LA REINE MARGOT ET LA FIN DES VALOIS (1553-1615)

DEUXIÈME PARTIE. — LA REINE MARGOT REINE DE NAVARRE

 

CHAPITRE VI.

 

 

Marguerite se réfugie à Cariai. — Son séjour en Auvergne. — Le marquis de Canillac la fait prisonnière et la conduit au château d'Usson. — Elle s'empare d'Usson et en fait sa retraite.

 

Toutefois, quelques détails ont été contestés dans le pittoresque récit de la fuite d'Agen tel que nous le donnent les écrits du temps. — Mise en trousse derrière Lignerac, et sans coussinet, la reine serait allée en deux jours à Carlat en Auvergne, et après une pareille traite se trouvait dans un état lamentable, la cuisse toute écorchée, dit Scaliger[1], tant qu'elle fut malade un long mois. — Par ses livres de comptes on sait aujourd'hui qu'elle mit six jours à faire ce trajet qui compte environ quarante lieues. Elle avait d'ailleurs une partie de son train, quatre-vingts gentilshommes et à peu-près cinq cents lances qui culbutèrent un millier d'arquebusiers postés sur la route et lui ouvrirent le passage[2]. Le départ n'en fut pas moins rapide et la poursuite des Agenais assez vive ; le capitaine Redon, bien au delà des portes, poussait les ennemis l'épée dans les reins ; la reine coucha le soir au château de Brassac (Tarn-et-Garonne), étape d'une quarantaine de kilomètres par les vieilles routes les plus directes, et qui fut sans doute plus longue si l'on évita prudemment la garnison huguenote de Puymirol[3]. — Le lendemain, Marguerite s'arrêta pour dîner à Castelnau (Lot) et coucha à Saint-Projet (Tarn-et-Garonne) ; c'était une étape de plus de quatorze lieues. Le vendredi 27, elle dîne à Villeneuve et couche à Bournasel (Aveyron) ; le 28, elle reste une partie de la journée à Bournasel et va coucher à Entraygues. Sur la frontière d'Auvergne enfin, entre Entraygues et Montsalvy, elle trouva le frère de Ligneras, Robert-Gilbert, seigneur de Marses ou Marcé, avec cinq cents cavaliers dont cent gentilshommes, qui la conduisirent à Carlat où commandait le seigneur de Marses[4]. — Si le départ de Marguerite s'effectua brusquement et sous la pression des circonstances, on a pu dire ainsi qu'il avait été préparé d'assez longue date[5], car les cent gentilshommes qui vinrent à sa rencontre n'avaient pas été réunis en un jour, et rien que ce détail indique que le voyage devait être annoncé. Le manque de ressources, l'hostilité croissante des Agenais, la proximité de Nérac devaient forcer la reine à changer le lieu de sa résidence. La vicomté de Carlat et celle de Murat, qui en était dépendante, et qui avaient été du douaire de Louise de Savoie et de Catherine, faisaient comme Agen partie de son apanage. De Marses, peut-être sur l'initiative de Marguerite et de Lignerac, avait mis la main tout récemment sur la ville et le château que se disputaient catholiques et religionnaires. La reine choisit de s'y rendre parce qu'elle y avait des droits et comptait sur l'assistance de la noblesse catholique d'Auvergne ; un mouvement en sa faveur se produisit en effet, et entrée à Carlat elle y fut traitée en souveraine. Sans lit de parade — si nous écoutons les pamphlets — sans argent, sans linge même pour se changer, elle envoya de nouveau vers le duc de Guise et en Espagne pour solliciter un secours de Philippe II[6].   Marguerite sans doute avait quitté Agen en v laissant une grande partie de sa maison, la domesticité subalterne, les aumôniers, chapelains, secrétaires, trésoriers, contrôleurs, procureurs, et derrière elle ce fut un véritable déménagement ; mais on ne voit point que les consuls redevenus maîtres de la ville se soient opposés au départ de ses serviteurs ou aient essayé d'arrêter ce qui lui appartenait. Matignon, qui entra le lendemain du combat[7], avait spécifié que les bourgeois garderaient le respect et très humble service de la reine de Navarre, ses dames et filles ; et le livre des comptes pour 1585 constate non seulement le transfert dit personnel, niais des objets, caisses, hardes, linge, meubles, voitures, chevaux, mulets. Le lit de parade arriva quelques jours après la reine et il fut payé vingt-quatre écus au sieur Victor qui le transporta de Moissac à Cariai en mente temps que des coffres — pour douze chevaux de bat, aller et retour. On remboursa Guillaume Fleury, cocher de Marguerite, qui avait mené par pays son carrosse[8], et, le 4 décembre, tout était arrivé. — Carlat, enfin, sur un plateau basaltique environné de précipices et qui, selon le Divorce satyrique, sentait plus la tanière du larron que la demeure d'une reine était une vaste demeure féodale qui avait servi de résidence aux comtes d'Armagnac, aux ducs de Berry et de Bourbon, les princes les plus fastueux de leur temps, à la duchesse Anne de Beaujeu et à Suzanne de Montpensier, sa fille. Derrière une première enceinte fortifiée, on y trouvait une place d'armes défendue de quatre grosses tours, et sur chacune des faces s'appuyaient des bâtiments nombreux, église, commanderie de Malte, couvent des sœurs de Sainte-Claire, casernes, écuries, hôtel du gouverneur, palais connu sous le nom de Bridoré et qui avait été le logis des vicomtes de Carlat[9]. — C'est dans le palais de Bridoré que s'établit la reine.

En partant d'Agen, elle y avait laissé son secrétaire, Choisnin, qui devait rapporter sa garde-robe et des bijoux qui lui manquaient encore. Comme il tardait, elle envoya de Marses qui le ramena, et avec lui les joyaux et l'argenterie[10]. Le trésorier général Antoine Charpentier et le contrôleur François Rousselet étant restés en arrière, Choisnin les remplaça, ce qu'il trouva fort doux, maniant les deniers et tout lui passant par les mains. Après six semaines, les vrais serviteurs arrivèrent ; il dut rendre des comptes, et il se trouva que les dépenses montaient à quatorze ou quinze mille écus. Marguerite pensait et disait qu'il ne s'était pas oublié ; Choisnin encore demandait polir ses offices six mille écus et les voulait de suite, sachant bien qu'elle était incommodée. Après quelques contestations, il souffleta l'huissier de garde à la porte de la reine et fut chassé pour huit jours. Ces huit jours, le triste personnage les consacra a composer un pasquin le plus sale et le plus vilain qui se soit jamais vu, et l'adressa à Marguerite comme pour se réconcilier avec elle et sous prétexte qu'elle se plaisait aux œuvres doctes et belles. On lut tout haut ce factum ; on entendit les injures et les calomnies que Choisnin y entassait. Chassé définitivement et bidonné au départ. par quelques gentilshommes qui ne surent endurer les propos qu'il tenait, il menaça de porter au roi les instructions pour le duc de Guise qu'il avait gardées et de ne rien omettre pour perdre la reine. — Il tint parole d'ailleurs et se vengea aussi bassement qu'il l'avait promis[11].

Ce fut le premier incident pénible de son séjour à Carlat. Elle y était momentanément en sûreté, mais l'argent lui manquait toujours. Elle dut se défaire de ses pierreries qu'elle envoya à un banquier florentin qui avait un comptoir à Isou, et qui, du reste, abusa honteusement de sa confiance[12]. Lignerac, qui devait se conduire avec elle comme un ruffian, avait commencé par en retenir une partie pour se payer d'une avance de dix mille livres qu'il lui avait faite[13]. Au printemps de 1586, elle tomba malade et fut au lit plus d'un mois ; son entourage justement inquiet eut recours à tous les médecins notables des pays circonvoisins, outre ceux qui composaient sa maison, et les livres de comptes mentionnent que l'on fit venir Boyer, médecin d'Aurillac ; Bériat, médecin à Murat ; Callot, médecin de Villefranche-en-Rouergue ; même un sieur Delaunay, établi à Moulins, et qui reçut pour son salaire cent vingt livres. — Elle guérit cependant et en niai se trouva debout. Elle put sortir, visiter les châtelains du pays. Le 4 juin, elle alla jusqu'à Vie, où Lignerac lui donna le spectacle d'une fête montagnarde. Une tradition locale mentionne même des séjours qu'elle aurait faits aux châteaux de Timieru et de Crèvecœur (arrondissement. de Mauriac)[14]. Elle avait réorganisé sa suite, et les seigneurs d'Auvergne tenaient à honneur de la venir servir à Carlat ; on indique même que le commandeur de Malte, Louis de Villars, parent de Mayenne, fut son maitre d'hôtel ordinaire. Mais elle s'était brouillée avec le vicomte de Duras, qui lui avait toutefois amené des chevaux et quelque argent, et qui se retira presque aussitôt. C'est que Marguerite, traitée ostensiblement. en souveraine, se trouvait comme la prisonnière des Lignerac et l'instrument de leur ambition. Le bailli des montagnes d'Auvergne, principal officier du pays, avant le siège de ses fonctions à Aurillac et à Salers, était encore surintendant de sa maison ; son frère, Gilbert de Marses, commandait dans le château ; rien ne se faisait sans eux et la connivence d'un troisième personnage, Jean de Rive ou de Rien, lieutenant civil et criminel du Carladès, séant à Vic. On a voulu réhabiliter ces aventuriers, mais les témoignages des contemporains sont unanimes. François de Lignerac, surtout, est une des pires figures de ce moment. — Henri III, dès qu'il avait appris l'arrivée de sa sœur à Garlat, avait expédié des ordres pour qu'on l'en fit sortir[15], menaçant en cas de résistance, des peines les plus rigoureuses. L'arrivée du duc de Joyeuse aux frontières de l'Auvergne vers la fin de l'été 1586 amena de nouvelles intrigues et bientôt une scission dans la noblesse catholique ; beaucoup se détachèrent de Marguerite ou plutôt de son parti et se mirent du parti du roi ; on se battit même et la reine de Navarre put craindre d'être livrée par les habitants de la ville. — Lorsqu'elle avait quitté Agen, Catherine lui avait offert asile à Ibois, château qui lui appartenait, à une lieue d'Issoire. Je remercie Voire Majesté, avait-elle répondu, du château qu'il lui plaît m'offrir ; je n'en ai, Dieu merci, point besoin, étant en très bonne place qui est à moi, assistée de beaucoup de gens d'honneur et y vivant très honorée et en toute sûreté. Et quant à ce qu'il vous a plu, Madame, commander à M. de Suraine de me dire que ce n'était pas à moi à faire la guerre, ç'a bien été à moi, Madame, à me garder ; aussi n'ai-je entrepris autre chose, mais à cela et pour ne retomber en la puissance de ceux qui m'ont voulu ôter le bien, la vie et l'honneur, je vous supplie très humblement croire. Madame, que je n'y épargnerai rien, et que je vous demeurerai toute ma vie sans vous rendre jamais ma présence ennuyeuse[16]. — Mais les temps étaient changés et la bonne place était devenue si peu sûre que Marguerite songeait à en sortir[17] et, à défaut, de mieux gagner le château d'Ibois que lui avait offert Catherine. — D'abord, premier acte du drame, Marcé, le frère de Ligneras, était mort subitement et sa mort avait été attribuée au poison[18]. À quelques jours de là, Ligneras entrant un matin dans la chambre de la reine la trouva couchée, et tout près d'elle se tenant debout, le fils de son apothicaire. Pris d'un accès de jalousie féroce, sans prononcer un mot, Ligneras poignarda le jeune homme dont le sang rejaillit sur le lit de Marguerite[19]. — Pour s'évader, elle eut recours à un gentilhomme d'Auvergne dont elle avait fait son écuyer, Aubiac. Il l'aimait depuis longtemps et, dit-on, s'était écrié l'avait vue à Agen : Ah ! l'admirable créature ! Si j'étais assez heureux pour lui plaire[20], je n'aurais pas regret de la vie, dussé-je la perdre une heure après. Le propos fut rapporté à la reine, qui n'avait point coutume de s'offenser de tels compliments. Elle prit l'homme, se l'attacha, lui donna des fonctions près d'elle[21], et l'on raconte qu'elle en eut un fils qui vint au monde à Carlat et perdit l'ouïe et la parole, avant été porté mal emmailloté au village d'Escoubiac, par le froid enduré le long du chemin. — Le Divorce satyrique, que nous prenons une fois de plus en flagrant délit de médisance, fait de ce garçon un portrait peu flatté ; niais l'ambassadeur toscan Cavrina, témoin impartial, dit au contraire qu'il était noble, jeune, beau — toutefois audacieux et indiscret[22]. — Après la mort de Marce, des contestations s'élevèrent entre Lignerac et le nouveau favori au sujet. de l'autorité militaire. Marguerite avait d'abord donné à un cousin d'Aubiac, nommé Bornes, la mission de lever des troupes en Gascogne afin de chasser la garnison de Carlat et de la remplacer. La tentative échoua et, selon une note publiée par M. Guessard d'après un manuscrit de la collection de Mesme, ce fut la cause principale du départ de la reine[23]. Apre, violent et farouche, Lignerac ne voulait point recevoir les ordres du roi et l'on sait qu'il resta ligueur et ne fit sa soumission à Henri IV qu'en 1596 ; niais il ne voulait pas non plus être supplanté par Aubiac que Marguerite défendait et qu'il menaça de jeter par dessus les remparts, conduite étrange, fâcheuse et méchantes, dit la correspondance de Henri de Noailles, mais qui n'étonne point de ce condottiere. — La vérité est telle que pour quelque mécontentement et jalousie qu'il a eus de la reine de Navarre, qu'elle ne se saisit du château, il l'a chassée ; et si vous connaissiez l'humeur de l'homme, vous penseriez que c'est une quinte aussitôt prise, aussitôt exécutée[24].

Marguerite, décidée à quitter Carlat plutôt que de se soumettre aux exigences de Lignerac, s'était confiée au seigneur de Châteauneuf, Amblard d'Escorailles, qui s'engagea à la seconder. Il devait l'attendre sur l'Allier, au bac de Pertuis, entre Issoire et la montagne d'Ibois, pour de là l'escorter jusqu'au château, dont le gouverneur Louis de la Soudière, prévenu déjà, devait lui ouvrir les portes. Selon un manuscrit conservé aux archives d'Issoire[25], elle partit de nuit ; d'autres racontent qu'elle se mit en chemin à pied, avec Aubiac et une femme pour aller il Millefleurs[26], et fut mise sur tut cheval de bât, puis sur une charrette à bœufs, et comme elle fut dans un village nominé Colombe, un gentilhomme qui était lieutenant dans Usson, Langlas, lui offrit le château et l'y mena[27]. — Mais on a pu établir qu'elle partit de jour, après dîner (14 octobre 1586), avec ses dames et demoiselles, Aubiac et sa nièce Ysabeau et un des frères de Ligneras, Robert du Cambon. — Le bailli n'osa pas la retenir ; mais, selon une version qui offre tissez de vraisemblance, c'est alors qu'il lui aurait réclamé les dix mille livres qu'il prétendait lui être dues et aurait retenu quelques bagues en payement. — Marguerite s'arrêta le soir à Murat, dont elle était vicomtesse, y soupa et y coucha ; la dépense de cette journée, portée au livre de trésorerie, permet de croire qu'elle avait une suite encore assez nombreuse. Le lendemain elle se rendit à Allanche, à dix-sept kilomètres de Murat ; puis au Luguet, château du comte de Randan, et à Besse où la tradition conserve le souvenir de son passage. Dans les faubourgs d'Issoire, où elle n'entra pas, elle prit le soir un guide pour la conduire au bac de Pertus où devait l'attendre le seigneur de Châteauneuf. Elle n'y trouva personne et dut passer à gué la rivière, où elle faillit se noyer. — Enfin elle parvint épuisée à Ibois (16 octobre) ; mais où elle comptait trouver un refuge, c'était le dénuement le plus complet ; il n'y avait ni défenseurs ni provisions, que des noix, du lard et des fèves, dit le manuscrit d'Issoire. Ceux sur qui elle comptait, le seigneur de Châteauneuf, le capitaine Le Soudière, obéissant aux ordres du roi et du duc de Joyeuse, avaient aussitôt prévenu de son arrivée le marquis de Canillac[28], qui la guettait, battant le pays avec une troupe de cavaliers et se hâta d'accourir. Marguerite comprit qu'on l'avait attirée dans un piège et après un semblant de résistance fit ouvrir les portes. Mais Canillac dut subir ses sarcasmes et ce fut avec mépris qu'elle l'apostropha : — Marquis, fit-elle, tu penses avoir fait un grand coup de m'avoir prise. C'est une chose de peu de conséquence pour toi et encore moins pour moi. Joyeuse, plus habile, a bien su reconnaître le peu d'honneur et de mérite qu'il v avait à cette commission. Voilà pourquoi il t'en a chargé. Le marquis répondit qu'il l'avait fait par un ordre exprès du roi auquel il ne pouvait désobéir. Le frère et la sœur s'accommoderont, fit encore la reine, et toi tu resteras là ![29]Craignant tout pour elle et les siens, cependant, elle avait fait cacher Aubiac[30], l'avait même fait raser ; mais il fut découvert et reconnu, et mené à une maison dudit sieur marquis appelée Saint-Cirgues. Le jour même, d'ailleurs, Canillac adressa son parent, M. de Montmorin, à Henri III pour lui demander des instructions[31]. Le roi avait en mains les papiers envoyés par sa sœur au duc de Guise, que venait de lui livrer Choisnin[32] et dans un accès de colère écrivit à Villeroi : Mandez à Canillac qu'il ne bouge que nous n'y ayons pourvu bien et comme il faut ; qu'il la mène au château d'Usson. Que de cette heure on arrête ses terres ou ses pensions, tant pour rembourser le marquis que pour sa garde. Quant à ses femmes et hommes, que le marquis les chasse incontinent, et qu'il lui donne quelque honnête demoiselle et femme de chambre, en attendant, que la reine ma bonne mère lui eu ordonne de telles qu'elle avisera ; mais que surtout il prenne bien garde à elle. La reine ma mère m'enjoint de faire pendre cet Aubiac et que ce soit, en la présence de cette misérable en la cour du château d'Usson. Mandez que l'on m'envoie toutes ses bagues et par un bel inventaire, et qu'on me les apporte au plus tôt[33]. Dans une seconde lettre, les sentiments du roi sont aussi durement, exprimés : Plus je vais en avant, dit-il encore à Villeroi, et plus je ressens et reconnais l'ignominie que cette misérable nous a faite. Le mieux que Dieu fera pour elle et nous, c'est de la prendre. J'ai écrit au marquis de Canillac pour le regard de ses femmes ; qu'il lui laisse deux femmes de chambre et l'une de ses filles, car j'ai considéré qu'elles seront mieux pour endurer la captivité que celles qui ne l'ont mérité. Quant à cet Aubiac, quoiqu'il ait mérité la mort, il serait bon que quelques juges vissent son procès afin que nous eussions toujours par-devant nous ce qui peut servir à réprimer son audace, car elle ne sera toujours que trop superbe et maligne[34].

Aubiac fut donc conduit à Aigueperse où s'était rendu lieutenant du grand prévôt de France, et pendu après un simulacre de procès. On ne sait trop au juste de quoi il était accusé ; les uns affirment que c'était pour avoir été trop bien avec la reine de Navarre, d'autres parce qu'il avait trempé dans l'empoisonnement de Gilbert de Marses[35]. Une fosse avait été creusée au pied de la potence et le jeune homme y fut jeté respirant encore[36]. Quant à Marguerite, le marquis de Canillac, en attendant les ordres du roi, l'avait conduite à Saint-Amand (21 octobre), puis à Saint-Saturnin. Le 13 novembre, on la mena au château d'Usson, à quatre lieues de Brioude, qui était de son apanage comme Carlat, depuis la donation de 1582, et que par un raffinement de méchanceté Henri III avait justement choisi pour la détenir. — Dominant le petit village bâti à ses pieds, ce château d'Usson, élevé selon les vieilles légendes avec les matériaux d'un temple païen, était quasiment inaccessible rien que par son assiette, sur un haut rocher taillé naturellement en piliers ronds[37], bien forte place, dit Brantôme, que le bon et fin renard roi Louis XI avait rendue en partie telle pour y loger ses prisonniers, les tenant là plus en sûreté cent fois qu'à Loches, bois de Vincennes et Lusignan. Le Père Hilarion de Coste ajoute que le soleil seul pouvait y entrer de force. De fait les Anglais s'en étant rendus maîtres au quatorzième siècle, on ne le leur avait enlevé que par composition. Acheté par le duc de Berry à Jean II comte d'Auvergne, il avait passé à Charles VI et à ses successeurs, et avec les fortifications qu'Y avait ajoutées Louis XI, il fallait passer quatre enceintes bastionnées, défendues chacune par huit tours avant d'arriver au donjon.

La reine, lorsqu'elle fut là, traitée, dit l'ambassadeur de Toscane, comme la plus pauvre et la dernière des créatures, fut prise d'un désespoir indicible. C'est alors qu'elle écrivit à M. de Sarlan, maitre d'hôtel de Catherine, dont les terres étaient proches : Sous l'assurance de la reine ma mère et sous son commandement, je m'étais sauvée chez elle, et au lieu du bon traitement que je m'y promettais, je n'y ai trouvé que honteuse ruine. Patience. Elle m'a mise au monde, elle veut m'en ôter. Si sais-je bien que je suis entre les mains de Dieu ; rien ne m'arrivera contre sa volonté ; j'ai fiance en lui et recevrai tout de sa main[38]. — La première impression passée, elle essaya de tirer parti de la situation. Elle remarqua bientôt que le marquis de Canillac lui témoignait plus d'égards, devenait prévenant, se soignait lui-même, dit le Divorce satyrique qui rapporte complaisamment cette aventure, ayant trop regardé la blancheur de ses bras, spécifie le Père Hilarion de Coste. Pauvre homme ! s'écrie Brantôme, que pensait-il faire ? Vouloir tenir prisonnière, sujette et captive celle qui, de ses yeux et de son beau visage, peut assujettir en ses liens et chaînes tout le reste du monde comme un forçat ? — La reine profita des bonnes dispositions du marquis et lui fit entendre que ce qu'elle pouvait lui accorder aurait plus de prix encore si elle était libre, et de son geôlier fit son prisonnier. — Canillac, a-t-on raconté, était épris sans doute et l'amour eut quelque part dans sa détermination ; mais il cherchait aussi son intérêt. En gardant Marguerite au gré du roi, il pouvait obtenir quelque charge de profit ; toutefois l'autorité de Henri III allait chaque jour s'affaiblissant ; on sentait que de graves événements étaient proches, et le marquis songea plutôt à rendre à la reine sa liberté en se vendant à la Ligue[39]. — Ce seul fait indiquerait à défaut d'autre quelle était à ce moment la puissance des Guises. Mais le marquis n'était pas seul à déterminer. Il fallait encore influencer, circonvenir la marquise de Canillac. Marguerite lui passa ses bagues, la para de ses propres robes, s'extasiant sur sa manière distinguée de les porter. e Vous êtes faite pour la Cour, lui disait-elle., votre place v est marquée. e La vanité s'en mêlant, la marquise finit par être du complot. M. de Foronne, un des agents du duc de Guise, était alors à Lyon où les principaux chefs ligueurs, Saint-Vidal, le comte de 'landau, l'évêque du Puy s'étaient rendus pour essayer de gagner Mandelot, le gouverneur du Lyonnais. Canillac, dans les derniers jours de janvier 1587, partit pour Lyon[40]. Le 30, il écrivait au duc de Guise : Monseigneur, ce que vous dira M. de Foronne touchant la reine de Navarre est témoignage suffisant de l'affection que j'ai de ne jamais courir d'autre fortune que la vôtre. J'étais venu en cette ville pour prendre résolution sur le fait qui se trame, mais pour ce que cela est encore remis jusques au retour d'un qui est envoyé à Paris, je m'en retournerai, jusqu'à ce que j'aie réponse du mémoire que M. de Foronne vous porte, vous suppliant très humblement que je reçoive cet honneur de l'avoir au plus tôt, car dans le commencement de mai j'espère avoir une très bonne troupe de rues amis pour mon particulier, où il se peut trouver quelque chose de bon pour votre service[41].

Que contenait le mémoire de Canillac ? D'abord, que Catherine et Henri III étaient d'accord pour se débarrasser de Marguerite et remarier Henri de Béarn à la fille du duc de Lorraine. Le même fait d'ailleurs est attesté par l'ambassadeur Cavrina[42] et se trouve indiqué encore dans les curieux Mémoires de La Huguerye. — Henri III négociait toujours avec son beau-frère[43], bien qu'ouvertement remis avec la Ligue il eût envoyé contre lui le duc de Mayenne avec une armée — qui embourba son artillerie dans les marécages du Poitou, si bien, dit L'Estoile, que le duc fut contraint d'envoyer jusques à Paris quérir deux cents chevaux de trait pour se dégager ? Désirant se faire bien venir du roi de Navarre, qui tenait du reste sur sa femme d'assez honteux propos[44], il lui fit savoir, dit La Huguerye, qu'il avait fait surprendre Marguerite à Carlat en Auvergne et constituer prisonnière, faisant courir le bruit que pendant sa prison elle était morte, et sur ce bruit faisant entendre au roi de Navarre que s'il voulait s'accommoder à lui, il avait le moyen de faire un jour son mariage et celui de la princesse sa sœur avec la fille et le fils aîné de Lorraine[45]. — Cet avertissement donné, Canillac demandait pour lui une pension de quatre mille écus et une forte somme pour la garnison d'Usson ; en outre, commandement de toutes les villes qui se donneraient à lui. Le temps presse, ajoute-t-il ; le roi vient d'envoyer M. de Mourettes pour traiter de la garde de la reine de Navarre. Il indique ensuite les intrigues nouées à Home par Saint-Gouard pour mener à bonne fin la conversion du Béarnais et son remariage. La mise en liberté de Marguerite pût seule réduire à néant ces machinations ; la religion catholique y est intéressée. Il faut que dans la réunion prochaine des États-Généraux une requête soit présentée le duc en faveur de la reine de Navarre. — Canillac demanda enfin des lettres pour le roi d'Espagne, le duc de Savoie, le pape, et l'engagement de ne faire ni paix ni trêve avec Henri III sans l'y comprendre lui-même[46].

Toutefois ces arrangements se trouvèrent modifiés contre le gré de la Cour d'une part, du marquis de l'autre. Marguerite, dont on escomptait déjà la succession, n'avait pas envie de mourir. Elle profita de l'absence de Canillac pour prévenir directement, le duc de Guise. A son appel, une troupe d'hommes d'armes partit d'Orléans et, la garnison du château ayant été gagnée, pénétra dans Usson. Quand le marquis revint, il trouva porte close. La reine avait eu ce dernier mot de la comédie. — Le bon du jeu, conclut le Divorce satyrique, fut qu'aussitôt que Canillac eut le dos tourné, Marguerite, dépouilla la marquise de ses beaux joyaux, la renvoya comme une péteuse avec tous ses gardes et se rendit dame et mai tresse de la place. Le marquis se trouva bête et servit de risée au roi de Navarre.

Il n'y a qu'un regret à avoir, c'est que cette histoire amusante n'est probablement pas vraie. Canillac s'arrangea avec le duc de Guise qui écrivit le 11 février à Mendoça : Je ne veux faillir de vous avertir comme le traité que j'avais commencé avec le marquis de Canillac est heureusement réussi, l'ayant du tout fait entrer à notre parti, et par ce moyen assurer la reine de Navarre qui est maintenant en toute sécurité ; et rue réjouis en cette bonne nouvelle, tant lieur sa personne que pour l'acquisition que cela nous apporte, d'une très grande quantité de places et châteaux, qui nous rendent le pays d'Auvergne très assuré, et l'empêchement des desseins tragiques qui se bâtissent sur sa mort, desquels quand les particularités vous seront vérifiées, feront dresser les cheveux à la tête. Vous pourrez alors connaître combien ce fait a altéré le roi de France, voyant que le marquis a renvoyé la garnison que Sa Majesté y avait mise, qui est le premier témoignage que je lui demandais de sa foi[47]. — Pour Marguerite, s'il ne lui remit pas volontairement le château après avoir congédié les mercenaires suisses et le capitaine Jacob, qui lui avaient été envoyés pour garder la reine, et peut-être avec des instructions pires, on est à peu près certain qu'il le lui vendit avec sa liberté. Une pièce autographe ou du secrétaire de la main[48], et signée de Marguerite, que possède la bibliothèque de Clermont[49] a paru concluante à ce sujet et indique suffisamment quelles furent les donations dont parle le Divorce satyrique et ce qu'il en faut penser : Nous, Marguerite, par la grâce de Dieu, reine de Navarre, sœur unique du roi, duchesse de Valois et d'Étampes, comtesse d'Agenais, Rouergue, Senlis et Marle, dame de la Père et des jugeries de Rieux, Rivière, Verdun et Albigeois, etc., en considération des très signalés et très agréables offices qu'avons reçus et espérons recevoir de Jean de Beaufort, marquis de Canillac, lesquels ne saurions jamais assez reconnaître, pour satisfaire en partie et non selon ma bonne volonté ni le mérite de ses bons effets, mais selon mes pouvoirs et pour témoignage de la perpétuelle souvenance que voulons avoir des bons offices qu'avons reçus de lui, lui avons donné, donnons, cédons et transportons à lui et aux siens tous les droits que nous pouvons avoir sur le comté d'Auvergne et autres terres et seigneuries dudit pays d'Auvergne[50] appartenant à la reine, notre très honorée dame et mère, lesquels nous doivent et peuvent appartenir, tant pour le partage et légitime qui nous est dû que pour les 200.000 francs que notre (lite dame et mère nous donna par contrat de mariage, desquels elle n'a depuis rien acquitté. Et pour ces n'élites considérations susdites des bons offices reçus de messire Jean de Beaufort, marquis de Canillac, nous lui promettons aussi la somme de 40.000 écus, payable au plus tôt qu'il nous sera possible. Plus, nous promettons lui bailler par chacun an, alors que nous jouirons de notre bien, 10.000 écus de pension, et en attendant que notre domaine soit liquide, nous lui en promettons 6.000 ; plus nous lui promettons des premiers bénéfices vacants dans nos terres jusqu'à la concurrence de 30.000 livres de rente. Et n'ayant voulu pour certaines bonnes considérations passer ceci par notaires, l'avons voulu écrire et signer de notre main, etc. Donné à Usson, l'an 1588, le 8 septembre.

Canillac resta d'ailleurs de la Ligue et c'est en combattant près du duc de Mayenne qu'il fut tué le 28 avril 1589 au siège de Saint-Ouin. — Quant. à la marquise de Canillac, Gilberte de Chabannes, parente de la gouvernante, Mme de Gurton, elle faisait partie de la maison de la reine, et depuis 1572 on la trouve portée sur tous les états de trésorerie : en 1587, non seulement elle reste avec Marguerite, mais succède comme première dame d'honneur à la comtesse de Candale, ce qui s'accorde mal avec le rôle de geôlière, puis de dupe qu'on lui a fait jouer.

Aussi bien et de quelque façon que s'accomplirent les choses, la reine de Navarre resta maîtresse de la place, et les événements qui se précipitèrent dès lors ne permirent guère à ses ennemis de la troubler dans sa retraite. On ne nous a pas conservé l'impression du roi Henri III, sauf l'allusion qu'y fait plus haut le duc de Guise à la nouvelle du dernier tour que lui avait joué sa sœur ; mais il dut peu le goûter et s'il en avait eu le loisir nul doute qu'il eût envoyé contre elle et essayé de nouvelles machinations[51]. — Mais son royaume lui échappait[52]. Il était débordé par la Ligue et du haut de son rocher d'Usson la reine de Navarre put assister au drame sanglant qui se déroulait sur la France, et dont les nouvelles lui parvenaient de temps à autre, et on peut le croire, ne lui donnaient guère envie de s'y mêler de nouveau. — C'est la bataille de Coutras (20 octobre 1587) où l'armée catholique est battue par le roi de Navarre, et le duc de Joyeuse tué ; c'est l'émeute de Paris, la journée des barricades, la fuite du roi chassé de sa capitale et jurant de n'y rentrer que par la brèche ; c'est les États de Blois, convoqués de nouveau et où le duc de Guise tombe sous les poignards des familiers de Henri III et au pied de son lit, à l'heure même où il pensait obtenir sa déchéance. C'est enfin la mort de Catherine (5 janvier 1589) que le roi force à la déshériter, et à donner au fils de Charles IX et de Marie Touchet, Charles de Valois duc d'Angoulême, les comtés d'Auvergne, de Lauraguais, et tout ce qui lui appartenait en propre, en héritage de sa mère Madeleine de Boulogne. — Le samedi 7e janvier, dit L'Estoile, arrivèrent à Paris les nouvelles de la mort de la reine mère du roi, décédée au château de Blois le jeudi précédent. Elle était âgée de septante-un ans et portait bien l'âge pour une femme pleine et grasse comme elle était.  Elle était déjà malade lorsque les exécutions des 23 et 24 décembre furent faites. Et l'allant voir, le roi son fils lui disant : Madame, je suis maintenant seul roi de France, je n'ai plus de compagnon, elle sachant ce qui était arrivé lui répondit : Que pensez-vous avoir fait ? Dieu veuille que vous vous en trouviez bien ! Vous avez fait mourir deux hommes qui ont laissé beaucoup d'amis. Mais du moins, mon fils, avez-vous donné ordre à l'assurance des villes, principalement à celle d'Orléans ? Si vous ne l'avez fait, faites-le et le plus tôt que faire se pourra ; autrement il vous prendra mal, et ne faillez d'en avertir le légat du pape par M. le cardinal de Gondi[53]. — Malade, elle se fit transporter chez le cardinal de Bourbon, qui était malade aussi et prisonnier. Le cardinal l'accusa de la mort des princes. Elle s'alita et ne se releva plus. Un pasquin du temps dit d'elle :

Elle enfanta trois rois et cinq guerres civiles

Fit bâtir des châteaux et ruiner des villes.

Et les Seize répétaient à Paris que si l'on rapportait son corps pour l'aller enterrer à Saint-Denis, ils le traîneraient à la voirie ou le jetteraient à la rivière. Quant à Blois, termine le chroniqueur, où elle était adorée et révérée comme la Junon de la Cour, elle n'eut plus tôt rendu le dernier soupir qu'on n'en fit non plus de compte partout que d'une chèvre morte[54].

Cette perte, aussi bien, dans la situation où se trouvait Marguerite, devait peu l'affecter. Elle était décidée à se maintenir au château d'Usson et durant bien des années ne chercha pas à en sortir. — Quelle fut sa vie durant ce temps de solitude ? Ses panégyristes l'ont un peu ridiculisée en écrivant que sa demeure fut un Thabor pour la dévotion, un Liban pour la retraite, un Olympe pour les exercices, un Caucase pour les afflictions[55]. Un autre compare ce rocher escarpé à l'arche de Noé, à un temple sacré, à un dévot monastère[56] ; P. Mathieu ajoute un cythéren pour ses amours et, dit Mongez, si l'on écoute le Divorce satyrique, le détail des débauches dont le fort d'Usson fut le théâtre serait infini. C'est comme une contre-épreuve de la Caprée de Tibère. — Dans la Remontrance ou harangue faite en la cour de Sénéchaussée d'Agen... avec le panégyrique de la reine Marguerite par Jean Darnalt, procureur du roi au présidial[57], on trouve un enthousiaste éloge du rocher d'Usson, l'honneur et la merveille de l'Auvergne... où il semble que le paradis en terre ne puisse être ailleurs, et où Sa Majesté goule le contentement et le repos d'esprit que les âmes bienheureuses sentent en l'autre monde ; et M. de Lalanne a fait remarquer à ce propos que le paradis de Marguerite ressemblait fort à celui de Mahomet. — On peut penser toutefois que le séjour d'Usson, château féodal qui avait tout le pittoresque des arrangements faits au quinzième siècle, niais quand même n'était qu'une forteresse avec son vieux donjon carré et ses vingt tours de défense, n'avait rien de bien agréable pour une femme[58]. Mais la reine de Navarre avait poursuivi vainement jusqu'alors la liberté et l'indépendance d'elle-même. Elle avait souffert parce qu'elle avait toujours dépendu de quelqu'un, frère, mère ou mari ; chaque circonstance de sa vie l'affirme. Elle ne trouva cette liberté et cette indépendance qu'en s'enfermant dans un pays perdu, parmi les rochers elle ciel, à Usson, qui, dès lors, fut pour elle le château par excellence. — On sait aussi que, si elle ne chercha pas à quitter ce refuge, tant que dura le conflit de la Ligue et de l'autorité royale, elle n'y resta pas inactive. Elle fut l'âme de la résistance en Auvergne. Elle était en relations suivies avec les chefs ligueurs, Saint-Vidal dans le Velay, le comte de Randan gouverneur de l'Auvergne ; plusieurs vinrent conférer à Usson sur les affaires du moment et M. de la Ferrière, dont nous considérons les recherches comme de bon aloi, cependant que nous ayons sur bien des points des appréciations différentes, a demandé à quelques-uns de ceux qui visitèrent alors la reine Marguerite et dont les écrits nous sont parvenus leur sentiment et leur témoignage sur elle-même, au temps de cette retraite qu'on a environnée de tant de fables. — L'auteur de l'Astrée, dit-il, ce roman écrit sur les bords du Lignou et la folie de l'époque, Honoré d'Urfé, fut l'un des premiers. Il était un des principaux capitaines de l'Union en Forez où son frère Anne était grand bailli, et dut sans doute à ce titre d'être familièrement reçu. Sans autre preuve, on l'a d'ailleurs mis au nombre des amants de la reine. On a prétendu qu'il s'était représenté dans Céladon et sa maîtresse dans Galathée. Ce qu'on n'ajouta point, c'est que dans les écrits des trois frères d'Urfé on trouve trace de l'impression profonde qu'ils ressentirent près cette enchanteresse qu'avait toujours été Marguerite de Valois. L'aîné, Anne, lui a dédié son Hymne de sainte Suzanne, et il l'appelle la Perle de France. Antoine, le cadet, abbé de la Chaise-Dieu et évêque de Saint-Flour, qui mourut prématurément d'une arquebusade reçue près de Villaret dans le Forez (1594), lui a adressé ces lignes qu'on dirait venir de l'auteur de l'Astrée : Madame, la première fois que le bruit de vos grâces me vint frapper les oreilles, j'entrai en la même curiosité que Socrate, qui rencontrant un jeune homme de singulière beauté, après l'avoir contemplé longuement, le pria de parler afin qu'il prit le voir comme s'il ne l'avait pas vu encore. De même aussi, je m'enquiers fort curieusement combien Votre Majesté s'est étudiée d'ajouter aux dons de la nature les beautés qui concernent la plus noble partie de votre âme, c'est-à-dire l'entendement[59]. — Un autre Forézien, Loys Papon, seigneur et prieur de Marcilly, se prit d'admiration pour la reine et lui consacra un poème de 600 vers[60]. Si rares enfin qu'aient été les visiteurs d'Usson, il faut mentionner parmi eux le savant Joseph Scaliger, né à Agen et qui se qualifiait avec orgueil de vassal de la reine Marguerite. Celui-là aussi en parle avec enthousiasme : Libérale et docte, elle a des vertus royales plus que le roi[61]. — Enfin, ce fut Brantôme, qui lui apportait l'éloge qu'il a inséré dans ses Dames illustres[62] et qui dut lui donner l'idée décrire ses Mémoires, car elle les commença comme une réfutation, se proposant de relever nombre d'erreurs déjà trop accréditées et, bien qu'ils ne portent pas de dédicace, ou a établi depuis longtemps que c'est au seigneur de Bourdeille qu'elle les adressa. — On pense qu'ils remontent aux années 1597-1598. Dans le délaissement. et la solitude où elle se trouva bien souvent alors, elle put se complaire à faire revivre un temps et (les destinées qui étaient loin. On sait encore qu'elle faisait des vers, dont fort peu ont été conservés. Mais avec raison on a considéré ses Mémoires comme un des monuments de la langue française au seizième siècle. Héritière de Ronsard et aussi de Jacques Amyot, qui avait été précepteur des enfants de France, elle a donné, a-t-on dit, un mélange curieux de frivolité et de profondeur ; une narration facile, négligée même, souvent éloquente par un air de simplicité et d'émotion intelligente. Politique et passionnée — si l'on veut bien rapprocher les deux mots politique et calcul — elle devinait les intrigues qu'on voulait lui cacher ; d'une parole qu'elle laissé tomber avec imprudence, elle trahit également les affections qu'elle aurait voulu taire. De l'esprit, de la légèreté, de la vivacité, elle en avait toujours eu au gré de ses caprices ; on retrouve ces qualités dans son récit aussi bien que ses défauts : l'orgueil, une confiance trop grande en ses moyens, la dissimulation. Ses aveux si adroitement recouverts d'une apparence d'ingénuité ne sont que d'ingénieuses apologies, où elle voudrait donner le change en s'aidant de malheurs très réels et qu'elle cherche à convaincre d'injustice. Mais Marguerite, en dépit de l'embarras des constructions, est écrivain par l'accent ; elle s'exprime, elle a souvent le mot heureux ; elle trouve le mou-ventent, le tour anecdotique. L'instrument qui lui manque, elle le façonne, le crée. Certaines de ses lettres, de même, sont d'un grand charme[63]. — Puis, si l'on a affirmé qu'elle n'était digne de foi que pour les faits qui ne concernent pas sa vie privée, nous avons vu que tout n'est pas mensonge dans ce qu'elle rapporte d'elle-même et que rarement les torts furent de son côté. e Elle était née d'un misérable temps, lui avait dit un jour Catherine, et en avait porté la peine.

Un moment, elle dut considérer sa retraite comme définitive si l'on s'en rapporte à une lettre qu'elle écrivit à Brantôme et où elle le remerciait de s'être souvenu d'elle et des anisées brillantes d'autrefois : J'ai  su que comme moi vous aviez choisi la vie tranquille, en laquelle j'estime heureux qui s'y peut maintenir, comme Dieu m'en a fait la grâce depuis cinq ans, m'ayant logée en une arche de salut où les orages de ces troubles ne peuvent, Dieu merci, me nuire, à laquelle s'il me reste quelques moyens de pouvoir servir mes amis et vous particulièrement, vous m'y trouverez entièrement disposée et accompagnée de bonne volonté. — Le nom de Marguerite de Valois resta d'ailleurs populaire en Auvergne et — c'est peut-être son meilleur éloge — on se souvint de ses bienfaits. Lorsqu'elle quitta définitivement les montagnes d'Usson, sa dernière pensée fut pour les pauvres, et le 14 mai 1605 elle signait une donation qui perpétuait les aumônes qu'elle avait pris coutume de leur faire.

Pourtant, la gêne l'y avait atteinte bien des fois. Elle avait dit engager le reste de ses pierreries, fondre sa vaisselle d'argent, recourir à l'assistance de sa belle-sœur, Elisabeth d'Autriche, la veuve de Charles IX, qui possédait un riche douaire assis sur les duchés de Berry, de Bourbonnais, l'Auvergne, le Forez et la Marche, et qui lui lit part de ses revenus avec une telle générosité qu'elle partageait en quelque sorte avec elle. Sa tranquillité non plus n'était pas tellement assurée. qu'elle fût à l'abri d'un retour de troupes royales. Elle faisait bonne garde dans sa forteresse, y avait accumulé deux années de vivres ; on ne pouvait la forcer qu'après un long siège[64]. Mais l'avenir restait incertain. Elle eut tin moment d'anxiété lorsqu'elle apprit la réunion des deux rois, leur entrevue à Plessis-lez-Tours[65] ; et ses craintes n'étaient pas si vaines, car le roi de Navarre écrivit alors à la comtesse de Guiches : Le roi m'a parlé de la dame d'Auvergne ; je crois que je lui ferai faire un mauvais saut[66].

Le coup de couteau de Jacques Clément la délivra de son plus acharné persécuteur. Henri III fut frappé au camp de Saint-Cloud, le 1er août 1589 — et pour mourir, après une vie si contestable, il se trouva celui qu'il avait été trop rarement dans ses quinze années de règne — il se retrouva Le Roi. Le Béarnais venu, il lui tendit la main :

Mon frère, dit-il, vous voyez comme vos ennemis et les miens m'ont traité ; il faut que vous preniez garde qu'ils ne vous en fassent autant. Mais puisqu'il plaît à Dieu de m'appeler, je meurs content en vous voyant auprès de moi. Dieu en a ainsi disposé, ayant eu soin de ce royaume, lequel je vous laisse eu grand trouble. La couronne est vôtre après que Dieu aura fait sa volonté. J'ai commandé à tous les officiers de vous reconnaître pour mon successeur. — Le roi de Navarre s'était mis à genoux et pleurait. Henri III l'embrassa par la tête, et l'ayant baisé lui donna sa bénédiction. Il fit ensuite approcher les princes et seigneurs qui étaient présents et leur fit jurer obéissance et fidélité à son beau-frère en disant : Je vous conjure tous, par l'inviolable fidélité que vous devez à votre patrie et par les cendres de vos pères, que vous demeuriez fermes et constants défenseurs de la liberté commune, et que vous ne posiez les armes que vous n'ayez entièrement nettoyé le royaume des perturbateurs du repos public. Je sais et j'en puis répondre que le roi de Navarre, légitime successeur de cette couronne, est assez instruit ès-lois de régner pour bien savoir commander choses raisonnables ; et je me promets que vous n'ignorez pas la juste obéissance que vous lui devez. Adieu, mes amis, convertissez vos pleurs en oraisons et priez pour moi. — Il dit ensuite au roi de Navarre qu'il aurait beaucoup de traverses s'il ne changeait de religion : Je vous y exhorte, fit-il, autant pour le salut de votre âme que pour l'avantage du bien que je vous souhaite[67].

C'est du moins ainsi que les historiens nous rapportent, un peu arrangées, ses dernières paroles, et telle fut la fin de très haut, très puissant, très magnanime et très chrétien prince Henri III, roi de France et de Pologne d'agréable conversation avec les siens, dit d'Aubigné, dont le jugement est plus équitable qu'on n'aurait pu croire ; amateur des lettres, libéral pal delà tous les rois, courageux dans sa jeunesse et lors désiré de tous ; en vieillissant, aimé de peu ; qui avait de grandes parties de roi ; souhaité pour l'être avant qu'il le fût, et digne du royaume s'il n'eût point régné. — Il expira le 2  août, deux heures après minuit, pardonnant à ceux qui avaient pourchassé sa blessure.

 

 

 



[1] Scaligerana, au mot Navarre.

[2] Dans une lettre de Joseph de Lart de Galard, frère d'Aubiac, que cite M. Ph. Lauzun, il est indiqué cependant qu'elle n'avait que quarante ou cinquante chevaux d'escorte. Itinéraire.

[3] G. THOLIN, Revue de l'Agenais. La ville d'Agen, etc.

[4] André IMBERDIS, Histoire des guerres religieuses en Auvergne.

[5] M. de Saint-Poncy a très bien fait observer que ce sont les ennemis personnels de la reine qui ont les premiers raconté sa fuite avec les détails romanesques que nous connaissons. Du Pin écrit le 2 octobre à M. de Ségur : Les habitants d'Agen, oppressés à l'occasion de la reine de Navarre, se sont élevés en armes contre elle, de sorte qu'elle a été contrainte de se sauver par la porte de derrière de la citadelle et prendre la croupe d'un cheval. Elle n'a oublié ses meilleures bagues, ni Mme de Duras qui était aussi montée en croupe. — Du Pin se dépêcha encore d'écrire au roi de Navarre pour l'informer de la déroute.

[6] Le 17 octobre, le duc de Guise écrit à Mendoça : Monsieur, vous avez su maintenant comme par faute de secours la reine de Navarre a été contrainte de quitter Agen et laisser la Guyenne à la merci de ceux de la religion... J'espère toutefois y remédier par le bon secours du roi votre maitre, en attendant lequel s'il plaisait à Sa Majesté d'aider la dite dame de la somme dont je lui ai fait la très humble prière, elle pourrait se remettre sus et exécuter quelque belle entreprise qu'elle a sur la ville même dont elle a été sortie et sur plusieurs autres de grande importance. Cf. Ph. LAUZUN, Itinéraire ; Arch. nat., K. 1563, 13, 56, coll. Simancas.

[7] Matignon arriva le 26 septembre et fit distribuer aux habitants 530 écus par son trésorier (Relation de frère Élie, dans J.-F. BOURDON DE SAINT-AMANS, Histoire ancienne et moderne du département de Lot-et-Garonne, t. II) ; ses soldats occupèrent les logis abandonnés par ceux de la reine et, le calme rétabli, le consul Alain de Vaurs, de l'avis du maréchal et de toute la ville, reçut mission de se rendre auprès du roi qui donna des lettres par lesquelles il félicitait les Agenais et défendait de faire aucune recherche sur la journée du 25 septembre, attendu qu'il avouait, approuvait et autorisait tout ce qui avait été fait. Une enquête fut ordonnée sur les misères et pertes de la ville, aux lins d'arriver à une décharge de tailles dont Agen fut exempté pour cinq ans. Henri III enfin, pour le bien de son service et certaines autres bonnes raisons, révoqua la cession de la ville d'Agen et sénéchaussée d'Agenais faite à sa sœur, et les réunit à la couronne (19 décembre 1585). Cf. G. THOLIN, Revue de l'Agenais ; Fr. HABASQUE, la Domination de Marguerite de Valois à Agen.

[8] On paya même 3 écus 20 sols à Pierre Veret pour avoir apporté d'Agen à Carlat plusieurs bouteilles d'eau de senteur. Jean Vialles réclama 256 écus pour le louage, nourriture et entretenement de 26 chevaux de bât durant dix jours, qui avaient porté les coffres et meubles de la reine, des demoiselles et officiers ; des mariniers se firent payer pour deux grands bateaux ayant transporté au Port-Sainte-Marie les coffres et hardes de Mme de Noailles, et autres filles et demoiselles. Arch. nat., KK. 174, 175.

[9] Cf. sur Carlat la notice de M. DE SARTIGES dans le Dictionnaire statistique du département du Cantal, et Gustave SAIGE et le comte DE DIENNE, Documents historiques relatifs à la vicomté de Carlat, Monaco, 1900, 2 vol. ; André IMBERDIS, Histoire des guerres religieuses en Auvergne.

[10] M. Tholin dit à ce propos : Quelques perles ne furent pas retrouvées et la reine, furieuse pour cette bagatelle, menaçait de rentrer dans Agen et de mettre la ville au pillage. Revue de l'Agenais, 1891. Cf. Ph. LAUZUN, Itinéraire.

[11] Cf. dans les Mémoires et lettres de Marguerite de Valois, édit. Guessard, p. 363, lettre à M. de Ségnier. — En 1602, Marguerite fit un procès à Choisnin à propos des instructions pour le duc de Guise qu'elle lui avait confiées selon les besoins du temps, et M. de Séguier était rapporteur de l'affaire. Elle lui écrivit pour le renseigner sur la moralité de son ancien secrétaire. — Coll. Dupuy, t. 217, f° 71.

[12] Voir à la suite de l'étude de M. DE LA FERRIÈRE, Trois Amoureuses du seizième siècle, la plainte de Marguerite au duc de Toscane. (Archives des Médicis, della Filza, nuova numerazione, p. 509.)

[13] Lignerac l'a traitée fort cruellement et contrainte de payer jusqu'au dernier denier de tout ce qu'il lui a luis en avant qu'elle lui devait et contrainte de laisser des gages. s Lettre de Henri de Noailles à sa mère, 21 octobre 1586, publiée par M. TAMISEY DE LARROQUE, Revue des questions historiques, janvier 1870. Cf. Lettres et mémoires, édit. Guessard, p. 298.

[14] Selon la tradition la reine Marguerite aurait également séjourné au château de Turlande, dont les ruines existent encore près de la Truyère (commune de Paulhenc, canton de Pierrefort).

[15] Selon d'autres, Henri III aurait commandé à Marcé de la retenir prisonnière.

[16] Ph. LAUZUN, Lettres inédites de Marguerite de Valois, Auch, 1886, p. 38.

[17] C'est sans doute à cette époque ou au moment de son départ qu'il faut placer cette lettre, écrite également à la reine-mère : Madame, si au malheur où je me vois réduite il ne me restait la souvenance de l'honneur que j'ai d'être votre fille et l'espérance de votre bonté, j'aurais déjà, de ma propre main, devancé la cruauté de ma fortune ; niais me souvenant de l'honneur que vous m'avez toujours fait, je me jette à vos pieds et viens supplier très humblement d'avoir pitié de ma très longue misère et faire en sorte que le roi veuille bien se contenter de mes maux et me tenir à l'avenir pour sa très humble servante, telle que je l'eusse toujours désiré si j'eusse pensé qu'il lui eût été agréable ; et tenant ce bien de vous, 'Madame, me donneriez une seconde vie que je ne désire conserver qu'à l'obéissance de vos commandements... Madame, ayant l'âme si troublée que je ne sais ce que j'écris. Mémoires et lettres, édit. Guessard, p. 293.

[18] Le Divorce satyrique accuse même Marguerite de l'empoisonnement ; elle s'en serait débarrassée pour se rendre maîtresse du château et en tirer ingratement ceux qui l'avaient reçue et mise à couvert.

[19] Bernardin de Mendoça à Philippe II ; Archiv. nat., K. 1564, B. 57, pièce 124. Coll. Simancas.

[20] Le Divorce satyrique donne le mot plus vertement.

[21] On sait qu'Aubiac commandait une des deux premières compagnies que la reine organisa à Agen.

[22] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV. — Selon M. Pli. Lauzun, c'était Jean de Lart de Galant, second fils d'Antoine de Lart de Galant, écuyer, seigneur de Birac, d'Aubiac vide Beauleras. Itinéraire, p. 352. M. L. de Saint-Poncy, plus aventureux, en fait un fils de Bégot de Roquemaure, gouverneur de Saint-Macaire en 1577, et qui était même parent du duc d'Albany, oncle de la reine Catherine (?)

[23] Mémoires et lettres de Marguerite de Valois, édit. Guessard, p. 297. Coll. de Mesme, 7140.

[24] Coll. de Mesme, 7140-3 ; édit. Guessard, p. 297. Lettre de H. de Noailles.

[25] Annales de la ville d'Issoire, manuscrit cité par MM. Michel COHENDY, (Lettres-missives de Marguerite de Valois) et L. DE SAINT-PONCY, Histoire de Marguerite de Valois.

[26] Mirefleurs, château situé près de Martres, non loin de Clermont.

[27] La lettre de Henri de Noailles citée plus haut donne des détails sur cette équipée qui méritent d'être placés ici : Celui qui l'avait conduite à Carlat, ayant eu opinion qu'elle le voulait chasser, de là prenant ce prétexte, il se rendit maître de la place et dit à Marion qu'il fallait que l'oncle d'Ysabeau sautât le rocher, nouvelle qui lui fut si rude qu'elle se trouva bien en peine, et après avoir garanti par prières ou autrement ce personnage, elle aima mieux vider et changer de place que demeurer là sans lui, et ayant pris son chemin en croupe derrière lui et accompagnée encore de Cambon et de quelques autres de sa maison, de ses filles et Mlle d'Aubiac, elle se retira à un château près Lancher, qui est à la reine mère du roi, appelé Yvoy. Les lettres de Henri de Noailles adressées à sa mère, la comtesse de Noailles, dame d'honneur de Marguerite, mais qui était alors absente, ont été détruites en 1871 dans l'incendie de la Bibliothèque du Louvre.

[28] Jean de Beaufort, marquis de Canillac, avait été gouverneur de la Haute-Auvergne, et en 1584, l'avait remise au comte de Randan ; il avait été envoyé comme ambassadeur en Turquie et à son retour s'était mis au service du duc de Joyeuse. C'est donc à tort que les pamphlets et depuis les auteurs divers qui en ont parlé à propos de Marguerite de Valois le donnent comme gouverneur de l'Auvergne.

[29] Manuscrit d'Issoire ; Michel COHENDY, Lettres-missives de Marguerite de Valois, Clermont-Ferrand, 1881.

[30] Il était caché entre des murailles, selon le manuscrit de Mesme ; muré en un coin du manteau de cheminée, d'après M. du Vair.

[31] Cf. Revue des questions historiques, janvier 1870.

[32] On ne sait au juste ce que contenaient ces instructions de Marguerite, qui n'ont pas été retrouvées ; mais elles modifièrent totalement les intentions de Catherine à l'égard de sa fille. Il est certain que depuis longtemps elle n'était plus influencée par cet esprit de famille que sa mère et ses frères avaient mis à profit, et qu'on était tout prêt de la sacrifier aux besoins de la politique.

[33] Bibl. imp. de Saint-Pétersbourg, autogr. ; lettres signalées et publiées par M. H. de la Ferrière.

[34] Bibl. imp. de Saint-Pétersbourg, autogr. ; lettres signalées et publiées par M. H. de la Ferrière.

[35] Selon le Divorce satyrique, Canillac l'aurait sacrifié par jalousie, et l'écuyer au moment de mourir, au lieu de se souvenir de son salut, baisait un manchon de velours ras bleu qui lui restait des bienfaits de sa dame.

[36] Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. IV, p. 669.

[37] Usson, dit Scaliger, est une ville située en une plaine où il y a un roc et trois villes l'une sur l'autre en forme d'un bonnet de pape tout à l'entour de la roche, et en haut le château avec une petite villette à l'entour.

[38] Mémoires et lettres, édit. Guessard, p. 297 ; coll. Dupuy, 217, etc.

[39] Marguerite aurait promis à Canillac sa maison de Paris (l'hôtel de Navarre) et une terre valant plus de 2.000 livres de rente (200.000 selon un autre texte !) située en son duché de Valois, proche Senlis, et lui fit même expédier une donation en bonne forme de ces deux pièces, qui fut envoyée à M. Hennequin, président en la cour du Parlement et l'un des chefs de son conseil. Mais en même temps elle fit prévenir le dit sieur qu'il n'en fit rien, et que tirant l'affaire en longueur il le tint toujours en haleine et espérance d'obtenir d'elle tout ce qu'il voudrait. Divorce satyrique, édit. de 1663. D'AUBIGNÉ, Œuvres complètes, édit. de 1877, t. II. — Ces donations, d'après l'auteur du Divorce, étaient pour lui prouver que Marguerite l'aimait et lui voulait faire du bien.

[40] Les Guises, parait-il, dès l'arrestation de la reine, avaient fait avertir Canillac qu'il n'oubliât pas qu'il avait en garde le plus grande princesse du royaume. Cf. L. DE SAINT-PONCY, t. II.

[41] Bibl. nat., fonds Clairambault, 357, p. 739.

[42] Le roi veut faire mourir sa sœur et remarier le roi de Navarre. Négociations avec la Toscane, t. IV, p. 665. — Davila (liv. III) dit également que le roi et la reine-mère pensaient faire rompre le mariage du roi de Navarre, mais par cas de nullité, ne devant avoir nul égard aux intérêts de la reine Marguerite dont la conduite scandaleuse ne méritait pas qu'ils la regardassent l'une comme sa fille, l'autre comme sa sœur. (Édit. de 1757, t. II, p. 233.) Ce fut encore Catherine qui négocia, essayant de rapprocher les deux princes ; mais les conférences qui se tinrent à Saint-Bris, près Cognac, ne donnèrent aucun résultat.

[43] On disait que le roi avait envoyé d'Épernon pour faire toucher par prêt ou autrement 200.000 écus au roi de Navarre pour faire sous main la guerre aux catholiques. Procès-verbal de Nicolas Poulain, dans L'ESTOILE.

[44] Voir les lettres à la comtesse de Guiches. — En décembre 1589, il écrit encore : Je n'attends que l'heur d'ouïr dire que l'on aura envoyé étrangler la feue reine de Navarre ; cela avec la mort de sa mère me ferait bien chanter le cantique de Siméon. Dans une lettre du 13 mars 1888, il disait à sa maîtresse : C'est une dangereuse bête qu'une mauvaise femme. Le Béarnais avait fini par prendre en même aversion la fille et la mère, et si Catherine avait peu de tendresse pour son gendre, on sait qu'il le lui rendait bien. Cf. leur conversation lors des négociations de Saint-Bris (décembre 1586). P. MATHIEU, Histoire des troubles de la France.

[45] Mémoires de La Huguerye, t. II, p. 373. — Ce fut en effet Henri de Lorraine qui épousa en 1599 Catherine de Bourbon. Elle avait 41 ans, et H. de Roquelaure dit à ce propos au Béarnais : Il est temps que notre sœur Catelon commence à tâter des douceurs de cette vie, et ne crois pas que dorénavant elle en puisse mourir par trop grande jeunesse (SULLY, Économies royales).

[46] Cf. H. DE LA FERRIÈRE, Trois Amoureuses du seizième siècle.

[47] Arch. nat., coll. Simancas. Cf. L. DE SAINT-PONCY, Histoire de Marguerite de Valois, t. II.

[48] On sait que le secrétaire de la main avait charge de contrefaire l'écriture et la signature du maitre. Quelques particularités ont été signalées dans cette pièce et qui tendraient à prouver qu'elle a été dictée. Cf. Revue de l'Auvergne, 1884. D'après le fac-simile, la signature seule est autographe.

[49] La donation de Marguerite, pièce sur parchemin considérée comme authentique, a été publiée dès 1866 dans les Mémoires de l'Académie de Clermont-Ferrand, t. VIII. Il est nécessaire de faire remarquer qu'elle est datée du 8 septembre 1588, alors que l'arrangement dont parle le duc de Guise et celui qui dut être pris avec la reine remontent au commencement de 1587. Mais peut-être a-t-elle remplacé une pièce plus ancienne, ou Canillac rentré en grâce obtint-il davantage que ce qui lui avait été promis d'abord.

[50] Il ne s'agit ici que d'une faible partie de ce qui lui devait revenir sur l'héritage maternel, celle qui est afférente à ses engagements dotaux et à sa légitime.

[51] Une seule tentative est mentionnée contre Usson ; on eut l'idée d'un coup de main et en 1588 un affidé du roi, le seigneur de Vie, maitre des requêtes ordinaire de l'hôtel, fut dépêché afin de rendre compte de l'état de la forteresse et en prit le plan. Un projet d'attaque fut même ébauché, des intelligences pratiquées dans la place, un chef désigné pour l'entreprise ; mais elle échoua ou fut oubliée parmi la débâcle de l'autorité royale. Cf. L. DE SAINT-PONCY, Histoire de Marguerite de Valois, t. II, p. 342.

[52] Sa Majesté était déjà tant méprisée et son autorité tellement affaiblie qu'on ne parlait plus qu'en dérision du roi, étant ses actions ordinaires de dévotion condamnées publiquement d'hypocrisie. (L'ESTOILE, t. III, édit. Jouaust, p. 41.) Après les événements de 1588 et l'assassinat des Guises on en arriva à l'accuser de sorcellerie (Cf. Les sorcelleries de Henri de Valois et les oblations qu'il faisait au diable dans le bois de Vincennes, CIMBER et DANJOU, Archives curieuses, t. XII) et il n'y avait fils de bonne mère à Paris, qui ne vomit injures et brocards contre le roi, qu'ils appelaient Henri de Valois, bougre, fils de putain, tyran, étant tous les jours crié et déchiqueté par les rues et carrefours comme le plus vil crocheteur et faquin d'une ville. La haine des Parisiens arriva à tel point même qu'ils faisaient faire force images de cire qu'ils tenaient sur l'autel, et les piquaient à chacune des quarante messes qu'ils faisaient dire durant les quarante heures en plusieurs paroisses ; et à la quarantième piquaient l'image à l'endroit du cœur, disant à chaque piqûre quelque parole de magie pour essayer à faire mourir le roi. Cf. L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. III, p. 338.

[53] Selon une autre version et qui resta populaire, elle aurait conseillé la mort des Guises (Récit de Fr. Miron), et dit ensuite : C'est bien coupé, mon fils, mais il faut coudre.

[54] L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. III, p. 231-233. — Les historiens ont rapporté sur la fin de Catherine de Médicis une tradition tout à fait dans le goût du moyen âge. Bien qu'elle soit assez connue, il faut la rappeler ici : On lui avait prédit qu'elle mourrait auprès de Saint-Germain, de sorte qu'elle ne voulait plus aller à Saint-Germain-en-Laye et même, le palais des Tuileries étant sur la paroisse de Saint-Germain-l'Auxerrois, elle en fit bâtir un autre dans la paroisse de Saint-Eustache, cet Hôtel de la reine dont il ne reste qu'une colonne de pierre qui fut son observatoire astrologique. Or, il y avait à la cour un gentilhomme normand, nominé Saint-Germain, confesseur du roi, qui lui avait donné l'abbaye de Charlieu. Comme il ne se trouvait personne pour assister la reine à son lit de mort, ce fut lui qui se présenta. MÉZERAY, DE THOU, Étienne PASQUIER.

[55] Le P. Hilarion DE COSTE, Éloge des dames illustres.

[56] Cf. MONGEZ, Histoire de Marguerite de Valois, p. 355.

[57] Remontrance ou harangue solennelle faite aux ouvertures des plaidoyers d'après la Saint-Luc dans la sénéchaussée d'Agen. Paris, Huby, 1606. — Ce petit livre, divisé en 24, chapitres, contient l'histoire d'Agen et de l'Agenais, et se trouve assez souvent désigné sous ce titre : les Antiquités d'Agen.

[58] Du château d'Usson, abattu en1634, il ne reste que quelques ruines. M. L. de Saint-Poney en a signalé une esquisse dans un album de la Bibl. nat., intitulé : Domaine des comtes d'Auvergne ; un dessin dans l'Armorial de l'Auvergne, de Guillaume REVEL. On aperçoit encore une silhouette du château dans un tableau de l'église d'Usson. — Cf. Ph. LAUZUN, Itinéraire, qui publie dans ce volume une des vues anciennes.

[59] Auguste BERNARD, les d'Urfé, souvenirs historiques et littéraires du Forez aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, in-8°, 1839.

[60] Voyez les Œuvres de Loys Papon et la notice qui les précède. (Lyon, 1857.) L'Hymne à très illustre princesse Marguerite de Valois, reine de France, se trouve dans un supplément publié en 1860. Le manuscrit d'une ornementation soignée, dit M. de la Ferrière, donne un portrait de la reine coiffée d'une de ces hautes perruques blondes qu'elle affectionnait sur le tard de sa vie. Mss. fr., 2504. Ce portrait a été reproduit dans l'édition de Lyon ; il est d'ailleurs fort médiocre. — Le poème est daté de Goutelas en Forez, 1er avril 1597. Loys Papon est né à Montbrison vers 1535.

[61] Scaligerana, t. II, p. 471, au mot Navarre : Elle est libre, fait ce qu'elle veut, a des hommes tant qu'elle en veut et les choisit ; elle ne mange rien que toutes ses demoiselles n'en goûtent, tant elle a peur d'être empoisonnée... Elle tient de son grand père, aime les beaux esprits et les hommes doctes, etc.

[62] Édit. Lalanne, t. VIII, édit. Buchon, t. II.

[63] Voyez, à propos des écrits de Marguerite de Valois, la notice de Ch. CABOCHE dans l'édit. des Mémoires de la Bibl. Charpentier, 1860 ; et SAINTE-BEUVE, Causeries du Lundi, t. VI.

[64] Il y a encore un petit donjon au milieu du grand, de forme carrée et très fort par lui-même, dit une ancienne description du château, où l'on tenait une corne pour sonner l'alarme et la retraite quand l'ennemi était eu campagne. Ce château est imprenable. C est pourquoi il y a un petit écrit sur une porte avec ces paroles : Garde le traître et la dent ! voulant faire entendre par là qu'il ne peut être pris que par trahison ou famine.

[65] C'est alors que le roi de Navarre paya son beau-frère de cette gasconnade qui a été enregistrée gravement par les historiens : Je mourrai content, puisque Dieu m'a fait la grâce de voir la face de mon roi.

[66] Lettres de Henri IV, t. II, p. 188.

[67] Pierre MATHIEU, Histoire des troubles, liv. V ; Palma CAYET, Chronologie novennaire ; duc D'ANGOULÊME, Mémoires, etc.