L'AMIRAL DE COLIGNY

TROISIÈME PARTIE

 

CHAPITRE IV.

 

 

Le maréchal de Cossé à La Rochelle. — Second mariage de l'amiral. — Mort d'Odet de Châtillon. — Négociations pour le retour de Coligny à la Cour. L'expédition de Flandre. — Mort de Jeanne d'Albret. — Influence de l'amiral sur Charles IX. — Catherine de Médicis se décide à s'en débarrasser.

 

Arrivé à Saint-Gaultier, Coligny écrivit au conseil de Genève (5 octobre) pour lui annoncer la conclusion de la paix. Les princes protestants d'Allemagne, peu après, félicitèrent Charles IX de cette heureuse solution et il n'y eut que du côté des catholiques, de Philippe II, du pape Pie V, qu'on entendit des récriminations. — Plût à Dieu, écrivait le pontife au cardinal de Bourbon, que le Roi eût pu comprendre qu'il est exposé à de plus grands dangers depuis la conclusion de cette paix, par les menées sourdes et la fourberie de ses adversaires, qu'il ne l'était durant la guerre. — Mais des deux côtés on était las du conflit ; si l'on ne désarmait pas on avait besoin d'une période de repos et l'amiral, pour ce qu'il voulait entreprendre, ne pouvait se passer du secours de Charles IX. En gagnant La Rochelle, où il se savait en sûreté, il voulait d'abord laisser rasseoir les émotions des catholiques, subvenir à ce qui serait requis et nécessaire pour pourvoir à la sûreté des quatre villes baillées en garde par le Roi et aviser aux choses dont il faudrait donner avertissement pour l'entretien de l'édit de pacification[1]. Toutefois, il arriva seulement le 25 octobre, après différents retards, en compagnie des princes de Condé et de Navarre, et du comte Ludovic de Nassau. Les réformés, du reste, n'étaient nullement rassurés pour l'avenir. De La Rochelle, ils observaient l'exécution du traité, se plaignant sans cesse des édits interprétatifs, exprimant leur défiance au sujet des personnages employés par Charles IX. Ils redoutaient les menées du parti catholique et ce fut inutilement que l'amiral, les princes, Jeanne d'Albret furent invités lors des fêtes données à l'occasion du mariage du Roi. Ils répondirent que, pour leur propre sûreté, ils ne pouvaient s'acheminer à la Cour qu'avec une forte escorte, et que justement cette escorte susciterait des interprétations malveillantes. La population catholique partout leur restait hostile, ils le savaient, et journellement ils avaient à signaler des infractions au traité. — Aux réclamations des huguenots, Charles IX envoya des commissaires dans les provinces et adressa à La Rochelle le maréchal de Cossé avec Goureau de La Proutière, chargés d'entrer en conférence avec l'amiral et la reine de Navarre. On les fit accompagner pas des troupes, mais les négociations n'en furent pas moins laborieuses. — La Proutière prétendait qu'il y avait contradiction entre l'article 1er du traité, prescrivant l'oubli du passé, et l'article 27 qui autorisait la restitution des meubles dont les propriétaires auraient été dépouillés durant les troubles. De son côté, Coligny réclamait la remise de Lectoure, qui avait été enlevé à la reine de Navarre ; des châteaux et maisons du prince de Condé, toujours occupés par des intrus ; il s'élevait contre les sentiments d'hostilité de l'entourage du Roi et les forces militaires qu'on entretenait sans propos, apportant la ruine du peuple et des dépenses inutiles. Il protestait de la sincérité des réformés qui s'étaient même engagés à payer, pour la solde des troupes allemandes, plus qu'ils n'avaient vaillant afin de prouver leur bonne foi, pour obtenir le libre exercice de leur religion et le bien de la paix, et n'avaient pas hésité à accepter les conditions les plus dures. Il reprenait ensuite les vieux griefs des sectaires : la conjuration de Bayonne ; la levée des Suisses, sous prétexte du passage des troupes commandées par le duc d'Albe ; la rupture de la paix de Longjumeau, etc. Il trouvait que les protestants avaient raison de se méfier, voyant continuer les mêmes errements, et les mêmes hommes restés au pouvoir, — sans parler du complot fait avec les étrangers pour assurer leur ruine et des villes qui leur étaient favorables chargées en garnison et mal traitées. Bref, il n'y avait eu que de belles paroles et peu de suite ; on envoyait dans les provinces pour savoir les moyens d'exterminer ceux de la religion ; en Espagne, Portugal et Italie pour connaître ce que chacun pourrait verser d'argent à cet effet ; on complotait enfin de se saisir de la reine de Navarre et des princes dès qu'ils seraient sortis de La Rochelle. Cossé répondit du mieux qu'il put et représenta que si l'on faisait entreprise de prendre les villes et pays voisins de La Rochelle, c'est que la présence des princes et de Jeanne d'Albret y était suspecte. L'amiral objecta que ce séjour était nécessaire pour la levée des deniers qui devaient rembourser le Roi et parla des difficultés nombreuses que cette mesure rencontrait. Mais à la vérité, c'était surtout leur sûreté personnelle que défendaient les réformés. Il leur fallait encore, il est vrai, payer les troupes étrangères car le Roi n'en avait soldé qu'une partie ; le reste se montait beaucoup et Charles IX dut finalement autoriser la levée des subsides. — Cossé fit ensuite des ouvertures au sujet d'un mariage entre le prince de Béarn et la jeune Marguerite de Valois, troisième fille de Catherine, et Jeanne d'Albret promit d'en entretenir son fils. Il parla enfin des intentions du Roi d'envoyer des troupes en Flandre contre l'Espagne. — Il avait réservé pour la fin cet argument dont il connaissait toute la portée. C'était le point sensible, le friand appât de l'amiral, dit d'Aubigné. Coligny se hâta de donner son assentiment, promit un concours actif, — mais, défiant encore, résolut de ne pas quitter La Rochelle. Il écrivit d'ailleurs au Roi, à Catherine, au duc d'Anjou[2], se répandit en protestations, — et profita de l'occasion pour réclamer en faveur des héritiers de d'Andelot, dont le sieur de Bartezieux détenait les meubles. Mais Charles IX, inutilement encore, essaya de l'attirer à la Cour, ainsi que les princes et la reine de Navarre[3]. Malgré ses réclamations enfin, on démantela Millau et Saint-Antonin[4]. Au lieu de L'Hospital, auquel avait succédé Jean de Morvillers, évêque d'Orléans, c'était dorénavant l'Italien René de Birague qui avait les sceaux, au grand scandale des religionnaires[5]. La cour d'Espagne intriguait pour faire prendre contre eux des mesures effectives et l'ambassadeur comte d'Olivarès, qui vint en France pour féliciter le Roi de son mariage, ne s'en cachait pas[6]. Les troubles continuaient en province et il y avait eu des massacres à Orange (2 et 7 février) et à Rouen (4 mars)[7]. — Charles IX, toutefois, promit justice et fit tant pour rassurer l'amiral que plusieurs, voyant les huguenots en tel crédit, disaient qu'ils lui avaient dérobé le cœur[8].

Mais Coligny avait à régler des affaires de famille, et la première concernait sa fille Louise, qui fut alors fiancée à Téligny. Elle avait seize ans et semble avoir été une charmante femme, jolie et fine, dont le sort malheureux fut adouci plus tard lorsqu'elle épousa le prince d'Orange[9]. — Un bien autre événement fut le mariage de l'amiral lui-même avec Jacqueline de Montbel, comtesse d'Entremonts, marquise de Montelin et de Saint-André, qui avait épousé à vingt ans Basternay du Bouchage, baron d'Anton, tué à la bataille de Saint-Denis. — Retirée au château de Saint-André de Briord, près du Rhône, avec ses père et mère, Jacqueline se trouvait sur la route des messagers, venus de Bourges, de La Rochelle, du Midi et qui gagnaient Genève et l'Allemagne. Son manoir devint une étape pour les protestants. Le récit de ces sectaires, souvent jeunes, enthousiastes toujours, la passionnèrent. Elle était d'une beauté agréable, car on ne l'appelait que la belle aux yeux pers ; elle était poursuivie d'hommages, regrettée à la cour du Louvre et recherchée à celle de Turin[10]. Elevée dans un milieu tout catholique, elle rêva de se faire la servante d'un héros, — du héros protestant, — Coligny ; de remplir auprès de celui qu'on appelait par dérision le Roi des huguenots[11] le rôle d'amie et de consolatrice. Elle souffrait de le voir frappé dans ses plus chères affections ; elle était prise d'admiration pour son héroïsme et ses malheurs. Elle brûlait, disait-elle, de désir et d'impatience d'être la nouvelle Martia de ce nouveau Caton. C'était le jargon de l'époque. Mais l'amiral, comme homme, devait être fort peu engageant. II était vieux, — vieilli surtout — et pis, de caractère désagréable. Ses portraits de l'époque[12] lui donnent le visage dur, presque coupant, chagrin ; épouser ce huguenot à la figure volontaire, têtue, au front étroit, c'était épouser la Bible. Mais les raisons des femmes ne sont jamais les nôtres et il ne faut pas trop les approfondir car elles ne se décident que par ce qui leur plaît. — Le duc de Savoie, Philibert Emmanuel, se défiait du caractère entreprenant de la comtesse. Pourvue de grands domaines, elle pouvait, par un mariage avec cet homme dangereux, compromettre le tiers de sa frontière française, tellement, dit Davila, qu'il l'avait déjà voulu marier à quelque Italien, et qu'ayant appris ses menées avec ceux de la religion, il appréhenda fort que Coligny, étant si grand et si puissant en ses intrigues, ne se servît du voisinage de Genève pour allumer en son pays ce même feu qui consumait toute la France. Le bruit s'était déjà répandu (octobre 1570) qu'il devait l'épouser ; que le mariage même était fait (décembre)[13]. Le duc de Savoie rendit à Turin un arrêt curieusement motivé par lequel toute femme ou fille, héritière de fiefs, qui se marierait avec un étranger sans le consentement du prince, serait par le fait privée de tous ses droits civils de telle sorte que sa succession s'ouvrirait aussitôt, non au profit de ses enfants mais de ceux qui auraient eu droit à ses biens si cette femme n'avait jamais existé. — Mais la comtesse d'Entremonts passa outre. Aux dernières semaines de 1570, elle écrivait à Coligny qu'elle voulait épouser un saint et un héros, et que ce héros c'était lui. L'amiral refusa d'abord tout en remerciant ; il se montra touché, mais prétexta son âge, sa situation difficile. Je ne suis qu'un tombeau ![14] disait-il. Mais ses scrupules, pour tant qu'ils aient été sincères, n'arrêtèrent ni la comtesse, ni les amis obligeants qui s'étaient entremis. On le poussa. Th. de Bèze, toute la huguenoterie voyaient avec plaisir une telle union et cette veuve enthousiaste qui apportait en dot des positions formidables ; qui pouvait servir le parti rien que par le don de sa seigneurie, — porte ouverte sur Genève. Coligny finit par se rendre, convaincu, et demanda la main de la belle Jacqueline par l'intermédiaire du comte de Rezay. Il était trop honnête homme, dit Michelet, pour n'épouser que ses fiefs. Il aima fortement celle qui adoptait ses enfants. Sans doute, mais l'affaire était quand même excellente. C'était l'âge héroïque du protestantisme où tous les chefs semblaient des héros, — de quoi enthousiasmer toutes les têtes brûlées. En février 1571, la comtesse, secondée par ses parents, quitta Saint-André de Briord où le duc de Savoie la faisait surveiller. Elle descendit le Rhône jusqu'à Lyon sur une barque, prit des chevaux et gagna La Rochelle avec cinq amis dévoués. — Le contrat fut dressé le 24 mars, en présence de Jeanne d'Albret, de son fils, de François de Bourbon, marquis de Conti ; de Ludovic de Nassau, du comte de La Rochefoucauld et du seigneur de Beaufort, et le mariage célébré le lendemain. La mariée, dit un écrit du temps, portait une robe à l'espagnole de toile d'or, noire avec des bandes de canetille d'or et d'argent, et par-dessus un pourpoint de toile d'argent blanche, en broderie d'or avec de gros boutons de diamant[15].

Mais cette union extraordinaire n'était pas célébrée que l'amiral apprenait la mort de son frère Odet. Catherine, qui entretenait avec lui de vieilles relations dont parle la chronique galante de l'époque, l'avait chargé de négocier le mariage du duc d'Anjou avec Elisabeth. L'affaire plaisait aux huguenots, car elle aurait eu au moins pour résultat d'éloigner de France le prince qui avait commandé à Jarnac et à Moncontour ; elle semblait en bonne voie et Odet s'apprêtait à gagner La Rochelle lorsqu'il tomba malade (24 février). Il trépassa dans le courant de mars[16] et, comme d'habitude, on accusa le poison ; mais on sait aujourd'hui par les rapports médicaux que l'ex-cardinal de Châtillon mourut d'une affection cachétisante, un ulcère rond à l'estomac[17]. — Qu'on nous permette de passer sur les manifestations de la douleur fraternelle montrée par Coligny, qui n'était pas homme, d'ailleurs, à l'étaler longtemps. — Avec l'autorisation du Roi, on ouvrit peu après un synode protestant dans la ville. On y fit venir Théodore de Bèze et l'assemblée se réunit le 2 avril sous sa présidence. Le synode régla des questions de doctrine et de discipline et recommanda aux religionnaires de rester bons et loyaux serviteurs de Dieu et du Roi, et de payer l'impôt annuel pour la solde des reîtres jusqu'à l'entière satisfaction. C'était déjà l'église organisée[18]. — L'amiral continuait d'ailleurs de correspondre avec le Roi avec de grandes affectations de franchise. On l'accusait de vouloir recommencer la guerre et ses lettres n'étaient guère que pour protester ou pour se plaindre[19]. Téligny, qui négociait à la Cour dans l'intérêt des réformés, revint vers ce temps à La Rochelle et peu après épousa Louise de Coligny[20]. Ce fut enfin Castelnau qui fut envoyé par le Roi et discuta la question des prises espagnoles qu'on continuait à conduire dans le grand port protestant, au risque — ou peut-être avec l'intention — d'amener la guerre. La réception qui lui fut faite fut d'ailleurs enthousiaste et il put ensuite écrire à Catherine : Je trouve M. l'admirai fort affectionné à ce que vous m'avez commandé de lui dire, et y veut marcher de bon pas et fidèlement et vous supplie en attendant tenir la main à ce que vous avez promis pour leur cause[21]. Coligny, en somme, ne s'oubliait pas. Il avait fini par gagner son procès à propos des désordres d'Orange et de Rouen. La principauté fut remise à son titulaire et le Roi fit punir les émeutiers de Normandie. Il affectait de défendre les droits des sujets de Charles IX, comme par exemple à l'égard de Philippe II, pour obtenir un meilleur traitement dans les colonies[22] et ce fut sur ses instances que la Cour adressa en 1571 des représentations au roi d'Espagne. Mais il sous-entendait toujours l'émigration protestante, qui n'avait eu jusqu'alors que des résultats malheureux. Son rêve était de s'attaquer à Philippe II comme roi catholique et il y poussait Charles IX qui, de son côté, aurait voulu s'affranchir de la tutelle de l'Espagne et de la papauté. Il fallait d'abord arriver à l'apaisement. L'exécution de l'édit de pacification n'était pas complète et les protestants voulaient obtenir l'égalité de droits des deux cultes. Les politiques, qui avaient l'oreille du Roi, y travaillèrent, mais ils avaient à lutter contre la mauvaise volonté générale[23]. — Ils mirent alors en avant plus que jamais le projet de mariage du prince de Navarre avec Marguerite de Valois, et appuyèrent le projet d'expédition dans les Flandres ; ils y voyaient le gage certain d'un rapprochement et une diversion au delà de la frontière concordant avec la politique de l'Angleterre et des princes allemands hostiles à l'Espagne. Dans l'intervalle, on reparla du mariage d'Elisabeth avec le duc d'Anjou, contre lequel les huguenots excitaient la jalousie de Charles IX pour l'accaparer plus sûrement. Les négociations menées par Walsingham et Briquemaut, qui en avait averti l'amiral confidemment et de bouche, seul pour en user ou les mettre en avant selon sa discrétion[24], se poursuivirent à La Rochelle, malgré l'inconsistance, la jalousie et la méchanceté de la reine de Navarre, dit La Huguerye. On consulta le comte de Nassau ; mais après de longues discussions entre les réformés, le projet fut abandonné, — par suite, dit-on, des intrigues des affidés de l'Espagne et de Rome[25]. — Coligny, en attendant d'intervenir en Flandre, se proposait d'attaquer les. Espagnols dans le Nouveau Monde. Il fit même partir une flotte qui devait faire une diversion tandis qu'on bataillerait dans les Pays-Bas. Mais le duc d'Albe, qui apprit les armements des huguenots et leurs projets sur la Belgique, s'en plaignit hautement à Charles IX. Philippe II, de même, s'inquiétait. Son ambassadeur, don Francis de Alava, vint trouver le Roi et le menaça de la guerre. Il n'en tira du reste que des dénégations et des rodomontades. Le comte de Nassau eut avec Charles IX, qui prit prétexte de le détourner de tout projet hostile à l'Espagne[26], une entrevue secrète, où d'avance on se partagea ses dépouilles ; la France devait avoir la Flandre et l'Artois ; le Brabant, la Gueldre et le Luxembourg revenaient à l'empire ; à l'Angleterre, la Zélande et le reste des îles[27]. Mais Charles IX, tout en paraissant entrer dans ces vues, voulait consulter Coligny qui se trouvait tout désigné pour commander l'expédition. Il engagea Ludovic de Nassau à le presser de se rendre à la Cour, fit les mêmes recommandations à Téligny et écrivit encore à l'amiral. — Téligny, La Noue, le comte de Nassau, de retour à La Rochelle, engagèrent fort Coligny à céder au désir du Roi et de nouveau fut mis en avant le projet de mariage entre Marguerite de Valois et Henri de Béarn. L'amiral, a-t-on raconté, avait du commencement cette affaire du mariage fort suspecte ; mais ses soupçons tombèrent quand son gendre lui eut remontré la bonne volonté de Charles IX. Catherine, se doutant aussi que si l'on ne battait le fer tandis qu'il était chaud, il y avait danger que l'amiral et la reine de Navarre inventassent quelque difficulté pour tout rompre, leur envoya pour les solliciter le sieur de Biron, chargé en outre de faire venir en Cour le sieur amiral afin d'aviser aux moyens de pacifier le royaume et pourvoir aux autres affaires[28]. Mais Jeanne d'Albret atermoya, partit pour le Béarn en remettant sa réponse. Coligny, pressé par les politiques, était à peu près décidé au voyage, espérant battre en brèche le crédit de la Reine mère et du duc d'Anjou, et aussi parce qu'il savait que le Roi faisait mauvais visage à ceux de Guise, tandis que les Montmorency se maintenaient en Cour, — auxquels Charles IX faisait continuellement son éloge[29]. Toutefois, il y eut d'autres délais. Autorisé par le Roi à s'entourer d'une garde de cinquante gentilshommes[30], il voulait encore faire lever les garnisons des villes environnant La Rochelle. Il annonça son départ, le remit encore à la fin d'août[31], affectant d'ailleurs d'être rassuré sur les intentions du Roi : — Rien ! Rien ! faisait-il à ceux qui le dissuadaient ; je me fie en mon Roi et en sa parole ; autrement ce ne serait point vivre que de durer en telles alarmes ; il vaut mieux mourir un brave coup que de vivre cent ans en peur[32]. — Il évita pourtant d'emmener sa femme. Il la laissa à La Rochelle, confiée à Condé qu'il avait constitué son représentant dans la région de l'ouest, et flatté dans son orgueil, espérant profiter de la faveur du Roi pour avancer autant ses affaires que celles du parti, — poussé, peut-être, dit Pasquier, par ce merveilleux et épouvantable jugement de Dieu qui court contre nous[33], il rejoignit Cossé et tous deux enfin se dirigèrent vers Blois (12 septembre).

Les Guise avaient déjà été éloignés. Coligny se rendit près de Charles IX et de la Reine mère et fut reçu avec amabilité, mais sans grandes démonstrations. Lorsqu'il s'agenouilla devant le souverain, celui-ci le releva en riant, l'embrassa et se mit à dire : Nous vous tenons maintenant, monsieur l'amiral, vous n'échapperez pas d'ici quand vous voudrez. Il déclara ensuite qu'il regardait comme le plus beau jour de sa vie celui où ce retour assurait la paix et la tranquillité du royaume[34]. Coligny, bien qu'étonné d'abord, n'attacha aux paroles échangées qu'un sens favorable[35]. — Le logis qu'on lui donna, raconte La Huguerye, était dans la basse cour du château ; mais pour sa personne seule, sans aucune suite. Nous fûmes contraints de faire remplir les salles et chambres de paillasses pour nous coucher. Les huguenots restaient défiants et l'amiral essaya de les rassurer, toutefois sans dissiper entièrement leurs appréhensions. Beaucoup de catholiques, de même, se tenaient sur la réserve, si quelques-uns comme le duc de Montpensier se rapprochèrent après explications. Mais Charles IX, qui tenait à donner à Coligny des gages de sa faveur, le réintégra dans ses charges et dignités et l'invita à reprendre sa place au Conseil privé. Il eut ensuite avec lui différentes conversations touchant la politique générale et surtout l'expédition de Flandre, en même temps que sur un projet d'alliance à conclure avec l'Angleterre et les protestants d'Allemagne[36]. — L'expédition de Flandre surtout devenait la grande affaire du règne. C'était le vieux rêve des protestants, jeter contre l'Espagne catholique toutes les forces de la France devenue le champion du protestantisme et les faire commander par Coligny ; saper en même temps la puissance du roi d'Espagne et l'autorité du Pape ; mettre aux prises les catholiques de Philippe II et ceux de Charles IX, et pour ce qu'ils ne pouvaient faire avec les seules forces des religionnaires, réussir à y entraîner le pays, c'eût été un coup de maître ! — Mais l'amiral avait-il les qualités d'un général en chef ? Très fort quand il allait contre des gens désarmés et des populations inoffensives, eût-il réussi contre les vieilles bandes qui l'avaient fait capituler à Saint-Quentin, c'est une question que rien ne permet de résoudre par l'affirmative, et s'il était organisateur, rien ne prouve que Coligny eût enlevé d'enthousiasme ses troupes comme le duc de Guise à Calais et à Metz[37]. — Le projet, toujours est-il, fut longuement mûri et caressé ; parlant un jour avec Coligny de cette expédition et sachant que Catherine ne la voyait pas favorablement : — Mon père, dit le Roi, il y a une chose à laquelle il nous faut bien prendre garde ; c'est que la Reine ma mère, qui veut mettre le nez partout, comme vous savez, ne sache rien de cette entreprise, au moins quant à présent, car elle nous gâterait tout. — Ce qu'il vous plaira, Sire, répondit l'amiral, mais je la tiens pour si bonne mère et si affectueuse au bien de votre Etat que quand elle le saura, elle ne gâtera rien ; elle pourrait, au contraire, beaucoup nous y aider, joint qu'à lui celer, je trouve des difficultés et de l'inconvénient. — Vous vous trompez, reprit le Roi ; je vois bien que vous ne connaissez pas la Reine. C'est la plus grande brouillonne de la terre (2)[38]. — Charles IX, entre temps, lui accorda une somme de 100.000 livres en dédommagement de ses pertes durant la dernière guerre, et le revenu pendant un an de tous les bénéfices dont se trouvait pourvu le cardinal de Châtillon au moment de sa mort. II pouvait, en outre, revendiquer tous les meubles et objets précieux enlevés de son château partout où il les trouverait. Les catholiques, dans ces guerres civiles du seizième siècle, finissaient toujours par payer les pots cassés. — Téligny et Cavagne eurent également part dans cette distribution des faveurs du Roi ; tout ce qui s'accordait de grâces à la Cour était alors pour les gentilshommes de la suite de Coligny. —L'amiral, bien appuyé par Charles IX[39], s'attachait du reste à faire respecter l'édit de pacification. Mais les faveurs, quand même, n'étaient pas pour les petites gens et l'on continua à lever des deniers parmi les religionnaires pour payer les Allemands licenciés[40]. Afin d'essayer son crédit, ou par zèle pour la Réforme, Coligny demanda ensuite la destruction d'un monument dit la Croix de Castines, qui portait le texte d'un arrêt du Parlement et avait été élevé à Paris, en 1569, après exécution judiciaire, sur l'emplacement d'une maison où les huguenots avaient célébré la Cène. La croix, placée sur une pyramide de pierre dorée et diaprée, était encore ornée d'une inscription en vers latins, — on disait d'Etienne Jodelle, qui n'eût oncques autre Dieu que le ventre et semblait se moquer autant des protestants que des catholiques. Malgré l'opposition de Francis de Alava, dont le Roi et Catherine demandèrent du reste la révocation, l'enlèvement eut lieu, mais provoqua une émotion du populaire. Il y fallut procéder de nuit et transporter la croix au cimetière des Innocents[41]. — L'amiral, qui avait eu gain de cause, profita encore de son crédit pour faire écrire par Charles IX au duc de Savoie, au sujet des réformés de ce pays qui étaient venus donner la main à ceux de France[42]. — Pourtant, tandis qu'il se croyait à l'abri de tout danger, le duc de Montpensier, inquiet de le voir entrer seul dans les appartements du Roi et de la Reine mère, le détrompa et lui recommanda la prudence. Catherine, du reste, essayait de le gagner, de se le concilier avec, à son tour, des affectations de franchise : — Vous ne pouvez pas plus vous fier à moi, lui disait-elle, que je ne puis me fier à vous, qui avez pris les armes contre mon fils ; pourtant je vous assure que si je vois en vous, désormais, un sujet et serviteur fidèle, vous trouverez en moi appui et faveur. — Mais bien que Coligny ne parût point s'en inquiéter, elle prenait surtout ombrage de son influence. Il présidait le Conseil en l'absence de Charles IX ; il présenta une requête pour obtenir de fixer la situation des réformés ; et le Roi l'accueillit favorablement. II fit même venir sa femme, qui fut bien reçue des souverains. — En octobre, il retournait à Châtillon. Il s'occupait alors de mesures à prendre pour réprimer la piraterie[43], et fut rappelé à Paris dans les premiers jours de novembre. Il conseillait toujours l'alliance anglaise, une entente avec les princes protestants d'Allemagne[44]. Il poussait au mariage du prince de Béarn avec Marguerite de Valois comme meilleur moyen d'affermir les cœurs sans préjudice de la religion. Sur la fin du mois, il était de retour à Châtillon. — Cependant les Guise, qui n'avaient pas désarmé malgré la comédie de réconciliation jouée autrefois à Moulins, projetaient de l'y attaquer. L'amiral informé avait averti le Roi[45], car tout brave qu'il était, il tenait à prendre ses précautions. Mais un ordre de Charles IX confina les Guise dans leurs châteaux, où ils continuèrent d'ailleurs leurs menées et leurs apprêts hostiles[46]. — Au début de 1571 enfin, le bruit se répandit que Coligny devait visiter le comte d'Entremonts, son beau-père, et le duc de Savoie se montra inquiet ; mais l'hiver et le printemps de la nouvelle année s'écoulèrent sans qu'il quittât son château[47]. Lors des négociations qui se poursuivaient pour le mariage de Marguerite de Valois, l'amiral fut rappelé à Blois[48]. Mais Charles IX l'éloigna à l'arrivée du cardinal Alexandrini qui accourait avec charge d'empêcher l'union projetée, et Catherine retint également Jeanne d'Albret à Chenonceaux. — Depuis les premières ouvertures qui lui avaient été faites, la reine de Navarre avait bien changé d'avis. Elle voyait dans la fortune inattendue de son fils non plus un péril, mais une chance pour la cause dont l'avenir la préoccupait. Elle se rapprochait du trône et le prince avait chance d'y acquérir des droits éventuels. Mais Catherine, tout en s'employant pour amener le mariage de sa fille, aurait voulu qu'il se fît dans de bonnes conditions, — c'est-à-dire que son futur gendre se mît catholique. — La discussion pouvait être longue. On me traite à la fourche, écrivait à son fils la vieille protestante, que cette comédie rendait perplexe. La discussion finit par porter sur les formes du mariage ; Charles IX déclara qu'il aurait lieu à Paris et qu'il attendait une dispense du pape tant pour le parentage que pour dresser quelque cérémonie propre à contenter chacun. On sait que la dispense tardant, on se décida à s'en passer[49]. — Les conditions furent arrêtées le 11 avril. Peu de jours après fut signé, avec l'Angleterre[50], un traité d'alliance défensive, portant même sur la religion selon une déclaration particulière du Roi[51]. En même temps, on envoya Gaspard de Schomberg en Allemagne pour traiter avec l'Electeur palatin et d'autres princes, au sujet d'une ligue offensive et défensive. On députa également vers le duc de Toscane pour obtenir le prêt d'une somme destinée aux frais de la guerre. Les protestants étaient si heureux et confiants de voir les affaires prendre ainsi la tournure qu'ils souhaitaient que, sur les indications de Coligny, ils avancèrent l'époque de restitution des places de sûreté, qui ne devait avoir lieu qu'à la fin d'avril et auxquelles ils renoncèrent à la grande joie de Charles IX[52]. Par contre, il fut notifié officiellement à Coligny qu'une déclaration royale du 27 mars mettait un terme aux poursuites que les Guise avaient recommencées contre lui[53]. Les préparatifs de la guerre d'Espagne étaient du reste poussés avec activité. Le Roi, maladif comme tous ceux de son sang, impressionnable et nerveux, accessible par ce côté à la séduction des grandes idées et des grands caractères, se laissait peu à peu dominer par Coligny[54]. Il se sentait entraîné ; il désirait cette guerre qui devait pacifier son royaume et glorifier son règne[55]. Il avait promis une armée pour les Pays-Bas sous le commandement de l'amiral, et Ludovic de Nassau avait été autorisé à franchir la frontière à la tête d'un corps de partisans réunis en Picardie. Des munitions et des vivres étaient à sa disposition. Malgré les plaintes du duc de Longueville, gouverneur ; malgré les protestations contraires du Roi, qui jouait double jeu et se réservait de désavouer les huguenots en cas d'échec, l'expédition était décidée. Tandis que Coligny le pressait à déclarer la guerre et soutenait Ludovic de Nassau qui s'était déjà emparé de Mons et de Valenciennes (24 et 29 mai)[56], il écrivait encore au vicomte d'Orthe, gouverneur de Bayonne, en déclarant ne rien savoir de cette tentative d'invasion.

Les préparatifs du mariage de Marguerite de Valois avec Henri-de Bourbon se poursuivaient cependant à Paris, où Jeanne d'Albret était arrivée dans la première quinzaine de mai. Elle était descendue chez Jean Gaillart, naguère évêque de Chartres et qui s'était fait protestant. Mais elle était très fatiguée et le 4 juin fut prise d'une fièvre violente. Se sentant fort pressée du mal qu'on lui voulait faire plus léger, elle vit bien qu'il lui fallait du tout entrer en l'autre vie, et pourtant s'apprêta-t-elle à recevoir de la main de Dieu ce qu'il lui plairait ordonner, jusqu'à se résoudre constamment à la mort, requérant toujours instamment qu'elle ne fût point destituée de ce qu'elle avait eu toute, sa vie le plus cher et précieux, à savoir quelque consolation prise de la parole de Dieu, avec prières continuelles[57]. — Aux premières nouvelles de la maladie, l'amiral était accouru. Elle lui recommanda surtout ses enfants. Elle protesta que la vie lui était peu de chose pour son regard particulier vu qu'elle ne cessait continuellement d'offenser Dieu en cette chair ; mais qu'elle regardait à la jeunesse des enfants qu'il lui avait donnes, pour les voir privés de sa présence en ce bas âge[58]. Et toutefois, dit-elle, je m'assure que Dieu leur sera bon père et protecteur comme il m'a été en mes plus grandes afflictions ; de sorte que je me remets du tout à sa providence afin d'y pourvoir[59]. Elle mourut le 9 juin, âgée de quarante-quatre ans, et une fois de plus, on accusa le poison[60]. La veille, elle avait dicté son testament et recommandé à son fils l'amitié et l'union avec l'amiral. Le cardinal de Bourbon et Coligny étaient désignés comme ses exécuteurs testamentaires.

Malgré les préoccupations de ce deuil, l'amiral continuait à préparer l'expédition de Flandre. Des forces, on l'a vu, étaient concentrées à proximité de La Rochelle, et devaient descendre par mer, commandées par Strozzi et La Garde, tandis que lui-même pénétrerait par le Hainaut. C'était là le grand projet dont Brantôme parle avec enthousiasme[61]. Mais le duc d'Albe reprit Valenciennes et assiégea Mons, — nouvelle cause d'hésitation pour Charles IX, qui en écrivit comme si tout s'était passé sans son consentement[62]. Coligny, qui faisait alors travailler à Châtillon, revint hâtivement, se méfiant de l'influence de Catherine. Mais c'était au Conseil qu'avaient lieu les plus vives discussions. Tavannes ayant déclaré qu'il ne voulait pas que les vaincus conduisissent les vainqueurs, l'amiral, piqué, répliqua dans un accès de colère : Qui empêche la guerre d'Espagne n'est pas bon Français et a une croix rouge dans le ventre[63]. Coligny, ayant parlé ensuite des gentilshommes qu'il pouvait envoyer en Belgique : — Sire, s'écria le maréchal, celui de vos sujets qui vous porte telles paroles, vous lui devez faire trancher la tête. Comment vous offre-t-il ce qui est à vous ? C'est signe qu'il a gagné et corrompu les vôtres et qu'il est chef de parti à votre préjudice. Il a rendu vos sujets à lui pour s'en aider à dessein contre vous[64]. L'Angleterre, enfin, voyait de mauvaise part cette expédition de conquête, et l'envoyé Middlemore ne s'en cachait nullement. Il avait été invité à souper chez l'amiral avec sir Arthur Champernon (10 juin 1572) et à la fin du repas, Coligny le prit à part et, après les habituelles protestations de reconnaissance et de dévouement envers Elisabeth, aborda la grande question. Il insista sur la puissance, sur la richesse du roi d'Espagne, sur l'inimitié qu'il n'avait cessé de porter à l'Angleterre ; il représenta les dangers qu'il y aurait s'il venait à l'emporter dans les Flandres, son dessein étant de devenir le monarque suprême de la chrétienté. Il fallait brider cette ambition, profiter des troubles, et il avait tout préparé pour une action commune. — Middlemore fit observer qu'il n'avait pas qualité pour traiter de pareilles matières, mais, pressé de donner son sentiment, il finit par dire qu'en Angleterre on désirait surtout que la France et l'Espagne gardassent ce qui leur appartenait ; que leur situation restât ce qu'elle était avant la guerre, car l'agrandissement de l'une ou de l'autre pouvait devenir un réel danger. Ce que l'on craignait, surtout, c'est que la France ne s'emparât des Flandres, ce qu'à aucun prix on ne voulait souffrir. — L'amiral, déçu, fit toutefois bonne contenance. Il approuva même le langage de Middlemore, mais fit observer que la Reine s'unissant à Charles IX aurait eu sa part des avantages à recueillir ; que, du reste, il n'avait en vue que son contentement, son honneur, mais que le véritable danger était de laisser passer l'heure et de perdre une si belle occasion[65]. Il parla ensuite de la ligue qui unissait les deux nations, du projet de mariage d'Elisabeth avec le duc d'Anjou, et les choses en restèrent là. L'Angleterre, en somme, voulait bien affaiblir l'Espagne, mais répugnait à augmenter les possessions du roi de France. L'amiral, qui se croyait sûr du succès, avait organisé cependant, avec l'assentiment de Charles IX, tiraillé entre les deux opinions contraires, une expédition de secours réclamée par Ludovic de Nassau, toujours assiégé à Mons. Le marquis de Renel devait partir avec 1.000 chevaux et 3.000 hommes de pied ; le sieur de Briquemaut avec 3,500 hommes de pied et 1.000 chevaux, qui devaient marcher sur Cateau-Cambrésis, tirer à Philippeville, passer la Meuse et joindre le prince d'Orange[66], tandis que l'amiral lui-même aurait suivi avec 1.200 hommes de pied et 3.000 chevaux. — Mais le Roi retarda encore, donnant pour prétexte les noces imminentes de sa sœur. Non seulement il se refusait, du reste, à déclarer la guerre, mais il protestait officiellement de son désir de rester en paix avec Philippe II. Il ne voulait pas rompre avec l'Espagne, ni repousser absolument, en somme, les conseils de Coligny. Son entourage d'ailleurs était hostile à l'expédition. Les hommes éclairés la blâmaient. Venise avait même envoyé comme ambassadeur extraordinaire Giovanni Michieli, avec charge de détourner Charles IX de cette folie. — Il essayait de rassurer l'amiral, en lui affirmant qu'il persistait dans ses intentions de passer la frontière à main armée, et Coligny allait l'emporter peut-être quand Catherine intervint. — Le Roi était allé chasser à Montpipeau et l'amiral avait regagné Châtillon pour ses derniers préparatifs. La Reine n'hésita plus. Prévenue par Retz et de Sauve, elle accourut. Il lui fallait se défaire de Coligny ou se résigner à la guerre. La scène qui eut lieu avec Charles IX fut d'ailleurs terrible. On la reconstitue à travers le mauvais récit de Tavannes et l'on peut imaginer quelle rancœur en garda Catherine. Elle reprocha à son fils de se cacher d'elle pour prendre conseil de ses ennemis ; elle lui représenta la situation du royaume, sans troupes et sans argent, rongé par les sectaires et sortant à peine de la guerre huguenote pour retomber dans la guerre espagnole. Les calvinistes ne le poussaient que pour arriver à soumettre la France ; et c'était vrai ; dans la misère du temps, cette poignée d'hommes sacrifiait tout, et le pays d'abord, pour arriver à son idéal. Elle termina en suppliant Charles IX de la renvoyer à Florence, puisqu'il n'avait que faire de ses conseils. — Le Roi, hésitant, décontenancé, ne savait que répondre. Catherine se retira à Montceaux pour y passer la nuit, et il accourut derrière elle, redevenu le petit garçon qu'elle avait si longtemps mené, conduit à la bride[67]. Il trouva Tavannes, Retz, de Sauve qui lui remontrèrent à leur tour les menaces, braveries et entreprises des huguenots[68], et là non plus il n'eut rien à dire. Mais avec les idées de gloire et d'entreprise militaire que lui avait mis en tête Coligny, il ne voulait pas renoncer à l'expédition de Flandre. Catherine le supplia encore de la renvoyer en Italie. Elle n'en voulut pas dire davantage et il finit par se rendre. Il se laissa de nouveau, dit Tavannes, poser en ennemi des protestants.

Sur la nouvelle que Charles IX était en conférence avec sa mère, l'amiral, cependant, avait quitté Châtillon, malgré les av :s nombreux qui lui parvenaient, dit-on, lui conseillant la défiance[69]. Il courut chez le Roi, qui, d'ailleurs, n'osa pas revenir sur sa décision précédente et embarrassé lui dit seulement qu'après avoir causé avec la Reine et son frère, et avoir considéré certaines choses importantes, il désirait qu'on en parlât en leur présence dans le Conseil. Il ne voulait pas assumer seul la responsabilité de l'agression. Il engageait donc Coligny à rédiger un mémoire dans lequel il exposerait les avantages de son plan, les moyens de l'exécuter, les chances de succès, etc. Ce serait la base d'une nouvelle délibération. — L'amiral, entendant nommer le Conseil, qui lui était hostile, il le savait, répondit qu'il valait tout autant n'en pas parler, étant cette assemblée composée de gens de robe longue qui étaient opposés à la guerre, et que, pour lui, il n'aurait pas le courage de discuter avec eux. Mais le Roi lui fit observer qu'il n'appellerait pas uniquement des gens de robe longue, mais quelques seigneurs rompus aux choses de la guerre : le duc de Montpensier, Nevers, le maréchal de Cossé et autres. Coligny se tut ou ne voulut rien objecter, les tenant d'ailleurs pour personnages peu habiles et incapables de répondre à une proposition et la contredire. Il rédigea le mémoire, — ou plutôt le fit rédiger par le jeune Philippe de Mornay[70], qui revenait des Pays-Bas et se trouvait en état de donner sur les circonstances de l'insurrection les détails les plus précis et les plus certains. Il préconisa la guerre extérieure pour éviter la guerre civile et fit valoir d'ailleurs qu'elle était commencée par le fait de l'expédition de Genlis, qui avait remplacé Briquemaut, et la réception du comte de Nassau. Il ajoutait que si la France n'entreprenait pas la défense des Pays-Bas, l'Angleterre s'en chargerait, — ce qui était peut-être un peu excessif. — Le mémoire produisit du reste peu d'effet et l'on chargea seulement le chancelier d'y répondre. Le Conseil, réuni en présence du Roi, de la Reine mère et du duc d'Anjou, les avis furent fermement opposés à Coligny et ceux même qu'il pensait les plus faibles furent les plus osés. Ses convictions et son éloquence, disent ceux du parti, se heurtèrent soit à l'impéritie ou au mauvais vouloir de quelques-uns de ses adversaires, soit à la bassesse et à la haine des autres. Tavannes, enfin, déclara que l'entreprise était injuste, mal fondée et dangereuse. Ce fut l'avis général, tant que Coligny, se tournant vers Charles IX, s'écria brusquement : — Sire, puisque Votre Majesté, de l'avis de ceux qui sont ici, est entraînée à ne pas saisir une occasion aussi favorable pour son honneur et son service, je ne puis m'opposer à ce qu'elle a fait, mais j'ai l'assurance qu'elle aura lieu de s'en repentir. — Il ajouta encore : Votre Majesté ne trouvera pas mauvais si, ayant promis au prince d'Orange tout secours et faveur, je m'efforce de sauver mon honneur avec l'aide de mes amis, des parents, des serviteurs que j'ai, et à faire service de ma propre personne s'il est besoin[71].

Les nouvelles d'ailleurs étaient mauvaises. Genlis s'était laissé surprendre et battre dans le Hainaut, — livré, disent les protestants, par les catholiques français, — et Catherine se hâtait de solliciter de son fils un désaveu formel des religionnaires[72]. C'était décidément la lutte entre Coligny et la Reine. Il y allait, disent ses partisans, du salut de la France, de l'intérêt du Roi, de l'honneur de son loyal conseiller, et il reste à savoir jusqu'à quel point une guerre contre Philippe II, sous le plus mauvais des prétextes, pouvait être une entreprise nationale. L'Espagne, envahissante, ambitieuse, sans doute avait été l'ennemie ; mais l'Angleterre, au profit de laquelle, en fin de compte, devaient se donner les coups, était autrement menaçante. L'habileté des huguenots avait été de présenter comme une guerre nationale l'expédition de Flandre pour en chasser l'Espagnol. Au point de vue protestant, ils étaient sans doute sincères ; l'abaissement de l'Espagne, qui était la citadelle du catholicisme, leur eût aidé à faire la France protestante. Mais les réformés français n'avaient jamais été qu'une minorité, en opposition avec la masse du pays, et il n'est aucunement prouvé, même en ne quittant pas le terrain des intérêts immédiats, que la France avait avantage à favoriser le mouvement huguenot. — La Reine devait s'absenter pour aller au-devant de la duchesse de Lorraine, sa fille, qui se rendait à la Cour pour le mariage de Marguerite et était tombée malade en route ; elle avait d'ailleurs laissé des affidés pour surveiller le Roi et Coligny[73]. L'amiral, qui ne se décourageait pas, continuait de harceler Charles IX. Autant par animadversion contre ceux qui lui conseillaient la prudence que par désir de rester fidèle à ses promesses, celui-ci poursuivait toujours son double jeu et avait autorisé l'expédition projetée. Coligny put faire en son nom des levées et d'ailleurs espérait encore soustraire le Roi aux influences qui se mettaient en travers de ses désirs[74]. Il écrivit au prince d'Orange qu'il préparait 12.000 arquebusiers et 3.000 chevaux et lui recommanda de l'attendre[75]. Après la défaite de Genlis, on avait réussi à arracher aux prisonniers, mis à la torture, l'aveu que le Roi avait encouragé leur entreprise. On branchait les uns et l'on questionnait les autres. Genlis, lui-même, confessa qu'il n'était parti que sur l'ordre de Sa Majesté. — L'amiral, écrit Michieli, se servit habilement de cette occasion et jeta le Roi dans une telle indignation qu'il ne connaissait plus de limites, et qu'il ne se trouvait pas avec un de ses confidents sans lui dire, avec l'expression de la plus vive colère : — Savez-vous que le duc d'Albe me fait mon procès ? — De telle sorte que par cela et les termes insolents et furieux dont usa auparavant le duc à l'égard de l'agent du roi de France qui résidait auprès de lui, termes les plus étranges et intolérables (comme le dit la Reine elle-même), il ne fut pas difficile à Coligny, en l'absence de Catherine, d'amener le Roi à vouloir de nouveau la guerre. — Pendant quatre ou cinq jours, enfin, l'entreprise fut regardée dans Paris comme résolue. On en parlait publiquement. On faisait des engagements de cavalerie et d'infanterie. Tel gentilhomme s'offrait avec 500 chevaux, l'autre avec 1.000, chacun selon ses moyens et à ses risques et dépens, tant l'amiral avait su conduire l'affaire par ses agissements et sa grande autorité auprès du Roi[76]. Charles IX était si bien capté qu'il lui consacrait des journées entières ; le soir, dans son cabinet, il demeurait avec lui jusqu'à une heure avancée, discutant les chances de l'expédition[77].

Catherine se sentit blessée dans sa passion la plus vive. L'ardeur de Coligny à séduire le Roi et les assiduités de Charles IX à rechercher sa compagnie ravivèrent ses vieilles haines. Elle qui, par tant de sacrifices, de fatigues, tant de sagacité, avait tenu le pouvoir et conduit le royaume pendant treize ans se trouvait décidément supplantée. Elle perdait le terrain que gagnait chaque jour l'amiral. Lors de la discussion qui avait eu lieu en sa présence sur la nécessité de l'expédition, il lui avait dit en face : — Madame, le Roi renonce à entrer dans une guerre ; Dieu veuille qu'il ne lui en survienne pas une autre à laquelle, sans doute, il ne lui sera pas aussi facile de renoncer[78]. — La vieille reine, bravée de la sorte, n'était pas d'humeur à rester inactive. Elle voyait Coligny trop puissant pour qu'elle pût le faire traduire devant un tribunal régulier et obtenir sa condamnation. Pourtant, il devait disparaître. — Il ne faut pas d'ailleurs donner à Catherine des vues de trop haute politique. Entre les deux adversaires ce ne fut qu'une lutte personnelle ; mais il se trouva qu'en agissant pour elle-même, la Reine atteignait le même but que si elle avait agi dans l'intérêt général. Elle sauva la France catholique de la mainmise du protestantisme, et la mort de l'amiral fut résolue.

 

 

 



[1] Mémoires de l'Estat de France sous Charles IX, t. I, p. 24, 1576.

[2] Bibl. nat., mss. fr. 15553, f° 1-6 ; 2 janvier 1571.

[3] Bibl. nat., mss. fr. 15553, f° 24 ; 15 janvier. Lettre de Coligny.

[4] Lettre de Coligny, 19 janvier 1571 ; Bibl. nat., mss. fr., 15553, f° 28 ; lettre de Jeanne d'Albret au maréchal de Cossé, même date, ibid., f° 27 ; lettre de Cossé au Roi, ibid., f° 29.

[5] MORÉRI. Garde des sceaux en 1570, R. de Birague n'eut le titre de chancelier qu'en 1573.

[6] Bibl. nat., mss. fr. 15553, f° 101.

[7] Mémoires de l'Estat de France sous Charles IX ; CRESPIN, Histoire des martyrs ; FLOQUET, Histoire du parlement de Normandie, t. III.

[8] Le Réveille-matin des Français, etc., p. 29, Edimbourg, 1574.

[9] C'était une petite femme très bien faite, dit l'ambassadeur du Maurier, d'un teint animé et qui avait les plus beaux yeux du monde, une parole douce et charmante, une bonté angélique. Elle mourut, en 1583, dans sa terre de Lierville, en Beauce. Cf. Mémoires pour servir à l'Histoire de Hollande et des autres Provinces-Unies, p. 178 et suivantes ; Lettres de Louise de Coligny, publiées par P. MARCHEGAY, 1872, édition accompagnée d'un très beau portrait.

[10] Th. de Bèze en parle comme d'une dame douée de vertus et dons de Dieu très rares et l'un des plus riches joyaux du pays qu'elle habitait (Lettre à Renée de France, duchesse de Ferrare, Bibl. de Genève, mss., vol. CXVII).

[11] CAVRIANA, Négociations diplomatiques avec la Toscane, publiées par A. DESJARDINS, t. III, p. 641.

[12] Cf. le portrait ovale du Louvre, section des Primitifs français.

[13] Dépêches de Fourquevaulx à Charles IX, 18 octobre et 9 décembre 1570. Bibl. nat., mss. fr. 10752, f° 842 et 845. — Le nonce Salviati proposait de se débarrasser par tous les moyens possibles de la comtesse, pour empêcher son mariage avec l'amiral. Journal des Savants, 1871, p. 439.

[14] L'amiral, qui n'était qu'un tombeau, laissa pourtant sa désolée femme enceinte de cinq mois ; elle accoucha d'une fille qui fut nommée Béatrix, le 21 décembre 1572, et arrêtée par l'ordre du duc de Savoie, fut emprisonnée à Turin et à Nice ; elle mourut en 1599, après vingt-six ans de captivité. — De son premier mariage, Coligny avait eu plusieurs enfants, outre sa fille Louise, dont il est question plus haut. Le dernier de la branche aînée, le duc de Châtillon fut tué pendant la Fronde à l'attaque du pont de Charenton. Mais Ch. de Coligny, né en 1564, tourna mal ; il finit par abjurer et se faire catholique.

[15] Cf. Victor DE SAINT-GENIS, Les Femmes d'autrefois ; DU BOUCHET, Histoire de l'illustre maison de Coligny. Coligny réclama ensuite, inutilement, à du Bouchage, frère du premier mari de sa femme, le douaire de la nouvelle comtesse de Châtillon.

[16] 21 mars (Bibl. nat., mss. V° Colbert, vol. XVI, f° 86 ; Correspondance de La Mothe-Fénelon, t. III). — Il fut enseveli à Cantorbéry.

[17] Smith écrivait à Walsingham que des nouvelles de La Rochelle annonçaient l'exécution d'un domestique du cardinal, qui devait trahir la place, et avait confessé avoir empoisonné Odet (Lettres et négociations, t. III, p. 336). Selon d'autres bruits, il aurait été empoisonné par son gendre, qui avait épousé sa fille naturelle. Mais le rapport des commissaires anglais, publié par la Canterbury Press and Country News (2 août 1884), donne le résultat de l'autopsie. Cf. Dr L. NASS, Catherine de Médicis fut-elle empoisonneuse ? (Revue des Etudes historiques, 1901, et Bulletin du protestantisme, 1884, p. 518.

[18] Coligny et Jeanne d'Albret fondèrent alors dans le collège de La Rochelle trois chaires de langues hébraïque, grecque et latine et affectèrent leurs propriétés personnelles au traitement des professeurs. C'était toujours prêcher la Réforme, l'explication des Saintes Ecritures. — Les armoiries des donateurs furent placées au-dessus de la porte du collège, qui fut transformé ensuite en Université.

[19] Lettre du 8 mai 1571. Bibl. nat., mss. V° Colbert, vol. XXIV, f° 219 ; mss. fr. 15553, f° 118. Les lettres de Coligny, avec des phrases de trente lignes, nous l'avons dit, sont d'ailleurs à peu près illisibles.

[20] Le contrat est du 26 mai 1571.

[21] Bibl. nat., mss. fr. 15553, f° 149.

[22] Ibid.

[23] L'HOSPITAL, épît. IX, à Arnould du Ferrier ; Poésies, Paris, 1857, p. 321.

[24] Mémoires de Michel de La Huguerye, t. I.

[25] Correspondance de La Mothe-Fénelon, t. III, p. 414 et s. ; t. IV, p. 8 et s. ; t. VII, p. 143-290 ; WALSINGHAM, t. I. p. 390 et s. ; t. II, passim. Michel DE LA HUGUERYE, t. I. p. 38.

[26] Dépêche à Fourquevaulx ; Bibl. nat., mss. fr. 10752, f° 1201 ; juillet 1571.

[27] Correspondance de Walsingham, t. II, p. 170.

[28] Mémoires de l'Estat de France sous Charles IX, t. I, p. 82.

[29] Mémoires de l'Estat de France sous Charles IX, t. I, p. 84-85.

[30] DE THOU, Histoire, t. VI, p. 278 et 327.

[31] Philippe II était de ceux qui trouvaient le plus à reprendre aux concessions qui étaient faites ; il traitait Coligny d'homme pervers et abominable (lettre à Fr. de Alava, 30 août 1571 ; arch. nat., K, 1524, B. 31). Il finit par dire que le Roi s'honorerait par un acte de vrai courage s'il profitait de l'occasion pour lui faire tomber la tête (ibid., 14 septembre).

[32] BRANTÔME, édit. Lalanne, t. IV, p. 317.

[33] T. II, p. 134. Lettre à l'avocat Loysel.

[34] DE THOU, t. VI ; LA POPELINIÈRE, t. II, p. 21.

[35] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 85.

[36] Mémoires de La Huguerye, t. I, p. 92.

[37] Charles IX, dit Sully, l'estimait un des plus grands hommes de guerre et d'Etat de son temps et avait regret de ne l'avoir pas bien connu. — Mais on sait que Sully peut être considéré comme un des plus grands menteurs de son époque. S'il se vante surtout lui-même dans ses Mémoires, il n'oublie jamais non plus d'avantager ceux de son parti.

[38] Journal de l'Estoile, anno 1572.

[39] Bibl. nat., mss. fr. 10752, f° 895.

[40] Bibl. nat., mss. fr. 15553, f° 276.

[41] L'emplacement occupé par la maison de Castines existe encore, à peu près dans l'état, au coin de la rue Saint-Denis et de la rue des Lombards. L'interdiction de bâtir pesa sur le terrain jusqu'à l'époque de la Révolution et prévoyait une amende de 10.000 livres et des châtiments corporels. Plus tard, le nouvel alignement ne permit que d'élever la bicoque portant le n° 31, sur la rue Saint-Denis.

[42] De Blois, 11 septembre 1571. Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 87.

[43] Lettre du 7 novembre 1571 : Archivés de la mairie de Nantes : cf. Bulletin de la Société de l'histoire du protestantisme, t. V, p. 400.

[44] Le plan des calvinistes était d'assurer à la France des alliances extérieures qui la forceraient, en se séparant de l'Espagne, à entrer dans le mouvement de la Réforme. On voulait aussi après réflexion ! — préparer un mariage avec Elisabeth, tandis que l'on favoriserait les Flamands en déclarant la guerre à l'Espagne ; à l'intérieur on devait organiser les provinces de manière à se retrouver en armes dans toute circonstance, à l'abri des places de sûreté ; on voulait obtenir la liberté de prédication et le désarmement des bourgeois dans les villes, afin d'éviter les séditions contre les prêches.

[45] Dom MORICE, Preuves de l'Histoire de Bretagne, t. III, p. 139.

[46] Bibl. nat., mss. fr. 10752, f. 1289 ; lettre du 26 décembre 1571.

[47] Il était à ce moment question d'une expédition à Alger, pour faire pièce aux tentatives de l'Espagne et dont s'occupa encore l'amiral. Les événements, toutefois, ne lui laissèrent pas le temps d'approfondir la question. Cf. Négociations avec le Levant, t. III, p. 224 et 291.

[48] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 278.

[49] L'ESTOILE, anno 1570. Cf. La Reine Margot et la fin des Valois, chap. II et III.

[50] Lettres de Blois, 19 avril ; Bristish Museum. f. Cott. Vespas, f. 6.

[51] Lettres patentes, 4 mai 1572. Bibl. nat., mss. fr., 3191, f° 49.

[52] Bibl. nat., fonds Brienne, vol. CCVI, f° 516.

[53] Par l'entremise du maréchal de Montmorency.

[54] Familier et causeur, tantôt faible et tantôt violent, mélancolique jusqu'au spleen ou actif jusqu'à la frénésie ; aimant la chasse, les mascarades, les jeux, toutes les folies de la cour, Charles IX était surtout un déséquilibré. — On est toujours obligé de renvoyer au curieux portrait qu'en donne Brantôme, contre-partie des diatribes protestantes. (T. I, p. 555 et suivantes) Cf. l'ouvrage du Dr DUSOLIER, Psychologie des derniers Valois, 1895, in-8°. — Brantôme, d'ailleurs, trouve naturel que le Roi vit d'un bon œil que l'amiral allât lui conquérir un pays tout aussi grand qu'un royaume. La folie de l'expédition avait gagné toute la Cour.

[55] D'après une lettre aux églises de Lyon (Record office. State pap. Fr.. vol. L), Coligny se louait grandement de la réception qui lui avait été faite par le Roi et Catherine. Son influence croissait et il mettait tout en œuvre pour obtenir la liberté de commencer la guerre en Flandre. Les circonstances étaient du reste favorables. La surprise de la Brisle, par Guillaume de la Marck, avait été le signal d'une prise d'armes générale et le prince d'Orange s'était mis à la tête des Hollandais. En France les gentilshommes protestants levaient ouvertement des troupes et le Roi écrivait à son ambassadeur à Constantinople, François de Noailles, évêque de Dax : — Toutes mes fantaisies sont bandées pour m'opposer à la grandeur des Espagnols, et délibère de m'y conduire le plus dextrement qu'il me sera possible. Regardez aussi de vôtre côté de bien jouer votre personnage, étant chose certaine que des résolutions que vous prendrez par delà dépend le bien ou le mal des affaires des dits Espagnols... J'ai fait équiper es ports et hâvres de mon royaume, un bon nombre de vaisseaux, de façon que j'ai dressé une armée de mer de 12.000 à 15.000 hommes qui sera prêt à faire voile où on voudra sur la fin (lu mois, afin de donner hardiesse à nos gueux des Pays-Bas de remuer et entreprendre ainsi qu'ils ont fait, ayant déjà pris toute la Zélande et bien embrasé la Hollande. (Extrait des dépêches de Mgr François de Noailles, publ. par le marquis DE NOAILLES, d'après les archives du château de Maintenon : Henri de Valois, t. I, p. 9.)

[56] Catherine, très au courant, malgré ce qu'avait recommandé Charles IX ; feignit d'abord de désirer la guerre. Selon Giovanni Michieli, le Roi et elle firent même dire au prince d'Orange de commencer les hostilités, l'assurant qu'ils ne lui feraient point faute. Philippe II était informé et donna l'ordre à son armée de ne pas aller aux affaires du Levant rejoindre les forces vénitiennes avec lesquelles on avait vaincu à Lépante.

[57] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 300.

[58] Les protestants, qui ont voulu nous attendrir sur le bas âge du prince de Béarn, ont oublié qu'il était pour se marier et que cet accident survenait la veille de ses noces. Celui qui devait être le Vert-Galant avait sans doute d'autres soucis et nous doutons qu'il ait perdu son temps à des jérémiades.

[59] Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 302.

[60] M. Delaborde n'ose cependant se prononcer, tout en avouant qu'il penche pour le crime. Cf. D'AUBIGNÉ, Histoire, t. II, liv. I, chap. II ; Mémoires de l'Estat de France, t. I, p. 314 ; LA POPELINIÈRE, Histoire, liv. XXVII, f° 42, le Réveille-matin des Français, p. 35 ; DE THOU, Histoire, t. IV, p. 542. — Le Roi, à ce moment, voulait surtout se réconcilier avec les huguenots. Un incident fâcheux comme la mort de la reine de Navarre pouvait réveiller les suspicions, et malgré les apparences, la Cour n'y avait intérêt.

[61] T. IV, p. 297. Edit. Lalanne.

[62] Lettre à Vulcob, gentilhomme ordinaire de la chambre ; Bibl. nat., mss. fr., 3318, f° 23.

[63] TAVANNES, Mémoires, chap. XXVII, édit. Buchon, p. 420-421. La discussion eut lieu sur le quai du Louvre et Tavannes simula la dureté d'oreilles pour ne pas relever le propos de l'amiral.

[64] TAVANNES, Mémoires, chap. XXVII. — Charles IX, indécis, de caractère flottant, n'avait d'ailleurs qu'une confiance restreinte dans ses conseillers. Au rapport de l'Estoile, il disait à Téligny : Je me défie de tous ces gens ; l'ambition de Tavannes m'est suspecte ; Vieilleville n'aime que le bon vin ; Cossé est trop avare : Montmorency ne se soucie que de la chasse et volerie le comte de Retz est Espagnol ; les autres de ma Cour et ceux de mon Conseil ne sont que des bêtes : mes secrétaires d'Etat ne sont même pas fidèles, si bien qu'a vrai dire je ne sais pas par quel bout commencer. (L'ESTOILE, anno 1572.) — Le tableau de la Cour à ce moment est d'ailleurs donné par l'ambassadeur d'Espagne dans une lettre à Philippe II : Le duc d'Anjou, dit-il, est de brave et bonne condition ; il donne tout aux dames ; à l'une il regarde les mains : à l'autre il tira les oreilles : il passe de cette manière une partie de sa vie. Je considère la reine mère comme excellente pour les négociations. Le duc d'Alençon est de peu de poids : c'est un cavalier sans importance. Le frère bâtard, que l'on nomme le chevalier d'Angoulême, est un esprit distingué en toute manière : Madame Marguerite, fort vertueuse, princesse de bien et de beaucoup d'esprit. La duchesse de Lorraine, bonne femme et grandement catholique. Madame Marguerite et la duchesse de Lorraine sont fort dévouées r. la maison de Guise. Le cardinal de Bourbon, prince du sang, est un homme de peu d'entendement. Le cardinal de Lorraine est la plus grande ambition du inonde ; afin d'avoir la faveur de Ss Majesté et de se maintenir dans ses grâces, il se montre son plus zélé serviteur. On ne parle pas du cardinal de Guise. Les maréchaux sont six, et s'ils étaient sept, on pourrait les comparer aux sept péchés mortels. Le premier est Montmorency, le principal protecteur des huguenots : il va à la messe avec les catholiques et encourage les séditieux et les rebelles. La femme de ce Montmorency est une sœur bâtarde du Roi, la princesse Diane, veuve eu premières noces du duc de Castro ; — elle se dit catholique, mais elle ment ; elle est toute pour le parti huguenot. Damville est fort recherché par la reine mère. Coisé est celui qui dirige les menées secrètes de Catherine : c'est un athée. Vieilleville est considéré aussi comme un athée ; cependant il se confesse tous les ans. Tavannes est plus soldat que les autres. et en cas de guerre, c'est celui sur qui la Reine compte le plus. Villeroi est tenu pour catholique, homme de peu de poids et de substance. Les princes sont : le duc de Montpensier, le meilleur homme et le plus franc catholique ; le duc de Longueville, à la fois catholique, huguenot ou athée, gouverneur de Picardie : il n'est soldat ni homme de justice et de courage. Le duc de Nevers est un frère du duc de Mantoue : conscience catholique et de bien. Le duc de Guise est fort accrédité et je le pousse...

[65] British Museum. Mss. Cott. Vespas, t. VI ; LA FERRIÈRE, le Seizième siècle et les Valois, p. 315-316. — Coligny avait cependant offert à Elisabeth de conquérir Flessingue qui lui serait plus avantageux que Calais. (Lettre de Walsingham à Burleigh, 13 juillet 1572 ; Correspondance, t. III, p. 50.) Mais Flessingue, pris par des volontaires, la Reine anglaise les avait laissés sans secours. Cf. Lettre de Coligny à lord Burleigh, British Museum. Mss. Lansdowne, t. XIV.

[66] Mémoires de Michel de La Huguerye, t. I, p. 116-122.

[67] TAVANNES, Mémoires, chap. XXVII.

[68] Catherine le suppliait de ne rien entreprendre sans le concours d'Elisabeth, craignant qu'il ne lui échappât, lui qui ne tournait pas un œuf, dit l'Estoile, sans qu'elle n'en fût avertie.

[69] On raconte même qu'au moment de son départ, une paysanne se jeta à ses pieds, la suppliant de rester, lui prédisant sa fin certaine et le massacre qui devait suivre. Elle lui dit que s'il allait à Paris il n'en reviendrait jamais et serait cause de la mort de plus de 10.000 hommes. (L'ESTOILE, anno 1572.) Mais il était trop tard et le moment de la réflexion était passé. Cf. Réveille-matin, p. 35 ; LA POPELINIÈRE, Histoire ; MONTLUC.

[70] Article de M. LESER sur Coligny, dans Encyclopédie des Sciences religieuses, publié par M. LICHTENBERGER ; Bibl. nat., vol. 23335.

[71] Relation de Giovanni Michieli, dans William MARTIN, La Saint-Barthélemy devant le Sénat de Venise, Paris, 1876.

[72] Bien mieux, Saint-Goard, ambassadeur en Espagne, écrivit à Philippe II pour le féliciter. Arch. nat., K, 1528, A. 33.

[73] Relation de Giovanni Michieli, op. cit., p. 2.

[74] Walsingham écrivait an lord trésorier (20 août 1572) : Quoique l'amiral n'ait pu obtenir tout ce qui était nécessaire au bien de la cause, il en a néanmoins obtenu une partie. Il m'a prié de vous dire, mylord, que ce n'est pas son intérêt particulier qui le fait agir et qu'il demeurerait tranquille après de longs troubles s'il ne voyait le sérieux péril qui menace tous ceux qui font profession de l'Evangile, et en particulier le Roi, son maitre, et la Reine, sa maîtresse (!), qu'il est obligé de respecter et de servir toute sa vie ; et que si les affaires des Pays-Bas avaient un bon dénouement, il ne voudrait pas à l'heure qu'il est s'exposer à de nouveaux périls. Mais dans l'état où sont les choses et prévoyant comme il fait les malheurs qui vont survenir, il trahirait, dit-il, Dieu et sa patrie s'il ne faisait pas tout ce qui dépend de lui pour prévenir de si funestes suites... Il vous prie instamment de faire en sorte que Sa Majesté suspende le rappel des Anglais qui sont en Flandre ; démarche aussi propre à relever le courage aux ennemis qu'à abattre celui de ceux qui sont engagés dans le parti. Depuis que Sa Majesté est sur le trône, il ne s'est, dit-il, présenté rien, si je ne me trompe, où Sa Majesté ait dû prendre plus de part qu'à la destinée du prince d'Orange qu'elle doit par conséquent secourir au lieu de le traverser. Correspondance, t. III, p. 92.

[75] Lettre du 11 août 1572, Archives ou Correspondance inédite de la maison d'Orange-Nassau, 1re série, t. III, LEYDE, 1841

[76] Relation de Giovanni Michieli, p. 8-10. — Coligny devait avoir trente compagnies d'hommes d'armes et autant d'infanterie. Le Roi fit venir son trésorier et après lui avoir commandé de fournir l'argent, défendit d'écrire le fourniment à la manière des trésoriers, suais de porter : Telle somme délivrée tel jour par le commandement du Roi à l'amiral pour certaines causes que le Roi n'a pas voulu être écrites. Charles IX s'occupait encore de faire libérer ceux qui avaient été pris avec Genlis et disait qu'il aurait raison du duc d'Albe et des Espagnols, dont l'amiral prenait meilleur courage que jamais (Mémoires de l'Estat de France, t. II, p. 338). On continuait cependant à recommander à Coligny la prudence : mais outré de présomption, il ne voulait rien croire et se pensait sûr de lui-même comme du Roi. L'homme, disait-il, n'aurait jamais de repos s'il voulait interpréter toute occurrence à son désavantage. Il ajoutait qu'il était saoul de telles alarmes et que la longue suite de ses vieux ans n'avait été que trop rompue de ces frayeurs : bref qu'à tout événement, il avait assez vécu. LA POPELINIÈRE, Histoire, t. II, 13 ; le Réveille-matin, p. 43.

[77] BASCHET, la Diplomatie vénitienne. — Les préparatifs de la France alarmaient du reste toutes les puissances catholiques. Montmorency avait été envoyé en Angleterre, pour négocier une alliance ; Schomberg, on l'a vu, était en Allemagne ; l'évêque de Dax traitait à Constantinople. Depuis de longues années, Coligny travaillait à préparer la trame dont sa main tenait tous les fils ; 2.000 églises recevaient ses instructions, les rôles d'hommes et de levées de deniers étaient préparés, — organisation savante et admirable pour l'époque, mais cadre certainement préparé pour une insurrection. — L'amiral savait d'ailleurs qu'il ne pouvait tenir la campagne avec les seules forces des calvinistes français. A Dreux, sur 13.000 hommes que les huguenots avaient mis en ligne, 7.000 étaient allemands. Mais il espérait tout conduire au mieux de ses intérêts. — Si les réformés avaient eu la prépondérance, ensuite, ils auraient proscrit le catholicisme, comme en Béarn ; à La Rochelle on déclara ainsi qu'il n'y aurait autre exercice que de la religion réformée,mesure approuvée par Condé et Coligny en déclarant que l'effet de cet article était désirable non seulement pour la ville, mais pour tout le royaume. (Revue des questions historiques, t. XXXVIII.)

[78] On a beaucoup ergoté, d'après les réflexions mêmes de Michieli, sur le sens des paroles de Coligny ; mais, quand même, elles n'avaient qu'une signification : la menace d'une nouvelle guerre civile. — L'amiral, dit Bellièvre, menaçait à tout propos le Roi et la Reine d'une prise d'armes pour peu que Sa Majesté se rendit difficile à lui accorder ses demandes, tout injustes et déraisonnables qu'elles fussent : lorsque le Roi ne voulut point, selon son avis, rompre la paix avec le roi d'Espagne, il n'eut point honte de lui dire, en plein conseil et avec une incroyable arrogance, que si Sa Majesté ne voulait point consentir à faire la guerre en Flandre, elle se pouvait assurer de l'avoir bientôt en France entre ses propres sujets. Il n'y a pas deux mois que Sa Majesté, se souvenant du propos, disait à aucuns siens serviteurs entre lesquels j'étais, que quand il se voyait ainsi menacé, les cheveux lui dressaient sur la tête. (Remontrances aux ambassadeurs des Suisses, traitant des causes de la Saint-Barthélemy, dans Mémoires de Villeroy, t. IV. Cf. Bibliothèque historique de la France, du P. LELONG, t. II, liv. III, p. 260.) Il est certain que Coligny exerça pendant un moment sur l'esprit versatile du Roi une influence absolue et qu'il put se considérer comme le chef du gouvernement. II portait mal cette faveur et mettait dans ses rapports avec la Cour toute la rudesse orgueilleuse et brutale d'un vieux soldat qui se croit nécessaire. (Ch. BUET, l'Amiral de Coligny.) La reine mère et le duc d'Anjou haïssent à mort Coligny, écrivait Giovanni Michieli. (Op. cit., p. 15.)