L'AMIRAL DE COLIGNY

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE III.

 

 

La guerre d'Allemagne. — Organisation de l'armée française. — Occupation des Trois-Evêchés. — Siège de Metz. — Coligny amiral de France. — La bataille de Renty. — Abdication de Charles-Quint. — Conversion de d'Andelot et des Châtillon au protestantisme. — La trêve de Vaucelles (1551-1556).

 

La fin de l'année 1551 se passa en escarmouches, en petits engagements sur la frontière, entre les troupes impériales et celles des dues de Vendôme et de Nevers, qui réussirent à protéger les terres de leurs gouvernements de Picardie et de Champagne. Le Roi, entre temps, toujours bien disposé pour ses favoris, avait appelé à Fontainebleau son cher et amé cousin Gaspard de Coligny, et l'avait nommé gouverneur de Paris et de l'Ile-de-France en remplacement du sire de la Hochepot, son oncle, qui venait de mourir. Coligny fut reçu à l'Hôtel de Ville le 9 février 1551[1] et donna aux échevins quelques paroles de politesse, promettant de s'employer au bien et profit de la ville[2]. — Mais sur la fin de l'hiver, Henri II, sollicité d'appuyer la révolte des villes impériales contre Charles-Quint qui poursuivait obstinément son projet d'assujettir à une obéissance commune les sujets de son empire, se déclara le protecteur des libertés de l'Allemagne ; il se mit en campagne au mois de mars et se dirigea vers Châlons. — D'après sa charge de connétable, Montmorency devait avoir le commandement de l'avant-garde, c'est-à-dire la moitié de l'armée quand le Roi commandait en personne la bataille, et l'aurait remplacé s'il s'était abstenu. On était peu disposé à la Cour à reconnaître l'autorité du vieux soldat, à supporter la rudesse de ses manières, ses fanfaronnades, son ton hautain et provocant, et le Roi s'était fait accompagner, avec ses meilleurs capitaines, des ducs d'Aumale et de Guise. — Les troupes françaises étaient d'ailleurs superbes au témoignage des contemporains et pouvaient donner toute confiance. Il y avait là vingt enseignes du Piémont[3], vieilles bandes et vieux soldats, hommes aguerris méritant le moindre le titre de capitaine, bien armés, braves et en grand équipage, qui faisaient le nombre de dix à douze mille hommes. Davantage, en Provence, Languedoc et toute Aquitaine, avaient été faites levées, selon les ordonnances et commissions du Roi, de trente-cinq enseignes, dont une partie étaient gentilshommes puisainés et cadets de grosses maisons ; le reste vieux soldats exercités en cet art ; et pouvait être le nombre d'eux de dix mille hommes ou plus, étant le sieur de Châtillon général sur toutes lesdites compagnies, tant vieilles que nouvelles[4]. Des Allemands et lansquenets, le comte Rhingrave en avait deux régiments, qui est dix enseignes par régiment ; le comte Recroc [Reckrod] en avait autant ; un autre capitaine allemand nommé Chartel [Schertel] avait de trois à quatre mille lansquenets ; toutes lesquelles compagnies faisaient le nombre de quinze à seize mille hommes. Quant à la gendarmerie et cavalerie, y pouvait y avoir quinze cents hommes d'armes, avec leur suite d'archers, deux mille chevau-légers et autant d'arquebusiers à cheval[5], desquels était général M. le comte d'Aumale. Tout lequel nombre de gens de pied et de cheval, après que les munitions et victuailles furent assemblées[6], fut conduit et adressé devers Toul, première ville neutre à l'entrée de la Lorraine[7]. — L'organisation de cette armée, une des plus belles que jamais prince chrestien mit ensemble[8], était surtout l'œuvre du duc de Guise, dont on put apprécier alors l'esprit d'ordre, la science des détails et le talent administratif[9] et c'était à sa formation qu'avaient surtout servi les levées de troupes signalées par les envoyés anglais et que l'on croyait d'abord destinées à l'Italie. Sa principale force, dit M. Delaborde, résidait dans un corps de 10.000 hommes de pied commandés par Coligny ; mais c'est encore là une assertion toute gratuite. On doit se rappeler dans quel mépris restait tenue l'infanterie au seizième siècle, et le mot de Mme de la Roche-sur-Yon à Condé sur ces pieds puants de gens de pied, que rapporte Brantôme. Le noyau de l'armée du Rhin était formé par les compagnies d'ordonnance, dont le commandement était tenu à honneur même par des princes. C'était la cavalerie bardée de fer qui avait chargé à Fornoue et de son choc formidable culbuté l'armée vénitienne. Les hommes d'armes y étaient tous gentilshommes et le seul fait d'admission dans une de ces compagnies conférait la noblesse. Chacune comprenait de vingt-cinq à cent hommes accompagnés de deux archers et d'un coultillier ; ils étaient montés sur gros roussins ou coursiers du royaume, turcs et chevaux d'Espagne, avec les barbes peintes des couleurs des sayes que portaient les capitaines, armés du haut de la tête jusques au bout du pied avec les hautes pièces et plastrons, la lance, l'épée, l'estoc, le coutelas ou la masse... et sur tous paraissaient les chefs et d'autres grands seigneurs aux harnois dorés et gravés, les chevaux armés et caparaçonnés de bardes et lames d'acier légères et riches ou de mailles fortes et déliées, couvertes de velours, draps d'or et d'argent, orfavries et broderies en sumptuosité indicible[10]. C'est en effet l'époque où l'armurerie de combat et de joute atteint sa plus grande splendeur. Elle devient une œuvre d'art aussi bien qu'un armement défensif. Les armes à feu n'ont pas encore assez de puissance pour la rendre inutile et il suffit de se rappeler les armures merveilleuses du Musée d'artillerie, de la porte de Hal à Bruxelles, de l'Armeria Real de Madrid, l'armure dé Henri II au Louvre pour imaginer ce que pouvait être la beauté, la richesse, le pittoresque et la couleur de ces armées de la Renaissance, des guerres d'Italie, des expéditions de Charles-Quint. C'est la fin de la chevalerie. La guerre moderne ne commence qu'avec le mousquet, avec le fusil et la baïonnette. L'avantage est encore à l'homme armé de fer, au cheval couvert de fer, tour vivante dont la masse est irrésistible au galop de charge. — Mais ce n'était pas toute la cavalerie du temps. Les archers, armés à la légère, portaient la demi-lance, le pistolet à l'arçon de la selle, l'épée ou le coutelas, et étaient montés sur cavallins et chevaux de légère taille. Les chevau-légers avaient des corselets, brassais ou bourguignottes, la demi-lance ou le pistolet ou le coutelas et étaient montés sur cavallins, doubles courtaux ou chevaux de taille légère et vistes[11]. Les arquebusiers à cheval étaient couverts de jacques et manches de maille ou cuirassines avec la bourguignotte et le morion et portaient l'arquebuse longue de trois pieds à l'arçon de la selle. L'infanterie enfin, les vieilles enseignes de Piémont, Champagne et Boulogne, était armée de corselets, avec les bourguignottes à bavières, brassais, gantelets et tassettes jusques au genouil, portant long bois et la plupart le pistolet à la ceinture ; les arquebusiers armés de jacques et manches de maille, avec les morions, l'arquebuse ou scopette luisante, polie et légère, les fourniments fort exquis et braves[12]. — Toute cette masse d'hommes, avec les pionniers ou gastadours, les goujats, les valets et les femmes[13] ayant débordé sur la Lorraine, Toul et Verdun ouvrirent leurs portes ; Metz fit quelque semblant de résistance, mais Tavannes s'empara d'une porte par surprise et les bourgeois, comprenant qu'il valait mieux laisser de bon gré pénétrer le Roi que subir le pillage, livrèrent les clefs. Henri II entra par la porte Serpenoise les clairons et trompettes sonnant, avec les blasons et armoiries de France, les hérauts d'armes vêtus de leurs cottes de velours cramoisi azuré, semées de fleurs de lys, les deux cents Suisses marchant en bataille les premiers, suivis des cardinaux de Lorraine, de Châtillon et de Lenoncourt, du connétable portant l'épée nue devant Sa Majesté, à l'entour de laquelle étaient les princes et grands seigneurs presque de tout son royaume, en une magnificence et pompe inestimable. — Mais l'occupation des Trois-Evêchés, conseillée par le prince de Simmern et le comte de Nassau, chefs de l'ambassade germanique avec laquelle Henri II avait traité, devait être à peu près tout le résultat de cette campagne. L'armée prit, en avant de Metz, un petit fort appelé Roc-de-Mars, — Rodemack — et entra en Alsace. Là, les difficultés commencèrent, et les désordres et pilleries. Les soldats de pied ayant toujours les armes sur le dos, marchaient en bataille avec la chaleur et la poussière, qui les grevait et altérait grandement. Quand ils arrivaient dans leurs quartiers, ils ne trouvaient que la place vide, sans vivres et sans moyen d'en recouvrer promptement ; ainsi altérés avec une chaleur véhémente, buvaient des eaux froides, à raison de quoi tombaient en grandes maladies, pleurésies et fièvres, dont en mourait grand nombre. Strasbourg, que le connétable pensait réduire aussi aisément que Metz, disant avec sa vantardise habituelle qu'il entrerait dedans comme dans du beurre, ne voulut rien entendre et les premiers qui se présentèrent devant ses murailles furent reçus à coups de canon ; les villes refusaient même des vivres. Le Français, dit Vieilleville[14], qui avait montré son insolence au premier logis effraya si bien tout le reste que nous ne trouvâmes depuis un seul homme à qui parler. Il fallait faire cinq ou six lieues pour aller au fourrage ou aux vivres, mais avec bonne escorte, car dix hommes n'en revenaient pas. A Saverne furent faites grandes exécutions par les prévôts et ministres de justice d'aucuns soldats qui détroussaient les munitions, pillaient et ramenaient des villages plusieurs meubles, comme linge, habits, vaisselle, bétail et chevaux et ce que pouvaient rencontrer. — Malgré les ordonnances de Coligny, ordres, polices et loix, et les soldats mal réglés et mal faisans qu'on voyait pendus aux branches des arbres plus que d'oiseaux, personne ainsi ne voulait rentrer les mains vides. Le Roi, venu soi-disant pour la délivrance des villes impériales, allait voir se soulever tout le pays. Les princes allemands, irrités par la prise de Metz, changeaient de sentiment et ne pensaient plus qu'à s'unir à Charles-Quint pour repousser l'invasion étrangère. Henri II dut se replier sur le Luxembourg pour garantir sa frontière que venaient ravager les troupes de Marie de Hongrie, sœur de l'Empereur et gouvernante des Pays-Bas. Il prit Damvillers et Montmédy, qu'il voulait réunir au royaume et dont il interdit le pillage, laissant toutefois, pour la première de ces villes les biens et meubles à M. de Chastillon, réservé l'artillerie. Mais, à la capitulation d'Yvoy (23 juin) que le comte de Mansfeld, mal secondé par la garnison, fut obligé de rendre, les bandes de lansquenets se révoltèrent, et malgré le connétable qui y avait fait entrer sa compagnie d'ordonnance ainsi que celle de son fils, saccagèrent la malheureuse ville, tant que pour contenter à leur tour les bandes françaises, on dut leur abandonner Chimay qui avait été pris d'assaut. Ils entrèrent à la foule là dedans, écrit François de Rabutin, et la saccagèrent de tout ce qu'ils purent ravir ; et dedans la voûte d'une des tours du château où l'on avait retiré les poudres à canon, furent brûlés et rôtis plus de cent ou six-vingts soldats français, qui eux-mêmes avaient mis le feu[15].

Le Roi, d'ailleurs, dut rompre son camp dès la fin de juillet, tant par les grandes maladies qui y survenaient, causées par les chaleurs, que par l'abondance des pluies qui commençaient déjà à tomber. Mais aux approches de l'hiver, il dut rappeler les troupes. Charles-Quint avait rassemblé tout le contingent des princes et des villes du Saint-Empire, fait des levées en Espagne, en Italie, dans les Pays-Bas et se trouvait à la tête de 120.000 hommes, chiffre énorme pour l'époque, prêt à se jeter sur Metz que, dès le mois d'août, le duc de Guise s'était chargé de défendre. Retardé par la lenteur des Allemands, les longues distances, les difficultés de la concentration, l'Empereur ne put investir que le 19 octobre la ville où s'étaient jetés les quatre princes de Bourbon, Enghien, Condé, le prince de La Roche-sur-Yon et le vidame de Chartres ; deux frères de François de Lorraine, le grand prieur et le marquis d'Elbeuf ; deux des fils de Montmorency ; le duc de Castro, Nemours, La Rochefoucauld, Martigues et autres gentilshommes qui vinrent pour leur plaisir. Guise avait eu le temps d'approvisionner et de fortifier la ville et elle pouvait résister à l'immense armée impériale. — Quelques auteurs, dont le parti ne fait point doute, ont cru devoir regretter que pour la défendre, on n'ait pas choisi leur héros, M. de Châtillon[16] ; mais il n'est pas très sûr que Coligny ait eu alors le même bonheur et déployé le même génie que son rival, et les faits parlèrent assez éloquemment pour que nul des contemporains n'ait regretté la décision de Henri II. Aucun document n'indique du reste que Gaspard de Châtillon ait même fait entendre qu'il en prendrait la charge et le Roi ne dissimula pas au duc de Guise qu'il lui accordait un périlleux honneur. — Coligny, toujours est-il, dut envoyer à Metz une partie de son infanterie et accompagna le connétable qui commandait en Lorraine une armée d'observation. Il s'agissait de surveiller le marquis Albert de Brandebourg, qui s'était séparé des princes allemands lorsqu'ils avaient traité avec l'Empereur et ne songeait qu'à mettre les villes à contribution, à enrichir ses soldats faméliques, à vendre au plus haut prix son alliance trompeuse ; au demeurant assez triste personnage, rapace, haineux et médiocre, condottière barbare dont l'amitié eût été pire que la défection. Il avait commencé par se dire l'allié de la France et avait rançonné Nuremberg. Les richesses des électeurs ecclésiastiques l'attirèrent sur le Rhin et il pilla Spire et Trèves. Des juifs emportaient sur des chariots, dans ses provinces incultes, le butin amassé par ses bandes. Albert, traînant derrière lui de 15 à 18.000 hommes d'infanterie formant soixante-deux enseignes, huit escadrons de deux cents chevaux et 3 pièces d'artillerie, dépouillant les églises et les villages, approcha lentement de Metz[17]. Mais le duc de Guise, méfiant, lui refusa des vivres aussi bien que l'entrée de la ville. Il était à Pont-à-Mousson lorsque Coligny fut chargé de négocier avec lui[18], offrant de la part de Henri II 150.000 écus pour le satisfaire et en payement des mois de septembre et octobre, et si le Roi ne voulait continuer à s'en servir, 50.000 écus pour sa retraite. Le marquis, avec un maintien d'homme austère, dépité et mal content, en demanda 300.000, et autant pour se retirer. Coligny proposa 100.000 écus à condition qu'il entrerait aux Pays-Bas, ainsi qu'il avait toujours dit qu'il en avait la volonté et de faire le pire qu'il pourrait à l'Empereur. Il accepta, puis demanda encore autre chose, déclarant qu'il ne partirait pas avant de connaître la réponse du Roi. — Le connétable continua bientôt ces négociations et après d'assez longues controverses, Albert de Brandebourg se remit en route, surveillé par le duc d'Aumale, frère de François de Guise, avec deux cents hommes d'armes environ et quinze cents chevau-légers. Il alla jusqu'à Toul, abîmant tout sur son passage, puis sollicité par le duc d'Albe qui le pressait de se joindre à Charles-Quint ; effrayé par les préparatifs formidables de l'Empereur harcelé des paysans qui assommaient comme pourceaux tous ceux des siens qui s'écartaient pour la maraude, revint sur Saint-Nicolas et, près du Port Saint-Vincent, attaqua la cavalerie du duc d'Aumale, en bataille sur le haut d'une montagne appelée la Croix du Moustier et l'ayant dispersée et battue le fit prisonnier lui-même (28 octobre)[19]. Il gagna ensuite le camp impérial devant Metz dont venait de commencer l'investissement.

La résistance du duc de Guise contre toute l'Allemagne et une partie de l'Europe fut d'ailleurs admirable. Il avait commencé par affamer l'ennemi, fait rentrer les blés et fourrages, détruire jusqu'aux moulins, abattre les faubourgs avec leurs églises et monastères, pour dégager les abords de la place, et démanteler le fort de Rodemarck, trop éloigné pour être utilement défendu ; on avait élargi les fossés, refait en partie les remparts sous l'habile direction de Pietro Strozzi, de Camillo Mariani et du sieur de Saint-Remy, l'ingénieur militaire le plus renommé du temps, et le duc lui-même avait porté la hotte avec les princes et seigneurs qu'il avait en sa compagnie. Ce général de trente ans, fui n'avait été jusqu'alors qu'un favori du Roi, un courtisan comblé de richesses et d'honneurs, allait se révéler le premier homme de guerre du royaume. Metz avait des vivres pour dix mois, alors que tout le pays environnant, saccagé par Albert de Brandebourg, n'était plus qu'un désert où les Impériaux ne trouvèrent ni provisions, ni arbres, ni abris. — Dès les premiers jours, François de Lorraine avait enthousiasmé la population et les soldats. Il avait deux qualités rares en France, écrit l'ambassadeur Michieli, le sang-froid et le sentiment de sa valeur, sans vanité ni orgueil. Il était partout, à toute heure, disant qu'il dormirait quand Charles-Quint aurait renoncé à prendre la ville. Il prodiguait sa propre fortune, celle de son frère le cardinal pour l'approvisionner, la mettre en état de défense, rassembler des munitions, arquebuses, canons, poudres. Forcé d'abattre l'abbaye de Saint-Arnould, hors les murs, où reposaient les ducs de Lorraine et de Metz, les corps de Louis le Débonnaire, de la reine Hildegarde, de l'archevêque Drogo et autres princes de la famille de Charlemagne dont il s'enorgueillissait de descendre, il avait d'abord ordonné une procession expiatoire qu'il suivit tête nue, la torche au poing, et ramené ces restes illustres au couvent des Frères-Prêcheurs, dans la cité. Il avait fait sortir toutes les bouches inutiles, laissant emporter aux exilés ce qu'ils avaient de plus précieux et s'engageant à leur tenir compte après le siège de ce qu'ils auraient laissé sous la garantie inviolable d'un inventaire et de sa parole. — Alors il écrivit au Roi que Metz serait sauvé et qu'il en pouvait répondre.

Charles-Quint, qui avait passé deux mois à réunir ses troupes italiennes, espagnoles, autrichiennes, flamandes, ses lansquenets et ses reîtres, commandés par le duc d'Albe, le marquis de Marignan et le marquis de Brabançon, favori de Marie de Hongrie, arrivait malgré l'avis de ses généraux au commencement de la mauvaise saison, — au début d'un hiver qui devait être terrible. Dès qu'ils parurent, les Impériaux risquèrent une attaque à la porte des Allemands sur la haute Seille, mais furent si vivement rabroués par le sieur de Strozzi qu'ils laissèrent 200 hommes sur la place. Ils durent se résigner à faire un siège en règle, établir des batteries, des mines ; la canonnade était si violente qu'on l'entendait parfois à Strasbourg et au delà du Rhin. Les remparts et les tours s'émiettaient, croulaient sous les boulets, mais derrière s'en élevaient d'autres ; tous les jours, c'étaient des sorties, des escarmouches où les assaillants avaient du pire, des convois enlevés et menés dans la ville ; beaucoup désertaient le camp de l'Empereur, surtout des Italiens, et venaient prendre du service dans l'armée de Henri II, dont les détachements tirés des troupes du duc de Nevers parcouraient la Lorraine, interceptaient les vivres. Les garnisons de Verdun et de Toul arrêtaient les provisions, les renforts ; enlevaient les soldats affamés qui s'écartaient du camp, tenant comme enfermée dans la boue et la neige cette masse confuse d'hommes venus de toutes les nations, qui s'épuisaient devant ces murailles à demi détruites par l'artillerie et auxquelles ils n'osaient même pas donner l'assaut[20]. Lorsque, le 28 novembre, la tour d'Enfer s'abattit avec un pan énorme du rempart, laissant une ouverture de trois cents pas de large, ce fut au dehors une huée de triomphe ; mais la poussière tombée, on aperçut les enseignes et cornettes de la garnison plantées sur un nouveau mur, déjà haut de 8 pieds au-dessus de la brèche et l'attaque projetée fut encore remise ; pour remplir les vides, on mit des sacs de terre ; les femmes roulaient jusqu'aux bastions des balles de laine ; un soldat nommé Montilly eut même l'audace de descendre par la brèche et la remonter à la vue des Allemands ; il les salua du chapeau, la plume jusqu'à terre et leur cria : Messieurs ! la brèche est praticable. — Le 7 décembre, enfin, l'assaut parut si certain que le duc de Guise se prépara, vint aux courtines, prêt à soutenir le choc décisif, et l'épée nue parla à ses compagnons de veilles et de gloire, les exhortant à bien se battre, et au moins à bien mourir. — Je vous demande, leur dit-il, d'être aujourd'hui ce que vous avez été depuis cinq mois, — dignes de vous-mêmes ! — Et touchant sa poitrine : Je vous demande de suivre la croix de Guise partout où elle vous conduira ! — Les colonnes d'assaut étaient en marche, mais la couardise des Allemands, vingt fois battus et reconduits à coups de piques[21], était telle que devant l'attitude décidée des défenseurs, au dernier moment elles refusèrent d'approcher. Charles-Quint, au camp depuis le 20 novembre pour hâter le siège, hurlait de rage. Goutteux, impotent, il s'était fait porter devant la brèche et criait : — Comment, plaies de Dieu ! n'entre-t-on point là dedans ? La brèche est faite ! Elle est si grande et si à fleur de fossé ! Vertu de Dieu, à quoi tient-il ? — Le duc d'Albe répondit que Guise avait élevé un autre rempart garni d'un miliasse d'artifices de feu et que l'armée allait s'y perdre. — Mort-Dieu ! fit l'Empereur, que ne l'avez-vous fait essayer ! Vous arrêtez-vous à tout ce que l'on vous rapporte ? — Le duc dut lui représenter qu'il y avait là plus de dix mille braves hommes, soixante ou quatre-vingts grands seigneurs et neuf ou dix princes du sang royal de France et qu'on n'en aurait pas aisément raison. Alors, Charles-Quint, outré de colère, s'écria : — Ha ! je renie Dieu ! je vois bien que je n'ai plus d'hommes ; il me faut dire adieu à l'Empire, à toutes mes entreprises et au monde, et me confiner en quelque monastère ; car je suis vendu et trahi, et par le mort-Dieu, devant trois ans je me rendrai cordelier[22]. — On l'emporta ; on continua de canonner la ville dont quelques tours furent encore abattues, mais sans rien y faire davantage.

Cependant, en Picardie, les Impériaux, commandés par Antoine de Croy pour Marie de Hongrie, avaient brûlé Noyon, Nesle, Chauny, Roye et Folembray, une magnifique maison que le feu roi François avait fait édifier pour le plaisir de la chasse, et de sept cents à huit cents villages, lesquels pour la plupart étaient du patrimoine de M. le duc de Vendôme. En même temps que le siège de Metz, Henri II avait appris la prise d'Hesdin, puis quelques jours après la mort du vieil amiral d'Annebant[23] (2 novembre 1552), qu'il avait chargé de défendre La Fère. Rassuré du côté de la Lorraine, le Roi fit appeler à Châlons, où il s'était rendu, Gaspard de Coligny, et après un long entretien lui remit l'état d'amiral de France et-Bretagne, tout en le laissant colonel général non seulement des bandes en marche, mais de tous les gens de pied qui étaient et seraient cy-après deçà et delà les monts et en attendant le retour de d'Andelot, auquel cette charge devait être transmise[24]. Il le nomma de plus son lieutenant pour ramener l'armée de Lorraine en Picardie et reprendre Hesdin, ne laissant à M. de Nevers, gouverneur de Champagne, pour inquiéter l'Empereur, que les garnisons environnantes[25]. — D'accord avec le duc de Vendôme, Coligny reprit en effet Hesdin après deux jours de siège (19 décembre)[26] et ce succès acheva de décourager Charles-Quint qui craignit un retour de l'armée royale sur Metz et décampa le 26 décembre laissant des ordres pour la retraite de ses troupes par Thionville et Trèves. Il abandonnait 30.000 cadavres dans les boues glacées et les fondrières de la campagne lorraine[27]. Le dernier à partir, parait-il, fut le marquis de Brandebourg ; mais le duc de Guise le chassa d'une volée de quatre couleuvrines, et ses gens étaient si combattus de faim, froid et toute misère que les Français, émus de grand pitié, n'en tenaient nul compte ; ils leur livraient passage et les laissaient aller[28]. — L'aspect du camp impérial était d'ailleurs épouvantable ; tant d'hommes morts, dit Bernard de Salignac, de quelque côté qu'on regardât, beaucoup à qui ne restait qu'un peu de vie, et une infinité de malades qu'on oyait plaindre dans les loges ; en chacun quartier, cimetières grands et fraîchement labourés, les chemins couverts de chevaux morts ; les tentes, les armes et autres meubles abandonnés, et généralement une si grande misère en tout qu'elle émut de compassion ceux même qui leur étaient justement ennemis. — Nous trouvâmes, dit de même Vieilleville, qui arriva à Metz avant le départ du marquis de Brandebourg et traversa ce charnier, des soldats par grands troupeaux, malades à la mort, qui étaient renversés dans la boue ; de pauvres gens assis sur de grosses pierres, ayant les jambes dans la fange, gelés jusqu'aux genoux, qu'ils ne pouvaient ravoir, criant miséricorde et nous priant de les achever de tuer ; il en fut tiré plus de trois cents de cette horrible misère, mais à la plupart il fallut couper les jambes car elles étaient mortes et gelées. M. de Guise envoya assembler les malades, ordonnant une charitable aumône pour les nourrir et guérir, leur administrant toutes nécessités et tels soulagements que pauvres malades étrangers ont besoin, et sépulture à ceux qui étaient trépassés. Les plus valides furent emmenés par bateaux à Thionville et remis au duc d'Albe. — Guise quitta Metz le 24 janvier. Il avait tenu parole et pouvait revenir[29]. Lorsqu'il reparut à la cour, Henri II l'embrassa à plusieurs reprises et lui dit : Vous avez vengé le règne de mon père et honoré le mien[30].

Enivré par la victoire de Metz, le Roi ne songea plus, du reste, qu'à oublier les fatigues et les préoccupations de la guerre dont on ne parla plus durant tout le reste de cet hiver, dit F. de Rabutin, sinon par murmures et conjectures. Après son expédition de Picardie, Coligny était revenu pour se présenter devant le Parlement de Paris en qualité d'amiral de France (12 janvier), et selon le désir exprimé par Henri II et comme gouverneur de l'Ile-de-France, on l'autorisa à garder son épée entrant au Palais, prêtant le serment ou assis à l'audience[31]. A la Cour, on ne faisait mention que de festins et triomphes, de toutes sortes de jeux et passe-temps ; mêmement en ces jours furent célébrées à Paris les fêtes et noces du seigneur Horace de Farnèse, duc de Castro, et de Mlle Diane, fille naturelle du Roi, avec une somptueuse magnificence. On prévoyait même si peu un retour offensif de l'Empereur et Henri II mettait si peu de hâte à réunir des troupes que Coligny écrivait de Fontainebleau, encore le 3 juin 1553, au maréchal de Brissac : — Je suis maintenant en cette Cour, et attendant d'être dépêché pour aller en Picardie, où le Roi commence à assembler ses forces ; combien que, à ce que je puis voir, il n'y en aura si grand nombre ensemble de tout ce mois que ma présence y soit nécessaire. Je crois que vous n'êtes à savoir les nouvelles qui ont été semées de la mort ou grande et extrême maladie de l'Empereur ; et encore aujourd'hui m'a parlé un qui en vient et m'a dit qu'il partit de Bruxelles depuis quinze jours en ça et que lors on voyait les plus grands personnages de cette Cour-là faire bien mauvaise chère, qui sont plusieurs conjectures de divers endroits qui viennent se confirmer, et pour le moins le dit Empereur est très mal de sa personne, dont nous ne pouvons être plus guère de temps en doute[32]. — Mais Charles-Quint, que l'on croyait moribond, troubla bientôt cette imprévoyante quiétude. Il avait mis debout une nouvelle armée qui envahit l'Artois au commencement de juin. La première place assiégée fut Thérouanne, ancienne capitale de la Morinie, qui avait subi maintes fois déjà les atrocités de la guerre, brûlée en 1343 et en 1347 par les Flamands ; prise et reprise par les Anglais et les Français ; démantelée en 1513 et rétablie en 1517 par François Ier. Le Roi y envoya le sieur d'Esse avec 100 hommes d'armes, deux escadrons de cavalerie légère et deux compagnies d'infanterie. Mais la place était mal pourvue, la garnison trop réduite pour tenir contre une armée sans le secours du dehors. D'Esse fut tué sur le rempart, Thérouanne emportée d'assaut au moment d'entrer en composition (20 juin), pillée, saccagée, incendiée, la garnison et les habitants massacrés, hommes, femmes, enfants, sauf les rares qui purent donner rançon ; et sur les ordres de Charles-Quint qui avait à venger le désastre de Metz, entièrement détruite, rasée, démolie, maisons et églises, pierre à pierre, si bien que cent ans plus tard on savait à peine la place où elle avait été[33]. Deux mille pionniers travaillèrent à cette œuvre de barbarie, qui demanda quinze jours. — Hesdin, pris le 18 juillet, et que défendait le maréchal de la Marck, duc de Bouillon, eut le même sort, et c'est là que se fit tuer sur la brèche d'un coup d'arquebuse le duc de Castro, Horace Farnèse, qui venait d'épouser Diane de. France, la fille de Henri II. — Ce dernier malheur réveilla enfin le Roi ; Montmorency, accompagné du prince de Condé et du maréchal de Saint-André, battit les Impériaux près de Doullens. Dans le mois d'août, l'armée fut remise sur les champs ; Coligny se trouvait à la tête d'un corps de 15.000 à 16.000 hommes. On escarmoucha du côté de Bapaume, Cambrai, Valenciennes, mais tout le résultat de la campagne fut d'arrêter les progrès de l'ennemi. — Celle de 1554 devait être plus importante. Henri II avait réuni 50.000 hommes. Il ravagea le Hainaut, le pays de Namur, prit Baurin, Mariembourg, Bouvines. Dinant faillit être emporté de haute lutte sans les hésitations des troupes de l'amiral qui, des premiers, gravit la brèche avec le sieur de Montpezat tenant une enseigne qu'il planta sur la muraille, et ne se retira qu'à la nuit, blessé d'un éclat à la jambe. La ville, d'ailleurs, capitula et l'armée entrant en Artois mit le siège devant le château de Renty, d'où les Impériaux inquiétaient le Boulonnais et la Picardie (8 août). — Charles-Quint était parti d'Arras pour secourir la place et vint camper sur le haut, en la plaine d'une montagne, entre un village appelé Marque et celui de Foquemberge, où y avait un grand vallon qui faisait séparation des deux armées,et un bois à la gauche, appelé le bois Guillaume, que l'Empereur délibérait d'occuper pour nous empêcher de donner l'assaut et nous contraindre, à coups de canon, de déloger et abandonner le siège[34]. — L'armée était sous les ordres du connétable, mais le duc de Guise commandait en la bataille. En reconnaissant les fortifications du château, investi, il avait essuyé plusieurs salves d'escopettes et des balles avaient percé les basques de son pourpoint, ce qui ne l'avait au reste nullement empêché d'achever son inspection ; il s'était retiré au petit pas de son cheval Fleur-de-Lys, mettant en verve toute l'armée par son sang-froid. Pour garder le bois Guillaume, s'assurant que les ennemis ne faudraient de venir y tâter, il avait mis sur le ventre trois cents arquebusins choisis[35] et quelques corselets à plein découverts afin que les ennemis, s'adressant premièrement à eux, se trouvassent enfermés et mieux à propos pour être tirés de nos arquebusiers. — Une première attaque de nuit fut repoussée. Au matin, l'Empereur décida d'emporter la position de vive force. Il y jeta 5.000 hommes de pied avec don Fernand de Gonzague, soutenu par la cavalerie légère du duc de Savoie et trois ou quatre pièces de campagne portées sur quatre roues, qu'on pouvait promptement tourner à toute main, et depuis ont été appelées pistolets de l'Empereur. Le long du coteau, près du bois, en descendant sur Foquemberge, marchaient un bataillon d'Allemands et 2.000 reîtres qui avaient promis à Charles-Quint de passer ce jour sur le ventre de toute la gendarmerie du Roi. — Dès l'attaque de Fernand de Gonzague, ayant à sa tête cent rondaches et plus, qui pour piaffe avaient les bras nus jusques au coude, le duc de Guise avait fait avertir Henri II que ce jour ne se passerait pas sans bataille et qu'il allait avoir toute l'armée impériale sur les bras. Pour attirer ensuite l'ennemi et l'amener en lieu plus propre à notre avantage, il avait fait retirer son infanterie, comptant attaquer les Impériaux à la sortie du bois et dans le désordre que la traversée des halliers ne pouvait manquer d'y mettre. Tandis que Montmorency rangeait en bataille ses troupes du côté de Renty, le Roi fit dire à François de Lorraine que si l'occasion se présentait de combattre il ne la refusât point. Mais sa première charge, conduite par le duc de Nemours, se trouva brisée par le feu des Espagnols, la cavalerie du duc de Savoie. Les Impériaux criaient déjà victoire et se lançaient dans la plaine ; Charles-Quint, prévenu, allait entrer en ligne avec le reste de l'armée. — Les charges successives de Tavannes, soutenues par les chevau-légers du duc d'Aumale, balayèrent tout devant elles. Coligny, descendu de cheval et saisissant une pique, s'était en même temps jeté avec son infanterie à travers le bois, faisant un grand massacre et occision des ennemis. La cavalerie acheva la déroute. Charles-Quint perdait 2.000 hommes, 17 enseignes, 5 drapeaux, ses fameux pistolets, et le succès eût été complet sans l'inaction du connétable qui resta obstinément devant les fossés de Renty, appréhendant que la victoire ne fût attribuée au duc de Guise[36] (13 août 1554). — Le connétable fut taxé de n'avoir pas fait son devoir, écrit même le vieux chroniqueur Claude Haton.

Il fallait s'arrêter sur la bataille de Renty, car elle fut l'occasion d'une rupture définitive entre l'amiral et François de Lorraine. Les actions humaines ont souvent de petits et mesquins mobiles. Ambitieux et ombrageux, intolérant, peu disposé à supporter la prééminence d'autrui, Coligny soutint bruyamment son oncle, qui prétendait que sans l'intervention et les charges furieuses de l'infanterie, la défaite était certaine. L'amiral, qu'on avait vu se jeter à la tête de ses bandes sur les Impériaux, ne pouvait souffrir non plus qu'on attribuât à un autre le gain de la journée. Il alla jusqu'à dire que, durant le combat, le duc de Guise ne s'était pas trouvé où il devait être, et le soir les deux hommes eurent une vive altercation dans la tente du Roi. — Ah ! Mort-Dieu, s'écria enfin François de Lorraine, ne me veuillez point ôter mon honneur ! — M. l'Admirai lui répondit : — Je ne le veux point ! — Et M. de Guise répliqua — Aussi ne le sauriez-vous ![37] — Les plus pondérés même avaient alors le cœur chaud et la main prompte. Guise et Coligny tiraient déjà les épées et-allaient se jeter l'un sur l'autre lorsque le Roi intervint. II leur ordonna de s'embrasser et de tout oublier. Ils hésitèrent, n'obéirent qu'à regret et la réconciliation ne fut qu'apparente. Ils devaient désormais se traiter en ennemis.

Vainqueur à Renty, Henri II, qui manquait de vivres et de fourrage, fit offrir en vain à l'Empereur, fortifié dans son camp, de vider leur querelle dans une seconde bataille, puis, le 15 août, dut se retirer, l'air étant infecté et corrompu par la puanteur des hommes et chevaux morts. Des garnisons furent laissées dans Ardres et Boulogne et le Roi rentra à Compiègne, remettant l'armée au connétable, qui la passa lui-même au duc de Vendôme. Le 27, les Suisses et la plupart des compagnies furent congédiées ; c'était à peu près la fin de la campagne, car il n'y eut plus que quelques petits combats sur la frontière. — Charles-Quint, d'ailleurs, était las de la lutte, las du pouvoir, las de régner ; il se sentait vieilli, malade, ayant sur les épaules le faix de l'immense empire qu'il avait constitué ; dont les terres s'étendaient sur les deux mondes, mais disparate, fait de royaumes séparés et de possessions lointaines, et dont la concentration était impossible. Il avait failli à ses ambitions les plus hautes : l'établissement d'une monarchie universelle et l'abaissement de la Réforme. Devant lui restait la France, toujours vivace et forte, malgré ses revers, et en Allemagne les princes protestants l'avaient forcé à traiter, à reconnaître leur existence légitime. Il ne songea plus dès lors qu'à étonner ses ennemis même par un dernier acte de grandeur et d'orgueil. Après avoir été le monarque le plus puissant et le plus fameux de son temps, le triomphateur et l'arbitre de l'Europe, et le seul depuis Charlemagne qui eût justifié véritablement son titre d'Empereur, il abdiqua. Le 25 octobre 1555, il remit à son fils, déjà investi de ses possessions d'Italie et qui devenait le roi Philippe II, ses états de Flandre et des Pays-Bas, et, le 16 janvier de la même année, ses royaumes d'Espagne et des Indes, envoyant le prince d'Orange porter à son frère Ferdinand, roi des Romains, la couronne, le sceptre et le globe de l'Empire. — Le 3 février 1556, il entrait au monastère de Saint-Just en Estramadure[38].

Pendant ces événements et au milieu de toutes ces guerres, d'Andelot, le plus jeune des Châtillon, était resté captif, et si étroitement gardé qu'après quatre mois, son frère, le cardinal, en était encore réduit à chercher un moyen de faire pénétrer au château de Milan son secrétaire pour lui faire service[39]. Toutes les démarches faites pour sa mise en liberté étaient restées infructueuses ; mais par Brissac, qui commandait toujours en Piémont, il avait réussi à correspondre avec les siens ; sa femme, Claude, sur la fin de l'année 1552, était parvenue à le rejoindre et l'année suivante avait accouché d'une fille. Forcée de revenir pour diverses affaires d'intérêt touchant la famille, elle avait fait dès lors la navette de France en Italie et d'Italie en France, et avait mis au monde un deuxième enfant, le 13 août 1555, à bord d'un navire qui allait de Chivazzo à Turin. Toutefois, la correspondance entre d'Andelot et ses frères avait fini par être interceptée[40], le gouverneur du château de Milan en ayant pris ombrage. Moins heureux que Sipierre, qui avait pu traiter de sa rançon contre 3.000 écus, — somme dont il s'était du reste généreusement porté garant, — d'Andelot devait rester cinq années aux mains des lieutenants de l'Empereur. L'ennui de cette longue détention, pour un gentilhomme d'esprit ouvert, curieux, ne pouvait être compensé que par le travail intellectuel. C'est même là un des traits les plus caractéristiques de l'homme du seizième siècle, accoutumé à la vie active, aux batailles, aux voyages, aux déplacements journaliers. Il ne sait pas rester oisif. Enfermé, attaché, il se concentre, revient sur lui-même, et ce qu'il ne peut dépenser en gestes, en mouvement, se transforme en action cérébrale. C'est l'esprit qui va, s'égare, bat les champs, tandis que l'individualité corporelle demeure. Ne pouvant agir, il étudie ; il pense et parfois pense trop. — D'Andelot demanda des livres, lut ceux de Calvin, qui suscitaient alors tant de controverses. De soldat, il se fit théologien ; l'homme de guerre discuta le Pape, la présence réelle dans l'Eucharistie, et se jeta dans le calvinisme[41]. Dès qu'il eut une conviction enfin, il entreprit de la faire partager à ses frères. — C'est au moins la tradition. Odet et Gaspard de Coligny, entraînés par ses lettres éloquentes, auraient lu à leur tour les écrits du docteur de Genève et se seraient convertis. Mais si l'on peut s'étonner de l'acceptation si brusque par le cardinal de Châtillon, prince et évêque de Beauvais, des doctrines protestantes, dans ce siècle d'épicurisme et de vie voluptueuse des prélats, cependant que d'autres aient incliné vers les idées de la Réforme et senti du huguenot, il y a bien à penser que le changement survenu dans les croyances religieuses de l'amiral remonte à une époque bien antérieure. Par ce que nous savons de son caractère, de sa vie roide, de petite santé, sans écarts, sans passion, si ce n'est de dominer ; de son esprit sec, étroit, altier, — d'ailleurs crédule, — mais rassis et prudent dans la conduite des affaires[42], d'une ambition froide et tenace, il était tout désigné pour une évolution pareille. L'éducation, les enseignements du professeur Nicolas Bérauld, l'exemple de la maréchale sa mère, morte en défendant qu'aucun prêtre ne lui fût amené, tout le portait au protestantisme. Il était, pour ainsi dire, certain d'avance qu'il en adopterait les principes et la vie, — jusqu'à devenir un de ses types représentatifs. On le devinait protestant, écrit M. Dargaud, et rien qu'à suivre les faits, en tout cas, sa conversion peut être tenue pour certaine dès l'année 1555. Théodore de Bèze, dans son Histoire ecclésiastique[43], convient que déjà il favorisait autant qu'il le pouvait le parti de la religion. — C'est alors, en effet, qu'il donna pour la première fois la main, publiquement, à un acte qui le rapprochait des calvinistes, s'il ne dénonçait pas, comme on peut le croire, son affiliation à la secte. — Dans une lettre à Brissac, du château de Châtillon, où il avait été retenu par la maladie dès la fin de septembre 1554, l'amiral écrivait le 9 mars : — Je partirai de ce lieu dedans deux jours pour m'en aller faire un voyage en Normandie, qui pourra être d'environ six semaines, pour regarder à ce qui touche le fait de ma charge en ce pays-là. — Or, reconnaît M. Delaborde, son apologiste, rien d'urgent ne l'appelait alors en Normandie, mais il allait au Havre préparer une expédition maritime pour le Brésil, qui devait servir les intérêts de la France et en même temps ouvrir un asile pour les protestants qui pourraient se soustraire aux persécutions. Le vice-amiral de Bretagne, Nicolas Durand de Villegagnon, qu'il connaissait depuis le siège de Boulogne, ayant eu des difficultés avec le capitaine de Brest, lui avait fait des ouvertures à ce sujet. II s'était montré favorable aux huguenots, afin de gagner Coligny, qui avait accepté d'être son intermédiaire auprès du Roi, — tout en évitant de parler du but véritable de l'entreprise, — et le 15 juillet 1555, Villegagnon put mettre à la voile avec deux navires armés d'artillerie, munitions et autres choses nécessaires et dix mille livres pour les frais. Les exilés, à leur débarquement, bâtirent un fort qui fut appelé le fort Coligny. Calvin, à la demande de l'amiral, leur adjoignit l'année suivante Pierre Richer, ex-carme apostat, Guillaume Chartier, Philippe Laguillerai, sieur du Pont, et Jean de Léry, en qualité de missionnaires. D'autres partirent encore et mêmement des femmes embarquées sous la charge de Bois le Comte, neveu de Villegagnon. Mais la discorde, dit le P. Daniel, se mit entre ces apôtres. Ils se brouillèrent avec Villegagnon qui, au fond, était catholique et, craignant le ressentiment du Roi, voulait faire revenir la communauté aux coutumes de Rome. Quelques-uns s'enfuirent chez les sauvages, d'autres furent renvoyés en France, sous l'accusation d'hérésie ; plusieurs, refusant de se conformer aux intentions du gouverneur, périrent par diverses morts, et trois furent précipités des rochers dans la mer. Les Portugais détruisirent cet essai de colonie et Villegagnon, ainsi que ceux qui purent échapper, furent très heureux de revenir[44].

Il n'y a certes aucunement à blâmer Coligny d'avoir essayé de soustraire, même dans une intention de propagande calviniste, aux poursuites qui les attendaient en France, et qu'ils devaient du reste retrouver sur la terre d'exil, des malheureux surtout égarés par des doctrines dont ils ne pouvaient voir ni la portée ni les conséquences ; mais il faut au moins convenir qu'un homme peu sentimental de nature, ambitieux et réfléchi comme l'était l'amiral, choyé par Henri II, dont il connaissait les intentions moins que tendres pour les calvinistes, ne se serait pas . exposé à son mécontentement, — peut-être à des extrémités pires, — s'il n'avait eu des raisons sérieuses de le faire. Ces raisons étaient sa conviction nouvelle, le gage qu'il devait donner à ses coreligionnaires. Coligny s'exposa pour les huguenots parce que lui-même était devenu huguenot[45].

L'affaire, du reste, n'eut pas de suites fâcheuses et le Roi dut en ignorer les fins véritables. Le bruit seulement se répandit que grand nombre de luthériens étaient passés sur les navires de Villegagnon[46] et l'amiral demeura en faveur. — La mort d'Henri d'Albret avait appelé au trône de Navarre le mari de sa fille Jeanne, Antoine de Bourbon, gouverneur de Picardie. Antoine de Bourbon, pourvu par Henri II du gouvernement de Guyenne, avait essayé inutilement de faire passer celui de Picardie à son jeune frère, Louis, prince de Condé. On avait préféré le donner à Coligny (27 juin 1555), qui avait conservé en même temps celui de l'Ile-de-France, réservé au fils aîné de Montmorency, prisonnier des Impériaux depuis la prise de Thérouanne[47]. Il avait eu à préserver la frontière du Nord[48] et rejoignit le duc de Nevers pour ravitailler Mariembourg et Rocroy, assiégés par les troupes de Charles-Quint. — Lorsque l'Empereur eut abdiqué à Bruxelles, on espéra une paix prochaine et, pour préparer un rapprochement, il fut question d'échanger les prisonniers. Ce fut Coligny encore, auquel on adjoignit Claude de l'Aubespine, — lequel avait déjà négocié la paix de 1546 avec l'Angleterre, — que le Roi chargea de se rencontrer avec les délégués de Charles-Quint et de Philippe II, Ponthus de Lalain de Begnicourt et Simon Renard, conseiller d'Etat[49]. Les conférences furent tenues à l'abbaye de Vaucelles, proche Cambrai[50] et une première convention fut signée le 19 décembre 1555[51]. Les prisonniers devaient être taxés à une année de leurs revenus, déclaration faite par eux-mêmes sous la foi du serment. Sur quelques mots qui furent dits par les envoyés impériaux, le Roi donna de nouveaux pouvoirs à Coligny et l'Aubespine, pour conclure, le cas échéant, la paix ou une trêve de longue durée. Mais ni l'Empereur ni Philippe II n'étaient décidés ; leurs délégués tergiversèrent ; Coligny et l'Aubespine insistaient pour obtenir que la libération des prisonniers, au moins, ne fût pas remise en question, et d'ailleurs n'obtinrent rien davantage. Le 5 février, de guerre lasse, ils signèrent la trêve, — valable pour cinq ans. — Dès son retour à Saint-Quentin, l'amiral envoya son secrétaire avec un héraut d'armes du Roi et trois trompettes à Péronne et dans les principales villes de son gouvernement, portant des lettres qui recommandaient la publication de la paix et invitant les habitants à faire processions et prières à Dieu[52]. Le Roi lui témoigna sa satisfaction, d'autant mieux qu'en traitant avec les Impériaux, Coligny, d'accord avec l'Aubespine, avait remis une protestation touchant le fait des prisonniers[53] et que Henri II se réservait de ne ratifier la convention qu'après une entente complète à ce sujet. Mais Charles-Quint et Philippe II, tout en se montrant empressés à signer, retardèrent encore. Ils promirent seulement de libérer le duc de Bouillon et François de Montmorency dedans trois mois. L'amiral fut envoyé à Bruxelles, toujours accompagné de l'Aubespine, accrédité comme ambassadeur, pour assister à la prestation de serment des deux monarques et en même temps continuer les négociations. Il partit avec un millier de personnes à sa suite et séjourna assez longuement après les cérémonies[54] dans la capitale du Brabant, où il eut plusieurs entrevues avec le chancelier Granvelle, évêque d'Arras, homme rassis et prudent en la conduite des affaires, comme dit La Place, sans d'ailleurs non plus grand résultat. Des représentations, de même, furent faites au comte de Lalaing lorsqu'il arriva en France (avril 1556) pour assister à la prestation de serment du Roi ; mais la Cour impériale ergota encore, se perdit en arguties d'une évidente mauvaise foi. On attendit alors Simon Renard, qui devait résider près de Henri II comme ambassadeur. Coligny avait dû s'arrêter en Picardie, où quelques escarmouches se produisaient encore sur la frontière ; ruais il se trouva à Paris en même temps que l'envoyé de Charles-Quint et de Philippe II et prenant  prétexte de son affection fraternelle, lui fit de vives plaintes au sujet de d'Andelot. Sa situation, en effet, devenait délicate et il fallait toute la partialité du Roi et le crédit de son oncle pour le maintenir en faveur. Chargé d'abord d'obtenir un échange de prisonniers, il avait négocié si pauvrement qu'après la conclusion d'une trêve dont les Impériaux, qui en avaient parlé les premiers, avaient autant besoin que Henri II, les captifs restaient sous les verrous, au bon vouloir et à la disposition de l'ennemi. A Bruxelles, Charles-Quint, bonhomme et goguenard, lui avait conté des anecdotes ; Philippe II avait ri d'une farce du bouffon Brusquet, venu avec l'ambassade ; on avait festoyé Coligny, on l'avait comblé de bonnes paroles et de protestations amicales ; mais c'était tout ; la question demeurait pendante et les difficultés, les finasseries d'interprétation que recherchaient les Espagnols montraient assez qu'ils n'avaient aucune hâte d'aboutir. — Pour d'Andelot, qui avait pu reprendre, avec l'aide de Brissac, sa correspondance avec ses frères, sa délivrance avait été négociée par le cardinal de Trente et il lui avait été accordé à ce moment de sortir dans Milan sous la garde de deux soldats. Puis un revirement s'était produit, — à l'instigation de Granvelle, affirmait Coligny, — et de nouveau on l'avait mis en prison étroite, — en laroguette, — et traité plus durement qu'il ne l'avait jamais été jusqu'alors, puisqu'il avait eu pour lieu de détention sa chambre et non un cachot. Simon Renard, à ces doléances, répondit qu'il ignorait les faits, mais qu'il devait y avoir raison pourquoi cela avait été ainsi disposé ; que d'ailleurs les prisonniers impériaux étaient resserrés à la Bastille et autres forteresses et qu'il ne convenait nullement accuser le sieur d'Arras, car il n'avait été fait de privée autorité, ains du Conseil. A Chambord, où ils retrouvèrent le Roi (4 mai), il y eut encore de longues discussions, mais quand même Coligny obtint satisfaction, car s'étant rendu à Châtillon, où il reçut le Roi et le connétable, il apprit bientôt par l'Aubespine que la libération de d'Andelot avait été décidée[55]. — Dans les premiers jours de juillet, le nouveau colonel de l'infanterie française était de retour.

 

 

 



[1] Je dois rappeler que l'année commençait à Pâques et que les mois de janvier, février et mars jusqu'au 22, étaient par conséquent toujours compris sous le millésime précédent. Ce fut l'ordonnance de Paris, rendue par Charles IX en 1563 (article 3) qui, adoptant la réforme grégorienne plaça en France le commencement de l'année au 1er janvier. Cf. MAS-LATRIE, Trésor de chronologie.

[2] Th. et D. GODEFROY, le Cérémonial français, in-f°, Paris, 1669, vol. I. — Extrait des registres de l'Hôtel de Ville.

[3] Une enseigne était au plus de 600 hommes. Cf. Fr. DE RABUTIN, Commentaires, liv. II.

[4] Coligny écrit à ce propos au maréchal de Brissac (de Ligny-en-Barrois, 3 avril) : — Monseigneur le connétable s'en doit aller jusqu'à Metz, où l'on n'a point encore entendu qu'il ait été mis autres gens dedans qu'à l'accoutumée. Si ainsi est, on en espère avoir bon compte. L'état auquel nous sommes maintenant acheminés est tel que je fais compte d'avoir dedans cinq ou six jours trente ou quarante enseignes. Nous avons aussi déjà environ douze cents chevau-légers d'assemblés. La gendarmerie marche en la plus grande diligence qu'il est possible, et au regard de l'artillerie, elle marche avec nous qui donnons l'ordre que nous pouvons de parvenir plus tôt que d'être passés... Nous avons aussi déjà douze ou treize mille Allemands déjà venus, qui est tout ce que nous en attendons pour cette heure... (Bibl. nat., mss. U.20461, f° 135.) — Nous donnerons fort peu de la correspondance de Coligny, précieuse pour le temps sans doute, mais qui n'est guère, comme celle de ses frères, qu'amphigouri et verbiage. C'est probablement la seule raison pour laquelle les protestants ne l'ont pas publiée, lacune quand même regrettable, car les historiens la citent diversement selon leur inclination. Un projet de cette publication fut cependant présenté autrefois à la Commission des Sociétés savantes, mais ajourné cl enfin oublié dans le déluge des volumes relatifs à la période révolutionnaire.

[5] Ce fut le duc de Guise qui introduisit dans les urinées l'arquebusier à cheval ; Brantôme indique de même que l'usage du mousquet parmi les troupes doit être attribué au due d'Albe, au montent de la révolte des Gueux.

[6] A Vitry.

[7] Fr DE RABUTIN, Commentaire des guerres de la Gaule-Belgique, liv. II.

[8] Fr. DE RABUTIN, Commentaires.

[9] M. de Guise, écrivit plus tard Montluc, était un des plus vigilants et diligents lieutenants du Roi qui aient été de notre temps, au reste si plein de jugement à savoir prendre son parti qu'après son opinion il ne fallait pas penser en trouver une meilleure. C'était un prime si sage, si familier et si courtois qu'il n'y avait homme en son armée qui ne se fût volontiers mis à tout hasard pour sou commandement. Et capitaine de troupes beaucoup plus que chef d'armée, il ajoute en manière de reproche que ses dépêches l'amusaient un peu trop, car il voulait écrire presque toutes choses de sa main et ne s'en voulait fier à secrétaire qu'il eut, tant il craignait d'être trompé. Commentaires, liv. IV.

[10] F. DE RABUTIN, Commentaires.

[11] Fr. DE RABUTIN, Commentaires. — Au dire de Brantôme, la cavalerie légère avait, fait son apparition dans les armées françaises avec les Albanais de Louis XII ; les Vénitiens appelaient les leurs estradiots, qui nous donnèrent de la fatigue à Fornoue — ou corvats (croates) à cause de leur nation. Les Espagnols eurent de même les genetaires (de genet, petit cheval de montagne). Hommes illustres, édit. Buchon, t. I, p. 213.

[12] F. DE RABUTIN. — Les seigneurs et généraux d'Allemagne, rapporte encore Brantôme, marchaient avec tambourins, robecs et cymballes et ainsi fit le baron Dosnes (de Dhona ?). Mais ce brave grand M. de Guise les lui cassa et en fit taire le son à sa grande honte. Sous Charles IX, Antoine de Bourbon en usa de même et quand il marchait à la guerre les avait toujours sonnant devant lui.

[13] La présence des femmes dans les armées du seizième siècle est attestée par nombre d'historiens et il y a là un des plus curieux chapitres de l'histoire des mœurs à l'époque. C'étaient elles qui portaient le butin, fouillaient les maisons dans les villes prises, pourvoyaient au campement et à la nourriture des hommes. Parfois, elles prenaient part au combat ; on les vit saisir des maraudeurs et les pousser devant elles à coups de bâton. Souvent elles se trouvaient enrichies par une heureuse aventure de guerre, et se retiraient ou se mariaient. Dans la déroute, elles étaient presque toujours sacrifiées. — Quand le duc d'Albe, en 1567, traversa l'est de la France pour aller réduire les villes de Belgique, son armée, la mieux disciplinée du siècle, traînait avec elle quatre cents courtisanes à cheval, belles et braves comme princesses, et huit cents à pied, bien en point aussi. Jean de Horn écrivait à Philippe II qu'il avait deux mille putains à sa suite. — BRANTÔME ; GACHARD, Correspondance de Philippe II. Cf. FORNERON, les Ducs de Guise, t. I, p. 121.

[14] VIELLEVILLE, Mémoires, liv. IV, chap. XVII.

[15] F. DE RABUTIN, Commentaires ; VIEILLEVILLE, Mémoires.

[16] M. DELABORDE, toujours utile à consulter, écrit à ce propos : A qui allait appartenir l'honneur de défendre Metz ? Etait-ce à Coligny, trop modeste sans doute pour le revendiquer, quoique ses antécédents l'en rendissent complètement digne, mais sur qui du moins le connétable pouvait, à très juste titre, faire porter le choix du Roi. Guise le craignit ; et d'autant plus empressé à mettre en avant sa propre personnalité que celle de Coligny se contenait comme toujours dans les limites d'une réserve absolue, il sollicita et obtint la mission de soutenir à Metz le choc de l'armée impériale. (Gaspard de Coligny, t. I, p. 168.) — Ainsi, par la glorieuse défense de Metz, le duc de Guise a usurpé la gloire de M. de Châtillon.

[17] F. DE RABUTIN, TAVANNES ; ROBERTSON, Histoire de Charles-Quint, liv. XI.

[18] Lettre de Coligny au duc de Guise, octobre 1552. (Bibl. nat., mss. coll. Clérambault, vol. 346, f° 565-573.)

[19] Le duc d'Aumale fut mis à rançon pour 70.000 écus d'or que paya Henri II après la levée du siège. Il faut faire décamper cet ivrogne, dit François de Lorraine, lorsque le marquis resta à la traîne avec ses bandes après la retraite des troupes impériales ; il a traité plus rudement mon frère d'Aumale que s'il eût été Turc ou Barbare, jusqu'à lui faire porter sa chemisa trente-six jours. VIEILLEVILLE, TAVANNES.

[20] Ces expéditions continu elles au cours de l'hiver étaient du reste aussi pénibles pour les troupes françaises que pour l'armée de Charles-Quint qu'elles inquiétaient : Le plus souvent nous montions à cheval sur la minuit, raconte Fr. de Rabutin, endurant les gelées et le froid si âpre qu'aucuns de nos compagnons en ont eu depuis divers membres endormis, et les autres morts et perdus de la peine et tourment insupportable qu'ils avaient eu, ayant continuellement les neiges jusque au ventre des chevaux.

[21] Un sergent de bande, accompagné de cinq ou six soldats seulement, avec sa hallebarde avait chassé et contraint d'abandonner leurs tranchées à plus de trois cents hommes ennemis. Quelques autres osèrent aller enclouer leur artillerie et tuer les canonniers sur leurs pièces. Deux ou trois fois le jour, la cavalerie sortait, mettant en tel désordre les ennemis qu'aucuns des gentilshommes les plus hasardeux allaient rompre leurs bois et donner des coups d'épée jusques dedans les tentes et en couper les cordages. Fr. DE RABUTIN, Commentaires.

[22] VIEILLEVILLE, F. DE RABUTIN ; SALIGNAC, le Siège de Metz. — Il faut toutefois un peu se méfier de ce que raconte Vincent Carloix, auteur des mémoires sur Vieilleville, des exclamations de Charles-Quint, d'après une lettre du duc d'Albe à don Alphonse d'Albolanegua, qui aurait été trouvée à Pont-à-Mousson après la prise de la ville. Il n'y a pas là le récit d'un témoin. mais plutôt de la littérature. — Sur le siège de Metz, une étude consciencieuse au point de vue militaire a été publiée par le colonel Fabre dans l'Investigateur, journal de la Société des études historiques, 1877.

[23] Claude d'Annebant, baron de Retz et de la Hunandaye, maréchal de France en 1538, amiral en 1543.

[24] Lettres patentes du Roi, des 11 et 25 novembre 1552 ; DU BOUCHET, op. cit., 468-472. Il n'est pas inutile de faire remarquer cependant que le Roi avait d'abord offert la charge d'amiral au maréchal de Saint-André, qui la refusa sur le conseil de Vieilleville. Le connétable se hâta d'en faire bénéficier son neveu. — Mémoires, liv. V, chap. XXVII.

[25] F. DE RABUTIN ; BELLEFOREST, Annales, t. II, f° 1552.

[26] La garnison capitula ; les troupes sortirent vies et bagues sauves, leurs enseignes ployées, avec deux moyennes pièces d'artillerie à leur queue, sans rien ôter ni transporter autre chose de ce qu'avaient trouvé là dedans. F. DE RABUTIN.

[27] Peut-être davantage, car le duc de Guise écrit le 9 janvier au connétable : De soixante mille hommes que l'Empereur avait amenés, il n'en ramène pas douze mille sains. (Mém.-journaux, édit. Michaud, p. 154.)

[28] F. DE RABUTIN.

[29] Avant de partir, il fit solennellement brûler tous les livres luthériens qui furent découverts dans la ville, en déclarant que le Roi ne tolérerait pas l'hérésie dans son royaume, — petit fait, en somme, mais assez significatif pour les huguenots et que les libres-penseurs lui reprochent encore comme un acte hautain d'intolérance, indiquant bien le parti que dans la suite il allait prendre.

[30] Les plus heureuses de la levée du siège furent sans doute les femmes de Metz, qui avaient été si longtemps à la merci de la garnison. Plusieurs avaient été dérobées et cachées comme prisonnières en chambre. Un seul bourgeois s'était vu enlever sa femme, sa sœur et celle de sa femme, toutes trois fort belles personnes, de vingt-cinq ans seulement la plus âgée. Vieilleville, nommé gouverneur de la place, fit occuper la maison d'un capitaine qui retenait la femme d'un notaire nommé Lecoq, laquelle fut mise dehors par une petite porte et se sauva de vitesse chez son mari. On ne voyait que femmes et filles par les rues, qui se retiraient à course chez leurs pères et maris... et vingt-deux religieuses de bonne part et d'ancienne noblesse que les grands de l'armée avaient enlevées de Saint-Pierre, de Sainte-Glocine, des Pucelles, Sœurs Collettes et de Sainte-Claire, et puis données, se retirant en France, à leurs favoris, se sauvèrent quant et quant par cette émeute, et se vinrent rendre contre toute espérance en leurs monastères et couvents. — VIELLEVILLE, Mémoires, liv. VI, chap. V.

[31] Extrait des registres du Parlement, 10 janvier. DU BOUCHET, Preuves. — Le récit de la réception de Coligny est donné par Pasquier dans ses Recherches sur la France. Cf. DU BOUCHET, ibid. — On ne trouve aucune mention de la charge d'amiral, dit le P. Daniel, avant Charles IV, qui en pourvut Pierre le Megue ou Miege, en 1327. Les anciennes provinces maritimes avaient d'ailleurs conservé des amirautés particulières ; celle de Guyenne s'étendait de la rivière d'Andaye jusqu'au raz de Saint-Mahé ; celle de Bretagne, du raz de Saint-Mahé au Mont-Saint-Michel, et celle de Normandie et Picardie, qui était dite l'Amirauté de France, se prenait depuis le Mont-Saint-Michel jusqu'au pas de Calais. La Provence avait aussi son amirauté, depuis la rivière de Gênes jusqu'au Roussillon. Mais les Rois, au moins depuis François Ter, pour donner en temps de guerre toute autorité à l'amiral de France, le déclaraient toujours leur lieutenant général sur la mer ; il avait pal' ce titre le droit de commandement général sur la flotte. La charge fut supprimée en 1627 par Louis XIII et rétablie en 1669 par Louis XIV en faveur du comte de Vermandois. — L'amiral de France avait le droit de prendre le dixième de toutes les prises faites à l'ennemi et le droit de bris ; d'après une ordonnance de 1543, il contribuait à l'armement et devait fournir une livre de poudre par tonneau de jauge, un pavois et une lance à feu pour trois tonneaux. (Histoire de la milice française.) — L'amiral avait sa juridiction à la Table de marbre du palais, à Paris, et portait, pour marque de sa dignité, deux ancres passées en sautoir derrière l'écu de ses armes. Moréri nomme des amiraux depuis 1270.

[32] Bibl. nat., mss. fr. 20461, f° 132.

[33] Il n'est resté de Thérouanne que quelques plans, dont l'un scénographique donne l'aspect de la cathédrale et a été publié par le Comité des travaux historiques (1894). Au témoignage de Brantôme (t. II, p. 346), d'Essé avait la jaunisse si forte qu'il en teignait en jaune sa chemise. Lorsque Henri II lui confia la défense de la ville, il lai dit hardiment : Sire, lorsque  vous entendrez que Thérouanne est prise, dites que d'Essé est guéri de sa jaunisse et qu'il est mort ! — Le maréchal de Montmorency le remplaça et tint encore dix ou douze jours.

[34] Fr. DE RABUTIN, Commentaires, liv. VI.

[35] D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, liv. I, chap. VII.

[36] M. DARGAUD, op. cit.

[37] BRANTÔME, édit. Bouchon, t. I. — Pour la bataille de Renty, ajoute du reste l'auteur, c'est une chose assez certaine et publique que M. de Guise en fut le principal auteur de la victoire, autant par sa belle conduite et sagesse que par sa vaillance.

[38] 1557, n. s. PRESCOTT, Vie de Charles-Quint à Yuste.

[39] Lettre du cardinal de Châtillon à Brissac, 21 novembre 1551. — Bibl. nat., mss. fr. 20543, f° 74.

[40] Les deux Châtillon semblent avoir eu l'un pour l'autre une très sincère affection. — Monsieur d'Andelot, mon frère, un second moi-même, sur lequel je me pouvais tant reposer, écrit l'amiral dans son Discours sur le siège de Saint-Quentin.

[41] J'ai ouï dire à aucuns, rapporte Brantôme, et même à aucuns soldats espagnols, vieux mortes-payes dans Milan, que durant sa prison, n'ayant autre exercice, il se mit à la lecture et à se faire porter toutes sortes de livres sans que les gardes les visitassent ; car pour lors l'inquisition n'y était si étroite que depuis ; et que là il s'apprit la nouvelle religion, outre qu'il en avait senti quelque fumée, étant allé en Allemagne à la guerre des protestants. Edit. Buchon, t. I.

[42] Pierre DE LA PLACE, Commentaires.

[43] T. I, p. 158.

[44] Sur l'expédition de Villegagnon, cf. BÈZE, Histoire ecclésiastique, t. I, p. 158 ; Jean DE LÉRY, Histoire d'un voyage fait en la terre du Brézil, dite Amérique, 1578 ; Pierre DE LA PLACE, Commentaires ; Claude HATON, t. I, p. 16 et 41, et t. II, appendice ; BAYLE, art. Villegagnon et Richer ; D'AUBIGNÉ, Histoire universelle, t. I, liv. I, chap. XVI, et liv. II, chap. X. — Bèze dit de Villegagnon que sa méchanceté était plus que détestable. M. Delaborde qu'il trompa la confiance de l'amiral, dont il était indigne. — D'après le P. Daniel, de tout temps nul n'a pu armer aucun vaisseau ni même faire de voyage au long cours pour le commerce sans la permission de l'amiral ; sans avoir fait serment de fidélité, ni sous un autre pavillon que celui de France. A la suite de l'affaire de Villegagnon, et si l'on s'en rapporte à une lettre de Charles IX adressée à M. de Sarlabous, gouverneur du Havre, ces permissions ne s'accordèrent plus à personne que sur une bonne attestation qu'il était catholique, apostolique et romain (Histoire de la milice française). — Dieu veut que sa religion soit prêchée par tout le monde, ajoute encore le maréchal de Tavannes. Il n'a permis que les infectés d'hérésie s'établissent aux Indes ; ce seul sujet est cause que la Franco n'y a point de part.

[45] M. le pasteur Weiss dit lui-même que dès cette époque et au moulent du siège de Saint-Quentin ; Coligny passait pour calviniste aux yeux des catholiques et surtout des Espagnols. Je suis disposé à croire, ajoute-t-il, que ce bruit n'était pas sans fondement. A cette époque, en effet, les conversions subites étaient plus rares, dans la haute société surtout, que les adhésions secrètes qui précédaient généralement la profession publique. — Bulletin de la Société du protestantisme, t. XLVI, 1897.

[46] Pierre DE LA PLACE, Commentaires.

[47] C'est avec intention que nous avons indiqué à mesure les avantages et les charges dont la royauté favorisa Gaspard de Coligny. Peu d'hommes, en un temps où tout se faisait par intrigue plus encore que par reconnaissance des capacités, furent davantage comblés, portés aux dignités les plus hautes et aux places les plus lucratives. On nous a tant exposé la modestie, la retenue de l'amiral, pour faire contraste à la rapacité des Guise, qu'il n'est pas inutile de faire remarquer que lui aussi, avec l'appui de son oncle le connétable, savait profiter des circonstances.

[48] L'activité et les préoccupations de Coligny dans sa nouvelle charge sont attestées par ses tournées d'inspection, de nombreuses lettres aux gouverneurs des places fortes de son gouvernement. M. Delaborde a publié celles adressées à M. de Humières, gouverneur de Péronne. — Gaspard de Coligny, t. I, appendice n° 29.

[49] Dans la rivalité des deux maisons de Montmorency et de Guise, ce choix indisposa le duc François de Lorraine, qui écrivit à son frère le cardinal, alors en Italie : Monsieur le connétable a fait trouver bon au Roi que monsieur l'amiral étant de retour en Picardie s'abouchât avec M. de Begnicourt si ceux de par delà le voulaient, pour aviser de prendre quelque conclusion touchant le fait des prisonniers, disant en outre que l'on pourrait peut-être remettre quelque chose de la paix en avant. Mine de Valentinois ne se fie en lui pour le fait de son fils, et m'a dit qu'elle suppliera le Roi y envoyer Estrés ; et pour revenir au fait de ladite paix, j'ai espérance qu'elle ne se pressera si fort que n'ayez le loisir d'achever votre commission pour être des députés pour la faire... etc. Mém.-journaux de Fr. de Lorraine ; Bibl. nat., mss. fr. 23236, f° 416.

[50] Par toutes les villes où passait l'amiral pour se rendre à Vaucelles, les bonnes gens faisaient de grandes démonstrations de joie, se persuadant le peuple que la communication tendait à fin de paix.

[51] Bibl. nat., mss. fr. 3140, f° 15 ; DU BOUCHET, Preuves, p. 474.

[52] Bibl. nat., mss. fr. 2846, f° 167.

[53] Arch. de Péronne, f° 416 ; v° ap. Bulletin du Comité de l'histoire des monuments écrits, 1869, p. 48.

[54] La relation du voyage de Coligny, dans les Preuves de la maison de Chastillon, rapporte, à propos de sa réception, que Charles-Quint avait les mains tellement abîmées par la goutte que lorsqu'il voulut rompre le cachet de la lettre que lui adressait Henri II, il dut s'y reprendre à deux fois, et dit à l'envoyé : Que direz-vous de moi, monsieur l'amiral ? Ne suis-je pas un brave cavalier pour courir et rompre une lance, moi qui ne puis qu'à grand peine ouvrir une lettre. Cf. l'anecdote dans BRANTÔME, Vie des grands capitaines. Edit. Buchon, t. I, p. 8.

[55] Lettre du connétable à l'Aubespine, 16 mai 1556. Bibl. nat., mss. fr. 20991.