LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

TOME PREMIER

LIVRE SEPTIÈME. — SIÈGE DE PARIS - DU 30 SEPTEMBRE A LA CAPITULATION DE METZ.

 

 

Combat de Chevilly (30 septembre). Mort du général Guilhem. — Etat des esprits dans Paris. — La question des subsistances. — Le rationnement. — Les ballons et les pigeons voyageurs. — Les espions, les arrestations ; fièvre de la population. — Premières résistances contre le gouvernement. Accusations dirigées contre lui. — Résolutions du « Comité central républicain » dans la salle de l'Alcazar. Les délégués du Comité à l'Hôtel-de-Ville. — La question des élections municipales. — Les élections indéfiniment ajournées. — Première manifestation sur la place de l'Hôtel-de-Ville ; Gustave Flourens. — Réponse du gouvernement. — Nouvelles des départements. — Insuffisance reconnue de la délégation de Tours. — Départ de M. Gambetta, le 7 octobre. — Proclamation aux départements. — Manifestation du 8 octobre. — Réprobation générale contre les agitateurs. Discours de M. Jules Favre sur la place de l'Hôtel-de-Ville. — Combat de Bagneux (13 octobre). — Armement de Paris. — Activité du ministère des travaux publics. — Les canons, les mitrailleuses. — Tableau des forces réunies sous Paris. — Mobilisation de la garde nationale. — Combat de la Malmaison (21 octobre). — Nouvelles de province ; Orléans, Châteaudun. — Félix Pyat, le Combat et Bazaine. — Démenti du gouvernement. Combat du Bourget. — Reprise du Bourget. — Arrivée de M. Thiers à Paris. — Bruits d'armistice. — Emotion extraordinaire provoquée par la nouvelle de la capitulation de Metz.

 

De la bataille de Châtillon à la fin du mois de septembre, aucun événement militaire important ne se passa sous les murs de Paris. Çà et là des escarmouches entre les avant-postes des deux armées, des coups de canon tirés par les forts sur les convois ennemis, des reconnaissances partielles aux abords des villages où l'assiégeant élevait des ouvrages de défense ; tels furent les incidents préparatoires d'opérations plus sérieuses. La garde mobile s'exerçait au métier des armes dans ces petits combats et l'on pouvait prévoir le moment où ces troupes inexpérimentées iraient au feu sans défaillance.

Le 30 septembre, au point du jour, Paris fut réveillé par une violente canonnade qui grondait du côté du sud. Une action très-vive venait de s'engager en avant du plateau de Villejuif, sur cet espace accidenté, compris entre le cours de la Bièvre et de la Seine et où se trouvent Choisy-le-Roi, Thiais, Chevilly et l'Hay. La route de Choisy-le-Roi à Versailles par où les Prussiens conduisaient leurs convois de vivres et de troupes, passe auprès de ces localités, que l'assiégeant s'était hâté de fortifier pour rester libre de ses mouvements et garder ses communications avec le quartier général fixé, comme on sait, à Versailles. Le général Trochu avait résolu de diriger une attaque contre ces points fortifiés. Il prescrivit au général Vinoy de s'avancer sur Choisy-le-Roi, Thiais, Chevilly, l'Hay, de détruire les ouvrages construits par l'ennemi et de faire sauter, si c'était possible, le pont de Choisy-le-Roi. Le 30 septembre, à l'aube, les forts de Charenton, Ivry, Bicêtre et Montrouge ouvrent le feu pour préparer l'attaque de l'infanterie, pendant que les troupes, divisées en trois colonnes après avoir passé la nuit en avant du plateau de Villejuif, s'apprêtent à se porter en avant. Aussitôt que le feu des forts a cessé, l'ordre de marche est donné. A droite, le général Maudhuy se dirige sur l'IIay, pendant que le général Guilhem, se précipitant avec impétuosité sur Chevilly, chasse l'ennemi de ses positions et reste maître du village. Malheureusement l'attaque de l'aile gauche sur Choisy-le-Roi n'est pas couronnée de succès. De ce côté, le général Blaise, après quelques avantages, se heurte à une résistance insurmontable, favorisée par des murs crénelés d'où l'ennemi fait beaucoup de mal à ses soldats ; il est obligé de battre en retraite. Pendant ce temps, vers la droite, les soldats du général Maudhuy, pén7trant avec vigueur Dans l'Hay, s'emparent d'une batterie, qu'ils ne peuvent emmener, faute d'attelages. Ils ne jouissent pas longtemps de leur victoire. Les Prussiens reviennent contre le village avec des forces supérieures ; et ce retour offensif Coûte la vie au brave général Guilhem qui tombe frappé de dix balles. Chevilly se trouvant isolé par suite de la retraite des troupes du général Maudhuy, les soldats, fort émus de la mort de leur général, craignent d'être enveloppés. Le général Vinoy a vu le danger et, redoutant une débandade, il fait sonner la retraite. Outre la perte du général Guilhem, nous eûmes en tués, blessés ou disparus 1.988 hommes ; la lutte avait été meurtrière dans le village de Chevilly, qui lui donna son nom.

L'effet moral du combat de Chevilly fut très-grand à Paris. Les mobiles de la Côte-d'Or et de la Vendée avaient reçu sans faiblir le baptême du feu ; les troupes de ligne venaient de faire oublier par leur honorable conduite les tristes souvenirs de la débandade de Châtillon. La chaude affaire qui venait de se passer était le présage d'une action vigoureuse contre l'armée assiégeante ; c'était, du moins, l'opinion générale. Cette bonne impression n'était pas exemple, il est vrai, de quelque amertume ; on jugeait, non sans humeur, le commandant en chef qui, faute d'attelages, avait privé les soldats du général Blaise de la joie de ramener la batterie enlevée à l'ennemi. Une telle conquête, après tant d'événements décourageants, eût réchauffé les cœurs et augmenté la confiance des troupes dans leur propre valeur.

Un armistice de quelques heures ayant été conclu le lendemain pour l'enlèvement des morts et des blessés, les Allemands apportèrent aux ambulances françaises le cercueil du général Guilhem couvert de fleurs et de feuillage. Le service funèbre fut célébré aux Invalides.

Les temps sérieux commençaient pour Paris. On n'avait jamais vu, dans le cours de l'histoire, une ville de deux millions d'habitants privée tout à coup de communications avec le reste du monde et réduite pour vivre à ses seules ressources. Quel problème que celui des approvisionnements pour une cité si vaste ! Ce fut, au début du siège, la préoccupation dominante. Pouvait-il en être autrement ? Était-il possible de songer sans effroi aux calamités que la famine entraînerait, au milieu d'une si grande population surexcitée ? Lorsque le Gouvernement annonça, dans le Journal officiel, que la ville était approvisionnée pour deux mois, cette nouvelle occasionna un grand soulagement, tout en rencontrant dans beaucoup d'esprits une légère incrédulité. On ne se figurait pas qu'on pût avoir assuré en quelques jours la subsistance de deux millions d'hommes pour deux mois ; deux mois, du reste, cela paraissait un long espace de temps. Dans la pensée générale, le siège de Paris ne durerait jamais soixante jours ; avant l'expiration de ce délai, la province serait accourue au secours de la capitale. Il était cependant indispensable de ménager les vivres accumulés dans les murs de la ville assiégée : en conséquence, au commencement d'octobre, la ration de la viande de boucherie fut fixée à 100 grammes par tête. Le temps approchait où cette viande, faisant défaut, serait remplacée par la viande de cheval, d'âne, de mulet et autres animaux dont l'homme, en temps normal, respecte l'existence. En présence de cette éventualité, la bonne humeur parisienne ne se démentit pas un instant. Les hommes qui ne savent pas se soumettre à un régime de siège avaient eu la précaution de sortir de Paris avant l'investissement, les uns pour se cacher en province, les autres pour contempler la lutte du sein des pays étrangers.

Si la population parisienne se résigna en souriant à la viande de cheval, elle se soumit avec plus de peine à l'absence de toutes nouvelles du dehors, car si l'on était prêt à agir pour la délivrance, au moins fallait-il agir de concert avec la province et savoir ce qui se passait dans le reste de la France. Ceci, un jour, paraîtra de la légende : cette immense ville ne communiquait plus avec la France et le monde que par des ballons qui emportaient ses correspondances et ses journaux, et elle ne recevait elle-même de nouvelles du dehors que par des pigeons voyageurs qui, emportés dans les ballons, revenaient à leur colombier, poussés par leur merveilleux instinct, rapportant attachées à une aile les dépêches de la province. La ville de l'esprit et de l'intelligence était, en plein dix-neuvième siècle, suspendue au vol d'un oiseau, ne connaissant que par ce messager des temps primitifs les événements dont la France était le théâtre. Qu'un accident, qu'un épais brouillard vînt arrêter dans sa course le pigeon voyageur ; c'était, pour deux millions d'êtres humains, la solitude morale ajoutée à l'autre, et pour le commandement militaire, le tâtonnement et l'incertitude. Un câble télégraphique reliant Paris à Rouen avait été jeté dans le lit de la Seine, au commencement du siège ; les Prussiens, en fouillant le fleuve, avaient coupé le fil. D'autres expériences avaient été tentées sans succès ; Paris en était resté aux pigeons et aux ballons. Cette histoire semble appartenir à une antiquité reculée ; elle a été la nôtre, au milieu du siècle le plus éclairé qui ait jamais été.

Dans toute ville assiégée, la population arrachée à ses habitudes de travail, vit, pour ainsi dire, sur les places publiques ; des nouvelles contradictoires circulent dans les groupes ; les esprits vont sans cesse d'un extrême à l'autre, tantôt confiants, pleins d'espérance, tantôt abattus, en proie au découragement. De ce choc perpétuel de sentiments contraires découle en peu de temps une lassitude singulière, un état nerveux spécial qui fait qu'on croit aux récits les plus étranges. Ce n'est pas assez des dangers réels, on se forge des dangers imaginaires ; on voit des ennemis partout. La population parisienne, toute sceptique et vaillante qu'elle soit, ne sut pas échapper à cette crise nerveuse. Il est hors de doute que l'ennemi entretenait des espions dans la ville et qu'il était tenu par eux au courant de tout ce qui s'y passait. On en vint à suspecter tout étranger et à se livrer à une véritable débauche d'arrestations. Sous les prétextes les plus futiles, des gardes nationaux pénétraient dans les maisons particulières ; le mouvement d'une lampe à un étage élevé était interprété comme un signal par une foule surexcitée : il s'en suivait des scènes tumultueuses. Des gens inoffensifs étaient conduits au poste, où on ne tardait pas, d'ailleurs, à les mettre en liberté. Le gouverneur de Paris fut obligé de modérer, par une circulaire, le zèle des gardes nationaux. Quant aux véritables espions, ils continuaient paisiblement leur métier, pendant qu'on s'imaginait les avoir arrêtés. Ils n'avaient pas besoin de correspondre avec l'assiégeant au moyen de signaux nocturnes, que celui-ci n'aurait pas aperçus, du reste, à la distance où il était de la ville. Les véritables espions étaient des maraudeurs, des femmes, des enfants même qui, chaque jour, franchissaient les avant-postes et portaient à l'ennemi les journaux de Paris. Le général Trochu crut mettre un terme à ces relations criminelles en soumettant à la formalité d'un laissez-passer toutes les personnes qui franchissaient les lignes avancées. En fait, on peut croire que ces correspondances coupables ne furent jamais interrompues ; les misérables que l'ennemi payait pour faire ce métier y mirent seulement un peu plus de prudence.

Des difficultés d'un autre ordre occupaient l'attention du gouvernement. On n'a pas oublié qu'au 4 septembre les membres du gouvernement institué à l'Hôtel-de-Ville avaient laissé à l'écart les représentants du parti républicain avancé. De ces hommes, les uns, portant des noms éclatants, jouissaient de l'estime universelle, et il est certain que leur admission au sein du gouvernement n'eût provoqué ni réclamation, ni défiance ; les autres, au contraire, haineux et agressifs, dissimulaient mal le dépit qu'ils avaient éprouvé d'être tenus à l'écart, et, sans se rendre compte des difficultés de la première heure, dès les premiers jours du siège, ils avaient hautement accusé le gouvernement de faiblesse et d'incapacité. Ils demandaient les élections municipales qui, seules, dans leur pensée, devaient imprimer un caractère énergique à la résistance et sauver Paris et la France. On voit dès le 20 septembre, un comité qui s'intitule « comité central républicain des vingt arrondissements de Paris » se réunir dans la salle de l'Alcazar, et, sur la proposition d'un de ses membres, formuler les résolutions suivantes :

I. La République ne peut traiter avec l'ennemi qui occupe le territoire.

II. Paris est résolu à s'ensevelir sous ses ruines plutôt que de se rendre.

III. La levée en masse sera immédiatement décrétée dans Paris et dans les départements, ainsi que la réquisition générale de tout ce qui peut être utilisé pour la défense du pays et la subsistance de ses défenseurs.

IV. La remise immédiate entre les mains de la commune de Paris de la police municipale. En conséquence, suppression de la Préfecture de police.

V. L'élection rapide des membres de la commune. Cette commune se composera d'un membre a raison de dix mille habitants.

Il est arrêté que les résolutions ci-dessus seront portées par voie d'affichage à la connaissance de la population de Paris et seront en même temps notifiées au gouvernement provisoire par une commission composée de vingt délégués choisis dans les arrondissements de Paris.

Il est encore arrêté par l'assemblée que chaque citoyen devra veiller en armes au maintien des affiches.

 

De qui les membres du comité central républicain avaient-ils reçu le pouvoir qu'ils s'arrogeaient ? En vertu de quelle élection ? On l'ignore. Toujours est-il que les résolutions adoptées dans la réunion du 20 septembre furent apportées à l'Hôtel-de-Ville par des délégués choisis à cet effet. Là on leur donna l'assurance que les élections de la commune de Paris auraient lieu, selon toute apparence, le dimanche 28 septembre. On sait qu'à la suite de l'entrevue de Ferrières, le gouvernement, modifiant son projet primitif, ajourna indéfiniment l'élection d'une Assemblée nationale, et, du même coup, les élections municipales de Paris. La querelle s'envenimait. Les feuilles radicales, très-irritées répondirent aussitôt qu'il fallait passer outre sur le décret du gouvernement et procéder aux élections municipales les 2 et 3 octobre. Les clubs, animés par les délégués du comité central, applaudirent à cette résolution. On se ravisa pourtant au dernier moment et l'on décida qu'il y avait lieu d'accorder un nouveau crédit au gouvernement. L'orage, un instant, apaisé, ne tarda pas à gronder encore.

Il y avait alors dans le quartier de Bolleville une sorte de roi, commandant six bataillons de la garde nationale, tête chaude et cœur généreux, brave jusqu'à la témérité, imprudent jusqu'à la folie, très-populaire, parce qu'il était honnête et qu'il avait beaucoup lutté contre l'Empire : c'était Gustave Flourens. Toujours prêt au sacrifice de sa vie, il courait volontiers vers le danger tête baissée. Flourens ne comprenait pas que le général Trochu n'eût pas déjà lancé contre l'ennemi toutes les troupes réunies dans Paris, et il était de ceux qui pensaient que les élections municipales, faisant passer le pouvoir en d'autres mains, arracheraient Paris à l'étreinte des Prussiens. Les orateurs de clubs propageaient cette chimère, et, de concert avec la presse hostile au gouvernement, exaltaient le cerveau de Flourens, qui n'avait pas besoin de ce surcroît d'excitation, depuis que six mille hommes résolus obéissaient à ses ordres. Flourens se trouvait être, au commencement d'octobre, l'homme d'action des partisans de la commune. Il le fit voir.

Le 5 octobre, dans l'après-midi, il descend avec ses six bataillons, musique en tête, sur la place de l'Hôtel-de-Ville, et se présente, accompagné des officiers de son état-major, devant les membres du gouvernement. Il vient, dit-il, au nom de ses amis, porter plusieurs réclamations ; il demande que les élections municipales aient lieu dans le plus bref délai, que la garde nationale soit armée avec les chassepots restant dans les magasins de l'Etat, que des sorties sérieuses soient faites par la garnison de Paris contre l'armée assiégeante. Sinon, il donnera sa démission, et la défense de Paris se passera de ses services. Tel fut, en résumé, son discours.

M. Gambetta, ministre de l'intérieur, répond à Flourens que les élections municipales, primitivement fixées au 28 septembre, sont et demeurent ajournées ; il serait urgent de réviser les listes électorales ; or, on ne vient pas même se faire inscrire : d'ailleurs, ajoute-t-il, ces questions regardent le gouvernement seul et se résolvent sous la responsabilité personnelle de ses membres.

M. Dorian, répond à son tour, comme ministre des travaux publics, que les dix mille chassepots en magasin sont destinés à remplacer ceux qui se brisent entre les mains de la garde mobile : il faudrait avoir de l'acier pour en fabriquer de nouveaux, mais l'acier manque à Paris. À défaut de chassepots, il s'engage à fournir, en quinze jours, dix mille fusils à tabatière et soixante mitrailleuses, mais il ne peut pas faire davantage. Quant aux grandes sorties demandées par Flourens, le général Trochu estime qu'avant de les tenter il importe de compléter l'armement et d'équilibrer les chances de la lutte. Agir autrement, ce serait vouer des milliers de citoyens à une mort certaine et inutile.

Peu satisfait de ces réponses, Flourens remonte à Belleville à la tête de ses Bataillons, très-exalté et résolu à recommencer tôt ou tard une lutte engagée sous le regard' de l'ennemi.

Ces sommations imprudentes et prématurées jetèrent dans Paris une émotion très-vive, et leur conséquence fut d'éveiller des doutes sur l'opportunité des élections municipales. Quand la partie sensée de la population comprit que les partisans de la commune se proposaient de prendre la place du gouvernement et de substituer à un pouvoir connu un pouvoir inconnu, elle s'attacha davantage à ce qui existait. Les hommes qui siégeaient à l'Hôtel-de-Ville lui paraissaient offrir des garanties plus sérieuses que les représentants de ce comité central, dont l'existence venait de se révéler. De son côté, lé gouvernement, se sentant appuyé contre ses adversaires par l'immense majorité de Paris, écarta tout à fait les élections municipales. On eût dit qu'il les redoutait ; or il n'est pas douteux qu'elles lui eussent été favorables, et il n'y a aucune témérité à penser que les hommes élus à cause de leur valeur personnelle ou de l'éclat de leur nom auraient apporté un concours puissant au gouvernement. Une autre conséquence des élections eût été d'imposer silence aux récriminations des quartiers exaltés en leur ôtant le prétexte légitime au nom duquel ils s'agitaient. Le gouvernement manqua, en cette occurrence, ou d'habileté ou de décision. Quant à ses adversaires, irrités' par ce premier échec qui les rendait suspects, ils redoublèrent d'efforts dans la presse et dans les clubs, se promettant bien de rentrer en scène à la première faute. Les fautes, hélas ! ne devaient pas manquer dans une situation si critique.

Un rayon d'espoir vint luire tout à coup dans ce ciel chargé d'orages. Une dépêche apportée de province par un pigeon voyageur brisait enfin le long silence dont Paris souffrait depuis deux semaines. La délégation de Tours annonçait que les départements organisaient la résistance et que tous les hommes valides accouraient sous les drapeaux pour faire à l'étranger une guerre à outrance.

Ces bonnes nouvelles ne dissipèrent pas les craintes du gouvernement à l'endroit de la délégation de Tours, que toute la presse parisienne accusait de faiblesse. Un mois s'était écoulé depuis le départ de MM. Glais-Bizoin et Crémieux : qu'avaient-ils fait ? où étaient les armées qu'ils avaient levées ? D'après un bruit très-répandu, les membres de la délégation étaient entourés d'anciennes créatures de l'Empire qui paralysaient leurs efforts et leur représentaient sans cesse la nécessité de faire procéder aux élections. Le décret rendu à Paris le 24 septembre' et ajournant jusqu'à nouvel ordre la nomination d'une Assemblée était-il parvenu à Tours ? Serait-il exécuté ? Le gouvernement de Paris avait des raisons pour en clouter. D'autre part, le général Trochu s'était arrêté à un plan qui consistait à opérer une trouée à l'ouest de Paris et à se diriger vers Rouen, en suivant le cours de la Seine. Ce mouvement ne pouvait réussir que si l'armée parisienne agissait de concert avec les armées de province. Gomment prévenir la délégation de Tours de ce dessein, auquel était attaché le salut de la patrie ? Le gouvernement résolut d'envoyer un de ses membres à Tours, et il choisit pour cette importante mission M. Gambetta, ministre de l'intérieur, dont le patriotisme, la jeunesse, l'éloquence enflammeraient le pays. M. Gambetta ne recula pas devant le périlleux voyage que lui proposaient ses collègues : n'écoutant que son amour pour la France, il monta en ballon dans la matinée du 7 octobre, en présence d'une foule immense, qui le poursuivit longtemps de ses acclamations ; le soir du même jour, après avoir entendu siffler les balles allemandes, il atterrissait dans la forêt d'Epineuse, non loin de Montdidier (Somme) ; le lendemain, il arrivait à Tours, pendant que la France, informée de cet événement par le télégraphe, sentait un sang nouveau circuler dans ses veines et ressaisissait les grands espoirs.

M. Gambetta publiait en arrivant la proclamation suivante :

Tours, 9 octobre 1870.

Citoyens des départements,

Par ordre du gouvernement de la République, j'ai quitté Paris pour venir vous apporter, avec les espérances du peuple renfermé dans ses murs, les instructions et les ordres de ceux qui ont accepté la mission de délivrer la France de l'étranger.

Paris, depuis dix-sept jours étroitement investi, a donné au monde un spectacle unique, le spectacle de plus de deux millions d'hommes qui, oubliant leurs préférences, leurs dissidences antérieures, pour se serrer autour du drapeau de la République, ont déjà déjoué les calculs des envahisseurs, qui comptaient sur la discorde civile pour lui ouvrir les portes de la capitale.

La révolution avait trouvé Paris sans canons et sans armes. A l'heure qu'il est, on a armé quatre cent mille hommes de garde nationale, appelé cent mille mobiles, groupé soixante mille hommes de troupes régulières. Les ateliers fondent des canons, les femmes fabriquent un million de cartouches par jour ; la garde nationale est pourvue de deux mitrailleuses par bataillon ; on lui fait des canons de campagne pour qu'elle puisse opérer bientôt des sorties contre les assiégeants ; les forts occupés par la marine ressemblent à autant de vaisseaux de haut bord immobiles, garnis d'une artillerie merveilleuse et servie par les premiers pointeurs du monde. Jusqu'à présent, sous le feu de ces forts, l'ennemi a été impuissant à établir le moindre ouvrage.

L'enceinte elle-même, qui n'avait que 300 canons, le 4 septembre, en compte aujourd'hui 3.800 ; à la même date, il y avait 30 coups de canon à tirer par pièce ; aujourd'hui il y en a 400, et l'on continue à fondre des projectiles avec une fureur qui tient du vertige. Tout le monde a son poste marqué dans la cité et sa plate de combat. L'enceinte est perpétuellement couverte par la garde nationale, qui, de l'aube à la nuit, se livre à tous les exercices de la guerre avec l'application du patriotisme, et on sent tous les jours grandir la solidité et l'expérience de ces soldats improvisés.

Derrière cette enceinte ainsi gardée, s'élève une troisième enceinte, construite sous la direction du comité des barricades ; derrière ces pavés savamment disposés, l'enfant de Paris a retrouvé, pour la défense des institutions républicaines, le génie même du combat des rues.

Toutes ces choses, partout ailleurs impossibles, se sont exécutées au milieu du calme, de l'ordre, et grâce au concours enthousiaste qui a été donné aux hommes qui représentent la République. Ce n'est point une illusion ; ce n'est pas non plus une vaine formule : Paris est inexpugnable ; il ne peut plus être pris, ni surpris.

Restaient aux Prussiens deux autres moyens d'entrer dans la capitale, la sédition et la faim. La sédition, elle ne viendra pas, car les suppôts et les complices du gouvernement déchu, ou bien ils ont fui, ou bien ils se cachent. Quant aux serviteurs de la République, les ardents comme les tièdes, ils trouvent dans le gouvernement de l'Hôtel de Ville d'incorruptibles otages de la cause républicaine et de l'honneur national.

La famine !

Prêt aux dernières privations, le peuple de Paris se rationne volontairement tous les jours ; et il a devant lui, grâce aux accumulations de vivres, de quoi défier l'ennemi pendant de longs mois encore. Il supportera avec une mâle constance la gêne et la disette, pour donner à ses frères des départements le temps d'accourir et de le ravitailler.

Telle est, sans déguisement ni détour, la situation de la capitale de la France.

Citoyens des départements,

Cette situation vous impose de grands devoirs.

Le premier de tous, c'est de ne vous laisser divertir par aucune préoccupation qui ne soit pas la guerre, le combat à outrance ; le second, c'est, jusqu'à la paix, d'accepter fraternellement le commandement du pouvoir républicain sorti de la nécessité et du droit. Ce pouvoir, d'ailleurs, ne saurait sans déchoir s'exercer au profit d'aucune ambition. II n'a qu'une passion et qu'un titre : arracher la France à l'abîme où la monarchie l'a plongée. Cela fait, la République sera fondée et à l'abri des conspirateurs et des réactionnaires.

Donc, toutes autres affaires cessantes, j'ai mandat, sans tenir compte des difficultés ni des résistances, de remédier, avec le concours de toutes les libres énergies, aux vices de notre situation, et, quoique le temps manque, de suppléer à force d'activité à l'insuffisance des délais. Les hommes ne manquent pas. Ce qui a fait défaut, c'est la résolution, la décision et la suite dans l'exécution des projets.

Ce qui a fait défaut après la honteuse capitulation de Sedan, ce sont les armes. Tous nos approvisionnements de cette nature avaient été dirigés sur Sedan, Metz et Strasbourg ; et l'on dirait que, par une dernière et criminelle combinaison, l'auteur de tous nos désastres a voulu, en tombant, nous enlever tous les moyens de réparer nos ruines. Maintenant, grâce à l'intervention d'hommes spéciaux, des marchés ont été conclus, qui ont pour but et pour effet d'accaparer tous les fusils disponibles à l'étranger. La difficulté était grande de se procurer la réalisation de ces marchés : elle est aujourd'hui surmontée.

Quant à l'équipement et à l'habillement, on va multiplier les ateliers et requérir les matières premières, si besoin est ; ni les bras ni le zèle des travailleurs ne manquent ; l'argent ne manquera pas non plus.

Il faut enfin mettre en œuvre toutes nos ressources qui sont immenses, secouer la torpeur de nos campagnes, réagir contre de folles paniques, multiplier la guerre de partisans, et, à un ennemi si fécond en embûches et en surprises, opposer des pièges, harceler ses flancs, surprendre ses derrières, et enfin inaugurer la guerre nationale.

La République fait appel au courage de tous ; son gouvernement se fera un devoir d'utiliser tous les courages et d'employer toutes les capacités. C'est sa mission à elle d'armer les jeunes chefs, nous en ferons ! Le ciel lui-même cessera d'être clément pour nos adversaires, les pluies d'automne viendront, et retenus par la capitale, les Prussiens, si éloignés de chez eux, inquiétés, troublés, pourchassés par nos populations réveillées, seront décimés pièce à pièce par nos armes, par la faim, par la nature.

Non, il n'est pas possible que le génie de la France se soit voilé pour toujours, que la grande nation se laisse prendre sa place dans le monde par une invasion de cinq cent mille hommes.

Levons-nous donc en masse, et mourons plutôt que de subir la honte du démembrement. A travers tous nos désastres, et sous les coups de la mauvaise fortune, il nous reste encore le sentiment de l'unité française, l'indivisibilité de la République. Paris cerné affirme plus glorieusement encore son immortelle devise, qui dictera aussi celle de toute la France.

Vive la nation ! Vive la République une et indivisible !

Le membre du Gouvernement de la défense nationale, ministre de l'intérieur,

Léon GAMBETTA.

 

Pendant que les départements se réveillaient à la voix de M. Gambetta, les partisans des élections municipales continuaient, dans Paris, leurs manifestations dans l'espoir d'obliger le gouvernement à accéder à leurs désirs. Le comité central des vingt arrondissements, les clubs et la presse radicale soufflaient le feu sans trêve ni repos et se répandaient en accusations sur toutes choses. Tous leurs reproches n'étaient pas injustes, mais la violence de leur langage consolidait le gouvernement, au lieu de l'ébranler, et le dépit qu'ils en éprouvaient augmentait encore leur impatience. De nouveaux rassemblements se formèrent, le 8 octobre, sur la place de l'Hôtel-de-Ville. Des cris nombreux de « Vive la commune ! » se firent entendre dans les groupes. Ils se perdirent au milieu d'une foule qui, indifférente en apparence, n'en condamnait pas moins avec sévérité des hommes qui semaient la discorde dans une ville assiégée. Des bataillons de la garde nationale étant accourus pour défendre le gouvernement, les manifestants, voyant leur impuissance, prirent le parti de se retirer. Sur ces entrefaites, le général Trochu arrivait à cheval et recevait une ovation. Les membres du gouvernement descendaient de l'Hôtel-de-Ville et passaient la garde nationale en revue, recueillant sur leur passage les cris de : « Vive le gouvernement ! Vive la République ! Pas de commune ! »

« Messieurs, dit M. Jules Favre aux officiers rassemblés, cette journée est bonne pour la défense, car elle affirme une fois de plus et d'une manière éclatante notre ferme résolution de rester unis pour sauver la patrie. Cette union intrépide, dévouée dans une seule et même pensée, elle est la raison d'être du gouvernement que vous avez fondé le 4 septembre.

« Aujourd'hui vous consacrez de nouveau sa légitimité. Vous entendez le maintenir pour qu'avec vous il délivre le sol national de la souillure de l'étranger ; de son côté, il s'engage envers vous à poursuivre ce noble but jusqu'à la mort, et, pour l'atteindre, il est décidé à agir avec fermeté contre ceux qui tenteraient de l'en détourner.

« Par un redoutable hasard de la fortune, Paris a l'honneur de concentrer sur lui les efforts des agresseurs de la France. Il est son boulevard. Il la sauvera par votre abnégation, par votre courage, par vos vertus civiques, et si quelques téméraires essayent de jeter dans son sein des germes de division, votre bon sens les étouffera sans peine.

« Tous, nous eussions été heureux de donner aux pouvoirs municipaux le fondement régulier d'une libre élection. Mais tous aussi, nous avons compris que, lorsque les Prussiens menacent la cité, ses habitants ne peuvent être qu'aux remparts et même au dehors, où ils brûlent d'aller chercher l'ennemi.

« Quand ils l'auront vaincu, ils reviendront aux urnes électorales, et, au moment où je vous parle, entendez-vous l'appel suprême qui m'interrompt ? C'est la voix du canon qui tonne et qui nous dit à tous où est le devoir.

« Messieurs, un mot encore :

« Aux remercîments du gouvernement, qui est votre œuvre, votre cœur, votre âme, qui n'est quelque chose que par vous et pour vous, laissez-moi mêler un avis fraternel : que cette journée ne fasse naître en nous aucune pensée de colère, ou même d'animosité. Dans cette grande et généreuse population, nous n'avons pas d'ennemis. Je ne crois pas même que nous puissions appeler adversaires ceux qui me valent l'honneur d'être maintenant au milieu de vous. Ils ont été entraînés ; ramenons-les par notre patriotisme. La leçon ne sera pas perdue pour eux ; ils verront par votre exemple combien il est beau d'être unis pour servir la patrie ; et désormais c'est avec nous qu'ils voleront à sa défense. »

M. Jules Favre était optimiste : le gouvernement avait des ennemis, peu nombreux, il est vrai, auxquels il pardonnait, mais qui ne lui pardonnaient pas. Flourens en s'éloignant, le 5 octobre, de l'Hôtel-de-Ville avait dit que la lutte recommencerait un jour ; les auteurs de la manifestation du 8 octobre emportèrent le même sentiment, aigri par deux échecs. Quant au gouvernement, il reçut de ce double conflit une popularité plus grande, et, comme conséquence, une responsabilité plus lourde. Pour désarmer ses adversaires et les mettre dans l'impuissance de nuire, ce n'était pas assez de ne pas leur céder la place, comme ceux-ci le souhaitaient sous prétexte d'instituer la commune ; il fallait leur fermer la bouche par un redoublement d'activité, par de fréquentes sorties contre l'armée assiégeante. Le général Trochu, dont le prestige n'avait point encore baissé, disait avoir son plan, et on le croyait sur parole ; l'immense majorité de Paris estimait donc qu'il n'était ni juste, ni prudent de presser l'exécution d'un projet qui ne pouvait être couronné de succès que si on l'exécutait en temps opportun ; on fabriquait des canons et des projectiles, on organisait la garde nationale ; chaque jour amenait un progrès nouveau. Pourquoi, disait-on, venir troubler le gouvernement au milieu de son œuvre ? Pourquoi lui susciter des difficultés ? Ainsi raisonnait dans son bon sens la population parisienne ; aussi jugeait-elle avec une extrême sévérité les auteurs des manifestations qui, en semant des ferments de discorde, apportaient une diversion funeste à l'œuvre de la défense.

Pendant que ces événements se passaient dans l'intérieur de Paris, les avant-postes continuaient à se tenir en éveil par de continuelles escarmouches : c'étaient de petits combats qui n'avaient d'autre avantage que d'accoutumer au feu nos troupes inexpérimentées, et surtout nos mobiles. L'impatience publique ne s'accommodait pas de ces rencontres insignifiantes, relatées dans des rapports quotidiens très-monotones. On attendait tous les jours un engagement plus sérieux contre les lignes d'investissement. De son côté, le gouverneur de Paris déclarait qu'il saurait résister à l'impatience publique et qu'il agirait à son heure. Toutefois, le 13 octobre une tentative assez sérieuse fut dirigée sur la ligne de Choisy-le-Roi à Versailles, sur les lieux mêmes où les troupes du 13e corps s'étaient déjà deux fois battues, d'abord à Châtillon puis à Chevilly. L'armée assiégeante s'était empressée de fortifier le fort de Châtillon, position excellente pour assurer la liberté de ses mouvements entre Choisy-le-Roi et Versailles et pour menacer les forts du Sud. Le gouverneur de Paris se décida à faire attaquer la redoute. A cet effet, le 13e corps fut divisé en trois colonnes : la première formant l'extrême droite, reçut l'ordre de se porter contre Clamart ; la seconde, au centre, sous le commandement du général Susbielle, devait marcher sur le village de Châtillon et s'avancer ensuite contre la redoute ; la troisième, comptant dans ses rangs les mobiles de l'Aube et de la Côte-d'Or, avait ordre d'attaquer Bagneux, village occupé par l'ennemi et couvert de barricades.

Au signal donné par le fort de Vanves, les mobiles de l'Aube et de la Côte-d'Or se précipitent sur Bagneux, défendu par le 5e bataillon de chasseurs à pied, du 2e corps Bavarois. Les Bavarois surpris sont chassés de barricade en barricade et forcés d'évacuer le village ; ils laissent entre les mains des mobiles des armes et des prisonniers. Le commandant des mobiles de l'Aube, M. de Dampierre, avait perdu la vie dans ce brillant fait d'armes. Moins heureux au centre, la colonne commandée par le général Susbielle, après avoir traversé Châtillon, ne peut aborder la redoute. L'ennemi, abrité derrière des murs crénelés, lui faisait beaucoup de mal et retardait sa marche, ce qui donnait aux renforts le temps d'accourir. Déjà en effet, on voyait arriver de l'artillerie par la Croix-de-Berny. Vers six heures, des batteries démasquées à Sceaux et à Bourg-la-Reine lançaient des obus sur Bagneux, où les mobiles n'avaient pas songé à se fortifier, dans l'ignorance où l'on était si l'on voulait garder le village pour reprendre le lendemain l'attaque de la redoute. Quelle était à cet égard l'intention du général Trochu ? Le général Vinoy, commandant en chef du 13e corps, déclare ne l'avoir jamais su. Après avoir pris Bagneux, il avait adressé au gouverneur de Paris la dépêche suivante :

« Nous sommes maîtres de Bagneux, je prends des mesures pour nous y maintenir : voulez-vous le conserver ? »

Le général Trochu répondit d'une façon évasive, ne disant à Vinoy ni de conserver ni d'abandonner le village. Le commandant du 13e corps en conclut qu'il devait se retirer sous le canon des forts.

Vers trois heures, on sonne la retraite. Aussitôt des colonnes d'infanterie prussienne se précipitent sur Bagneux, et, dans leur élan, menacent de nous poursuivre hors du village ; nos troupes, faisant volte-face à propos, ouvrent sur les Bavarois un feu nourri qui, joint à la canonnade des forts, les oblige à rétrograder. Ainsi finit le combat de Bagneux. La journée avait été honorable pour nous ; les troupes s'étaient bien battues ; mais quel avait été le but du général Trochu ? Était-ce la reprise de la redoute de Châtillon ? Dans ce cas, pourquoi n'avoir pas ordonné à la colonne du centre de se fortifier dans Bagneux, afin de trouver dans ce village un solide point d'appui pour une nouvelle attaque ? Ou bien, le gouverneur de Paris avait-il livré le combat de Bagneux pour calmer les impatiences ? Ce résultat négatif n'était pas fait pour imposer silence à ses adversaires. Ces attaques molles, décousues, commençant toujours par un succès et se terminant, avant la fin du jour, par une retraite, ne relevaient pas le moral de l'armée. La confiance baissait, on commençait à se demander sérieusement si le général Trochu avait un plan.

Sur ces entrefaites, le gouverneur de Paris prit le parti de former des compagnies de volontaires de la garde nationale, vivement réclamées par l'opinion publique. La garde nationale parisienne comptait, vers le milieu d'octobre, 288 bataillons, formant un effectif total de 280.000 hommes de toute condition et de tout âge, depuis le jeune homme de vingt-cinq ans jusqu'au bourgeois patriote qui, sans compter ses années, avait pris un fusil et veillait aux remparts. Le bon sens disait assez que le commandement militaire ne pouvait pas tirer le même parti de ces éléments divers ; que les hommes âgés, formant la garde nationale sédentaire, devaient garder l'intérieur de la ville et les remparts, pendant que la partie active et jeune, versée dans des compagnies de marche, serait appelée à soutenir les troupes régulières dans les opérations extérieures. Mais il y avait de très-grandes divergences d'opinion à cet égard entre les états-majors et la population civile. Les militaires ne croyaient pas à ces soldats improvisés n'ayant ni l'habitude des fatigues de la guerre ni l'instruction pratique sans laquelle une agglomération d'hommes armés ne saurait être considérée comme une armée capable d'être conduite à l'ennemi. Les civils pensaient, au contraire, que l'autorité militaire pouvait choisir dans la garde nationale les éléments d'une armée sérieuse ; n'avait-on pas sous les yeux l'exemple de la garde mobile, qui avait marché bravement au feu à Chevilly et à Bagneux ? Le général Trochu était de l'avis des états-majors ; mais il y aurait eu quelque danger à résister au sentiment public sur cette question, toute de patriotisme ; le gouverneur résolut donc de créer des compagnies de volontaires. Il écrivit une lettre au maire de Paris sur le mode de l'enrôlement et les règles de l'organisation nouvelle : un registre serait ouvert dans chaque mairie pour recevoir les noms des volontaires ; chaque compagnie se composerait de 150 hommes, et, si les inscriptions spontanées donnaient un chiffre supérieur à 150, il serait fait un choix dans l'excédent des hommes âgés de moins de trente-cinq ans, célibataires, justifiant d'une certaine connaissance du maniement des armes et jouissant d'une santé robuste. Cette lettre se terminait par les considérations suivantes :

« Au mois de juillet dernier, l'armée française, dans tout l'éclat de sa force, traversait Paris au cri de : « A Berlin ! à Berlin ! » J'étais loin de partager celle confiance, et, seul peut-être entre tous les officiers généraux, j'osai déclarer au maréchal ministre de la guerre que j'apercevais dans cette bruyante entrée en campagne, aussi bien que dans les moyens mis en œuvre, les éléments d'un grand désastre. Le testament que j'ai déposé à cette époque entre les mains de Me Ducloux, notaire à Paris, témoignera à un jour donné des douloureux pressentiments, trop motivés, dont mon être était rempli.

« Aujourd'hui, devant la fièvre qui s'est très-légitimement emparée des esprits, je rencontre des difficultés qui offrent la plus frappante analogie avec celles qui se sont produites dans le passé.

« Je déclare ici que, pénétré de la foi la plus entière dans le retour de la fortune, qui sera dû à la grande œuvre de résistance que résume le siège de Paris, je ne céderai pas à la pression de l'impatience publique. M'inspirant des devoirs qui nous sont communs à tous et des responsabilités que personne ne partage avec moi, je suivrai jusqu'au bout le plan que je me suis tracé, sans le révéler, et je ne demande à la population de Paris, en échange de mes efforts, que la continuation de la confiance dont elle m'a jusqu'à ce jour honoré. »

L'appel aux volontaires de la garde nationale fut considéré comme une de ces demi-mesures molles et indécises qu'on reprochait au gouvernement ; il resta lettre morte. Le général Trochu demandait à Paris de lui garder sa confiance, mais il ne montrait pas la ferme volonté d'agir, et ce qu'on attendait de lui, à tort ou à raison, c'était une action énergique. Le siège durait depuis un mois, et aucune tentative vraiment digne de ce nom n'avait été faite contre les lignes ennemies : voilà ce qui frappait tous les esprits. On ne se demandait pas si le gouvernement, qu'on pressait d'agir, avait les moyens de le faire sans courir au-devant d'un échec ; l'impatience publique ne s'accommodait pas des lenteurs, elle oubliait que le gouvernement avait trouvé une place immense dépourvue de soldats et d'artillerie et que les canons ne s'improvisent pas en quelques jours. Pendant ce temps, les clubs et certains journaux tonnaient : ils disaient que le général Trochu devait se jeter avec de grandes masses d'hommes sur un point de la ligne d'investissement et opérer, coûte que coûte, une trouée. Autant la confiance dans le succès était aveugle, d'une part, autant, de l'autre, la foi dans la défense était faible et chancelante. Ici, éclatait l'impatience qui pouvait conduire à un grand désastre, ou au moins à un carnage inutile ; là dominaient la mollesse, le culte des traditions militaires et le respect de la routine. Cette tendance du général Trochu et des comités à conserver leurs préjugés de métier s'était accusée surtout dans la ténacité de leurs défiances vis-à-vis de l'artillerie nouvelle, dont le ministre des travaux publics avait entrepris la fabrication. L'histoire des résistances rencontrées par M. Dorian serait instructive ; il est plus simple de dire en peu de mots ce qu'il fit pour la défense. Quand les Prussiens s'étaient approchés de Paris, l'enceinte était dépourvue de tout : de pièces d'artillerie, d'affûts, de projectiles. Les quelques pièces dont on disposait n'avaient que dix coups à tirer. On s'émut du danger ; on créa des commissions spéciales ; ces commissions, composées de professeurs, d'ingénieurs de chemins de fer et d'ingénieurs civils, se divisèrent le travail ; les unes étudièrent l'analyse chimique des métaux qui entraient dans la composition des pièces, les autres s'occupèrent de la construction des affûts. Deux genres de difficultés ralentirent leurs efforts au début : les unes venaient des choses, les autres venaient des hommes ; le comité d'artillerie, très-défiant à l'endroit des nouveaux canons, ne communiquait qu'avec regret les documents scientifiques dont on avait besoin pour se guider dans les études préparatoires ; en outre, les propriétaires des grandes usines de Paris hésitaient à se lancer dans la fabrication des engins nouveaux et refusaient surtout d'engager leur responsabilité. L'institution d'un comité mixte d'ingénieurs et d'officiers d'artillerie fit taire les défiances des hommes spéciaux, en ménageant leur amour-propre ; quant aux grands industriels, au bout de peu de temps, ils s'étaient mis à l'œuvre et le gouvernement n'eut qu'à se louer de leur activité. Les canons fabriqués furent des canons de 7 se chargeant par la culasse, d'après le modèle de M. Reffye. Le comité d'artillerie avait commencé par condamner cette pièce ; l'opinion publique, toujours en éveil, répondit que les Prussiens se servaient de canons se chargeant par la culasse et que la supériorité de leur artillerie sur la nôtre n'était que trop évidente ; le bon sens l'emporta sur la routine, et la défense n'eut qu'à se féliciter de cette victoire.

Quant aux difficultés provenant des choses, elles furent également surmontées : Paris possédait le bronze et la fonte en abondance ; la fabrication des pièces de 7 fut très-rapide. Des souscriptions particulières étaient venues en aide au gouvernement ; le journal le Siècle offrit une batterie complète. Les hommes spéciaux avaient déclaré que la construction d'un affût n'exigeait pas moins de trois mois : M. Dorian lit construire un affût en quelques jours. Les plâtras de Paris fournirent une provision inépuisable de salpêtre pour la fabrication de la poudre. Une commission spéciale, dite commission d'armement, était chargée spécialement de la transformation des fusils à percussion en fusils à tabatière. Une difficulté se présenta : la chambre de culasse des fusils à tabatière est en acier, et l'on n'avait pas d'acier ; la commission remplaça ce métal par une combinaison de bronze et d'étain. Pendant ce temps, les grandes usines avaient entrepris la fabrication des mitrailleuses ; l'industrie privée, après beaucoup de tâtonnements, réussit à fabriquer des fusils chassepot, mais ces armes, qui demandent beaucoup de temps et de soins, ne purent être livrées qu'après le siège.

Quoi qu'il en soit, grâce à l'activité du ministre des travaux publics et aux ressources fécondes de l'industrie parisienne, si riche et si ingénieuse, le gouvernement pouvait publier, le 17 octobre, un tableau rassurant de l'armement de Paris. Cet exposé s'ouvrait par ces mots :

« Au moment où le siège de Paris semble définitivement passer de la période purement défensive à la période offensive, le gouvernement croit devoir répondre au vœu public en résumant l'immense effort qui a été fait en quelques semaines pour rendre imprenable une place jugée hors d'état de se défendre. »

Suit l’énumération des commandes faites à l'industrie par le ministre des travaux publics et le détail des travaux effectués en avant des forts et sur les remparts.

Les commandes du ministre des travaux publics comprenaient 102 mitrailleuses de divers modèles, livrables du 13 au 27 octobre ; 115 mitrailleuses du système Gatling et Christophe, à livrer à partir du 27 octobre ; 312.600 cartouches pour mitrailleuses, livrées ; 50 mortiers et leurs accessoires, avec 50 affûts, livrés ; 400 affûts de siège, dont la livraison est commencée ; 500.000 obus de différents calibres, commandés aux différentes fonderies de Paris ; 5.000 bombes ; plusieurs grosses pièces de marine à longue portée ; enfin 300 canons de 7 centimètres, rayés, se chargeant par la culasse et portant à 8.000 mètres.

Les travaux effectués pour la défense de Paris sont, en avant des forts, les redoutes du Moulin-Saquet et des Hautes-Bruyères ; dans les forts, l'établissement d'abris, plates-formes, magasins, casemates et embrasures ; la fermeture des 79 portes de la ville ; le barrage de quatre canaux ; la construction d'estacades dans la Seine ; la zone militaire déblayée ; les bois de Boulogne et de Vincennes en partie abattus ; 61.000 mètres de palissades ; trois batteries nouvelles à Saint-Ouen, à Montmartre et aux Buttes-Chaumont ; sur les remparts, constructions des abris ; soixante-dix poudrières ; deux millions de sacs à terre pour les parapets ; le Point-du-Jour fortifié ; des mines, torpilles, fougasses, barricades et tranchées aux abords.

Il y avait alors en batterie, sur les remparts ou dans les forts, 2.140 bouches à feu, dont l'approvisionnement avait été porté, de 10 coups par pièce, à 400 et 500 coups.

Tel était au 17 octobre le résumé, donné par le gouvernement, des travaux entrepris pour la défense de Paris. Le personnel de l'artillerie était, à cette époque, de 13.000 hommes, recrutés principalement parmi les marins.

C'est peut-être ici le moment de compléter le tableau des forces réunies sous Paris. Les troupes de ligne, dont l'effectif total ne dépassait pas 60.000 hommes, forment deux corps d'armée, le 13e sous les ordres du général de division Vinoy, le 14e sous les ordres du général de division Renault. Auprès de ces troupes régulières se placent 120.000 hommes de garde mobile, amenés de vingt-cinq départements et divisés en quatre-vingt-dix bataillons. Quant à la garde nationale parisienne, elle compte, comme il a été dit, 288 bataillons armés de fusils de différents modèles, fusils à percussion rayés et fusils à tabatière. Les corps francs et les francs-tireurs répandus autour de Paris ne comptent guère plus de 10.000 hommes. En tout, près de 600.000 hommes, de valeur très-inégale, sans doute, et qu'on aurait tort de compter comme des soldats utiles. Mais de cette masse d'hommes armés, le général Trochu pouvait, sans contredit, tirer deux cent mille soldats qui, bien disciplinés, soumis aux règlements militaires, appuyés par une puissante artillerie, et guidés par des chefs résolus, seraient conduits à l'ennemi avec espoir de succès.

Que faisait la province pendant que ces préparatifs exaltaient le patriotisme de Paris ? Le gouvernement était sans nouvelles et les vagues rumeurs qui perçaient les lignes ennemies, apportées par des feuilles étrangères hostiles à la France, n'étaient rien moins que rassurantes. Le gouvernement gardait le silence, tenant à bon droit pour suspectes des nouvelles que l'ennemi avait intérêt à laisser parvenir dans la ville assiégée ; mais ses adversaires ne se croyaient pas tenus à la même réserve et s'empressaient de les divulguer, soit pour l'obliger à sortir de son mutisme, soit pour lui créer des embarras. C'est ainsi qu'on apprit le départ de Metz du général Bourbaki, chargé, disait-on, d'une mission auprès de l'impératrice. Quelle était cette mission ? Se rattachait-elle à des intrigues bonapartistes ? C'est par le même moyen qu'on sut que des troubles avaient éclaté à Lyon et à Marseille, que l'amiral Fourichon s'était démis de ses fonctions à la délégation de Tours, que l'armée de la Loire avait été battue à Arthenay et, enfin, qu'un gouvernement s'était formé dans les provinces de l'Ouest, en dehors de la délégation de Tours. Ces nouvelles alarmantes n'étaient pas seulement publiées dans un journal, elles étaient affichées sur les murs de la ville, et, si cette manœuvre en rendait l'origine suspecte, l'émotion produite n'était pas moins fort vive. Le gouvernement jeta l'auteur de la manœuvre en prison. Une dépêche de M. Gambetta rétablit la vérité. M. Gambetta annonçait que M. Thiers, de retour de son grand voyagé, était attendu à Tours ; que le général Bourbaki offrait ses services au gouvernement de la République ; que Lyon était calme ; que le général Cambriels se maintenait fermement de Belfort à Besançon. « Nous avons la conviction, disait-il, en terminant, que la prolongation inattendue de votre résistance et les préparatifs de jour en jour plus considérables des départements déconcertent les envahisseurs et commencent à les exaspérer. »

Ces assurances ramenèrent la sérénité dans les esprits et l'on se prit de plus belle à dire au général Trochu : Puisque la province se lève, il faut que Paris agisse aussi de son côté ; agissez donc !

Le général Trochu ordonna une sortie pour le 21 octobre contre le parc de la Malmaison et les bailleurs boisées qui, dominant le parc et le château, s'étendent, d'une part, jusqu'à Saint-Germain, et de l'autre, jusqu'à Versailles. Tout l'effort de l'attaque devait se porter sur la Malmaison et la Jonchère, hameau situé au-dessus du parc et clef de la position occupée par l'ennemi, qui avait garni la côte d'ouvrages en terre et de canons. La direction des opérations fut confiée au général Ducrot. Les troupes d'attaque étaient formées en trois groupes. Le premier, sous les ordres du général Berthaut, comptait 3.400 hommes d'infanterie, un escadron de cavalerie, 20 bouches a feu. Il devait opérer entre le chemin de fer de Saint-Germain et la partie supérieure du village de Rueil. Le second, commandé par le général Noël, ayant 1.350 hommes d'infanterie et 10 bouches à feu, avait l'ordre d'attaquer le parc de la Malmaison par le sud et de descendre par le ravin qui relie l'étang de Saint-Cucufa à Bougival. Le troisième, aux ordres du colonel Cholleton, fort de 1.600 hommes d'infanterie, d'un escadron de cavalerie et de 18 bouches à feu, devait se porter au centre en avant de Rueil et relier la colonne de droite à la colonne de gauche.

Quand les troupes eurent occupé leurs positions respectives, l'artillerie commença par couvrir de projectiles le parc de Buzenval, la Malmaison, la Jonchère et Bougival ; puis, le feu ayant brusquement cessé, les colonnes s'élancèrent avec impétuosité contre les points qui leur étaient désignés. Au sud de la Malmaison, les soldats du général Noël s'engagent dans le ravin qui descend à l'étang de Saint-Cucufa et gravissent les pentes de la Jonchère. Un feu très-nourri de mousqueterie, partant de l'épaisseur du bois, arrête leur course. Le mouvement dessiné, qui consistait à contourner la Malmaison pour prendre les Prussiens entre deux feux, se trouve suspendu. L'ennemi, prévenu par la canonnade qui a précédé l'attaque, a amené des renforts d'artillerie et relevé ses tirailleurs. De grosses masses accourent de Bougival pour couper notre droite entre Rueil et la Seine. Cependant quatre compagnies de zouaves, engagées dans le parc de la Malmaison et dans une situation très-critique, étaient délivrées par le bataillon des mobiles de Seine-et-Marne. Moins heureuses, deux batteries, pour s'être trop avancées pour soutenir l'action de l'infanterie, étaient prises par l'ennemi après une fusillade meurtrière qui avait couché à terre hommes et chevaux. A l'extrême gauche, les francs-tireurs de la colonne Cholleton s'étaient jetés dans le bois de Buzenval, d'où ils avaient chassé les tirailleurs prussiens.

Le jour baissait, le général Ducrot fit sonner la retraite et les troupes rentrèrent dans leurs cantonnements de Courbevoie et du Mont-Valérien.

Ce combat, qui avait commencé par jeter un grand effroi au quartier général de Versailles eut le même résultat négatif que les précédents. Nos troupes avaient enlevé des positions, elles les abandonnèrent. Pour la première fois peut-être, depuis l'ouverture de la guerre, notre artillerie avait eu le dessus sur l'artillerie allemande. « Les troupes de l'ennemi, dit le général Ducrot, ne nous ont opposé qu'une force d'artillerie inférieure à la nôtre. » Notre supériorité ne servit de rien. Le général Ducrot avait reçu l'ordre d'attaquer la Malmaison et la Jonchère ; on ne lui avait pas dit de garder ces positions et de s'y fortifier. « En résumé, dit-il dans son rapport, le but a été atteint, c'est-à-dire que nous avons enlevé les premières positions de l'ennemi, que nous l'avons forcé à faire entrer en ligne des forces considérables qui, exposées pendant presque toute l'action au feu formidable de] notre artillerie, ont dû éprouver de grandes pertes. » Ce qui signifie qu'on s'était battu uniquement pour tuer un certain nombre d'hommes à l'armée assiégeante. Encore ce but ne fut-il pas atteint, car on a su depuis, par les rapports allemands, que dans cette journée les Prussiens n'avaient perdu que trois cents hommes. « Cette sortie, écrit le général Vinoy, eut pour résultat de faire voir aux Prussiens la faiblesse qu'avait, de ce côté, leur ligne d'investissement et elle les décida à entreprendre les travaux considérables qui ont fait, sur ce point, l'une des positions fortifiées les plus redoutables occupées par eux. Il est à regretter que des dispositions n'aient pas été prises pour profiter immédiatement du commencement de succès obtenu par le général Ducrot ; les conséquences d'une opération mieux combinée et menée plus à fond eussent peut-être été considérables. »

Les nouvelles arrivées de Tours ne donnèrent pas aux esprits le temps de s'appesantir sur la mollesse du commandement militaire, encore une fois accusée par le combat de la Malmaison. M. Gambetta annonçait qu'Orléans était tombé aux mains des Prussiens. Que s'était-il passé ? Cette ville avait-elle été perdue à la suite d'un combat malheureux ? On racontera plus loin l'évacuation précipitée d'Orléans, sur la foi de renseignements erronés qui avaient répandu tout à coup une terreur panique. Malgré la porte d'Orléans, les efforts de la délégation de Tours autorisaient de sérieuses espérances. M. Gambetta écrivait le 16 octobre aux membres du gouvernement, à Paris :

« Le général Cambriels se maintient fermement, malgré l'occupation de Mulhouse, de Belfort à Besançon ; cette dernière ville est tout à fait en état de défense et occupée par de l'artillerie de marine, servie comme vous le savez. On a donné, d'ailleurs, de nombreux commandements aux officiers de la flotte... J'ai la conviction que la prolongation inattendue de votre résistance et les préparatifs militaires de jour en jour plus considérables des départements déconcertent les envahisseurs et commencent à exciter la sympathie de l'Europe. Les bruits de médiation par la voie anglaise ou russe circulent avec une intensité croissante. Il faut faire à la Prusse une guerre de lassitude avec prudence et ténacité, et nous la forcerons à reconnaître qu'en prolongeant elle-même la guerre, elle n'augmente pas ses bonnes chances ; au contraire, elle compromet le fruit de ses victoires. »

Un peu plus tard, M. Gambetta, beaucoup plus explicite et précis, s'exprimait ainsi :

« J'ai fourni à M. Thiers des renseignements positifs sur l'état et la position de nos troupes : il a pu se convaincre que les hommes abondent et que les cadres se reforment. Ce qui nous manque cruellement ce sont les généraux, et surtout un véritable homme de guerre capable de remanier et d'employer toutes les forces dont nous pouvons disposer. Il a pu se convaincre qu'il existait réellement une armée de la Loire, de cent dix mille hommes bien armés, bien équipés, sous le commandement d'un général ferme et vigilant, dont les efforts ont jusqu'ici suffisamment couvert Nevers, Bourges, Vierzon, Blois et Tours qui semblaient perdus après l'échec de La Motterouge à Orléans. Nous avons, de Belfort à Besançon, le noyau d'une seconde armée, dite armée de l'Est, qui a malheureusement après la prise de Strasbourg abandonné les positions des Vosges avec une précipitation affligeante, mais qui est en bonne voie de réorganisation depuis mon voyage à Besançon, et qu'on peut porter à quatre-vingt mille hommes dans trois semaines.

« L'Ouest vendéen est assez solidement gardé par un corps de trente-cinq mille hommes, dont la droite est appuyée à l'armée de la Loire.

« La région du Nord, couverte par de nombreuses places fortes, ne compte guère plus de quarante mille hommes dispersés, dont le général Bourbaki a pris le commandement. Enfin les dépôts sont presque partout encombrés par la formation des quatrièmes bataillons de l'appel de la dernière classe.

« Je ne fais pas entrer dans cette énumération les corps francs, qui font tant de mal aux Prussiens et qui sont si redoutés d'eux. Avec le commandement de Garibaldi dans l'Est et de Kératry dans l'Ouest, ils constituent de sérieuses ressources.

« Mais Paris tiendra-t-il longtemps encore ?

« Je le sais : si nous gagnons un mois, nous sommes en plein hiver et nous avons une armée de plus. Les armes, dont l'acquisition a été si difficile et si lente, commencent à arriver en grande quantité. Le désarmement des escadres nous donne un sérieux contingent de marins et d'artilleurs. Tous les jours nous augmentons notre matériel d'artillerie. Bien que critique, notre situation ne peut que s'améliorer, si nous ne commettons pas d'imprudence. Donc il faut durer. Nos ennemis ont contre eux le temps qui s'écoule ; ce qui explique leurs nouvelles dispositions à l'armistice. »

Quelques jours après, une dépêche de M. Gambetta annonçait à Paris l'héroïque résistance de Châteaudun. Un cri d'admiration s'échappa de toutes les poitrines, un rayon d'espoir illumina tous les fronts. Châteaudun, ville ouverte, défendue par des gardes nationaux et des francs-tireurs, avait arrêté cinq mille Prussiens pendant toute une journée ; elle avait supporté sans peur un bombardement acharné et l'ennemi n'avait pénétré dans ses murs qu'à travers les flammes et les ruines. C'était un grand exemple, capable d'enflammer les cœurs. Paris en tressaillit. La délégation de Tours avait décrété que Châteaudun avait bien mérité de la patrie ; Paris donna son nom à la rue du cardinal Fesch ; hommage insuffisant aux yeux de la population parisienne. Elle disait que le plus éclatant hommage qu'on pût rendre à la noble cité, c'était d'imiter son énergie.

D'autres émotions allaient s'emparer des esprits. Le 27 octobre, le journal le Combat, dirigé par M. Félix Pyat, publiait en tête de ses colonnes les lignes suivantes :

LE PLAN BAZAINE.

« Fait vrai, sûr et certain, que le Gouvernement de la défense nationale retient par devers lui comme un secret d'État, et que nous dénonçons à l'indignation de la France comme une haute trahison :

« Le maréchal Bazaine a envoyé un colonel au camp du roi de Prusse pour traiter de la reddition de Metz et de la paix, au nom de Sa Majesté l'empereur Napoléon III. »

 

Cette nouvelle, éclatant comme un coup de tonnerre, bouleversa les esprits. On croyait encore en Bazaine ; les dépêches venues de Tours représentaient le maréchal livrant de glorieux combats à ennemi. Bazaine ne négociait donc pas avec lui, encore moins négociait-il au nom du gouvernement déchu. Si cette nouvelle avait un fondement sérieux, est-ce que la délégation de Tours et à sa suite le gouvernement de Paris, ne l'auraient pas apprise ? Pouvait-on admettre qu'il gardât le silence sur un événement de cette importance ? Telles étaient les réflexions suggérées par les révélations du journal le Combat. Des groupes s'étaient formés sur les boulevards et les places publiques. On se rendit à l'Hôtel-de-Ville pour interroger les membres du gouvernement. Ceux-ci répondent que la nouvelle est mensongère. Des rassemblements furieux se forment alors dans la rue Tiquetonne, où sont les bureaux du Combat ; des cris hostiles se font entendre : A bas Pyat ! Mort à Pyat ! Mais Félix Pyat est absent. La foule se disperse, en proie à une vive irritation, convaincue par la réponse de l'Hôtel-de-Ville que les allégations du journal sont fausses et lancées dans le but de créer des entraves au gouvernement.

Le lendemain, le Journal officiel reproduisait les lignes du Combat et ajoutait ces mots :

« L'auteur de ces tristes calomnies n'a pas osé faire connaître son nom. Il a signé : le Combat. C'est à coup sûr le combat de la Prusse contre la France ; car, à défaut d'une balle qui aille au cœur du pays, il dirige contre ceux qui le défendent une double accusation, aussi infâme qu'elle est fausse. Il affirme que le gouvernement trompe le public en lui cachant d'importantes nouvelles, et que le glorieux soldat de Metz déshonore son épée par une trahison.

« Nous donnons à ces deux inventions le démenti le plus net. Dénoncées à un conseil de guerre, elles exposeraient leur fabricateur au châtiment le plus' sévère. Nous croyons celui de l'opinion plus efficace. Elle flétrira, comme ils le méritent, ces prétendus patriotes dont le métier est de semer les défiances en face de l'ennemi et de ruiner, par leurs mensonges, l'autorité de ceux qui le combattent.

« Depuis le 17 août, aucune dépêche directe du maréchal Bazaine n'a pu franchir les lignes ; mais nous savons que, loin de songer à la félonie qu'on ne rougit pas de lui imputer, le maréchal n'a pas cessé de harceler l'armée assiégeante par de brillantes sorties. Le général Bourbaki a pu s'échapper, et ses relations avec la délégation de Tours, son acceptation d'un commandement important, démentent suffisamment les nouvelles fabriquées que nous livrons à l'indignation de tous les honnêtes gens. »

La bonne foi du gouvernement n'était pas suspecte ; il n'avait pas reçu de nouvelles de Metz. Un sous-officier prussien, fait prisonnier au Bourget, avait, il est vrai, parié de la reddition de la place, M. Jules Favre l'avoue ; et il ajoute qu'il s'était immédiatement rendu à Saint-Denis pour interroger le colonel qui avait entendu le prisonnier. Mais le colonel répondit que la déclaration de cet homme n'avait aucune consistance, et M. Jules Favre n'eut pas même l'idée de l'interroger lui-même. Le rédacteur en chef du Combat, plus défiant que M. Jules Favre et heureux sans doute de créer des embarras au gouvernement, s'était empressé de publier cette nouvelle qui avait transpiré jusqu'à lui ; mais comme il ne pouvait fournir la preuve de ce qu'il avançait, il baissa la tête devant la note du Journal officiel, et il attendit.

Une heureuse diversion vint changer le cours des préoccupations publiques. Le village du Bourget, situé au nord de Paris, sur la route de Lille et à une petite distance de Saint-Denis, était occupé par les Prussiens depuis le commencement du siège. La possession du Bourget était avantageuse à l'ennemi à un double point de vue : elle facilitait ses communications avec tout le sud' et Versailles, par le chemin de fer qui du Bourget rejoint Sevran, au nord de la forêt de Bondy ; elle lui donnait, en outre, un poste avancé dans la plaine Saint-Denis et vers la Courneuve, que nos troupes occupaient. Aucun incident digne d'être mentionné ne s'était passé de ce côté depuis l'investissement. Le 28 octobre, à 3 heures du matin, le général de Bellemare, commandant de Saint-Denis, ordonne aux francs-tireurs de la Presse, au nombre de deux cent cinquante, de pousser une reconnaissance sur le Bourget. Ces braves soldats, divisés en trois groupes, s'avancent avec une extrême prudence à la faveur de la nuit, et ils surprennent le poste prussien, établi dans une maison à l'entrée du village. Épouvantés par cette attaque soudaine, les Prussiens se précipitent en désordre dans la grande rue du Bourget et fuient vers l'église, située au centre du village. Là ils essayent de résister : les francs-tireurs ouvrent sur eux un feu bien nourri, et, avec un merveilleux entrain, les rejettent dans la campagne. Les Prussiens, étourdis, par l'impétuosité de l'attaque, troublés par la nuit qui les trompe sur le nombre de leurs adversaires, s'enfuient à toutes jambes dans la direction de Dugny, laissant derrière eux des objets d'équipement, des tentes et des armes. Quand le jour paraît, les francs-tireurs sont maîtres du Bourget et transportés de joie par le succès inespéré de leur coup de main. Le général de Bellemare, averti de ce qui se passe, envoie quelques renforts en toute hâte. Ces renforts se composent d'une partie du 14e bataillon et des 12e et 16e bataillons des mobiles de la Seine, auxquels est adjoint le 133e de ligne, plus 3 pièces de 4 et 2 mitrailleuses. On se mit aussitôt à fortifier le village, en prévision d'un retour offensif de l'ennemi.

Dans la journée, en effet, on voit descendre de Gonesse et d'Ecouen de grandes masses d'infanterie, qui se disposent en arrière de deux batteries placées au pont Iblon et de deux autres batteries de campagne amenées sur la route de Dugny. Une violente canonnade, qui ne dure pas moins de trois heures, est dirigée sur le Bourget ; plusieurs maisons brûlent et s'écroulent ; mobiles et francs-tireurs, serrés contre les murs des jardins, laissent passer l'ouragan sans broncher. L'infanterie prussienne n'avance pas, la canonnade cesse. Nos soldats, renforcés par onze compagnies du 28e de marche, recommencent leurs travaux de fortification ; ils prévoient une attaque de nuit. Vers 8 heures, la fusillade éclate, en effet ; les Allemands sont parvenus sans bruit jusqu'au pied des murs derrière lesquels veillent les mobiles ; on les fusille à bout portant et, pendant que les plus hardis mordent la poussière, les autres rentrent précipitamment dans leurs quartiers.

La prise du Bourget avait causé dans Paris une joie de mesurée, mais très-explicable. Ce n'est pas seulement parce que les mobiles parisiens y avaient pris part. Il semblait que ce fût le commencement d'une meilleure fortune. C'était la première fois qu'on gardait une position acquise ; c'était la première fois qu'après un coup de main heureux, on n'avait pas battu en retraite. La possession du Bourget n'était pas considérée cependant comme une grande victoire, mais elle élargissait le cercle de l'investissement, elle était saluée comme le présage d'événements plus heureux par un peuple qui n'avait pas été gâté jusqu'alors par le sort des armes. N'était-il pas permis aussi de penser que l'armée serait encouragée par ce succès partiel ?

Pendant que Paris se félicitait de la prise du Bourget, le général de Bellemare attendait avec impatience les renforts d'artillerie qu'il avait fait demander au général Trochu. L'amour-propre de l'ennemi était trop engagé pour qu'on pût se flatter de rester paisiblement en possession du village. Une nouvelle et plus furieuse attaque était imminente. Cependant le général Trochu n'envoya pas de canons, et il ne donna pas aux troupes qui occupaient le Bourget l'ordre de se retirer. Cette absence perpétuelle de décision devait avoir, cette fois, des conséquences très-douloureuses.

Le Bourget resta défendu par trois mille hommes, deux pièces de 4 et une mitrailleuse. Le 30 octobre, au jour levant, les Prussiens démasquent plusieurs batteries amenées pendant la nuit et ouvrent sur le village un feu d'une intensité inouïe. Pendant que les maisons volent en éclats et que les barricades, imparfaitement construites, sont renversées, pendant que nos malheureux soldats, couchés contre les murs, entendent siffler les obus sur leurs têtes, l'infanterie prussienne se déploie hardiment, s'avance et menace de couper la ligne de retraite sur Saint-Denis. Les enclos, les jardins, les rues deviennent le théâtre d'une lutte sauvage à la baïonnette, et les obus des forts de l'Est et d'Aubervilliers, éclatant dans cette affreuse mêlée, tuent indistinctement les Français et les Prussiens. Des trois mille défenseurs du Bourget, douze cents sont faits prisonniers ; les autres ont eu le temps de battre en retraite par la route d'Aubervilliers. Un grand nombre de morts et de blessés rougissent la terre de leur sang. Parmi eux est étendu le commandant Baroche. Enveloppé d'ennemis qui le sommaient de se rendre, il s'était précipité contre eux le pistolet au poing, méprisant et désespéré ; il tomba percé de coups. Les renforts du général Trochu arrivaient en vue du Bourget pendant l'affreux carnage et la débandade sur la route d'Aubervilliers : il n'était plus temps, le Bourget était perdu.

A cette nouvelle, Paris ne put contenir sa douleur et sa colère. Il ne se demanda point si l'occupation du Bourget avait ou n'avait pas une importante stratégique. Il consultait son bon sens, qui répondait : Si le Bourget était une position avantageuse, il fallait, après l'avoir occupé, le fortifier, y envoyer des troupes et de l'artillerie ; si, au contraire, on ne voyait aucun avantage à garder le Bourget, il fallait donner aux trois mille hommes qui l'occupaient l'ordre de se retirer et ne pas les laisser exposés à un combat inégal et à un carnage certain. Le gouverneur de Paris ne sut s'arrêter ni à l'un ni à l'autre de ces partis. Il prétendit que ce village « ne faisait pas partie de son système général de défense, que son occupation était d'une importance très-secondaire et que les bruits qui attribuent de la gravité aux incidents qui viennent d'être exposés sont sans fondement. » Pourtant, le 21 décembre, nous verrons le général Trochu essayer de reprendre le Bourget avec des forces considérables ; mais alors l'ennemi aura pris ses précautions pour éviter une nouvelle surprise. Ces explications embarrassées et peu sincères ne firent qu'augmenter l'irritation populaire. La nouvelle de la capitulation de Metz, si hautement démentie deux jours auparavant, la porta à son comble,

La certitude de ce triste événement venait d'être apportée à l'Hôtel-de-Ville par M. Thiers, de retour de son voyage auprès des principales cours d'Europe et rentré à Paris, avec un saufconduit prussien, pour soumettre au gouvernement une proposition d'armistice. L'illustre ambassadeur croyait que l'ennemi accepterait une suspension d'armes, pendant laquelle une Assemblée nationale serait nommée ; l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et l'Italie avaient promis de peser de toute leur influence morale sur le quartier général allemand pour qu'il fût mis un terme à cette lutte fratricide. La continuation des hostilités ne nous offrait, d'ailleurs, au jugement de M. Thiers, aucune chance favorable : il avait vu, en passant à Tours, l'armée de la Loire ; il avait rencontré des soldats braves, pleins de bonne volonté et de patriotisme, mais sans cadres solides, sans instruction ; il doutait du succès de nos armes contre une armée aguerrie et enflammée d'espoir par ses victoires. Il venait donc, après en avoir délibéré avec la délégation de Tours, prendre les ordres du gouvernement de l'Hôtel-de-Ville pour arriver à signer un armistice. En passant à Versailles, il avait appris, à n'en pouvoir douter, la douloureuse issue du drame de Metz. Des officiers prussiens dignes de foi lui avaient affirmé le fait. Quoiqu'un éclat fût probable, le gouvernement ne pouvait dissimuler la vérité à la population parisienne, fort excitée par la perte du Bourget. Il se décida courageusement à tout dire, et la capitulation de Metz et les projets d'armistice qui se rattachaient à l'arrivée de M. Thiers.

Le Journal officiel du 31 octobre publiait les lignes suivantes :

« Le gouvernement vient d'apprendre la douloureuse nouvelle de la reddition de Metz. Le maréchal Bazaine et son armée ont dû se rendre après d'héroïques efforts, que le manque de vivres et de munitions ne leur permettaient plus de continuer. Ils sont prisonniers de guerre.

« Cette cruelle issue d'une lutte de près de trois mois causera dans toute la France une profonde et pénible émotion ; mais elle n'abattra pas notre courage. Pleins de reconnaissance pour les braves soldats, pour la généreuse population qui ont combattu pied à pied pour la patrie, la ville de Paris voudra être digne d'eux. Elle sera soutenue par leur exemple et par l'espoir de les venger. »

Dans une seconde note qui fut, comme la précédente, affichée sur les murs, le gouvernement annonçait l'arrivée de M. Thiers et l'espoir qu'il apportait de la conclusion d'un armistice désiré par l'Angleterre, la Russie, l'Autriche et l'Italie. Cet armistice aurait pour objet la convocation d'une Assemblée nationale ; le gouvernement ne l'accepterait, d'ailleurs, que si l'ennemi consentait le ravitaillement de Paris, proportionné à la durée de la trêve, et si, en outre, l'élection était faite par le pays tout entier, y compris l'Alsace et la Lorraine.

Une agitation extraordinaire agita Paris à cette double nouvelle. Irrité par la perte du Bourget, le peuple concevait moins que jamais la suspension des hostilités ; il se prononçait pour la lutte à outrance. Sa confiance dans le gouvernement était ébranlée de deux côtés à la fois ; on ne s'attendait pas à apprendre la capitulation de Metz à si courte distance de l'éclatant démenti donné au journal le Combat et on inclinait à penser que la nouvelle était déjà connue alors qu'on l'avait démentie en termes si catégoriques. La supposition était inexacte, mais les adversaires du gouvernement triomphaient ; la fâcheuse affaire du Bourget fournissait un autre aliment aux récriminations. Enfin la proposition d'armistice montrait le gouvernement prêt à cesser la lutte, au moment même où les esprits, très-surexcités, inclinaient le plus vers la guerre. De tous ces sentiments confus, exploités par les hommes exaltés, allait sortir un conflit redoutable. Mais avant d'aborder le récit de la journée du 31 octobre, nous devons présenter le tableau des événements qui furent la cause principale de cette explosion populaire : nous voulons parler de la capitulation de Metz.