LA MARQUISE DE VERNEUIL ET LA MORT D'HENRI IV

DEUXIÈME PARTIE. — LE GRAND DESSEIN. - LA MORT DU ROI ET LA RÉGENCE DE MARIE DE MÉDICIS

 

CHAPITRE VI.

 

 

Procès et supplice de Ravaillac. — L'enquête sur la mort du roi. — La déposition de Jacqueline d'Escoman et celle de Dujardin. — La marquise de Verneuil fut-elle complice de l'assassin ?

 

Ravaillac arrêté le couteau à la main dans la rue de la Ferronnerie avait été d'abord traîné à l'hôtel de Gondi ou de Retz[1], où il subit un premier interrogatoire. On voulait savoir d'où il venait et qui l'avait envoyé[2] ; mais aux plus curieux, sur la seconde question, il répondit, gouailleur : Gardez qu'enfin je ne dise que c'est vous ! Il demanda si le roi était mort et comme on lui observait qu'il n'était que blessé, il répliqua qu'il savait très bien qu'il lui avait donné un mauvais coup. Lorsqu'on le conduisit dans une voiture fermée à la Conciergerie, le peuple s'attroupa et même jeta des pierres ; on le mit enfin dans la tour carrée, celle où l'on avait coutume de loger les grands seigneurs[3] et il fut là, assis et lié en une chaire, ayant les fers aux pieds et les mains attachées dans le dos, gardé et observé jour et nuit ; mais il continua à se moquer des interrogatoires que lui faisaient subir le premier président, le président Jeannin et autres. — Le 18 mai, la cour s'assembla pour délibérer sur les formes et procédures qu'on devait tenir, et les tortures et questions les plus extraordinaires furent proposées, sans lesquelles, disait-on, il n'y avait apparence qu'il dût jamais rien révéler ni confesser, encore moins déceler aucun de ses fauteurs et complices, pour ce que de jour en jour il se rendait plus résolu et opiniâtre, ne faisant que se moquer tant des menaces que des promesses qui à cet effet lui étaient journellement faites par ses juges pour l'amener à quelque raison et reconnaissance. On décida de lui appliquer la question extraordinaire, et certains proposèrent même d'y ajouter toutes sortes de tourments les plus cruels, inventés pour tirer la vérité de la bouche de ceux qui ne veulent pas la dire ; on parla aussi de la manière de Genève, question si pressante et si cruelle qu'on dit qu'il n'y a jamais eu criminel à qui on l'ait donnée qui n'ait été contraint de parler ; mais cela fut rejeté comme venant des hérétiques, et Ravaillac, le lendemain fut seulement interrogé par le premier président, qui du reste en fut pour sa peine[4]. Lorsqu'il lui affirma que la cour avait envoyé à Angoulême dont il était originaire, et qu'on devait arrêter et conduire à Paris son père et sa mère, que l'on ferait mourir cruellement en sa présence ; puis ses autres parents si besoin était, il se montra ému, mais n'ajouta rien davantage. Un frère jésuite, Jacques d'Aubigny, qui l'avait confessé avant son crime, fut appelé ensuite ; il se refusa à rien révéler de ce qu'avait pu lui dire son pénitent. Ravaillac, prétendait-on, lui aurait montré un lopin de couteau où il y avait un cœur et une croix, affirmant qu'il était pour tuer le roi  s'il ne voulait convertir ceux de la religion ; mais d'Aubigny nia tout, même d'avoir vu le meurtrier, se souciant peu, en somme, d'être mêlé à l'affaire[5]. Beaucoup de personnes de qualité allaient du reste le voir dans sa cellule[6]. C'était, on l'a beaucoup dit, une sorte de fou, de visionnaire. Il avait d'abord pris l'habit des feuillants, mais ne l'avait gardé que trois semaines. On le lui avait retiré à cause de ses visions, — car il racontait qu'il sentait des puanteurs de soufre et du feu aux pieds, qui démontraient le purgatoire, avec des apparences de saintes hosties aux deux côtés de la face. Lors de son arrestation, fouillé par un archer de la garde, on avait trouvé sur lui quelques caractères et instruments de sorcellerie, entre autres un cœur percé de trois coups[7]. Depuis on a raconté qu'il avait tué le roi parce qu'il avait auparavant abusé de sa sœur et qu'il l'avait abandonnée ; qu'au cas où il aurait manqué son coup, son frère devait le remplacer dans cette exécution vengeresse[8]. Mais dès son premier interrogatoire, Ravaillac affirma n'avoir reçu, lui ou les siens, aucun outrage de Sa Majesté[9]. Il avait entendu dire qu'Henri IV voulait faire la guerre au pape, et transférer le Saint-Siège à Paris ; il ne cherchait d'abord qu'à le voir, le porter à convertir les protestants, et affirma que plusieurs fois il s'était efforcé de lui parler, soit au Louvre ou dans la rue, mais n'avait pu y parvenir[10]. Il nia surtout avoir été induit, conseillé ou payé pour faire ledit acte. — Dans le premier moment, racontait-on, il avait fait des aveux ; puis s'était rétracté, avait repris ses dires et s'était démenti encore ; mais, a judicieusement fait remarquer un historien, il est aussi difficile de croire qu'il fût sans complices que de les désigner avec quelque vraisemblance. Des bruits multiples dès lors coururent ; on accusa le duc d'Épernon, la marquise de Verneuil, les Espagnols, la reine même, qui parlait avec son exagération d'Italienne de faire écorcher vif le meurtrier[11], peut-être pour donner le change — et peu après un conseiller d'État, contredisant l'opinion commune touchant ce misérable, que chacun disait n'avoir rien révélé ni confessé, donnait sourdement à entendre qu'il en avait prou dit et découvert, mais que tout était demeuré caché à cause de la minorité du roi, pendant laquelle on avait trouvé bon de ne rien remuer. — Le meurtrier sans doute avait plus parlé qu'on ne voulait dire ; mais de fait, aujourd'hui encore, nous en savons peu de chose. On affirma autrefois que l'incendie qui dévora une partie du palais en 1618 était l'œuvre des complices de l'assassin, qui prétendaient par là brûler le greffe et le procès de Ravaillac ; chacun, dit Piganiol de La Force, en jugea comme il voulut sans qu'on pût lui prouver le contraire[12]. D'autres ont affirmé que l'accusé avoua des choses si étranges que les juges, surpris et effrayés, jurèrent entre eux sur les saints Évangiles de ne jamais rien découvrir ; ils brûlèrent même les dépositions et tout le procès-verbal au milieu de la chambre, et il n'en est resté que de légers soupçons[13]. Il y en a enfin qui ont soupçonné la reine mère, dit le potinier Tallemant, d'avoir trempé à sa mort, et que pour cela, on n'a jamais vu la déposition de Ravaillac[14]. — Ce document existe néanmoins, et la Bibliothèque nationale en possède de multiples copies[15] ; il a même été imprimé[16], mais, il faut le dire, dans la version qui nous est parvenue du moins, il ne contient que des bavardages. On doit ajouter cependant que Marie de Médicis avait désigné le président Jeannin, un homme à elle et sur qui elle pouvait compter, pour diriger l'affaire[17]. On avait hâte d'en finir, en somme, de crainte peut-être d'en apprendre trop — et le 27 mai, treize jours après le crime, l'arrêt fut rendu, et selon les habitudes expéditives du temps exécuté de suite. — Ravaillac fut amené à dix heures du matin, à la levée de la cour, dans la chambre de la buvette, où on lui commanda de se mettre à genoux ; et lors le greffier lui prononça son arrêt[18], que chacun à ouï et vu, et se peut lire partout imprimé ; suivant lequel, pour révélation de ses complices, il fut appliqué à la question des brodequins, où il ne confessa rien ; et après qu'on lui eut jeté de l'eau et donné du vin, il pria seulement la cour, le roi, la reine et tout le monde lui pardonner, reconnaissant derechef avoir commis une grande faute ; mais n'en avait été prié, sollicité, ni induit par personne, combien qu'il ne doutât point qu'il y en eût prou des uns et des autres qui en fussent bien aises. — Sur les trois heures on le tira de la chapelle pour aller au supplice, où il y eut une grande huée sur lui, depuis ladite chapelle jusqu'à la porte de la Conciergerie, de tous les prisonniers qui se mirent à crier : Au traître ! Au chien ! et se voulaient ruer dessus, sans l'empêchement des archers qui y tinrent la main forte. Sortant pour monter au tombereau[19], il se trouva un si grand concours et affluence de peuple, animé et acharné, que les gardes et archers, bien qu'en grand nombre et, comme on dit, armés jusqu'aux dents, eurent bien de la peine à le sauver de sa fureur, chacun y voulant mettre la main, hommes, femmes, filles et jusqu'aux petits enfants, avec tel tumulte, cris et hurlements, imprécations et malédictions qu'on ne s'entendait pas l'un l'autre ; on ne put même le sauver de force gourmades et horions qu'on lui donna, et des femmes y laissèrent imprimées les marques de leurs dents et ongles, tant la rage du peuple se montrait grande[20]. — La plupart des princes et seigneurs étant lors à Paris se trouvèrent à l'Hôtel de Ville pour voir l'exécution ; aucuns desquels selon le dire et opinion de beaucoup la regardèrent d'yeux fort secs, étant seulement marris qu'ils ne se pouvaient mieux servir, et à plus grande œuvre, des mains et cœurs de ce peuple passionné. Mais finalement l'assassin, après avoir fait amende honorable, étant parvenu au lieu du supplice, se voyant près d'être tiré et démembré par les chevaux, et qu'un homme qui se trouvait près de l'échafaud était descendu de son cheval pour le mettre à la place d'un qui était recru afin de le mieux tirer, s'écria : On m'a bien trompé, quand on m'a voulu persuader que le coup que je ferais serait bien reçu du peuple, puisqu'il fournit lui-même des chevaux pour me déchirer[21]. — Durant tout son supplice, du reste, il montra une insensibilité extraordinaire et ne fut surpris que de voir l'horreur qu'il inspirait : Ayant fait demander au peuple un Salve regina, il fut éconduit avec tumulte et violence par la populace qui commença à crier plus que devant qu'il ne lui en fallait point et qu'il était damné comme Judas. Il se retourna alors vers son confesseur, M. de Filesac, qu'on lui avait donné avec M. de Gamaches, tous deux honnêtes hommes et doctes, gens de bien et des premiers et plus suffisants docteurs en théologie de toute la Sorbonne. Il le pria de lui donner l'absolution, pour ce qu'il n'en pouvait plus ; mais le confesseur refusa, disant que cela lui était défendu s'il ne voulait révéler ses fauteurs et complices. Ravaillac prétendit qu'il n'en avait point, comme il avait toujours protesté ; toutefois M. de Filesac ne voulut aucunement passer outre. Donnez-la-moi, s'écria encore l'assassin, au moins à condition, au cas que ce que je dis soit vrai ; c'est chose que vous, ni autre de votre profession ne me peut refuser. — Je le veux, répondit alors le confesseur, mais à cette condition qu'au cas qu'il n'en soit ainsi, votre âme, au sortir de cette vie, s'en ira droit en enfer à tous les diables ; ce que je vous dénonce de la part de Dieu comme bien certain et infaillible. — Peu auparavant, le greffier, pour l'induire à se reconnaître et confesser la vérité, l'ayant fort pressé de décharger sa conscience de ceux qui lui avaient fait faire, et que l'indignation du peuple, tant grande contre lui en était le jugement : J'en suis bien marri, répondit-il encore, mais que veut-il que j'y fasse ? Que me demandez-vous aussi tant ? Je vous l'ai déjà dit et vous le dis encore, qu'il n'y a que moi qui l'ai fait. — C'était M. de Guesle, procureur du roi, qui avait fait ajouter aux tenailles le plomb fondu, l'huile et la poix-résine brûlante, le mélange de cire et de soufre. On sait combien était cruelle la justice de l'ancien régime ; on brûla à Ravaillac la main tenant le couteau qui avait commis le crime[22] ; il fut tenaillé huit fois ; on l'attacha enfin à quatre chevaux et il mourut à la deuxième ou troisième tirade des bêtes, pour ce qu'il n'en pouvait plus quand on l'y appliqua[23], écrit encore le chroniqueur avec une nuance de regret[24]. Le bourreau l'ayant démembré voulut en jeter les membres et quartiers dans le feu. Mais la populace se rua sur le cadavre, s'en partagea les morceaux rouges de sang, et il n'y eut fils de bonne mère qui n'en voulût avoir sa pièce. On brûla la chair à tous les carrefours[25]. Quelques villageois des environs ayant trouvé le moyen de s'en procurer quelques lopins et entrailles, les traînèrent jusque chez eux, et du Louvre même, la reine put voir les Suisses qui en rôtissaient un quartier sous son balcon.

Toutefois ce fut la croyance, on peut dire unanime de l'époque, que Ravaillac n'avait été qu'un instrument, et l'on pensait bien découvrir un jour ou l'autre qui l'avait envoyé[26]. Malgré ses dénégations, son assurance, on persistait à lui désigner au moins des complices, — certains dans la Cour même, où tant de gens qui ne valaient guère, dit l'Histoire de France protestante de Bordier et Charton, se trouvèrent prêts à tirer parti du crime[27]. — C'est alors que se présenta une demoiselle Jacqueline Le Voyer d'Escoman, qui déposa au palais un manifeste étrange, où elle accusait notamment la marquise de Verneuil, et affirmait avoir été bien informée, car elle côtoyait chaque jour Mme de Chantemesle, — c'était le nom qu'avait pris Marie d'Entragues, au service de qui elle avait été, — ou Henriette elle-même, à qui elle avait été cédée par la première.

Je suis entrée, disait Mlle d'Escoman dont nous résumons ici les déclarations, au service de la marquise après sa mise en liberté, et là, en dehors des visites fréquentes du roi, je remarquai qu'elle recevait d'autres personnages, Français d'apparence, mais non de cœur. La première affaire importante que j'ai connue se passa le jour même où Sully vint chez le sieur de Villemonti parler à la marquise de la proposition de mariage entre elle et le duc de Guise. Le ministre parti, Villemonti retint à dîner Mmes de Verneuil et de Chantemesle, et le soir même on conclut une alliance d'amitié. Quelque temps après, à la Noël 1608, la marquise se mit à suivre les sermons du P. Gontier, et un jour, entrant avec sa suivante à l'église Saint-Jean-en-Grève, elle alla droit à un banc où était assis le duc d'Épernon, se mit auprès de lui et ils s'entretinrent pendant toute la cérémonie à voix basse et à mots couverts. Agenouillée derrière eux, Mlle d'Escoman crut comprendre qu'il s'agissait d'un complot contre la vie du roi[28]. Après quelques jours d'intervalle, continue la narration, la marquise de Verneuil m'envoya Ravaillac venant de Marcoussis avec ce billet : Madame d'Escoman, je vous envoie cet homme par Étienne, valet de chambre de mon père ; je vous le recommande ; ayez-en soin. Je reçus Ravaillac sans chercher à savoir qui il était, le fis dîner et l'envoyai coucher en ville chez un nommé Larivière, confident de ma maîtresse. Un jour qu'il déjeunait, je lui demandai la raison de l'intérêt que lui portait la marquise ; il répondit que c'était à cause du soin qu'il prenait des affaires du duc d'Épernon ; sur cette assurance, je lui apportai un procès à élucider ; à mon retour, cependant, il avait disparu. Surprise de toutes ces étrangetés, je tâchai de m'immiscer dans la confiance des complices pour en savoir davantage. Le roi, un moment, soupçonna Ledain, confident de Mme de Verneuil, et jugea à propos de le bannir. Mme de Chantemesle écrivit alors à Mme d'Escoman pour la prier de s'en informer, savoir où il était afin que l'on pût se servir de son intermédiaire pour correspondre avec l'Espagne, etc.

Mlle d'Escoman résolut enfin de dévoiler ce qu'elle savait, avant qu'il fût trop tard. Elle écrivit au comte de Schomberg[29] et à Mlle de Gournai[30], leur demandant un rendez-vous pour des choses de grande importance. Par politesse, — car c'était le moment où les seigneurs commençaient à se targuer de savoir-vivre, — ils se rendirent chez elle, écoutèrent ces histoires mais refusèrent de s'en mêler. Il n'y avait en somme que des potins ; puis on avait déjà vu tant de projets, de tentatives d'assassinat ! Chacun à la fin devenait sceptique. — Mlle d'Escoman écrivit ensuite au sieur de la Magdeleine, mais qui ne répondit pas. Le roi entre temps avait fait sentir quelque ressentiment à Mme de Verneuil ; malade elle vint quand même à Paris pour se justifier, et du reste s'en retourna absoute. Mais elle avait flairé d'où pouvait venir le coup et fit mander sa suivante pour lui demander si elle la desservait et lui rendait de mauvais services. L'autre protesta avec énergie, mais c'est alors qu'on l'envoya loger chez Mlle du Tillet, qui se trouva chargée d'exercer sur elle une surveillance étroite[31]. A l'Ascension de l'année 1609, elle rencontra Ravaillac, qui lui fit part de ses mauvaises intentions. Elle courut au Louvre et vit une des femmes de la reine, qu'elle pria de lui ménager un entretien avec Marie de Médicis en lui assurant qu'après leur conversation celle-ci pourrait faire arrêter tout un courrier prêt à partir pour l'Espagne[32]. Mais la reine devait se rendre le jour même à Chartres ; elle demeura trois jours absente et ce ne fut qu'ensuite qu'elle s'informa de la solliciteuse, qui du reste l'attendit inutilement tout un jour dans son cabinet. Elle l'avait oubliée et était partie pour Fontainebleau. — A la Fête-Dieu, la d'Escoman se trouva encore en présence de Ravaillac, qui vint à elle les larmes aux yeux, la suppliant de ne parler à personne de ce qu'il lui avait révélé. Elle voulait tout dire au contraire, et se rendit au couvent des Jésuites pour voir le père Cotton, confesseur du roi ; la père était absent et elle fut reçue par le procureur qui l'écouta, mais refusa de prendre au sérieux ce qu'elle racontait.

— Faites en sorte, dit-elle, que le P. Cotton avertisse le roi.

— Je ferai ce que Dieu me conseillera, répondit le procureur ; bonne femme, allez prier Dieu !

— Vous me prenez, je le vois, pour une folle, s'écria aussitôt la d'Escoman ; mais si vous laissez tuer le roi, malheur à vous !... J'irai s'il le faut à pied à Fontainebleau et je vous accuserai...

Le Père procureur se radoucit et promit d'informer Leurs Majestés. — Mais à ce moment la dénonciatrice se trouva emprisonnée, peut-être du fait de ceux qui avaient à craindre sa malencontreuse clairvoyance. Jacqueline Le Voyer, dite d'Escoman, qui était une femme galante, avait été mariée à un nommé Isaac de Varenne[33]. Des suites de son commerce habituel, sans doute, elle venait d'accoucher d'un enfant que son mari avait cru devoir désavouer ; faute d'argent elle se trouva obligée de le retirer des mains du nourrisseur auquel elle l'avait confié, et finit par l'exposer sur le Pont-Neuf. On devait la surveiller, car elle fut prise sur le fait, enfermée à l'Hôtel-Dieu, puis au Châtelet. Traduite en justice, on la condamna à mort ; puis, sur appel, le jugement fut cassé ; elle dut rester en détention dans un couvent, à la charge toutefois de son mari qui devait payer une pension annuelle de cent francs s'il ne voulait reprendre sa femme. Cette dernière clause cependant resta lettre morte, si bien que la d'Escoman enfin fut remise en liberté. — Durant sa détention, elle avait fait part à plusieurs du danger qu'elle savait que courait le roi, et fit même prévenir la reine par un de ses apothicaires. A sa sortie, enfin, elle essaya encore, inutilement, de voir Marie de Médicis[34]. — Le meurtre d'Henri IV eut lieu, et, n'ayant pu l'empêcher, elle voulut au moins faire punir les coupables. Comme elle n'avait pas réussi à parvenir jusqu'à la reine, elle se résolut à parler devant la première femme du Béarnais, la reine Margot, qui habitait alors le bel hôtel qu'elle avait fait construire sur le quai des Augustins. Elle l'alla trouver à Saint-Victor, au moment où elle entendait la messe.

— Madame, fit-elle, me reconnaissez-vous ?

La reine Margot hésita, puis répondit :

Vous êtes Jacqueline d'Escoman... C'est vous qui êtes venue me prier de vous prendre à mon service.

C'est vrai, madame... J'ai de graves révélations à faire touchant la mort du roi qui fut votre mari. Voulez-vous m'entendre ?

Marguerite de Valois l'éconduisit d'abord ; mais sur son insistance elle finit par lui donner rendez-vous dans son hôtel.

Je connais, fit la d'Escoman, lorsqu'elle fut introduite, ceux qui ont fait tuer le roi ; c'est surtout le duc d 'Épernon et la marquise de Verneuil, je puis l'affirmer en justice[35].

La reine Margot, on peut le savoir[36], n'avait jamais eu pour son ex-mari qu'une affection très tiède ; mais elle n'était pas non plus de ceux qui trouvaient à se réjouir de sa mort et cette déclaration si nette lui donna bien à penser. Toutefois, avant de produire la déposition de Mlle d'Escoman, elle voulut savoir quel effet elle produirait sur Épernon, qui était directement incriminé. Elle le fit venir pour affaire d'importance et le dissimula derrière une cloison. La d'Escoman arrivée, la reine lui dit :

Répétez maintenant ce que vous m'avez raconté. Madame, je vous ai déclaré que le meurtre du feu roi a été comploté dans le logis de Mlle du Tillet, la maîtresse du duc d'Épernon, par lui et Mme de Verneuil. Avec les troubles que l'on pouvait prévoir, en suite du crime, la marquise espérait épouser le duc de Guise qui devait être régent ; le fils de Mme de Verneuil devait être roi et le duc d'Épernon connétable[37].

Le duc n'attendit pas davantage ; il sortit comme un furieux de sa cachette et voulut faire taire Mlle d'Escoman. Mais elle maintint ses affirmations avec énergie et demanda à comparaître devant le Parlement[38]. — L'affaire ainsi fut déférée à la justice et ce fut le président Jeannin, — l'homme de Marie de Médicis, — qui procéda à l'interrogatoire de l'accusatrice.

— Pourquoi, demanda-t-il d'abord, n'avez-vous pas fait plus tôt ces révélations ?

— Parce que j'en ai été empêchée.

— Pourquoi les faites-vous aujourd'hui ?

— Pour décharger ma conscience[39].

Mais un incident curieux et qui mérite de retenir l'attention a été rapporté par l'Estoile et prend place à ce moment dans cette suite d'événements imprévus. Le prévôt de Pithiviers[40], localité voisine du château de Malesherbes, jouant ou regardant jouer à la courte boule dans un jardin, à l'heure même où Henri IV était tué, se trouva accusé et convaincu par bons témoins d'avoir dit : Le roi est mort ! Il vient d'être tué tout maintenant, n'en doutez point. Il avait déjà tenu un pareil langage auparavant, dit le chroniqueur, mais on n'y avait pas pris garde, jusqu'à ce que la fortune advenue pût laisser croire qu'il savait l'entreprise, comme il y avait apparence, et qu'il était des complices de l'assassin. C'était d'ailleurs un homme mal famé et renommé, tenu au pays pour voleur et concussionnaire, mauvais serviteur du roi, mais très bon de la maison d'Entragues, et surtout de la marquise de Verneuil ; tellement qu'après avoir été veillé, guetté et couru, il fut pris et mené prisonnier à Paris où on l'enferma à la Conciergerie. Mais à quelques jours de là, on le trouva mort dans sa cellule, étranglé avec les cordons de son caleçon. On lui fit quand même son procès ; toutefois un homme mort ne parle point, et s'il eût jasé, comme il avait si bien commencé, il en eût à la fin trop dit sans doute pour ceux qu'on n'avait pas envie de fâcher. On se borna en fin de compte à le traîner sur une claie des prisons ; on le pendit par les pieds et il fut brûlé en place de Grève ;dont les gens du pays disaient volontiers : Mon Dieu, que la mort de ce méchant homme vient à point pour M. d'Entragues, Mme la marquise sa fille et pour tous ceux de sa maison. Quand ce serait le diable même qui s'en serait mêlé, il leur aurait fait à tous un beau et gros service[41]. Ce n'était pas le diable, sans doute, qui était dans l'affaire, mais on avait supprimé un témoin gênant et surtout trop bavard. — La d'Escoman avait été mise entre les mains de la justice dès le 17 janvier. Le 25 on assembla les Chambres et elles décernèrent quelques prises de corps et ajournements personnels. La Villiers Hoteman, la présidente Saint-André et Charlotte du Tillet, sa sœur, durent comparaître. Les reproches que se firent à la confrontation la du Tillet et la Coman sur leur mauvaise vie sont plaisants, ajoute l'Estoile, aussi bien que le métier qu'elles se reprochaient. Mais le valet de Mlle du Tillet avoua que toutes deux connaissaient Ravaillac, et qu'à plusieurs reprises elles lui avaient donné de quoi vivre[42] ; l'accusatrice enfin compléta sa déposition en disant à propos du prévôt de Pithiviers : C'est la marquise qui l'a fait tuer par un de ses parents, de crainte que la torture ne lui arrachât des révélations compromettantes (9 février)[43]. — A la suite de nouveaux interrogatoires, et dans une dernière audience, le procureur général requit la peine de mort, mais contre la d'Escoman, coupable selon lui de sorcellerie, de fabrication de fausse monnaie et d'autres crimes encore. Toutefois le Parlement repoussa ces conclusions. Le premier président, Harlay, admonesta même sévèrement le procureur ; il l'accusa d'ingratitude envers Henri IV qui avait été son bienfaiteur, et lui ordonna de se retirer. Ce fut ensuite l'avocat général Servien qui demanda qu'on fît comparaître le duc d'Épernon et sa complice Mme de Verneuil. La cour acquiesça et le président de Harlay transmit de suite cette décision au duc. Malgré son grand âge, dit Foscarini, il a repris toute sa vigueur et il est décidé d'aller jusqu'au bout pour découvrir la vérité[44].

D'Épernon, la faction espagnole avec Marie de Médicis commençaient du reste à s'inquiéter. On craignait qu'à la fin on ne découvrît trop de choses. Ayant le plus d'intérêt en cette affaire, poursuit l'Estoile, le duc la poursuivait animeusement contre l'accusatrice pour la faire mourir, allant ordinairement au conseil pour s'enquérir près le président Séguier. Il s'était montré très irrité et avait menacé même de faire tuer Servien lorsque celui-ci avait proposé de le traduire en justice ; mais les princes du sang prirent le magistrat sous leur sauvegarde. Épernon voulut savoir enfin ce que pensait Harlay, et se présenta chez lui botté, éperonné, portant haut la tête. Le vieux président, assez rébarbatif de coutume, à l'endroit principalement de ceux qui lui déplaisaient, le rabroua du reste vertement :

— Je n'ai rien à vous dire, fit-il ; je suis votre juge ! Et l'autre ayant répliqué que ce qu'il lui demandait était en ami et qu'en cette qualité il en avait pris la hardiesse :

— Je n'ai pas d'amis, répondit encore Harlay ; je vous ferai justice ; contentez-vous de cela.

D'Épernon ne put qu'aller se plaindre à la Régente, qui voulait plutôt arranger les choses et envoya l'un des siens avec charge de dire au président qu'elle avait entendu qu'il traitait mal le duc, mais qu'elle le priait à l'avenir de le considérer plus doucement et comme un seigneur de la qualité et du mérite qu'il était.

— Il y a cinquante ans que je suis juge, répondit sèchement Harlay ; trente ans que je préside la cour souveraine du royaume, mais je n'ai jamais vu homme ni seigneur, de quelque qualité qu'il fût et accusé de lèse-majesté comme M. d'Épernon, se présenter tout botté et éperonné, avec l'épée au côté... N'oubliez pas de dire cela à la reine !

Cependant Épernon, de même qu'Henriette d'Entragues, aurait voulu qu'on questionnât la d'Escoman. Ils espéraient qu'elle se rétracterait, dénoncerait ceux qui l'avaient poussée à les mettre en cause. Mais Marie de Médicis désirait attiser le moins possible ce feu à demi couvert[45]. Le dimanche 30 janvier, rapporte encore l'Estoile, la marquise de Verneuil fut entendue par M. le premier président, qui l'avait fait assigner en son logis, sur les dépositions de la Coman. L'interrogatoire dura depuis une heure après midi jusqu'à cinq heures du soir. Le lendemain la reine régente lui envoya, comme pour d'Épernon, un gentilhomme pour le prier de lui dire ce qu'il lui semblait du procès. Vous direz à la reine, répondit ce bonhomme, que Dieu m'a réservé à vivre en ce siècle pour y voir et entendre des choses merveilleuses, si grandes et étranges, que je n'eusse jamais cru les pouvoir voir ni ouïr de mon vivant. Et à un de ses amis et des miens, qui lui disait, parlant de cette demoiselle, qu'accusant tout le monde comme elle faisait, même les plus grands du royaume, elle en parlait à la volée et sans preuves, levant les yeux au ciel et ses deux bras en haut : Il n'y en a que trop, des preuves, fit-il, il n'y en a que trop... Plût à Dieu que nous n'en vissions pas tant. — Le Mercure français mentionne du reste que les interrogatoires de la d'Escoman, ceux du duc d'Épernon et de la marquise de Verneuil furent secrets.

On désirait en somme étouffer l'affaire. Le procès se trouva ajourné ; puis Harlay se démit de sa charge et fut remplacé par M. de Verdun, ex-président du Parlement de Toulouse. C'était un homme nouveau et qui avait à faire sa cour ; il n'avait pas du reste les scrupules de son prédécesseur, et après avoir dormi six mois, le procès fut repris et le jugement rendu[46]. — Le Parlement a absous les ducs de Guise et d'Épernon, et la marquise de Verneuil de l'accusation portée contre eux, écrit Giorgio Giustiniani, le nouvel ambassadeur de Venise[47]. — Quant à la d'Escoman, qui était venue porter le trouble parmi ces compères, son sort fut vite réglé ; neuf des conseillers se prononcèrent pour la mort, neuf pour la prison ; elle fut ainsi condamnée à terminer sa vie dans un cachot, au couvent des Filles repenties. Le samedi 30 juillet 1611, ajoute le journal de l'Estoile, ou plutôt de ses continuateurs, la Coman jugée, condamnée à tenir prison perpétuelle entre quatre murailles, et cependant ceux qu'elle avait accusés, déchargés et déclarés innocents. On travaillait à son jugement dès le samedi précédent 23[48]. — Si on ne l'a pas condamnée à mort, ajoute Giustiniani, c'est qu'on la tenait pour folle, et surtout par crainte d'une sédition populaire. La vérité, on le sait, n'est pas toujours bonne à dire, et l'accusatrice avait contre elle non seulement ceux qu'elle avait désignés, mais le gouvernement lui-même, — la Régente, dont les inquiétudes s'expliquent fort bien si l'on admet sa complicité, au moins tacite, dans le crime du 24 mai 1610. — La d'Escoman, toujours est-il, vécut des années dans la niche où elle fut enfermée comme une bête fauve. Mais dans sa prison elle écrivit un mémoire justificatif qui nous a été conservé[49], et qui se termine non par des imprécations, mais par des paroles résignées, bien susceptibles de faire réfléchir, — car elle ne se rétracta jamais.

Je prierai Dieu, dit-elle, qu'il lui plaise mettre au cœur des vrais Français justice être faite des complices et auteurs de ce parricide. Je le prierai toute ma vie, en ce lieu où je suis misérable, contente et résolue pour la vérité [50].

On a fait remarquer d'ailleurs que la d'Escoman ne fut pas la seule accusatrice. Un aventurier, P. Dujardin, ou le capitaine Lagarde, vint également raconter qu'on lui avait offert 50.000 écus et le titre de grand d'Espagne s'il se chargeait de tuer le roi[51]. Dujardin aurait révélé le fait à un frère de Zamet qui fit avertir Henri IV. — En 1615, comme il parlait trop, on le mit à la Bastille ; il y resta jusqu'en 1619 et fut enfin libéré pour des motifs politiques.

Mais une question en dernier lieu se pose, et qui résume à elle seule ce lourd problème. Y eut-il réellement des complices de Ravaillac, et quels furent-ils ? M. Loiseleur a pensé établir qu'il y eut un double complot contre la vie d'Henri IV, —l'un où serait entré le duc d'Épernon ; où auraient agi dans l'ombre la marquise de Verneuil, peut-être le duc de Guise, la du Tillet et d'autres coquins de moindre importance, — Marie de Médicis encore, qui était instruite des choses, et au moins aurait laissé faire ; — le second où Ravaillac, poussé peut-être et indirectement par Épernon qui était gouverneur d'Angoulême, aurait agi seul, ce qui expliquerait qu'il n'aurait voulu ni pu nommer personne de ses complices, et en même temps l'inquiétude du duc au cours du procès. Au moment de frapper, ceux du premier complot auraient trouvé le coup fait ; c'est l'anecdote recueillie dans les Archives curieuses ; la scène où dut intervenir le baron de Courtemer[52]. — La conduite du duc d'Épernon est d'ailleurs assez louche dans cette histoire, et bien que pour le remettre à la justice, il ait fait respecter la vie de l'assassin, que les valets et gens de la suite allaient dépêcher sur l'heure comme autrefois Jacques Clément[53], il fut, on le sait, un des premiers qui se présentèrent pour mettre à profit la mort du roi, et outre nombre de faits qui indiquèrent par la suite leur bonne entente, on peut se rappeler que c'est chez lui, à Loches, qu'en 1619 alla se réfugier Marie de Médicis lorsqu'elle s'échappa du château de Blois[54]. — Henriette d'Entragues, s'est-on demandé de même, fut-elle parmi les complices ? Mlle d'Escoman la mettait en cause sans doute, et l'on ne doit pas oublier que Ravaillac, au dire de l'accusation, était reçu chez elle, parlant agissait pour elle, sans peut-être voir bien clair dans ses roueries de femme. Mais quel fut véritablement son rôle dans ce dramatique incident ? Encore aujourd'hui, on en est réduit aux conjectures, et à feuilleter les paperasses du temps, il semble qu'on se penche sur un monde de commérages et d'intrigues. Fut-elle la complice de l'assassin ? S'était-elle enfin vengée de ses multiples déboires, depuis la promesse de mariage d'Henri IV jusqu'à la comédie pseudo-judiciaire où elle s'était vue impliquée, et que le roi avait conduite jusqu'à la condamnation pour faire ployer enfin sa fierté de femme ? Elle savait d'ailleurs qu'avec l'amour insensé du monarque pour Charlotte de Montmorency, elle serait sacrifiée même comme maîtresse, et l'on pourrait soutenir qu'elle n'eut de repos qu'après avoir préparé, machiné la catastrophe où son amant devait disparaître. Les autres femmes ne la gênaient pas, même avec les faveurs passagères du roi ; à cause de celle-là seulement, elle se montra implacable. Ravaillac sans doute a nié toute complicité ; mais il doit être permis de le faire remarquer : on attache trop d'importance en général aux déclarations d'un individu, simplement parce qu'il doit mourir ; il me semble, au contraire, qu'il doit y avoir une âcre et ultime jouissance, pour celui qui va disparaître, dans le mensonge dernier par lequel il dupera la postérité. — Certes, Henriette perdait beaucoup avec la mort du roi, si peu attaché qu'il lui fût encore, et lorsque la régence allait échoir à sa rivale, l'Italienne qu'elle avait si longtemps poursuivie de ses railleries et de ses sarcasmes. Mais il faut tenir compte de la rancune que capitalisait depuis longtemps cette tête quand même romanesque. Elle avait pu manigancer longuement, pesant les avantages et les risques, la tragédie qui termina le règne d'Henri IV ; la grande habileté de cette femme, on ne saurait trop l'admirer, fut de se mettre constamment à l'abri, de s'arranger pour n'être pas inquiétée. — L'aurait-elle pu toutefois sans la connivence de Marie de Médicis ? Haine de femme est bien perspicace ! et il y a d'ailleurs des preuves indirectes de leur bonne entente[55].

Dans la soirée du 14, le jeune Verneuil fut mis sous la garde d'un exempt et de deux archers[56], ce qui était une bonne précaution avec les intrigues de l'Espagne ; mais prise d'inquiétude, la marquise fit demander à Marie de Médicis si elle pouvait rester en France en toute sûreté : J'aurai toujours des égards pour tous ceux qui ont aimé le roi mon mari, répondit la reine ; elle peut reparaître à la Cour, elle y sera bienvenue de tous[57]. — Or, Marie de Médicis était jalouse autant qu'elle était bête, jalouse non par amour, mais par amour-propre, car elle était infatuée d'elle-même et ne pouvait comprendre qu'Henri IV en préférât une autre ; elle était Italienne, et de la même famille que Catherine dont nous connaissons le peu de scrupules ; enfin douceur et affabilité étaient contre son naturel, dit l'Estoile. Mais la femme légitime et la maîtresse avaient été toutes deux bernées et trompées et pouvaient associer leurs rancunes. Il est impossible d'affirmer, car il n'y a que des présomptions ; on peut expliquer ainsi toutefois que les poursuites contre Henriette d'Entragues n'aient pas eu de suites. Marie de Médicis passa l'éponge parce qu'elle pouvait toujours craindre le tapage de révélations inopportunes. L'assassinat d'Henri IV reste ainsi une vengeance de femmes, — non par amour, répétons-le, car un homme de cinquante-six ans ne peut inspirer de telles passions : par dépit de la situation perdue, chez l'une ; par crainte de l'avenir chez l'autre[58]. La mort du roi arrangea tout. — Mais on peut comprendre dès lors la tristesse de Louis XIII, même tout jeune encore et bien instruit de choses que nous n'entrevoyons qu'à travers des récits contradictoires, et la dureté avec laquelle, plus tard, il traita sa mère. Lorsqu'il l'exila après la mort de Concini, il la regarda partir d'un œil sec ; le cadavre du Béarnais était toujours étendu entre eux deux. — Sans doute, il n'y a pas de preuves, des preuves absolues, flagrantes ; il n'y a que des présomptions. Mais la mort d'Henri IV après le sacre de Saint-Denis faisait la reine toute-puissante. Il pouvait disparaître, et avec lui le conseil de régence qu'il avait institué. Marie de Médicis, qui avait pu craindre d'être renvoyée à Florence, gagnait tout avec le crime de Ravaillac, — et pensait bien n'avoir rien à perdre.

Il reste à examiner toutefois le rôle de l'Espagne, qu'on a longtemps accusée, peut-être nullement à tort, bien que là non plus il n'y ait jamais eu de certitude. Is fecit cui prodest, dit le vieil adage latin. Le roi catholique avait tout avantage à la mort de ce rude batailleur qu'était le roi de France, et devant lui n'allait plus avoir qu'un enfant et une femme, — une femme qui était tout Espagnole, son mari le lui avait dit en face. Lorsque la nouvelle du meurtre parvint à la cour de Philippe III, l'archevêque de Tolède s'écria : Votre Majesté doit se pénétrer des paroles de saint Paul : Si Deus pro nobis, quis contra nos. Sans doute, ce n'était pas Dieu qui avait frappé ; mais pour les Espagnols d'une part, comme pour les huguenots de l'autre, le résultat était le même. La Cour du roi catholique, il est vrai, prit le deuil ; mais le peuple exultait ; le clergé en chaire rendit grâce à la toute-puissance divine ; les courtisans s'écrièrent que c'était une miraculeuse bénédiction du ciel[59], et l'ambassade espagnole en France, allant au-devant des soupçons, crut bonde s'écrier en présence de Marie de Médicis : Au moins, ne croyez pas que nous sommes pour rien dans la mort du roi ; Sa Majesté catholique n'a poussé d'aucune manière celui qui l'a tué ! La reine ne répondit que quelques mots vagues, toute décontenancée, et changea de conversation[60]. — On ne se souciait pas, dit un historien en général favorable aux protestants, M. F. Combes, d'ailleurs écrivain érudit et consciencieux, —en poussant trop loin les choses, de ramener la guerre quand on avait besoin de la paix ; on eût expédié le criminel dès le 18 mai, quatre jours après l'assassinat, si l'on n'avait craint les grondements du peuple ; la Régente elle-même fut obligée de ralentir le zèle des magistrats et leur commander de faire au moins un semblant d'enquête[61]. Mais nous savons que l'assassinat de ceux qui gênaient était, à l'époque, considéré par certains comme une œuvre pie, qu'ils fussent huguenots ou catholiques. N'avait-on pas dépêché ainsi le duc François de Guise, le prince d'Orange, le roi Henri III ? Lors de la conspiration de Biron en 1602, le comte de Fuentès n'avait-il pas dit à un agent du maréchal : La première chose, c'est de tuer le roi ! On s'arrangera surtout pour supprimer toute trace de complicité. — M. Combes qui a pris la peine de fouiller les archives de Vienne, de Genève, de la Haye, le Record Office et les archives de Simancas afin d'établir les responsabilités de l'Espagne, n'a pu donner qu'un résultat négatif. En Angleterre, il n'y a que des potins, des accusations vagues ; les archives de Bruxelles, transportées à Vienne, offrent dans les lettres de Pecquius une lacune de la fin d'avril au 1er juillet 1610 ; dans les archives de Simancas, dans celles de Turin, en Hollande, le même fait se reproduit ; tous les documents ont été supprimés à une époque qu'on ne saurait préciser. — Mais justement, peut-on dire, c'est la preuve par la négative. Si l'on a fait disparaître tant de témoignages, c'est qu'ils semblaient trop compromettants. Sully, dans ses Œconomies royales, Richelieu, dans ses Mémoires, ont pu avec raison accuser l'étranger.

La mort d'Henri IV, d'ailleurs, fut bientôt oubliée dans le déchaînement des appétits, les divisions, les révoltes, les querelles de seigneurs qui marquèrent la régence de Marie de Médicis. — Le nom de Ravaillac, prononcé d'abord avec horreur, dit M. R. Hénard[62], ne servit bientôt plus que d'épouvantail aux enfants. Des opinions se manifestèrent en faveur du régicide et beaucoup ne virent plus dans l'assassin de la rue de la Ferronnerie que le martyr de la place de Grève. La mode enfin consacra son souvenir en adoptant la couleur de ses cheveux, de ce poil rousseau dont parle Germain Brice, et l'on vit les drapiers de la rue Saint-Honoré vendre aux galants qui donnaient au Paris de la jeunesse de Louis XIII le ton de l'élégance et des bonnes manières, des pourpoints et des manteaux d'une nuance jaune légèrement rougeâtre, — des manteaux dits : à la Ravaillac.

 

 

 



[1] A l'hôtel d'Épernon, dit ailleurs l'Estoile.

[2] Tandis que Ravaillac était détenu à l'hôtel de Rais, un huguenot lui donna la question de son autorité privée, dont il avait les os du pouce rompus. (Bibl. nat. Mss 16650.) — Pour les protestants, en effet, la mort d'Henri IV était le naufrage de leurs illusions et ils auraient absolument voulu pouvoir incriminer le parti catholique, surtout l'Espagne. (Cf. Mémoires de Condé, édit. Langlet-Dufresnoy, t. VI.)

[3] Sans doute la tour de l'Horloge, la seule tour carrée du Palais de Justice, et sur laquelle Henri III avait fait placer le cadran doré qui existe encore. D'après un autre passage du Journal de L'ESTOILE, dont la continuation est due à différents auteurs, Ravaillac aurait été enfermé dans la tour de Montgommery.

[4] Cf. Procès du très méchant et détestable parricide Ravaillac, Paris, 1858 ; Mémoires de Condé, édit. Langlet-Dufresnoy, t. VI ; Bibl. nat. Mss fr. 16550 ; Mss Fontanieu, p. 454-455.

[5] Il lui aurait toutefois conseillé de prier Dieu, manger de bons potages, retourner dans son pays et dire son chapelet. (Procès. Mss 16550, f° 49. Bibl. nat.) C'était en somme la sagesse. Mais l'interrogatoire de Ravaillac prouve bien qu'il avait frappé Henri IV parce qu'il le considérait comme le protecteur des huguenots.

[6] La plupart, plus par curiosité que pour autre cause, encore que cette liberté ne plût guère à beaucoup de gens de bien. (L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II.)

[7] Il avait sur lui des papiers remplis de formules magiques ; un cœur de coton ; un chapelet ; un papier où était écrit le nom de Jésus, des billets pleins de croix et de caractères inconnus, ajoute Malherbe. M. de Vitry qui le garda au commencement dit qu'il en avait un où était écrit : Stances pour empêcher de sentir la douleur des supplices. (Mémoires de Condé, édit. Langlet-Dufresnoy, t. VI ; MALHERBE, Lettres.)

[8] Archives curieuses, t. XV. — Ce sont là surtout des bavardages de Guy Patin. Mais la famille de Ravaillac était peu recommandable. Dans les papiers des années 1612-1614, on trouve ainsi une enquête faite au requis du procureur du roi contre Geoffroy de Montalque, praticien, natif d'Angoulême et fils de Jean Ravaillac, accusé d'homicide sur la personne de Jean de Fontaneau. — Il ressort des dépositions des témoins que ledit Montalque est accusé d'avoir tué ou fait tuer près de Château-l'Évêque ledit Fontaneau dont il entretenait la femme. Interrogé sur son nom dans l'instruction de l'affaire, il répond qu'il a changé de cognomen parce que l'arrêt baillé au Parlement de Paris contre le malheureux Ravaillac son frère le lui enjoignait, et de fait il prit le nom de Montalque, et le fit enregistrer au greffe d'Angoulême. (Archiv. de la Dordogne, série B, Sénéchaussée et présidial de Périgueux, 132. Layette de 20 pièces pap.

[9] Mémoires de Condé, édit. Langlet-Dufresnoy, t. VI, p. 218. Amédée Callandreau, Ravaillac, in-8°, Paris 1884.

[10] Ravaillac croyait que le roi allait renverser la religion catholique, à cause des grands apprêts de guerre qui tournaient de ce côté. (Germain BRICE.) C'était au moins la pensée des huguenots sinon celle d'Henri IV et l'assassin n'était peut-être pas si loin de la vérité.

[11] Elle fit dire aux juges par son écuyer qu'un boucher se présentait pour a écorcher tout vif ce misérable, promettant de le faire durer longtemps et de lui réserver assez de force après qu'il serait dépouillé de sa peau pour endurer le supplice. (MATTHIEU, Histoire de la mort déplorable d'Henri IV, p. 115.)

[12] Description historique de la ville de Paris, édit. de 1705, t. II, p. 7.

[13] Germain BRICE, Nouvelle description de Paris, 1725, t. I, p. 208.

[14] C'était également l'opinion de Saint-Simon (Parallèle des trois premiers Bourbons). Il s'en faut, dit-il, qu'elle ait été exempte du soupçon de sa mort (p. 180) ; et ailleurs : Le soupçon trop bien établi de la part qu'elle eut au meurtre d'Henri IV, à qui elle avait donné tant de peines et d'inquiétudes, etc. (p. 196). — Sully enfin voudrait nous faire croire que Concini, menacé d'être renvoyé à Florence, aurait machiné la mort du roi pour profiter ensuite des complaisances de la reine. N'empêche que lui-même tient à se mettre bien avec le maréchal d'Ancre et lui fit sa cour lorsque vint la prospérité.

[15] Bibl. nat. Voyez entre autres les Mss fr. 5772, 7595, 16550, 19570, 23774, 23849, 25565, etc.

[16] Procès du très méchant et détestable parricide Ravaillac, Paris, 1858 ; Mémoires de Condé, édit. Langlet-Dufresnoy, t. VI ; CIMBER et DANJOU, Archives curieuses, t. XV.

[17] TALLEMANT DES RÉAUX, op. cit., t. I.

[18] Vu par la Cour, les Grand'Chambre, Tournelle et de l'Édit assemblées, le procès criminel fait par les présidents et conseillers à ce commis, à la requête du procureur général du roi, à l'encontre de François Ravaillac, praticien de la ville d'Angoulême, prisonnier en la Conciergerie du Palais ; informations, interrogatoires, confessions, dénégations, confrontation de témoins ; conclusions du procureur-général du roi ; ouï et interrogé par ladite cour sur les cas à. lui imposés ; procès-verbal des interrogatoires à lui faits à la question, à laquelle, de l'ordonnance de la cour aurait été appliqué le 25 de ce mois pour la révélation de ses complices : tout considéré, dit a été que ladite Cour a déclaré et déclare ledit Ravaillac dûment atteint et convaincu du crime de lèse-majesté divine et humaine au premier chef, pour le très méchant, très abominable et très détestable parricide commis en la personne du feu roi Henri IV, de très bonne et très louable mémoire. Pour réparation duquel l'a condamné et condamne à faire amende honorable devant la principale porte de l'église de Paris, où il sera mené et conduit dans un tombereau ; là, nu et en chemise, tenant une torche ardente du poids de deux livres, dire et déclarer que malheureusement et proditoirement il a commis le dit très méchant et très détestable parricide, et tué le dit seigneur roi de deux coups de couteau dans le corps, dont il se repent, et demande pardon à Dieu, au roi et à la justice. Ensuite il sera conduit à la place de Grève, et sur un échafaud qui y sera dressé, sera tenaillé aux mamelles, bras, cuisses et gras des jambes ; sa main droite, tenant le couteau dont il a commis le dit parricide, arse et brûlée de feu de soufre ; et sur les endroits où il aura été tenaillé, on jettera du plomb fondu, de l'huile bouillante, de la poix résine ; il sera brûlé de la cire et du soufre fondus ; cela fait, son corps sera tiré et démembré à quatre chevaux, ses corps et membres consumés au feu et réduits en cendres jetées au vent. La Cour déclare tous ses biens acquis et confisqués au roi ; ordonne que la maison où il est né sera démolie, celui à qui elle appartient préalablement indemnisé, sans que sur le fonds puisse être fait à l'avenir un autre bâtiment ; et que dans une quinzaine après la publication du présent arrêt, à son de trompe et cri public, son père et sa mère videront le royaume, avec défense d'y revenir jamais sous peine d'être pendus et étranglés sans autre forme de procès. Elle fait défense à ses frères, sœurs, oncles et autres, de porter ci-après le nom de Ravaillac et leur enjoint d'en changer sous les mêmes peines ; et au substitut du procureur général du roi, de faire publier et exécuter le présent arrêt, à peine de s'en prendre à lui. Avant l'exécution du dit Ravaillac, elle ordonne qu'il sera derechef appliqué à la question pour la révélation de ses complices. — Signé : VOISIN. — Trois coins lui furent enfoncés, dit la relation imprimée dans les Mémoires de Condé.

[19] Une charrette à porter la boue, dit l'ambassadeur de Florence, Matteo Botti.

[20] Il semble que l'Estoile, bon royaliste d'abord, et nous l'avons dit, inclinant fort vers les protestants, a quelque peu, en nous faisant ce récit, exagéré la fureur des Parisiens contre Ravaillac. Certes il y a toujours dans la foule un élément nombreux de populace qui se tient prêt aux horions, surtout lorsqu'il croit pouvoir agir en toute facilité ; la cohue anonyme devient vite d'une sauvagerie révoltante. Mais il n'en faudrait pas uniquement induire qu'on houspilla Ravaillac par regret et amour pour Henri IV, comme le bon chroniqueur veut le faire entendre. Lui-même cite des exemples nombreux de ceux qui ricanaient, trouvant le tour bien joué, et au moins prenaient facilement leur parti de l'aventure. L'amour montré par la nation pour le Béarnais a fait surtout partie du système des monarchistes qui avaient à assurer la succession de la dynastie nouvelle, — et des huguenots qui voulaient montrer la popularité du roi qui avait tenu si longtemps leur religion.

[21] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 597-598. — Il n'y a qu'un seul aveu de Ravaillac, et indirect encore : Celui qui a fait le coup, écrivait-on au duc de Croy et d'Aschot, demeure ferme à ne déceler celui ou ceux qui d'une manière ou de l'autre l'ont incité, disant qu'il penserait plus faillir et pécher à le déclarer que d'avoir tué le dit roi. (Lettre de Lalowe, 16 mai 1610, Arch. de Belgique ; citée par M. F. COMBES, Lectures, t. II, p. 330.) — Mais on ne crut jamais qu'il n'avait pas été envoyé ; qu'il n'avait pas agi pour quelqu'un.

[22] Tenant le couteau avec lequel il avait frappé. On le tenailla ensuite comme il convenait, dit un récit du temps. (Cf. la dépêche de Matteo BOTTI, Ambass. de Florence, 3 juin 1610. Négociations diplomatiques avec la Toscane.

[23] Les chevaux tirèrent une heure en deux reprises ; Ravaillac mourut avant d'avoir été démembré. (Mémoires de Condé, édit. citée.) Après la première tirade des chevaux il aurait dicté au greffier Voisin une déposition où d'Épernon, la reine même étaient nommés ; mais le greffier s'attacha à l'écrire si mal que jamais on n'a pu la lire. Cette conduite du greffier Voisin en un point de cette importance fait soupçonner qu'il y avait quelque secret qu'il ne voulait pas laisser apercevoir. (Cf. l'édit. des Mémoires de Condé, publiée à la Haye en 1793, t. VI ; Bibl. nat. L 22 a 4. — Archiv. nat. + + X 2 B. 253.)

[24] Il fut achevé à coups d'épée par les laquais, dit M. G. GAIN (Promenades, etc., p. 284.) L'ambassadeur Matteo Botti ajoute que les chevaux mirent bien une demi-heure à le dépecer, bien que de nombreux gentilshommes là présents fussent montés sur les chevaux et que d'autres eussent aidé à tirer les cordes. Tout cela dura bien deux heures, sans qu'on entendît l'assassin pousser un seul cri, sauf à chaque atteinte des tenailles. (Négociations diplomatiques avec la Toscane.)

[25] Les enfants même en firent des feux de joie au coin des rues. (L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 598.)

[26] Le peuple, toujours simpliste, accusait ouvertement l'Espagne, nous l'avons dit. L'Estoile incrimine les jésuites, ce qui est toujours commode et vite fait.

[27] H. BORDIER et E. CHARTON, Histoire de France d'après les documents originaux, t. II, p. 176, édit. de 1869.

[28] Mlle d'Escoman avait été admise ou plutôt envoyée dans la maison de Charlotte du Tillet, fille d'un greffier au Parlement de Paris, une petite bossue spirituelle et fine, qui était la maîtresse du duc et fort avant dans sa pensée, car elle pouvait écrire à Henriette de Clèves, duchesse de Nevers : N'est pas besoin, madame, que je rementoive à M. d'Epernon la servitude qu'il vous doit et je vous puis assurer qu'il n'a pouvoir en l'âme plus fort que de vous servir. (Bibl. nat. Mss fr. 4719.) — C'est dire qu'introduite dans la place, la d'Escoman pouvait bien observer et savoir.

[29] Le nom est écrit Chombert ou Schomberg. Ce n'est qu'une différence de prononciation.

[30] Une amie de Montaigne, Mlle Gournai, informa Sully qui l'a indiqué dans ses Mémoires, mais n'insiste pas autrement.

[31] CIMBER et DANJOU, Archives curieuses, 1re série, t. XV. Mémoire de la d'Escoman.

[32] Cf. ce que dit F. COMBES, Lectures, t. II, p. 322-324.

[33] Cette femme était encore belle et libertine, porte ailleurs le Journal de l'Estoile, du consentement de son mari nommé Lancroc (?) qui avait été tailleur de M. de Mayenne, et condamné à être pendu pour avoir dit, tenant un couteau, qu'il en eût voulu avoir donné dans le cœur du roi, ce qui avait été converti en bannissement. (Édit. Michaud, t. II, p. 670.) — On voit que cette partie de la relation est due à un continuateur.

[34] Sully pareillement aurait été averti du complot, mais n'y prêta pas attention. En 1607 déjà on avait négligé l'avis d'un religieux de Montargis affirmant au chancelier qu'un grand homme rousseau, natif d'Angoulême, projetait de poignarder le roi et pratiquait l'envoûtement sur une figure de cire.

[35] Bibl. nat. Fonds ital. 1763, filza 42, p. 244.

[36] Cf. la Reine Margot et la fin des Valois, surtout 2e part., chap. V et VI ; 3e part., chap. III.

[37] Louis de la Valette, duc d'Épernon, ancien familier d'Henri III, — et de ses mignons, si l'on en croit la chronique scandaleuse, — semblait n'avoir jamais considéré le Béarnais son successeur que comme un intrus. Après s'être maintenu longtemps indépendant en Provence, il avait cependant traité avec Henri IV et avait été admis dans son entourage. On se rappelle que c'est lui qui fut chargé de ramener de Compiègne, où il l'avait autrefois déposé, le corps de son ancien maître Henri III pour le conduire à Saint-Denis, lors de l'assassinat de son successeur. Il avait failli lui-même être trois fois assassiné, entre autres lors de la fougade de Brignolles. (Cf. Palma GAYET, Chronologie novenaire ; DU VAIR, Anecdotes, op. cit., p. 295.) — C'était un petit homme hargneux, violent, rancunier, disposant d'une fortune immense et d'une autorité égale à son ambition, dit ensuite M. Loiseleur ; on l'appelait à la Cour la garde-robe du roi, terme sous lequel on comprenait les grands emplois de la couronne. En même temps, l'Angoumois, la Saintonge, l'Aunis, la Rochelle, le Limousin, la Normandie, Loches, Metz et le pays messin lui obéissaient ; il ne portait guère d'amitié au roi et prenait à peine la précaution de le cacher. Il s'appuyait surtout sur la reine, sur le parti catholique et espagnol, dont il était le chef à la Cour. Mais Henri IV le surveillait ; ils lui avaient interdit les taxes arbitraires et entrepris de le diminuer dans ses deux charges les plus importantes, celles de colonel général de l'infanterie et de gouverneur de Metz. Il avait annoncé son intention de le remplacer dans le droit qu'il s'était arrogé depuis Henri III de pourvoir à tous les emplois de l'infanterie, et mis dans la citadelle de Metz, comme lieutenant, d'Arquin, homme ferme et sûr. D'Épernon, menacé dans ce que ses amis appelaient d'avance son royaume d'Austrasie, eut ensuite sa revanche. Le jour de l'assassinat du roi, d'Arquin qui était à Paris s'enfuit rapidement vers la citadelle de Metz ; mais il était suivi par un affidé du duc qui trouva moyen d'y introduire des troupes vendues, et il fut forcé de déguerpir. (LOISELEUR, Ravaillac.)

[38] Relation de FOSCARINI, Ambass. de Venise. Bibl. nat. Mss. Fonds ital. 1763, fizla 42, p. 244.

[39] Relation de FOSCARINI, Ambass. de Venise. Bibl. nat. Mss. Fonds ital. 1763, fizla 42, p. 244.

[40] Le prévôt des marchands de Pluviers, dit le texte publié dans la collection Michaud et Poujoulat. C'est sans doute une mauvaise lecture.

[41] On lui avait trouvé un instrument de faux monnayeur appelé une jument, et l'on pensa qu'il voulait s'en servir pour rompre des treillis et barreaux de fer, voire des plus forts comme sont ceux de la Bastille, et disait-on que c'était pour en tirer le comte d'Auvergne. (L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 609. Cf. Bibl. nat. Fonds ital. Mss 1763, filza 42, p. 245.)

[42] Parmi les personnes interrogées ou compromises on trouve les noms d'Étienne Sauvage, valet de chambre du sieur d'Entragues ; Jacques Gaudin, commissaire des montres du prévôt des maréchaux, etc. (Archives nat., U. 785.)

[43] Elle parlait bien et de bon sens, résolue, ferme et constante, sans aucune variation en ses réponses et ses accusations, munie de preuves très fortes, qui rendaient ses juges tout étonnés. (L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 670.)

[44] Bibl. nat. Mss. Fonds ital. filza 42, p. 272. — Divray, greffier de la cour, rapporte l'Estoile, affirma que comme il reconduisait cette demoiselle, — la d'Escoman, — elle lui dit qu'elle avait révélé en confession aux jésuites tout ce qu'elle savait de cette menée, mais qu'ils l'avaient conjurée de n'en pas parler. Le greffier avertit aussitôt la cour. (Édit. Michaud, t. II, p. 652.)

[45] On a même dit : De crainte qu'elle ne vînt à nommer Condé et d'autres grands noms et que de ses révélations ne sortît la guerre civile (!). (H. DE LA FERRIÈRE, op. cit., p. 391.) Mais ce que craignait la reine, on peut bien le croire, c'était surtout d'être mise directement en cause. C'était une mauvaise femme, allait-elle répétant, à propos de la d'Escoman, qui accusait tout le monde et l'accusait peut-être elle-même. — On ne lui demandait pas, certes, un tel aveu !

[46] Le samedi 5 mars, la cour assemblée sur le fait de la demoiselle d'Escoman et autres personnes déférées et chargées par elle de l'assassinat du feu roi, donna son arrêt, qu'on disait être l'arrêt des aréopagites. Ne trouvant pas de difficulté dans la cause qui leur était présentée, ils en remirent le jugement et la décision en une autre saison plus commode, ouvrant cependant les prisons aux accusés et y retenant la d'Escoman seule, qui semblait en devoir sortir plus tôt que les autres. Mais le temps ne portait pas à faire autrement, et même M. le premier président, qui assista au jugement, fut de cet avis, ayant égard à la qualité des accusés, lesquels, toutefois, par cet arrêt, ne demeuraient nullement déchargés, — ce qui les fâchait fort, — et à la tranquillité et repos de cet État, à la misère duquel il fallait donner quelque chose, et de deux maux choisir le moindre. (Édit. Michaud, t. II, n. 657.)

[47] Dépêche du 10 août. Bibi. nat. Mss. Fonds ital. filza 43, p. 95. — Son prédécesseur Foscarini écrivait déjà, à propos de la d'Escoman : Elle est saine d'esprit ; beaucoup de grands de la Cour s'y intéressent, car elle est malade et l'on parle de la transférer à la Bastille. (Ibid., filza 42, f° 286, verso.)

[48] Cf. Archives nat., U, 785. Arrêt dans l'affaire d'Escoman. — Elle avait déjà été condamnée pour faux témoignage ; on la considéra comme une intrigante, qui essayait d'exploiter d'autres intrigants. (LOISELEUR, op. cit.) Marie de Médicis alla à ce moment à Saint-Germain (26 juillet) avec Louis XIII et disait-on qu'elle y était venue en partie pour ne pas se trouver à Paris quand la Coman serait exécutée, ce qu'elle croyait être le lendemain. (L'ESTOILE, édit. Michaud, t. II, p. 670.)

[49] Cf. le Véritable manifeste sur la mort d'Henri IV, par Mlle d'Escoman. (CIMBER et DANJOU, Archives curieuses, 1re série, t. XV.)

[50] Si elle est folle ou non, écrit Mézeray, ceux qui l'ont connue et examinée eussent bien pu nous en laisser le jugement ; mais la conjecture et la grande importance du sujet ont supprimé bien des choses.

[51] M. Loiseleur est entré à propos de toute cette histoire dans nombre de détails que nous ne pouvons reproduire ici. (Cf. Ravaillac et ses complices. Paris, 1873.) D'après le récit du capitaine Lagarde, Ravaillac se serait rendu à Naples avec des lettres du duc d'Épernon pour le comte de Bénévent, vice-roi ; c'est alors qu'il aurait parlé de tuer Henri IV.

[52] V. 2e série, t. XV.

[53] Les hommes armés que dispersa le baron de Courtemer prenaient Ravaillac pour un des leurs et voulurent, en le tuant aussitôt, étouffer des révélations dont ils pouvaient tout craindre. Mieux instruit, d'Épernon préserva, au contraire, le meurtrier qui avait si bien fait ses affaires ; Ravaillac ne pouvait rien dire du complot, puisqu'il n'en savait rien, et détournerait les soupçons. C'est pour cela qu'il le fit garder deux jours d'abord à l'hôtel de Retz, puis chez lui, afin que chacun pût le voir et s'assurer qu'il ne disait rien qui confirmât les accusations populaires. (LOISELEUR, op. cit.) — D'Épernon fut décrété ; il se justifia juridiquement, mais ne fut jamais innocent dans l'esprit des personnes instruites de son caractère ; son insolence le soutint sous un règne faible. (Mémoires de Condé, édit. Langlet-Dufresnoy, t. VI, introd.)

[54] On a même insinué que d'Epernon était un des amants de la reine. (LOISELEUR, Ravaillac.)

[55] On a prétendu que Marie de Médicis, furieusement jalouse et poussée par cette lie domestique qui soupirait après la Régence, se laissa aller à une union avec cette cruelle maîtresse, l'une et l'autre tout espagnoles et gouvernées par ce qui était attaché à l'Espagne, et qu'Henri IV en fut la victime. (SAINT-SIMON, Parallèle, D. 66.)

[56] Mémoires de Mme de Motteville, t. I, p. 200.

[57] Bibl. nat. Mss. Fonds ital., filza 42, p. 63.

[58] On a même affirmé qu'Henri IV avait l'intention de divorcer à nouveau pour épouser la jolie Charlotte ; elle-même avait signé une requête pour être démariée. (Cf. HALPHEN, L'Enlèvement, etc., Paris, 1859.)

[59] Cottington à lord Salisbury. (Record office, State papers, Spain, 16-27 mai 1610.)

[60] Lettre de Foscarini, ambassadeur de Venise, 2 juin 1610. (Arch. imp. de Vienne.)

[61] F. COMBES, Lectures historiques ; l'Assassinat d'Henri IV et la diplomatie étrangère. Paris, 1865, t. II.

[62] La Rue Saint-Honoré, des Origines à la Révolution, p. 239.