecta était écouté à Courtrai, à Arras, par des masses de quinze ou vingt mille hommes[5]. Dans l'espace de quelques années, avant et après la Pucelle, toutes les provinces ont leurs inspirés. C'est une Pierrette bretonne qui converse avec Jésus-Christ[6]. C'est une Marie d'Avignon[7], une Catherine de la Rochelle[8]. C'est un petit berger, que Saintrailles amène de son pays, lequel a des stigmates aux pieds et aux mains[9], et qui sue du sang aux saints jours, comme nous voyons aujourd'hui la béate du Tyrol[10]. La Lorraine était, ce semble, l'une des dernières provinces où un tel phénomène eût dû se présenter. Les Lorrains sont braves, batailleurs, mais volontiers intrigants et rusés. Si le grand Guise servit la France avant de la troubler, ce ne fut pas par des visions. Nous trouvons deux Lorrains au siège d'Orléans, et tous deux y déploient le naturel facétieux de leur spirituel compatriote Callot ; l'un est le canonnier maître Jean, qui faisait si bien le mort ; l'autre est un chevalier qui fut pris par les Anglais, chargé de fer, et qui à leur départ revint à cheval sur un moine anglais[11]. La Lorraine des Vosges a, il est vrai, un caractère plus grave. Cette partie élevée de la France, d'où descendent de tous côtés des fleuves vers toutes les mers, était couverte de forêts, forêts vastes et telles que les Carlovingiens les jugeaient les plus digues de leurs chasses impériales. Dans les clairières de ces forêts s'élevaient les vénérables abbayes de Luxeuil et de Remiremont ; celle-ci, comme on sait, gouvernée par une abbesse qui était princesse du saint empire, qui avait ses grands officiers, toute une cour féodale, qui faisait porter par son sénéchal l'épée nue devant elle. Cette royauté de femme avait eu pour vassal, et pendant longtemps, le duc de Lorraine. Ce fut justement entre la Lorraine des Vosges et celle des plaines, entre la Lorraine et la Champagne, que naquit, à Domrémy, la belle et brave fille qui devait porter si bien l'épée de la France. Il y a quatre Domrémy le long de la Meuse dans ion cercle de dix lieues, trois du diocèse de Toul, un de celui de Langres[12]. Probablement ces quatre villages étaient, dans des temps plus anciens, des domaines de l'abbaye de Saint-Remi de Reims[13]. Nos grandes abbayes avaient, comme on sait, dans les temps des Carlovingiens, des possessions bien plus éloignées, jusqu'en Provence, jusqu'en Allemagne, jusqu'en Angleterre[14]. Cette ligne de la Meuse est la marche de Lorraine et de Champagne, tant disputée entre le roi et le duc. Le père de Jeanne, Jacques d'Arc[15], était un digne Champenois[16]. Jeanne tint sans doute de son père ; elle n'eut point l'âpreté lorraine, mais bien plutôt la douceur champenoise, la naïveté mêlée de sens et de finesse, comme vous la trouvez dans Joinville. Quelques siècles plus tôt, Jeanne serait née serve de l'abbaye de Saint-Rémy ; un siècle auparavant, serve du sire de Joinville. Il était en effet seigneur de la ville de Vaucouleurs, dont le village de Domrémy dépendait. Mais en 1335 le roi obligea les Joinville de lui céder Vaucouleurs[17]. C'était alors le grand passage de la Champagne à la Lorraine, la droite route d'Allemagne, non-seulement la route d'Allemagne, mais aussi celle des bords de la Meuse, la croix des routes. C'était encore, pour ainsi dire, la frontière des partis ; il y avait près de Domrémy un dernier village du parti bourguignon, tout le reste était pour Charles VII. Cette marche de Lorraine et de Champagne avait en tout temps cruellement souffert de la guerre ; longue guerre entre l'est et l'ouest, entre le roi et le duc, pour la possession de Neufchâteau et des places voisines ; puis guerre du nord au sud, entre les Bourguignons et les Armagnacs. Le souvenir de ces guerres sans pitié n'a pu s'effacer jamais. On montrait naguère encore, près de Neufchâteau, un arbre antique au nom sinistre, dont les branches avaient sans doute porté bien des fruits humains : le chêne des partisans. Les pauvres gens des marches avaient l'honneur d'être sujets directs du roi, c'est-à-dire qu'au fond ils n'étaient à personne, n'étaient appuyés ni ménagés de personne, qu'ils n'avaient de seigneur, de protecteur que Dieu. Les populations sont sérieuses dans une telle situation ; elles savent qu'elles n'ont à compter sur rien, ni sur les biens ni sur la vie. Elles labourent et le soldat moissonne. Nulle part le laboureur ne s'inquiète davantage des affaires du pays ; personne n'y a plus d'intérêt ; il en sent si rudement les moindres contre-coups ! Il s'informe, il tâche de savoir, de prévoir ; du reste, il est résigné, quoi qu'il arrive, il s'attend à tout, il est patient et brave. Les femmes même le deviennent ; il faut bien qu'elles le soient, parmi tous ces soldats, sinon pour leur vie, au moins pour leur honneur, comme la belle et robuste Dorothée de Gœthe. Jeanne était la troisième fille d'un laboureur[18], Jacques Darc ou d'Arc, et d'Isabelle Romée[19]. Elle eut deux marraines, dont l'une l'appelait Jeanne, l'autre Sibylle. Le fils aîné avait été nommé Jacques, un autre Pierre. Les pieux parents donnèrent à l'une de leurs filles le nom plus élevé de saint Jean[20]. Tandis que les autres enfants allaient avec le père travailler aux champs ou garder les bêtes, la mère tint Jeanne près d'elle, l'occupant à coudre ou à filer[21]. Elle n'apprit ni à lire, ni à écrire ; mais elle sut tout ce que savait sa mère des choses saintes[22]. Elle reçut sa religion, non comme une leçon, une cérémonie, mais dans la forme populaire et naïve d'une belle histoire de veillée, comme la foi simple d'une mère... Ce que nous recevons ainsi avec le sang et le lait, c'est choses vivantes, et la vie même. Nous avons sur la piété de Jeanne un touchant témoignage, celui de son amie d'enfance, de son amie de cœur, Haumette, plus jeune de trois ou quatre ans. « Que de fois, dit-elle, j'ai été chez son père, et couché avec elle, de bonne amitié[23].... C'était une bien bonne fille, simple et douce. Elle allait volontiers à l'église et aux saints lieux. Elle filait, faisait le ménage, comme font les autres filles... Elle se confessait souvent. Elle rougissait quand on lui disait qu'elle était trop dévote, qu'elle allait trop à l'église. Un laboureur, appelé aussi en témoignage, ajoute qu'elle soignait les malades, donnait aux pauvres. Je le sais bien, dit-il ; j'étais enfant alors, et c'est elle qui m'a soigné. Tout le monde connaissait sa charité, sa piété. Ils voyaient bien que c'était la meilleure fille du village. Ce qu'ils ignoraient, c'est qu'en elle la vie d'en haut absorba toujours l'autre et en supprima le développement vulgaire. Elle eut, d'âme et de corps, ce don divin de rester enfant. Elle grandit, devint forte et belle, mais elle ignora toujours les misères physiques de la femme[24]. Elles lui furent épargnées, au profit de la pensée et de l'inspiration religieuse. Née sous les murs mêmes de l'église, bercée du son des cloches et nourrie de légendes, elle fut une légende elle-même, rapide et pure, de la naissance à la mort. Elle fut une légende vivante... Mais la force de vie, exaltée et concentrée, n'en devint pas moins créatrice. La jeune fille, à son insu, créait, pour ainsi parler, et réalisait ses propres idées, elle en faisait des êtres, elle leur communiquait, du trésor de sa vie virginale, une splendide et toute-puissante existence, à faire pâlir les misérables réalités de ce monde. Si poésie veut dire création, c'est là sans doute la poésie suprême. Il faut savoir par quels degrés elle en vint jusque-là, de quel humble point de départ. Humble à la vérité, mais déjà poétique. Son village était à deux pas des grandes forêts des Vosges. De la porte de la maison de son père elle voyait le vieux bois des chênes[25]. Les fées hantaient ce bois ; elles aimaient surtout une certaine fontaine près d'un grand hêtre qu'on nommait l'arbre des fées, des dames[26]. Les petits enfants y suspendaient des couronnes, y chantaient. Ces anciennes dames et maîtresses des forêts ne pouvaient plus, disait-on, se rassembler à la fontaine ; elles en avaient été exclues pour leurs péchés[27]. Cependant l'Église se défiait toujours des vieilles divinités locales ; le curé, pour les chasser, allait chaque année dire une messe à la fontaine. Jeanne naquit parmi ces légendes, dans ces rêveries populaires. Mais le pays offrait à côté une tout autre poésie, celle-ci, sauvage, atroce, trop réelle, hélas ! la poésie de la guerre... La guerre ! ce mot seul dit toutes les émotions ; ce n'est pas tous les jours sans doute l'assaut et le pillage, mais bien plutôt l'attente, le tocsin, le réveil en sursaut, et dans la plaine au loin le rouge sombre de l'incendie.... État terrible, mais poétique ; les plus prosaïques des hommes, les Écossais du bas pays, se sont trouvés poètes parmi les hasards du border ; de ce désert sinistre, qui semble encore maudit, ont pourtant germé les ballades, sauvages et vivaces fleurs. Jeanne eut sa part dans ces romanesques aventures. Elle vit arriver les pauvres fugitifs, elle aida, la bonne fille, à les recevoir ; elle leur cédait son lit et allait coucher au grenier. Ses parents furent aussi une fois obligés de s'enfuir. Puis, quand le flot des brigands fut passé, la famille revint et retrouva le village saccagé, la maison dévastée, l'église incendiée. Elle sut ainsi ce que c'est que la guerre. Elle comprit cet état antichrétien, elle eut horreur de ce règne du diable, où tout homme mourait en péché mortel. Elle se demanda si Dieu permettrait cela toujours, s'il ne mettrait pas un terme à ces misères, s'il n'enverrait pas un libérateur, comme il l'avait fait si souvent pour Israël, un Gédéon, une Judith ?... Elle savait que plus d'une femme avait sauvé le peuple de Dieu, que dès le commencement il avait été dit que la femme écraserait le serpent. Elle avait pu voir au portail des églises sainte Marguerite avec saint Michel, foulant aux pieds le dragon[28]... Si, Comme tout le monde disait, la perte du royaume était l'œuvre d'une femme, d'une mère dénaturée, le salut pouvait bien venir d'une fille. C'est justement ce qu'annonçait une prophétie de Merlin ; cette prophétie, enrichie, modifiée selon les provinces,. était devenue toute lorraine dans le pays de Jeanne d'Arc. C'était une pucelle des marches de Lorraine qui devait sauver le royaume[29]. La prophétie avait pris probablement cet embellissement, par suite du mariage récent de René d'Anjou avec l'héritière du duché de Lorraine, qui, en effet, était très-heureux pour la France. Un jour d'été, jour de jeûne, à. midi, Jeanne étant au jardin de son père, tout près de l'église[30], elle vit de ce côté une éblouissante lumière, et elle entendit une voix : Jeanne, sois bonne et sage enfant ; va souvent l'église. La pauvre fille eut grand'peur. Une autre fois, elle entendit encore la voix, vit la clarté, mais dans cette clarté de nobles figures dont l'une avait des ailes et semblait un sage prud'homme. Il lui dit : Jeanne, va au secours du roi de France, et tu lui rendras son royaume. Elle répondit, toute tremblante : Messire, je ne suis qu'une pauvre fille ; je ne saurais chevaucher[31], ni conduire les hommes d'armes. La voix répliqua : Tu iras trouver M. de Beaudricourt, capitaine de Vaucouleurs ; et il te fera mener au roi, Sainte Catherine et sainte Marguerite viendront t'assister. Elle resta stupéfaite et en larmes, comme si elle eût déjà vu sa destinée tout entière. Le prud'homme n'était pas moins que saint Michel, le sévère archange des jugements et des batailles. Il revint encore, lui rendit courage, et lui raconta la pitié qui estoit au royaume de France[32]. Puis vinrent les blanches figures de saintes, parmi d'innombrables lumières, la tête parée de riches couronnes, la voix douce et attendrissante, à en pleurer. Mais Jeanne pleurait surtout quand les saintes et les anges la quittaient. J'aurais bien voulu, dit-elle, que les anges m'eussent emportée[33]... Si elle pleurait, dans un si grand bonheur, ce n'était pas sans raison. Quelque belles et glorieuses que fussent ces visions, sa vie dès lors avait changé. Elle qui n'avait entendu jusque-là qu'une voix, celle de sa mère, dont la sienne était l'écho, elle entendait maintenant la puissante voix des anges !... Et que voulait la voix céleste ? Qu'elle délaissât cette mère, cette douce maison. Elle qu'un seul mot déconcertait[34], il lui fallait aller parmi les hommes, parler aux hommes, aux soldats. Il fallait qu'elle quittât pour le monde, pour la guerre, ce petit jardin sous l'ombre de l'église, où elle n'entendait que les cloches[35] et où les oiseaux mangeaient dans sa main. Car tel était l'attrait de douceur qui entourait la jeune sainte ; les animaux et les oiseaux du ciel venaient à elle[36], comme jadis aux Pères du désert, dans la confiance de la paix de Dieu. Jeanne ne nous a rien dit de ce premier combat qu'elle soutint. Mais il est évident qu'il eut lieu et qu'il dura longtemps, puisqu'il s'écoula cinq années entre sa première vision et sa sortie de la maison paternelle. Les deux autorités, paternelle et céleste, commandaient des choses contraires. L'une voulait qu'elle restât dans l'obscurité, dans la modestie et le travail, l'autre qu'elle partit et qu'elle sauvât le royaume. L'ange lui disait de prendre les armes. Le père, rude et honnête paysan, jurait que, si sa fille s'en allait avec les gens de guerre, il la noierait plutôt de ses propres mains[37]. De part ou d'autre, il fallait qu'elle désobéit. Ce fut là sans doute son plus grand combat ; ceux qu'elle soutint contre les Anglais ne devaient être qu'un jeu à côté. Elle trouva dans sa famille, non pas seulement résistance, mais tentation. On essaya de la marier, dans l'espoir de la ramener aux idées qui semblaient plus raisonnables. Un jeune homme du village prétendit qu'étant petite, elle lui avait promis mariage ; et comme elle le niait, il la fit assigner devant le juge ecclésiastique de Toul. On pensait qu'elle n'oserait se défendre, qu'elle se laisserait plutôt condamner, marier. Au grand étonnement de tout le monde, elle alla à Toul, elle parut en justice, elle parla, elle qui s'était toujours tue. Pour échapper à l'autorité de sa famille, il fallait qu'elle trouvât dans sa famille même quelqu'un qui la crût ; c'était le plus difficile. Au défaut de sou père, elle convertit son oncle à sa mission. Il la prit avec lui, comme pour soigner sa femme en couches. Elle obtint de lui qu'il irait demander pour elle l'appui du sire de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs. L'homme de guerre reçut assez mal le paysan, et lui dit qu'il n'y avait rien à faire, sinon de la ramener chez son père, bien souffletée[38]. Elle ne se rebuta pas ; elle voulut partir, et il fallut bien que son oncle l'accompagnât. C'était le moment décisif ; elle quittait pour toujours le village et la famille ; elle embrassa ses amies, surtout sa petite bonne amie Mengette, qu'elle recommanda à Dieu ; mais pour sa grande amie et compagne Haumette, celle qu'elle aimait le plus, elle aima mieux partir sans la voir[39]. Elle arriva donc dans cette ville de Vaucouleurs, avec ses
gros habits rouges de paysanne[40], et alla loger
avec son oncle chez la femme d'un charron, qui la prit en amitié. Elle se fit
mener chez Baudricourt, et lui dit avec fermeté qu'elle
venait vers lui de la part de son Seigneur, pour qu'il mandât au dauphin de
se bien maintenir, et qu'il n'assignât point de bataille à ses ennemis, parce
que son Seigneur lui donnerait secours dans la mi-carême.... Le royaume n'appartenait pas au dauphin, mais à son
Seigneur ; toutefois son Seigneur voulait que le dauphin devînt roi, et qu'il
eût ce royaume en dépôt. Elle ajoutait que, malgré les ennemis du
dauphin, il serait fait roi, et qu'elle le mènerait sacrer. Le capitaine fut bien étonné ; il soupçonna qu'il y avait là quelque diablerie. Il consulta le curé, qui apparemment eut les mêmes doutes. Elle n'avait parlé de ses visions à aucun homme d'Église[41]. Le curé vint donc avec le capitaine dans la maison du charron ; il déploya son étole et adjura Jeanne de s'éloigner, si elle était envoyée du mauvais esprit[42]. Mais le peuple ne doutait point ; il était dans
l'admiration. De toutes parts on venait la voir. Un gentilhomme lui dit pour
l'éprouver : Eh bien ! ma mie, il faut donc que le
roi soit chassé et que nous devenions Anglais. Elle se plaignit à lui
du refus de Baudricourt : Et cependant,
dit-elle, avant qu'il soit la mi-carême, il faut que
je sois devers le roi, dussé-je, pour m'y rendre, user mes jambes jusqu'aux
genoux. Car personne au monde, ni rois, ni ducs, ni fille du roi d'Écosse, ne
peuvent reprendra le royaume de France, et il n'y a pour lui de secours que
moi-même, quoique j'aimasse mieux rester à filer près de ma pauvre mère, car
ce n'est pas là mon ouvrage ; mais il faut que j'aille et que je le fasse,
parce que mon Seigneur le veut. — Et quel est
votre Seigneur ? — C'est Dieu !...
Le gentilhomme fut touché. Il lui promit par sa foi,
la main dans la sienne, que, sous la conduite de Dieu, il la mèneroit au roi.
Un jeune gentilhomme se sentit aussi toucher et déclara qu'il suivrait cette
sainte fille. paraît que Baudricourt envoya demander l'autorisation du roi[43]. En attendant il la conduisit cher le duc- de. Lorraine, qui était malade et voulait la consulter. Le duc n'en tira rien que le conseil d'apaiser Dieu en se réconciliant avec sa femme. Néanmoins il l'encouragea[44]. De retour à Vaucouleurs, elle y trouva un messager du roi qui l'autorisait à venir. La perte d'une nouvelle bataille décidait à essayer de tous les moyens. Elle avait annoncé le combat le jour même qu'il eut lieu. Les gens de Vaucouleurs, ne doutant point de sa mission, se cotisèrent pour l'équiper et lui acheter un cheval[45]. Le capitaine ne lui donna qu'une épée. Elle eut encore à ce moment un obstacle à surmonter. Ses parents, instruits de son prochain départ, avaient failli en perdre le sens ; ils firent les derniers efforts pour la retenir ; ils ordonnèrent, ils menacèrent. Elle résista à cette dernière épreuve et leur fit écrire qu'elle les priait de lui pardonner. C'était un rude voyage et bien périlleux qu'elle entreprenait. Tout le pays était couru par les hommes d'armes des deux partis. Il n'y avait plus ni route, ni pont ; les rivières étaient grosses ; c'était au mois de février 1429. S'en aller ainsi avec cinq ou six hommes d'armes, il y avait de quoi faire trembler une fille. Une Anglaise, une Allemande, ne s'y fût jamais risquée ; l'indélicatesse d'une telle démarche lui eût fait horreur. Celle-ci ne s'en émut pas ; elle était justement trop pure pour rien craindre de ce côté. Elle avait pris l'habit d'homme, et elle ne le quitta plus ; cet habit serré, fortement attaché, était sa meilleure sauvegarde. Elle était pourtant jeune et belle. Mais il y avait autour d'elle, pour ceux même qui la voyaient de plus près, une barrière de religion et de crainte ; le plus jeune des gentilshommes qui la conduisirent déclare que, couchant près d'elle, il n'eut jamais l'ombre même d'une mauvaise pensée. Elle traversait avec une sérénité héroïque tout ce pays désert ou infesté de soldats. Ses compagnons regrettaient bien d'être partis avec elle ; quelques-uns pensaient que peut-être elle était sorcière ; ils avaient grande envie de l'abandonner. Pour elle, elle était tellement paisible, qu'à chaque ville elle voulait s'arrêter pour entendre la messe. Ne craignez rien, disait-elle, Dieu me fait ma route ; c'est pour cela que je suis née. Et encore : Mes frères de paradis me disent ce que j'ai à faire[46]. La cour de Charles VII était loin d'être unanime en faveur de la Pucelle. Cette fille inspirée qui arrivait de Lorraine, et que le duc de Lorraine avait encouragée, ne pouvait manquer de fortifier près du roi le parti de la reine et de sa mère, le parti de Lorraine et d'Anjou. Une embuscade fut dressée à la Pucelle à quelque distance de Chinon, et elle n'y échappa que par miracle[47]. L'opposition était si forte contré elle que, lorsqu'elle fut arrivée, le conseil discuta encore pendant deux jours si Le roi la verrait. Ses ennemis crurent ajourner l'affaire indéfiniment en faisant décider qu'on prendrait des informations dans son pays. Heureusement, elle avait aussi des amis, les deux reines, sans doute, et surtout le duc d'Alençon, qui, sorti récemment des mains des Anglaise était fort impatient de porter la guerre dans le Nord pour recouvrer son duché. Les gens d'Orléans, à qui, depuis le 12 février, Dunois promettait ce merveilleux secours, envoyèrent au roi et réclamèrent la Pucelle. te roi la reçut enfin, et au milieu du plus grand appareil ; on espérait apparemment qu'elle serait déconcertée. C'était le soir ; cinquante torches éclairaient la salle ; nombre de seigneurs, plus de trois cents chevaliers étaient réunis autour du roi. Tout le monde était curieux de voir la sorcière ou l'inspirée. La sorcière avait dix-huit ans[48] ; c'était une belle fille[49] et fort désirable, assez grande de taille, la voix douce et pénétrante[50]. Elle se présenta humblement, comme une pauvre petite bergerette[51], démêla au premier regard le roi, qui s'était mêlé exprès à la foule des seigneurs, et quoiqu'il soutînt d'abord qu'il n'était pas le roi, elle lui embrassa les genoux. Mais, comme il n'était pas sacré, elle ne l'appelait que dauphin : Gentil dauphin, dit-elle, j'ai nom Jehanne la Pucelle. Le Roi des cieux vous mande par moi que vous serez sacré et couronné en la ville de Reims, et vous serez lieutenant du Roi des cieux qui est roi de France. Le roi la prit alors à part, et après un moment d'entretien, tous deux changèrent de visage ; elle lui disait, comme elle l'a raconté depuis à son confesseur : Je te dis de la part de Messire, que tu es vrai héritier de France et fils du roi[52]. Ce qui inspira encore l'étonnement et une sorte de crainte, c'est que la première prédiction qui lui échappa se vérifia à l'heure même. Un homme d'armes qui la vit et la trouva belle exprima brutalement son mauvais désir en jurant le nom de Dieu à la manière des soldats : Hélas ! dit-elle, tu le renies, et tu es si près de ta mort ! Il tomba à l'eau un moment après et se noya[53]. Ses ennemis objectaient qu'elle pouvait savoir l'avenir, mais le savoir par inspiration du diable. On assembla quatre ou cinq évêques pour l'examiner. Ceux-ci, qui sans doute ne voulaient pas se compromettre avec les partis qui divisaient la cour, firent renvoyer l'examen à l'université de Poitiers. Il y avait dans cette grande ville université, parlement, une foule de gens habiles. L'archevêque de Reims, chancelier de France, présidant le conseil du roi, manda des docteurs, des professeurs en théologie, les uns prêtres, les autres moines, et les chargea d'examiner la Pucelle. Les docteurs introduits et placés dans une salle, la jeune fille alla s'asseoir au bout du banc et répondit à leurs questions. Elle raconta avec une simplicité pleine de grandeur[54] les apparitions et les paroles des anges. Un dominicain lui fit une seule objection, mais elle était grave : Jehanne, tu dis que Dieu veut délivrer le peuple de France ; si telle est sa volonté, il n'a pas besoin de gens d'armes. Elle ne se troubla point : Ah ! mon Dieu, dit-elle, les gens d'armes batailleront, et Dieu donnera la victoire. Un autre se montra plus difficile à contenter ; c'était un
frère Séguin, Limousin, professeur de théologie à l'université de Poitiers, bien aigre homme, dit la chronique. Il lui demanda
dans son français limousin, quelle langue parlait donc cette prétendue voix
céleste. Jeanne répondit avec un peu trop de vivacité : Meilleure que la vôtre. — Crois-tu
en Dieu ? dit le docteur en colère. Eh bien !
Dieu ne veut pas que l'on ajoute foi à tes paroles, à moins que tu ne montres
un signe. Elle répondit : Je ne suis point
venue à Poitiers pour faire des signes ou miracles ; mon signe sera de faire
lever le siège d'Orléans. Qu'on me donne des hommes d'armes, peu ou beaucoup,
et j'irai[55]. Cependant il en advint à Poitiers comme à Vaucouleurs, sa sainteté éclata dans le peuple ; en un moment tout le monde fut pour elle. Les femmes, damoiselles et bourgeoises allaient la voir chez la femme d'un avocat du parlement, dans la maison de laquelle elle logeait, et elles en revenaient tout émues. Les hommes même y allaient ; ces conseillers, ces avocats, ces vieux juges endurcis, s'y laissaient mener sans y croire, et quand ils l'avaient entendue, ils pleuraient tout comme les femmes[56], et disaient : Cette fille est envoyée de Dieu. Les examinateurs allèrent la voir eux-mêmes, avec l'écuyer
du roi, et comme ils recommençaient leur éternel examen, lui faisant de
doctes citations, et lui prouvant, par tous les auteurs sacrés, qu'on ne
devait pas la croire : Écoutez, leur
dit-elle, il y en a plus au livre de Dieu que dans
les vôtres... Je ne sais ni A ni B ; mais je
viens de la part de Dieu pour faire lever le siège d'Orléans et sacrer le
dauphin à Reims.... Auparavant, il faut
pourtant que j'écrive aux Anglais, et que je les somme de partir. Dieu le
veut ainsi. Avez-vous du papier et de l'encre ? Écrivez, je vais, vous dicter[57]... A vous ! Suffort, Classidas et la Poule, je vous somme de
par le Roi des cieux que vous vous en alliez en Angleterre[58]... Ils écrivirent docilement ; elle
avait pris possession de ses juges mêmes. Leur avis fut qu'on pouvait licitement employer la jeune fille, et l'on reçut môme réponse de l'archevêque d'Embrun, que l'on avait consulté[59]. Le prélat rappelait que Dieu avait maintes fois révélé à des vierges, par exemple aux sibylles, ce qu'il cachait aux hommes. Le démon ne pouvait faire pacte avec une vierge ; il fallait donc bien s'assurer si elle était vierge en effet. Ainsi la science poussée à bout, ne pouvant ou ne voulant point s'expliquer sut la distinction délicate des bonnes et des mauvaises révélations, s'en remettait humblement des choses spirituelles au corps, et faisait dépendre du féminin mystère cette grave question de l'esprit. Les docteurs ne sachant que dire, les dames décidèrent[60]. La bonne reine de Sicile, belle-mère du roi, s'acquitta avec quelques darnes du ridicule examen, à l'honneur de la Pucelle. Des franciscains qu'on avait envoyés dans son pays aux informations avaient rapporté les meilleurs renseignements. Il n'y avait plus de temps à perdre. Orléans criait au secours ; Dunois envoyait coup sur coup. On équipa la Pucelle ; on lui forma une sorte de maison. On lui donna d'abord pour écuyer un brave chevalier d'âge mûr, Jean Daulon, qui était au comte de Dunois, et le plus honnête homme qu'il eût parmi ses gens. Elle eut aussi un noble page, deux hérauts d'armes, un maître d'hôtel, deux valets ; son frère, Pierre d'Arc, vint la trouver et se joignit à ses gens. On lui donna pour confesseur Jean Pasquerel, frère ermite de Saint-Augustin. Ce fut une merveille pour les spectateurs, de voir la première fois Jeanne d'Arc dans son armure blanche et sur son beau cheval noir, au côté une petite hache[61] et l'épée de sainte Catherine. Elle avait fait chercher cette épée derrière l'autel de Sainte-Catherine de Fierbois, où on la trouva en effet. Elle portait à la main un étendard blanc fleurdelisé, sur lequel était Dieu avec le monde dans ses mains ; à droite et à gauche, deux anges qui tenaient chacun une fleur de lis. Je ne veux pas, disait-elle, me servir de mon épée pour tuer personne[62]. Et elle ajoutait que, quoiqu'elle aimât son épée, elle aimait quarante fois plus son étendard. Comparons les deux partis, au moment où elle fut envoyée à Orléans. Les Anglais s'étaient bien affaiblis dans ce long siège d'hiver. Après la mort de Salisbury, beaucoup d'hommes d'armes qu'il avait engagés se crurent libres et s'en allèrent. D'autre part, les Bourguignons avaient été rappelés par le duc de Bourgogne. Quand on força la principale bastille des Anglais, dans laquelle s'étaient repliés les défenseurs de quelques autres bastilles, on y trouva cinq cents hommes. Il est probable qu'en tout ils étaient deux ou trois mille. Sur ce petit nombre, tous n'étaient pas Anglais ; fi y avait aussi quelques Français, dans lesquels les Anglais n'avaient pas sans doute grande confiance. S'ils avaient été réunis, cela eût fait un corps respectable ; mais ils étaient divisés dans une douzaine de bastilles ou boulevards[63] qui, pour la plupart, ne communiquaient pas entre eux. Cette disposition prouve que Talbot et les autres chefs anglais avaient eu jusque-là plus de bravoure et de bonheur que d'intelligence militaire. Il était évident que chacune de ces petites places isolées serait faible contre la grande et grosse ville qu'elles prétendaient garder ; que cette nombreuse population, aguerrie par un long siège, finirait par assiéger les assiégeants. Quand on lit la liste formidable des capitaines qui se jetèrent dans Orléans, la Hire, Saintrailles, Gaucourt, Culan, Coaraze, Armagnac ; quand on voit qu'indépendamment des Bretons du maréchal de Retz, des Gascons du maréchal de Saint-Sévère, le capitaine de Châteaudun, Florent d'Illiers, avait entraîné la noblesse du voisinage à cette courte expédition, la délivrance d'Orléans semble moins miraculeuse. Il faut dire pourtant qu'il manquait une chose pour que ces grandes forces agissent avec avantage, chose essentielle, indispensable, l'unité d'action. Dunois eût pu la donner, s'il n'eût fallu pour cela que de l'adresse et de l'intelligence Mais ce n'était pas assez. Il fallait une autorité, plus que l'autorité royale ; les capitaines du roi n'étaient pas habitués à obéir au roi. Pour réduire ces volontés sauvages, indomptables, il fallait Dieu même. Le Dieu de cet âge, c'était la Vierge bien plus que le Christ[64]. Il fallait la Vierge descendue sur terre, une vierge populaire, jeune, belle, douce, hardie. La guerre avait changé les hommes on bêtes sauvages ; il fallait de ces bêtes refaire des hommes, des chrétiens, des sujets dociles. Grand et difficile changement t Quelques-uns de ces capitaines armagnacs étaient peut-être les hommes les plus féroces qui eussent jamais existé. Il suffit d'en nommer un, dont le nom seul fait horreur, Gilles de Retz, l'original de la barbe bleue[65]. Il restait pourtant une prise sur ces âmes qu'on pouvait saisir ; elles étaient sorties de l'humanité, de la nature sans avoir pu se dégager entièrement de la religion. Les brigands, il est vrai, trouvaient moyen d'accommoder de la manière la plus bizarre la religion au brigandage. L'un d'eux, le Gascon la Hire, disait avec originalité : e Si Dieu se faisait homme d'armes, il serait pillard. Et quand il allait au butin, il faisait sa petite prière gasconne, sans trop dire ce qu'il demandait, pensant bien que Dieu l'entendrait à demi-mot : e Sire Dieu, je te prie de faire pour la Hire ce que la Hire ferait pour toi, si tu étais capitaine et si la Hire était Dieu[66]. Ce fut un spectacle risible et touchant de voir la conversion subite des vieux brigands armagnacs. Ils ne s'amendèrent pas à demi. La Hire n'osait plus jurer ; la Pucelle eut compassion de la violence qu'il se faisait, elle lui permit de jurer : Par son bâton. Les diables se trouvaient devenus tout à coup de petits saints. Elle avait commencé par exiger qu'ils laissassent leurs folles femmes et se confessassent[67]. Puis, dans la route, le long de la Loire, elle fit dresser un autel sous le ciel, elle communia, et ils communièrent. La beauté de la saison, le charme d'un printemps de Touraine, devaient singulièrement ajouter à la puissance religieuse de la jeune fille. Eux-mêmes ils avaient rajeuni ; ils s'étaient parfaitement oubliés ; ils se retrouvaient, comme en leurs belles années, pleins de bonne volonté et d'espoir, tous jeunes comme elle, tous enfants... Avec elle, ils commençaient de tout cœur une nouvelle vie. Où les menait-elle ? peu leur importait. Ils l'auraient suivie, non pas à Orléans, mais tout aussi bien à Jérusalem. Et il ne tenait qu'aux Anglais d'y venir aussi ; dans la lettre qu'elle leur écrivit, elle leur proposait gracieusement de se réunir et de s'en aller tous, Anglais et Français, délivrer le saint sépulcre[68]. |
[1] Les exemples seraient innombrables. Citons seulement les dames de Lalaing (1452, 1581). La seconde défendit Tournai contre le plus grand capitaine du seizième siècle, le prince de Parme. Reiffemberg, notes sur l'édition belge (6e édition de Barante, V, 341).
[2] Voyez tome II de notre Histoire de France.
[3] Et armoient les femmes, ainsi que diables, pleines de toutes cruautés, et en furent trouvées plusieurs mortes et occises aux rencontres. Monstrelet, t. IV, p. 366.
[4] Journal du Bourgeois de Paris, t. XV, p. 119-122. D'Artigny, Voltaire et Beaumarchais, ont cru que ce Richard pouvait avoir endoctriné Jeanne d'Arc. Voyez la réfutation péremptoire de M. Berriat-Saint-Prix, dans son Histoire de la Pucelle, p. 242-3.
[5] Meyer, Annales rerum Flandricarum, f. 271, verso.
[6] De Bretaigne bretonnant. Journal du Bourgeois de Paris, t. XV, p. 134, 1430.
[7] Notices des mss., t. III, p. 347.
[8] Procès, éd. Buchon, 1827, p. 87.
[9] Journal du Bourgeois, t. XV, p. 411, 1430. Jean Chartier, p. 47.
[10] Voyez la Mystique chrétienne de J. Gœrres, et les articles de M. Guido Gœrres dans la Revue de Munich : Historich-politische Blaetter, 1839. Quelque éloigné que ce point de vue puisse être du nôtre, nous devons la plus sérieuse attention à des faits si curieux.
[11] Histoire au vray du siège, p. 92, éd. 1606.
[12] Il y a encore un Domrémy ; mais plus loin de la Meuse.
[13] Un diplôme de 1090 compte Domremy-la-Pucelle parmi les propriétés de l'abbaye. M. Varin, Archives administratives de Reims, p. 242. Depuis, cette propriété fut aliénée ; mais la cure du village semble être restée longtemps à la nomination du monastère de Saint-Remi (M. Varin, d'après D. Eartel, Hist. miss. de Reims). Ce fait est plus important qu'il ne semble. La Pucelle étant née dans un ancien fief de Saint-Rémy, on comprend mieux pourquoi l'idée de Reims, l'idée du sacre domina toute sa mission. Elle n'appela Charles VII que dauphin, jusqu'à ce qu'il fût sacré.
[14] Voyez, entre autres ouvrages, la savante introduction de M. Varin, Archives de Reims, p. 23, 24.
[15] C'est l'orthographe que suit Jean Hordal, descendant d'un frère de la Pucelle. Hordal, Jeanne Darc historia, 1712, in-4°. Dès lors on ne peut guère tirer ce nom du village d'Arc.
[16] De Montier-en-Der. — Un Allemand vient, dit-on, de trouver moyen de donner à cette famille une illustre origine italienne.
[17] Charles V l'unit inséparablement à la couronne en 1365. On voit encore en Champagne, près de Vaucouleurs, de grosses pierres que l'empereur Albert et Philippe le Bel firent planter pour servir de bornes à leurs empires. (Dict. géogr. de Vosgieu, chanoine de Vaucouleurs, éd. 1767. Lebrun de Charmettes, t. I, p. 323).
[18] On voit encore aujourd'hui, au-dessus de la porté de la chaumière qu'habita Jeanne d'Arc, trois écussons sculptés : celui de Louis XI, qui fit embellir la chaumière ; celui qui fut donné sans doute à l'un des frères de la Pucelle avec le surmon du Lis ; et un troisième écusson qui porte une étoile et trois socs de charrue pour exprimer la mission de la Pucelle et l'humble condition de ses parents. (Vallet, Mémoire adressé à l'Institut historique sur le nom de la famille de la Pucelle.)
[19] Le nom de Romée était souvent pris au moyen âge par ceux qui avaient fait le pèlerinage de Rome.
[20] Ce prénom est celui d'un grand nombre d'hommes célèbres du moyen âge : Jean de Parme, auteur supposé de l'Évangile éternel, Jean Fidenza (saint Bonaventure), Jean Gerson, Jean Petit, Jean d'Occam, Jean Huss, Jean Calvin, etc. Il semble annoncer dans les familles qui le donnaient à leurs enfants une sorte de tendance mystique. Le choix du nom a une singulière importance dans tous les âges religieux (voyez mes Origines du droit), à plus forte raison chez les chrétiens du moyen âge, qui plaçaient l'enfant sous le patronage du saint dont il portait le nom. J'ai parlé déjà, au tome II de l'Histoire de France (chap. I), du nom de Jean, et au tome IV, de l'opposition de Jean et de Jacques.
[21] Interrogée se elle avoit apprins aucun art ou mestier, dist : Que oui et que sa mère lui avoit apprins à cousdre, et qu'elle ne cuidoit point qu'il y eust femme dans Rouen qui lui en sceut apprendre aucune chose. Ne alloit point aux champs garder les brebis ne autres bestes... Depuis qu'elle a esté grande et qu'elle a eu entendement, ne les gardoit pas... mais de son jeune âge, se elle les gardoit ou non, n'en a pas la mémoire. Procès, interrogatoire des 22 et 24 février 1431, p. 58, 69, éd. Buchon, 1827. Le témoignage de Jeanne me parait devoir être préféré à celui des témoins du second procès qui d'ailleurs parlent si longtemps après.
[22] Que autre personne que sadite mère ne lui apprint sa créance. Procès, interrog. du 22 février, p. 55.
[23] Stetit et jacuit amorose in domo patris sui. Déposition d'Haumette, Procès ms. de révision.
[24] A ouy dire à plusieurs femmes que la ditte Pucelle.... oncques n'avoit eu.... Déposition de son vieil écuyer, Jean Daulon. Procès ms. de révision.
[25] Que on voit de l'huys de son père. Procès, interrog. du 24 février 1431, p. 71, éd. Buchon, 1823.
[26] Procès, interrog. du 24 février 1431, p. 69.
[27] Propter earum peccata. Procès de révision, déposition de Béatrix.
[28] Voyez les actes des Bollandistes, au 20 juillet. Sainte Marguerite voit apparaître le diable dans la forme d'un dragon ; elle le met en fuite par un signe de croix. Elle s'échappe de la maison de son mari en habit d'homme. Tonsis crinibus in virili habitu. Legenda aurea Sanctorum, cap. CXLVI, éd. 1489.
[29] Cette pucelle devait venir du bois chenu ; or il se trouvait un bois appelé ainsi à la porte même du village de Jeanne d'Arc : Quod debebat venire puella ex quodam nemore canuto ex partibus Lotharingiæ. Déposition du premier témoin de l'enquête de Rouen. Notices des mss., t. III, p. 847.
[30] Procès, interrogat. du 23 février, p. 59, édition Buchon, 1827.
[31] Procès, interrog. du 15 mars, p. 123, édition Buchon, 1827.
[32] Procès, interrog. du 15 mars, p. 123, édition Buchon, 1827.
[33] Procès, interrog. du 27 février, p. 75.
[34] Sæpe habebat verecundiam, etc. Procès ms. de révision, déposition de Haumette.
[35] Elle avait une sorte de passion pour le son des cloches : Promiserat dare lanas.... ut diligentiam haberet pulsandi. Procès ms. de révision, déposition de Perin.
[36] Journal du Bourgeois de Paris, t. XV, p. 387, éd. 1827.
[37] Procès, interrog. du 12 mars, éd. 1827, p. 97.
[38] Daret ei alapas. Notices des mss., t. III, p. 301.
[39] Nescivit recessum.... Multum flevit..... Procès ms. de révision, déposition d'Haumette.
[40] Pauperibus vestibus rubeis. Procès ms. de révision, déposition de Jean de Metz.
[41] Procès, interrog. du 12 mars, p. 97, éd. 1827.
[42] Apportaverat stolam.... adjuraverat. Procès, interrog. du 12 mars, déposition de Catherine, femme du charron.
[43] Comparer sur ce point important Lebrun et Laverdy. Je suis loin de croire que Jeanne ait été choisie et désignée, comme quelques uns le disent, du bon et brave André Hofer (Lewald, Tyrol, 2r band, 1835 München). Mais je croirais volontiers que le capitaine Baudricourt consulta le roi, et que sa belle-mère, la reine Yolande d'Anjou, s'entendit avec le duc de Lorraine sur le parti qu'on pouvait tirer de cette jeune fille. Elle fut encouragée au départ par le duc, et à son arrivée accueillie par la reine Yolande, comme on le verra.
[44] Chronique de Lorraine, ap. D. Calmet, Preuves, t. II, p. 6.
[45] Equum pretit XVI francorum. Procès ms. de révision, déposition de Jean de Metz.
[46] Sui fratres de paradiso. Procès ms. de révision, déposition de Jean de Metz.
[47] Procès ms. de révision, déposition de frère Séguin.
[48] Elle déclara, en février 1431, qu'elle avait dix-neuf ans ou environ. Procès, interrog. du 21 février 1431, p. 54, éd. 1827. Vingt témoins déposèrent dans le même sens. Voyez le résumé de tous les témoignages dans Berriat-Saint-Prix, p. 178, 179.
[49] Mammas, quæ pulchræ erant. Dépositions, Notice des mss., t. III, p. 373. M. Lebrun de Charmettes voudrait en faire une beauté accomplie. L'Anglais Grafton, au contraire, dans son amusante fureur dit : Elle était si laide qu'elle n'eut pas grand mal à rester pucelle (because of ber foule face). Grafton, p. 534. — Le portrait de Jeune d'Arc, qu'on trouve à la marge d'une copie du procès, n'est qu'un griffonnage du greffier. (Voyez le fac-simile des mss. de la Bibliothèque royale, dans la seconde édition de M. Guido Gœrres, Die Jungfrau von Orleans, 1841.)
[50] Philippus Bergam, De claris mulieribus, cap. CLVII ; d'après un seigneur italien qui avait vu la Pucelle à la cour de Charles VII. Ibidem, p. 889.
[51] Paupercula bergereta.... Procès ms. de révision, déposition de Gaucourt, grand maitre de la maison du roi.
[52] Quinzième témoin. Notices, p. 348. Selon un récit moins ancien, mais très-vraisemblable, elle lui rappela une chose qu'il savait seul : Qu'un matin dans son oratoire il avait demandé à Dieu la grâce de recouvrer son royaume, s'il était l'héritier légitime, sinon celle de ne point périr ni de tomber en captivité, mais de pouvoir se réfugier en Espagne ou en Écosse. Sala, Exemples de hardiesse, ms. français de la Bibl. royale, n° 180. Lebrun, t. I, p. 180-183. — Il semble résulter des réponses, du reste fort obscures, de la Pucelle à ses juges, que cette cour astucieuse abusa de sa simplicité, et que, pour la confirmer dans ses visions, on lit jouer devant elle une sorte de mystère où un ange apportait la couronne. Procès, p. 77, 94, 95, 102, 106, éd. 1827.
[53] Notices des mss., t. III, p. 348.
[54] Magno modo. Déposition du frère Séguin, ibidem, p. 349.
[55] Notices des mss., déposition de frère Séguin, t. III, p. 340.
[56] Plouroient à chaudes larmes. Chronique de la Pucelle, p. 390, édit. 1827.
[57] Déposition du témoin oculaire Versailles. Notices des mss., t. III, p. 350.
[58] Cette lettre et les autres que la Pucelle a dictées sont certainement authentiques. Elles ont un caractère héroïque que personne n'eût pu feindre, une vivacité toute française, à la Henri IV, mais deux choses de plus : naïveté, sainteté. Voyez ces lettres dans Buchon, Quicherat.
[59] Lenglet-Dufresnoy, d'après le ms. de Jacques Gelu, De Puella auretianensi, mss. lat. Bibl. regiæ, n. 6499.
[60] Fut icelle Pucelle baillée à la royne de Cecile, etc. Notices des mss., t. III, p. 351.
[61]
Et fit ladite Pucelle très-bonne chère à mon frère et
à moy, armée de toutes pièces, sauve la teste, et lance en la main. Et après
que nous feusmes descendus à Selles, j'allay à son logis la voir, et fit venir
le vin, et me dit qu'elle m'en feroit bien tost boire à Paris, et semble chose
toute divine de son fait, et de la voir, et de l'oïr.... Et la veis monter à cheval armée toute en blanc, sauf la
teste, une petite hache en sa main, sur un grand coursier noir.... et lors se tourna vers l'huis de l'église, qui estoit bien
prochain, et dist en assez voix de femme : Vous, les prêtres et gens
d'Église, faites processions et prières à Dieu. Et lors se retourna à son
chemin en disant : Tires avant, tires avant, son estendard ployé que
portoit un gracieux paige et avait sa hache petite en la main. Lettre de Guy de Laval à ses mère et
aïeule. Labbe, Alliance chronol., p. 672.
[62] Nolebat uti ense suo, nec volebat quemquam interficere. Procès ms. de révision, déposition de frère Séguin.
[63] Monstrelet exagère au hasard ; il dit soixante bastilles ; il porte à sept ou huit mille hommes les Anglais tues dans les bastilles du sud, etc.
[64] Je l'ai remarqué ailleurs, et j'y reviendrai tout à l'heure....
[65] Voir l'épouvantable procès, conservé au greffe de Nantes.
[66] Sur quoy le chapelain lui donna absolution telle quelle, et lors la Hire fit sa prière à Dieu, en disant en son gascon.... Mémoires concernant la Pucelle, collection Petitot, VIII, 127.
[67] Procès ms. de révision, déposition de Dunois. — Jeanne ordonna que tous se confessassent.... et leur fict oster leurs fillettes. Mémoires concernant la Pucelle, collection Petitot, VIII, 163.
[68] Vous, duc de Bedfort, la Pucelle vous prie et vous requiert que vous ne vous faictes mie destruire. Se vous lui faictes raison, encore pourrez-vous venir en sa compagnie, l'où que les Franchois feront le plus bel fait que oncques fut fait pour Chrestienté. Lettre de la Pucelle, dans Lebrun, I, 450, d'après le ms. 5965 de la Bibliothèque royale.