LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TOME PREMIER

LIVRE DIXIÈME. — COULMIERS.

 

 

Le gouvernement commet une faute en s'enfermant dans Paris. — Envoi d'une délégation à Tours. — MM. Crémieux, Fourichon et Glais-Bizoin. — Fièvre de la France à leur arrivée. — Les partis s'agitent et demandent l'élection d'une Assemblée. — Symptômes de sécession à l'Ouest et dans le Midi. — Intrigues nouées autour du gouvernement : bonapartistes, orléanistes, légitimistes. — Conflits entre les autorités civiles et militaires ; menaces de guerre civile à Lyon. — Le général Mazure arrêté et emprisonné. — Démission de l'amiral Fourichon. — M. Crémieux, ministre de la guerre. Lassitude de la délégation. — Arrivée inopinée de M. Gambetta. — Etat militaire de la France au 10 octobre. — Orléans perdu par le général Lamotterouge. — Le général d'Aurelles de Paladines nommé commandant en chef de l'armée en Sologne. — Le général Cambriels évacue les Vosges et se retire à Besançon. — Corps en formation dans l'Ouest. — Proclamation de M. Gambetta aux départements. — Ajournement indéfini des élections. — La France debout. — Prodigieuse activité pour la réorganisation administrative et militaire. — Bureau des cartes ; bureau des reconnaissances ; création du corps auxiliaire du génie civil ; réorganisation de l'intendance et des ambulances. — Réorganisation militaire : formation des cadres ; création de l'armée auxiliaire ; comités départementaux de défense ; création de l'artillerie départementale ; camps régionaux ; commissions d'équipement et d'armement. Opérations militaires : le général d'Aurelles de Paladines remplace le général de Lamotterouge ; le camp de Salbris ; effectif du l3e corps ; formation du 10e corps à Blois. — Dépêche de Jules Favre annonçant une sortie du général Trochu, pour le 6 novembre. — Conseil de guerre a Salbris. Marche sur Orléans. — Bataille et victoire de Coulmiers. — Orléans évacué par les Bavarois. — Disposition militaire pour couvrir la ville. — Immense sensation produite par cet évènement.

 

Quand la République avait été proclamée, le 4 septembre, toutes les pensées s'étaient concentrées sur Paris. Il sembla qu'on oubliait la province et que Paris seul fût appelé à soutenir le choc des armées allemandes et à sauver la France. Le gouvernement élu se composait exclusivement de députés parisiens. Obéissant à l'impulsion de son origine, il résolut de s'enfermer dans la grande ville, comme si le sort de la France eût été indissolublement lié à celui de sa capitale. Ce fut une grande erreur et une source abondante de difficultés ultérieures. Paris assiégé, réduit au rôle de place forte, et la plus importante des places fortes françaises, devenait une citadelle et devait passer sous le commandement d'un gouverneur militaire. C'était une imprudence de lier la fortune du pays à la sienne et de retenir dans ses murs le ministre de la guerre, dont l'activité était si puissamment sollicitée par l'état de dénuement militaire de la province, et le ministre des affaires étrangères, qui devait se tenir sans cesse en rapport avec les puissances voisines. L'envoi d'une délégation gouvernementale à Tours ne remédia qu'imparfaitement à cette faute. Cette délégation fut composée de MM. Crémieux, ministre de la justice, qui réunit provisoirement tous les ministères entre ses mains, assisté d'un personnel de choix détaché de chaque ministère et envoyé de Paris pour reconstituer l'administration. Peu de jours après, l'amiral Fourichon, commandant de l'escadre, était rappelé de la mer du Nord par le général Trochu et venait rejoindre M. Crémieux, comme ministre de la marine et de la guerre. M. Glais-Bizoin, ancien député de l'opposition, compléta la délégation ; M. Glais-Bizoin ne reçut aucun portefeuille ; il assistait de ses conseils ses deux collègues, chargés de toutes les attributions ministérielles, et s'occupait avec toute l'activité dont il était capable de l'organisation de la défense. Les membres du gouvernement provincial s'étaient installés à Tours peu de jours avant l'investissement de Paris.

La fièvre dévorait alors la France, accablée par des catastrophes imprévues. L'armée allemande cernait Metz, assiégeait Strasbourg, enveloppait toutes les places fortes disséminées sur le territoire compris entre le Rhin et la Seine, et s'approchait de Paris, favorisée par un automne splendide. L'invasion s'étendait de jour en jour et l'on pouvait prévoir le moment où, après avoir investi la capitale, elle rayonnerait dans la direction de Chartres, d'Orléans et de Châteaudun. Les mobiles de la province, au nombre de cent mille, venaient de s'enfermer dans Paris, toujours en vertu de cette erreur que Paris allait devenir le centre presque unique de la résistance. La province se trouvait donc dépourvue de soldats, surtout d'officiers et de matériel de guerre ; la délégation de Tours voyait se dresser devant elle une tâche immense, bien propre par sa grandeur et par ses difficultés à épouvanter les esprits les plus résolus. Pour comble de malheur, des symptômes d'agitation naissaient dans l'Ouest et dans le Midi ; la ligue de l'Ouest travaillait à s'affranchir du gouvernement central pour organiser des forces armées locales, manifestant l'intention de localiser la résistance. Quinze départements du Midi, obéissant au même esprit de séparation, constituaient, de leur côté, une ligue spéciale. Coups funestes portés au pouvoir central et à la défense du pays, si une main énergique n'arrêtait à temps le mouvement sécessionniste. A côté de ces esprits égarés par un patriotisme imprudent, bouillonnaient les passions politiques des partis : du parti renversé par la révolution du 4 septembre et cherchant à se reconnaître pour ressaisir le pouvoir échappé de ses mains coupables et débiles ; des partis monarchiques réclamant à grands cris l'élection d'une Assemblée nationale, dans l'espoir de prendre la direction des affaires et d'avoir raison du gouvernement républicain, improvisé dans la détresse de la patrie. La délégation de Tours avait apporté de Paris un décret convoquant pour le 16 octobre les électeurs dans leurs comices, décret dont l'investissement de Paris, l'insuccès de l'entrevue de Ferrières, l'invasion toujours plus menaçante allaient rendre l'exécution impossible, au grand déplaisir de la délégation. Les membres du gouvernement, dès leur arrivée à Tours, avaient vu accourir auprès d'eux tous les représentants des partis monarchiques ; ces hommes, fondant plus d'espoir sur la délégation isolée en province que sur le gouvernement enfermé dans Paris, avaient, sans perdre de temps, noué leurs intrigues : les bonapartistes s'efforçant, au moyen des conseils généraux encore debout, de reconstituer l'Empire brisé et excitant l'opinion par des manifestes ; les orléanistes appelant leurs princes au milieu des armées en formation ; les légitimistes invitant le comte de Chambord à revendiquer ses droits à la couronne de France. Ce n'étaient pas, d'ailleurs, les seules difficultés suscitées par la politique aux membres de la délégation. Les républicains ardents, spectateurs des intrigues auxquelles participaient les fonctionnaires du régime déchu, pressaient le gouvernement de se séparer de ces dangereux serviteurs. Le ministre de la justice révoqua les magistrats qui avaient fait partie des commissions mixtes, lors du coup d'État de décembre ; il frappa de la même peine une foule de juges de paix dont la conduite pendant le plébiscite avait justement soulevé la conscience publique. La délégation, fatiguée, presque effrayée des orages qui grondaient autour d'elle, attendait avec impatience l'ouverture du scrutin pour l'élection d'une Assemblée nationale.

Avant de déposer le lourd fardeau qui pesait sur leurs épaules, les délégués songeaient à l'œuvre essentielle : à la défense du sol de la patrie envahi par l'étranger. La France, malgré ses rapides et prodigieux revers, possédait encore d'immenses ressources, et elle était animée d'un magnifique patriotisme qui la disposait a tous les sacrifices en hommes et en argent. Les hommes appelés sous les drapeaux par un décret de la délégation accouraient de toutes parts, mais il fallait les habiller, les équiper, les instruire, former des cadres, et les officiers manquaient ; l'artillerie, les fusils, les munitions, tout était à créer, et cela en présence de l'ennemi. Si l'on trouvait de vieux fusils à Avignon, dans le palais des papes, ou en Algérie, il fallait commencer par les transformer ; si les ports et les arsenaux pouvaient fournir des bouches à feu, les pièces manquaient d'attelages, de harnais et surtout de servants. Ces obstacles ne sont pas franchis aussi vite qu'on le voudrait, surtout lorsque les représentants de l'autorité militaire nourrissent la conviction que tous ces efforts sont une dépense superflue. Or, tel était à cette époque le sentiment dominant chez la plupart des généraux : depuis l'effondrement de la puissance militaire de la France à Sedan, ils ne croyaient plus à un retour de fortune ; toute l'activité qu'on pouvait déployer pour créer de nouvelles armées leur paraissait, noblement, sans doute, mais follement dépensée. Ce découragement, que la population civile ne partageait point, fut une source féconde de conflits entre l'autorité civile et l'autorité militaire. C'est ainsi qu'à Lyon surgit entre le préfet, M. Challemel-Lacourt, et le général Mazure une querelle qui aurait peut-être déchaîné la guerre civile, si la délégation de Tours n'avait remis tous les pouvoirs entre les mains du préfet. Le conflit se termina par l'arrestation et l'emprisonnement du général qui, d'ailleurs, bientôt remis en liberté, se comporta devant l'ennemi comme un brave soldat. Cet incident amena la démission de l'amiral Fourichon. M. Crémieux remplit à sa place les fonctions de ministre de la guerre depuis le 3 octobre jusqu'à l'arrivée de M. Gambetta.

La délégation de Tours s'était mise à l'œuvre vers le milieu de septembre. Dans les premiers jours d'octobre, elle avait réuni sous le commandement du général de Lamotterouge une armée de trente-cinq mille hommes environ, premier noyau de l'armée de la Loire. L'ennemi ayant menace Orléans, le 8 octobre, celle armée encore imparfaitement instruite fut appelée trop précipitamment de Bourges, où elle se formait : elle rencontra les Prussiens vers Arthenay, fut battue et obligée d'abandonner Orléans, après un combat acharné sous les murs de cette ville. Le général Lamotterouge fut relevé de son commandement et remplacé par le général d'Aurelles de Paladines, qui ramena ses troupes au fond de la Sologne. Dans l'Est, le général Cambriels, à la tête de vingt-cinq mille hommes, évacuait les Vosges et se retirait à Besançon ; il y avait, dans l'Ouest, des corps en formation comptant trente-cinq mille hommes, sans cavalerie ni artillerie, et s'appuyant par leur droite à l'armée de la Loire ; dans le Nord, quarante mille hommes environ, retirés sous tes places fortes, se préparaient à la lutte sous le commandement du général Bourbaki. Si, à ce total, on ajoute quelques corps francs, ceux notamment de Lispowski et de Cathelineau, on aura sous les yeux le tableau complet des forces de la France au moment où M. Gambetta, parti de Paris en ballon, arriva inopinément à Tours. On aura rendu pleine et entière justice à la délégation, quand on aura rappelé qu'elle pressait les opérations de la commission d'armement présidée par M. Lecesne, commission chargée d'acheter des munitions et des armes sur toutes les places du monde. Les marchés conclus vers le 10 octobre s'élevaient à seize millions.

La France bouillonnait, s'agitait, mais ne sentait pas l'impulsion souveraine qui devait en quelque sorte l'élever au-dessus d'elle-même, ranimer sa foi ébranlée alors que l'espérance lui semblait interdite, la faire croire à son génie quand son génie paraissait s'être voilé pour toujours. Le patriotisme et l'activité des membres de la délégation n'étaient point contestables ; mais ils n'avaient ni l'enthousiasme, ni la jeunesse, ni le pouvoir qu'il fallait pour précipiter tous les esprits vers un but unique : la guerre sans merci contre l'étranger. Ainsi que nous l'avons déjà dit, les passions politiques s'agitaient dans leur entourage et ils allaient peut-être s'abandonner à des suggestions perfides, lorsque M. Gambetta parut subitement. Cet événement inattendu, romanesque, fit sur la France une impression profonde.

M. Gambetta apportait aux départements un ardent appel aux armes ; sa voix résonne du Rhin aux Pyrénées, de l'Océan aux Alpes comme celle de la patrie frémissante. Un décret ajourne les élections jusqu'après la cessation de la guerre. Comment procéder à la nomination d'une Assemblée, quand Paris était séparé du reste de la France, quand plus de vingt-cinq départements étaient envahis ? Froidement accueilli néanmoins par les membres de la délégation, amèrement discuté et condamné par la presse monarchique, le décret d'ajournement fut approuvé par l'immense majorité du pays et il reçut sa pleine exécution.

Toute diversion à l'œuvre de la défense ne pouvait être que funeste, car il fallait dans le plus bref délai réorganiser le pays tant au point de vue administratif qu'au point de vue militaire. A la fois ministre de la guerre et de l'intérieur, M. Gambetta se mit immédiatement à l'œuvre, avec l'aide d'un ingénieur distingué, M. de Freycinet, qui prit le titre de délégué à la guerre. La France ne marchanda point, d'ailleurs, son concours et ses encouragements à l'homme qui ne désespérait point d'elle ; les partis eux-mêmes oublièrent un moment leurs rancunes pour se dévouer à la défense du territoire : les hommes de bonne volonté, ingénieurs, médecins, administrateurs des grandes compagnies, accouraient à Tours et offraient leurs services ; la France entière était debout et s'associait sans murmure au gouvernement qui voulait la sauver.

L'administration brusquement implantée de Paris à Tours se trouvait dans un état très-défectueux ; on n'avait emmené en province qu'un personnel numériquement insuffisant, par suite de la croyance où l'on était que la province jouerait dans la guerre un rôle secondaire : les services les plus divers avaient dû être concentrés dans les mains d'un seul homme, et la prompte expédition des affaires souffrait de cette insuffisance. On n'avait au siège de la délégation ni les documents administratifs, ni les dossiers de l'armée faisant connaître les antécédents des officiers auxquels on allait donner des commandements, ni les caries indispensables pour la combinaison et l'exécution des plans de campagne. Les armées en formation n'étaient pas mieux partagées sous ce rapport que l'administration centrale. Un habile officier de marine put heureusement mettre un terme à l'anxiété causée par le manque de cartes, en reproduisant par la photographie une carte de l'état-major qu'on avait eu la bonne fortune de se procurer. Un bureau des cartes, rapidement installé, put fournir environ quinze mille caries dans un espace de quatre mois. A côté de lui fonctionnait un bureau d'études topographique ajoutant aux cartes les roules et chemins de fer tracés depuis le relevé de l'état-major.

Le gouvernement impérial, aussi imprévoyant que présomptueux, n'avait jamais pratiqué l'espionnage, et cette incurie avait coûté cher à la France. Il importait, au moment où l'ennemi se répandait sur le territoire, de connaître exactement le chiffre de ses forces, les lieux qu'il occupait et d'avoir au milieu de ses armées des émissaires sûrs avec lesquels on se tiendrait en communication. On créa dans ce but le service des reconnaissances, dont les agents parcouraient les pays occupés et recueillaient des informations précises auprès des maires, des employés du télégraphe, des cantonniers. Avec ces renseignements, le bureau des reconnaissances rédigeait des rapports qui étaient adressés aux chefs de corps.

A la création du bureau des cartes et du bureau des reconnaissances, vient se joindre l'installation d'un corps auxiliaire du génie, appelé corps du génie civil, dont les membres, choisis parmi les ingénieurs, les agents voyers, les conducteurs des ponts et chaussées, rendirent au pays des services signalés. Gomme toutes les branches d'administration, le génie militaire ne possédait en province qu'un personnel insuffisant. En outre, les traditions bureaucratiques auxquelles il obéissait avaient paru présenter des inconvénients au point de vue de la célérité des travaux à construire, des ouvrages à réparer, des routes à tracer ou à défoncer ; la délégation pensa que l'adjonction à ce corps d'ingénieurs civils et d'hommes actifs, compétents, serait très-utile à la défense ; elle ne se trompait point : la création du corps auxiliaire du génie civil est une de ses meilleures inspirations, dont l'avenir profitera sûrement.

L'intendance et les ambulances sont soumises, à leur tour, à une réorganisation, d'ailleurs indispensable, vu l'état de leur personnel et de leur matériel. On sait tous les reproches très-mérités dont l'intendance avait été accablée à l'ouverture de la campagne. D'immenses approvisionnements étaient maintes fois tombés aux mains de l'ennemi par suite d'une retraite précipitée qui ne laissait pas le temps nécessaire à l'évacuation des marchandises. Instruite par l'expérience, l'intendance de Tours conçut l'idée ingénieuse de créer des magasins mobiles consistant en wagons stationnés avec leurs approvisionnements sur une voie ferrée, et pouvant, à la première alerte, être ramenés en arrière. Grâce à ce système, les Prussiens n'opérèrent plus les fructueuses captures du commencement de la guerre. Quant aux ambulances, réduites en matériel et en personnel au service d'un corps d'armée, elles purent promptement se réorganiser : les grandes villes fabriquèrent un matériel en peu de temps ; chaque ambulance fut desservie par un médecin-major de 1re classe, trois aides-majors et un pharmacien.

Les obstacles accumulés devant le gouvernement au point de vue militaire étaient bien plus considérables qu'au point de vue administratif. Dans un grand pays comme la France on trouve toujours des ingénieurs éclairés et des administrateurs dont l'intelligence égale le zèle ; il est plus malaisé d'improviser des officiers capables de reformer les cadres d'une grande armée, quand par l'investissement de deux villes comme Metz et Paris et par une catastrophe comme celle de Sedan, on s'est vu privé tout à coup de ce que la nation comptait de plus expérimenté dans l'art de la guerre. On prit tous les officiers restant dans les dépôts, on rappela ceux qui étaient en Afrique ; une foule d'officiers en retraite demandèrent à reprendre du service ; les officiers de marine sollicitèrent de l'emploi ; mais ces ressources ne pouvaient suffire à l'instruction des recrues qui venaient sans cesse grossir les corps en formation. Les chefs de corps distribuèrent des grades aux sous-officiers, aux soldats les plus capables. Un décret du 13 octobre avait suspendu les lois ordinaires de l'avancement pendant la durée de la guerre. Il fut spécifié que ces avancements accordés sous le feu de la nécessité ne seraient valables après la guerre que s'ils avaient été justifiés par quelque action d'éclat ou par des services extraordinaires dûment constatés.

La création d'une armée auxiliaire à côté de l'armée régulière permit au gouvernement de conférer des grades à toute personne en état de les exercer avec intelligence. Les officiers ou chefs de corps de cette armée ne prenaient d'engagement que pour la durée de la campagne. Cette utile création permit à des hommes comme MM. Cathelineau et Lispowski, à des étrangers comme Bossack et Garibaldi, à d'intrépides officiers de marine comme MM. Jaurès, Jauréguiberry, Penhoat d'apporter un concours très-efficace à l'œuvre de la défense.

Pendant que l'armée régulière et l'armée auxiliaire tenaient la campagne au-devant de l'ennemi, et se portaient d'une région à l'autre, suivant les besoins de la stratégie, les comités départementaux préparaient la défense locale, soit en coupant les routes, soit en ramenant hors du cercle d'action de l'ennemi les denrées et approvisionnements dont il aurait pu s'emparer, soit en élevant des ouvrages sur les lieux où il devait faire passer ses colonnes. Ces comités étaient présidés par l'autorité militaire et composés avec les hommes du département qui, par leurs études spéciales, pouvaient le plus utilement concourir à la défense de la région. Tout département était déclaré en état de guerre aussitôt que les armées étrangères se trouvaient à cent kilomètres de ses limites et le comité central entrait immédiatement en fonctions. Cette innovation offrait entre autres avantages celui d'associer directement les départements à la défense du pays ; à ce point de vue, elle fut heureusement complétée par la création des batteries d'artillerie départementale qui contribua puissamment à développer l'esprit de résistance. En vertu du décret du 3 novembre, chaque département organisait, à ses frais, autant de batteries qu'il comptait de fois 100.000 âmes.

Les armées qui allaient entrer en campagne se composaient de quelques milliers de vieux soldats et de jeunes recrues mobiles levées depuis quelques semaines et encore imparfaitement instruites. Des camps régionaux créés en vertu d'un décret du 2 novembre préparaient des renforts prochains à ces premières troupes ; on y dirigeait incessamment les mobilisés appelés sous les drapeaux, et, après une instruction militaire forcément abrégée par les nécessités de la résistance, les camps déversaient les troupes sur le champ de bataille. Onze camps furent créés par le gouvernement de Tours et placés sous la direction d'un conseil administratif ; il y en avait quatre dans la région de l'Ouest : Saint-Omer, Cherbourg, La Rochelle, Conlie ; deux au Centre ; Nevers, Clermont-Ferrand ; quatre dans la région Sud : Bordeaux, Toulouse, Montpellier, les Alpines, et en remontant vers l'Est, le camp de Sathonay, aux portes de Lyon.

Les commissions d'habillement et d'équipement instituées dans chaque chef-lieu de préfecture pourvurent avec toute la célérité possible aux immenses besoins créés par ces grandes levées d'hommes. La commission d'armement présidée par M. Lecesne achetait des fusils, des canons, des munitions sur tous les marchés du monde et se voyait sans cesse aux prises avec les plus redoutables difficultés. Nous n'en donnerons ici qu'un exemple : elle fut obligée de faire venir de Paris par ballon les capsules pour les cartouches des fusils chassepot, en attendant qu'une fulminaterie installée d'abord à Bourges, puis transportée à Toulouse, fût en état de pourvoir à la fourniture des armées[1].

L'historien qui raconte ces efforts gigantesques, et le lecteur qui en suit le récit ne doivent pas perdre de vue que l'admirable mouvement qui soulève la France sur elle-même s'accomplissait sous les yeux de l'étranger, qu'il fallait conduire les hommes au feu du jour au lendemain, que l'une des fatalités de cette guerre, liant le sort de la province à celui de Paris, obligeait ces armées inexpérimentées à marcher sur la capitale, et à s'exposer, pour la sauver, aux plus périlleuses aventures. Ajoutons que l'intermittence des communications empêchait tout concert stratégique entre l'armée de Paris et l'armée de la Loire, que ces deux armées étaient presque sûrement condamnées à manœuvrer sans l'ensemble dont dépendait le succès, et qu'enfin la délégation de Tours, dans la pensée que Paris serait réduit à la famine dans un délai maximum de trois mois à partir de l'investissement, se voyait condamnée à précipiter ses mouvements. Si l'on veut juger avec équité les événements qui vont suivre, il importe d'avoir ces considérations présentes à l'esprit.

Après la perte d'Orléans par le général de Lamotterouge, on a vu le général d'Aurelles de Paladines prendre le commandement de l'armée de la Loire (15e corps) et se retirer en Sologne. L'ennemi poursuivit jusqu'à la Motte-Beuvron ces troupes démoralisées et l'on eut un instant la très-vive inquiétude de voir ses colonnes avancer jusqu'à Vierzon, d'où elles auraient pu menacer les arsenaux de Bourges et de Nevers et se rabattre sur Tours, siège du gouvernement. Cette crainte cessa bientôt ; les Allemands remontaient vers Orléans.

Le général d'Aurelles de Paladines, qui entre en scène à ce moment, faisait partie du cadre de réserve depuis le 15 janvier 1870 ; à la déclaration de guerre, il avait repris du service et avait été appelé au commandement supérieur régional de l'Ouest, dont le siège était au Mans. Nommé commandant en chef de l'armée de la Loire par un décret de M.. Gambetta, en date du 11 octobre, il arrivait le 12 à la Ferté-Saint-Aubin, petit bourg situé au sud d'Orléans sur la route de Vierzon. Les troupes du 15e corps se trouvaient dans le plus triste état au point de vue disciplinaire : il les lit rétrograder sur la route de Vierzon jusqu'à Salbris, village bâti sur des collines qui dominent la rive gauche de la Sauldre et dont la situation se prêtait facilement à l'établissement d'un camp. Dominant de ces hauteurs la route et la voie terrée de Vierzon et Orléans, on couvrait Nevers, Bourges et Tours. Le commandant en chef résolut de s'y fortifier et de refaire son armée : c'est une tâche dont il s'acquitta en très-peu de temps avec le plus grand honneur. La discipline très-relâchée se rétablit, grâce à la sollicitude du général pour ses soldats qu'il visitait fréquemment et chez lesquels il s'efforçait de réveiller les sentiments patriotiques par un noble et paternel langage ; quelques exécutions sommaires ordonnées par la cour martiale ne contribuèrent pas médiocrement à ramener le respect dû aux officiers et à faire disparaître la triste habitude du maraudage. Les troupes s'instruisaient au maniement des armes et aux manœuvres, elles apprenaient à se garder contre les surprises. Au bout de peu de temps, l'armée de la Loire avait changé d'allure et la France pouvait fonder sur elle de grandes espérances. Les chemins de fer amenaient sans cesse de nouveaux renforts au général d'Aurelles ; le 15e corps compta bientôt plus de 60.000 hommes munis d'une bonne artillerie. Pendant que deux divisions du corps occupèrent Salbris, une troisième placée sous les ordres du général Martin des Pallières gardait sur la droite la position d'Argent ; une brigade de cavalerie commandée par le général Michel reliait Argent à Salbris par Pierrefitte et poussait ses reconnaissances jusqu'à Gien, surveillant la rive de la Loire.

 

Après avoir mis Nevers et Bourges en sûreté, le gouvernement voulut couvrir Blois et Vendôme, jusqu'aux abords de la forêt de Marchenoir. Dans ce but, il forma le 16e corps dont le commandement fut confié au général Pourcet, récemment arrivé d'Afrique ; ce corps, qui ne tarda pas d'ailleurs à être réuni au commandement en chef du général d'Aurelles de Paladines, s'étendit dans la région comprise entre la lisière de la forêt de Marchenoir et Mer, sur la rive droite de la Loire ; il comptait environ 35.000 hommes. Il était couvert sur sa gauche par le corps de volontaires du colonel Lispowski, ces volontaires qui défendirent si brillamment Châteaudun ; il se reliait par la droite au camp de Salbris par le corps de volontaires du colonel Cathelineau qui, occupant le parc et les environs de Chambord, fouillait vigoureusement les bois jusqu'aux approches d'Orléans.

Les positions de Nevers, Bourges, Blois et Tours se trouvant assurées contre une pointe de l'ennemi, le moment était venu de prendre l'offensive. On avait atteint, au milieu de ces préparatifs, la seconde quinzaine d'octobre. Le 17, une dépêche de M. Jules Favre annonçait pour les premiers jours de novembre une grande sortie du général Trochu. Il fallait donc agir.

Dans un conseil de guerre réuni le 24 octobre au quartier général de Salbris entre les chefs de corps et le représentant du ministre de la guerre, M. de Freycinet, on décide à l'unanimité de marcher sur Orléans. Le général d'Aurelles de Paladines transmet aussitôt ses instructions aux chefs de corps placés sous ses ordres. Le plan arrêté en conseil de guerre consiste à se porter sur Orléans par l'ouest avec la majeure partie des troupes, qui partiront de Blois en suivant la rive droite de la Loire, pendant que la division Martin des Pallières, passant le fleuve à Gien, marchera sur Orléans par l'est en suivant la route qui s'allonge entre la Loire et la forêt, de manière à prendre à revers l'armée allemande, qui devait être attaquée de front à jour fixe (1er novembre) par le général en chef.

La division Martin des Pallières avait le trajet le plus long à parcourir, en passant par Gien pour se rabattre sur Orléans ; elle partit la première avec entrain et confiance. Les deux divisions du 15e corps qui devaient agir de concert avec le 16e sur la rive droite de la Loire furent transportées en chemin de fer, de Salbris à Blois, le 28 octobre ; elles devaient quitter Blois le lendemain et se porter en avant pour atteindre l'ennemi le 1er novembre. Malheureusement, le transport par chemin de fer occasionna des retards imprévus ; les corps se trouvèrent séparés de leurs bagages. Les agents du chemin de fer ne chargèrent pas le matériel avec tout l'ordre désirable ; des munitions d'artillerie de divers calibres se trouvèrent mélangées et l'on perdit un temps considérable à réparer ce désordre. En outre, le temps devint tout à coup très-mauvais ; des pluies torrentielles détrempèrent les roules à rendre impossibles les manœuvres de l'artillerie[2]. Le général d'Aurelles de Paladines crut devoir retarder d'un jour le départ de l'armée et informa le ministre de la guerre de ce fâcheux contre-temps. La division Martin des Pallières fut immédiatement avertie de suspendre son mouvement. En attendant de continuer la marche sur Orléans, le général en chef prit position, la droite à Beaugency, la gauche et le centre en arrière de la forêt de Marchenoir.

La délégation de Tours fut vivement contrariée de ce temps d'arrêt, qu'elle croyait propre à compromettre le succès de la tentative sur Orléans ; elle se demandait si le mauvais temps était bien, en effet, la cause du retard de cette importante opération, lorsqu'elle apprit par le général Tripart, arrivé des avant-postes, que le bruit de la capitulation de Metz avait été répandu dans l'armée à la suite du passage de M. Thiers[3]. M. Thiers venait, en effet, de traverser les pays occupés par les armées en se rendant de Tours à Paris, où il allait porter la proposition d'armistice des puissances neutres. La délégation pensa que cette douloureuse nouvelle avait apporté de nouveaux sujets d'hésitation au général d'Aurelles de Paladines, hésitant par nature ; elle comprit avec une amère douleur, que tout retard de notre côté donnait aux deux cent mille hommes du prince Frédéric-Charles le temps d'accourir sur la Loire et de changer à notre désavantage les conditions de la lutte. Désolante fatalité bien propre à tuer l'espérance dans les cœurs les plus fermes ! le maréchal Bazaine capitulait au moment où les jeunes armées de la République se levaient, inexpérimentées encore, mais pleines d'ardeur, pour marcher contre l'ennemi. Ce n'était donc pas assez pour ces recrues lancées sur la route de Paris, d'avoir à culbuter le corps d'armée du général de Tann à Orléans, avant de se mesurer avec l'armée du prince royal de Prusse sous les murs de Paris ? Voici l'armée aguerrie du prince Frédéric-Charles ; elle s'est mise en marche et dans quelques jours elle fera son apparition sur les bords de la Loire. De tous les coups dont la fortune s'était montrée si prodigue pour notre malheureuse patrie, celui-ci était le plus décisif. Un long frémissement de douleur agita la France ; il importait cependant de ne pas laisser croire que tout était perdu désormais ; la délégation de Tours flétrit en termes indignés la trahison de Bazaine, dont elle eut bientôt les preuves :

FRANÇAIS, disait sa proclamation, élevez vos âmes et vos résolutions à la hauteur dos effroyables périls qui fondent sur la patrie. Il dépend encore de nous de lasser la mauvaise fortune et de montrer à l'univers ce qu'est un grand peuple qui ne veut pas périr et dont le courage s'exalte au soin même des catastrophes.

Metz a capitulé. Un général sur qui la France comptait, même après le Mexique, vient d'enlever à la patrie en danger plus de cent mille de ses défenseurs. Le général Bazaine a trahi. Il s'est fait l'agent de l'homme de Sedan, le complice de l'envahisseur, et au mépris de l'honneur de l'armée dont il avait la garde, il a livré, sans même essayer un suprême effort, cent vingt mille combattants, vingt mille blessés, ses fusils, ses canons, ses drapeaux et la plus forte citadelle de la France, Metz, vierge jusqu'à lui des souillures de l'étranger.

Un tel crime est au-dessus même des châtiments de la justice. Et maintenant, Français, mesurez la profondeur de l'abîme où nous a précipités l'Empire. Vingt ans la France a subi ce pouvoir corrupteur qui tarissait en elle toutes les sources de la grandeur et de la vie.

L'armée de la France, dépouillée de son caractère national, devenue sans le savoir un instrument de règne et de servitude, est engloutie, malgré l'héroïsme de ses soldats, par la trahison des chefs, dans les désastres de la patrie.

En moins de deux mois, 250.000 hommes ont été livrés à l'ennemi ; sinistre épilogue du coup de main militaire de décembre ! Il est temps de nous ressaisir, citoyens, et, sous l'égide de la République, que nous sommes bien décidés à ne laisser capituler ni au dedans ni nu dehors, de puiser dans l'extrémité de nos malheurs le rajeunissement de notre moralité et de notre virilité politique et sociale.

Oui, quelle que soit l'étendue du désastre, il ne nous trouve ni consternés ni hésitants. Nous sommes prêts aux derniers sacrifices, et, en face d'ennemis que tout favorise, nous jurons de ne jamais nous rendre. Tant qu'il restera un pouce du sol sacré sous nos semelles, nous tiendrons ferme le glorieux drapeau de la République française. Notre cause est celle de la justice et du droit. L'Europe le voit, l'Europe le sent ; devant tant de malheurs immérités, spontanément, sans avoir reçu de nous ni invitation ni adhésion, elle s'est émue, elle s'agite. Pas d'illusions, ne nous laissons ni alanguir ni énerver, et prouvons par des actes que nous voulons, que nous pouvons tenir de nous-mêmes l'honneur, l'indépendance, l'intégrité, tout ce qui fait la patrie libre et fière !

Vive la France ! Vivo la République, une, indivisible !

Les membres du gouvernement :

CRÉMIEUX, GLAIS-BIZOIN, GAMBETTA 1[4].

 

Quelques jours s'écoulent pendant lesquels l'armée de la Loire reste dans ses campements. Les bruits d'armistice suspendaient l'action. M. Thiers était, en effet, au quartier général prussien à Versailles et conférait avec M. de Bismarck. Quoique le repos offrît beaucoup d'inconvénients, parce qu'il donnait au prince Charles le temps de se rapprocher, il fallait bien s'y résigner en attendant l'issue des négociations. Le 6 novembre, on apprit enfin que les propositions d'armistice étaient repoussées ; l'ordre de marche fut donné pour le lendemain. On avait perdu dix jours dans l'attente. Dans l'intervalle, le général Pourcet, dont la santé laissait beaucoup à désirer, avait été remplacé à la tête du 16e corps par le général Chanzy, qui avait pris possession de son commandement à Marchenoir.

Le 7 novembre, après avoir fait parvenir ses instructions à tous les chefs de corps, le général en chef donna le signal du départ dans l'ordre suivant : Les deux divisions du 15e corps, directement commandées par le général d'Aurelles, s'avancent en suivant la rive droite du fleuve. Sur la gauche, le 16e corps, sous les ordres du général Chanzy, s'ébranle de Marchenoir dans la direction de Saint-Laurent-des-Bois, protégé sur sa gauche par la cavalerie du général Reyau, éclairée elle-même en avant de Châteaudun et de Chartres par les francs-tireurs du colonel Lispowski. Les volontaires de Cathelineau avançaient par la rive gauche du fleuve, à travers les bois qui couvrent Orléans ; à l'extrême droite, la division Martin des Pallières passe la Loire à Gien pour prendre l'ennemi à revers.

L'avant-garde du général Chanzy rencontre aux environs de Saint-Laurent-des-Bois une colonne ennemie forte de deux bataillons d'infanterie et de deux mille cavaliers ; ces troupes, venant de Baccon pour reconnaître les positions de l'armée française, ouvrent le feu de dix pièces d'artillerie sur le village de Saint-Laurent. Le 3° bataillon de chasseurs à pied et les mobiles de Loir-et-Cher se portent résolument en avant et, pendant deux heures, donnant au canon le temps d'arriver, soutiennent un feu violent d'artillerie et de mousqueterie dans une plaine découverte. Au bruit du canon, le général Abdelal accourt avec un régiment de dragons ; une batterie de 4 et des mitrailleuses entrent en ligne à leur tour ; l'infanterie se sentant soutenue se précipite alors sur les Bavarois, qui se retirent dans le village de Vallière, d'où les dragons du général Abdelal les débusquent vivement, faisant prisonnière toute une compagnie bavaroise. Ce brillant combat avait duré cinq heures ; nos jeunes troupes avaient montré un sang-froid et une décision remarquables et le général en chef conçut le meilleur espoir. Nous eûmes dans cette rencontre 4 morts et 35 blessés ; parmi ces derniers le commandant Lebrun, auquel revenait en grande partie l'honneur de ce brillant début. De son côté, le général Chanzy avait gagné la confiance de ses troupes ; le combat de Vallière fut salué par l'armée comme un heureux présage : ses premiers pas étaient marqués par un succès.

Dans la matinée du 9, le mouvement en avant se prononce dans le plus grand ordre. L'objectif est une attaque sur Coulmiers où l'ennemi s'est fortement retranché. Les villages de Charsonville, Epieds, Saint-Sigismond, défendus par dos barricades et solidement occupés par l'armée allemande, doivent être emportés comme Coulmiers ; l'armée opérant un mouvement tournant sur sa gauche occupera, le soir, d'après les instructions, la route de Châteaudun à Orléans.

Vers neuf heures et demie, par un temps froid et sombre, les troupes sont rangées en bataille sur deux lignes. Un silence imposant règne sur la plaine et dans les rangs ; officiers et soldats attendent recueillis, mais avec confiance, le signal du combat. Le canon retentit tout à coup sur la droite, en avant de Baccon : c'est l'artillerie de la division Peytavin qui, des hauteurs de Champdry, ouvre le feu sur le bourg de Baccon, dont le clocher sert d'observatoire aux Prussiens. L'infanterie se porte en avant avec résolution, aborde le village par les passages que les boulets viennent d'ouvrir et engage avec les Prussiens une lutte acharnée, qui se termine par la fuite de l'ennemi. Baccon est à nous à dix heures. Le gros de la bataille est maintenant autour du château de la Renardière, dont le parc est crénelé et vigoureusement défendu par les Bavarois : nos braves soldats s'élancent de Baccon sur le château, franchissent les murs du parc, poussent, culbutent les Bavarois. Ceux-ci, ramenés par leurs officiers, essayent un retour offensif, mais le général en chef, qui suit de l'œil leurs mouvements, a fait avancer une batterie qui les arrête. L'intrépide général Peytavin profite de cet instant d'hésitation et, entraînant ses soldats enflammés de confiance, il enlève le château à la baïonnette.

 

Pendant que les troupes du 15e corps obtenaient ces brillants succès, la division Barry du 16e corps avait à soutenir une lutte opiniâtre devant Coulmiers fortement défendu ; plus loin, la brigade Deplanque attaquait Rosières, Saint-Sigismond et Gémigny, sans gagner du terrain. Le général Barry enlève une première fois les abords du village et les jardins ; les Allemands chassent nos soldats ; une seconde attaque, accueillie par une vigoureuse fusillade, jette une grande hésitation dans nos rangs ; le général Barry met alors pied à terre et, s'élançant à l'assaut aux cris de : Vive la France ! En avant les mobiles ! imprime à ses troupes un élan irrésistible. L'ennemi se replie des jardins et du parc, laissant un grand nombre de prisonniers. A quatre heures Coulmiers est à nous.

A l'extrême gauche, l'amiral Jauréguiberry, exposé au feu d'une nombreuse artillerie, faisait des prodiges d'énergie pour maintenir ses troupes sur leurs positions. Il était parvenu à faire occuper le village de Champ par un bataillon du 37e ; un retour offensif de l'ennemi oblige ses troupes à évacuer la position. Enfin, après avoir essuyé le feu convergent des batteries allemandes, dont les unes tirent de Saint-Sigismond, les autres de Coulmiers avant l'attaque du général Barry, l'énergique amiral reçoit vers cinq heures un renfort d'artillerie qui maîtrise le feu de l'ennemi. Il lance alors toutes ses troupes contre les villages de Champ et d'Ormeteau, et ces positions sont enlevées au pas de charge. De ce moment, l'ennemi, chassé de toutes ses positions, se trouve en pleine retraite. On le poursuivit, tant qu'il fit jour, du feu de l'artillerie ; on aurait pu brillamment compléter cette victoire, si le général Reyau, pour avoir mal compris ou mal rempli ses instructions, n'avait annihilé l'action de la cavalerie. Après avoir perdu beaucoup d'hommes et de chevaux dans une attaque imprudente contre Saint-Sigismond, ce général s'était replié, sur la nouvelle qu'une colonne ennemie menaçait de le tourner sur sa gauche. On sut bientôt que cette colonne n'était autre que celle des francs-tireurs Lispowski. Cette déplorable méprise enleva à nos jeunes troupes une partie des avantages que faisait espérer le succès de la journée. Une autre circonstance fâcheuse pour nous facilita la retraite de l'armée allemande. La division des Pallières, qui devait prendre le général de Tann à revers, n'arriva qu'à la nuit au poste qui lui avait été assigné : c'était trop tard pour prendre part à la bataille et trop tard pour se jeter à la poursuite de l'ennemi. La faute n'en était pas à ce général, qui avait marché quatorze heures au canon, mais au général en chef qui lui avait donné rendez-vous pour le 10 ou le 11 novembre, et nullement pour le 9. En avançant de deux jours la date convenue, le général d'Aurelles de Paladines s'était volontairement privé du concours de 30.000 hommes, de 800 chevaux et de 44 pièces de canon ; et s'il s'était fait battre, il aurait exposé ces 30.000 hommes isolés à une déroute certaine. La déroute eût été pour les Allemands si le général Martin des Pallières eût paru sur leurs derrières pendant la bataille. Cette déroute pouvait même se changer en désastre.

 

Quoi qu'il en soit, la journée du 9 novembre fut glorieuse et décisive. Orléans fut abandonné par l'armée bavaroise, qui n'eut pas le temps d'évacuer ses hôpitaux. Cathelineau entrait le soir même dans la ville, au milieu d'une population ivre de joie. La bataille de Coulmiers nous donna 2.500 prisonniers, sans compter les blessés, plusieurs pièces d'artillerie et un convoi de munitions et de bagages. De notre côté, nous avions 1.500 hommes tués ou blessés[5]. L'armée bavaroise abandonna toutes les positions qu'elle occupait autour d'Orléans et se retira par Arthenay dans la direction de Toury, où le duc de Mecklembourg vint, deux jours après, renforcer le général de Tann. Au quartier général de Versailles, l'émotion fut très-vive, mais on eut soin d'atténuer l'échec du général de Tann et de dissimuler les craintes qu'avait subitement réveillées la jeune armée de la Loire[6].

L'effet produit en France par cette victoire fut immense. C'était le premier succès de nos armes depuis l'ouverture de cette guerre féconde en désastres. Des généraux dont le nom était inconnu la veille venaient de se révéler par un coup d'éclat ; la reconnaissance publique se partageait entre le général d'Aurelles de Paladines, le patient organisateur de l'armée, le général Chanzy, qui avait montré dans le commandement du 16e corps de grandes qualités d'homme de guerre, l'amiral Jauréguiberry, dont la ténacité sous le feu était un sujet d'admiration, le général Borel, chef d'état-major de d'Aurelles de Paladines, et le général Barry, que nous avons vu conduire ses troupes à l'assaut de Coulmiers au cri de Vive la France ! Le colonel Lispowski et le commandant Cathelineau avaient bravement fait leur devoir aussi. Cette jeune armée de la Loire, encore mal équipée et mal vêtue, était pleine d'entrain et de confiance ; il semblait qu'enfin la fortune se fût lassée de nous accabler. Le grand cœur de la France se gonflait d'espoir.

Le 12 novembre, M. Gambetta arrivait au quartier général à Villeneuve-d'Ingré et remerciait, au nom de la France, les braves soldats de Coulmiers :

SOLDATS DE L'ARMEE DE LA LOIRE !

Votre courage et vos efforts nous ont enfin ramené la victoire, depuis trois mois déshabitués de nos drapeaux ; la France en deuil vous doit sa première consolation, son premier rayon d'espérance.

Je suis heureux de vous apporter, avec l'expression de la reconnaissance publique, les éloges et les récompenses que le gouvernement décerne a vos succès.

Sous la main de chefs vigilants, fidèles, dignes de vous, vous avez retrouvé la discipline et la force ; vous nous avez rendu Orléans, enlevé avec l'entrain de vieilles troupes depuis longtemps accoutumées à vaincre.

À la dernière et cruelle injure de la mauvaise fortune, vous avez montré que la France, loin d'être abattue par tant de revers inouïs jusqu'à présent dans l'histoire, entendait répondre par une générale et vigoureuse offensive.

Avant-garde du pays tout entier, vous êtes aujourd'hui sur le chemin de Paris ; n'oublions jamais que Paris nous attend et qu'il y va de notre honneur de l'arracher aux étreintes des barbares qui le menacent du pillage et de l'incendie.

Redoublez donc de confiance et d'ardeur ; vous connaissez maintenant nos ennemis ; jusqu'ici leur supériorité n'a tenu qu'au nombre de leurs canons ; comme soldats, ils ne vous égalent ni on courage ni en dévouement ; retrouvez cet clan, cette furie française, qui ont fait notre gloire dans le monde et qui doivent, aujourd'hui, nous aider à sauver la patrie.

Avec des soldats tels que vous, la République sortira triomphante des éprouves qu'elle traverse, car après avoir organisé la défense, elle est en mesure, à présent, d'assurer la revanche nationale.

Vivo la France ! vive la République, une et indivisible !

Léon GAMBETTA.

 

Un conseil de guerre fut tenu pour régler les opérations ultérieures. Il y avait deux partis à prendre : ou marcher sur Paris en profitant de l'élan des troupes et du désarroi de l'ennemi, ou se fortifier autour d'Orléans contre un retour offensif qui paraissait probable. Le général en chef se prononça pour le second parti. Il voyait de sérieux dangers dans la marche en avant : l'armée fatiguée avait besoin de repos ; son artillerie était incomplète ; si l'on marchait et si l'on achevait la déroute de de Tann, on se heurterait au corps du duc de Mecklembourg avant d'arriver sous les murs de Paris ; et pendant ce temps les troupes du prince Frédéric-Charles, dont les premiers détachements venaient de paraître à Montargis, nous attaqueraient par le flanc droit. Ce serait, selon le général d'Aurelles, exposer l'armée de la Loire à une destruction certaine et encourir devant le pays une responsabilité qu'il repoussait, pour sa part. Faut-il donc compromettre par trop de précipitation ou par un amour-propre aveugle le fruit de la victoire de Coulmiers ? Quant à lui, il refuse de s'associer à cette entreprise téméraire ; il conseille de se fortifier autour d'Orléans, de compléter l'équipement et l'armement des troupes, et de reprendre l'offensive en temps opportun. Au surplus, le temps était devenu très-mauvais : la pluie et la neige défonçaient les routes ; l'artillerie ne pouvait plus manœuvrer dans les terres détrempées ; enfin la petite vérole avait fait invasion dans les bivouacs, transformés en bourbiers, et causait de sérieux ravages.

Les généraux Borel et Chanzy étaient d'une opinion tout opposée. On aurait dû, suivant eux, marcher contre l'armée bavaroise, achever sa défaite, et se jeter ensuite sur le corps du duc de Mecklembourg, dont Chartres était le point de ralliement. On se serait ensuite retourné contre les troupes de Frédéric-Charles qui allaient former vers Montargis une agglomération menaçante. Le général d'Aurelles de Paladines répondit qu'il était plus sûr d'attendre l'ennemi dans le camp retranché d'Orléans ; que ces marches hardies contre les Bavarois et le duc de Mecklembourg exigeraient de son armée des efforts, une constance qu'on ne pouvait raisonnablement attendre de soldats peu instruits et mal vêtus ; qu'un revers succédant à la victoire de Coulmiers porterait au moral des troupes un coup funeste et, qu'enfin, pendant qu'on irait chercher le duc de Mecklembourg, le prince Frédéric-Charles pressant sa marche nous placerait entre deux feux ; ainsi nous aurions perdu Orléans et découvert aux incursions de l'ennemi Bourges, Nevers et Tours.

Le plan du général en chef était prudent et sage, et laissait le moins possible au hasard. Celui des généraux Borel et Chanzy était audacieux et ouvrait le champ aux vicissitudes de la guerre. Il nu fut pas adopté cependant, quoiqu'une longue expérience ait prouvé qu'à la guerre l'audace accomplit de plus grandes choses que la sagesse. Si, l'on doit regretter la prudence excessive du général d'Aurelles, on n'ose cependant pas blâmer le chef qui craint de perdre en un jour les fruits d'un mois d'efforts et de voir périr une armée formée par ses soins patients, à l'instant même où elle vient de ramener la victoire sous ses drapeaux.

Les ordres du général en chef ayant prévalu, on commence les travaux du camp retranché qui doit couvrir Orléans et l'on distribue les troupes en avant de la ville. Le 15e corps (Martin des Pallières) protège la route de Paris à Orléans à la hauteur de Chevilly ; le 16e' corps (Chanzy), échelonné à gauche sur la route de Châteaudun, occupe Saint-Peravy, Saint-Sigismond, Gemigny et Coulmiers. Les volontaires de Cathelineau quittent Orléans pour remonter dans la forêt, à la hauteur de Chilleurs et de Loury. Trois nouveaux corps (17e, 18e, 20e) formés en peu de jours viennent grossir l'armée de la Loire, dont l'effectif atteint bientôt deux cent mille hommes. Un 21e corps est en voie de formation au Mans. De son côté, le génie civil poussait avec vigueur les travaux de fortification autour d'Orléans. Des ouvriers et des outils furent requis dans cinq départements pour creuser les fossés, ouvrir les tranchées, dresser des palissades. Le camp retranché, armé de pièces de marine, put au bout de peu de temps défier toute attaque.

Tels étaient, après un mois d'une activité prodigieuse, les résultats obtenus : une victoire suivie de l'évacuation d'Orléans et la mise sur pied d'une armée d'environ deux cent mille hommes avec cinq cents bouches à feu. La force morale que la victoire de Coulmiers donnait à la France était immense. Le gouvernement donna des encouragements à la jeune armée en portant à l'ordre du jour les régiments qui s'étaient le plus distingués et en accordant des récompenses aux officiers et soldats dont la bravoure avait été particulièrement remarquée. Les régiments de la garde mobile de la Dordogne et de la Sarthe furent l'objet d'une mention spéciale pour leur belle conduite à l'assaut de Coulmiers.

Le mauvais temps et l'opinion du général en chef s'étaient opposés, comme nous l'avons dit, à la marche en avant immédiate. Orléans fut fortifié, l'équipement des troupes complété. Des renforts arrivèrent en même temps. Le ministre de la guerre s'était rendu à Besançon, où le général Michel avait remplacé dans son commandement le général Cambriels qu'une blessure à la tête, reçue à Sedan mettait dans l'impossibilité de diriger l'armée de l'Est. Des considérations supérieures firent bientôt passer le commandement dans les mains du général Crouzat, qui se vit au bout de peu de temps à la tête de cinquante mille hommes. L'Est, gardé par Garibaldi, alors à Autun, ne se trouvait pas sérieusement menacé. Il fut décidé que le corps d'armée du général Crouzat serait amené par les voies rapides sur les bords de la Loire, où l'on s'attendait à d'importants événements. Le déplacement s'opéra sans éveiller l'attention de l'ennemi. Le Midi de la France et Lyon se trouvaient découverts, à la vérité, mais on n'avait pas cru pouvoir faire autrement. Les cinquante mille hommes du général Crouzat furent donc transportés à Gien dans l'espace de trois jours et formèrent le 21e corps.

Pendant ce temps, l'armée du prince Frédéric-Charles arrivait par détachements de 5 à 6.000 hommes à Montargis. Le gouvernement donna des instructions au général d'Aurelles de Paladines, instructions dont le but était de lancer des colonnes expéditionnaires contre les troupes allemandes en marche. On disait au général en chef : « Vous devez considérer Orléans comme une nouvelle base d'opérations. Il importe donc de ne pas s'y enfermer indéfiniment ; il faut, au contraire, envisager le camp retranché que vous y faites établir comme un refuge dans lequel vous rentrerez après des expéditions heureuses. » On ajoutait qu'il serait dangereux d'attendre patiemment à Orléans que des forces supérieures vinssent attaquer l'armée et on invitait le général en chef à examiner s'il ne serait pas sage de se porter à la rencontre des détachements partiels qui passaient au-devant du camp retranché, du côté de Pithiviers et de Montargis.

A ces invitations réitérées, le général d'Aurelles de Paladines répondit que le mauvais état des routes, et le danger qu'il y aurait à dégarnir les positions occupées s'opposaient aux expéditions proposées.

On atteignit, dans cette inaction, la seconde moitié de novembre. A cette date, les instances du ministre de la guerre deviennent plus pressantes. Le 19 novembre, M. de Freycinet écrit au nom du ministre : « Je vous engage à étudier avec vos généraux la meilleure direction à donner à cette force de 250.000 hommes[7] que vous allez avoir sous la main. Nous ne pouvons demeurer éternellement à Orléans. Paris a faim et nous réclame. Étudiez donc la marche à suivre pour arriver à nous donner la main avec Trochu qui marcherait à notre rencontre avec 150.000 hommes, en même temps qu'une diversion serait tentée dans le Nord. De notre côté, nous étudions un plan ici ; dès que vos idées seront un peu arrêtées sur cette grave affaire, prévenez-moi ; nous nous réunirons à Tours ou à votre quartier général pour en disserter. »

Le général en chef répond : « Pour étudier un plan à suivre •pour arriver à donner la main au général Trochu, il serait nécessaire que je fusse au courant de ce qui se passe à Paris et des intentions de cet officier général. »

Mais on était sans nouvelles de Paris et le concert préalable exigé par d'Aurelles de Paladines n'était pas possible. Le ministre de la guerre écrit de nouveau :

Je vous prie de méditer de votre côté un projet d'opérations ayant pour suprême objectif Paris. Je ne peux accepter que cette préparation implique pour vous la connaissance préalable des projets du général Trochu. Nous sommes sans nouvelles ; le hasard seul nous permet, d'une façon tout à fait intermittente, d'en obtenir ; c'est comme une inconnue de plus dans notre problème, que nous devons être résolus à vaincre, comme bien d'autres.

Pour cela, il suffit de supposer une simple chose, c'est que Paris connaît notre présence à Orléans, et que, dès lors, c'est dans l'arc de cercle dont Orléans est le point médian que les Parisiens seront fatalement amenés à agir.

Je compte que vous voudrez prendre en considération les vues générales, mais sûres, d'après lesquelles nous devons opérer.

A ces observations, le général en chef répond, le 23 novembre :

Vous me demandez de méditer un projet d'opérations ayant Paris pour suprême objectif. La solution du problème n'est pas la moindre de mes préoccupations.

Pour la résoudre, il faut la coopération et l'entente commune du gouvernement et de l'armée représentée par les chefs que vous avez investis de votre confiance. En ce qui me concerne, vous pouvez compter sur mon dévouement absolu. Dieu veuille mettre mes forces à la hauteur de mon dévouement !

 

No recevant aucun plan, du général en chef, le ministère de la guerre conçut la pensée de porter l'armée en avant, dans la direction de Fontainebleau ; il fallait occuper Pithiviers et Beaune-la-. Rolande pour être en mesure de donner la main à l'armée de Paris. C'est sur ces points que l'on projeta de diriger les 18e et 20e corps. Le succès de cette opération devait assurer un solide point d'appui à l'armée de la Loire avançant sur Paris ; elle avait aussi un autre but très-important : c'était d'arrêter les mouvements inquiétants que l'armée ennemie faisait dans la direction du Mans pour tourner l'armée de la Loire par la gauche. A cette date, en effet, les Allemands poussaient des pointes fréquentes vers Évreux, Dreux, Chartres et Châteaudun et menaçaient le département de la Sarthe. Le gouvernement pensait, non sans raison, que le but du prince Frédéric-Charles était d'attirer de ce côté une partie de l'armée de la Loire pour se jeter ensuite à travers son centre et la couper en deux. Nous n'avions alors au Mans qu'une poignée d'hommes que le brillant officier de marine Jaurès, promu depuis peu général, travaillait à reconstituer. Le résultat d'une diversion sur Pithiviers devait être d'obliger l'ennemi à ramener le gros de ses forces vers le nord-est et de dégager l'ouest.

Les 18e et 20e corps, stationnés à Nevers et à Gien, furent chargés d'opérer cette diversion avec l'appui de la division du général Martin des Pallières que nous avons laissée à Chevilly, en avant de la forêt d'Orléans. Le commandement du 18e corps venait d'être confié à un jeune colonel, chef de l'état-major, qui se montra digne de cet honneur. C'était le colonel Billot, plus tard général de division à titre provisoire. On avait d'abord désigné pour ce poste le général Bourbaki, alors à l'armée du Nord, mais il n'avait pu arriver en temps voulu.

Le général d'Aurelles de Paladines présenta diverses objections contre le plan arrêté au ministère. Ces objections n'étaient pas toutes sans fondement ; mais l'impérieuse nécessité était là qui ordonnait d'aller on avant. Le délégué à la guerre écrivait au général en chef qu'il ne méconnaissait pas la portée des critiques que la marche sur Fontainebleau suggérait à sa vieille expérience ; mais, disait-il, j'y ferai cette simple réponse :

Si vous m'apportiez un plan meilleur que le mien, ou même si vous m'apportiez un plan quelconque, je pourrais abandonner le mien et révoquer mes ordres. Mais depuis douze jours que vous êtes à Orléans, vous ne nous avez, malgré nos invitations réitérées, de M. Gambetta et de moi, proposé aucune espèce de plan, vous vous êtes borné à fortifier Orléans, selon nos indications, après avoir déclaré que la position n'y était pas tenable. Votre avis, sur ce point, je me plais à le reconnaître, paraît s'être grandement modifié puisque vous ne désirez plus abandonner vos lignes.

Malheureusement ce désir, que je comprends, n'est pas réalisable. Des nécessités d'ordre supérieur nous obligent à faire quelque chose et par conséquent à sortir d'Orléans. Ainsi que M. Gambetta et moi vous l'avons expliqué, Paris a faim et veut être secouru[8]. Il ne dépend pas de nous de vous laisser passer l'hiver à Orléans. Je dis passer l'hiver, car il n'y a guère de chance que la saison devienne moins mauvaise, pendant trois ou quatre mois, qu'elle l'est en ce moment et que l'ennemi soit moins nombreux autour de vous. Or le nombre des Prussiens, d'un côté, et l'humidité du sol, d'un autre côté, sont les deux objections que vous mettez en avant. Elles subsisteront, je le répète, beaucoup plus longtemps que Paris n'aura de vivres pour se nourrir. Il faut donc sortir de l'immobilité dans laquelle le salut suprême de la patrie nous condamne à ne pas rester Nous aurions déjà dû nous porter vers ces positions de Pithiviers et de Montargis qui vous inquiètent aujourd'hui si fort, et troubler par des pointes hardies l'éternel défilé que l'armée de Frédéric-Charles a fait au-dessus de nos têtes.

 

Les opérations commencèrent le 24 novembre. Le général Martin des Pallières avait ordre de se mettre entre Chilleurs-aux-Bois et Loury. Quant aux 18° et 20e corps, chargés de l'action principale, ils abordèrent après deux jours de marche Boismorand et Bellegarde, sans avoir aperçu de soldats allemands. L'ennemi avait en effet évacué Montargis à l'approche de nos troupes et s'était retiré vers Beaune-la-Rolande et Pithiviers. Le 28, le général Crouzat déloge les Allemands du village de Côtelles et ne se retire de cette position qu'après avoir essuyé un retour offensif du prince Frédéric-Charles, qui est venu commander en personne. Toutefois, le prince Charles, se voyant sérieusement menacé, évacue pendant la nuit Beaune-la-Rolande, après avoir incendié les maisons qui pouvaient le mieux défendre le village. L'évacuation de Beaune-la-Rolande n'était pas d'ailleurs le seul résultat important de la journée ; des engagements heureux avaient eu lieu à Ladon, Maizières et Juranville. Ces avantages signalés, dus à l'initiative hardie du colonel Billot, valurent aux troupes du 18e corps un ordre du jour du gouvernement et au jeune commandant le titre de général de brigade à titre définitif. L'objet que le gouvernement avait poursuivi se trouvait atteint. L'ennemi cessa brusquement ses incursions dans les régions de l'Ouest pour se concentrer sur les points menacés par suite des derniers engagements. De nouvelles instructions furent aussitôt données aux généraux Crouzat et Billot. On leur écrivit de Tours, 29 novembre :

Nous sommes très-satisfaits de votre vigoureuse pointe sur Maizières, Juranville, Beaune-la-Rolande, qui a pleinement atteint notre but en arrêtant le mouvement tournant de l'ennemi sur le Mans et Vendôme et rappelant ses forces sur son centre... Vous prendrez les positions suivantes :

Crouzat s'établira entre Chambon, Moulin-de-Bezault, Boiscommun, Nibelle, s'appuyant ainsi sur les magnifiques positions de la lisière de la forêt. Billot s'établira vers Bellegarde et Ladon, donnant la main à Crouzat. Le poste de Montargis conserverait sa position et, en cas de menace sérieuse, rejoindrait le 18e corps. Vous avez par-dessus tout et comme premier soin à vous retrancher dans vos positions. Requérez hommes et choses pour vos travaux.

 

Telle était la situation de l'armée de la Loire au 29 novembre : Orléans fortement occupe ; les positions dans la direction de Pithiviers entre nos mains ; une armée confiante en elle-même à la suite de la victoire de Coulmiers et des engagements heureux que l'on vient de raconter en peu de mots. Cette armée n'attendait plus, comme le gouvernement, qu'un signal de Paris pour marcher en avant et se porter sur Fontainebleau à la rencontre du général Trochu. Ce signal, le général Trochu l'avait donné de Paris quelques jours auparavant par un ballon parti le 24 novembre. C'est ce ballon qui fut emporté par une tempête au fond de la Norvège ! La dépêche n'arriva à Tours que le 30 novembre, six jours après ! Le général Trochu disait : « Les nouvelles reçues de l'armée de la Loire m'ont naturellement décidé a sortir par le sud et à aller au-devant d'elle coûte que coûte ; c'est lundi (28 novembre) que j'aurai fini mes préparatifs, poussés de jour et de nuit. Mardi 29, l'armée extérieure commandée par le général Ducrot, le plus énergique de nous, abordera les positions fortifiées de l'ennemi et, s'il les enlève, poussera vers la Loire, probablement dans la direction de Gien. »

 

A l'heure où cette dépêche, qu'on avait eu le tort d'expédier par un seul ballon, arrivait à Tours, les opérations de l'armée de Paris étaient commencées. Il n'y avait pas une minute à perdre. Il fut décidé que l'armée de la Loire se mettrait en marche immédiatement à la rencontre du général Ducrot. Nous devons suspendre un moment le récit des opérations de l'armée de la Loire pour tourner nos regards vers Paris.

 

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Rapport du général d'Aurelles de Paladine sur la bataille de Coulmiers.

 

« L'ordre de marche pour la journée du lendemain (le 9, jour de la bataille) portait qu'une partie des troupes du général Martineau irait prendre position entre le Bardou, à droite, et le château de la Touanne à gauche ; que le général Peytavin s'emparerait successivement de Baccon, de la Renardière et du Grand-Lus pour donner ensuite la main à la droite du général de Chanzy, en vue d'attaquer le village de Coulmiers, où, d'après nos renseignements, l'ennemi s'était fortement retranché.

« Ma réserve d'artillerie et le général Daries avec ses bataillons de réserve devaient soutenir lo mouvement.

« Le général de Chanzy devait exécuter par Charsonville, Epieds et Gémigny un mouvement tournant appuyé sur la gauche par la cavalerie du général Reyau, lequel avait pour instructions de chercher à déborder autant que possible l'ennemi par sa droite. Les francs-tireurs de Paris, sous les ordres du lieutenant-colonel Lispowski, avaient l'ordre d'appuyer, sur la gauche, le mouvement de la cavalerie.

« Le 9, des huit heures du malin, toutes les troupes se mirent en mouvement, après avoir mangé la soupe.

« La portion des troupes du général Martineau désignée pour agir sur la droite effectua son mouvement sans rencontrer l'ennemi.

« Une moitié des forces commandées par le général Peytavin, soutenue elle-même par la réserve d'artillerie, enleva d'abord le village de Baccon et se dirigea ensuite sur le village de la Rivière et le château de la Renardière, ou l'ennemi était fortement établi dans toutes les maisons du village et dans le parc. Cette position, vivement attaquée par trois bataillons : le 6e bataillon de chasseurs de marche, un bataillon du 16e de ligne et un du 33e de marche, fut enlevée, malgré tous les efforts de l'ennemi pour s'y maintenir. Dans cette attaque, dirigée par le général Peytavin en personne, qui ne pouvait être soutenue que très-difficilement par l'artillerie parce que nos tirailleurs occupaient une partie du village, les troupes déployèrent une vigueur remarquable.

« La seconde partie des troupes du général Peytavin se portait en avant tandis que la position de la Renardière était enlevée, occupait le château du Grand-Lus sans trouver de résistance, et faisait appuyer sa gauche vers le village de Coulmiers.

« Sur la gauche, les troupes du général Barry marchaient par Champdry et Villarceau qui était le centre de la ligne ennemie et qui était très-fortement occupé. Arrêtées dans leur marche par l'artillerie prussienne, elles ne purent arriver que vers deux heures et demie a Coulmiers, devant lequel se trouvaient déjà les tirailleurs du général Peytavin.

« Ces tirailleurs, auxquels se joignirent les tirailleurs du général Barry, se jetèrent au pas de course, aux cris de Vive la France ! dans les jardins et les bois qui sont au sud de Coulmiers, y pénétrèrent malgré la résistance furieuse de l'ennemi, mais ne purent se rendre maîtres du village. L'ennemi, qui s'y était retranché et qui avait accumulé sur ce point une grande partie de ses forces et de son artillerie, faisait les plus grands efforts pour s'y maintenir afin de protéger la retraite des troupes de sa gauche, qui se trouvaient d'autant plus compromises que notre mouvement en avant s'accentuait davantage.

« Pour faire cesser cette résistance, le général en chef appela le général Daries et la réserve d'artillerie. Cette dernière s'établit en batterie à la hauteur du Grand-Lus, et, après un fou des plus violents de plus d'une demi-heure, finit par réduire au silence les batteries de l'ennemi. En ce moment les tirailleurs, soutenus pur quelques) bataillons du général Barry conduits par le général en personne, reprirent leur marche en avant et pénétrèrent dans le village, d'où ils chassèrent l'ennemi vers quatre heures du soir.

« Dans cette attaque les troupes du général Bairy, 7e bataillon de chasseurs de marche, 31e régiment d'infanterie de marche et le 22e régiment de mobiles (Dordogne) montrèrent beaucoup de vigueur et d'entrain.

« A gauche du général Barry, une partie des troupes du contre-amiral Jauréguiberry, éclairées sur leur gauche par les francs-tireurs du commandant Lienard, traversèrent Charsonville et Epieds et arrivèrent devant Cheminiers, où elles furent assaillies par une grêle d'obus. Elles mirent leurs batteries en position ; leurs tirailleurs continuèrent leur marche en ouvrant un feu de mousqueterie. La lutte que soutinrent ces troupes fut d'autant plus sérieuse qu'elles furent longtemps exposées non-seulement aux feux partant de Saint-Sigismond et de Gérigny qui étaient devant elles, mais encore a ceux de Coulmiers et de Rosières qui n'attiraient pas encore l'attention du général Barry. Il était à peu près deux heures et demie. À ce moment, le général Reyau lit prévenir le général de Chanzy que sa cavalerie avait éprouvé une résistance sérieuse, que son artillerie avait fait de grandes pertes en hommes et en chevaux, qu'elle n'avait plus de munitions et qu'il était dans l'obligation de se retirer. Pour éviter un mouvement tournant que l'ennemi aurait pu tenter par suite de cette retraite, le général de Chanzy, qui dans cette journée a montré du coup d'œil et de la résolution, porta sa réserve en avant dans la direction de Saint-Sigismond, en la faisant soutenir par le reste de son artillerie de réserve.

« Le contre-amiral Jauréguiberry était parvenu à faire occuper le village de Champ par un bataillon du 37e ; mais à peine arrivé, attaqué par de l'artillerie et des colonnes d'infanterie qui entraient en ligne, ce bataillon dut abandonner le village. L'énergique volonté de l'amiral parvint cependant a nous maintenir dans nos positions jusqu'à quatre heures et demie, ou l'arrivée d'une batterie de 12 réussit à maîtriser l'artillerie ennemie.

« Pendant ce laps de temps, le 37° de marche et le 33' de mobiles ont été grandement éprouvés.

« A cinq heures, toutes les troupes de l'amiral Jauréguiberry se portèrent à la fois en avant et s'emparèrent, au pas de charge, des villages de Champ et d'Ormeteau.

« Apres la prise de ces villages, dont le dernier avait été soigneusement crénelé et admirablement disposé pour la défense, l'ennemi, en pleine retraite, fut poursuivi, tant qu'il fit clair, par le feu de notre artillerie.

« En résumé, dans la journée du 9, nous avons enlevé toutes les positions de l'ennemi, qui, d'après l'aveu d'officiers bavarois faits prisonniers, doit avoir subi des pertes considérables. Nous avons eu a lutter contre le 1er corps d'armée bavarois assisté de cavalerie et d'artillerie prussiennes.

« Cette journée eut pour résultat d'obliger l'ennemi à évacuer non-seulement toutes les positions retranchées qu'il occupait derrière la Mauve et dans les environs d'Orléans, mais encore d'abandonner en toute hâte cette ville, pour battre en retraite sur Artenay, par Saint-Peravy et Patay, en laissant entre nos mains plus de 2.000 prisonniers sans compter tous les blessés.

« La pluie et la neige, qui étaient tombées toute la nuit et dans la journée du lendemain et qui avaient détrempé les terres, rendirent impossible une poursuite qui eut pu nous donner de plus grands résultats. Malgré ces difficultés, une reconnaissance poussée jusqu'à Saint-Peravy s'empara de deux pièces d'artillerie, d'un convoi de munitions et d'une centaine de prisonniers, dont cinq officiers.

« Le général des Pallières, dont la marche sur Orléans avait été calculée sur une plus longue résistance de l'ennemi, marcha, pendant quatorze heures, dans la journée du 8, dans la direction du canon, et, malgré tous ses efforts, ses têtes de colonne ne purent arriver à la nuit que jusqu'à Chevilly.

« Nos troupes d'infanterie de ligne et nos mobiles, qui voyaient le feu pour la première fois, ont été admirables d'entrain, d'aplomb et de solidité.

« L'artillerie mérite de grands éloges, car, malgré des pertes sensibles, elle a dirigé son feu et manœuvre, sous une grêle de projectiles, avec une précision et une habileté remarquables.

« Nos pertes, dans cette journée, ont été d'environ 1.500 hommes tués ou blessés.

« Le colonel de Foulonge, du 31e de marche, a été tué.

« Le général de division Ressayre, commandant la cavalerie du 16e corps, a été blessé par un éclat d'obus.

« Je ne saurais trop vous dire, Monsieur le Ministre, combien j'ai eu à me louer de la vigueur que l'armée tout entière a montrée dans cette journée. Il serait trop long de citer tous les actes de courage et de dévouement qui me sont signalés. J'ai l'honneur de recommander à votre sollicitude les demandes de récompenses que je vous adresse, et qui sont justifiées par des faits d'armes accomplis dans cette circonstance. »

 

 

 



[1] Voir, pour tous les détails d'organisation administrative, l'ouvrage de M. de Freycinet : La Guerre en province pendant le siège de Paris.

[2] La première armée de la Loire, par le général d'Aurelles de Paladines, p. 59.

[3] Telle est la version donnée par M. de Freycinet dans son ouvrage, La Guerre en province. Le général d'Aurelles de Paladines en donne une autre que voici :

« Un jeune officier allemand, appartenant à une grande famille, avait été tué quelques jours auparavant dans un engagement avec les troupes de la brigade de cavalerie Tripart, et inhumé près de Mer. Le général qui commandait à Orléans, M. de Tann, fit réclamer par un parlementaire la dépouille de cet officier au général Tripart ; celui-ci, avec une courtoisie parfaite, donna des ordres pour faire procéder a l'exhumation, et le corps fut remis à l'envoyé de M. de Tann.

« Le général allemand fit porter par un de ses aides de camp une lettre de remercîments au général Tripart. Dans cette lettre, il disait que, voulant donner au général français une preuve de son estime, il l'informait qu'une dépêche télégraphique de Versailles venait de lui annoncer la capitulation de Metz ; que cette nouvelle était un secret pour l'armée allemande et que l'armée française l'ignorait complétement.

« Un officier d'état-major avait été envoyé de Blois à Mer pour les besoins du service ; il y apprit cette fatale nouvelle et vint eu rendre compte aussitôt au général en chef. Le général Bord, son chef d'état-major et M. Jalaguier, délégué du ministre de la guerre, étaient précisément réunis chez lui. Tous furent atterrés de cette nouvelle ; mais pensant qu'elle pouvait être fausse et donnée dans le but de réagir sur le moral des troupes, il fut recommandé expressément de ne pas la propager. M. Jalaguier partait pour Tours ; il ne manqua pas, en arrivant, d'annoncer qu'il avait appris au quartier général la capitulation de Metz » (p. 68).

D'après ce récit, M. Thiers n'aurait donc appris la nouvelle qu'à Orléans, où il vit le général de Tann.

[4] Des personnes qui connaissaient imparfaitement le triste drame de Metz ayant interprété cette proclamation comme une offense à l'armée, M. Gambetta en publia une seconde ainsi conçue :

« Soldats !

« Vous avez été trahis, mais non déshonorés ! Depuis trois mois, la fortune trompe voire héroïsme. Vous savez aujourd'hui à quels désastres l'ineptie et la trahison peuvent conduire les plus vaillantes armées.

« Débarrassés de chefs indignes de vous et de la France, êtes-vous prêts, sous la conduite de chefs qui méritent votre confiance, à laver dans le sang des envahisseurs l'outrage infligé au vieux nom français ?

« En avant ! vous ne lutterez plus pour l'intérêt ou les caprices d'un despote : vous combattrez pour le salut même de la patrie, pour vos foyers incendiés, pour vos familles outragées, pour la France, notre mère à tous, livrée aux fureurs d'un implacable ennemi. Guerre sainte et nationale, mission sublime, pour le succès de laquelle il faut, sans jamais regarder en arrière, nous sacrifier tous et tout entiers !

« D'indignes citoyens ont osé dire que l'armée avait été rendue solidaire de l'infamie de son chef. Honte à ces calomniateurs, qui, fidèles au système des Bonapartes, cherchent à séparer l'armée du peuple, les soldats de la République !

« Non ! non ! j'ai flétri, comme je le devais, la trahison de Sedan et le crime de Metz, et je vous appelle à venger votre propre honneur qui est celui de la France !

« Vos frères d'armes de l'armée du Rhin ont déjà protesté contre ce lâche attentat, et retiré avec horreur leur main de cette capitulation maudite.

« A vous de relever le drapeau de la France, qui, dans l'espace de quatorze siècles, n'a jamais subi pareille flétrissure !

« Le dernier Bonaparte et ses séides pouvaient seuls amonceler sur nous tant de honte en si peu de jours ! Vous nous ramènerez la victoire ; mais sachez la mériter par la pratique des vertus républicaines, le respect de la discipline, l'austérité de la vie, le mépris de la mort. Ayez toujours présente l'image de la patrie en péril ; n'oubliez jamais que faiblir devant l'ennemi à l'heure où nous sommes, c'est commettre un parricide et en mériter le châtiment.

« Mais le temps dos défaillances est passe, c'est fini des trahisons ! Les destinées du pays vous sont confiées, car vous êtes la jeunesse française, l'espoir armé de la patrie : vous vaincrez ! et après avoir rendu à la France son rang dans le monde, vous resterez les citoyens d'une République paisible, libre et respectée.

« Vive la France !

« Vive la République !

« Le membre du gouvernement, ministre de l'intérieur et de la guerre,

« Léon GAMBETTA.

[5] Voir à la fin du chapitre le rapport du général d'Aurelles de Paladines sur la bataille de Coulmiers.

[6] Dans un ouvrage riche de documents et d'informations sur le séjour des Prussiens à Versailles, nous lisons, à la date du 12 novembre :

« Des trains chargés de blessés allemands arrivaient sans cesse à la gare des Chantiers. Los conducteurs français des chevaux qui traînaient ces trains n'obtinrent pas, pondant plusieurs jours, la permission d'entrer en ville : on craignait sans doute qu'ils ne donnassent des détails sur ce qu'ils avaient vu ; mais peu à peu, comme toujours, la vente se répandit, mêlée, il est vrai, à beaucoup d'erreurs ; il fut du moins certain que les Allemands avaient dû évacuer Orléans. Pour la première fois ils reculaient.

« L'attitude des officiels avait sensiblement changé. Ils ne caracolaient plus avec tant d'insolence sur les avenues. Les réjouissances nocturnes de l'hôtel des Réservoirs avaient cessé ; à 9 heures tous les princes étaient couches. Dans la ville : on voyait de tous côtés des préparatifs de dopait plus ou moins avoues. La plupart des malles d'officiers étaient prêtes et plusieurs d'entre eux firent leurs adieux a leurs hôtes. Chez, le roi Guillaume et chez M. de Moltke les fourgons lurent chargés, comme au 21 octobre, de l'argenterie et des archives. »

(Versailles pendant l'occupation, recueil de documents pour servir à l'histoire de l'invasion allemande, publie par E. Delerot.)

[7] Dans cette évaluation était compris le corps dont la formation s'achevait au Mans.

[8] L'opinion répandue en province assignait le 13 décembre comme limite dernière de la résistance de Paris. M. Jules Favre avait écrit a Tours, la 26 novembre. « Nous ne dépasserons pas cette date, si nous pouvons l'atteindre. » Il fallait donc agir promptement.