L’ÂGE HÉROÏQUE. - L’ÂGE HISTORIQUE. - LES MACÉDONIENS. L’ÂGE HÉROÏQUE. — Les Grecs de l’âge héroïque se servaient d’armes en bronze qui pouvaient être rehaussées d’or ou d’argent, mais dans lesquelles il est probable que le fer n’entrait pour rien. Lorsque Homère montre Vulcain forgeant les armes d’Achille, le dieu prépare le cuivre, l’étain, l’argent et l’or nécessaires à ses travaux, mais il ne nomme pas le fer en cette occasion. Cependant il connaissait ce métal, auquel il donne l’épithète de difficile à travailler, mais son silence quand il parle de la fabrication des armes montre qu’on ne l’appliquait pas à cet usage.
Toute la jeunesse s’exerçait à tirer de l’arc, comme le montre la figure 335. Néanmoins l’arc n’était pas l’arme préférée des Grecs, et les armes qu’Homère met le plus souvent aux mains des héros sont le javelot, la lance et l’épée. Des fragments de vases découverts à Mycènes par M. Schliemann (fig. 336) peuvent fournir quelques renseignements sur le costume des guerriers d’Agamemnon. Les guerriers qui sont ici représentés sont d’un travail extrêmement grossier, et il est difficile de dire si la longueur démesurée de leur nez est un caractère de race ou une marque de l’inexpérience de l’artiste. Ces guerriers, peints en rouge foncé, sur fond jaune clair, portent des cottes de mailles qui descendaient au-dessous des hanches : elles sont assujetties à la taille par un ceinturon et bordées en bas par une frange de glands allongés. Ils portent de longues lances, auxquelles est fixé un appendice qu’il est difficile de distinguer nettement. Le bas du bouclier est échancré en croissant : la partie inférieure du casque fait saillie par devant et par derrière et un panache décore la partie supérieure.
Un assez grand nombre de scènes guerrières représentées sur les vases se rapportent aux Amazones, et, aux luttes qu’elles soutinrent contre les héros grecs. Nous avons déjà expliqué le costume et l’armement que la tradition attribuait aux Amazones (tome I). Les guerriers qu’on voit dans les représentations qui concernent ces récits fabuleux nous donnent probablement l’image assez exacte des héros grecs dans la période qui a précédé les Pisistratides, car cette période a été celle de la fabrication des vases dont nous parlons. Le casque surmonté d’une grosse aigrette qui pend par derrière en queue de cheval, les bottines souvent agrémentées d’ornements, l’armure formée quelquefois de cottes de mailles, quelquefois de plaques de métal ou de cuir, la lance, l’épée courte et le bouclier rond constituent l’armement habituel de ces guerriers. Le bouclier est quelquefois orné de la représentation d’un animal, comme on le voit sur la figure 337. Deux miroirs étrusques, représentant Achille combattant Penthésilée (fig. 338) et Ajax emportant sur ses épaules le corps d’Achille (fig. 339) montrent avec une grande précision les détails de l’armure d’un héros. Ces miroirs, comme un très grand nombre d’ouvrages de fabrication étrusque, appartiennent au style grec et les costumes qu’ils reproduisent sont très probablement ceux que portaient les guerriers dans les colonies grecques établies en Italie, ce qui n’a rien d’ailleurs de bien surprenant puisque les scènes représentées se rattachent aux traditions héroïques de la Grèce.
Une forme de casque toute différente apparaît sur la figure 340 qui représente une patrouille en marche. Ce casque porte une visière pour protéger le visage et le grand panache qui le surmonte ne s’y attache pas directement, mais s’élève au-dessus d’une pointe de métal. Cette forme est analogue à celle que nous avons vue dans les casques grecs de l’âge héroïque. On la retrouve encore dans la figure 341 où deux cavaliers font une ronde en compagnie de leurs chiens. Ces deux monuments nous fournissent des renseignements extrêmement précieux, non seulement sur le costume des guerriers, mais encore sur leurs allures et la nature des manœuvres qui s’exécutaient dans les guerres de l’âge héroïque. Il est bon de remarquer que la présence des cavaliers montés sur leurs chevaux indique une période relativement assez avancée, car dans les temps homériques le cheval sert bien plus pour traîner un char que pour porter un cavalier. La figure 342 représente un char de guerre dans l’époque héroïque ; c’était une petite voiture à deux roues dans laquelle on entrait par derrière et qui était fermée par devant. Le char de guerre ne pouvait contenir que deux hommes, le combattant et le cocher qui conduisait les chevaux. Ils étaient toujours debout et aucune représentation ne les représente dans une autre position. Les roues en étaient extrêmement minces ; les chars, qui étaient très légers et qui étaient généralement attelés de deux chevaux, devaient aller avec une très grande rapidité. Dans l’Iliade le char d’Achille avait quatre chevaux, et c’est ainsi que nous le voyons figuré sur la figure 343 qui représente les adieux d’Achille et de Patrocle.
Un char de guerre figuré sur un bas-relief en terre cuite, dans la collection du duc de Luynes, rappelle par sa construction certains chars assyriens (fig. 344). Celui-ci parait fait avec des cannes entrelacées et devait être de la plus extrême légèreté. Au reste c’était là une condition essentielle pour les chars de guerre. Nous voyons que le cocher, uniquement occupé de la direction de ses chevaux, ne porte pas d’armes offensives, tandis que le guerrier placé à ses côtés est armé de pied en cap. L’oiseau qui semble descendre du ciel au moment où le char passe est un présage d’heureux augure ; un oiseau analogue est figuré sur le bouclier du héros.
La division décimale paraît avoir+été adoptée par les Grecs dès la plus haute antiquité. C’est du moins ce qui paraît résulter d’un passage d’Homère qui dit en parlant d’Achille : Il était venu avec cinquante vaisseaux dont chacun portait cinquante hommes. Il les avait partagés en cinq corps, que commandaient cinq capitaines d’un courage éprouvé. Ainsi les 2.500 Mirmydons amenés par Achille formaient cinq bataillons de 500 hommes chacun et il est probable que les corps de troupes commandés par les autres chefs grecs avaient une organisation analogue. Le pouvoir des chefs par rapport à leurs subordonnés ne parait pas avoir été bien nettement déterminé. Ces chefs sont tous des rois, et c’est à titre de souverains plutôt que de commandants militaires qu’ils se font obéir de leurs soldats, qui, presque toujours, sont en même temps leurs sujets. Deux personnages extrêmement importants sont le devin, qui prédit le succès de la bataille ou la fait retarder si les dieux ne paraissent pas favorables, et le héraut qui fait les fonctions d’ambassadeur et interpose quelquefois son autorité pour faire cesser un combat ou pour en régler les conditions. Le héraut a pour insigne un bâton da commandement et il porte une longue robe, comme on le voit sur la figure 345, qui représente un combat entre Achille et Télèphe, d’après un vase du Louvre. Achille est suivi de la Victoire qui s’apprête à le couronner.
Les combats homériques sont toujours des luttes corps à corps qui ressemblent à une succession de duels bien plus qu’à une véritable bataille. Fidèle observateur des mœurs de son temps, le poète nous montré toujours des épisodes où la tactique d’ensemble n’existe pas, parce que tout repose sur la force et le courage individuel des combattants. Le combat qui s’engage autour du corps de Patrocle résume très bien le genre de guerre qui caractérise les temps héroïques. Les défenseurs d’Ilion, dit Homère, repoussent d’abord les Grecs aux terribles regards : ceux-ci, remplis d’effroi, abandonnent le corps de Patrocle. Les Troyens, malgré leur désir, n’immolent aucun guerrier ; ils se hâtaient trop d’entraîner le corps de Patrocle. Les Grecs, qui ne devaient pas être éloignés du cadavre de leur brave compagnon, reviennent aussitôt, conduits par Ajax, qui, par sa taille et par sa force, l’emportait sur les Danaens, après l’irréprochable fils de Pélée. Ajax s’élance aux premiers rangs des combattants, semblable au sanglier furieux qui, sur une montagne, dissipe aisément une troupe de chiens et de jeunes chasseurs en se précipitant à travers les vallons. Tel Ajax, fils illustre de Télamon, attaque, dissipe facilement les Troyens, qui, entourant le corps de Patrocle, espéraient l’emporter dans leur ville et se couvrir de gloire. Déjà Hippothoüs, entraînait Patrocle par les pieds loin de cette mêlée terrible, après lui avoir lié les jambes près des chevilles au moyen d’une courroie. Hippothoüs voulait plaire à Hector ainsi qu’aux Troyens ; mais le malheur fond aussitôt sur lui et nul, malgré son désir, ne peut l’en préserver. Le fils de Télamon sort de la foule, marche contre Hippothoüs et lui brise son casque d’airain à l’épaisse crinière ; la pointe de la lance le traverse entièrement, car ce casque venait d’être percé par un énorme javelot lancé par un bras vigoureux : la cervelle sanglante jaillit le long de la lance. Les forces abandonnent ce guerrier, ses mains laissent échapper les jambes de Patrocle, et le malheureux Hippothoüs tombe le front sur le cadavre, loin des plaines fertiles de Larisse. Hélas ! il ne put rendre à ses parents chéris tous les soins qu’ils lui avaient prodigués ; sa vie fut de courte durée ; il mourut jeune, dompté par la lance du magnanime Ajax ! — Hector dirige aussitôt contre le fils de Télamon un brillant javelot ; mais Ajax, qui l’aperçoit, se détourne un peu, et le trait va frapper le fils du valeureux Iphite, Schédius, le plus brave des Phocéens. Schédius habitait un palais superbe dans la célèbre Panopée, et il régnait sur des peuples nombreux. Hector l’atteint à la clavicule ; le trait s’enfonce dans la gorge, et la pointe d’airain ressort au bas de l’épaule. Schédius tombe sur la terre, et autour de lui ses armes retentissent. Ajax se précipite sur le vaillant fils de Phénops, Phorcys, qui défendait Hippothoüs ; il le frappe au milieu du ventre, et l’arme, en brisant la cavité de la cuirasse, pénètre jusque dans les entrailles. Phorcys roule sur le sol et presse la terre de ses mains. Hector et les premiers d’entre les Troyens reculent en voyant cet exploit. Alors les Argiens, en poussant de vives clameurs, entraînent le cadavre de Phorcys et d’Hippothoüs et ils les dépouillent. Mycènes nous offre après trois mille ans d’existence le type le plus curieux d’une place forte aux temps héroïques. Située sur une hauteur escarpée, elle commandait la plaine d’Argos et les contrées environnantes. La ville s’étageait sur un mamelon de rocher au pied duquel coulait un torrent. L’acropole était de forme triangulaire ; les remparts qui subsistent presque en entier montrent des murailles cyclopéennes. C’est à l’époque où ont vécu les héros dont la poésie a conservé le souvenir qu’on rattache ces grandes constructions. Les murs de Tirynthe, que l’on fait remonter à l’an 1380 environ avant notre ère, sont les plus anciennes constructions que l’on connaisse sur le sol de la Grèce. A cette époque, on choisissait pour y résider les lieux qui semblaient le plus propices pour la défense, et les acropoles s’élèvent au sommet des montagnes ou sur la cime des rochers les plus escarpés. On arrachait des blocs énormes du sein des carrières et on en formait d’épaisses murailles. Pausanias trouvait les murailles de Tirynthe aussi étonnantes que les pyramides d’Égypte. C’est dans l’épaisseur de ces murailles que sont pratiquées ces célèbres galeries qui menaient sans doute à d’autres constructions aujourd’hui disparues. Leur voûte ogivale est formée d’assises horizontales disposées en encorbellement. Dans la grande époque de la Grèce, un grand nombre de cités avaient conservé les murailles cyclopéennes élevées dans les temps héroïques. Mais celles que l’on construisait pour fortifier les villes avaient naturellement un tout autre caractère. Messène, qui fut rebâtie par Épaminondas peut nous fournir un exemple du système employé à cette époque. La muraille se terminait supérieurement par des créneaux, et des tours carrées ou demi-circulaires étaient échelonnées de distance en distance. Deux tours étaient placées de chaque côté de la porte sur laquelle était représentée une figure de Minerve, d’après un usage commun à beaucoup de villes grecques. Les murs des tours étaient percés de meurtrières allongées par lesquelles on lançait des flèches. Les villes grecques avaient quelquefois une double muraille environnée de fossés, et la terre qu’on retirait du fossé était accumulée contre le rempart à l’intérieur, de manière à former un talus qui en rendit l’accès facile aux assiégés. Les murailles étaient quelquefois très larges pour les nécessités de la défense. Les richesses considérables- qui affluèrent à Athènes après les guerres médiques furent employées d’abord aux fortifications de la ville. Les murs du Pirée, aussi colossaux que les murs cyclopéens, présentaient une grande régularité dans la construction. La largeur était telle que deux voitures chargées de pierres pouvaient y marcher de front. Les pierres étaient jointes sans mortier au moyen de crampons en fer. La guerre avait, dans les temps héroïques, un caractère atroce qui presque nulle part ne laissait de place à la pitié. La mort ou le plus rude esclavage était le sort inévitable du vaincu. Aussi le départ d’un guerrier avait-il quelque chose de solennel, et de nombreuses représentations se rattachant à des scènes funèbres montrent des scènes d’adieux (fig. 346). Virgile a décrit d’une manière saisissante le sac du palais de Priam. Périphas à la haute stature, Automédon l’écuyer, qui fut conducteur des coursiers d’Achille, et tous les jeunes Grecs venus de Scyros, lancent au faite du palais la flamme dévorante. Pyrrhus, qui les excite, saisit lui-même une hache à deux tranchants, et frappe les portes qu’il arrache de leurs gonds d’airain. Déjà le fer a traversé le chêne robuste, et fait, dans son épaisseur, une large ouverture ; alors apparaît aux regards l’intérieur du palais, dont les longs portiques se déploient ; on aperçoit l’auguste demeure de Priam et de nos anciens rois. Debout, sur le seuil même, des guerriers veulent en défendre l’entrée. Cependant des gémissements et un tumulte lamentable s’élèvent confusément dans l’intérieur du palais, et les femmes font retentir de leurs cris de désespoir la profondeur des voûtes : ce bruit affreux monte jusqu’aux astres. Les mères éplorées errent sous les longs portiques, tiennent les portes embrassées et les couvrent de baisers. Alors, plein de cette fureur qui animait son père, Pyrrhus presse l’attaque, et ni les barrières ni les gardes ne peuvent l’arrêter. Le bélier, à coups redoublés, enfonce les portes : elles tombent avec fracas, arrachées de leurs gonds. La violence ouvre un passage : les Grecs s’élancent, forcent l’entrée, massacrent les guerriers qui la défendent, et le palais est rempli de soldats. Tel un fleuve en fureur, qui a rompu ses digues, se précipite écumant à travers leurs débris, roule dans la campagne ses flots amoncelés, et entraîne au loin les troupeaux avec leurs étables. J’ai vu moi-même ; sur le seuil du palais, Pyrrhus avec les deux Atrides, s’enivrant de carnage ; j’ai vu Hécube et ses brus, et, devant les autels de nos dieux, Priam souillant de son sang les feux sacrés qu’il avait allumés lui-même. Les cinquante couches nuptiales, espoir d’une nombreuse postérité, et ces superbes portiques, enrichis de l’or des barbares et des dépouilles des vaincus, tout est tombé ! Ce qu’épargne la flamme est la proie des Grecs.
La figure 347 montre une captive emmenée en esclavage. Le sort de ceux que la furie du vainqueur avait épargnés n’avait rien d’enviable. Les femmes étaient les plus malheureuses. Euripide nous peint la vieille Hécube se lamentant au milieu des autres captives. J’étais reine, dit-elle, je devins l’épouse d’un roi, et je donnai le jour à de nobles enfants, non pas seulement d’un mérite vulgaire, mais les premiers des Phrygiens, et tels qu’aucune femme, troyenne, grecque ou barbare, ne peut se glorifier d’en posséder de pareils. Je les ai vus périr sous la ‘lance des Grecs, et j’ai coupé ma chevelure sur leur tombeau. Et Priam, leur père, ce n’est pas sur le récit d’autrui que je l’ai pleuré ; je l’ai vu de mes yeux égorgé au pied de l’autel de Jupiter Hercéen, et, avec lui, j’ai vu tomber son empire ; et mes filles, que j’élevai pour d’illustres hyménées, c’est à d’autres qu’elles sont échues ; on les arrache de mes bras ; il ne me reste plus l’espoir d’être jamais revue par elles, et moi-même je ne les reverrai plus jamais. Enfin pour mettre- le comble à mon malheur, je deviens, dans ma vieillesse, .esclave des Grecs ! Ils m’imposeront les services les plus humiliants pour mon âge ; moi, la mère d’Hector, on me chargera de veiller aux portes et de garder les clefs, ou de faire le pain ; je serai réduite à coucher sur la terre mon corps épuisé, qui fut habitué à la couche royale, et à revêtir mes membres des lambeaux déchirés de la misère ! Ah ! malheureuse ! que de revers l’amour d’une seule femme a-t-il attirés sur moi, et quels maux il me réserve encore ! Ô ma fille Cassandre, qui partages les transports des dieux, quelle calamité a flétri ton innocence !... Et toi, infortunée Polyxène, où es-tu ? De toute ma postérité si nombreuse, ni un fils ni une fille ne peut soulager mon infortune. Pourquoi me relever ? Dans quelle espérance ? Conduisez mes pieds, jadis si délicats au temps de Troie et esclaves aujourd’hui, conduisez-les sur la terre qui doit me servir de couche, et sur le bord d’un rocher, pour y tomber et mourir épuisée par les larmes. Apprenez aussi à ne donner à aucun des plus fortunés le nom d’heureux avant sa mort. L’ÂGE HISTORIQUE. — A l’époque des guerres médiques, la composition des armées aussi bien que les manœuvres militaires ne sont plus du tout ce qu’elles étaient dans la période héroïque. La tactique prend de l’importance et un combat n’est plus comme au temps d’Homère une série de duels d’homme à homme. Les chars de guerre ont complètement disparu et la cavalerie se montre partout à côté de l’infanterie. L’ensemble d’une armée présente une organisation régulière. Dans l’infanterie, on distingue les hoplites, les psilites et les peltastes. Les hoplites, ou soldats pesamment armés, ont pour armes défensives un casque, une cuirasse, un bouclier rond et des bottines garnies de fer, pour armes offensives une longue pique et une épée (fig. 348).
Les psilites sont des fantassins légers se servant du javelot, de l’arc et de la fronde. Les peltastes forment une sorte d’infanterie mixte qui tient le milieu entre les deux corps qui précèdent. Hérodote, Thucydide, Xénophon, Arrien et Polybe nous ont laissé de précieux renseignements sur l’organisation et les manœuvres des armées de la Grèce. Ces armées, disait le général Lamarque, étaient peu nombreuses, mais elles ont fait de grandes choses ; et si, comme l’a dit avec dédain un auteur moderne, à qui il n’a manqué que de vivre quelques années plus tard pour parvenir à une haute renommée militaire, un bon major conduirait aujourd’hui la manœuvre de Leuctres et de Mantinée aussi bien qu’Épaminondas lui-même, il est à présumer qu’Épaminondas eût conduit la bataille de Lissa, donnée sur les mêmes principes, aussi bien que le grand Frédéric, qui imita sa manœuvre (Encyclopédie moderne). Sparte et Athènes ayant tour à tour eu la prépondérance en Grèce, l’organisation de leurs armées a nécessairement servi de modèle à celle des autres républiques grecques. A Sparte, tous les citoyens devaient le service depuis vingt jusqu’à soixante ans ; mais ils étaient classés d’après leur âge, et on ne les appelait que successivement, suivant la nécessité du jour. Ainsi les hommes de vingt à trente-cinq ans avaient seuls servi à Leuctres, mais après la bataille on appela ceux de trente-cinq à quarante ans. Cette armée était divisée en plusieurs corps, qui se subdivisaient eux-mêmes en plusieurs compagnies : ces cadres ne représentaient pas toutefois un nombre fixe de soldats, et les corps aussi bien que leurs subdivisions pouvaient être plus ou moins nombreux suivant les circonstances. Dans l’origine, les deux rois de Sparte marchaient à la tête des armées, mais on sentit bientôt les inconvénients de ce partage du pouvoir militaire et on le concentra sur une seule tête. Dans les batailles le roi devait combattre au premier rang : cent guerriers qui ne le quittaient jamais avaient pour mission de le défendre ou de mourir avec lui. Les Spartiates avaient du rouge dans leur vêtement, afin qu’on ne vît pas le sang couler : chacun d’eux avait un emblème particulier sur son bouclier, qu’il devait rapporter sous peine d’infamie. Les marches se faisaient au son des flûtes : les armes des Spartiates ne différaient pas essentiellement de celles des autres Grecs, mais ils se servaient principalement de la lance. Les limites de la Laconie sont au bout de nos piques ! disait fièrement Agésilas. Outre les citoyens, l’armée de Sparte comprenait des auxiliaires qui formaient presque toujours la partie la plus nombreuse, les véritables Spartiates étant considérés comme un corps d’élite. Ainsi sur 45.000 hommes qui combattaient à Platées sous les ordres du général spartiate, il n’y avait que 5.000 citoyens. Ces auxiliaires se recrutaient parmi les pays soumis, comme les Messéniens ou les Ilotes, mais on employait aussi des soldats alliés, par exemple les archers crétois, qui recevaient comme paye une darique par mois (environ 60 centimes par jour). Nous n’avons pas de renseignements particuliers sur le costume des archers, mais nous croyons qu’on peut s’en faire une idée assez exacte d’après la figure 349, tirée du fronton du temple d’Égine.
Le personnage représenté est le héros Teucer, mais l’armure que le sculpteur lui a donnée est celle qu’on portait à l’époque où fut élevé le temple d’Égine, qui est précisément celle dont nous nous occupons. Un renseignement assez curieux nous est fourni par Aulu-Gelle sur la manière employée pour expédier les dépêches. Jadis à Lacédémone, dit Aulu-Gelle, quand l’État adressait à ses généraux des dépêches secrètes qui devaient rester inintelligibles à l’ennemi au cas où elles seraient interceptées, on recourait à ce stratagème : on avait deux bâtons ronds, allongés, de même grosseur et de même longueur, polis et préparés de la même manière ; l’un était remis au général à son départ pour l’armée, Vautre restait confié aux magistrats avec les tables de la loi et le sceau public. Quand on avait à écrire au général quelque chose de secret, on roulait sur ce cylindre une bande de médiocre largeur et de longueur suffisante, en manière de spirale ; les anneaux de la bande ainsi roulés devaient être exactement appliqués et unis l’un à l’autre. Puis on traçait des caractères transversalement, les lignes allant de haut en bas. La bande ainsi chargée d’écriture était relevée du cylindre et envoyée au général au fait du stratagème ; après la séparation, elle n’offrait plus que des lettres tronquées et mutilées, des corps et des têtes de lettres, divisés et épars : aussi la dépêche pouvait tomber au pouvoir de l’ennemi sans qu’il lui fût possible d’en deviner le contenu. Quand elle était arrivée à sa destination, le général, qui connaissait le procédé, roulait la bande sur le cylindre pareil qu’il avait, depuis le commencement jusqu’à la fin. Les caractères, que ramenait au même point l’égalité de volume du cylindre, correspondaient de nouveau et présentaient l’ensemble d’une lettre complète et facile à lire. A Athènes, le service militaire n’était obligatoire que pour les citoyens jouissant d’une certaine aisance. Les pauvres, les étrangers domiciliés et les esclaves étaient rarement admis dans les armées. Les dix tribus d’Athènes fournissaient chacune un général ou stratège, qui commandait l’armée à tour de rôle : système vicieux qui fit dire ironiquement à Philippe que les Athéniens étaient bien heureux de trouver chaque année dix hommes en état de commander, tandis que lui n’avait encore pu trouver que Parménion. Ces fréquents changements de direction militaire, si bien d’accord avec la démocratie inquiète et jalouse des Athéniens, faillirent plusieurs fois perdre la république, par l’absence de continuité dans le commandement et la direction de l’armée. Chacun des dix stratèges avait sous ses ordres dix taxiarques, chargés des détails du service. Des hérauts, dont la personne était sacrée, portaient aux généraux les ordres du commandant en chef de l’armée et les transmettaient aux officiers subalternes, par le moyen d’un corps de coureurs organisé à cet effet. Quand une armée se mettait en campagne, elle emportait des vivres pour un nombre de jours déterminé, et le général devait ensuite veiller à ce qu’elle ne manquât de rien dans le pays qu’il lui faisait traverser. Au moment de la bataille les soldats entonnaient un hymne militaire. L’infanterie se composait d’hommes pesamment armés ou hoplites et de troupes légères qui se trouvaient derrière les grandes lignes et lançaient de là des flèches ou des pierres. Un bas-relief archaïque découvert aux environs de Marathon et qui fait aujourd’hui partie du musée d’Athènes dans le temple de Thésée nous donne l’idée exacte du costume militaire des Athéniens au temps des guerres médiques (fig. 350). Nous avons moins de renseignements sur la cavalerie athénienne ; on sait seulement qu’elle se composait, en général, des citoyens les plus riches. De même que pour l’infanterie, il y avait dans toutes les armées grecques une cavalerie pesante et une cavalerie légère ; mais à part la Thessalie qui avait la réputation de former d’excellents cavaliers, c’étaient presque partout les fantassins qui faisaient la principale force des armées grecques. Xénophon nous a fourni quelques renseignements sur la manière dont la cavalerie était armée. Nous croyons devoir marquer, dit Xénophon, comment il faut être armé pour faire la guerre à cheval. D’abord nous dirons que la cuirasse doit être faite à la taille : quand elle joint bien, c’est tout le corps qui la porte ; mais lorsqu’elle est trop large, les épaules seules en sont chargées ; trop étroite, c’est une prison, non pas une défense. Et comme les blessures du col sont dangereuses, nous dirons qu’il faut le défendre au moyen d’une pièce tenant à la cuirasse et de la même forme que le col ; car, outre l’ornement qui en résultera, cette pièce, si elle est bien faite, couvrira quand on voudra le visage jusqu’au nez. Le casque de Béotie nous parait le meilleur ; car, s’unissant au collet, couvre tout ce qui est au-dessus de la cuirasse et n’empêche point de voir. Que la cuirasse, au reste, soit faite de manière à n’empêcher ni de se baisser ni de s’asseoir. Pour couvrir les parties délicates, on aura des pennes (lames circulaires couchées les unes sur les autres comme une queue d’écrevisse) en nombre et en grandeur suffisante ; et attendu qu’une blessure au bras gauche met le cavalier hors de combat, nous approuvons fort la défense qu’on a inventée pour cette partie et qu’on appelle brassard. e brassard couvre l’épaule, le bras, l’avant-bras et la main de la bride, s’étend et se plie à volonté, en même temps qu’il pare au défaut de la cuirasse sous l’aisselle. Soit pour lancer, soit pour frapper de près, il faut lever le bras droit : on ôtera donc de la cuirasse ce qui s’oppose à ce mouvement, et on le remplacera par des pennes à charnières qui puissent s’ôter et se remettre, et qui, dans l’action de lever le bras, se déploieront, dans celle de le baisser, se serreront. Cette pièce, qui se met autour du bras comme une bottine, doit être séparée plutôt que fixée à la cuirasse. La partie qui demeure à nu quand on lève le bras droit doit être couverte près de la cuirasse avec du cuir de veau ou du cuivre ; autrement on serait sans défense dans l’endroit le plus dangereux. Comme le cavalier court un péril extrême quand son cheval est tué sous lui, le cheval aussi doit être armé d’un chanfrein (fig. 351), d’un poitrail et de garde-flancs qui, en même temps, serviront de garde-cuisses aux cavaliers ; mais surtout que le ventre du cheval soit couvert avec le plus grand soin, car cette partie, où les blessures sont le plus à craindre, est outre cela une des plus faibles. On peut le couvrir avec la housse même. Il faudra que le siège soit construit de manière à donner au cavalier une assiette plus ferme, sans blesser le dos du cheval. Ainsi doivent être armées ces parties du corps de l’homme et du cheval ; mais les garde-cuisses ne couvriront ni le pied ni la jambe de l’homme, qui seront bien défendus si l’on a des bottes du même cuir dont se font les semelles. Ces bottes servent en même temps de défense à la jambe et de chaussure. Pour se garantir des coups, avec l’aide des dieux, voilà les armes qu’il faut ; mais pour frapper l’ennemi, nous préférons le sabre à l’épée ; car dans la position élevée du cavalier, le coup d’espadon vaudra mieux que le coup d’épée. La pique longue étant faible et embarrassante, nous approuvons davantage les deux javelots de cornouiller on peut, sachant manier cette arme, en lancer d’abord un, et se servir de l’autre en avant, de côté et en arrière ; ils sont, en un mot, plus forts et plus maniables que la pique. Darder le plus loin qu’on pourra, ce sera le mieux, à notre avis : car ainsi on a plus de temps pour se retourner et saisir le second javelot nous marquerons ici, en peu de mots, la meilleure manière de darder. En avançant la gauche, effaçant la droite et s’élevant des cuisses, si on lâche le fer de manière que la pointe soit un peu tournée en haut, le coup partira avec plus de violence, portera le plus loin possible et le plus juste aussi, pourvu qu’en bichant le fer on ait soin que la pointe regarde toujours droit au but. Tout ceci soit dit pour l’instruction et l’exercice du cavalier. La grande puissance militaire des Athéniens était surtout fondée sur leur marine, dont l’entretien formait d’ailleurs la plus forte dépense de l’État. Nous avons déjà parlé des galères et nous avons montré plusieurs représentations de navires grecs (tome III, fig. 431 à 435), mais quand il s’agit des manœuvres d’une armée navale, on se trouve en face de grandes incertitudes, car les érudits invoquent souvent des textes qui font à leurs yeux autorité, mais que les marins repoussent comme étant contraires aux lois de la navigation. L’amiral Jurien de la Gravière, dans son livre sur la marine des anciens, s’exprime ainsi au sujet des flottes athéniennes : Il est à regretter que Thucydide ne nous ait pas transmis des détails plus précis sur la construction des navires que la guerre du Péloponnèse allait faire entrer en lice ; il aurait évité bien des veilles et bien des soucis à l’érudition moderne. Thucydide, par malheur, se borne à nous apprendre qu’au temps de la guerre de Troie, les flottes se composaient en majeure partie de pentécontores ; que les tyrans de Sicile et les Corcyréens possédèrent les premiers de nombreuses trières ; que les Athéniens en construisirent à leur tour, sur les conseils de Thémistocle, dans l’attente de l’invasion des barbares. Plus propres au combat que les pentécontores, les trières de Salamine n’étaient cependant pas encore complètement pontées. Les trières qui prirent part à la guerre du Péloponnèse se présentèrent au contraire sur l’arène pontées de bout en bout. Cent cinquante matelots composaient la chiourme, quelquefois mercenaire, le plus souvent nationale, de la galère grecque. De quelle façon, sur combien d’avirons avait-on distribué ces cent cinquante rameurs ? Thucydide et Xénophon n’en disent rien. J’oserais peut-être essayer d’interpréter respectueusement leur silence, si l’on voulait seulement me permettre de raisonner, en pareille matière, par analogie. Quand nous armons les chaloupes de nos vaisseaux de douze avirons de chaque bord, et que nous leur donnons un équipage de quarante-huit rameurs, nous vient-il jamais à la pensée d’ajouter qu’on devra placer quatre hommes sur chaque banc et deux hommes sur chaque rame ? Les galères subtiles destinées par les Génois aux voyages de Roumanie et de Syrie avaient à peu près deux fois la longueur de nos chaloupes. Elles portaient, outre cent soixante-seize rameurs, dix arbalétriers, quatre pilotes et un sénéchal. Je gagerais fort que ces navires à rames du moyen âge ne différaient pas beaucoup des trières de Thucydide. La trière nous embarrasse : que serait-ce donc s’il nous fallait expliquer, autrement que par le chiffre des rameurs affectés à chaque aviron, les noms de pentère, d’exère, d’heptère, d’ennère, de décère ? L’histoire ne fait-elle pas mention d’édifices plus gigantesques encore, de vaisseaux à seize rangs, à quarante rangs de rames. La foi la plus robuste ici s’épouvante. Tout Paris viendrait nous affirmer que les bains de la Samaritaine sont partis en course avec quatre mille rameurs. et trois mille soldats, que nous serions vraiment tenté de croire,’ quoique nous ne fassions certes pas profession de scepticisme, que tout Paris se trompe, et cependant ce n’est pas à de moindres prodiges qu’on voudrait, textes en main, nous contraindre de donner créance. Les Grecs ne paraissent pas avoir élevé après leurs victoires de monuments comme les arcs de triomphe des Romains ; la colonne Serpentine pourtant est un édifice commémoratif, qui, par sa destination, fait songer aux monuments du même genre élevés à Rome pour glorifier les victoires de Trajan. Cette colonne, dont la dîme du butin pris sur les Perses après la bataille de Platées avait fait les frais, était à Delphes et fut transportée plus tard à Constantinople où en voit encore des restes. Elle se composait de trois serpents entrelacés, mais elle a surtout de l’importance par les inscriptions qu’on y a trouvées. M. Isambert en donne la description suivante, dans son guide en Orient : Les noms des peuples Grecs sont encore presque tous lisibles, depuis le treizième repli du serpent d’airain jusqu’au troisième (les deux premiers n’en montrent aucune trace). Cette inscription constitue un des ornements épigraphiques les plus importants de l’antiquité, puisqu’on y trouve le nom de trente et une cités grecques qui avaient combattu les Perses. C’est exactement le chiffre indiqué par Plutarque. Le monument présente aujourd’hui un aspect singulier. L’on dirait d’abord une colonne torse. Mais un examen plus attentif y fait reconnaître le corps des trois serpents plus mince dans le bas, grossissant jusqu’au quinzième tour, et diminuant à partir du vingt-quatrième. La mâchoire supérieure a ‘été déposée au musée de Sainte-Irène et montre une imitation exacte de la réalité : la tête allongée et aplatie, la bosse au-dessous de l’œil, les dents aiguës et rangées en forme de scie, les narines. Selon Gylli, qui décrivit ce monument en 1532, les têtes étaient écartées largement en forme de triangle. Les gueules ouvertes étaient destinées à soutenir le trépied d’or. Le monument parait avoir été fondu d’un seul jet, ouvrage qui montre combien cet art étau avancé en Grèce en l’an 478 avant J.-C. LES MACÉDONIENS. — La phalange macédonienne était un bataillon carré formé de dix corps. Chaque corps de 1.600 hommes, pesamment armés, présentait cent soldats de front, sur seize de profondeur. Ils étaient armés d’une très longue pique appelée la sarisse. Les rangs étaient tellement pressés que les piques du cinquième rang dépassaient de trois pieds la première ligne. Les hommes étant très serrés les uns contre les autres et toutes les piques s’avançant à la fois, les rangs étaient très difficiles à rompre. La fuite des premiers rangs était rendue impossible, à cause des derniers qui avaient toujours la pique en avant, sans avoir égard à ceux qui les précédaient. Polybe dit que tant que la phalange se maintenait dans son état naturel, rien ne pouvait lui résister de front ni soutenir la violence de son choc, mais il fait en même temps de cette manœuvre une critique assez sévère. Pour tirer parti d’une phalange, dit-il, il est nécessaire de lui trouver un terrain plat, découvert, uni, sans fossés, sans fondrières, sans gorges, sans éminences, sans rivières. Or, il est très rare de rencontrer un terrain de vingt stades ou plus qui n’offre quelqu’un de ces obstacles. Quel usage ferez-vous de votre phalange, si votre ennemi, au lieu de venir à vous dans ce terrain favorable, se répand dans le pays, ravage les villes et fait du dégât dans les terres de vos alliés ? Ce corps restant dans le poste qui lui est avantageux, non seulement ne sera d’aucun secours à vos amis, mais il ne pourra se conserver lui-même. L’ennemi maître de la campagne, sans trouver personne qui lui résiste, lui enlèvera ses convois de quelque endroit qu’ils lui viennent. S’il quitte son poste pour entreprendre quelque chose, ses forces lui manquent et il devient le jouet des ennemis. Les Macédoniens ne paraissent pas d’ailleurs avoir porté des armes bien différentes de celles dont les Grecs s’étaient servis avant eux. Voici la description que Quinte-Curce nous a laissée de l’armure d’Alexandre : Alexandre se servait d’un petit bouclier reluisant ; il avait sur son casque de grandes plumes blanches qui pendaient de part et d’autre, et il portait une brigandine faite de plusieurs doubles de toile piquée. Véritablement son casque, qui était un ouvrage de Théophile, n’était que de fer, mais il était si reluisant et si poli qu’on l’aurait pris pour de l’argent ; son hausse-col n’était aussi que de fer, mais il était diversifié de pierreries. Enfin, son épée était d’une trempe qui n’avait point de pareille ; et ce qui en augmentait le prix, elle était légère et facile à manier. Il mettait quelquefois par-dessus ses armes une sorte d’habit militaire, qu’on appelait en ce temps-là un sayon à la sicilienne. Mais il ne se servit de quelques-unes d’elles que quelque temps après ; car on trouva la brigandine dont nous venons de parler entre les dépouilles de la bataille qui fut donnée contre Darius auprès de la ville d’Issus ; le roi des Ciliciens lui fit présent de cette excellente épée ; et les Rhodiens de sa cotte d’armes, qu’Hélicon, fameux et célèbre entre les anciens ouvriers, avait faite avec un artifice incomparable. L’emploi des machines de guerre est un des caractères distinctifs de la période macédonienne. Philippe, dit Polybe, lorsqu’il eut résolu d’attaquer Égine par les deux tours, fit placer devant chacune une tortue et un bélier. D’un bélier à l’autre vis-à-vis l’entre-deux des tours, on construisit une galerie parallèle à la muraille. A voir cet ouvrage on l’eut pris lui-même pour une muraille ; car les claies qu’on avait élevées sur les tortues formaient, par la manière dont elles étaient disposées, un édifice tout semblable à une tour ; et sur la galerie qui joignait les deux tours, on avait dressé d’autres claies où l’on avait pratiqué des créneaux. Au pied des tours étaient des travailleurs qui, avec des terres, aplanissaient les inégalités du chemin : là, étaient aussi ceux qui faisaient mouvoir le bélier. Au second étage, outre les catapultes, on avait porté de grands vaisseaux contenant de l’eau et les autres munitions nécessaires pour arrêter tout incendie. Enfin, dans le troisième, qui était d’égale hauteur avec les toits de la ville, était un grand nombre de soldats pour repousser ceux des assiégés qui auraient voulu s’opposer à l’effort du bélier. Depuis la galerie, qui était entre les deux tours, jusqu’au mur qui joignait celles de la ville, on creusa deux tranchées, où l’on dressa trois batteries de balistes, dont l’une jetait des pierres du poids d’un talent et les deux autres des pierres de trente mines. Et pour mettre à l’abri des traits des assiégés, tant ceux qui venaient de l’armée aux travaux, que ceux qui retournaient des travaux à l’armée, on conduisit des tranchées blindées depuis le camp jusqu’aux tortues. Une innovation fort curieuse est l’emploi dans les armées macédoniennes des éléphants, dont la conquête de l’Asie avait introduit l’usage sous Alexandre. Le rôle des éléphants dans les armées de l’antiquité est assez intéressant à étudier. Dans une bataille livrée entre Antiochus et Ptolémée, Polybe signale une différence sensible au point de vue de la guerre entre les éléphants de l’Inde et ceux de l’Afrique : On se battit des tours, avec beaucoup de chaleur, les soldats combattant de près et se perçant les uns les autres de leurs piques. Mais ce qui fut le plus surprenant, ce fut de voir les éléphants même fondre de front les uns sur les autres, et se battre avec fureur. Car telle est la manière de combattre de ces animaux. Ils se prennent par les dents, et, sans changer de place, ils se poussent l’un l’autre de toutes leurs forces, jusqu’à ce que l’un des deux, plus fort, détourne la trompe de son antagoniste ; et dès qu’il lui a fait prêter le flanc, il le perce à coups de dents, comme les taureaux se percent avec les cornes. La plupart des éléphants de Ptolémée craignirent le combat, ce qui est assez ordinaire aux éléphants d’Afrique. Ils ne peuvent soutenir ni l’odeur ni le cri de ceux des Indes, ou plutôt je crois que c’est la grandeur et la force de ceux-ci qui les épouvantent et leur font prendre la fuite avant même qu’on les en approche. |