L'AMIRAL DE COLIGNY

PREMIÈRE PARTIE

 

CHAPITRE PREMIER.

 

 

Origine des Coligny. — Le maréchal de Châtillon. — Education de ses fils. — Odet de Châtillon cardinal à seize ans. — Amitié de Gaspard de Coligny et de François de Guise. — La maison de Lorraine. — Les dernières années de François Ier. — Etat des partis à l'avènement d'Henri II. — Le siège de Boulogne ; Gaspard de Châtillon, colonel général de l'infanterie française. — Captivité de d'Andelot en Italie (1519-1551).

 

Les Châtillon étaient originaires de la Bresse, terre d'Empire comme la Lorraine. Ils étaient seigneurs de Coligny, d'Andelot et de Fromente ; et c'est seulement au quinzième siècle, et à partir de Jean III, qui avait eu du chef de sa mère, Catherine de Saligny, diverses seigneuries en France, et notamment Châtillon-sur-Loing, qu'ils vinrent se fixer dans le Gâtinais[1]. De ses fils, Jacques de Coligny, seigneur de Châtillon, servit Charles VIII en Italie ; se battit à Fornoue, puis, sous Louis XII, à Agnadel et à Ferrare, et, fut prévôt de Paris (1509). Il mourut, en 1512, d'une blessure reçue à la bataille de Ravenne, et le titre de Châtillon passa à son frère Gaspard, qui lui aussi avait guerroyé outre-monts, à Fornoue, à Cérignoles, contre les Vénitiens et les Génois, et que François Ier fit chevalier de son ordre et maréchal de camp en 1516. — Le maréchal de Châtillon, deux années auparavant, avait épousé Louise de Montmorency, sœur du futur connétable Anne, qui était veuve de Ferry II, baron de Conty, et il en eut quatre fils : Pierre, né en 1515 ; Odet, en 1517 ; Gaspard, en 1519, et François, en 1521. L'aîné dut mourir assez jeune ; Odet fut le cardinal de Châtillon ; Gaspard l'amiral de Coligny, et François seigneur d'Andelot. Ce sont les trois Châtillon que les troubles religieux du seizième siècle devaient, rendre si célèbres, et si nous écoutons les panégyristes[2], la naissance du futur chef des calvinistes fut particulièrement désignée à son père par un signe qui annonçait hautement son destin. Les Châtillon portaient de gueules à l'aigle éployé d'argent, membré, becqué et couronné d'azur, armé et langué d'or ; pour cimier un aigle naissant d'une couronne ducale, de mesme celui de l'oscu ; pour supports deux lévriers d'argent accolés de gueules et pour cri de guerre : ie les espreuve tous. Or le maréchal eut un songe. Ses armoiries lui apparurent sous un aspect nouveau. Elles s'étaient accrues d'une tête de jeune lion dont la face calme et la belle crinière le ravirent. II tira de cela sur l'avenir de l'enfant les plus magnifiques augures. Il lui consacra des soins plus assidus qu'à ses frères, et lorsqu'il trépassa en la ville de Dax (4 août 1522), sur le chemin de Fontarabie assiégée, où il conduisait une armée de secours, il recommanda surtout par son testament, à son beau-frère Anne, le petit Gaspard qu'il regardait comme l'espérance de sa race. — Il faut accepter simplement cette tradition qui, d'ailleurs, est bien dans les idées de l'époque. Les partis comme les nations ont toujours idéalisé et ennobli leurs héros, et Coligny est resté pour les protestants l'homme de l'âge héroïque, celui qui incarna peut-être le plus expressément leurs aspirations dominatrices et leur ténacité. Ce n'est que de notre temps qu'on a été flatté d'apprendre qu'un homme était sorti de rien. — Veuve une seconde fois, Louise de Montmorency se fixa à Châtillon. Elle s'occupa de l'éducation de ses fils et, vers 1528, leur donna pour précepteur Nicolas Bérauld, jurisconsulte, philologue, humaniste, de cette opinion moyenne où se tenait Erasme qui en fait du reste un amical éloge, homme bon, bienveillant, qui s'était intéressé aux premiers travaux entrepris pour la restitution et la publication des textes de l'Ecriture Sainte, et peut-être avait trop écouté les controverses des réformateurs[3]. Leur gouverneur militaire fut un gentilhomme nommé Guillaume de Prunelay, que connaissaient les Montmorency. — Mais ce temps de retraite fut assez court. La maréchale de Châtillon, qui avait été demoiselle d'honneur d'Anne de Bretagne à la cour de Louis XII, fut rappelée lorsque François Ier épousa Eléonore d'Autriche (1530), et c'est à la cour de France que furent continuées l'éducation et l'instruction de ses enfants. On rapporte que le Roi et la Reine la tenaient en haute estime et qu'Eléonore d'Autriche aimait à se rendre chez elle, à Châtillon-sur-Loing, où François Ier lui-même séjourna plusieurs fois. Elle était veuve d'un homme qui avait bien et loyalement servi ; son frère Anne, qui était gouverneur du Languedoc, grand maître de France et avait été fait maréchal en 1522, était marié à une nièce de la reine mère, Louise de Savoie, et voyait sa faveur s'accroître chaque jour ; ses neveux, les Châtillon, devaient bénéficier de cette situation exceptionnelle et, en 1533, à l'occasion du mariage de Catherine de Médicis, le Roi ayant donné au maréchal de Montmorency la disposition d'un chapeau de cardinal, celui-ci l'offrit à Gaspard, le puîné, puis sur son refus à l'aîné, Odet, qui se trouva heureux d'être à seize ans prince de l'Eglise, et commença de la sorte sa carrière ecclésiastique. — Ce fut, en effet, une des conséquences les plus tristes du Concordat de 1516, défendable sans doute à d'autres points de vue, mais où le Roi, en accordant les annates[4], s'était réservé la nomination aux bénéfices. L'Eglise fut envahie, devint l'apanage des courtisans et de leurs proches[5]. Comme aux plus mauvais jours du moyen âge, on vit des enfants à la tête des diocèses, et des laïques, des hommes de guerre reçurent des abbayes. Bussy d'Amboise, le célèbre favori de François d'Anjou, frère de Henri III, fut abbé de Bourgueil ; Pierre de Bourdeille, abbé séculier de Brantôme[6] ; Claude de Guise, dit le chevalier d'Aumale, abbé du Bec ; le maréchal de Strozzi, sous Henri II, eut l'évêché de Bazas ; sous Henri IV, Crillon deux archevêchés et une abbaye. Les premiers sièges du royaume, les plus grasses prébendes étant distribués au gré du moment, ce fut partout le cumul, l'accaparement, et le système des abbés commendataires, après avoir amené de multiples désordres et le relâchement de la règle, causa enfin la ruine de presque toutes les abbayes de France. — Cardinal en 1533, Odet de Châtillon fut aussi pourvu l'année suivante de l'archevêché de Toulouse ; en 1535, on le trouve archevêque de Reims, bientôt évêque de Beauvais. D'après du Bouchet[7], il était encore vidame de Gerberoy, abbé de Sainte-Euverte d'Orléans, de Saint-Emerce de Vauluisant, de Saint-Lucien de Beauvais, de Saint-Benoît-sur-Loire, de Saint-Jean de Sens, de Sainte-Croix de Kemperlay en Bretagne, de Saint-Germer, de Ferrières, de Saint-Bénigne de Dijon, de Conches et de Belle-Perche, et prieur de Saint-Etienne de Beaune et de Fresnoy[8]. — Appelé par ses diverses fonctions, dit M. Delaborde[9], à s'occuper de bonne heure des affaires politiques, il avait déployé dans leur maniement des aptitudes qui révélaient en lui un véritable homme d'Etat ; son goût pour les lettres et les arts l'avait érigé en protecteur de quelques-uns de leurs plus dignes représentants ; son existence était devenue promptement celle d'un prélat sage, organisateur et bienveillant, d'un haut dignitaire utilement mêlé aux intérêts généraux du royaume, d'un grand seigneur éclairé, non moins ami du bon que du beau, serviable et libéral. Aussi ses frères rencontraient-ils, dans leurs relations avec lui, à côté des épanchements d'une inaltérable affection, le charme inhérent à un vif échange d'idées et aux expériences faites dans le contact des hommes et des choses, etc. — Nous verrons, d'après ses diocésains, ce qu'il convient de retenir de ce jugement d'une mansuétude si laudative. A peine revêtu de la pourpre, Odet de Châtillon dut se rendre à Rome, où il assista au conclave qui donna Paul III pour successeur au Médicis Clément VII, tandis que ses frères demeurés à la Cour poursuivaient leur éducation avec Guillaume du Maine et Tagliacarme, précepteurs des enfants de France. Puis on le montre accompagnant la maréchale chez des parents, en province, etc... encore petit garçon et bon fils malgré les dignités. Mais l'intérêt se porte dès ce moment sur Gaspard et François, et les historiens ont insisté complaisamment sur l'affection qui unissait alors le jeune Coligny et le prince de Joinville, qui devait être le duc François de Guise. Brantôme, qui fait un parallèle des deux personnages dans ses Hommes illustres et grands capitaines français[10], dit ainsi : — Ils furent tous deux en leurs jeunes ans, sur le déclin du règne du roi François Ier, et assez advant dans celui du roi Henry, si grands compaignons, amis et confédérés de Cour que j'ai ouy dire à plusieurs qu'ils les ont veus habillés le plus souvent de mesmes parures, mesmes livrées, être de mesme partie en tournois, combats de plaisir, courements de bagues, mascarades et autres passe-temps et jeux de la Cour, tous deux fort enjoués et faisant des folies plus extravagantes que tous les autres ; et surtout ne faisaient nulles folies qu'ils ne fissent mal, tant ils étaient rudes joueurs et malheureux en leurs jeux. — L'austérité de Coligny, ajoute sur cela M. Dargaud[11], qui recouvrait une science si nette et un si vaste esprit, fut un attrait pour le prince de Joinville. Ils s'étaient pris d'amitié, vivaient ensemble, chassaient, faisaient des armes, allaient aux bals et fêtes de compagnie, étudiaient la guerre, approfondissaient la tactique et la stratégie d'alors. Leurs entretiens intarissables roulaient sur les galanteries de la cour, sur les blasons des principales familles de l'Europe, sur la religion, sur les hommes illustres grecs et romains si bien décrits par Plutarque, sur les grands capitaines français et sur les meilleurs généraux de l'empereur. — Le passage, assez agrémenté, est en somme présenté tout à l'avantage du héros. Mais une telle amitié pouvait-elle être durable ? Nous ne savons si l'on peut raisonnablement parler, dès cette époque, de l'austérité et de la science de Coligny, qui n'avait pas vingt ans ; mais, en fait, deux caractères, rarement, furent plus dissemblables, et par les côtés où ils se rapprochaient, l'ambition et l'orgueil, l'opposition des intérêts devait fatalement les désunir. A l'exemple de son oncle et de ses cousins les Montmorency, poursuit M. Dargaud, Gaspard, devenu l'aîné des Châtillon par l'entrée en clergie de son frère Odet, s'était accoutumé à primer même la plus illustre noblesse et à ne voir pour ainsi dire des égaux que dans ses supérieurs ; dès l'adolescence, il allait de pair avec les Guise et les princes du sang. — Mais la maison de Lorraine avait d'autres titres que celle de Coligny. Des débris de la maison d'Anjou dont il était l'héritier et des biens acquis par mariages, René II, le père de Claude de Guise, avait fait deux parts : la première, pour son aîné, comprenait la souveraineté de la Lorraine, avec les titres pompeux de roi de Jérusalem, de Naples, de Sicile, de Hongrie, d'Aragon, d'Anjou et de Provence ; la seconde, qui échut à Claude de Guise, comprenait les terres soumises au roi de France : Guise, Aumale, Mayenne, Joinville, Elbeuf, Harcourt, Longjumeau, Boves, Sablé, La Ferté-Bernard, Esgaillière, Orgon et Lambesc. Malgré ces apanages, Claude de Guise affecta de maintenir sa qualité de prince étranger, réclama la préséance sur tous les seigneurs français, même princes du sang, et adopta l'écusson de Lorraine, aux alérions d'argent, qu'il posa hardiment sur ceux des huit maisons souveraines dont il était issu. Ambitieux, avide et froid calculateur, Claude de Guise, qui avait été fait duc et pair par François Ier au retour de la captivité de Madrid ; qui était gouverneur de Champagne et, du reste, l'un des premiers capitaines du royaume, avait eu de l'habileté et de la chance. Chacune de ses expéditions, toujours heureuses, lui avait valu un accroissement de dignités et de revenus, et dans la lutte des femmes, la duchesse d'Etampes et Diane de Poitiers, aux dernières années de François Ier, il avait eu l'adresse de se tenir à l'écart et de rester en crédit auprès du Roi[12]. Il avait marié au roi d'Ecosse, Jacques V, sa fille Marie, veuve du duc de Longueville, et qui fut la mère de Marie Stuart. On dit qu'il rêvait du trône de son aïeul, le bon roi René, et se sentait hanté par l'idée de restaurer une dynastie angevine ; qu'il avait songé encore à faire épouser sa seconde fille Louise au dauphin Henri, en remplacement de Catherine de Médicis ; mais, chose certaine, par sa circonspection, la constance de sa fortune, servi par les circonstances et d'ailleurs toujours prêt à les utiliser, il poussa si bien sa famille que ses enfants se trouvèrent comme naturellement placés à côté du trône[13]. Les Châtillon, simples neveux d'Anne de Montmorency, connétable depuis 1536 pour sa défense mémorable de la Provence, — fils il est vrai d'un maréchal de camp dont le Roi avait gardé bon souvenir, n'étaient malgré tout que des petits personnages au regard des Lorrains, et la différence de situation avec le temps ne pouvait que s'accentuer. La rupture entre François de Guise et Gaspard de Coligny, pour tant que leur affection ait été sincère dans leur jeune âge, devait advenir, répétons-le, par la rivalité des ambitions, et la haine par la jalousie de la position graduellement acquise. Un indice de la brouillerie est rapporté par Brantôme, qui a consigné — parfois inconsidérément — dans ses recueils tant de choses, lorsqu'il dit que M. de Guise fut mal content d'un conseil que lui donna M. l'Admiral sur un mariage, et lui dissuada pour n'être pas trop honorable, et qu'il valait mieux (usant de ces mots) avoir un pouce d'autorité et de faveur avec honneur, qu'une brassée sans honneur. M. de Guise disait qu'il ne lui avait pas conseillé en compaignon et ami, mais en celui qui était envieux de son bien et de sa bonne fortune[14]. — Brantôme ajoute, du reste, que le différend dura peu et qu'ils furent amis comme devant. — L'animosité ne devait venir que plus tard, avec le changement de situation, et déterminée par les circonstances.

Cependant les deux frères de Châtillon et le prince de Joinville avaient fait leurs premières armes en 1542, à l'armée de Luxembourg, confiée au duc d'Orléans, le plus jeune fils du Roi et où commandait encore Claude de Lorraine. On possède sur cette campagne une lettre de d'Andelot racontant la prise et le sac de Damvillers[15]. Au siège de Montmédy, Gaspard, qui avait poussé son cheval trop avant du côté de l'ennemi, eut la tête labourée d'une balle et ce fut le prince de Joinville qui le fit emporter, étancha le sang de la blessure, le pansa, assujettissant la charpie et les bandages avec son écharpe, et montrant une telle inquiétude qu'une sorte d'attendrissement finit par gagner les vieilles bandes de l'armée à ces témoignages d'affection. Les jeunes gens étaient aussi bien d'une bravoure folle, toujours les premiers aux coups et s'exposant avec tant de témérité que le duc de Guise s'en préoccupa, blâmant cet esprit d'aventure et ce besoin de paraître où entrait trop de vanité et qui ne pouvait que leur attirer des horions sans guère d'avantages. — Vous serez de bons soudards, leur déclara-t-il, vous ne serez jamais des généraux. — L'année suivante, les Châtillon furent de la campagne de Flandre et Gaspard se trouva de nouveau blessé d'un coup d'arquebuse au siège de Binche ; puis on les trouve défendant Landrecies et, en 1544, ils font comme volontaires la campagne de Piémont et se battent à Cérisoles. — Dans la campagne de l'Est qui suivit, Coligny eut à commander un régiment ; mais tout se passa en marches et contre-marches et la grande occupation du nouveau couronnel fut de maintenir une stricte discipline parmi ses troupes, où, paraît-il, il s'efforça de faire régner les bonnes mœurs. Survint l'expédition d'Angleterre, que dirigea l'amiral d'Annebaut et dont le résultat fut à peu près nul. Coligny se trouva sur la flotte et ensuite batailla dans le Boulonnais contre les troupes anglaises. — Ce sont les derniers rayons de gloire et l'agonie de ce règne qui avait débuté dans les acclamations et les fanfares triomphales de Marignan. La paix fut signée le 7 juin 1546. Une ère nouvelle allait commencer. François Ier mourut le 31 mars 1547[16], et, dès son avènement, Henri II livra toute l'administration, toute la direction politique et même tous les revenus du royaume à ceux qui avaient recherché sa faveur sous le règne de son père. — Ils étaient quatre, dit Vieilleville, qui le dévoraient comme un lyon sa proie, sçavoir le duc de Guise, qui avait six enfants qu'il fit très grands ; le connétable avec les siens ; la duchesse de Valentinois avec ses filles et gendres, et le maréchal de Saint-André, qui était entouré de grand nombre de neveux et d'autres parents tous pauvres, et luy-mesme qu'il fallait agrandir[17]. — Claude de Guise, toutefois, s'effaçait devant ses fils, François surtout, qui avait été nommé, en 1546, gouverneur du Dauphiné, et ne faisait plus à la ' cour que de rares apparitions. Il ne cessait de songer à lui-même, dit M. Forneron, que pour mieux assurer la grandeur de la famille, et en poussant l'égoïsme jusqu'à la perfection, il atteignit presque au désintéressement. Le duc François allait être son digne continuateur, aussi ambitieux, mais plus grand d'allures, l'homme de génie après le gentilhomme heureux et habile, et du reste parmi les convoitises et les compétitions de charges et de places qui marquent un des caractères de l'époque, la politique si suivie de la maison de Lorraine, visant toujours l'élévation, la prospérité et l'influence de la famille dans ses chefs représentatifs, est un des plus frappants exemples de la constance, de la ténacité dans l'effort qui apparaissaient aux hommes de ce temps la tradition même que tous devaient suivre et qui, en somme, il faut le reconnaître, avait fini par grouper autour de la monarchie tout ce qui constituait les forces vives de la France d'autrefois. Nous pouvons blâmer ce système aujourd'hui que le régime démocratique, détruisant toute l'organisation du passé, a produit la dispersion, l'isolement comme conséquence d'une discussion continuelle des principes. Chacun doit être le fils de ses œuvres, recommence la vie au lieu de continuer celle des aînés et ne s'appuie sur rien. Mais alors la famille est un organisme essentiel, un cadre sur lequel repose l'édifice entier du corps social ; et non seulement dans la noblesse, mais dans la magistrature, dans la bourgeoisie appelée aux fonctions échevinales, on retrouve les mêmes aspirations, — si l'on veut les mêmes ambitions, — chacun poussant les siens, travaillant à placer ses fils dans une situation plus élevée que celle qu'il occupe lui-même, et dirigeant leur éducation en conséquence. La plupart des hommes qui ont été les grandes figures de l'ancien régime ont été préparés par plusieurs générations d'ancêtres. Anne de Montmorency, peu à peu diminué dans l'amitié de François Fr, qui l'avait vu avec jalousie s'attacher à son successeur éventuel et à Diane de Poitiers, sa maîtresse, tombé enfin, en 1541, en pleine disgrâce, avait attendu patiemment le nouveau règne et la revanche de la favorite. C'était un esprit tenace, mais court, cupide et d'une cruauté dont il essayait de pallier la réputation fâcheuse, ainsi que ses habitudes outrées de galanterie, par un excès de dévotion, — dissimulant de même sous des apparences de rudesse poussant jusqu'à la brutalité une souplesse de courtisan expert à toutes les intrigues, — mais du reste également incapable comme politique et comme soldat[18]. — Tandis que les Guise tenaient les gouvernements de Bourgogne, Champagne, Savoie et Dauphiné, les charges de général des galères, de colonel général de la cavalerie, et commandaient à vingt compagnies de gendarmes, Montmorency posséda bientôt avec ses fils et ses neveux, outre sa charge de connétable, les offices de grand maître de la maison du Roi, d'amiral, de colonel général de l'infanterie, les gouvernements de Guyenne, du Languedoc et de l'Ile-de-France avec trente compagnies de gendarmes. Il ne fut fait duc et pair qu'en 1552, mais, sitôt l'avènement de Henri II, qui l'appelait familièrement son compère, il était accouru à Saint-Germain[19] et avait pris la direction des affaires, s'efforçant d'en détourner l'esprit d'ailleurs assez inapte du Roi, et l'encourageant à continuer ses exercices violents de chasse, de jeu de paume, de tournois en lui représentant qu'il éviterait ainsi l'obésité, qui était une de ses plus grandes craintes[20] et à laquelle, si nous en croyons le portrait de F. Clouet, aux dernières années de sa vie[21], il n'échappa nullement. — Le maréchal d'Albon de Saint-André, de la maison des dauphins viennois, jouait le rôle de lien et d'intermédiaire entre les Montmorency et les Guise. C'était un homme fin et rusé, venu de bas lieu, dit Régnier de la Planche, dont nous rencontrerons de pires calomnies, d'entendement vif, d'entregent fort agréable, de beaucoup de valeur, adroit aux armes[22], et, ajoute encore un historien moderne, un curieux exemple de ces courtisans qui se sont mêlés à toutes les grandes affaires et ont amassé des richesses considérables sans qu'il soit possible de leur attribuer une part directe dans les événements. — Mais au-dessus de tous régnait Diane de Poitiers, que le Roi venait de faire duchesse de Valentinois et qui restait sa maîtresse en dépit de ses cinquante ans, — d'ailleurs d'une beauté encore sculpturale, — intrigante et orgueilleuse et qui l'avait façonné, éduqué, pétri de ses mains adroites, le conduisait comme un enfant et jusqu'à l'envoyer coucher avec la jeune reine Catherine, pour laquelle il n'avait que répugnance et dont la souplesse et l'inquiétude acceptaient cette protection scandaleuse. — Henri II, si bien entouré, était peu capable, en définitive, de mieux choisir. C'est le plus médiocre des, Valois, — au rapport de Lorenzo Contarini, d'une telle ignorance même qu'il savait à peine lire et écrire[23]. Il suffit, du reste, de revoir ses portraits, de regarder cette longue figure morose, à l'œil tombant sous le toquet à plume incliné sur l'oreille ; le maintien de ce gros homme-solide, lourd, de complexion épaisse, pour imaginer le monarque sans initiative, dépourvu de jugement, obstiné, mais aussi ennuyé de son rôle ; l'homme de cheval, de sport, que devait jouer la politique espagnole autrement avertie de Charles-Quint et de Philippe II. — Dès les premiers jours du règne, le pillage commença. La nouvelle cour avait hâte de profiter de sa fortune. A chaque avènement, le fisc percevait des droits pour la confirmation de tous les offices, des charges vénales, des immunités ou privilèges des corporations. Le produit de cet impôt fut abandonné à Diane en pur don, et elle en tira la valeur de quatre millions de notre monnaie actuelle[24]. Elle reçut le château de Chenonceaux, qui avait été confisqué sur les biens de Semblançay. Un de ses gendres, Claude, fils du duc de Guise, eut en cadeau toutes les terres vacantes du royaume ; un autre, Robert de la Mark, voulut être maréchal de France ; on enleva le bâton au maréchal de Biez, qui fut dépouillé de son office, condamné à mort comme concussionnaire, puis gracié quand la duchesse eut vu son gendre pourvu de sa place. Pour que François de Guise, qui venait d'être fait grand veneur, pût être en même temps grand chambellan, on dépouilla le petit duc de Longueville. Le même François de Guise aurait aussi voulu être grand maître de la maison du Roi, charge qui assurait l'autorité sur tous les gentilshommes et tous les gardes qui se trouvaient à la Cour ; mais Montmorency, qui jouissait de ce titre, n'était pas homme à se laisser dépouiller. Son compétiteur eut beau représenter que la charge de grand maître ne devait pas être unie à celle de connétable ; que ces deux dignités étaient incompatibles et donnaient trop de pouvoir à un sujet, on le laissa dire, et le Roi, pour les réconcilier, leur abandonna, — en tiers avec le maréchal de Saint-André, qui était toujours de leurs opérations,les deux décimes du clergé, impôt qui produisit 800.000 francs, selon l'ambassadeur vénitien (près de 10 millions de ce temps)[25]. C'étaient les mêmes prodigalités, les mêmes largesses, les mêmes folies de générosité, les mêmes dilapidations avec lesquelles François Ier avait marqué son accession à la couronne. Les dons royaux ne suffisant plus, à la fin, on imagina des coupables, afin de pouvoir leur vendre le pardon. Bossut de Longueval, secrétaire de la duchesse d'Etampes, son confident, son conseiller, — peut-être son amant — dut céder au jeune cardinal de Lorraine le château de Marchais ; le cardinal de Meudon, de même, lui donna le sien ; Duval, trésorier de l'épargne, ceux de Dampierre et de Chevreuse[26]. — Mais il est inutile de s'étendre davantage sur ces malversations qui jettent un si mauvais jour sur les commencements de Henri II. La situation du royaume était heureusement assez paisible, sinon prospère, et la paix conclue avec Charles-Quint, les Anglais n'y détenaient plus, outre Calais, où ils s'étaient établis depuis deux siècles, que Boulogne, dont s'était emparé Henri VIII, grâce, disait-on, à la complicité du sire de Vervins, qui avait rendu la place malgré les habitants et d'ailleurs l'avait payée de sa tête. Henri II méditait de reprendre Boulogne. Après son couronnement, et tandis qu'il parcourait les provinces de l'Est et du Midi, déployant dans chaque ville importante le faste accoutumé des entrées royales, il fit assembler des troupes en Picardie, où se trouvait comme lieutenant général François de Montmorency, sieur de la Rochepot, gouverneur de l'Ile-de-France et frère du connétable Anne. — Avec les Montmorency, leurs neveux les Châtillon, tenus plutôt à l'écart sur la fin de François Ier, s'étaient retrouvés en faveur. C'était d'Andelot que le Roi avait envoyé remercier Charles-Quint, qui lui avait adressé M. d'Imbercourt pour le complimenter de son avènement. Coligny, en même temps, avait été nommé couronnel et capitaine général de toutes les bandes de gens de pied estant à la solde et service du Roy (29 avril 1547), et, pour ses débuts, il eut à sur, veiller de près la garnison de Boulogne, où les Anglais bâtissaient alors un très fort château dans le lit de la Liane et sous prétexte de jetée et de môle[27]. — Coligny avait, du reste, des qualités d'organisateur et d'administrateur qui ont été unanimement reconnues[28]. Selon le plan dont il avait déjà commencé l'application en 1544, dans la campagne de l'Est, pour le régiment qui lui avait été confié, il établit parmi ses bandes une discipline rigide et, dit le P. Daniel[29], porta fort haut l'autorité de colonel général par la confiance que Henri II avait en sa prudence pour le gouvernement des troupes par le grand ordre qu'il y maintint. — Entre temps, la maréchale de Châtillon était morte (12 juin 1547)[30], ayant adopté les nouvelles doctrines de la Réformation, et François Hotman, qui s'extasie sur sa fin chrétienne, affirme qu'elle deffendit à son fils aîné qu'aucun prestre ne lui fut amené, disent que Dieu, par un singulier bienfait, lui avait ouvert le moyen de le craindre et le servir en toute piété, et de sortir des liens de ce corps pour monter au céleste séjour[31]. La même année 1547, Coligny épousa Charlotte de Laval, fille de Guy XVI, comte de Laval et de Montfort, et dont le tuteur était Anne de Montmorency ; peu après, ce fut d'Andelot qui se maria (1548) avec une nièce de Charlotte de Laval, Claude de Rieux, que recherchait également le prince de la Roche-sur-Yon. — Cependant, le Roi était venu devant Boulogne, accompagné du connétable et de François de Guise, qu'il avait créé duc et pair, et chargea Coligny de faire bâtir et construire des forts, pour la défense du fort d'Outreau, près de la ville, afin d'empêcher le passage des navires anglais qui armaient au hâvre du dit Boulogne et en empêcher l'avitaillement[32]. — C'était, en somme, la guerre déclarée. Coligny fit bâtir les forts, dont un sur le haut du hâvre de Boulogne, vis-à-vis la tour d'Ordre, où il mit vivres, garnison et artillerie, en dépit des Anglais, qui tâchèrent de l'empêcher ; mais il leur fit apaiser leur colère et contraignit d'endurer qu'on leur mît les mords, pour puis après les dompter mieux et plus facilement[33]. — Le Roi, satisfait, donna au nouveau fort d'arrêt le nom de Mont-Chastillon, et ayant déjà fait Coligny chevalier de son ordre, le nomma capitaine de cinquante lances de ses ordonnances[34]. Il y eut nombre d'escarmouches et, dit Brantôme, à cette guerre M. de Chastillon apprit aux Anglais un proverbe : A cruel ; cruel et demy, ou bien du tout ; car ils étaient si cruels à nos Français, et l'avaient tant été qu'ils n'en pouvaient désapprendre, tant ils l'avaient pris en habitude. Qu'aussy test qu'un pauvre Français était tombé entre leurs mains, il ne fallait point parler de mercy ; et se plaisaient quelques-uns à prendre leurs têtes, et ficher au bout de leurs lances et picques, et en faire leurs parades, à la mode des Mores et Arabes. Mais M. l'Admiral leur rendit bientôt leur change et leur en fit de même, voyre pis[35]. — Les questions d'humanité semblent n'avoir jamais beaucoup troublé Coligny, toutefois que le même Brantôme lui fasse dire, dans un autre passage de sa notice, que rien ne le faschait que les cruautés ; mais, pour les polices et les conséquences, il y forçait son naturel et son humeur ; comme lorsqu'il fallait montrer une douceur et miséricorde, il était certes doux et gracieux ; mais au fait, avec son oncle le connétable, il avait de qui tenir[36]. — On en vint bientôt aux hostilités ouvertes, et M. de Chastillon avait été prévenu d'activer les travaux et fortifications de la tour dite du Portel[37], lorsque le Roi commença la guerre. Quelques succès en Ecosse, où avait été envoyée une expédition dont fit partie François d'Andelot[38], les dissensions que la question religieuse soulevait en Angleterre lui permettaient de croire que le moment était favorable. Il attaqua le Boulonnais, où l'on prit quelques petites places et châteaux, tant que pour ses bons, grands, vertueux, agréables et très recommandables services, Coligny fut nommé lieutenant général suppléant au duc de Vendôme et au sire de la Rochepot[39]. Anne de Montmorency ne négligeait aucune occasion de faire valoir les services de ses neveux et de leur procurer de l'avancement ; mais il est juste de dire que Gaspard de Châtillon, qui n'était qu'en sous-ordre, avait assez habilement exécuté ce qui lui avait été commandé. Il eut recours à d'énergiques moyens pour priver l'ennemi, refoulé dans Boulogne, de toute communication avec le dehors. Il écrasa sous le feu de l'artillerie un ouvrage important, la Dunette ; posta des troupes au milieu des ruines et coula bas tous les navires qui essayèrent d'entrer dans le port[40]. — Toutefois, on manqua, semble-t-il, de l'audace nécessaire pour enlever la place. On négocia. Les Anglais avaient fait des propositions d'arrangement, et ce fut encore à Coligny que le Roi donna pouvoir de traiter. Antragues[41], qui tenait garnison dans le fort d'Outreau, écrivit à François de Guise dans le mécontentement de ces hésitations : — Si le Roi eût poussé, tout fût à lui jusques à Calais et par delà[42]. Les pourparlers, en effet, n'aboutirent point d'abord[43] et Henri II envoya devant Boulogne François de Lorraine, qui réunit un conseil de gens de guerre pour adviser aux moyens qui pourraient servir à offenser et endommager l'ennemi, et, en somme, amener une capitulation (11 décembre 1549). Mais le siège traîna encore et les Anglais ne traitèrent que le 14 mars 1550. Les commissaires étaient Coligny, La Rochepot, du Mortier, membre du conseil privé, et Guillaume Bochetel, conseiller et secrétaire des finances. Comme on n'avait pu forcer la ville, on l'acheta[44]. Un des articles de la convention portait que moyennant 400.000 écus d'or au soleil, Boulogne et les ports, avec tous les forts, remparts pris et forcés, seraient mis et restitués dedans six semaines... entre les mains du roi de France ou de ceux qui seraient par lui commis ; et ceci au même état que lesdites ville, forts et remparts sont à présent, avec toutes les machines de guerre, artillerie, poudres, boulets et autres munitions s'y trouvant lorsqu'ils furent livrés au roi d'Angleterre[45]. — D'Andelot avait fait plusieurs fois le voyage entre le fort d'Outreau et la cour, afin de tenir le Roi au courant, et le traité fut signé enfin le 24 mars. Le 15 mai suivant, Henri II fit son entrée solennelle dans la ville reconquise et ce fut de nouveau Coligny, accompagné des commissaires du Mortier et Bochetel, qu'il envoya en Angleterre porter la ratification du traité et recevoir du roi Edouard VI l'acte de son serment.

Peu après, la charge de gouverneur du Piémont se trouva vacante ; le connétable se hâta de la demander pour son neveu[46], mais par les intrigues de Diane de Poitiers, on la donna au comte de Brissac, déjà grand maître de l'artillerie, qui fut fait encore maréchal de France, et du reste était un des meilleurs capitaines de l'époque. On sait qu'il défendit, seul, sans renforts, sans argent, avec quelques gentilshommes volontaires et l'infanterie gasconne qui marchait sous les enseignes jaunes, pendant toute la durée du règne notre frontière d'Italie. Comme homme, il était, paraît-il, fort beau de visage, et en un temps où tout se faisait par les femmes, cet avantage avait son prix. Les familiers de la cour l'appelaient volontiers le beau Brissac[47]. Le Roi le soupçonnait d'être très avant dans l'intimité de sa maîtresse, à laquelle, sans doute, il était toujours heureux de complaire, mais en même temps ne se trouva pas fâché d'éloigner d'elle un homme qui lui portait ombrage. — Coligny, toujours est-il, se retira à Châtillon-sur-Loing, — on a même dit dans un mouvement d'humeur[48] — auprès de sa femme qui lui avait déjà donné (20 juillet 1549) un premier fils mort incontinent, et le 10 avril de cette année 1550, devait en mettre au monde un deuxième, qui non plus ne vécut guère. Il se trouva malade au moment de retourner à la Cour et dut demeurer environ six semaines et tandis que l'on célébrait à Blois les fêtes du mariage de sa belle-sœur, Louise de Rieux, avec M. d'Elbeuf, un des frères du duc François de Guise[49]. — Henri II, cependant, qui rêvait do reprendre la conquête de l'Italie et de se mesurer à son tour avec Charles-Quint, avait été frappé des premiers résultats obtenus par les règlements de discipline établis par Coligny parmi ses troupes, et sans doute poussé par le connétable, se décida à en faire une application définitive. Il les sanctionna le 20 mars 1551. — Avons voulu, disait-il, dans le préambule de l'édit qui fut publié alors, sçavoir et entendre de notre ami et féal cousin le sieur de Chastillon, quel ordre et forme il a tenu jusques icy au gouvernement et conduite d'icelles bandes, pour les faire vivre et contenir en obéissance sous leurs enseignes. Pour à quoi satisfaire, ledit sieur de Chastillon nous aurait baillé par escrit ledit ordre et forme selon les articles ci-après insérés : lesquels nous avons communiquez et fait voir aux connétable et maréchaux de France, capitaines et autres expérimentez au fait de la guerre, et ayant été par tous généralement trouvés très bons, etc. Tous lesquels articles ci-dessus insérez, nous voulons être entendus généralement et particulièrement pour les capitaines et pour les soldats, ayant agréables les exécutions qui pourraient avoir été ci-devant et jusques ici faites pour l'observation et entretenement desdits articles, et suivant le contenu d'iceux[50]. — Ces fameuses ordonnances allaient être, aussi bien, mises bientôt en pratique. Le Roi s'apprêtait à soutenir le duc de Parme, que menaçaient l'Empereur et le Pape, et d'immenses préparatifs furent commencés en même temps pour porter la guerre du côté de l'Allemagne. Coligny, en l'absence du duc de Vendôme, Antoine de Bourbon, qui en était gouverneur, fut chargé de couvrir la Picardie, et d'Andelot envoyé outre-monts donner la main à Pierre Strozzi, qui s'était jeté dans Parme[51]. La guerre reprit ainsi en Italie, comme d'elle-même, sans déclaration préalable[52]. — Entre temps, une autre mission, plus agréable doit-on croire, avait été donnée au sieur de Châtillon. Il eut à recevoir l'ambassade anglaise du marquis de Northampton, qui venait remettre au Roi l'ordre de la Jarretière, en reconnaissance de l'ordre de Saint-Michel que Henri II envoyait à Edouard VI. La Cour attendait les ambassadeurs à Châteaubriant, qui appartenait au connétable de Montmorency. Coligny les accompagna depuis Nantes, les défraya, les combla d'attentions et d'égards[53]. — Il faut insister sur ce point dès maintenant. Gaspard de Coligny avait gardé le plus agréable souvenir de son voyage en Angleterre lors du traité qui avait suivi la reddition de Boulogne. Peut-être les politiques d'outre-Manche, si avisés et qui ont toujours su s'y prendre de loin, avaient-ils pressenti en lui un auxiliaire possible et qu'il était bon de soigner. Ses sympathies pour les Anglais, ses relations avec eux, qui devaient lui être si funestes, de même que son inclination pour les doctrines calvinistes, doivent en tout cas être reportées beaucoup plus haut qu'on ne le fait généralement. Nous pensons qu'il faut les dater de cette époque, la conformité de croyance l'ayant amené peu à peu de la sympathie cordiale aux arrangements politiques, et la volonté tenace de faire triompher sa cause, ensuite, aux plus blâmables compromissions. Les préparatifs de guerre, les projets de conquête, n'empêchaient nullement, du reste, les petits conflits d'intrigues qui se jouaient toujours autour du Roi. Coligny, à ce moment, réussit à marier sa nièce, Eléonore de Roye, petite-nièce du connétable, au prince de Condé, frère d'Antoine de Bourbon, tout jeune alors, — union selon les convenances, dit M. Delaborde, et qui devait être également utile au point de vue secondaire de certaines combinaisons politiques en contrebalançant le crédit des Guise. Ce point de vue secondaire pourrait bien aussi avoir été le premier. Le parti des Lorrains, avec la duchesse de Valentinois, essaya d'empêcher l'union projetée en obtenant le refus de consentement du Roi ; mais Henri II, qui aimait les Guise, qui avait donné la préséance au duc Claude sur le duc de Montpensier, prince du sang, à la cérémonie de son sacre, ne voulait pas non plus désobliger leurs rivaux ; Montmorency l'emporta près de son compère et le mariage se fit[54]. — Sur la fin de juin, Coligny se mit en route pour gagner son poste de Picardie. Mais, en passant à Paris, il retomba malade, d'un catarre au bras et sur la moitié du corps, dit-il, et d'un commencement de pleurésie[55]. Il continua néanmoins à s'occuper de l'organisation de ses troupes et fit partir un de ses capitaines, Vilefranche d'Ambleteuil, encore qu'il n'eust reçu argent, et s'en vint à six ou sept lieues par jour, recueillant ses bandes pour les rassembler à Noyon. Aussitôt rétabli, il dut se diriger vers Troyes. Il s'agissait alors, avec les corps réunis en Champagne, d'une expédition sur Gênes, où devait commander le duc de Guise, et qui fut bientôt abandonnée. Coligny alla jusqu'à Chalon-sur-Saône et ce fut là qu'il apprit enfin les intentions du Roi. Avec les armements que faisait l'Empereur du côté du Rhin, Henri II voulait le tenir en réserve[56].

Pendant son séjour en Bourgogne, on l'avait d'ailleurs informé d'un événement qui devait avoir sur son avenir une bien autre influence, — la captivité de son frère d'Andelot, que le Roi avait d'abord envoyé en Suisse pour faire des levées de troupes[57], et qui était sorti de Parme assiégée avec Sipierre, d'autres gentilshommes, et un grand nombre d'arquebusiers à cheval. Il se rendait à San-Segondo, château du duc Octavio [Farnèse], lorsqu'il tomba dans une embuscade. Vingt-cinq hommes environ furent tués et le reste pris[58] ; Pierre Strozzi, avec 200 cavaliers, essaya vainement de reprendre l'avantage et fut défait avec des pertes sérieuses, ainsi que le duc Octavio, attaqué également avec 200 chevaux entre Mirandole et Parme par Alexandre Vitelli, capitaine de l'armée pontificale. Le duc n'échappa que grâce à la vigueur de sa monture. D'Andelot fut conduit à Plaisance et de là au château de Milan[59], et le gouvernement impérial[60] donna l'ordre de ne pas se hâter de traiter de sa délivrance. — La captivité de d'Andelot, en effet, devait durer beaucoup plus qu'on ne le pensait d'abord ; et, résultat inattendu, les longues méditations et l'ennui de ses loisirs involontaires, en ce temps où les questions religieuses, les discussions de croyance selon les doctrines nouvelles étaient la préoccupation générale, devaient déterminer après sa conversion même au calvinisme, lorsqu'il se crut suffisamment dans la voie du salut, l'adoption par ses frères, que son exemple entraîna, des idées et pratiques de la Réformation, et décider ainsi du rôle qu'ils devaient jouer et de l'orientation définitive de leur vie.

 

 

 



[1] DU BOUCHET, Preuves de l'illustre maison de Coligny, Paris, 166.2, in-f°. — Comte J. DELABORDE, Gaspard de Coligny, t. I.

[2] V. entre autres : DARGAUD, Histoire de la liberté religieuse, t. I, p. 81.

[3] Sur Nicolas Bérauld, né à Orléans en 1473, v. HERMINJARD, Correspondance des Réformateurs, t. I ; dom LYRON, Singularités historiques et littéraires, t. III ; HAAG, France protestante. — Bérauld s'était lié d'amitié avec Louis de Berquin, adversaire de la Sorbonne, qui fut brûlé en 1529.

[4] Il n'est pas inutile de rappeler que sous le nom d'annate on désignait la redevance que toute personne pourvue par le Roi d'un bénéfice devait payer à la chambre apostolique et qui était égale à une année de revenu.

[5] D'après le texte de l'accord du 16 août 1516 (art. 1), le Roi devait nommer au pape pour chaque siège épiscopal vacant un docteur en théologie ou un licencié, âgé de vingt-sept ans au moins. Pour les abbayes ou prieurés, l'âge était réduit à vingt-trois ans et le texte ajoute qu'il n'est point dérogé aux privilèges que gardent certains chapitres et couvents d'élire leurs prélats, abbés et prieurs. — En 1531, le Roi obtint de Clément VII le droit de nommer à ces archevêchés, évêchés et abbayes et, comme on le voit par le cas d'Odet de Châtillon, la limite d'âge ne fut nullement observée.

[6] En 1556 : il avait lui aussi à peu près seize ans.

[7] Preuves de l'illustre maison de Coligny, p. 347.

[8] De même, le premier cardinal de Lorraine, né en 1498, avait été choisi à trois ans pour coadjuteur de l'évêque de Metz. Il fut cardinal en 1518 et réunit bientôt les archevêchés de Reims, Lyon, Narbonne, les évêchés de Metz, Toul, Verdun. Thérouanne, Luçon, Albi, Valence, Nantes, Agen, les abbayes de Cluny, Marmoutiers, Saint-Ouen, Gorze, Fécamp. Selon le P. Anselme (Histoire généalogique), il eut encore Saint-Mansuy de Tours, l'abbaye de Saint-Jean de Laon, de 1533 à 1535 ; celle de Saint-Germer, de 1536 à 1538 ; de Saint-Médard de Soissons, de 1536 à 1540. — Un siècle plus tard, le cardinal Mazarin possédait simultanément vingt-deux abbayes. — H. FORNERON, les Ducs de Guise et leur époque, t. I.

[9] Comte J. DELABORDE, Gaspard de Coligny, t. I. L'ouvrage de M. le comte Delaborde, qui s'est fait l'historien de l'amiral et que nous consulterons souvent, est un ouvrage soigné et qui eût mérité un meilleur sort s'il eût été mieux écrit et moins partial.

[10] M. l'amiral de Chastillon, édit. Buchon, t. I.

[11] Histoire de la liberté religieuse en France, t. I, p. 83.

[12] En 1541, Claude de Guise reçut encore du Roi 30.000 livres (environ 360.000 francs, la valeur de l'argent étant douze fois plus forte au milieu du seizième siècle qu'aujourd'hui (FROUDE, History of England) ; il touchait, en outre, 22.000 livres de pensions régulières (280.000 francs). — Quand il s'avançait à Fontainebleau suivi de ses fils, François que l'on nomma M. de Guise le Grand, Claude, marquis de Mayenne et bientôt duc d'Aumale, François, grand prieur de France, le Roi pouvait lui dire en souriant : Mon cousin, vous seriez bien défendu contre qui voudrait vous dérobber votre cappe. — H. FORNERON, les Ducs de Guise, t. I.

[13] H. FORNERON, les Ducs de Guise, t. I.

[14] Il s'agit du mariage de Louise de Brézé, seconde fille de la duchesse de Valentinois, Diane de Poitiers, qui épousa, en effet, Claude, marquis de Mayenne, et depuis duc d'Aumale, frère de François de Guise.

[15] Publiée par M. le comte DELABORDE, Gaspard de Coligny, t. I, appendice n° 15.

[16] Le pénultième du mois de mars passé, écrit l'ambassadeur impérial, Jean de Saint-Mauris, le Roi mourut à Rambouillet d'une fièvre qui lui avait duré trente jours. Il fut ouvert après sa mort et trouva l'on une apostume en son estomac, les rognons gâtés, et toutes les entrailles pourries ; et si avait la partie du gosier enchancrée, le poumon y a quelque peu entamé. — Dépêches secrètes de l'ambassadeur J. de Saint-Mauris, par M. Aug. CASTAN, Revue des sociétés savantes, t. VII, 1878, p. 205.

[17] Mémoires, édit. Buchon, p. 470. — Il faut faire une certaine part à l'acrimonie en acceptant le témoignage de Vieilleville qui était un mécontent et, d'ailleurs, n'a pas écrit lui-même les mémoires qui portent son nom. Ils sont dus à son secrétaire, Vincent Carloix, qui les rédigea plusieurs années après sa mort et avait à faire valoir le maréchal, volontiers aux dépens de ceux qui, de son vivant, avaient occupé les plus hautes charges du royaume.

[18] Les gens d'Arras, d'esprit plutôt caustique, l'avaient représenté sous la forme d'un âne qui avait un mors de bride tout à contre rebours et disait : Et qui a mis mon mors ainsi ? (BRANTÔME). — Son avarice, dit M. FORNERON (op. cit.), causa presque autant de dommages que son incapacité militaire et sa nullité politique ; en se faisant donner le monopole du sel de Savoie et en refusant de s'en dessaisir, il nous fit perdre l'alliance de Gênes, et avec Gênes la flotte de Doria. Pour son esprit étroit, la dévotion était surtout bornée au respect des autorités établies, le Pape et l'Empereur. Aussi, fut-il opposé, durant toute sa carrière, à la politique du roi de France, et il poussa jusqu'aux limites de la trahison son obstination dans l'idée d'une union avec la papauté et l'Empire pour faire la guerre aux Turcs et maintenir l'ordre établi dans la chrétienté. A l'époque où Charles-Quint traversa la France, il lui montra des lettres écrites par les princes d'Allemagne, proposant de s'unir avec le Roi contre lui et la domination impériale. Un homme comme Charles-Quint ne pouvait laisser les bénéfices d'une pareille confidence ; il se hâta d'informer les princes allemands, excita leur indignation et les gagna comme auxiliaires dans la guerre qu'il nous déclara quelques mois plus tard. Pour Montmorency, son intelligence de soldat n'avait vu que la révolte des capitaines contre leur empereur, et il s'était cru un grand mainteneur de discipline et grand défenseur de l'ordre établi en livrant les alliés de la France à leur ennemi implacable. — On doit faire observer cependant que les idées du connétable préconisant une union générale de la chrétienté travaillée par tant de discordes étaient plus saines qu'on ne veut ici nous le montrer. Tout ce qu'on en peut dire, c'est que dans le moment et avec un adversaire comme Charles-Quint, elles se trouvaient singulièrement inopportunes.

[19] Vieilleville.

[20] L. BASCHET, la Diplomatie vénitienne, p. 436.

[21] Exposition des Primitifs français, au Louvre ; portrait équestre provenant d'Azay-le-Rideau. Catal. n° 188, p. 76-77.

[22] L'AUBESPINE, ap. Archives curieuses, t. III, Histoire particulière de la cour de Henri II.

[23] L. BASCHET, la Diplomatie vénitienne, p. 436 ; mais Brantôme en parle autrement.

[24] L. BASCHET, la Diplomatie vénitienne, p. 436.

[25] L. BASCHET, la Diplomatie vénitienne, p. 436.

[26] Pour le rôle de la maison de Lorraine durant cette période, on peut toujours consulter, mais avec prudence, l'ouvrage de H. FORNERON, les Ducs de Guise, t. I, résumé excellent où l'auteur a peut-être trop insisté, et sans en indiquer le véritable sens, sur l'avidité, certes condamnable au point de vue immédiat, des princes lorrains. Les Guise avaient un autre but que de s'enrichir.

[27] Calend. of State pap. Lord Grey to the lord Protector, 6 mai 1547. Coligny et M. d'Estrées se rendirent à Boulogne où les Anglais prétendirent non à une forteresse, mais à une jetée ; la jetée, toutefois, avait deux hauts murs emplis de maçonnerie sur quoi il était tout indiqué qu'on placerait des canons et des hommes.

[28] Coligny, dit Brantôme, avait eu l'estat de couronnel fort jeune et tout pour son mérite. En tel estat ne faut point qu'un poltron y entre ; et qui y entre et le fait bien sans reproche, croyez hardiment qu'il est brave et vaillant ainsi que mondict sieur l'amiral le fit paroistre là et depuis. — Edit. Buchon, t. I, p. 456.

[29] Histoire de la milice française, t. I, p. 194. — Il se gouverna si bien dans le commandement de toute l'infanterie française, renchérit le protestant Hotman, qu'en peu de mois il s'acquit une grande louange de justice, valeur et prudence, et l'affection de tout le peuple. Car, comme auparavant, la vicieuse coutume se fut envieillie que les soldats sous leur enseigne s'écartant, ne faisaient que piller et ruiner tout, il reserra sous des lois plus étroites la discipline militaire et ses débordements et surtout l'exécrable licence des jurements et blasphèmes : d'où apparut, dès lors, en son esprit, la vraye semence de piété et de religion. — Vie de Coligny, trad. fr. 1665, p. 9. — On sait que François Hotman écrivit la vie de Coligny en 1575, à la requête de sa veuve, Jacqueline d'Entremonts. — Brantôme parle d'ailleurs dans le même sens et dit qu'auparavant ce n'était que pilleries, voleries, brigandages, rançonnements, meurtres, querelles et paillardises parmi les bandes. Comme colonel général, Gaspard de Châtillon avait la police militaire de ses troupes et publia pour les régir une série de dispositions qui furent sanctionnées par le Roi en 1551 et nous sont restées sous le nom d'Ordonnances. Cf. CIMBER et DANJOU, Archives curieuses, t. VIII, p. 405. — A vrai dire, le désordre et toute la pillerie des bandes armées ne cessèrent nullement après les ordonnances de Coligny, mais il a au moins le mérite d'avoir voulu en atténuer les ravages. — Il était, d'ailleurs, très jaloux de son autorité et l'on raconte qu'au siège même de Boulogne, le duc François de Guise, alors duc d'Aumale, ayant voulu présider à un combat de gayeté de cœur, autorisé par le Roi, entre un capitaine français et un capitaine italien, il revendiqua en qualité de lieutenant général, gouverneur du Boulonais, le droit d'assigner camp seur et libre aux deux adversaires, alors que le combat devait avoir lieu dans l'étendue de son gouvernement. — Cf. Lettre de Coligny au duc d'Aumale (1e1 novembre 1549), Bibl. nat., mss. fr. 20461 ; lettre du Roi à Coligny, 23 novembre 1549 ; DU BOUCHET, Preuves, p. 455 ; HOTMAN, Vie de Coligny, annotations (1644) ; lettres du Roi et de Duthier au duc d'Aumale, 15 décembre 1549 (Bibl. nat., mss. fr. 20577 et 20640).

[30] La maréchale mourut à Paris et fut inhumée à Châtillon-sur-Loing, dans la chapelle du château. Dom MORIN, Histoire du Gâtinais, liv. VII, chap. VII.

[31] Cf. MAIMBOURG, Histoire du Calvinisme, 1682.

[32] DU BOUCHET, Preuves, p. 449.

[33] BELLEFOREST, Annales, t. II, f° 1541 ; DE THOU. — Les intentions du Roi sur Boulogne étaient d'ailleurs parfaitement connues du gouvernement anglais auquel le Dr Wotton, qui espionnait en France, écrivit, dès le 20 avril, que Coligny avait de telles intelligences dans la place qu'il regardait pour certain de s'en emparer dans trois semaines ou un mois au plus. Des navires qu'Henri If envoyait en Ecosse porter des troupes devaient ensuite revenir faire le blocus de la ville et, en prévision d'un siège, il fut conseillé au lord Protecteur de faire détruire tous les moulins se trouvant du côté de Montreuil par la cavalerie de Calais et de Gaines, afin d'empêcher le ravitaillement de l'armée française. Calend. of State pap., Années 1547-1551.

[34] Provision du 3 novembre 1548 ; DU BOUCHET, Preuves, p. 450.

[35] BRANTÔME, édit. Lalanne, t. VI, p. 18 ; édit. Buchon, t. I, p. 628 ; et l'auteur ajoute : Je tiens ce conte de M. l'Admiral mesme, qui me le fit en Périgord, sur le subject qu'il prit de faire le massacre des paysans qui avaient si maltraité les Provençaux à leur défaite, de la main desquels plus en furent tués que des soldats ; et pour ce, me dit-il, qu'il voulait faire les dits paysans sages pour telles tueries et cruautés, comme il avait fait les Anglais devant Boulogne. — Aussi, je vous jure qu'il en fit un étrange carnage, car partout où ils passaient vous n'eussiez vu que paysans par terre. En un château de la chapelle Faucher, près de moi, il en fut tué de sang-froid dans la salle deux cent soixante après avoir été gardés un jour. Mais comme je dis à M. l'Admirai que telles exécutions se devaient faire aux endroits de ladite défaite, il me répondit que c'était en même patrie et que tous étaient mêmes paysans périgourdins et que l'exemple en demeurait à tous et la crainte de n'y tourner plus. — Un détail curieux sur le siège de Boulogne est encore fourni par les archives britanniques : Châtillon et sa suite, écrit sir John Bridge au lord Protecteur, ont donné toute licence aux voleurs de dérober les chevaux anglais, disant qu'ils sont de prise légale. Calend. of State pap., 16 mai 1548.

[36] Le Roi était à Turin (1549) lorsqu'il apprit la révolte, pour des questions de gabelle, de tout le pays de Guyenne, d'Angoulême et de Saintonge. Il envoya avec des troupes François de Guise en Saintonge et le connétable à Bordeaux, toutefois en lui enjoignant de procéder par justice et que l'on se saisît des coupables pour en faire une punition exemplaire. — A l'approche du connétable, les séditieux s'étaient dispersés. La municipalité de Bordeaux envoya jusqu'à Langon un grand bateau décoré aux armes de Montmorency, avec trois ou quatre députés pour le lui présenter et le supplier de s'y embarquer pour descendre en la ville. Mais il les repoussa fort dédaigneusement, leur disant qu'il ne voulait entrer à Bordeaux ni par porte ni par bateau et qu'il avait de quoi faire d'autres nouvelles entrées, car on traînait après lui vingt pièces d'artillerie. — François de Guise l'avait rejoint avec les troupes de Saintonge, qu'il venait de pacifier sans néanmoins y punir rigoureusement ces rebelles. (GUISE, Mémoires-Journaux, édit. Michaud, p. 5) ; ils entrèrent ensemble et durant un mois ce ne furent que pendus, décapités, roués, empalés, démembrés à quatre chevaux et brûlés, mais trois d'une façon dont nous n'avions jamais ouf parler, qu'on appelait mailloter ; on les attacha par le milieu du corps sur l'échafaud, à la renverse, sans être bandés, ayant les bras et les jambes délivrés et en liberté, et le bourreau, avec un pilon de fer, leur rompit et brisa les membres sans toucher à la tête ni au corps. Les plus jeunes furent seulement fouettés. Tous les survivants, hommes et femmes, durent aller s'agenouiller devant le cadavre putréfié du comte de Monnins, gouverneur, qui avait été tué et faire publiquement amende honorable, les jeunes filles étant épiées par les soldats et soumises aux traitements les plus grossiers. — Mémoires de Vieilleville, par Vincent CARLOIX, liv. III. — Vieilleville se fit beaucoup d'ennemis dans l'armée et passa pour un caractère bizarre parce qu'il protégea les filles et nièces d'un conseiller au parlement chez lequel il était logé, et fit prendre les armes à sa compagnie pour les sauver du viol. Cf. H. FORNERON, op. cit. — La révolte dite de la Gabelle, en Guyenne, a été longtemps considérée comme un premier épisode des guerres de religion, le parti calviniste s'étant mêlé à la querelle et l'ayant soutenue, si bien que l'on s'habitua dès lors à voir la huguenoterie derrière toutes les prises d'armes. Un ouvrage récent de M. S.-C. GIGON établit très bien que ce fut surtout une insurrection de misère et que si les réformés y prirent part, la question religieuse n'y était pour rien. Cf. la Révolte de la gabelle en Guyenne (1548-1549), Paris, 1906.

[37] Commission du 9 juillet 1549 ; DU BOUCHET, Preuves, p. 450.

[38] Lettres à François de Guise, 20 et 30 juin 1548. Bibl. nat., mss. fr. 20457 ; cf. comte DELABORDE, Gaspard de Coligny, t. I.

[39] 9 septembre 1549 ; DU BOUCHET, Preuves, p. 451.

[40] Lettre de François de Lorraine au Roi (25 novembre 1549) et lettre du cardinal de Guise à François de Lorraine. Bibl. nat., mss. fr. 20577.

[41] Il s'agit probablement de G. d'Entragues qui fut gouverneur du Havre et eut pour fils François et Charles, dit Entraguet, un des mignons d'Henri III. — François d'Entragues, qui épousa Marie Touchet, maîtresse de Charles IX, fut père de la célèbre marquise de Verneuil.

[42] Lettre à François de Lorraine, 28 septembre. Bibl. nat., mss. fr. 20457, f° 201.

[43] Les propositions faites par Coligny étaient si maigres et déshonorantes que lord Clinton, délégué pur Sa Majesté, ne put les accueillir. Calend., 22 octobre.

[44] Dès les premiers jours du siège, on avait essayé de gagner lord Grey, gouverneur, auquel d'Estrées fit entendre la haute opinion que le Roi de France avait de lui, et indiqua la forte somme qu'il donnerait pour s'attacher un pareil officier. Calend., 6 mai 1547.

[45] Art. Ier du traité ; BELLEFOREST, Annales, t. II, p. 1550.

[46] BOIVIN DU VILLARS, t. I.

[47] MORÉRI.

[48] John Masone to the Council, 19 octobre 1550 ; Calend. of State pap.

[49] Le duc Claude était mort le 12 avril 1550 et François de Guise se trouvait dorénavant le chef de la maison de Lorraine.

[50] FONTANON, Recueil d'édits et d'ordonnances, t. III ; DU BOUCHET, Preuves, p. 457-461 ; CIMBER et DANJOU, Curiosités de l'Histoire de France, t. VIII, p. 405. — Des règlements pour les troupes avaient déjà été établis en Piémont par le prince de Melfe et Langeay du Bellay. Brantôme dit que les ordonnances de Coligny furent unanimement approuvées, car avant les bandes ressemblaient plutôt à des compagnies d'Arabes et de brigands qu'à de nobles soldats. Edit. Buchon, t. I, p. 627. — Le besoin de régenter, de réglementer est, du reste, un travers huguenot ; nous retrouverons les mêmes errements chez Calvin.

[51] Lettre de Montmorency à Mme de Humières, 20 mai 1551 ; Bibl. nat., mss. fr. 3116, f° 101.

[52] Le pape a levé une armée de 7.000 à 8.000 fantassins, avec laquelle il dévaste le pays aux environs de Rome, écrit en Angleterre sir John Masone. Le Roi envoie Montluc à Rome avec des instructions pour ses ambassadeurs qui doivent sommer le pape d'abandonner son entreprise et, en cas de refus, lui déclarer la guerre ainsi qu'à ses alliés. Sous prétexte de fortifier Sienne, l'Empereur a envoyé 130.000 couronnes, sur lesquelles, dit-on, 50.000 iront à l'évêque de Rome. Calend., 11 juin.

[53] L'ambassade anglaise se rendit d'abord à Saumur et à Blois où séjournait la famille royale. A Saumur, il y eut un incident curieux et qui indique quelle était déjà l'exaspération des esprits au point de vue religieux. Un prêtre qui portait le saint ciboire pour assister un agonisant traversa le quartier où logeaient les gens du marquis de Northampton, tous anglicans selon l'apparence, et qui affectèrent de ne pas s'incliner à son passage. Le prêtre entra dans une colère folle, dit le texte que nous citons, et se livra à des excès qu'il serait trop long de rapporter. Les autorités, ennuyées de l'affaire, firent jeter le prêtre en prison et envoyèrent des excuses en ajoutant que le coupable serait puni. Il fallut que Northampton intercédât pour tout concilier en demandant qu'il ne fut fait aucun mal à l'ecclésiastique puisque nulle plainte n'avait été portée par les Anglais. — Calend., 16 juin 1551.

[54] Au château du Plessis-lès-Roye (22 juin 1551).

[55] Lettre au duc de Guise, 4 juillet ; Bibl. nat., mss. fr. 20461, f° 265.

[56] Lettre au duc de Guise, 25 juillet ; Bib. nat., mss. fr. 20461, f° 149.

[57] Au rapport du Dr Wotton, le Roi devait rassembler alors 27.000 hommes pour l'Italie, sous le commandement de La Barthe, sieur de Termes : M. d'Aumale devait avoir 15.000 fantassins français, gascons et picards ; d'Andelot, 15.000 Suisses ; M. Sattiglione, 1.500 hommes d'armes et 2.000 de cavalerie légère ; Pietro Strozzi, l'infanterie italienne, et le duc Horatio, la cavalerie. Dr Wotton and sir Richard Morysine to the Council. Calend. of State pap., 4 août 1551.

[58] D'Andelot et Sipierre, selon un autre texte, furent pris avec vingt chevaux de compagnie. Le narrateur anglais qui écrit de Venise ajoute : Ici, divers officiers et autres dignitaires qui ont été dernièrement an service du Roi de France disent que les Français manquent à la fois d'approvisionnements, d'hommes et de discipline et qu'ils ne sauront rien entreprendre de bon contre les troupes papistes et impériales. Peter Vannes to the Council. Calend. of state pap., 24 juillet 1551.

[59] Peter Vannes to the Council, etc. ; lettre de Luigi Capponi à Come Ier, 13 août 1551. Négociations diplomatiques avec la Toscane, t. III ; DE THOU ; Papiers d'Etat du cardinal de Granvelle, t. III. p. 544.

[60] Papiers d'Etat du cardinal de Granvelle, t. III, p. 544.