LA REINE MARGOT ET LA FIN DES VALOIS (1553-1615)

PREMIÈRE PARTIE. — LA FIN DES VALOIS

 

CHAPITRE V.

 

 

Henri III. — Son impopularité. — Les intrigues contre le duc d'Alençon et le roi de Navarre. — Bussy. — Fuite du duc d'Alençon.

 

Le lundi dernier jour du mois de mai 1574, au matin, dit le Journal de L'Estoile, la cour du Parlement s'assembla au Palais, combien qu'il fût fête, et députa certains présidents et conseillers d'icelle, pour aller au châtel de Vincennes, supplier Mme Catherine de Médicis d'accepter la régence et entreprendre le gouvernement du royaume, en l'absence et en attendant la venue du roi Henri son fils, étant en Pologne. A peine déclarée régente, Catherine se hâta de faire murer les portes du Louvre, n'y laissant d'autre entrée que celle de la grande porte qui est entre les jeux de Paume, regardant l'hôtel de Bourbon[1] ; de laquelle encore ne laissa-t-on que le guichet ouvert avec grande garde d'archers par le dedans, et un corps de garde de Suisses par le dehors ; même fit clore de murs les deux bouts de la rue du Louvre, y laissant portes de chaque côté. pareillement gardées de Suisses ; et était bruit que ce faisait-elle pour doute des entreprises et conspirations secrètes, jà dès les Pâques précédentes découvertes, et pour raison desquelles Coconas et La Môle avaient été décapités[2]. — Le lendemain de la mort de Charles IX, Catherine avait écrit à Henri III : Ne retardez en nulle façon votre partement, car nous avons besoin de vous. Vous savez combien je vous aime, et quand je pense que vous ne bougerez plus jamais d'avec nous, cela me fait prendre tout en patience. Le feu roi votre frère m'a donné charge de vous conserver ce royaume ; je mettrai peine, si je le puis, de vous le remettre tout entier et en repos[3]. En même temps, elle faisait des avances à La Noue, qui se maintenait en armes dans le Poitou, cherchait à traiter avec ceux de La Rochelle, rappelait au sentiment du devoir le Montmorency Danville en a l'engageant à céder à la nécessité du temps, comme les sages ont toujours fait[4]. — Matignon tenait Montgommery, pris à Domfront ; elle lui donna l'ordre d'en finir avec la résistance de Saint-Lô, où luttait encore le protestant Colombières, et retint étroitement à la Bastille les deux maréchaux, autour desquels se tramaient déjà de nouvelles intrigues. Montgommery, ramené à Paris, fut jugé par le Parlement, mis en un tombereau, les mains liées, avec un prêtre et le bourreau, et mené en la place de Grève où il fut décapité, et son corps mis en quatre quartiers ; la tête, placée sur un poteau, en fut retirée deux jours plus tard par le commandement de la reine, qui assista à l'exécution, dit L'Estoile, et fut à la fin vengée comme de longtemps elle désirait, de la mort du feu roi Henri son mari.

Dès qu'il avait appris la mort de son frère, le roi de Pologne, devenu roi de France, s'était enfui de Cracovie ; il quitta furtivement son palais au milieu de la nuit et gagna la frontière à franc-étrier, pendant que son peuple se levait de toutes parts pour lui barrer le passage, et que ses grands dignitaires galopaient après lui sans parvenir à l'atteindre (18 juin). Il traversa les états autrichiens et gagna l'Italie, où son empressement se calma aux premières fêtes qui lui furent données. Venise, puis le duc de Savoie le retinrent plus de deux mois ; le duc même se fit chèrement payer par la restitution des forteresses de Pignerol, la Pérouse et Savillano, restes des conquêtes par lesquelles François Ier avait voulu assurer à la France une entrée en Italie, et seulement le 27 août[5] Catherine prit la route de Lyon pour aller à la rencontre du nouveau roi, parti le même jour de Turin. — Pour n'avoir plus à surveiller le duc d'Alençon et le roi de Navarre, elle les avait placés tous deux. Henri III, lui ayant mandé, dit L'Estoile, de les mettre en liberté, après avoir pris le serment d'eux qu'ils n'attenteraient ou innoveraient aucune chose au préjudice de la Majesté du roi et de l'État de son royaume, sous la garde des beaux yeux de Mme de Sauve, sa dame d'atours et la petite-fille du surintendant des finances, Jacques de Semblançay, pendu sous François Ier pour satisfaire la vengeance de Louise de Savoie[6]. Un contemporain a dit de Mme Sauve : Elle allait coucher d'un parti à l'autre, la plus accorte, la mieux parée et attifée, ayant presse aux plus grands à qui l'accosterait de plus près. — Nos premières haines, dit un jour Henri IV à Sully, en parlant du duc d'Alençon, vinrent de cette femme ; elle me témoignait de la bonne volonté et le rabrouait toujours devant moi, ce qui le faisait enrager[7]. Henri de Navarre avait l'illusion de se croire seul dans ses bonnes grâces ; le duc d'Alençon était aussi du mieux avec elle, et si les deux beaux-frères, se jalousant, devinrent et restèrent ennemis, ils le durent à cette Circé comme l'appela Marguerite, en même temps recherchée par Du Gast, Souvré et le duc de Guise, tous plus aimés d'elle que les deux princes rivaux. C'est au duc de Guise qu'elle resta, sinon fidèle, du moins le plus longtemps attachée. A bien des années de distance, il sortait de chez elle lorsqu'il alla tomber sous les dagues des mignons de Henri III[8].

Le duc d'Alençon et le roi de Navarre allèrent jusqu'au pont de Beauvoisin à la rencontre du roi, qui les reçut d'assez bonne grâce. De grandes fêtes furent données à Lyon, et il y eut, entre autres, un grand bal où se trouva lord North, envoyé par Élisabeth pour complimenter le nouveau roi ; assis à la droite de Catherine, lord North ne pouvait se lasser de regarder la reine de Navarre, qui menait un branle avec le duc d'Alençon, et ne tarissait pas d'éloges sur cette éblouissante beauté alors dans toute sa fraîcheur. Le lundi 1er novembre, fête de Toussaints, dit le Journal de L'Estoile, le roi, le roi de Navarre et le duc d'Alençon firent à Lyon leurs Pasques. A ladite communion. le duc d'Alençon et le roi de Navarre, prosternés à genoux, protestèrent devant le roi de leur fidélité, le suppliant de mettre en oubli tout le passé, et lui jurant sur la part qu'ils prétendaient en Paradis et par le Dieu qu'ils allaient recevoir, être fidèles à lui et à son État (comme ils avaient toujours été) jusques à la dernière goutte de leur sang. Mais on sait ce que valaient de telles protestations. De Lyon, la cour se rendit à Avignon, où le roi alla à la procession des Battus et se fit de leur confrérie ; la reine-mère, comme bonne pénitente, en voulut être aussi, et son gendre le roi de Navarre, que le roi en riant disait, n'être bon à cela[9]. Fêtes, intrigues, bigoterie puérile, le règne de Henri III, dès le début, annonça ce qu'il devait être. A son entrée eu France, répondant aux ambassadeurs du comte Palatin et des seigneurs d'Allemagne, et bien que, d'après Sully, il eût reçu le conseil de l'empereur Maximilien, du duc et Sénat de Venise et du vieux duc Charles de Savoie, de donner la paix à tous ses sujets, avec libre exercice à ceux de la religion et traitement égal aux autres, il avait déclaré qu'il ne ménagerait pas les protestants, et qu'ils rentreraient dans le sein du catholicisme ou sortiraient du royaume. Mais il ne devait rien faire de décisif, insouciant du lendemain, nullement inquiet de la guerre civile qui désolait encore les provinces[10], perdant deux mois à Avignon après en avoir perdu autant à Lyon, prodiguant à ses favoris l'or si péniblement arraché à des banquiers italiens ou emprunté à ses sujets[11], rabaissant son intelligence à des futilités, ne se résignant qu'a grand'peine à aller se faire sacrer à Reims, et le lendemain de sots sacre épousant cette douce et charmante Louise de Lorraine qu'il avait vue à Nancy lorsqu'il se rendait en Pologne et dont le cœur était engage ailleurs[12]. Tels furent les commencements de ce règne singulier, où l'on retrouve au milieu de cette société si vivace une sorte d'Élagabale chrétien, dit Chateaubriand, ne rêvant que joutes, ballets et tournois, force mascarades où il s'habillait en femme, ouvrait son pourpoint et découvrait sa gorge, portait un collier de perles et trois collets de toile, deux à fraise et un renversé, ainsi que les darnes de la cour. — Nonobstant toutes les affaires de la guerre et rébellion qu'il avait lors sur les bras, le roi ne laissait pas d'aller aux environs de Paris, et de côté et d'autre se promener avec la reine son épouse, visiter les monastères de nonnains et les autres lieux de plaisir, et en revenir la nuit, souvent par la fange et le mauvais temps. Il allait ordinairement en coche avec la reine, par les rues de Paris, prendre les petits chiens qui leur plaisaient, et se faisait lire la grammaire et apprendre à décliner. — C'étaient ses divertissements honnêtes ; les chiens, les perroquets, les guenons l'occupaient plus que les affaires de l'État ; il y joignit plus tard le bilboquet s dont il se jouait par les rues, et le duc d'Épernon et les autres courtisans firent le semblable au grand mépris d'eux tous. — Mais d'autres amusements sont mentionnés par M. du Vair, garde des sceaux, dans les Anecdotes sur l'histoire de France qu'on lui attribue[13]. Les processions lui prenaient aussi une grande partie de son temps et nul monarque ne fit montre comme lui de dévotion en public, et avec une ostentation aussi soutenue. Le dimanche octobre 1575, fête de saint Denys, le roi lit faire procession générale et solennelle à Paris, en laquelle il fit porter les saintes reliques de la Sainte-Chapelle. Le Corps de la Cour avec celui de la ville, et toutes les autres compagnies s'y trouvèrent ; hormis les dames, le roi disant qu'il n'y avait point de dévotion là où elles étaient. — En ce temps (août 1576) le roi allait à pied par les églises gagner le pardon du Jubilé, et tenant en main de grosses patenôtres, il allait marmonnant par les rues. On disait que ce faisait-il par le conseil de sa mère, afin de faire croire au peuple qu'il était dévotieux catholique, et lui donner courage de fouiller plus librement à la bourse[14]. Le peuple cependant ne l'aimait guère. A voir les soins qu'il donnait à son visage, à ses mains blanches, à toute sa toilette, on ne savait, dit d'Aubigné, si c'était un roi femme ou bien un homme reine. A la cérémonie de son sacre, il avait employé la journée entière à se parer et à parer sa future épouse, en sorte que la messe du couronnement ne put être dite que le soir. Il renouvelait, eût-on dit, les rois fainéants, si bien que dès 1576, dans les innombrables papiers satiriques du moment, on le voit appelé : Henri, par la grâce de sa mère, incert roi de France et de Pologne imaginaire, concierge du Louvre, marguillier de Saint-Germain-l'Auxerrois et de toutes les églises de Paris, gendre de Colas[15], gauderonneur des collets de sa femme et friseur de ses cheveux, mercier du Palais, visiteur des étuves, gardien des quatre-mendiants, père conscrit des Blancs-Battus. — Mais ses favoris horripilaient surtout et achevèrent de le déconsidérer, toutefois qu'ils fussent braves et payant de leurs personnes[16]. — Dès 1576, leur nom de mignons, dit L'Estoile, commença à trotter par la bouche du peuple, auquel ils étaient fort odieux, tant par leurs façons de faire qui étaient badines et hautaines, que pour leurs fards et accoutrements efféminés et impudiques, mais surtout pour les dons immenses et libéralités que leur faisait le roi, que le peuple avait opinion être la cause de sa ruine, encore que la vérité fût que telles libéralités ne pouvant subsister en leur épargne un seul moment, étaient aussitôt transmises au peuple [comme] est l'eau par un conduit. Ces beaux mignons portaient leurs cheveux longuets, frisés et refrisés par artifice, remontant par-dessus leurs petits bonnets de velours, comme font les putains du bordeau, et leurs fraises de chemises de toile d'atour empesées et longues de demi-pied, de façon qu'à voir leur tête dessus leur fraise il semblait que ce fût le chef de saint Jean dans un plat... Leurs exercices étaient de jouer, blasphémer, sauter, danser, volter, quereller et paillarder, et suivre le roi partout et en toutes compagnies. — Henri III, qui les mêlait à tous ses plaisirs, ne pouvait manquer de les faire participer enfin à ses dévotions. En ce mois (mars 1583), dit encore L'Estoile, le roi institua et érigea une nouvelle confrérie, de laquelle lui et ses deux mignons[17] se firent confrères, et y fit entrer plusieurs gentilshommes et antres de sa Cour, y conviant les plus apparents de son Parlement de Paris, et autres cours et juridictions, avec bon nombre des plus notables bourgeois de la ville[18]. — Le jeudi saint, 7e d'avril, sur les neuf heures du soir, la procession des pénitents, où le roi était avec tous ses mignons, alla toute la nuit par les rues et aux églises, en grande magnificence de lumière et musique excellente, et il y eut quelques-uns des mignons qui se fouettèrent. — Ils avaient au reste bon besoin de faire pénitence. — Le lendemain de Pâques, 11e du mois, le roi et la reine furent à Chartres, et à Notre-Dame de Cléry, à pied, offrir leurs offrandes à la belle dame pour avoir lignée. — Ce voyage de Chartres, Henri III le fit souvent. Il y allait à pied, en froc et cagoule ; il en rapportait deux chemises de Notre-Dame, pour coucher avec sa femme en espérance de lui faire un enfant, dit tout net L'Estoile.

Ces manifestations pieuses n'empêchaient point d'ailleurs les divertissements et mascarades ; souvent le tout se mêlait, préparant les bouffonnes processions de la Ligue. Il pouvait être fait sincèrement, mais c'était un spectacle après l'autre. — En 1576, on nous montre le roi recevant la plainte d'un tumulte advenu entre huguenots et catholiques, tandis qu'il courait la bague, vêtu en amazone, et faisait tous les jours bals et festins nouveaux, comme si son État eut été le plus paisible du monde. — Au plus fort des soucis que lui donnaient les États de Blois (1576-1577), il ne manqua pas de célébrer le carnaval et était bruit que sans le décès de messire Nicolas de Lorraine, comte de Vaudemont, son beau-père, il eut despendu en jeux et mascarades 100 ou 200.000 francs. — Le mercredi 15 mai 1577, le roi, au Plessis-lez-Tours, fit un festin à M. le duc, son frère, et aux seigneurs et capitaines qui l'avaient accompagné au siège de la Charité : auquel les dames, vêtues de vert et en habits d'hommes, firent le service, et y furent tous les assistants vêtus de vert ; et à cet effet fut levé à Paris et ailleurs pour soixante mille francs de draps de soie verte. — La reine mère fit après son banquet à Chenonceaux qui lui revint, parait-il, à près de cent mille francs[19], qu'on leva comme par forme d'emprunt sur les plus aisés serviteurs du roi, et même quelques Italiens qui s'en surent bien rembourser au double. Les filles de la reine qui firent de même le service avaient des accoutrements en damas de deux couleurs ; au reste, elles étaient moitié nues. Mme la maréchale de Retz était grande maîtresse ; Mme de Sauve, l'une des maîtresses d'hôtel, et, ajoute L'Estoile, tout y était en bel ordre. — Le mardi 10 décembre, la même année, Claude Marcel, naguère orfèvre du Pont-au-Change, lors conseiller du roi, et l'un des surintendants de ses finances, maria l'une de ses filles au seigneur de Vicourt. La noce fut faite en l'hôtel de Guise[20] où dînèrent le roi, les trois reines, M. le duc et messieurs de Guise. Après souper, le roi y fut, lui trentième masqué en homme, avec trente que princesses, que dames de Cour, masquées en femmes, tous et toutes vêtues de drap et toile d'argent, et autres soies blanches enrichies de perles et pierreries en grand nombre et de grand prix. Ces mascarades y apportèrent telle confusion que la plupart de ceux de la noce furent contraints de sortir, et les plus sages dames et demoiselles se retirèrent et firent sagement, car la confusion apporta tel désordre et vilanie, que si les tapisseries — derrière lesquelles se donnèrent maints bons coups — et les murailles eussent pu parler, elles eussent dit beaucoup de belles choses[21]. — Jusqu'aux derniers temps du règne la fête continua, tant que le peuple disait qu'on emploierait jusqu'à son dernier denier en plaisirs, bombances et dissolutions. D'Épernon reçut 100.000 écus lorsqu'il épousa la comtesse de Caudales (1587). Le festin de la noce fut fait très magnifique en l'hôtel neuf de Montmorency, près Sainte-Avove, et y balla le roi en grande allégresse, portant néanmoins son chapelet de têtes de morts attaché et pendu à sa ceinture ; il donna ce jour à la mariée un collier de cent perles estimé à cent mille écus. Il faut d'ailleurs renoncer à suivre le vieux chroniqueur dans ces descriptions où il se complaît : festins et ballets pour les ambassadeurs d'Élisabeth qui apportent au roi l'ordre de la Jarretière (1585) ; réception d'ambassadeurs turcs ; réception des envoyés des Cantons suisses, carnaval perpétuel où Henri III ne manquait jamais de mettre tout en train, sans compter les sorties burlesques du Mardi-Gras[22], c'est tout ce règne avec les processions, les duels, embuscades, complots, intrigues de femmes, exécutions capitales, la guerre traînant aux provinces et l'esprit de révolte qui soulevait l'une après l'autre toutes les parties du royaume. — Henri III, être curieux, artiste au fond et intelligence éveillée, mais dont aucune qualité maîtresse ne vint racheter les défauts, — presque tous contraires aux instincts de la race[23], — ne pouvait recueillir que l'aversion. Il demeure une figure inquiétante ; il attire et n'attache point. Il est fuyant et multiple ; raffiné dans la volupté et le vice, avec un certain fonds de méchanceté qui se traduit par de basses vengeances, il est le maître, le roi incontesté de cette époque décadente. Mais on avait une autre idée de la majesté royale. C'est un grand seigneur occupé à se divertir, et qui s'amuse aux petits potins de sa Cour, qui leur donne trop d'importance et ne veut point s'en détacher. De gouvernement, il n'y en avait point ; il y en avait encore moins que sous Charles IX ; tous les offices s'achetaient ; ou baillait les finances aux plus déloyaux, la conduite des armées aux plus couards, les gouvernements aux plus fols. Henri III enfin, qui s'était battu à Jarnac et à Moncontour, et ne fut jamais, semble-t-il, accusé de lâcheté, n'eut pas même la qualité qui fait tout pardonner en ce pays, le courage de face, la décision d'aborder directement le péril et de lui tenir tête. Il lui manqua la volonté ; on lui eût pardonné s'il avait agi. Mais, prince italien comme Catherine était princesse italienne, il ne se servait que de voies obliques et frappait en dissimulant, comme à Blois. Il avait autour de lui des dévouements qu'il ne sut même pas utiliser. Dûment averti des machinations de la Ligue, il hésita, pensa jouer finement s'il s'en faisait le chef, n'osa pas mettre la main sur quelques meneurs et finit par s'enfuir de Paris, honteusement, après des tergiversations et des feintes. Les satires les plus cruelles, les pamphlets les plus obscènes, les caricatures les plus mordantes étaient dirigées contre lui et contre Catherine[24]. Mais ses mœurs n'étaient guère pires que celles du duc de Guise, du roi de Navarre, du duc d'Alençon, qui avaient aussi leurs mignons, leurs courtisanes, leurs spadassins ; ses incontestables talents et les honnies intentions qu'il eut parfois — car à l'étudier on sent qu'il connaissait l'intérêt du pays et songeait à le servir — furent constamment paralysés par la défiance, la calomnie, la haine de tous les partis au milieu desquels il finit par se trouver comme abandonné. Quelques historiens ont pensé que sa mollesse était un peu, connue sa dévotion, un masque sous lequel il dissimulait, en attendant qu'il se sentît assez fort pour agir en roi. Mais ce moment ne vint jamais[25]. Sur ses médailles, il a du reste le menton fuyant, comme Catherine, signe d'indécision. Il était joli homme et selon les contemporains avait rencontré peu de cruelles ; ses portraits — qui ne sont pas à son avantage, lit-on dans les Mémoires du duc de Nevers, et sont impuissants à rendre les séductions de sa personne — indiquent cependant la fausseté ; il a le regard de biais et louche d'un comploteur ; c'est un homme dissimulé et qui cherche le fin[26]. Il s'est adonné aux voluptés, écrit le Vénitien Jean Michel sous Charles IX ; elles le dominent ; il se couvre d'odeurs et de parfums ; il porte à ses oreilles un double rang d'anneaux et de pendants ; il dépense des sommes folles pour ses vêtements et ses chemises ; il charme et séduit les femmes en leur prodiguant les bijoux et les futilités les plus conteuses[27]. — Détail donné par Walsingham et qui explique bien que, devenu roi, il évita de paraître à la guerre, il souffrait dès ce moment d'une fistule pour laquelle on l'avait mis au régime de l'eau[28]. C'est en effet en coche qu'on le voit circuler presque constamment durant son règne. — Mais son pire travers fut peut-être la tutelle des favoris, des jeunes gens qui l'entouraient, vivaient dans son intimité — pour quel commerce, les écrits du temps le laissent entendre à chaque page. — Dès son retour de Pologne, il était retombé sous l'influence de Du Gast, qu'il avait laissé en France, dit Marguerite, pour maintenir son parti[29] ; et comme elle-même tenait le parti du duc d'Alençon, elle attribue à la jalousie et au dépit qu'il en éprouva l'inimitié qu'il lui voua dès lors. Elle raconte qu'elle eut à en souffrir du premier moment, la Cour séjournant encore à Lyon. Étant allée à l'abbaye de Saint-Pierre avec d'autres dames, son chariot, qui était reconnaissable pour être doré et de velours jaune garni d'argent[30], fut laissé sur une place sur laquelle plusieurs gentilshommes étaient logés. Henri III, ayant à sa suite le roi de Navarre, d'O et le gros Ruffé, — Philippe de Volvire, marquis de Ruffec, — passant là en allant voir Quélus qui était malade, reconnut le coche de la jeune reine ; il se hala d'insinuer qu'elle était chez un amant, si bien que Catherine, informée, s en parla fort étrangement devant les dames, partie par créance et partie pour faire plaisir à ce fils qu'elle adorait. ll Avertie par le roi de Navarre qui affecta de rire de l'aventure et par le duc de Guise, qui eût bien profité de l'occasion pour se rapprocher, Marguerite se rendit chez sa mère, où, paraît-il, l'explication fut orageuse. Henri III dut confesser bientôt qu'il s'était mépris, et fit à sa sœur de grandes démonstrations de respect et d'amitié ; mais elle resta défiante, certaine dès ce moment qu'on la voulait brouiller avec le roi de Navarre, et le roi de Navarre avec le duc d'Alençon[31]. L'intrigue ayant échoué du côté de Marguerite, Du Gast se servit de Mme de Sauve, que les deux princes continuaient à courtiser, la gagnant tellement qu'elle se gouvernait du tout par lui ; usant de ses instructions non moins pernicieuses que celles de La Célestine[32], continue la reine, elle rendit l'amour de mon frère et du roi mon mari, auparavant tiède et lente comme de personnes si jeunes, à une telle extrémité qu'ils ne craignaient que la recherche qu'elle pouvait faire de l'un aux dépens de l'autre. Mme de Sauve, enfin, pour mieux jouer son jeu, persuada au roi de Navarre que Marguerite était jalouse, et que c'était pour cela qu'elle tenait le parti du duc d'Alençon : Il prend cette créance, il s'éloigne de moi et s'en cache plus que de tout autre, ce que jusques alors il n'avait fait ; car quoi qu'il eut eu en la fantaisie, il m'en avait toujours parlé aussi librement qu'à une sœur, connaissant bien que je n'étais aucunement jalouse, ne désirant que son contentement. Moi, voyant que ce que j'avais le plus craint était advenu, qui était l'éloignement de sa bonne grâce, pour la privation de sa franchise, de quoi il avait jusques alors usé avec moi, et connaissant d'ailleurs que si je pouvais divertir mon frère de l'affection de Mme de Sauve, j'ôterais le fondement de l'artifice que Du Gast avait fabriqué... j'usai de tous les moyens que je pus pour l'en tirer, ce qui eut servi à tout autre qui n'eut eu l'âme fascinée par l'amour et la ruse de si fines personnes. Mon frère, qui en toutes choses ne croyait rien que moi, ne put jamais se regagner soi-même, de façon qu'au lieu de tirer profit de mes paroles, il les redisait toutes à cette femme. Elle s'en animait contre moi et servait avec plus d'affection au dessein de Du Gast, et pour s'en venger disposait toujours davantage le roi mon mari à me pair et s'étranger de moi ; de sorte qu'il ne me parlait presque plus. Il revenait de chez elle fort tard, et polir l'empêcher de rue voir, elle lui commandait de se trouver au lever de la reine, où elle était sujette d'aller, et après, tout le jour, il ne bougeait plus d'avec elle. Mon frère n'apportait pas moins de soin à la rechercher, elle leur faisant accroire à tous deux qu'ils étaient uniquement aimés d'elle ; ce qui n'avançait moins leur jalousie et leur division que ma ruine[33]. — Cette intrigue dura pendant le voyage d'Avignon, puis en Bourgogne et Champagne, le roi allant à son sacre ; et il était utile de donner cc passage qui montre implicitement quels étaient, dès cette époque, les rapports du roi et de la reine de Navarre. Dans ce singulier ménage, Marguerite, malgré ses réticences, en fait l'aveu, elle était la confidente des amours de son mari, — et l'on sait s'il allait volontiers de l'une à l'autre. Il eût été mal venu à se montrer jaloux à son tour, et d'ailleurs, parmi la folie de luxure qui régnait à la Cour, ces choses n'étonnaient pas. La huguenote Jeanne d'Albret s'en était scandalisée en 1572 et ne tarissait point de bons conseils donnés à son fils pour le garder des femmes. Qu'eût-elle dit, deux ou trois ans plus tard, non seulement des mœurs du roi et de ses familiers, mais de l'entourage et de la vie de celui qui resta nommé le Vert-Galant ? — Au reste, à travers ces confidences, ces petites conspirations, en elles-mêmes d'un faible intérêt, on entrevoit très bien l'état des partis dès l'avènement de Henri III. Le duc d'Alençon, qui avait montré tout enfant une telle aversion pour son frère d'Anjou que Catherine avait été contrainte de l'en séparer et de le faire élever seul[34], se trouvait appelé à jouer, sous le nouveau roi, le rôle que Henri d'Anjou avait tenu sous Charles IX. Il était le chef désigné des mécontents catholiques comme le roi de Navarre était le chef des huguenots, et avait attaché à sa personne tous ceux que le roi écartait de la sienne, les intrigants, les factieux, ceux, dit L'Estoile, qui étaient bien aises de remuer le peuple sous le prétexte du Bien public, dont ils se souciaient aussi peu que de leurs vieilles bottes. Chacun avait son entourage. Du côté de Henri III, c'était, outre l'insolent et railleur Du Gast, Villequier, qui devait devenir premier gentilhomme de la chambre, et qui poignarda sa femme en pleine Cour ; Saint-Mesgrin, assassiné bientôt par les ordres du duc de Guise lorsqu'il connut ses relations avec sa femme ; D'Arques, dont le roi fit son beau-frère en lui donnant le titre de duc de Joyeuse. Avec le duc d'Alençon étaient Fervaques, rusé Normand, dit M. de la Ferrière, qui plus tard se donna à Henri IV et devint maréchal de France ; le financier Clausse de Marchaumont, le diplomate Des Pruneaux, La Châtre, Simier, enfin Bussy d'Amboise, l'heureux préféré alors de Marguerite de Valois, et qui devait paver de sa vie, en 1579, l'amour de la comtesse de Montsoreau[35].

Ce Bussy, l'idole et la merveille de la cour, que le Divorce satyrique nous montre baisant toute en jupe la reine Margot sur la porte de sa chambre, est un des types les plus complets de ces mignons batailleurs, raffinés et malfaisants de la fin des Valois. Sa beauté insolente, sa mine altière, son élégance consommée, sa verve caustique, ses duels, ses exploits amoureux causaient de l'enthousiasme[36]. D'Aubigné, de Thou rendent d'ailleurs justice à sa bravoure ; L'Estoile dit qu'il était d'un courage invincible, haut à la main, fier et audacieux, aussi vaillant que son épée, et pour l'âge qu'il avait, qui n'était que de trente ans lorsqu'il mourut, aussi digne de commander à une armée que capitaine qui fut en France. Toutefois il lui reproche d'avoir été vicieux et peu craignant Dieu. — Avide de querelles, de bruit, de scandale, débauché, dépourvu de sens moral, cupide et dénué de scrupules, il est resté séduisant en dépit de ses défauts et de ses vices ; mais on sait qu'a la Saint-Barthélemy, il profita du massacre général pour tuer son cousin Antoine de Clermont avec lequel il était en procès au sujet du marquisat de Benel ; ses brigandages et pilleries dans l'Anjou et le Maine, dont il était gouverneur, laissèrent encore un plus mauvais souvenir. Il possédait tellement M. le Duc, affirme L'Estoile, qu'il se vantait tout haut d'en faire tout ce qu'il voulait, voire et avoir la clef de ses coffres et de son argent, et en prendre quand bon lui semblait. Et il est certain que sur les derniers temps, sa morgue et sa soif de domination avaient lassé François d'Alençon qui en était venu à le haïr presque autant qu'il l'avait aimé. Mais, en 1575, il était dans toute sa faveur et se trouvait peut-être l'homme le plus aimé et le plus jalousé de la Cour. Étant à Paris, raconte Marguerite de Valois, mon frère approcha de lui Bussy, en faisant autant d'estime que sa valeur le méritait. Il était toujours auprès de mon frère, et par conséquent avec moi, mon frère et moi étant presque toujours ensemble, et ordonnant à tous ses serviteurs de ne m'honorer et rechercher moins que lui.... Le Guast pensa que la fortune lui offrait un bon moyen, et s'étant introduit en la bonne grâce du roi mon mari par le moyen de Mme de Sauve, tâcha par toute voie lui persuader que Bussy me servait. — Henri de Navarre, qui savait sans doute à quoi s'en tenir, ayant fait la sourde oreille, Du Gast fit intervenir Henri III qu'il trouva plus facile à persuader, tant pour le peu de bien qu'il voulait à mon frère et à moi, notre amitié lui étant suspecte et odieuse, que pour la haine qu'il avait à Bussy, qui l'ayant autrefois suivi, l'avait quitté pour se dédier à mon frère ; acquisition qui accroissait autant la gloire de mon frère que l'envie de nos ennemis, pour n'y avoir en ce siècle-là de son sexe et de sa qualité rien de semblable en valeur, réputation, grâce et esprit. Le roi en parla à la reine ma mère, la conviant à parler au roi mon mari et tâchant de la mettre aux mêmes aigreurs qu'il l'avait mise à Lyon. Mais elle, voyant le peu d'apparence qu'il y avait, l'en rejeta en disant : Je ne sais qui sont les brouillons qui vous mettent telles opinions en la fantaisie. Ma fille est malheureuse d'être venue en un tel siècle. De notre temps, nous parlions librement à tout le monde, et tous les honnêtes gens qui suivaient le roi votre père, M. le dauphin et M. d'Orléans vos oncles, étaient d'ordinaire à la chambre à coucher de Mme Marguerite votre tante et de moi ; personne ne le trouvait étrange, comme aussi n'y avait-il pas de quoi. Bussy voit ma fille devant vous, devant son mari, devant tous les gens de son mari en sa chambre et devant tout le monde ; ce n'est pas à cachette ni à porte fermée. Bussy est personne de qualité et le premier auprès de votre frère. Qu'y a-t-il à penser ? En savez-vous autre chose ? Par une calomnie à Lyon, vous lui avez fait faire un affront très grand, duquel je crains bien qu'elle ne s'en ressente toute sa vie. Le roi demeurant étonné lui dit : Madame, je n'en parle qu'après les autres. Elle répondit : — Qui sont ces autres, mon fils ? Ce sont gens qui veulent vous mettre mal avec tous les vôtres ?

Marguerite, ainsi, a cherché soigneusement à écarter toute idée de la liaison qu'on l'accusait d'entretenir avec Bussy. Bien mieux, c'est sa mère elle-même qu'elle charge habilement de faire son éloge. Elle n'avoue jamais, d'ailleurs, — et c'est même un des caractères de ces singuliers Mémoires que nous allons suivre de très proche désormais ; elle s'y pose plutôt en victime. Sans doute il y a là une part de vérité ; niais elle en profite et ne conviendra jamais de ses torts. Cependant elle parle de Bussy en termes trop passionnés et prend sa défense avec trop de chaleur pour que cette histoire ne demeure pas suspecte. Dampmartin, dans la Fortune de la Cour (1644)[37], dit qu'un jour, s'entretenant de cette intrigue avec Bussy, cela l'émut et le fit rougir un peu parce qu'il savait qu'il en était quelque chose. Il faut tout dire, enfin ; si Marguerite, tempéra-nient d'amoureuse s'il en fut jamais, pourvue d'un mari qui en faisait moins de cas que de la dernière de ses maîtresses, a été parfois accusée à tort, son amour pour Bussy semble de notoriété publique. La reine de Navarre, lorsqu'elle le nomme, n'est plus maîtresse d'elle-même ; à ses Mémoires, si discrets, qui pèchent surtout par omission, Brantôme, son ami et celui de Bussy, ajoute naïvement du reste qu'elle abandonna un de ses amants mol à départir de la main pour accorder ses faveurs à un jeune seigneur escalabreux, brave et vaillant, qui portait sur la pointe de son épée l'honneur de sa dame sans qu'on y osât aucunement toucher ; allusion assez claire et après laquelle, lorsqu'on connaît les préférences du seigneur de Bourdeille, il semble bien inutile d'appuyer.

Bussy d'Amboise, agréable au duc d'Alençon et à sa sœur Marguerite dont il s'était déclaré le chevalier, tenant à honneur de rendre des soins à la plus belle princesse de son temps[38], avait du reste contre lui non seulement le parti du roi, mais certains gentilshommes qui suivaient le roi de Navarre et qui enviaient sa gloire et son avancement. Henri III, qui l'exécrait, semblait tout permettre ; lors d'un duel qu'il avait eu avec François de Vaudrey, marquis de Saint-Phal, et que le roi, intervenant, avait commandé de soumettre à une sorte d'arbitrage de M. de Nevers et du maréchal de Retz, il était venu au Louvre accompagné de deux cents gentilshommes, tant que Henri III, le voyant entrer, dit avec humeur que c'était trop pour un Bussy. On forma le projet de s'en débarrasser selon les mœurs du temps, en se ruant sur lui et ses gens, à l'improviste, au milieu de la nuit. Du Gast, qui commandait le régiment des Gardes, fournit à ses complices un certain nombre d'hommes, cinq ou six troupes, dit Marguerite de Valois[39], qui assaillirent le favori du duc comme il rentrait chez lui. Les flambeaux et les torches furent éteints, et après une salve d'arquebusades et une pistoletade à rompre un régiment, la mêlée s'engagea dans les ténèbres de ces rues de Paris où il était toujours imprudent de s'engager dès la nuit close. Bussy ne portait pas d'épée, avant le bras en écharpe, blessé dans une précédente rencontre ; un des siens, qui avait également une écharpe, mais moins enrichie, fut pris pour lui dans l'obscurité et on le laissa pour mort. Le héros put s'échapper et au lever du jour il faisait son entrée au Louvre, gai et dispos. Cependant la nouvelle de cette tuerie avait été apportée au duc d'Alençon par un Gentilhomme italien qui arriva tout sanglant. Le duc, réveillé en sursaut, avait pris ses armes et voulait courir a la rescousse, et Marguerite aidée de la vieille Catherine l'en empêchèrent à grand'peine, représentant que l'obscurité couvre toute méchanceté, et que Le Guast était assez méchant d'avoir fait cette partie expressément pour le faire sortir mal a propos, afin de le faire tomber en quelque accident. Au désespoir qu'il était, ces paroles eussent eu peu de force ; mais la reine mère, usant de son autorité, l'arrêta, et commanda aux portes qu'on ne le laissai, sortir, prenant la peine de demeurer avec lui jusques à ce qu'il sût la vérité de tout[40]. Le lendemain, aussi aise de revoir Bussy que plein de dépit et de vengeance, il ne parlait que de faire payer aux coupables l'offense qui lui était faite. Mais Catherine, qui s'efforçait d'apaiser les divisions continuelles qui naissaient entre ses fils, obtint, aidée par la reine de Navarre, que de tels projets fussent ajournés. Louis de Clermont fut également conseillé de s'éloigner de la cour ; il partit accompagné de la plus brave noblesse qui servait le duc, et qui le conduisit au delà de la porte Saint-Antoine. — Marguerite eut aussi son déplaisir, avant soutenu trop ouvertement Bussy, ce qui avait indisposé le roi de Navarre. Les deux époux cependant s'étaient rapprochés, elle l'avant soigné une nuit d'une fort grande faiblesse en laquelle il demeura évanoui l'espace d'une heure, — qui lui venait, ajoute la reine, comme je crois, d'excès qu'il avait faits avec les femmes, — de quoi il resta si content de moi qu'il s'en louait à tout le monde, disant que sans que je m'en étais aperçue et avais soudain couru à le secourir, et appeler mes femmes et ses gens, qu'il était mort. Mais, cédant aux conseils du roi, Henri de Navarre renvoya plusieurs dames de la suite de Marguerite, soupçonnées de complaisance dans l'intrigue avec Bussy. Ce fut une nouvelle brouille et, dit-elle, Le Guast et Mme de Sauve d'un côté l'étrangeant de moi, et moi m'éloignant aussi, nous ne couchions ni ne parlions plus ensemble. Ils se réconcilièrent peu après du reste, la grande question de la fuite ayant été de nouveau agitée. Le roi de Navarre et le duc, connaissant qu'ils étaient tous deux en même prédicament à la Cour, aussi défavorisés l'un que l'antre, et que si quelqu'un se rendait leur serviteur, il était aussitôt ruiné et attaqué de mille querelles, se résolurent de se réunir et se retirer de la Cour... Mon frère m'en parla, me disant qu'à cette heure ils étaient bien ensemble et qu'il désirait que nous fussions bien, le roi mon mari et moi ; et qu'il me priait d'oublier tout ce qui s'était passé ; que le roi mon mari lui avait dit qu'il en avait un extrême regret et qu'il connaissait bien que nos ennemis avaient été plus fins que nous ; mais qu'il se résolvait de m'aimer et de me donner plus de contentement de lui. Il me priait aussi de mon côté, de l'aimer et de l'assister en ses affaires, en son absence, ayant pris résolution, tous deux ensemble, que mon frère partirait le premier, se dérobant dans un carrosse comme il pourrait, et qu'à quelques jours de là, le roi mon mari, feignant d'aller à la chasse, le suivrait, -regrettant beaucoup qu'ils ne me plissent emmener avec eux, toutefois s'assurant qu'on ne m'oserait faire déplaisir, les sachant dehors[41].

Leur départ, à ce moment, en effet, était relativement facile. Le duc d'Alençon et le roi de Navarre, dit Sully, pendant les quelques mois qu'avait duré le voyage au-devant de Henri Ill, et ensuite à Reims, avaient toujours marché par pays en coches, accompagnés de gardes ; mais ;qu'es le sacre et le mariage, il leur fut donné quelque espèce de plus grande liberté, laquelle de fois à autre leur était retranchée par le roi et la reine mère, selon les divers avis, fussent vrais ou faux, qui se recevaient de leurs menées, projets et desseins. — Le 15 septembre 1575, le duc d'Alençon, pratiqué sous mains parles huguenots et les malcontents, spécifie L'Estoile, peu avant le souper du roi, changeant de manteau et le mettant autour du nez, sortit suivi seulement d'un des siens et s'en alla tranquillement jusqu'à la porte Saint-Honoré, où il trouva Simier avec le carrosse d'une daine, dans lequel il se mit[42] ; il passa par Meudon où il trouva Guitry l'attendant avec quarante ou cinquante chevaux, alla souper à Saint-Léger, près Montfort-l'Amaury, puis tira à Dreux, ville de son apanage où il séjourna huit jours pendant lesquels vinrent à lui plusieurs gentilshommes et autres gens de guerre, de son parti et intelligence.

On ne s'aperçut de son partement, dit Marguerite, que sur les neuf heures du soir. Le roi et la reine ma mère me demandèrent pourquoi il n'avait point soupé avec eux, et s'il était malade. Je leur dis que je ne l'avais point vu depuis l'après-dîner. Ils envoyèrent en sa chambre voir ce qu'il faisait, on leur vint dire qu'il n'y était pas. Ils disent qu'on le cherche par toutes les chambres des dames où il avait accoutumé d'aller. On cherche par le château, on cherche par la ville, on ne le trouve point. A cette heure, l'alarme s'échauffe ; le roi se met en colère, se courrouce, menace, envoie quérir tous les princes et seigneurs de la Cour, leur commande de monter à cheval et de le lui ramener vif ou mort, disant qu'il sen va troubler sou État pour lui faire la guerre, et qu'il lui fera connaître la folie qu'il faisait de s'attaquer à un roi si puissant que lui..... Quelques-uns acceptèrent et se préparèrent de monter à cheval. Ils ne purent faire telle diligence qu'ils pussent partir plus tôt que sur le point du jour, qui fut cause qu'ils ne trouvèrent point mon frère et furent contraints de revenir, pour n'être pas en équipage de guerre.

Quant à Du Gast, il eut peu après sa récompense. Si l'on en croit de Thou et Mézeray, ce fut Marguerite elle-même qui le fit assassiner. Le baron de Viteaux, dans une querelle, avait tué Alègre, un des favoris de Henri III, et toute la Cour travaillait à lui faire obtenir sa grâce, sauf Du Gast qui en avait détourné le roi. Le baron de Viteaux, toutefois, était rentré secrètement à Paris et se cachait dans le couvent des Augustins. Ce fut là que Marguerite vint le trouver la nuit, et lui rappelant ses anciens griefs, les siens, ceux de Bussy et du duc d'Alençon, le décida au meurtre de son ennemi[43] ; elle aurait été jusqu'à lui insinuer que Du Gast persuadait au roi que lui, Viteaux, était capable de s'attaquer à Sa Majesté même. — Du Gast marchait ordinairement avec une escorte de gentilshommes ; mais, par suite d'une intrigue qu'il avait alors avec une des dames de la Cour, il avait auprès du Louvre un logement contigu à celui de sa maîtresse, et une porte secrète pratiquée dans 1c mur permettait d'aller de l'un chez l'autre. Pour voir plus librement cette femme, il congédiait après le souper ses amis et ses gens et ne gardait que quelques valets de chambre. Viteaux, la veille des Morts, se rendit avec des affidés au logis de Du Gast, se mêla aux domestiques qui emplissaient la cour, et, choisissant le moment où la retraite des siens le laissait presque seul, il monte chez le favori, place quelques hommes à la porte de l'antichambre pour la garder et tue Du Gast qui était couché et lisait dans son lit. Sortant avec promptitude et rencontrant la dame dont Du Gast avait les faveurs, il eut même la cruauté d'essuyer son épée sanglante à son tablier. Il s'échappa ensuite de Paris en se laissant glisser par une corde le long du mur de ville, trouva des chevaux qu'on lui tenait prêts, et alla rejoindre l'armée de Monsieur. Mais, dit Mongez en reproduisant ce récit, on accuse l'historien de Thon de croire un peu trop facilement aux crimes dont on chargeait les princes. Brantôme semble avoir également répondu à l'accusation qui pesait sur la reine de Navarre en écrivant : Madame, lui dit M. du Gua ainsi qu'elle le menaçait, vous êtes si bonne et si généreuse que je n'ai point ouï dire que vous ayez jamais offensé aucun. Je crois que vous ne voudriez commencer en moi qui suis votre très humble serviteur. Aussi combien qu'il lui eût beaucoup nui, elle ne lui rendit la pareille ni vengeance. — La haine, du reste assez justifiée, que pouvait avoir Marguerite pour le favori de Henri III était bien connue ; cela suffit pour que ce meurtre lui fût imputé. Mais le récit de L'Estoile, moins romanesque, paraît aussi plus voisin de la vérité. Avant de s'éloigner, le duc avait laissé ses instructions[44]. Le lundi dernier octobre, veille de la Toussaint, sur les dix heures du soir, enregistre le Journal de Henri III, le capitaine Guast, gentilhomme dauphinois, favori du roi, fut tué dans sa maison à Paris, rue Saint-Honoré, et avec lui son valet de chambre et un sien laquais, par certains hommes armés et masqués, qui l'assaillirent à coups d'épées et de dagues, sans être connus ni retenus. Il dit, mourant, que c'était le baron de Viteaux, qui était à Monsieur, qui l'avait tué : toutefois, cela ne fut point avéré, encore que la présomption en fut grande, et que ce coup avait été fait sous bon aveu et par commandement ; d'autant que ce mignon superbe et audacieux, enflé de la faveur de son maître, avait bravé Monsieur jusques à être passé un jour devant lui dans la rue Saint-Antoine sans le saluer ni faire semblant de le connaître, et avait dit par plusieurs fois qu'il ne reconnaissait que le roi, et que quand il lui aurait commandé de tuer son propre frère, qu'il le ferait. — De Marguerite, dans tout ceci, pas un mot ; le chroniqueur ajoute seulement : Autres disaient qu'un grand l'avait fait tuer par jalousie de sa femme. Quoique ce soit, il n'en fut fait autre instance ni poursuite, sinon que le roi lui fit faire un beau service après sa mort, et enterrer solennellement à côté du grand autel de Saint-Germain-l'Auxerrois, se chargeant de paver ses dettes, qu'on disait se monter à cent mille francs et plus. — Du Gast était encore un des massacreurs de la Saint-Barthélemy. Comme il en avait pris quelques-uns dans le lit, termine L'Estoile, — dont il se vantait, — aussi y fut-il lui-même pris et tué. — La reine de Navarre, lorsqu'on lui apporta cette nouvelle, était malade, dit Brantôme. Délivrée de cet ennemi acharné, elle ne cacha pas son contentement : Je suis marrie, dit-elle, que je ne sois pas bien portante pour de joie solenniser sa mort[45].

 

 

 



[1] Il faut rappeler ce qu'était le Louvre à cette époque ; une partie de la galerie méridionale seule était construite et l'aile occidentale jusqu'au pavillon de l'Horloge, le bâtiment du bord de l'eau où se trouve la galerie d'Apollon, et la galerie qui lui fait suite, n'ayant qu'un étage alors et qui, peut-être, étaient destinés à rejoindre les Tuileries ; cette dernière construction, commencée en 1566, avait d'ailleurs été abandonnée. Les parties nord et est du château de Charles V, avec leurs grosses tours rondes, existaient encore ; l'emplacement de la porte principale avec son pont-levis, est indiqué dans la cour actuelle par un dallage qui marque à la fois le tracé de l'ancienne enceinte de la ville et celui de l'entrée du Louvre entre ses tours de garde. — Catherine habitait au rez-de-chaussée ; ses appartements, dit M. E. Beaurepaire (le Louvre et les Tuileries) étaient situés en partie dans le corps de logis méridional (salles 12, 13, 14 et 15 de la sculpture antique) ; partie dans le pavillon du roi représenté aujourd'hui par le corridor de Pan et la salle du Tibre. — La chambre à coucher des Valois, qui fut aussi celle de Henri IV et de Louis XIII était au premier étage dans la partie du salon aux sept cheminées comprise entre la porte d'entrée des salles des antiquités grecques et celle des salles de la céramique antique.

[2] L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I. — Catherine avait une peur terrible de mourir ; en 1577 une comète parut et resta visible quarante jours. Les astrologues disaient qu'elle présageait la mort d'une reine ou de quelque grande dame, avec quelque remarquable et insigne malheur. Catherine entra incontinent en frayeur et appréhension que ce fût elle. Des vers latins furent sur cela semés et divulgués partout, ne pouvant advenir que tout bonheur de sa mort. Ibid., p. 221.

[3] Bibl. nat., fonds Dupuy, n° 500, p. 71.

[4] Bibl. nat., fonds français, n° 3194. p. 129. — L'Estoile dit que Catherine essaya de le faire arrêter à Narbonne ; Danville alla jusqu'à Turin au devant de Henri III et fut licencié par Sa Majesté de retourner en son gouvernement ; le roi toutefois voulut en conférer avec Catherine et Danville crut sage de rester à Turin ; il retourna ensuite en Languedoc et s'y maintint à la fois contre le roi et les protestants. En mai 1577, il se rallia enfin à la cause royale. Édit. Jouaust, t. I, p. 189. Cf. H. DE LA FERRIÈRE, les Projets de mariage.

[5] L'Estoile dit le 8 août.

[6] Voir sur ce triste épisode : P. CLÉMENT, Enguerrand de Marigny, Beaune de Semblançay, etc. Paris, 1859. Charlotte de Beaune de Semblançay était fille unique de Jeanne de Beaune et de Gabriel de Sade. Elle épousa Simon de Fizet, baron de Sauve, secrétaire d'État. Veuve en 1579, elle épousa François de la Trémouille, marquis de Noirmoutier, et mourut à soixante-six ans, en 1619. Un portrait d'elle est conservé au Cabinet des Estampes. La figure est jolie, mais sensuelle et astucieuse.

[7] Économies royales.

[8] Cf. H. DE LA FERRIÈRE, les Projets de mariage de la reine Élisabeth.

[9] L'Estoile ajoute qu'il y avait à Avignon trois sortes de pénitents ; des blancs, qui étaient ceux du roi ; des noirs qui étaient ceux de la reine-mère ; des bleus qui étaient ceux du cardinal d'Armagnac. Édit. Jouaust, t. I, p. 37.

[10] Au sortir d'Avignon même, dit L'Estoile, les huguenots donnèrent sur la suite du roi et pillèrent la plupart de son bagage.

[11] En 1574, il leva un million de livres sur le clergé ; en 1575 un autre million, et cette même année trois millions sur les bonnes villes, dont un million sur Paris. Il érigea quatre conseillers nouveaux aux requêtes du palais pour le prix de 15.000 livres chacun, fit publier un édit pour couper et vendre deux arbres en chaque arpent de toutes les forêts de France, bailla à fertile les parties casuelles de son royaume à la charge de fournir par les fermiers à son épargne 80.000 livres (l'avance chaque premier jour de tous les mois de l'an... Bien mieux, il demanda aux magistrats, procureurs, conseillers, avocats, combien chacun d'eux lui voulait gracieusement prêter pour subvenir à ses affaires, — et furent les dits deniers employés par le roi à faire un présent au capitaine Le Gast de la valeur de 50.000 livres et plus. — L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. I.

[12] H. DE LA FERRIÈRE, loc. cit. Le vendredi 11e (février 1575) le roi arriva à Reims où il fut sacré le dimanche 13e du dit mois, l'an révolu de son sacre en Pologne. Quand on vint à lui mettre la couronne sur la tête, il dit assez haut qu'elle le blessait, et lui roula par deux fois de la tête comme si elle eût voulu tomber : ce qui fut remarqué et interprété à mauvais présage. — D'autres remarquèrent encore que le maitre des cérémonies avait oublié le baiser de paix et que l'on omit de chanter le Te Deum. Le jeudi 17, le roi ayant avisé messire François de Luxembourg, venu à son sacre et mariage, et sachant qu'il avait fait l'amour à la reine sa femme, prétendant l'épouser, lui dit ces mots : Mon cousin, j'ai épousé votre maîtresse ; mais je veux en contr'échange que vous épousiez la mienne — entendant de Châteauneuf, demoiselle bretonne de la suite de la reine mère, qui avait été sa favorite —. A quoi le dit de Luxembourg lui répondit qu'il était fort joyeux de ce que sa maîtresse avait rencontré tant d'heur et gagné au change ; mais qu'il lui plût l'excuser d'épouser Châteauneuf pour encore. A quoi le roi lui répondit qu'il voulait et désirait que sur l'heure il l'épousât. Sur quoi se sentant le dit de Luxembourg si fort pressé, supplia très humblement de lui donner la patience de huit jours ; laquelle étant modérée, par le roi à trois jours seulement, il monta à cheval et se retira de la Cour en diligence. — Henri III avait d'ailleurs la manie de marier ses maitresses. N'étant encore que duc d'Anjou, il voulut faire épouser la 'Hème Renée de Châteauneuf, qui était une des plus belles filles du temps, par le prévôt de Paris, Nantouillet. Le Prévôt refusa. Châteauneuf l'ayant rencontré un jour, étant à cheval, au bout d'un pont, lança sur lui sa monture, et, l'ayant renversé, le frappa de sa cravache. Elle se maria enfin par amourettes à un Florentin nommé Antinoti, qui était comte des galères à Marseille, et l'ayant trouvé paillardant avec une autre demoiselle, le tua bravement et virilement de sa propre main. Cf. L'ESTOILE, qui intitule ce paragraphe : Acte généreux pour une dame de son métier.

[13] Un jour il fit donner assignation à toutes les p.....  plus célèbres de Paris, qu'il invita à Saint-Cloud, et les y fit mener dans des carrosses ; où étant, il les fit dépouiller toutes nues dans le bois, puis il fit aussi dépouiller tout nus les Suisses et les y lâcha à la chasse, voyant le plaisir. Suivent des anecdotes qu'il vaut mieux ne pas rapporter sur La Guiche amoureux de Mlle de Mirande, sur la femme d'un conseiller, sur ses procédés avec la reine Louise et le singulier usage qu'il faisait de son chapelet.

[14] L'ESTOILE, édit. Jouaust, ann. 1575-1576, passim.

[15] Nicolas de Vaudemont, père de la reine Louise.

[16] Telles et semblables façons causèrent peu à peu le mépris de ce prince, et le mal qu'on voulait à ses mignons qui le possédaient, donnèrent un grand avantage à ceux de Lorraine pour corrompre le peuple et former, peu à peu, leur parti qui était la Ligue. L'ESTOILE, I, 244. Le nom des mignons leur survécut ; les maîtresses de Henri IV furent les mignonnes du roi.

[17] Joyeuse et d'Épernon.

[18] Mais, poursuit le chroniqueur, peu se trouvèrent qui se voulurent assujettir à la règle, statuts et ordonnances de la dite confrérie, qu'il fit imprimer en un livre, le tirant de la congrégation des pénitents d'Annonciation Notre-Dame. Il en fit les premiers services le jour de la fête de l'Annonciation, qui était le vendredi 25e jour de ce mois. En cette procession, le roi marcha sans garde ni différence aucune des autres confrères, soit d'habit, de place ou d'ordre. Le cardinal de Guise portait la croix, le duc de Mayenne son frère était maitre des cérémonies, et frère Emont Auger, jésuite — bateleur de son premier métier — avec un nommé Pierrot, Lyonnais, conduisait le demeurant. Arrivés en l'église Notre-Dame, chantèrent tous à genoux le Salve Regina en très harmonieuse musique, et ne les empêcha pas la grosse pluie, qui dura tout le long de ce jour, de faire et acheva avec leurs sacs tous percés et mouillés leurs mystères et cérémonies. (Édit. Jouaust, t. II.)

[19] Environ un million et demi de notre monnaie.

[20] On sait que l'hôtel de Guise, transformé par les Rohan-Soubise qui l'achetèrent en 1696, est devenu l'hôtel des Archives.

[21] L'ESTOILE, t. I, p. 224, 225. Le passage réservé est biffé dans le manuscrit, mais demeuré lisible. — Ailleurs, le chroniqueur dit crûment : Le débordement, sans parler de pis, était tel que la cabale du cocuage était un des plus clairs revenus de ce temps... Les farceurs, bouffons, putains et mignons avaient tout le crédit auprès du roi.

[22] Le jour du Carême prenant — février 1583 — le roi fut en masque par les rues de Paris, faisant mille insolences et vilaines lascivetés avec ses mignons frisés, bardaches et fraisés, jusques à six heures du matin, premier jour de Carême, auquel jour la plupart des prêcheurs de Paris en leurs sermons le manièrent ouvertement, ce que le roi trouva fort mauvais... Le jour du Carême prenant, — février 1584 — le roi et M. le duc allèrent de compagnie suivis de leurs mignons et favoris par les rues de Paris, à cheval et en masque, déguisés en marchands, prêtres, avocats et toutes autres sortes d'états, courant à bride avallée, renversant les uns et battant les autres à coups de bâtons et perches, singulièrement ceux qu'ils rencontraient masqués comme eux, pour ce que le roi seul voulait avoir ce jour privilège d'aller par les rues en masque. L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. II.

[23] Son médecin Miron disait de lui : Il a les vices d'un moine.

[24] L'Estoile en a conservé quelques-uns, et parmi de très beaux vers, cinglants et âpres, où l'on sent encore la haine et le trait juste, toutefois que bien des personnalités soient tombées dans l'oubli. Il faut ajouter qu'à aucune époque, les auteurs ne furent moins recherchés et moins punis.

[25] On est heureux de trouver ce jugement dans l'Histoire de France de BORDIER et CHARTON, en général peu favorable aux Valois.

[26] On peut voir encore le très beau dessin aux crayons de couleur que possède le Cabinet des Estampes (reproduit par M. G. NIEL, Portraits des personnages les plus illustres du seizième siècle, t. I). Les yeux ici sont meilleurs, avec une nuance de tristesse. C'est Henri III aux dernières années de sa vie, la figure rasée, — mal rasée ; un faux air d'homme d'église, — le pénitent de l'Annonciation Notre-Dame et le marguillier de Saint-Germain-l'Auxerrois.

[27] Armand BASCHET, la Diplomatie vénitienne, p. 569.

[28] WALSINGHAM, Lettres et négociations, p. 29.

[29] Les souvenirs de Marguerite de Valois paraissent ici en défaut. L'Estoile et Brantôme disent au contraire que Du Gast avait suivi Henri III en Pologne. Mais leur antipathie datait de loin, — du temps où il avait conseillé au duc d'Anjou de se méfier de sa sœur courtisée par le duc de Guise. Lorsqu'il revint de Pologne, dit Brantôme, elle apprit qu'il avait tenu quelques propos assez désavantageux d'elle et assez bastans pour mettre le frère et la sœur en inimitié ou quelque pique ; au bout de quelque temps, le dit M. du Gua, arrivé à la Cour et portant des lettres du dit roi à sa sœur, les lui alla porter et baiser les mains en sa chambre ; quand elle le vit entrer, elle fut en grande colère ; et ainsi qu'il se vint présenter à elle pour lui donner sa lettre, elle lui dit d'un visage courroucé : Bien vous sert, Le Gua, de vous présenter devant moi avec cette lettre de mon frère qui vous sert de sauvegarde, l'aimant si fort que tout ce qui vient de lui est en toute franchise avec moi ; sans cela je vous apprendrais à parler d'une telle princesse que je suis, sœur de vos rois, vos maitres et souverains. M. du Gua lui répondit fort humblement : Je ne me fusse aussi, Madame, jamais présenté devant vous, sachant bien que vous me voulez mal, sans quelque bonne enseigne du roi mon maitre, m'assurant que pour l'amour de lui, et que vous êtes toute bonne et généreuse, vous m'ouïrez parler Et lui avant fait ses excuses et dit ses raisons, comme il savait bien dire, il nia très bien de n'avoir jamais parlé de la sœur de ses rois que très révéremment. Elle le renvoya avec protestation de lui être cruelle ennemie, comme elle lui a tenu jusqu'à sa mort. — Le roi de Pologne, ayant su l'incident, chargea peu après Mme de Dampierre de les raccommoder, inutilement d'ailleurs. Cf. Édit. Buchon, t. II.

[30] Brantôme parle aussi de ses litières tant dorées, tant superbement couvertes et peintes de belles devises, et ses coches de même.

[31] Estimant que j'étais le lien qui maintenait leur amitié et que les plus propres expédients pour les divorcer étaient d'un côté de me brouiller et mettre en mauvais ménage avec le roi mon mari, de l'autre de les rendre jaloux de Mme de Sauve. Cf. dans les Mémoires l'anecdote sur laquelle Marguerite s'étend longuement. Édit. elzévirienne, p. 44-53.

[32] La Célestine, tragi-comédie de Calixte et Mélibée, par Fernando DE ROJAS (1492), dont il existait déjà au seizième siècle une traduction française (Paris, 1527 et 1578, par J. de Lavardin). C'est la plus vieille des comédies espagnoles. Voir l'excellente édition de Germond de Lavigne, dans la collection Jannet-Picard.

[33] Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzévirienne, p. 51-53.

[34] Ambassadeurs vénitiens, Relation de Giovanni Michieli, t. II, p. 230.

[35] Sur Louis de Clermont, sieur de Bussy d'Amboise, voyez le livre très complet de M. André Joubert, Angers et Paris, 1885.

[36] Il parait que Bussy possédait un livre d'Heures dans lequel il avait retracé l'histoire de tous les maris infortunés de sa connaissance, en ajoutant un hymne à la louange de chacun. Cf. l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 1864, p. 135.

[37] La Fortune de la Cour ou Discours curieux sur le bonheur ou le malheur des favoris, p. 111.

[38] On connait des stances que Bussy avait faites en l'honneur de la reine de Navarre (Bibl. nat., ms. fr. 15,222) et qui ont été publiées par M. A. Joubert (loc. cit.). La reine Margot fit également sur sa fin dramatique un dialogue de Flore et de Lysis qui se trouve inséré dans le recueil de L'Estoile, sous la signature supposée de Pibrac. Édit. Jouaust, t. I, p. 323.

[39] Brantôme dit seulement que Bussy fut poursuivi par douze hommes, montés sur des chevaux d'Espagne qu'ils avaient pris dans l'écurie d'un très grand qui leur tenait la main, — c'est-à-dire dans l'écurie du roi. — Mézeray parle également de douze cavaliers. Édit. de 1685, t. III.

[40] Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzévirienne, p. 57.59, et A. JOUBERT, Louis de Clermont, p. 28-30.

[41] Mémoires de Marguerite de Valois, édit. elzévirienne, p. 63-64.

[42] Avant que partir, dit d'Aubigné, il vêtit le même pourpoint qu'il avait sur lui le jour que La Môle fut décapité. Selon une autre version, il sortit à pied du Louvre, annonçant qu'il allait rue Saint-Marceau faire visite à une dame de ses amies ; aussitôt entré dans l'hôtel, il en ressortit par une porte de derrière. Simier l'attendait dans un carrosse ; à un quart de lieue plus loin, il trouva des chevaux envoyés par Bussy et gagna Évreux. Cf. DE THOU.

[43] DE THOU, liv. LXI ; MÉZERAY, t. III, p. 391. Michelet, brodant sur ce récit, dit que la reine de Navarre se livra au baron de Viteaux pour mieux assurer sa vengeance.

[44] Ce qui achève la conviction, dit Mongez, c'est le reproche fait à Monsieur par Ruffec, gouverneur d'Angoulême. On avait donné cette ville pour sûreté au duc, et celui-ci pressant Ruffec de la lui remettre, il s'excusa sur ce qu'ayant toujours été attaché au service du roi, et par là quelquefois ennemi de Monsieur, il craignait le sort de Du Guast que la faveur de Sa Majesté n'avait pu soustraire à ses coups. Loc. cit., p. 169. Cf. L'ESTOILE, t. I, p. 98, qui rapporte tout au long l'anecdote.

[45] Dans ses Mémoires où elle montre tout son ressentiment pour ce fusil de haine et de division, elle dit qu'il fut tué par un jugement de Dieu pendant qu'il suait une diète, comme aussi c'était un corps gâté de toutes sortes de villanies, qui fut donné à la pourriture qui dès longtemps le possédait, et son âme aux démons à qui il avait fait hommage par magie et toutes sortes de méchancetés. Édit. elzévirienne, p. 79-80. BRANTÔME, II, 172.