L'AMIRAL DE COLIGNY

TROISIÈME PARTIE

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

La majorité de Charles IX. — Les aventures du prince de Condé. — Mariage de d'Andelot et du cardinal de Châtillon. — Le voyage des provinces. — L'entrevue de Bayonne. — La paix de Moulins. — Projets de Coligny contre l'Espagne. — Nouvelle prise d'armes des huguenots. — Bataille de Saint-Denis et mort du connétable.

 

Notre récit a été interrompu pour mieux grouper les faits qui concernent le procès de Coligny, mais nous devons reprendre désormais la suite des événements. Pour donner plus de force et de durée à leur système de ménagement, les politiques conseillaient à Catherine de faire reconnaître la majorité du Roi ; l'influence de la Reine resterait la même, mais le conseil de régence s'effacerait et avec lui l'autorité des princes du sang qui se disputaient le pouvoir. Au retour du siège du Havre, ce fut le premier acte de Catherine, à la grande déconvenue de Condé qui espérait toujours le titre de lieutenant général du royaume. La majorité du Roi fut confirmée au lit de justice tenu au Parlement de Rouen, malgré les protestations du Parlement de Paris qui s'éleva en même temps contre la coexistence des deux religions en France, — et d'ailleurs se fit vertement tancer par le Roi dont les paroles venaient de la boutique de M. le chancelier, affirment les auteurs protestants[1]. Le 18 août 1563, le conseil de la ville de Paris étant assemblé en l'hôtel de Guise, le sieur de Lansac arriva et présenta ses lettres. Il annonça que le Hâvre de Grâce était rentré en l'obéissance du Roi, Sa Majesté avait fait sa déclaration de majorité, les assurant d'avoir un bon roi qui voulait connaître ses vrais et loyaux sujets[2]. Il mandait en outre à sa bonne ville de faire procession générale pour la prise du Havre, et le Te Deum fut chanté dans l'église Notre-Dame. — Mais on sait d'autre part que les huguenots croyaient fort peu à la paix ; malgré le mouvement d'enthousiasme qui les avait entraînés à la guerre contre les Anglais, ils commençaient à comprendre qu'ils étaient dupes de la politique astucieuse de Catherine et pensaient bien être sacrifiés au ressentiment populaire. Ceux de Chartres, écrivait-on un peu auparavant à M. de Feuquières[3], ont tenu conseil pour, après que les reîtres seront partis, donner un même jour les Vêpres siciliennes à ceux de la religion. Ils ont envoyé les capitaines Charry et Sarlabon pour gagner ceux de Paris qui les aideront à l'exécution de leur entreprise. On devrait avertir M. le prince, M. l'amiral et M. d'Andelot, qu'ils se tiennent sur leurs gardes. M. le prince de Porcien a eu cet avertissement de ses amis qui hantent le gouverneur de Chartres, conducteur de l'affaire. — Ainsi, l'idée de la Saint-Barthélemy était déjà dans l'air et toute pensée de tolérance restait si loin que la duchesse de Ferrare écrivit à Calvin qu'elle quittait la Cour de Saint-Germain parce qu'on lui avait défendu les prêches en son appartement comme elle avait coutume depuis l'édit de pacification. — Coligny, d'ailleurs, commençait à se méfier de Catherine, qu'il voyait agir continuellement contre les réformés tout en se montrant pour lui toujours aussi agréable. On avait d'abord défendu aux protestants d'ouvrir boutique les jours de fête de l'Eglise catholique ; on avait défendu les prêches, les assemblées, et l'administration des sacrements à la Cour, et es maisons de Sa Majesté. Une déclaration du 14 décembre 1563 défendit ensuite d'étendre les libertés accordées aux protestants sur les biens ecclésiastiques[4]. D'autres dispositions restrictives avaient été sanctionnées par le Roi. On interdisait, par exemple, les ministres étrangers ; on forçait les protestants à observer les jours de fête et de maigre des catholiques ; leurs enterrements devaient avoir lieu de nuit, sans suite ni compagnie. — Catherine, en somme, sapait le protestantisme, lui faisait une guerre sourde, mais acharnée et sans merci[5]. Partout les réformés étaient houspillés et honnis. L'amiral, leur porte-parole, ne pouvait que se prodiguer en réclamations qui restaient lettre morte, et quand des poursuites avaient lieu, elles n'obtenaient que des sanctions dérisoires. — Coligny avait bien à faire, du reste, car Condé lui-même, entraîné par sa nature ardente, s'était laissé prendre aux séductions de la Cour, et mêlé à toutes les fêtes, aux bals, aux tournois, aux spectacles, n'avait pas tardé non plus à y trouver des maîtresses. Il s'était amouraché d'abord d'une des plus jolies filles de la suite de Catherine, Isabeau de Limeuil, malgré les criailleries de ses amis huguenots. Les hommes les plus zélés de la religion ont pris de l'aigreur contre lui, écrit Smith ; on redoute de trouver en lui un nouveau roi de Navarre ; il se met s'affoler des femmes (avril 1564). Calvin allait jusqu'à le traiter de misérable et d'Aubigné écrit qu'il se laissait haléner par toutes les filles de la Cour[6]. — Isabeau de Limeuil, séduite par ce petit homme vigoureux et leste, brillant, résolu, de visage agréable et d'un charme spirituel et railleur, n'avait cédé pourtant que pour obéir à Catherine qui avait affaire du prince et désirait le gagner[7]. Mais à Dijon, pendant le voyage qu'entreprit bientôt la Cour, elle fut prise de douleurs et, dans la garde-robe même de la Reine, accoucha d'un garçon. Catherine, toujours prête à prendre parti, et bien qu'elle fût sa parente par la maison de la Tour d'Auvergne, la fit enfermer dans un couvent ; on l'accusa d'avoir voulu empoisonner le prince de La Roche-sur-Yon, contre lequel elle témoignait de l'antipathie, et pendant trois mois, traînée d'Auxerre à Mâcon, de Mâcon à Lyon, de Lyon à Vienne, elle ne cessa de correspondre avec Condé qui réussit enfin, paraît-il, à la faire évader[8]. — Le prince était d'ailleurs engagé dans une autre intrigue avec la veuve du maréchal de Saint-André, Marguerite de Lustrac, qui lui fit présent de la terre et du château de Valéry (Yonne). Il avait perdu sa femme, Eléonore de Roye, qui n'avait pu résister aux fatigues et aux émotions du siège d'Orléans ; aux suites de l'accouchement prématuré qu'avait causé l'attaque des paysans sur la route de Gandelu ; au chagrin que lui causait la conduite de son mari. Il recevait fort mal Coligny dont il était jaloux et qui venait lui faire de la morale et, sous prétexte de lui apporter des consolations, lui représentait ses devoirs à l'égard des réformés. On prétendait que déjà il formait de nouveaux projets d'union avec la fille du duc de Guise ou Anne d'Este sa veuve, et devait prendre la direction du parti ; selon d'autres, avec la reine d'Ecosse Marie Stuart. Mais ses amis huguenots veillaient et il finit par épouser une demoiselle de Longueville, Françoise de Rothelin, une fille de Jacqueline de Rohan (8 novembre 1565). — Isabeau de Limeuil et la maréchale de Saint-André, d'ailleurs, se consolèrent vite[9].

Les gestes des chefs réformés avaient d'ailleurs en ce temps une allure aventureuse bien capable de séduire les femmes, et après Condé ce fut d'Andelot qui se remaria, épousant une princesse de Salm, dame d'Assenleville, une veuve du grand maître de Lorraine qui s'était enthousiasmée de ses exploits. Il faut voir avec quel plaisir M. Michelet conte l'anecdote : Sommé de venir en pays ennemi, pour cette agréable aventure, dit-il, d'Andelot prit avec lui cent hommes déterminés, et quoiqu'il sût que tous les Guise étaient justement chez le duc de Lorraine, il arriva à Nancy. Le château où l'on avait dressé le contrat était à une demi-lieue. On lui refusa l'entrée de la ville, mais il ne s'arrêta pas moins dans le faubourg et y fit rafraîchir ses cavaliers. Puis, en plein jour et à grand bruit, la cavalcade s'en a.la au château de la dame. Au pont-levis, tous tirèrent leurs arquebuses,de quoi tremblèrent les vitres des Guise qui étaient en face, à peine séparés par une rivière. Le cardinal gémit. Le petit Guiseil avait quatorze ansdisait que s'il avait quelque arquebuse à croc il eût tiré contre ces vilains. Le duc de Lorraine avait fait défendre les noces et le prêche à la huguenote. La mère et les frères de la dame ne bougèrent pas de Nancy. Mais durant trois jours on fit la fête, bruyante et gaie. Puis Mme d'Andelot, montant en croupe derrière son héros et disant adieu à ses biens, le suivit fière et pauvre, aux hasards de la guerre civile. — D'Andelot vint au prêche à Metz et l'on fut obligé de lui rendre les honneurs dus à sa qualité avant qu'il repartît avec sa femme, trouver Coligny à Châtillon (27 août 1564)[10].

Les deux frères allèrent enfin à Montataire-sur-Thérain, en Beauvaisis, où Odet de Châtillon allait épouser Elisabeth d'Hauteville, dame de Loré, qu'il entretenait depuis quelque temps en secret. Les noces furent faites par Pierre Mallet, ministre de l'Evangile[11] (1er décembre 1564). — Catherine, cependant, qui ne cherchait qu'à temporiser, et pour éviter de donner trop rapidement une sanction aux décrets du Concile de Trente[12], s'était mise en route à travers les provinces, soi-disant pour s'enquérir des plaintes et doléances des deux religions rivales, mais catholique malgré tout, en réalité pour examiner les forces des huguenots et en préparer l'affaiblissement. — Ses coups étaient toujours médités, écrivit plus tard l'ambassadeur vénitien[13] ; elle prenait chacun par ses vices et sa faiblesse ; elle ne désespérait jamais et en somme tenait peu de compte de la parole humaine. De sa longue vie à la Cour, elle avait surtout gagné le mépris des hommes et se montrait toujours d'une finesse atermoyante, ambitieuse et laborieuse, de capacité inquiète et pleine de mépris pour les hommes et les choses qui s'agitaient autour d'elle. — La Régente devait s'aboucher avec le duc de Savoie, les envoyés du Pape, du roi d'Espagne, le duc de Lorraine ; on l'invitait à se trouver à Nancy pour se concerter avec divers princes d'Allemagne pour l'observation des décisions rendues par le Concile de Trente qui comportaient d'abord la révocation des avantages accordés aux huguenots[14]. — De Fontainebleau, la Cour prit ainsi son chemin par Sens, Troyes[15], Bar-le-Duc. Catherine se promettait beaucoup de cette expédition qui devait former le petit Charles IX, le faire connaître et imposer par sa présence le respect des édits de tolérance ; en même temps affaiblir les protestants et les empêcher de recommencer la guerre civile[16]. A Troyes, Catherine enleva au Conseil la connaissance des plaintes des réformés, se la réservant à elle-même. La Cour passa ensuite en Bourgogne et à Lyon où la Reine éconduisit plutôt Soubise qui alla rendre compte à Coligny de ses impressions défavorables. Tout en déclarant qu'elle voulait maintenir les édits, elle les sapait d'ailleurs par tous les moyens possibles, et en attendant, on renouvelait la défense de faire célébrer le culte huguenot dans tous les endroits où séjournait le Roi. — En juillet, Charles IX s'établit au château de Roussillon en Dauphiné, et publia un nouvel édit qui interdisait aux ministres de faire aucune assemblée autre que les prêches, de tenir des synodes, d'ouvrir des écoles, de lever de l'argent, d'agir en un mot comme les membres d'une église constituée. On refusait même de reconnaître les mariages célébrés par des ministres protestants[17]. Condé adressa sur ce une protestation à la Reine, — la fit même imprimer et répandre mais sans autre résultat[18]. — Les parlements, déjà, n'avaient accueilli qu'à regret l'édit d'Amboise. Il avait fallu forcer la main à ceux de Paris, d'Aix, de Toulouse ; celui de Dijon fit des remontrances et n'enregistra qu'à la condition qu'il n'y aurait pas de prêche en Bourgogne. Le Roi dut déclarer que l'édit était conditionnel et provisoire comme le précédent. — De Roussillon, la Cour gagna Valence, Montélimar, Orange, Aix, Marseille, et en route reçut des visiteurs, — les ducs de Savoie et de Ferrare, et le florentin Antinori, envoyé du Pape[19]. Elle vint ensuite à Nîmes, à Béziers, à Narbonne, et se trouva pour l'hiver à Carcassonne. De là, on gagna Bordeaux, Mont-de-Marsan et enfin Bayonne où l'on devait retrouver la princesse Elisabeth, fille de Catherine, qu'accompagnait le duc d'Albe.

L'entrevue de Bayonne, arrangée sous prétexte d'épanchements de famille[20], avait en réalité un but politique et le gouvernement espagnol, ayant à réprimer la révolte des Flandres, qui commençait alors, aurait voulu combiner son action avec celle de la France, agir de concert avec elle contre les réformés. Au cours des entrevues, Catherine défendit sa politique, soutint qu'elle avait gagné du terrain, prétendit avoir affaibli les réformés, soustrait les masses populaires à leur influence et, dit Pasquier, leur être plus nuisible par des édits pendant la paix que par la force durant la guerre[21]. — L'alliance étroite de la France et de l'Espagne aurait pu, en effet, être fatale au calvinisme. Les protestants le savaient, et peu chiches de mensonges attribuèrent au duc d'Albe des projets de massacre général, — accusation qu'ils avaient déjà portée en 1560 sur le duc de Guise et en 1563 sur Montmorency[22]. Mais quand même, l'entrevue de Bayonne servit la politique espagnole, — et en somme la civilisation catholique. Le duc d'Albe avait fortifié de ses conseils ceux qui voulaient des lois de rigueur. Il leur avait présenté Philippe II comme le champion armé du catholicisme. Catherine ne pouvait être indifférente aux sollicitations du roi d'Espagne, du duc de Savoie, de l'envoyé du Pape. Déjà peu favorable aux religionnaires, quoi qu'on en ait dit, elle céda peu à peu, leur fut de moins en moins accueillante[23] et s'éloigna du tiers parti. — De Bayonne, le Roi revint à Nérac, où il força Jeanne d'Albret à rétablir l'exercice du culte catholique qu'elle avait supprimé. De là, il gagna Niort, Thouars, Angers, Tours, Blois (novembre), et frappé partout des ravages exercés par les huguenots, il conçut contre eux, dit Davila, une sorte d'aversion et de dégoût. Mais il continuait à recevoir leurs plaintes contre les gouverneurs qui n'observaient pas les édits. — Revenu à Blois, Charles IX convoqua pour le mois de janvier[24], à Moulins, une assemblée des personnages les plus importants du royaume et des présidents de tous les parlements de France, afin de terminer les diverses querelles et de préparer un nouvel édit. — Il s'agissait surtout du conflit des Guise et des Châtillon, et d'im différend survenu entre le cardinal de Lorraine et Fr. de Montmorency, gouverneur de Paris. — La première affaire réglée, — en apparence du moins, — comme nous l'avons rapporté plus haut, il s'agissait d'arranger la seconde, du reste moins grave, n'eût été la qualité des personnes engagées. — Le cardinal de Lorraine, revenu du concile de Trente et se croyant menacé depuis l'assassinat de son frère, avait obtenu du Roi le droit de mener avec lui une escorte qui avait été fixée à 50 arquebusiers[25]. Il devait se rendre à Paris vers la fin de 1564 et manda le duc d'Aumale et son neveu Henri de Guise, qui le joignirent avec une bonne troupe de gentilshommes et de partisans. Montmorency, qui le tenait en suspicion, se rendit au Parlement où il déclara que le Roi et la Reine lui avaient ordonné de ne pas souffrir qu'on vînt en armes dans la capitale. Il y eut une échauffourée dans la rue Saint-Denis, proche l'église des Saints-Innocents, et le cardinal, qui se réfugia d'abord dans la boutique d'un cordonnier, gagna enfin dans la soirée son hôtel[26] où vint le rejoindre le duc d'Aumale, et de là le château de Meudon. Montmorency, effrayé des conséquences de l'action qu'il avait commise dans une ville dévouée aux princes lorrains comme était Paris, manda de suite Coligny[27] qui accourut avec 70 gentilshommes (22 janvier)[28], fit étalage de sentiments pacifiques et profita de l'occasion pour se rendre au Parlement et se défendre contre les imputations des Guise. Il retourna ensuite à Châtillon, d'où il adressa une dépêche au Roi pour l'informer de ce qui s'était passé. On apprit tout à coup que le prince de Condé, que l'on disait d'accord avec le cardinal de Lorraine, se rapprochait de Paris avec une escorte de 300 cavaliers. Montmorency lui refusa les portes et il ne put entrer qu'à la Bastille ; il n'y eut qu'une escarmouche et le prince se retira en Picardie. L'affaire a été poussée trop loin si ce n'est qu'un jeu, dit-il ; elle ne l'a pas été assez si elle est sérieuse[29]. Il y eut d'autres débats. L'amiral fit imprimer et répandre une justification de sa conduite[30] et exigea également du Roi l'autorisation de mener avec lui une garde de 50 arquebusiers. Le cardinal de Lorraine rédigea un mémoire justificatif que la duchesse de Guise se chargea de 'communiquer aux ambassadeurs étrangers. Catherine enfin s'arrangea pour que ni les Châtillon ni leurs adhérents ne revinssent de sitôt à Paris. De Mont-de-Marsan, un ordre du Roi interdit la capitale en son absence aux plus remuants des deux religions, et à la fin ce fut Coligny lui-même, avec les maréchaux de Vieilleville et de Bourdillon, qui fut chargé d'aplanir le différend[31].

L'amiral, toujours est-il, craignait des représailles de la part des Guise malgré la comédie de la réconciliation jouée à Moulins, car peu après il fit arrêter à Châtillon un voleur de grand chemin nommé Simon Le May, qu'on lui avait dénoncé comme ayant fait marché avec le duc d'Aumale pour l'assassiner. Le May, lorsqu'il passa en jugement, prétendit au contraire que l'amiral lui avait proposé d'assassiner la Reine et qu'il ne l'accusait que pour se venger de son refus[32]. L'affaire resta obscure, toutefois que l'accusé eût été condamné au supplice de la roue. — Peu après, parut l'ordonnance de Moulins, publiée après une violente altercation entre L'Hospital et le cardinal de Lorraine, et qui comprenait quatre-vingt-six articles. Déjà le crédit du chancelier était en baisse et l'antagonisme de ses ennemis n'en devenait que plus ardent. La discussion porta surtout sur les consolations que la religion apportait in extremis et les adversaires échangèrent des paroles aigres-douces[33]. — Mais Coligny et les réformés, mécontents des modifications apportées à l'édit d'Amboise et de l'attitude que prenait la Reine mère ; inquiets des dispositions de défense qu'adoptaient les catholiques depuis le concile de Trente ; craignant aussi la ruine des protestants de Flandre où se rendait le duc d'Albe et, par suite, leur anéantissement en France, proposèrent à Charles IX de soutenir les Pays-Bas et essayèrent de réveiller toutes les haines et défiances nationales contre l'Espagne, sous le prétexte insinué que là guerre étrangère éviterait la guerre civile. La manœuvre était habile et bien dans les idées des huguenots pour qui le roi d'Espagne était la bête noire. Charles IX leva des bandes de gens de pied, de lansquenets et 6.000 Suisses pour se fortifier, se tenir prêt à tout hasard, mais resta fidèle à l'alliance espagnole et refusa les offres de Coligny de faire marcher les gentilshommes de la religion. — Quelques-uns ayant couru à Genève qui se crut menacée par les troupes que menait en Flandre le général espagnol, le roi défendit à qui que ce fût, sous peine de perdre la vie, de prendre du service à l'étranger sans son commandement, et nommément d'aider les sujets du roi catholique dans les Pays-Bas. Catherine, frappée par les terribles événements de Flandre et se félicitant de les avoir écartés de France, espérait ainsi garantir la paix au dehors et au dedans. Mais l'amiral n'en fatiguait pas moins la Cour de ses remontrances et de ses prétentions. Il parlait toujours d'armer la noblesse calviniste et de marcher contre le duc d'Albe, et Charles IX, qui connaissait bien l'esprit d'accaparement du protestantisme, finit par lui dire qu'après avoir été soufferts par les catholiques, les réformés demandaient à être leurs égaux en attendant qu'ils pussent en force les chasser du royaume[34]. — C'est alors que fut résolu ce qu'on appela le complot de Meaux. Les religionnaires tenaient des conciliabules à Valéry, chez le prince de Condé et au château de Châtillon, chez l'amiral[35]. Ils devaient enlever le Roi, s'emparer du cardinal de Lorraine et lever une armée. Les protestants d'Ecosse venaient ainsi d'enlever Marie Stuart. On aurait déclaré Charles IX déchu du trône et Condé — le Roi des Fidèles, comme l'appelèrent ses médailles — aurait pris sa place. — Tandis que ces préparatifs se poursuivaient en secret, le Conseil faisait des levées d'hommes et par précaution organisait, à Paris, les compagnies bourgeoises sous les couleurs des confréries. Mais le projet de révolution dynastique est affirmé par une lettre confidentielle antérieure de la duchesse de Ferrare à Calvin (mars 1564), et des prédicants sanguinaires, parlant du Roi, criaient qu'il fallait exterminer ce pupille, — exhortant même les simples femmelettes à dire qu'elles voudraient, de leurs mains, étrangler tous les ennemis de l'Evangile. — On sait comment se fit la retraite de Meaux. La cour séjournait à Montceaux-en-Brie lorsque arriva le sieur de Castelnau, que Charles IX avait envoyé complimenter la duchesse de Parme et le duc d'Albe à Bruxelles et qui revenait avec le bruit du prochain a moment. On ne le voulait point croire d'abord et L'Hospital dit même que c'était un crime capital de donner un faux avertissement à son prince, mêmement pour le mettre en défiance de ses sujets[36]. Mais sur l'insistance de M. de Nemours, la Cour décida de gagner Meaux[37] et envoya le maréchal de Montmorency au-devant des levées suisses, tandis que les protestants occupaient Rozoy et Lagny (26 septembre). Les Suisses approchant, Condé essaya de les joindre en rase campagne, mais arriva trop tard. Entrés dans Meaux à minuit, ils en repartirent à trois heures du matin, se dirigeant vers Paris en bataillon carré ; au milieu d'eux, ils avaient placé le Roi et les dames. Quelques centaines de gentilshommes formaient la tête et la queue du convoi. Charles IX était exaspéré d'une insolence qui le réduisait à une telle extrémité et voulait qu'on se battît. Mais ceux qui l'entouraient préférèrent sagement s'en tenir à la défensive[38]. — La noblesse protestante, pour ce coup de main, n'avait pas d'armes de guerre, mais seulement la cape et l'épée. Condé se porta à la rencontre des Suisses avec 200 cavaliers, demandant à parler au Roi, et fut reçu avec les piques. D'Andelot, peu après, le rejoignit. En réalité, ils avaient peu de monde, 500 à 600 chevaux contre 6.000 fantassins soutenus par près de 800 cavaliers. Il n'y eut que quelques escarmouches et l'escorte royale rencontra bientôt d'Aumale, Vieilleville et d'autres capitaines qui venaient à sa rencontre avec ce qu'ils avaient pu réunir de troupes. Le soir, la Cour était au Bourget, tandis que Condé revenait coucher à Claye où les conjurés s'organisèrent. — Le prince voulait bloquer Paris et la Cour, résolu à brusquer la campagne, comptant d'ailleurs que l'attention qui se porterait de ce côté laisserait libres les routes d'Allemagne et du Midi, d'où il attendait des renforts ; enfin, les protestants pouvaient saisir quelques forteresses importantes qui seraient d'un grand secours si l'armée essuyait un revers[39]. En quelques jours, en effet, ils prirent Orléans, La Rochelle, Montauban, Etampes, Dourdan, et le 2 octobre Condé vint mettre son quartier général à Saint-Denis, brûlant tous les moulins situés au nord de Paris. — Le connétable avait appelé les bandes de Strozzi et de Brissac, réclamé le concours du duc d'Albe. On recrutait des volontaires, et la Reine essaya comme de coutume de négocier avec les confédérés. L'Hospital, Vieilleville et Morvillers furent chargés de leur porter des paroles de paix et Catherine offrit même sa médiation si les armes étaient posées dans les vingt-quatre heures. Mais on n'obtint que des récriminations et diatribes contre les Guise, les Italiens ; les confédérés se retranchèrent derrière une requête qu'ils avaient présentée. Une nouvelle députation apporta un projet d'édit. Les huguenots alors demandèrent que Condé et autres pussent aller librement vers le Roi et lui soumettre leurs demandes ; ils réclamaient le renvoi des troupes étrangères, le rétablissement de l'édit de janvier, la convocation des Etats, — tant que Catherine rompit brusquement les négociations. Un héraut d'armes fut envoyé à Saint-Denis pour sommer le prince et les confédérés de se présenter devant Charles IX pour lui rendre hommage ou déclarer la cause de leur mauvaise intention[40]. Les religionnaires, surpris et gênés par cette démarche dont l'appareil féodal réveillait plusieurs siècles d'histoire, hésitèrent. Ils écrivirent au Roi pour exposer en termes respectueux leurs griefs, se bornant à solliciter le libre exercice du culte en tous lieux indistinctement. Les négociations furent reprises à La Chapelle, d'ailleurs sans autre résultat qu'une altercation entre Condé et le connétable qui déclara que le Roi ne consentirait jamais au libre exercice de la religion nouvelle ; qu'il voulait maintenir l'ancienne et aimait mieux la guerre que de se rendre suspect à la plupart des princes étrangers. Les confédérés d'ailleurs recevaient des renforts. Ils étaient environ 4.000 fantassins et 2.000 cavaliers. Montgommery et le vidame de Chartres avaient surpris tous les bateaux de la Seine et débarqué à Saint-Ouen. L'amiral l'avait occupé et communiquait par un pont de bateaux avec les détachements envoyés sur la rive gauche de la Seine, jusqu'à Argenteuil et Dampierre. Même d'Andelot fut envoyé avec 500 chevaux el, des arquebusiers occuper Poissy pour empêcher le passage de Strozzi ou du duc d'Albe. Mais Strozzi et Brissac venaient d'arriver. L'armée royale comptait ainsi 16.000 hommes de pied environ et 3.000 cavaliers[41]. Le 4 novembre, une colonne sortie de Saint-Cloud enleva le corps de garde qui couvrait le pont de bateaux de Saint-Ouen, brûla le pont et reprit Argenteuil. Cinq jours après, l'avant-garde catholique occupa La Chapelle, attaqua et culbuta la grand'garde protestante. En l'absence de d'Andelot, les réformés tinrent conseil et plusieurs étaient d'avis de se replier sur Saint-Denis, puis gagner Orléans ou la vallée de la Marne. D'autres voulaient rester sous les murs de Paris et attendre la bataille, espérant vaincre en détail les différents corps de troupes dont disposait le connétable, qui ne pourrait tirer parti de sa supériorité numérique par suite de la rapidité avec laquelle venait la nuit. Cette opinion, adoptée par l'amiral, l'emporta finalement. Le 10 novembre, au matin, l'armée royale déboucha par le faubourg Saint-Denis et les calvinistes n'eurent que le temps de rejoindre leurs postes. Condé se déploya entre Aubervilliers et Saint-Ouen et mit sa cavalerie en haye sur une seule ligne ; des arquebusiers couvraient ses flancs et se reliaient à d'autres troupes cachées dans les villages. Mais Montmorency, sans attendre l'effet de sa canonnade, donna trop tôt l'ordre d'attaquer. Cossé et Brissac furent arrêtés par un fossé creusé devant Aubervilliers ; Damville et le duc d'Aumale ne furent pas plus heureux. L'amiral chargea les volontaires parisiens[42] qui s'enfuirent en désordre. Le connétable, au centre, qui bataillait contre les troupes de Condé, vit les siennes rompues ; son cheval fut tué ; l'Ecossais Stuart lui criait de se rendre[43], mais Montmorency, blessé déjà[44], lui cassa la mâchoire avec le pommeau de son épée si bien que de longtemps, la bouillie lui servit de manger. Il reçut ensuite un coup de feu dans l'épaule, qui l'étendit blessé mortellement. — Les catholiques reprirent d'ailleurs l'avantage. Coligny venait d'être battu par des troupes fraîches ; même on le crut prisonnier ou caché dans Paris et pendant trois jours on fit des perquisitions pour le trouver[45]. La nouvelle de la mort du connétable était venue, heureusement pour les huguenots, porter le désordre dans l'armée royale. Ils purent se retirer sur Saint-Denis[46]. Condé n'y perdait qu'un cheval et put rentrer paisiblement, heureux quand même de l'issue du combat. — D'Andelot, revenu trop tard, ne put qu'insulter les corps de garde catholiques à La Chapelle et brûler encore quelques moulins ; mais Condé se hâta de quitter Saint-Denis pour aller au-devant des renforts qui lui arrivaient d'Allemagne[47].

 

 

 



[1] Le cardinal de Châtillon arriva à Rouen le lendemain de l'entrée du Roi, en même temps que le prince de Condé et avec une escorte de 500 cavaliers. Ils demandèrent l'autorisation de tenir les prêches ce qui ne fut accordé toutefois que la cour fut remplie et farcie de huguenots (CHANTONNAY). A Paris, lors de la publication du précédent édit de paix, il y avait eu déjà grand contredit du prévôt des marchands. Lettre de Coligny, 31 mars. Bibl. nat., mss. fr. 3256, f° 114.

[2] Le conseil expédia ensuite un bref état de ce qui lui semblait nécessaire pour la sûreté et tranquillité de la ville, contenant que nul de la nouvelle religion ne serait reçu à demeure s'il n'avait été bourgeois et habitant avant les troubles ; qu'à l'entrée de la ville, les gardes des portes saisiraient tous les bâtons à feu de ceux qui iraient loger chez les hôteliers et les leur rendraient quand ils voudraient sortir, etc.

[3] Bibl. nat. Instructions à M. de Feuquières pour faire entendre à monsieur le prince ce qui s'ensuit...

[4] On visait ainsi le cardinal de Châtillon et le cardinal de Saint-Romain archevêque d'Aix, qui s'étaient déclarés publiquement huguenots.

[5] Montluc disait que la Reine se serait laissé scier en deux plutôt que de se faire huguenote. Lorsqu'elle sembla, en effet, pencher vers le protestantisme ce fut toujours par intérêt.

[6] Aussi les ministres disaient que le dernier traité de pais était d'un homme qui avait la moitié de son courage prisonnier.

[7] BRANTÔME, DE THOU. — On a contesté d'ailleurs le rôle complaisant attribué à Catherine dans cette intrigue. Cf. Comité des monuments écrits, 1850.

[8] Mlle de Limeuil, qui avait eu également une aventure avec le sieur de Fresne, secrétaire du Roi, épousa plus tard le baron Scipion Sardini, dont l'hôtel existe encore, rue Scipion, proche la Bièvre. C'est aujourd'hui la boulangerie des hôpitaux de Paris.

[9] La maréchale de Saint-André se remaria avec Geoffroy de Caumont et la duchesse de Guise avec Jacques de Savoie, duc de Nemours, dont elle était la maîtresse.

[10] MICHELET, Histoire de France. — Papiers d'Etat du cardinal Granvelle, t. VIII, p. 301 (4 septembre 1564).

[11] Il avait alors quarante-neuf ans et la mariée en avait vingt. (LOUVET, Hist. et antiquités du diocèse de Beauvais, t. II.) Selon les frères Haag (France protestante), il se serait marié en habit de cardinal ; mais d'autres documents indiquent qu'il était vêtu d'une saye de velours noir et d'un long manteau de cour, sans épée (Bulletin de la Société du protestantisme, t. XXIII. p. 137). Deux mois après son mariage, il vint à Paris et se présenta au Parlement en robe rouge, au grand scandale même des huguenots. Cité à comparaître à la cour de Rome par le pape Paul IV, il s'était gardé de répondre, mais la sentence d'excommunication fut quand même prononcée. Malgré un édit du Roi qui déclarait nuls les mariages contractés par les ecclésiastiques, il avait écrit à la reine Catherine pour réclamer ce qu'il appelait son droit. Il voulait en même temps continuer à administrer son diocèse, mais le chapitre s'y opposa. Il dut même déposer à l'hôtel de ville de Beauvais les clefs des jardins, tours et forteresse de l'évêché, tandis que l'on rendait les armes à la garde bourgeoise qui en avait été privée. Triste personnage, au demeurant, c'est de lui que l'on disait : Il y a des cardinaux qui honorent le chapeau rouge ; il y en a d'autres qui en sont honorés. Après sa mort (1571), sa veuve réclama son douaire et fut déboutée par le Parlement de Paris ; mais Coligny lui céda la moitié de la succession. (France protestante ; abbé DELETTRE, Histoire du diocèse de Beauvais, t. III.) — Après son abjuration, Odet de Châtillon avait pris le titre de comte de Beauvais, et, paraît-il, se faisait encore appeler l'abbé de Saint-Benoît. Selon Moréri, il aurait épousé Elisabeth d'Hauteville sur les instances des protestants qui désiraient avoir un cardinal marié.

[12] Le Concile de Trente, dont il faut dire quelques mots ici, avait été clos le 4 décembre 1563, après avoir été convoqué jusqu'à trois fois dans l'espace de dix-huit ans et avoir duré de 1545 à 1563 sous cinq papes différents. Commencé avec Charles-Quint (13 décembre 1545), suspendu durant de longues années, il était profondément dévoué au pape tout en cherchant la conciliation entre le catholicisme et la Réforme. Les ambassadeurs de l'empereur, des rois de Hongrie, de Bohême et de France demandèrent (16 juillet 1562) qu'on permît la communion sous les deux espèces pour attirer les protestants, proposition qui fut rejetée par le Concile. On demanda ensuite une réformation de la cour romaine ; mais le pape remontra qu'il avait déjà commencé cette réformation et qu'il la continuerait avec zèle pour tout ce qu'on pourrait raisonnablement attendre de lui. La 25e et dernière session se tint les 3 et 4 décembre 1563, et l'on publia trois décrets touchant le Purgatoire, l'Invocation des saints et l'usage des Indulgences, après quoi le concile renvoya au pape la décision des différends qui pourraient naître. (MORÉRI.) La publication des décrets du Concile fut d'ailleurs refusée par les parlements de France, malgré les réclamations du cardinal de Lorraine et d'autres ecclésiastiques. Le Concile, enfin, n'ayant pas produit des résultats suffisants au goût de certains, on parla d'en réunir un autre et Charles IX le proposa au roi d'Espagne. Mais Philippe II répondit d'une manière évasive. — C'est à propos du Concile de Trente qu'Elisabeth, parlant de ceux de ses sujets qui s'y trouvaient, écrivait qu'elle ne comprenait pas qu'un Anglais pût se mettre en communication avec les envoyés du pape.

[13] Elle a presque toujours voulu recourir dans une égale mesure à la fermeté et à la dextérité, croyant pouvoir adoucir la rigueur des moyens de l'une par la finesse des moyens de l'autre... Sa conduite à l'égard des partis repose sur deux mobiles : châtier, puis négocier, dissimuler ou temporiser. Ses coups sont médités ; elle prévoit avant de les porter le mode par lequel elle devra les atténuer. Nul être au monde ne portait plus loin la qualité diplomatique : elle est le plus remarquable négociateur diplomatique dont l'histoire fasse mention. (A. BASCHET, La Diplomatie vénitienne.) Je sais qu'on l'a vue pleurer plus d'une fois dans son cabinet ; puis faisant effort sur elle-même, elle se montrait le visage riant afin de ne point alarmer ceux qui jugeaient de l'état des choses d'après l'expression de sa figure. Elle se remettait ensuite aux affaires et ne pouvant agir à sa guise, elle s'accommodait partie à la volonté de celui-ci, partie à celle de celui-là ; elle faisait ainsi de ces emplâtres qui ont fait parler d'elle dans le monde entier peu favorablement à son honneur. (Relations des ambassadeurs vénitiens, t. II, p. 154.)

[14] Un synode protestant se tint alors à La Ferté-sous-Jouarre, où le ministre Pérussel, attaché à Condé, dit que la Reine avait écrit à l'amiral pour le menacer, bien informée que les huguenots voulaient recommencer les troubles. — Vers le même temps Coligny faisait partir une nouvelle expédition de protestants pour la Floride.

[15] C'est à Troyes que fut enfin signée la paix avec l'Angleterre. — Au moment du siège du Havre, Throckmorton avait été arrêté, sous prétexte qu'il n'avait pas de pouvoirs en règle, mais en somme pour qu'il ne pût renouveler ses intrigues, et l'audience demandée par Smith, son successeur, fut remise indéfiniment et d'une façon peu cérémonieuse. D'ailleurs, en plein conseil, Coligny s'écria qu'il n'avait jamais consenti à laisser entrer aucune garnison anglaise dans une ville du royaume, déclaration qui ne lui coûtait guère. Les négociations durèrent ensuite jusqu'au voyage des provinces ; après de longues discussions et même des querelles entre eux, les Anglais acceptèrent 120.000 couronnes que le Roi baillait à Elisabeth d'honnêteté et de courtoisie et la France garda Calais. — Cf. Revue des questions historiques : La paix de Troyes avec l'Angleterre, par le comte DE LA FERRIÈRE, t. XXXIII.

[16] Cf. la Reine Margot et la fin des Valois, chap. II.

[17] FONTANON, Recueil des Ordonnances, t. IV, p. 279.

[18] Les réformés se plaignaient toujours de ne pouvoir obtenir justice dans les massacres et séditions qui avaient eu lieu dans le Maine, en Vendômois, en Provence, Gascogne, au Puy, à Tours ; à entendre les protestants, les catholiques avaient tous les torts ; mais de fait, un nouveau soulèvement se préparait. Charles IX répondit à Condé, venu pour présenter leurs réclamations, qu'il n'avait rien plus à cœur que de faire rendre bonne justice à ses sujets ; qu'il ne devait pas vouloir régir la volonté de son souverain et que si les gouverneurs avaient manqué à leurs devoirs il les ferait sévèrement punir. L'édit de pacification devait être observé et la justice égale pour tous. Mais Catherine n'en continua pas moins sa guerre de coups d'épingles.

[19] Catherine écouta ses doléances et l'assura qu'elle voulait détruire le calvinisme, mais qu'il y fallait du temps et des préparatifs (DAVILA, t. I, p. 212). — Vers le même temps, Coligny intriguait pour faire appuyer auprès du Roi, par les membres du conseil de Berne et de Zurich, les droits des protestants ; on lui demandait surtout d'entretenir l'édit de janvier (octobre-novembre 1564). Des envoyés de l'Electeur palatin, du margrave de Bade des ducs de Wurtemberg, de Saxe et de Poméranie, vinrent également réclamer une liberté entière pour les huguenots. — Que dirait-on, répondit Charles IX, si je faisais solliciter les princes protestants d'accorder aux catholiques la permission de prêcher et de dire la messe dans leurs Etats. (DAVILA, Histoire des guerres civiles, t. I, p. 226 ; Revue des questions historiques, t. XXXVIII, 1885.)

[20] Catherine cherchait à marier ses enfants et c'est elle seule qui désira l'entrevue de Bayonne. Philippe II ne s'en souciait aucunement d'abord et profita seulement de l'occasion pour proposer des arrangements dont devait profiter le catholicisme ; la Reine avait pris soin d'ailleurs d'éloigner tous les officiers huguenots. (Comte DE LA FERRIÈRE, Revue des questions historiques, 1er octobre 1883.)

[21] Les documents les plus sérieux que l'on possède sur les conférences de Bayonne sont deux lettres du duc d'Albe reproduites dans les Papiers de Granvelle, tome IX, et si l'on y parle des moyens à employer pour dompter les huguenots, il n'est nullement question de les exterminer. Charles IX lui-même n'était pas disposé à prendre les armes, craignant de ruiner son royaume. (Lettre du 15 juin.) Le duc d'Albe ne propose que d'expulser les ministres de cette friponnerie, de leur couper la tète, au moins de les enfermer. La Cour hésitait entre les partis religieux aussi bien qu'entre les systèmes politiques. Le duc d'Albe dit seulement qu'il lui semblait qu'il était parvenu à écarter quelques-uns des scrupules de Catherine touchant le châtiment des hérétiques. Les réformés, dit-il, gagnent du terrain ; il faut expulser cette mauvaise secte, ramener les sujets du Roi à leur antique soumission et maintenir la reine mère dans la légitime autorité qu'elle exerce (21 juin). Là, fut résolu, dit Tavannes, que les deux couronnes se protégeraient mutuellement, maintiendraient la religion catholique et ruineraient leurs rebelles, dont les chefs seraient justiciés. Davila dit que chacun des deux rois serait libre d'employer les mesures et résolutions qu'il croirait plus convenables. On convint, dans les conciliabules secrets, d'agir de concert pour rétablir le calme et abolir la diversité de religion. — On peut donc soutenir que le massacre fut proposé à Bayonne, mais on ne peut aller au delà. De Thon prétend que l'entente fut établie pour une protection mutuelle et qu'on devait massacrer tous les protestants sans exception. C'est là que commence la légende. Il y eut, dit le P. Mathieu, un conseil fort étroit entre la Reine et le duc d'Albe pour l'extirpation de l'amiral et de son parti ; le duc conseillait des Vêpres siciliennes en disant qu'une tête de saumon valait mieux que cent grenouilles. Le secret aurait été surpris par Henri IV enfant, — il avait douze ans, — qui se hâta d'en faire part à sa mère, laquelle put informer Coligny, Condé et les principaux des protestants.

[22] A propos du projet d'extermination des huguenots attribué au duc d'Albe, il faut noter (Bulletin du protestantisme) que le général de Philippe II fut félicité plus tard, en 1567, par le pape Pie V qui le voyait avec joie massacrer les protestants de Flandre. L'idée de la Saint-Barthélemy aurait été alors proposée à Catherine de Médicis, — et aurait même été arrêtée, selon les affirmations de M. F. COMBES. (Cf. Lectures faites à la Sorbonne, t. II, p. 231, et Les Conférences de Bayonne, par M. le baron KERWIN DE LETTENHOVE.)

[23] Il faut cependant noter que lorsque Condé lui annonça son nouveau mariage en lui indiquant qu'il voulait le faire bénir à la protestante dans une maison de Jeanne d'Albret, elle le retint et déclara que les noces seraient célébrées à la cour (8 novembre). Elle autorisa même le prêche, malgré les protestations du cardinal de Bourbon, mais qu'il eût lieu les portes closes et que les princes protestants n'y amenassent que leur suite. (Journal de l'ambassadeur Smith, State pap. ; duc D'AUMALE, Histoire des princes de Condé, t. I, p. 277.) — Avec Catherine, il y avait des accommodements sur tout, — et surtout provisoires.

[24] 1566 n. s.

[25] Cette garde ne le quittait jamais ; l'accompagnait à l'église et au cabinet du Roi et, la nuit, veillait à sa porte. BOUILLÉ, Histoire des ducs de Guise.

[26] L'hôtel de Cluny.

[27] Sur le bruit que Condé devait épouser la duchesse de Guise, l'amiral était venu secrètement à Paris quelques jours auparavant et y était entré avec le carrosse de la duchesse de Montmorency, sa cousine. Il y demeura deux jours en conférence avec le gouverneur de Paris, le prince de Porcien et quelques-uns de ses partisans.

[28] HOTMAN, Vie de Coligny, édit. de 1665.

[29] DE THOU, t. III.

[30] Le Discours du voyage fait à Paris par Monsieur l'Amiral au mois de janvier dernier, 1565, pet. in-f°.

[31] On peut voir sur ce curieux épisode un travail publié par M. le baron DE RUBLE dans les Mémoires de la Société de l'histoire de Paris : François de Montmorency, gouverneur de Paris et de l'Ile-de-France, t. VI (1879), p. 200.

[32] Le May, soi-disant, devait faire à l'amiral un mauvais coup à la chasse, et avait reçu du duc d'Aumale 100 écus et un bon cheval.

[33] C'est cette assemblée de Moulins qui régla définitivement la question du commencement de l'année, fixé anciennement à Pâques, et bouleversa toute la chronologie. — Il y eut, parait-il, également à Moulins, un projet de massacre des calvinistes, mais qui échoua par une peur qui prit soudain à la Reine ou par l'absence de certains d'entre eux. On avertit Coligny, toujours est-il, qu'on devait l'assassiner, mais il avait déjà été menacé plusieurs fois et n'y prit garde. (BRANTÔME, t. I, p. 456.)

[34] Vers ce temps (1564-1565), Coligny avait noué des relations avec la Porte ottomane et le sultan Sélim II. L'amiral avait envoyé Téligny à Constantinople sans qu'on ait su au juste le but de l'ambassade. Le sultan mourut peu après et Téligny revint. Mais Philippe II connut ces allées et venues et s'en plaignit à Charles IX. Coligny s'en tira comme toujours par des dénégations. — De nouvelles tentatives de colonisation avaient été également essayées en Amérique, d'où Villegagnon était revenu fort ennemi de l'amiral. Il s'agissait toujours de trouver un refuge pour les réformés, en dépit des Espagnols. En 1562, Jean Ribaut était parti du Havre pour la Floride. En 1564, à la paix, Coligny avait insisté pour envoyer encore une flotte qui fut commandée par Landonnière. Mais les Espagnols survinrent, assiégèrent et prirent le fort Caroline qui avait été bâti par les réfugiés. Le gouvernement français dut intervenir et sommer Philippe II de punir les auteurs de l'entreprise, tandis que le roi d'Espagne, qui trouvait là un bon prétexte pour se plaindre de Coligny, l'accusait d'avoir agi sans ordre et demandait son châtiment. Catherine, du reste, se fâcha et répondit vertement qu'elle souhaitait que tous les huguenots fussent en ce pays-là et que le roi d'Espagne n'avait pas à intervenir pour punir les sujets de son fils. L'amiral se prodigua en réclamations et appuya les plaintes des familles de ceux qui avaient été capturés par les Espagnols. (Bibl. nat., mss. fr. 15882, f° 144.) Une autre expédition conduite par le fils de Montluc n'alla pas plus loin que Madère où il fut tué à l'assaut. Enfin, en Afrique, une expédition partie du Havre fut surprise et battue par les Portugais, et les navires coulés. — Philippe Il, en ce qui le concernait, refusa d'ailleurs toute réparation. — Une lettre de Coligny à Catherine de Médicis, qui se place à peu près à ce moment, a été analysée dans les Archives des missions scientifiques, 1865, t. II, p. 426. Il dit qu'il trouve étrange que le Roi lui ait écrit comme à un brouillon ou perturbateur du repos public ; il lui a semblé qu'une telle dépêche eût été mieux employée à un Marcel ou autre de telle humeur que lui. —Marcel, prévôt des marchands, fut mêlé, on le sait, à la sanglante répression du 24 août 1572.

[35] LA NOUE, Dis. polit., p. 723. — Philippe II, qui redoutait l'alliance des protestants de France avec ceux des Pays-Bas, poussait à la persécution et Coligny, ne pouvant faire agréer ses propositions, déplorait l'attitude du gouvernement qui faisait des vœux pour le succès des Espagnols. D'ailleurs, ajoute La Noue, on démantelait certaines villes et l'on construisait des citadelles aux lieux où les calvinistes avaient l'exercice de leur religion, preuve certaine qu'un coup de force se préparait. De plus, par le prince de La Roche-sur-Yon, on avait su qu'à Bayonne résolution avait été prise de détruire les religionnaires, dont on disait qu'en bref ils ne lèveraient pas la tête si haut. — Le Roi, dit M. Delaborde, fut supplié de renvoyer les Suisses ; mais l'ajournement de cette mesure accrut la défiance de Coligny. Le connétable avait envoyé son fils Thoré à Châtillon, mais qui ne tira rien de l'amiral, sinon des protestations générales. Les protestants ensuite envoyèrent vers le connétable et pour éviter une effusion de sang lui adressèrent de nouvelles soumissions, le suppliant d'avoir pitié de la France et remettre tout en paix. Montmorency eut un accès de franchise : — Que voudriez-vous, dit-il, qu'on fit de ces Suisses si bien payés, si on ne les employait pas ! (D'AUBIGNÉ, Histoire, liv. IV, chap. VII.) Une dernière démarche enfin fut tentée. Coligny et Condé se rendirent à la Cour et remontrèrent qu'il n'y avait nécessité des Suisses dans le royaume, si on ne voulait les employer contre la religion. (Histoire de cinq rois.) Ils ajoutèrent qu'ils se tiendraient sur leurs gardes et étaient bon nombre. Ils convoquèrent ensuite une nouvelle assemblée. On disait que Condé et Coligny devaient être arrêtés ; que plus de 3.000 personnes avaient péri de mort violente depuis la paix sans qu'on pût obtenir justice. On parlait de reprendre Orléans, d'autres villes et se mettre sur la défensive. L'amiral, parait-il, voulait encore temporiser, mais la plupart furent pour les coups.

[36] Cf. La Reine Margot et la fin des Valois, chap. II. — Catherine aurait voulu rester, craignant Paris guisard, dit d'Aubigné, mais la marée l'emporta. (Liv. IV.)

[37] La Reine envoya vers Coligny que l'on trouva dans son château de Châtillon paisiblement occupé à de l'agriculture. Content de ce tour de finaud il alla ensuite rejoindre l'armée protestante. (Revue des questions historiques, t. XXXVIII.)

[38] Mémoires de Castelnau, t. VI, p. 15. Le Roi arriva à Paris le 28 septembre, avant la chute du jour. Une erreur d'itinéraire, parait-il, égara les protestants lancés à la poursuite de Charles IX en traversant la forêt de Bondy.

[39] Duc D'AUMALE, Histoire des princes de Condé, t. I, p. 298.

[40] Les hérauts d'armes devaient sonner trois fois et crier : De par le Roi, vous, Louis de Bourbon, prince de Condé, du sang de la couronne de France, je vous fais commandement et somme de par le Roi, de venir le trouver à Paris où il vous attend, et en vous faisant miséricorde recommande son service. La même chose devait être faite pour l'amiral et d'Andelot, les hérauts ajoutant : Au refus de quoi, le Roi se pourvoira contre vous par toutes voies et moyens.

[41] Selon d'autres documents, l'armée royale avait 16.000 hommes d'infanterie, 10.000 chevaux et quatorze pièces de canon ; les huguenots 2.000 arquebusiers, 1.000 chevaux et quatre pièces d'artillerie ; selon M. DELABORDE (Gaspard de Coligny), 2.000 cavaliers et 4.000 hommes de pied. Les chiffres, comme toujours, restent incertains.

[42] Coligny, avec 1.000 hommes de cavalerie, se plaça entre les étangs des Poissonniers ; Genlis, avec un nombre à peu près égal d'arquebusiers, occupa les abords du bois et les dernières maisons du côté opposé, tandis que Condé, avec une petite division, mi-partie fantassins et mi-partie cavaliers, barrait la route de Saint-Denis à peu près à la hauteur des fortifications actuelles. Le connétable attaqua le centre avec du canon, mais pendant que les arquebusiers, embusqués dans les maisons, arrêtaient sa charge, la cavalerie de Genlis donna brusquement sur la gendarmerie catholique qu'elle bouscula.

[43] Peut-être le même qui avait assassiné le président Mynard. Il fut pris à la bataille de Jarnac et tué de sang-froid. (BRANTÔME, t. I, p. 325.)

[44] Il avait quatre blessures au visage et même un coup de hache d'armes sur le front (DAVILA), huit blessures, selon d'Aubigné. On l'emporta et il mourut le lendemain. Ses fils qui le relevèrent réussirent à déloger les arquebusiers et chasser la gendarmerie huguenote. — Montmorency, qui avait une activité de vieillard merveilleuse, mais un dévouement variable, a-t-on dit, penchant tantôt pour Catherine et tantôt pour les Guise, avait été, de même que le duc François et le maréchal de Saint-André, condamné à mort par la faction protestante sur le conseil de Th. de Bèze.

[45] Son cheval l'emporta parmi les fuyards de l'armée catholique : mais il réussit à se dégager et regagna Saint-Denis.

[46] Si mon maitre, disait l'ambassadeur turc, qui assistait au combat du haut de Montmartre, avait seulement mille de ces casaques blanches, — les huguenots — pour mettre à la tête de son armée, l'univers ne lui tiendrait pas deux ans.

[47] Condé se présenta le lendemain en bataille, dit Vieilleville, mais il n'y eut âme vivante qui osât venir au combat. Le maréchal de Montmorency alléguait partout que l'honneur de la journée lui appartenait, d'autant qu'il était demeuré maître du champ de bataille et qu'il eut tout le loisir d'enterrer ses morts, tandis que l'ennemi avait abandonné ses bagages, et les corps des siens étaient demeurés nus sur la place, aux chiens et aux oiseaux. Interpellé par le Roi, Vieilleville ajouta que la bataille n'avait été donnée qu'au profit de Philippe II car il y était mort assez d'hommes pour conquérir la Flandre et les Pays-Bas. On agita la question d'assiéger les huguenots dans Saint-Denis, mais le Conseil consulté, y renonça. (Vincent CARLOIX, Mémoires sur Vieilleville, liv. IX, chap. XXXVII-XXXIX.)