LA REINE MARGOT ET LA FIN DES VALOIS (1553-1615)

PREMIÈRE PARTIE. — LA FIN DES VALOIS

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Catherine de Médicis. — La Cour, la vie et les mœurs.

 

Marguerite de Valois était la plus jeune des filles, nées de son mariage avec Henri II, que conserva Catherine de Médicis. Après dix années de stérilité, de 1533 à 1543, la Florentine eut du roi dix enfants, cinq garçons et cinq filles ; les trois premiers de ses fils, François, Charles et Henri, successivement régnèrent ; Louis mourut en bas âge ; le dernier fut duc d'Alençon, puis duc d'Anjou[1]. L'aînée des filles, Élisabeth ou Isabelle, fut mariée au roi d'Espagne Philippe II ; Claude à Charles III de Lorraine ; deux autres, Victoire et Jeanne, ne vécurent point ; Marguerite naquit à Fontainebleau le 14 mai 1553, et n'avait ainsi que six ans lorsque Henri II fut tué de malaventure, du coup de lance dans l'œil que lui donna Montgommery, capitaine de sa garde écossaise. au tournoi de la rue Saint-Antoine (29 juin 1559).

Les Mémoires de la reine Marguerite, plusieurs fois réimprimés et dont la Société de l'Histoire de France semble bien avoir donné une édition définitive[2], sont la source principale où l'on penserait puiser et se fournir de quelques détails sur sa jeunesse. Ils y sont au contraire fort rares. Marguerite de Valois, qui nous a laissé dans cet écrit un document précieux pour l'époque, et destiné à mettre en valeur, pour ainsi dire, le rôle qu'elle a joué dans quelques événements principaux, a passé fort rapidement sur sa vie privée ; elle n'a point donné la confession qu'auraient désirée certains, et nombre de faits la concernant ne nous sont connus que par le témoignage d'auteurs souvent peu informés ou suspects, chose pire, par des pamphlets du temps. — Nous reviendrons sur le caractère spécial des Mémoires, restés incomplets d'ailleurs, car ils s'arrêtent à l'année 1582. La reine ayant jugé inutile de nous donner d'autres détails, son récit ne commence guère, de son propre aveu, qu'au moment où elle fut à la suite de la reine sa mère pour n'en bouger plus. On se trouve transporté, par cela, dès le début d'une étude sur sa vie, au milieu de cette cour galante et tragique des derniers Valois où elle fut élevée, et il est nécessaire de rappeler quelques-uns des faits et quelques caractères du drame historique qui se déroule de François II à l'avènement du Béarnais Henri IV, et dans lequel la figure équivoque de Catherine de Médicis, cent fois honnie et condamnée, occupe une si grande place.

On a beaucoup écrit sur cette femme néfaste, et aujourd'hui encore les jugements portés sur elle sont divers. Catherine avait été tenue à l'écart durant le règne de son mari ; tout dépendait alors de Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois ; une seule fois, lorsque Henri II s'était rendu à l'armée pour la guerre d'Allemagne, elle avait eu la joie d'être régente. Le gouvernement sous François II était tombé aux mains de ses oncles par alliance, François de Guise et le cardinal de Lorraine. Catherine s'en empara dès l'avènement du petit Charles IX, et sans avoir la régence, prit une autorité quasi absolue. Ambitieuse, avide de domination, peu scrupuleuse sur les moyens, elle s'enivra, semble-t-il, de puissance, au point de ne pouvoir en supporter ni même en comprendre la privation ; intrigante et astucieuse, Catherine surtout voulut rester le premier, — le seul personnage de l'État. Sa passion maîtresse fut de gouverner par ses fils, pour lesquels elle craignait toute influence qui pût affaiblir, en les dominant, son autorité personnelle. Dans les cérémonies d'apparat, elle aimait à être traitée d'égal à égal avec eux ; aux États d'Orléans (1560), son siège fleurdelisé fut mis sur le même plan et sous le même ciel que celui de Charles IX ; lorsqu'il se rendit à Metz, en 1569, elle voulut entrer avant lui dans la ville, avec son propre cortège de dames et d'officiers, pour n'être point confondue dans sa suite. De fait, elle gouverna pendant tout le règne de sou second fils, reprit la régence après sa mort, en attendant le retour du roi de Pologne, et son influence, sa politique cauteleuse dignement continuée, se retrouvent jusque dans les derniers actes d'Henri III. L'assassinat des Guises aux États de Blois est dans le même esprit et ordonné par le même prince qui organisa la tuerie des huguenots. Toutefois, elle n'avait nullement ces profonds calculs d'hypocrisie qui poursuivent à travers les obstacles l'exécution froide et raisonnée d'un plan. A cet égard, bien des historiens se sont mépris. On a essayé de la réhabiliter ; on en a fait un profond politique, et à la suivre durant ses trente années de lutte pour conquérir et conserver le pouvoir, face énigmatique et dure dont le peuple garda des souvenirs d'aversion qui firent au dernier siècle la fortune de bien des romanciers. on songe à la diplomatie sournoise et cruelle du vieux roi Louis XI, papelard et dévot, chichement vêtu parmi les brocarts et les riches manteaux de ses barons, qui agonise de frayeur derrière les Grilles et chausse-trapes de Plessis-lès-Tours, avant usé et vaincu l'un après l'autre ses plus terribles ennemis, ayant enfin poussé sur les piques de Grandson (st dans les marécages glacés de Nancy le somptueux duc Charles le Téméraire, dont la disparition loi permet de saisir les grasses terres de Bourgogne. Mais Louis XI est l'homme d'une idée. Ce qu'il veut, c'est la destruction des grands vassaux, la suppression des apanages, et par suite, l'unification du territoire. A sa mort, l'unité nationale est quasiment réalisée. Il laisse la France Grande et forte, — si forte, que même avec son chétif successeur elle passe ses frontières, déborde sur l'Italie terrifiée, et poussant jusqu'à Naples, traverse Rome en roulant ses canons sous les murailles du château Saint-Ange. — A la mort de Catherine, au contraire, la France est divisée, morcelée, pillée, déchirée par les protestants qu'elle n'a su ni exterminer ni réduire, par la Ligue dont les bouffonneries et les obscénités font dégénérer en farce la tragédie sanglante où disparaissent les Valois et les Guises, dévastée par les troupes étrangères, reîtres d'Allemagne, bandes espagnoles, vingt factions et partis aux dénominations déjà suspectes, mécontents, politiques, royalistes, républicains, ligueurs, se battant de ville à ville et de château à clocher comme aux beaux jours de l'époque féodale. Jamais femme ne nous a gouverné qu'elle n'ait apporté tous malheurs, dit un écrit du temps[3]. Catherine avait divisé pour régner ; la division alla si loin qu'il n'y eut plus de royaume ; le Béarnais fut obligé de reconquérir chaque bourgade et d'acheter ce qu'il ne pouvait prendre. — La politique de Catherine, en effet, caractère bizarre mêlé de faiblesse, d'ambition égoïste, d'inconséquence et de ruse, fut constamment au jour le jour ; elle vivait d'expédients contradictoires, remuait cent projets fugitifs. Ses lettres à sa famille, où se remarque facilement, dit M. Gandy[4], l'abandon du caractère, démontrent qu'elle se laissait diriger par les événements, loin de les maîtriser. Sa tactique fut constamment dissimulée, artificieuse, traînant par des voies indirectes. Elle était Italienne et resta Italienne, du pays de Machiavel qui avait dédié à son père, Laurent, duc d'Urbin, le livre du Prince, qu'elle ne se lassait point de lire, et fut en France étrangère d'esprit et même, dit-on, de langage. — Fille d'une famille de marchands, élevée à la principauté dans une république, écrivait autrefois Chateaubriand[5], elle était accoutumée aux orages populaires, aux factions, aux intrigues, aux empoisonnements, aux coups de poignard ; elle ne connaissait pas nos lois et s'en souciait peu ; elle voulait faire passer la couronne [aux enfants] de sa fille Claude lors des [seconds] États de Blois (1588). Elle était incrédule et superstitieuse, ainsi que les Italiens de son temps ; elle n'avait, en sa qualité d'incrédule, aucune aversion pour les protestants : elle les fit massacrer par politique. Enfin, si on la suit dans toutes ses démarches, on s'aperçoit qu'elle ne vit jamais dans le vaste royaume dont elle était souveraine qu'une Florence agrandie, que les émeutes de sa petite république, que les soulèvement d'un quartier de sa ville natale contre un autre quartier, la querelle des Pazzi et des Médicis dans la lutte des Guise et des Châtillon.

Toutefois, et si l'on ne peut contester la justesse générale de ce jugement, quelques points en doivent titre repris. Des écrivains protestants ont voulu établir de même que Catherine de Médicis n'usa des passions religieuses que volume de moyens, sacrifiant Catholicisme ou Réforme selon l'intérêt du moment, et aussi encline à des nouveautés hérétiques qu'au maintien de la foi séculaire. Mais. il faut se méfier de ces appréciations rapides. Catherine était catholique et ses rapprochements passagers avec les protestants. on peut l'affirmer, furent seuls affaire de politique ; l'Italie ne fut jamais un hou terrain pour les huguenots, et il faut dire encore que la reine-mère, dans sa lutte acharnée contre les hérétiques, fut vraiment en communion d'idée avec la masse du peuple de France. La société française, quoi qu'on ait affirmé à ce propos, était fondamentalement catholique ; le catholicisme était l'âme de la famille de la cité, de la nation. — Le différend fut autre. Catherine mêlait à la religion beaucoup de pratiques superstitieuses et de sensualité, comme Italienne et comme femme. Entre toutes ses perfections, rapporte le panégyriste Brantôme, elle fut bonne chrétienne et fort dévote, faisant souvent ses Pâques et ne faillant tous les jours au service divin, à ses messes et à ses vêpres, qu'elle rendait fort agréables par les bons chants de sa chapelle, qu'elle avait été curieuse de recouvrer des plus exquis musiciens[6]. Avec elle, s'étaient introduites aussi à la Cour de France non seulement les mœurs italiennes — et à sa suite une foule de seigneurs florentins sans fortune et sans scrupules qui s'abattirent sur notre pays comme sur une proie, et mirent à la mode leurs vices, leurs débauches, l'usage habituel de l'assassinat et de l'empoisonnement, mais les croyances à l'astromancie, aux arts et pratiques occultes. Ce fut rage d'or des coupe-jarrets, des astrologues, des alchimistes et des parfumeurs homicides. Elle-même avait journellement recours aux oracles ; elle prétendait y avoir trouvé, dit le docteur Lucien Nass[7], des prophéties qui, chose curieuse, se sont effectivement réalisées. — Le peuple de Paris, moins superstitieux que les Italiens, la railla d'abord, l'accusa ensuite de bien des morts suspectes. Ne distinguant point nettement l'astrologie de la sorcellerie et la sorcellerie du poison, il lui fit une réputation d'empoisonneuse et de magicienne si tenace qu'elle subsiste encore. Catherine de Médicis, reine de France, est restée cette vieille femme au visage immobile et infiltré de graisse, la lèvre pendante, le regard voilé, soucieuse et louche en ses vêtements de veuve, qu'on se représente accoudée au fauteuil royal de Charles IX, poussant par méchanceté ou vengeance au massacre de la Saint-Barthélemy, et s'enfermant dans une petite salle du Louvre avec son parfumeur René, pour préparer de ses mains toujours couvertes de gants des pistes toxiques, des poudres et des philtres, des parfums et des cassolettes destinés à faire périr Jeanne d'Albret, le cardinal de Lorraine, son propre fils le roi Charles[8]. — Si l'on ne saurait rien prouver de ce fait qui puisse être accepté par l'histoire[9], on sait trop néanmoins, à l'époque, l'ascendant des mœurs italiennes et des idées de Machiavel. L'assassinat, la suppression nette et immédiate d'un ennemi ou d'un rival semblaient des procédés de bonne politique, — on pourrait presque dire des moyens de gouvernement. On entretenait alors des assassins à gages, comme des domestiques ; les Guise en avaient ; les Chatillon en avaient ; les rois en avaient ; tous ceux qui pouvaient les payer en avaient ; et ces assassins n'étaient pas ou étaient rarement punis[10]. On vit même le grand-duc de Toscane, François Ier faire tuer en France par des spadassins à la solde de son ambassadeur, des proscrits florentins qui s'y étaient réfugiés, estimant que la mort seule était capable de les empêcher de revenir[11].

Catherine de Médicis, figure puissamment accusée mais dont le personnage et l'influence semblent aujourd'hui si peu sympathiques, n'était point d'ailleurs dépourvue de qualités ; on conçoit qu'elle ait trouvé des défenseurs, des apologistes même dont l'enthousiasme était sincère. Sa vie privée, sa vie de femme n'a du reste été que peu attaquée, signe évident qu'il n'y avait rien à reprendre. Elle était froide et les protestants donnent seulement à entendre qu'elle eut une liaison avec le premier cardinal de Lorraine, comme nièce de deux papes[12] insinuèrent les plus mauvaises langues[13] ; chez elle l'amour ne semble qu'un peu de curiosité dissolue, témoin l'anecdote du cadavre de Soubise, tué à la Saint-Barthélemy et qu'elle fut voir pour connaître comment était fait un homme réputé impuissant[14]. Ses portraits, si l'on n'était prévenu, feraient plutôt penser à quelque dame abbesse d'un monastère royal[15], intelligente et bonne administratrice, aigre en procès et dure sur la règle, indulgente aussi pour bien des peccadilles relevant des passions éternellement humaines et qu'on peut souffrir sans déroger. Elle n'avait point de beauté et cependant les contemporains accordent qu'elle était séduisante[16] et habile à faire valoir ses avantages physiques, la taille, la gorge, une peau très blanche, l'élégance des mains. Elle mettait, dit Brantôme, une certaine coquetterie à monter à cheval, se tenant de si bonne grâce que les hommes ne se tenaient pas mieux ; elle avait la jambe très belle, prenant grand plaisir à se bien chausser ; elle était hardie à cheval et ayant été la première qui avait mis la jambe sur l'arçon, d'autant que la grâce y était plus belle et apparaissante que sur la planchette. Elle avait des connaissances suffisantes — en un temps où le savoir était chose si commune — pour qu'on ait pris soin d'en faire mention[17]. Elle versifiait, parlait, écrivait facilement, — mentait encore mieux selon ses entremis, simulant avec aisance la vertu, la modestie et la magnanimité, mais c'était une âme sans tendresse féminine, sans sentiment profond et moral [18]. La Cour des Valois était devenue avec elle la plus brillante de l'Europe. Ce n'étaient que fêtes, banquets, concerts, bals, comédie italienne[19] ; malgré les calamités des guerres civiles, on ne s'occupait que de parades et bergeries. Il y eut des festins même qui tirent scandale, celui de Chenonceaux, par exemple, en 1577[20]. — Les longs repas et mangeailles paraissent bien avoir été, du reste, un des péchés mignons de la reine Catherine ; on nous la montre fort gourmande, goulue même jusqu'à la férocité. En 1549, les échevins de Paris lui offrirent une collation où figurèrent paons, faisans, cygnes, hérons, aignelles, poulets d'Inde, lapereaulx, cailles, chapons, petits poulets, cochons, pigeonneaux, levraulx en quantité respectable, et la reine faillit crever d'une indigestion, ayant trop pris d'une ratatouille de crêtes, rognons de coqs et fonds d'artichauds[21]. — Mais ses filles d'honneur, sa Cour galante et dissolue étaient surtout en horreur aux calvinistes, qui affectaient la mine longue et une austérité sur laquelle il y aurait peut-être bien à dire. Que notre reine fût pour résider ou pour demeurer en un lieu pour quelques mois, fût qu'elle se remuât en autres maisons de plaisance et châteaux... cette belle et grande compagnie toujours, an moins la majeure part, marchait et allait avec elle[22]. Aussi les maréchaux-des-logis et fourriers du roi affirmaient qu'elle tenait toujours la moitié des logis... Vous eussiez vu cinquante dames ou demoiselles la suivre montées sur de belles haquenées tant bien harnachées, tant bien en point pour habillements à cheval que rien plus ; leurs chapeaux garnis de plumes, ce qui enrichissait encore la grave, si que ces plumes voletantes représentaient à demander amour et guerre[23]. Avec tant de belles et honnestes dames — celles-là même dont le seigneur de Bourdeille a relaté les exploits, les stratagèmes et les complaisances dans ses Dames galantes, livre de louange naïve considéré un peu trop simplement connue un recueil érotique, et qui demeure l'étude peut-être la plus cruelle des muffins faciles de l'époque — venaient autant et plus de courtisans, jeunes seigneurs, gentilshommes dont les intrigues, les amourettes, les rivalités, les duels et coups de dague composaient le singulier roman d'aventures au milieu duquel vivait Catherine. Ses filles étaient choisies vers quatorze ans et la beauté était surtout recommandée[24] ; on leur enseignait méthodiquement la galanterie, affirment de sots pamphlétaires, et la reine, tout en jouant l'intolérante et la rigoriste, fermait les yeux sur la licence la plus éhontée[25]. Elle avait favorisé les amours de son mari, été l'amie de Diane de Poitiers, qui avait bien soixante ans, d'ailleurs, lorsque le roi fut tué, portant encore ses couleurs. Lorsque ses fils avancèrent en âge, elle ne prêta aucune attention à leurs débauches. C'est à cette école bizarre, dans cette Cour d'une dépravation si savante, où les propos d'amour se mêlaient aux projets d'assassinat, et où la vie d'un homme ne pesait guère plus que la vertu d'une femme, que furent élevées Marguerite de Valois, la petite reine Marie Stuart, Gabrielle d'Estrées. Il y avait de quoi scandaliser des protestants rigides, et la reine Jeanne d'Albret, devenue huguenote très forte, put être sincère dans son indignation lorsqu'elle écrivit de Blois : Non ! quelque grande que je conçus la corruption de la cour, elle dépasse l'idée que je m'en étais faite ; là les hommes ne prient pas les femmes, mais ce sont les femmes qui prient les hommes ![26] put dire enfin que Catherine de Médicis avait mis une application diabolique à dépraver ses fils dès leur jeunesse afin de les conduire à sa guise, et avait travaillé à les rendre comme elle, durs, sceptiques, sans scrupules et sans cœur. On sent ici les accusations d'un parti ; mais en fait, elle apparaît bien le mauvais génie de sa race, ou plutôt elle fit sa race à l'image de son âme équivoque et l'éducation des derniers Valois fut déplorable[27]. — Mézeray rapporte qu'il n'y avait pas une exécution à laquelle n'assistât la reine-mère avec ses dames et ses enfants, pour les fermer à toute pitié, à toute voix de miséricorde. Elle les confia du reste au Florentin Gondi de Retz, petit-fils d'un menuisier de Florence, fin, caut, corrompu, menteur et grand dissimulateur[28] ; — un de ses mignons, dit l'Estoile, lequel désirant avoir la terre de Versailles[29], elle fit étrangler aux prisons Loménie, secrétaire du roi, auquel celte terre appartenait, et fit mourir encore quelques autres pour récompenser ses serviteurs de confiscations[30]. — De Retz acheva d'instruire Charles IX et ses frères, et plutôt que de les retenir les poussa à satisfaire leurs mauvaises passions. C'étaient jeux de seigneurs : dès leur adolescence, ils purent choisir leurs maîtresses dans la troupe voluptueuse des filles d'honneur ; Renée de Rieux, dite la belle Châteauneuf, vécut publiquement avec Henri d'Anjou ; les dames Apelle, Fosseuse, Montigny, Rebours, la jeune Grecque[31] se disputèrent le jeune duc d'Alençon ; Marie Touchet, maîtresse de Charles IX en eut un fils qui devint grand prieur de France, comte d'Auvergne, duc d'Angoulême, et vécut jusqu'en 1650.

On sait aussi ce que furent les fils de Catherine comme rois et comme princes. — Il y a peu à dire du petit François II qui ne fit que passer, figure pâlotte d'enfant chétif et malade, près duquel on aime à évoquer la jolie et passionnée Marie Stuart. Il gardait ses humeurs, dit Michelet, ne mouchait pas. Bientôt il moucha par l'oreille et dès lors il ne vécut guère. — Ce fut ensuite Charles IX, monté sur le trône à dix ans et reconnu majeur à quatorze (17 août 1563), jeune homme de haute taille, maigre et courbé, pâle avec des yeux jaunâtres et un nez aquilin de phtisique ; caractère mobile, faible et violent, ami des coups, du bruit ; au reste point dépourvu de qualités, libéral et juste, porté vers les arts, la poésie — gâté dans ce qu'il avait d'un peu noble par un entourage d'intrigants et de fourbes, ne voyant à la Cour de sa mère que l'envie de dominer, l'esprit de vengeance, le mal exécuté de sang-froid, l'hypocrisie et la dissimulation[32]. Il parlait facilement, mais jurait à tout propos et avait des accès de colère folle, de fureur sanguinaire que les difficultés de son règne pourtant si court, les querelles des Guises, des protestants, les intrigues jalouses de ses frères ne firent qu'empirer, et qui lui arrachèrent enfin l'ordre du massacre au soir de la Saint-Barthélemy.

Henri et François, les deux derniers, furent pires. Henri d'Anjou, celui qui fut le triste roi Henri III, le roi selon le cœur de Catherine, mignon de sa mère, dit Tavannes, qui le préparait pour s'en servir contre le roi Charles IX s'il lui eût ôté le gouvernement des affaires, — son idole, et le contentant en tout ce qu'il désirait d'elle, ajoute Marguerite, si longtemps en hutte à ses menées, Henri III, sous lequel s'acheva la désorganisation du pays, et qui sombra enfin, méprisé et odieux, ayant lui aussi divisé pour régner, parmi les querelles des princes et les désordres de la Ligue, n'était que fausseté, embûches, bigoterie, puérilités efféminées et débauches honteuses, n'avait que les goûts, vices et passions d'un tyran italien. — Il différait de Catherine seulement en fait de légèreté et d'étourderie inconséquente ; mais il rivalisait avec elle et la surpassa même en dissimulation mensongère, en hypocrisie insolente, en cruauté, en débauches cachées sous une fausse piété blasphématoire[33]. — On rêvait pour lui la gloire militaire ; à dix-sept ans il était général en chef, et les victoires de Jarnac et de Moncontour furent ses lauriers. En I571, à l'instigation de Louis de Nassau et alors que la politique de la cour était tonte protestante, on pensa le faire élire empereur d'Allemagne[34]. Il ne guerroya plus bientôt qu'avec les poignards de ses spadassins. Intelligence vive, mais homme sans conscience, incompréhensible du reste pour tous ceux de son temps, il acheva d'avilir la royauté. Il se délectait à faire le mal, dit Guillaume du Vair. Son frère Charles IX avait pour lui le plus profond mépris, et répétait qu'il faisait bien de cacher ses vices, n'ayant point de vertus pour les contrebalancer. — Devenu roi, il les cacha si peu qu'il souleva contre lui son royaume, et lorsqu'il tomba, éventré par le couteau de Jacques Clément, ce fut la joie d'une délivrance.

Le duc d'Alençon, son jeune frère, mourut heureusement avant lui, nous épargnant la suite de cette lignée, prince ayant si peu de courage, disait de lui le roi de Navarre, le cœur si double et si malin, le corps si mal bâti ; — d'une duplicité au-dessus de son âge et que n'eût point désavouée Catherine, ambitieux avant d'être homme et d'une conscience surtout accommodante. On l'avait voulu marier à la reine Élisabeth d'Angleterre, qui eut successivement pour prétendre à sa main les trois fils de France, et à cinquante-sept ans y pensait encore ; appelé par les catholiques des Pays-Bas et rêvant la conquête des Flandres, il s'en fit chasser honteusement et termina à trente ans une vie agitée et vide (1584), où rien n'intéresse que peut-être l'amour de sa sœur Marguerite, qui en parle d'un ton attendri dans ses Mémoires.

Les filles de Catherine de Médicis, fait à noter aussi bien, apparaissent meilleures qu'elle-même et que leurs frères. — Élisabeth, mariée à Philippe II et morte à vingt-quatre ans, ne laissa que des regrets. Elle avait dû épouser Don Carlos, petit prince fiévreux, contrefait et malingre, celui-là même avec lequel on lui a supposé une intrigue romanesque popularisée par le drame de Schiller, et ses noces avaient été attristées par la mort de son père. C'est en effet à l'occasion de la paix de Cateau-Cambrésis et pour les réjouissances du double mariage résolu entre Marguerite, sœur de Henri II, et le duc de Savoie, et celui d'Élisabeth avec le roi d'Espagne, que fut donné le fatal tournoi de la rue Saint-Antoine. La petite reine mourut en couche le 3 octobre 1568, jolie et charmante femme trop tôt disparue, dont la douceur souriante et l'influence bienveillante ne s'étaient jamais exercées que pour calmer entre le Louvre et l'Escurial des ambitions et des colères, et contre laquelle, même à la cour rigoriste et formaliste de Philippe II, la malignité du temps ne sut rien dire[35]. — Claude, duchesse de Lorraine, dont le rôle est plus effacé, eut de même une réputation de sagesse que les pamphlets si nombreux du temps semblent n'avoir pas attaquée. Elle donna trois fils et six filles au duc Charles, et mourut à Nancy, le 25 mars 1575, elle aussi en couche, de deux enfants, à l'appétit d'une vieille sage-femme et grosse ivrognesse de Paris, dit Brantôme, en laquelle elle avait plus de fiance qu'en tout autre. — Marguerite enfin, livrée toutes les diatribes, à toutes les malveillances des écrivailleurs calvinistes, n'est guère censurée que pour ses galanteries, ses aventures amoureuses, et demeure la figure romanesque la plus attirante et la plus attachante de ces Valois, dont l'histoire, aussi bien n'a guère été écrite que par leurs ennemis. La chronique scandaleuse ne lui attribue que le meurtre de Du Gast, favori et âme damnée du roi Henri III et son ennemi mortel, qu'elle aurait, fait poignarder dans son lit. — Avec les habitudes du temps, c'était peccadille, simple retour de fortune, et plus d'un pensa sans doute qu'elle avait agi de bonne guerre.

Il ne faut pas, en effet, juger les choses du seizième siècle avec nos idées actuelles. La vie était autre, lés passions excessives, les vices sans retenue. Tout est action violente, et il y a suractivité des sens, de l'amour, des entrainements humains comme de l'art, des lettres, des sciences et de l'érudition. Ce qu'on appelle la Renaissance est une période de fermentation, de bouillonnement, de surproduction. L'homme est actif d'abord ; il se dépense, combat, s'agite, s'extériorise. Les mœurs étaient encore fort rudes et grossières, avec certains dehors d'élégance, des raffinements de politesse et des affectations dé beau langage. On raconte qu'un des plaisirs du roi Henri II était de mener les filles de la reine voir le rut des cerfs dans la forêt de Fontainebleau. Le duc d'Anjou possédait une coupe avec des représentations érotiques dans laquelle il trouvait plaisant de donner à boire aux dames et aux demoiselles, ce qui amusait tous ceux qu'il avait à sa table. Les livres obscènes où l'on représentait les plus grandes dames circulaient librement, et Henri IV s'amusa fort d'acheter à la foire Saint-Germain, d'un Hollandais, six petits tableaux des figures de l'Arétin, qu'il montrait en riant à M. de Montpensier et autres seigneurs étant près de sa personne. L'Estoile nous dit encore qu'à la cour, du temps de Henri III, la paillardise était publiquement et notoirement pratiquée entre les dames, qui la tenaient pour vertu, et il cite comme un bel exemple, et peut-être unique, que le roi ait forcé La Loue à épouser une des femmes de la reine Louise qu'il avait engrossée[36]. Il faut voir ce que lui-même trouve un divertissement plaisant et honnête, — deux mascarades qui se firent au Louvre, l'une de gens de village, l'autre de foullons. Ces gens de village et ces vendangeurs débitent des vers pleins d'allusions graveleuses pour les dames. — Quant l'amour, on n'y connaissait guère plus de délicatesse, si l'on s'en rapporte aux anecdotes de Guillaume du Vair sur Henri III et les dames de Boullancourt, sur Marguerite de Valois et le duc de Guise[37]. — La Cour, entre temps, s'amusait de l'estrapade donnée aux huguenots ; la torture et le bûcher semblaient naturels pour punir l'hérésie. La justice était demeurée aussi expéditive que cruelle avec son arsenal de supplices, et toujours prête à donner la question ; encore en 1581, un arrêt du Parlement de Rouen condamna Nicolas Salcède, faux-monnayeur, à être étouffé dans l'eau chaude, — bouilli ! Ce qu'était la guerre durant les troubles de la Réforme, il faut le lire dans les Mémoires de Tavannes, Montluc[38], se rappeler les anecdotes du baron des Adrets, du connétable de Montmorency. — On disait aux armées qu'il fallait se garder des patenôtres de M. le connétable, car en les disant et marmottant, il disait : Allez-moi prendre un tel ; attachez celui-là à un arbre, faites passer celui-là par les piques tout à cette heure, ou les arquebusez tous devant moi ; taillez-moi en pièces tous ces marauds qui out voulu tenir ce clocher contre le roi ; brûlez-moi ce village ; boutez-moi le feu partout à un quart de lieue à la ronde. — Grand rabroueur de personnes, le connétable était à Bordeaux lors du voyage de Bayonne, quand M. de Strozzi lui demanda la permission de dépecer un vaisseau de trois cents tonneaux, appelé le Monreal, qu'il disait vieux, pour en chauffer les gardes du roi. Le connétable y consentit, mais les jurats de la ville et les conseillers de la Cour réclamèrent, disant que le vaisseau était bon et pouvait encore servir. — Et qui êtes-vous, messieurs les sots, s'écria le connétable, qui me voulez contrôler et me remontrer ? Vous êtes d'habiles veaux d'être si hardis d'en parler ! Si je faisais bien j'enverrais tout à cette heure dépecer vos maisons au lieu du navire[39]. Il fut tué à la bataille de Saint-Denis, où il reçut huit blessures ; il eut encore la force de casser, du pommeau de son épée, les dents de Jacques Stuart, qui le pressait de se rendre, et ne tomba enfin que d'un coup de pistolet dans l'épaule que lui tira un Écossais[40]. Il avait vécu sous quatre rois et était âgé de soixante-quatorze ans. — A la prise de Niort (1568), les réformés, passant toute barbarie et cruauté, après avoir pris tous les prêtres de la ville, et voyant que l'un d'iceux, pour quelque tourment qu'ils lui fissent ne voulait se divertir de sa religion, le prirent ; et après l'avoir lié, l'ouvrirent tout vif par le ventre, et lui firent tirer par leurs goujats les parties nobles desquelles ils en battaient la face des autres prêtres, afin de les intimider et leur faire renier Dieu... Ils exercèrent la plus grande cruauté en la personne d'une femme, laquelle ayant vu tuer son mari, qui combattait pour la foi catholique, et les voulant reprendre, ils la prirent, excogitant une mort de laquelle les diables même ne sauraient aviser, qui est qu'ils lui remplirent par la nature le ventre de poudre à canon, et y mirent le feu, la faisant par ce moyen crever et jaillir les boyaux[41]. A la Saint-Barthélemy, sans parler du massacre général, les pires horreurs furent commises. Un nommé Thomas se vantait d'avoir tué quatre-vingts calvinistes en un seul jour. Coconas épouvanta Charles IX lui-même par son récit ; il avait acheté trente huguenots pour avoir le contentement de les faire mourir à son plaisir, qui était de leur faire renier leur religion, sous foi et promesse de leur vie sauve ; ce qu'avant fait il les poignardait et faisait languir et mourir à petits coups, très cruellement. — Le parfumeur de la reine Messire René, homme confit en toute sorte de cruauté, allait aux prisons poignarder les huguenots, et ne vivait que de meurtres, brigandages et empoisonnements ; le lendemain du massacre, sous couleur d'amitié, ayant fait entrer un pauvre joaillier huguenot en sa maison, qu'il connaissait et feignait vouloir sauver, après lui avoir volé toute sa marchandise, lui coupa la gorge et le jeta à l'eau[42]. — A côté de cela, c'est de l'héroïsme, du dévouement, des délicatesses singulières ; les amis se liaient par des serments terribles, et quand l'un faisait une absence, l'autre prenait le deuil, laissait croître sa barbe, restait plongé dans une mélancolie profonde[43]. Les femmes entraient dans ces associations romanesques ; au signal de sa maîtresse, il fallait se précipiter dans une rivière sans savoir nager, se livrer aux bêtes féroces ou se déchiqueter avec un poignard. — Leurs aventures aussi étaient continuelles. Mme de la Bourdaisière, aïeule de la belle Gabrielle, remplissait la Cour du bruit de ses galanteries, aussi belle en ses vieux jours, dit Brantôme, que l'on eût dit qu'elle eût été en ses jeunes ans, si bien que ses cinq filles qui ont été des belles ne l'effaçaient en rien. Une d'elles, Françoise Babou, marquise de Cœuvres, et qui fut la mère de Gabrielle d'Estrées, avait quitté son mari pour s'attacher au marquis d'Allègre. Elle fut tuée dans Issoire, par tut boucher, au cours d'une émeute (8 juin 1592) et son corps dépouillé indiqua un curieux raffinement dans la parure intime des coquettes de l'époque[44]. Les plus hautes dames, telles que la duchesse de Guise, entretenaient des liaisons qui se terminaient presque toujours par des meurtres, et c'est pour elle que Saint-Mégrin fut assassiné à onze heures du soir, en sortant du Louvre, par une troupe d'hommes à la tête desquels on reconnut le due de Mayenne. — Galanteries et aventures, du reste, ne surprenaient personne, et les chroniqueurs et les mémorialistes, en narrant les faits, s'en indignent à peine et seulement lorsqu'ils les rapportent à l'état général du pays, que tant de convulsions, de querelles intestines, de guerres menaient à la ruine.

Il faut ajouter enfin que les Valois n'ont pas été traités avec impartialité ; leurs défauts presque seuls nous ont été transmis et tous les portraits qu'on en donne sont de convention[45] ; les écrivains où nous devons puiser les indications qui les concernent sont des adversaires ou des panégyristes ; les plus curieux avec leurs anecdotes, Brantôme raconteur cynique, qui moulait les vices des grands hommes comme on prend l'empreinte du visage des morts, — L'Estoile, Guillaume du Vair, n'ont pas de jugement ; ils acceptent tout sans contrôle ; ce sont des commères. Les plus impartiaux, Mézeray, de Thou, sont de la famille odieuse des moralistes. Les Valois, cependant, race intelligence et fine, lettrée, artiste, valaient mieux que la réputation qui leur a été faite. Jamais on n'a été critiqué, attaqué, vilipendé, traîné dans la boue, couvert d'injures et de crachats comme le furent les derniers de leur sang, Charles IX, Henri III, le duc d'Alençon, Catherine et Marguerite. Contre eux, tout pouvait se dire, tout était permis et légitime. — Nous n'ignorons pas, certes, ce qu'il faut penser des déclamations du temps ; mais de tant de calomnies, de placards, de pamphlets et de libelles, il est resté quelque chose. La physionomie réelle des derniers Valois s'est trouvé altérée. Nous ne les voyons qu'à travers les satires. — C'est de leur règne, néanmoins, écrivait déjà Chateaubriand, qu'il faut dater la perfection des lois administratives, civiles et criminelles. Des documents maintes fois signalés et qui ont tout le sérieux et l'authenticité des pièces officielles, — dépêches et instructions adressées à ses agents de l'intérieur ou à ses agents à l'étranger, spécialement à la cour de Rome, montrent d'ailleurs Henri III comme un roi habile, ferme, prudent au milieu des inextricables obstacles que rencontrait l'exécution des édits de paix ; plein du sentiment de sa dignité personnelle et de sollicitude pour l'honneur de la France ; désireux surtout de rétablir l'union entres les partis religieux dont l'antagonisme était exploité par les princes de Lorraine[46]. — Le grand siècle, aussi bien, pour la France, c'est le siècle des Valois. De leur temps se produisit un essor immense de la poésie, de l'art, de l'histoire, des sciences ; et il serait injuste de prétendre qu'ils y restèrent étrangers, car on leur droit la transformation de l'enseignement, une protection efficace des lettres et du savoir, des milliers de chefs-d'œuvre et la beauté d'une architecture civile qui n'a pas été surpassée. Ils nous ont légué les splendides résidences de Fontainebleau, de Saint-Germain, de Chambord, les œuvres d'une école de peinture à laquelle appartiennent les François Clouet et les Jean Cousin, d'une école de sculpture qu'illustrèrent les Jean Goujon et les Germain Pilon. Il faut se souvenir qu'à côté d'eux vécurent Pierre Lescot, — auquel nous devons la cour du Louvre et l'hôtel Carnavalet ; Philibert Delorme, qui bâtit le château d'Anet et éleva le merveilleux tombeau de François Ier ; Jean Bullant, — qui construisit Écouen, et avec Philibert Delorme, les Tuileries ; Pierre Chambige,— qui commença le château de Saint-Germain, donna l'Hôtel de Ville de Paris et le joli bâtiment dit du Bord de l'eau ; puis Léonard Limousin, les Pénicaud, Bernard Palissy, le musicien Claude Goudimel, les poètes de la Pléiade. — Dans cette crise effroyable que fut la lutte contre le protestantisme, et malgré l'état de précarité dans lequel vivaient alors les artistes comme le peuple, la terrible reine Catherine faisait pourtant construire, à Saint-Denis, la chapelle des Valois, dépensait à Chenonceaux, élevait le petit palais des Tuileries et l'hôtel de la Reine pour lui servir de résidences à côté du Louvre. — Henri III, dont le caractère artiste se révèle par des fêtes magnifiques, comme celles qui accompagnèrent les noces de Joyeuse[47], avait fait travailler à la Sainte-Chapelle, refaire une clôture de marbre pour le chœur et remplacer les orgues. Il avait protégé Henri Estienne, Palissy[48], Androuet du Cerceau. — architecte protestant, cc qui fut cause, dit L'Estoile, que les Ligueurs en firent un crime au roi[49] — et lui avait fait commencer le Pont-Neuf (mai 1378). C'est de cette époque encore que datent les premiers essais dramatiques de la scène française. Henri III, qui leur préférait les comédies italiennes mêlées d'intermèdes musicaux, fit représenter au Louvre, à l'occasion des noces de Joyeuse, une sorte d'opéra, le Ballet comique de la Reine, où figuraient les principaux personnages de la Cour ; la plupart des morceaux de chant et des airs de danse avaient été composés par Jacques Salmon et Baulieu, n musiciens de la chambre du roi, et le Piémontais Baltazarini, que Catherine de Médicis avait nommé surintendant de sa musique en avait réglé la mise en scène. — Et ce n'étaient pas seulement les souverains qui faisaient bâtir, s'entouraient d'artistes, recherchaient les œuvres admirables des siècles et favorisaient la production du temps, mais des grands seigneurs, et entre tous celui qu'on eût le moins désigné, le connétable de Montmorency, ce soudard borné, illumine du vaisseau de Bordeaux, qui se trouve en même temps un amateur averti, qui fait construire les châteaux d'Écouen et de Chantilly, qui entretient à Rome un agent pour ses achats artistiques, — le cardinal d'Armagnac[50]. — Des bribes de ses collections sont entrées au Louvre avec celles des rois ; et lorsque nous passons devant les vitrines où l'on a range les poteries géniales de Bernard Palissy, nous songeons qu'il y a là peut-être une de ces rustiques figurines devant lesquelles, dans l'atelier du bonhomme, s'attardait le tragique Henri III.

 

 

 



[1] Il resta quatre fils à la reine Catherine : François, Charles, Alexandre et Hercule. On changea les noms des deux derniers à la confirmation ; l'un fut nommé Henri, l'autre François (Moréri). — Cf. le P. ANSELME, Hist. généalogique, t. V, et Revue des Sociétés savantes, 6e série, t, III, p. 506.

[2] Mémoires et lettres de Marguerite de Valois, publiés par M. Guessard, 1842.

[3] Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de Catherine de Médicis.

[4] La Saint-Barthélemy, Revue des questions historiques, 1866.

[5] Analyse de l'histoire de France.

[6] BRANTÔME, les Dames illustres, édit. de la Société de l'Histoire de France, t. 7 ; édit. Buchon, t. II, p. 128.

[7] Dr Lucien NASS : Catherine de Médicis fut-elle empoisonneuse ? Revue des Études historiques (mai-juin 1901).

[8] La croyance à la mort violente de Charles IX était acceptée par Louis XIII. Cf. les Mémoires de Bassompierre.

[9] Dr Lucien NASS, loc. cit. — La réputation des Valois comme empoisonneurs était cependant si bien établie que, durant les négociations de son mariage avec le duc d'Anjou, la reine Élisabeth put s'écrier dans un moment d'humeur qu'il courait sur elle de méchants bruits à la Cour de Charles IX ; qu'un homme haut placé avait dit qu'elle tenait à la jambe un mal dont elle ne guérirait jamais et que ce serait là un excellent prétexte pour lui donner plus tard un breuvage de France pour en débarrasser le duc. Comte DE LA FERRIÈRE, les Projets de mariage de la reine Élisabeth ; d'après la correspondance diplomatique de La Mothe-Fénelon.

[10] Charles IX, son frère le roi de Pologne, Henri roi de Navarre et le bâtard d'Angoulême étant allés diner chez Nantouillet, prévôt de Paris, lui volèrent sa vaisselle d'argent. Ce jour-là même, Nantouillet avait caché chez lui quatre coupe-jarrets pour commettre un meurtre qu'ils exécutèrent. Ces quatre hommes entendant le fracas que faisaient les rois et se croyant découverts furent au moment de sortir de leur cachette, le pistolet à la main. CHATEAUBRIAND, Analyse. Cf. l'anecdote un peu différente dans L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 28.

[11] Voyez le curieux travail de A. DESJARDINS, L'Ambassadeur du grand-duc de Toscane et les proscrits florentins. (Mémoires lus à la Sorbonne, 1869.)

[12] Léon X et Clément VII.

[13] Il mourut le 26 décembre 1574. Le jour de sa mort, rapporte L'Estoile, et la nuit suivante, s'éleva un si grand vent et si impétueux que de mémoire d'homme il n'avait été ouï un tel foudre et tempête, dont les catholiques lorrains disaient que la véhémence de cet orage portait indice du courroux de Dieu sur la France, qui la privait d'un si bon, si grand et si sage prélat. Les huguenots au contraire disaient que c'était le sabbat des diables qui s'assemblaient pour le venir quérir, et qu'il faisait bon mourir ce jour, pour ce qu'ils étaient bien empêchés... Ils soutenaient encore que, quand on lui pensait parler de Dieu durant sa maladie, il n'avait en la bouche pour toute réponse que des vilanies et même ce vilain mot de foutre, dont M. de Reims, son neveu, aurait dit en se riant qu'il ne voyait en son oncle rien pour en désespérer, et qu'il avait encore toutes ses paroles et actions naturelles. — Catherine le crut voir après sa mort et s'étant mise à dîner, comme on lui eut baillé son verre, elle commença tellement à trembler qu'il lui cuida tomber des mains, et s'écria : Jésus ! voilà le cardinal ! Les nuits aussi elle en avait des appréhensions et se plaignait de ce que souvent elle le voyait, et ne le pouvait ôter et chasser de sa fantaisie. Édit. Jouaust, t. I.

[14] Comment, de statu religionis in regno Galliæ, part. IV, et DE LA PLACE, Recueil de pièces intéressantes pour servir à l'histoire, Bruxelles, 1781, t. II.

[15] Cf. les deux statues d'abbesses provenant de l'abbaye Notre-Daine, que conserve la cathédrale de Soissons.

[16] Un crayon du cabinet des Estampes, publié par Niel et depuis par M. BOUCHOT (Catherine de Médicis) la montre même jolie (1550). Mais tous ses profils donnent le même menton fuyant, signe de tergiversation.

[17] Sa bibliothèque réunissait 4.500 volumes qui sont entrés presque en totalité à la Bibliothèque nationale. Cf. LE ROUX DE LINCY, Notice sur la Bibliothèque de Catherine de Médicis, avec des extraits de l'inventaire, Paris, 1859. On y trouve signalées des reliures magnifiques comme celle de Nicolas Ève, relieur du Roi pour Les plus excellents Bâtiments de France de l'architecte Androuet du Cerceau, Paris, 1576-1579, 2 vol. avec dédicace, reliure molle en maroquin rouge du Levant, les chiffres de la reine sursemés sur les plats, tranche dorée et gaufrée. Bibl. de l'Arsenal.

[18] Elle avait certainement de l'esprit, car Brantôme rapporte qu'elle lisait les belles invectives qui se faisaient contre elle, dont elle s'en moquait et s'en riait sans s'en altérer autrement, les appelant des bavards et des donneurs de billevesées. — Lorsque en 1574 on imprima la Vie de la reine-mère, qu'on a depuis, dit l'Estoile, vulgairement appelée la Vie de Sainte-Katherine, — le Discours merveilleux de la vie, actions et déportements de la reine Catherine de Médicis, attribué à Bèze, à Serres et enfin à Henri II Estienneelle se fit lire l'ouvrage, riant à gorge déployée et disant que, s'ils lui en eussent communiqué devant, elle leur en eût bien appris d'autres qu'ils ne savaient pas, dissimulant à la florentine le mal talent qu'elle en avait et couvait contre les huguenots. Édit. Jouaust, t. I, p. 27-28. — Brantôme rapporte nombre de traits sur lesquels il s'extasie et il faut convenir qu'il a recueilli des choses ne manquant pas de finesse : Quand elle appelait quelqu'un mon amy, dit-il, c'est qu'elle l'estimait sot ou qu'elle était en colère.

[19] Elle inventait toujours quelque nouvelle danse ou quelques beaux ballets quand il faisait mauvais temps... Elle aimait fort à voir jouer des comédies et tragédies ; aussi de son naturel elle était joviale et aimait à dire le mot, et rencontrait fort bien... Elle aimait la musique, et en donnait souvent plaisir à sa Cour dans sa chambre, ne la voulant resserrer à la mode d'Espagne ni d'Italie, son pays... BRANTÔME.

[20] Catherine laissa une succession assez embrouillée ; à sa mort elle devait plus de dix millions. Cf. Catherine de Médicis, Debtes et créanciers de la reine-mère, documents publiés par l'abbé CHEVALIER, 1862.

[21] Voyez le recueil de CIMBER et DANJOU, Archives curieuses de l'histoire de France ; Dépense du festin donné par la ville de Paris à la reine Catherine de Médicis, 19 juin 1549. Bibl. nat., L, 45/27. — L'Estoile rapporte une histoire analogue au 19 juin 1575 ; la reine à l'occasion de l'arrivée de M. le duc de Lorraine et de M. de Vaudemont mangea tant qu'elle cuida crever, ayant trop mangé de culs d'artichauts et de crêtes et rognons de coqs.

[22] Brantôme donne une liste de ces dames et demoiselles de Catherine, où figurent les plus grands noms de l'aristocratie de France. Édit. Buchon, t. II, p. 129-132.

[23] BRANTÔME, les Dames illustres. Avec un pareil train les dépenses étaient excessives et parfois l'argent manquait pour y pourvoir. L'Estoile nous dit qu'au voyage d'Avignon en 1574, on se trouva si court que la plupart des pages du roi furent sans manteaux, étant contraints de les laisser en gage pour vivre où ils passaient ; et, sans un trésorier nominé le Comte, qui accommoda la reine-mère de cinq mille francs, il ne lui bit demeuré ni dame d'honneur, ni demoiselle aucune pour la servir. Éd. Jouaust, t. I, p. 33-34.

[24] Toute beauté y abondait, dit Brantôme, toute majesté, toute gentillesse, toute bonne grâce, et bien heureux était-il qui pouvait être touché de l'amour de telles dames, et bien heureux aussi qui en pouvait escarper... Aussi à plusieurs ont-elles été douces, amiables et favorables et courtoises. Leur reine voulait et commandait toujours qu'elles comparussent en haut et superbe appareil, encore que durant sa viduité elle ne se para jamais de mondaines soies, sinon lugubres, mais pourtant si bien accommodée, qu'elle paraissait la reine par-dessus toutes...

[25] Elles avaient leur libéral arbitre pour être religieuses, aussi bien de Vénus que de Diane, mais qu'elles eussent de la sagesse et de l'habileté et savoir, pour engarder l'enflure du ventre. BRANTÔME.

[26] (Lettre du 8 mars 1572. Ann.-Bull. de la Soc. de l'Hist. de Fr., 1835.) Le duc de Bouillon dans ses Mémoires parle dans le même sens, mais sans la moindre indignation. Les femmes choisissaient ceux dont elles voulaient être servies, les parents ou les supérieurs choisissaient les maîtresses de leurs fils (1568). Nous ne sommes pas si loin du Petit Jehan de Saintré. Et le narrateur ajoute même : Depuis on n'a eu que l'effronterie, les médisances et saletés pour ornement. Édit. Buchon, p. 379-380.

[27] Le peuple l'avait tant en horreur, dit L'Estoile, que tout ce qui arrivait de malencontre lui était imputé, et disait-on qu'elle ne faisait jamais bien que quand elle pensait faire mal.

[28] DE LA PLACE, Pièces intéressantes, Bruxelles, 1781, t. II, Particularités sur le massacre de la Saint-Barthélemy ; cf. BRANTÔME, Charles IX.

[29] Versigny, selon d'Aubigné, Histoire universelle.

[30] Édit. Michaud, t. I, p. 27. Le Discours merveilleux dit également que, durant la Saint-Barthélemy, Loménie fut tué aux prisons du Châtelet ; mais il accuse directement le maréchal de Retz.— L'Estoile, dont le recueil si précieux pour les tuteurs doit être continuellement cité, rapporte un fait qui indique bien l'aversion que l'on ressentait pour les Italiens : — Un capitaine nominé la Vergerie (1575) fut pendu et mis en quatre quartiers pour avoir dit qu'on devrait saccager et couper la gorge à tous ces bougres d'Italiens et à tous ceux qui les portaient et soutenaient, comme étant cause de la ruine de la France, lequel jugement fut trouvé étrange de beaucoup d'honnêtes hommes et scandalisa fort le peuple ; tellement que selon la liberté ordinaire et légèreté des Français, on déchira par toutes sortes d'écrits et libelles, les messères Italiens et la reine leur bonne patronne. Édit. Jouaust, t. I, p. 69, et passim.

[31] Peut-être Mlle Davila, cypriote. — BRANTÔME, II, p. 131, note.

[32] Le roi, dit Brantôme, ne faisait point de difficulté de fausser sa foi toutes et quantes fois il voulait et lui tenait en fantaisie. Édit. Buchon, t. I, p. 560.

[33] Daniel RAMÉE, Les Noces vermeilles, Histoire de la Saint-Barthélemy, p. 95. Il ne faut pas tout croire d'ailleurs des auteurs protestants et les jugements qu'ils portent sur Henri III sont aussi discutables que ce qu'ils disent de sa mère.

[34] G. GANDY, La Saint-Barthélemy (Revue des questions historiques, 1866, p. 59).

[35] Ch. DE MOUY, Don Carlos et Philippe II, Paris, 1863. Il courut de mauvais bruits sur cette mort, car selon une lettre de du Ferrier, ambassadeur à Venise (Bibl. imp. de Saint-Pétersbourg), on s'étonnait après la Saint-Barthélemy que Catherine se fût mise du côté de Philippe II, de celui qui, aux yeux de l'opinion publique, passe pour le meurtrier de sa fille. Cf. Archives des missions scientifiques, 2e série, t. II, p. 425. Le Discours merveilleux dit de même que la reine Élisabeth mourut empoisonnée.

[36] BRANTÔME, L'ESTOILE, passim.

[37] Anecdotes de l'Histoire de France pendant les seizième et dix-septième siècles, tirées de la bouche de M. le garde des sceaux du Vair et autres, à la suite des Mémoires de Marguerite de Valois, édition elzévirienne, Paris, 1858. Un jour, M. de Mayenne, amoureux d'elle (Marguerite de Valois), y étant mené par M. de Guise, M. de Guise s'entretenait avec la confidente pour laisser les autres seuls à la ruelle. Enfin, voyant qu'il s'amusait aux belles paroles, lui reprochant sa sottise, la lui couche a terre et la découvre, disant qu'il fit s'il avait du sens ; mais lui par trop discret, la recouvre, retournant aux paroles, dont elle s'offensa si fort qu'elle le publiait un sot partout. Et le duc de Guise et Marguerite s'aimaient, selon le bruit public ! Nous n'avons pas, sans doute, une extrême confiance dans les racontars de M. du Vair, mais le trait est caractéristique du temps. — Les rois, entre eux, ne se ménageaient pas beaucoup plus, du reste. Après la bataille de Coutras, Henri de Navarre disparut si bien, retourné vers la comtesse de Guiches, qu'on ne sut ce qu'il était devenu. On se dépêcha de dire qu'il était mort, et le duc de Guise, sur cette incertitude, s'étant approché un jour du roi qui était près du feu et se chauffait, lui demanda s'il en avait point eu des nouvelles et continent il se portait. A quoi le roi se prenant à rire lui dit : Je sais le bruit qui court ici et pourquoi vous me le demandez. Il est mort comme vous ; il se porte bien et il est avec sa putain. L'ESTOILE, édit. Jouaust, t. III, p. 81.

[38] Montluc se dépeint lui-même : prompt, colère, fâcheux et mauvais patient. — Voyez encore dans les Mémoires de Vieilleville comment fut réprimée l'insurrection de Bordeaux (1549).

[39] BRANTÔME, édit. Buchon, t. I, p. 313. — Les propos de Henri IV étaient aussi peu mesurés et le même mot se retrouve dans sa bouche : Le roi passant pour aller au Louvre, accompagné de force noblesse, ayant rencontré en son chemin une pauvre femme qui conduisait une vache, s'y arrêta et lui demanda combien sa vache et que c'est qu'elle la voulait vendre. Cette bonne femme lui ayant dit le prix : Ventre saint gris, dit le roi, c'est trop ; elle ne vaut pas cela ; mais je vous en donnerai tant. Alors cette pauvre femme lui va répondre : — Vous n'êtes pas marchand de vaches, sire ; je le vois bien. — Pourquoi ne le serais-je pas ? ma commère, lui répondit le roi. Voyez-vous pas tous ces veaux qui suivent ? L'ESTOILE, édit. Michaud, t, II, p. 530.

[40] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle.

[41] CHATEAUBRIAND, Analyse, p. 363.

[42] L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 26.

[43] Mon ami Saint-Gelais, qui était à Pau lorsque j'en partis, prit une si grande mélancolie de mon absence, qu'il en laissa croître ses cheveux et sa barbe outre mesure ; ce qui fut cause que mon maître, me voyant arriver dans le jardin de Pau où il se promenait, dit avant toute chose à un de ses gentilshommes : Allez dire à Saint-Gelais qu'il se fasse ébarber et couper les cheveux ; voilà son ami d'Aubigné de retour de son voyage. Mémoires de d'Aubigné, édit. Buchon.

[44] Cf. les notes du pamphlet intitulé : Histoire des amours du Grand Alcandre, édit. de Cologne, chez Pierre du Marteau, 1666 : Recueil de diverses pièces pour servir à l'histoire de Henri III, p. 265 et 303.

[45] On a essayé de faire la Psychologie des derniers Valois au point de vue médical (thèse du Dr Dusolier, 1895, in-8°), et comme il fallait s'y attendre on nous montre des dégénérés. C'est la fin d'une race sans doute, — puis Henri II ne remplissait le devoir conjugal qu'avec froideur !

[46] En 1863 déjà, M. Costa de Beauregard indiquait à la Section d'Histoire, dans la réunion annuelle des Sociétés savantes à la Sorbonne, une collection de lettres, dépêches et instructions de Henri III, provenant de la maison d'Argennes, et complétant les documents acquis par la Bibliothèque impériale à la vente Lucas de Montigny. Ces pièces, dit le rapporteur, le présentent sous un jouir tout nouveau et semblent justifier ce jugement de L'Estoile : Henri III eût été un bon roi s'il eût rencontré un meilleur siècle. (Mémoires lus à la Sorbonne, 1864, Avertissement). — Il eût été de toute justice de consacrer un volume aux lettres et instructions qui nous restent du roi Henri III dans la collection des Documents inédits relatifs à l'Histoire de France.

[47] Henri III aimait à tel point le faste et la pompe des cortèges qu'il fit modifier l'itinéraire que devait suivre l'enterrement du premier président Christophe de Thou (nov. 1582) pour le mieux voir de l'hôtel du prévôt de Paris où il s'était rendu. — L'ESTOILE, édit. Michaud, t. I, p. 153.

[48] L'anecdote où l'on nous montre Henri III allant visiter Bernard Palissy, alors âgé de 78 ans et enfermé à la Bastille, et le menaçant de le faire brûler s'il ne se convertissait au catholicisme, est une invention d'Agrippa d'Aubigné (Confession de Sancy et Histoire universelle). Cf. Louis AUDIAT, L'entrevue de Henri III et de Bernard Palissy. (Revue des questions historiques, 1866.)

[49] En ce temps, dit L'Estoile (décembre 1585), beaucoup de la religion se font catéchiser, retournent à la messe... D'autres y en a qui tiennent ferme, quittent et abandonnent tout... De ceux-là entre autres est André du Cerceau, architecte du roi, homme excellent et singulier en son art ; lequel étant prié et tenté du roi par de très grandes promesses, au cas qu'il voulût seulement caler la voile et se dire de la religion de Sa Majesté, qui l'aimait et le cacha lui-même longtemps sous sa protection, devisant avec lui privément, et lui disant quelquefois en riant qu'il se cachât bien de peur que la Ligue ne le trouvât, aima mieux enfin quitter et l'amitié du roi et ses biens que de retourner à la messe, le suppliant ne trouver mauvais qu'il demeurât aussi fidèle au service de Dieu cousine il avait toujours été au sien.

[50] C'est Anne de Montmorency qui recommanda Palissy à la reine-mère. Il passa au service de Catherine en 1566 et fut chargé de décorer le jardin des Tuileries.