LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME IV — LES INSTITUTIONS DE L’ANTIQUITÉ

LA GUERRE. — III. - LA GUERRE EN ASIE

 

 

LES HÉBREUX. - LES ARMÉES ASSYRIENNES. - LES MÈDES ET LES PERSES.

 

LES HÉBREUX. — Il ne semble pas qu’il y ait jamais eu d’armées permanentes chez les Hébreux, même après la constitution des royaumes de Juda et d’Israël. M. Munk, dans la Palestine, résume ainsi les renseignements épars dans la Bible sur l’organisation militaire des Hébreux : A l’exception des lévites, tous les Hébreux étaient soumis au service militaire depuis l’âge de vingt ans, et selon Josèphe jusqu’à celui de cinquante ans ; cependant, ayant égard à l’agriculture et aux intérêts privés, la loi admettait les exceptions suivantes : celui qui avait bâti une maison et ne l’avait pas encore habitée ; celui qui avait fait une plantation dont il n’avait pu encore recueillir les premiers fruits ; celui qui s’était fiancé ou qui était encore dans la première année de son mariage. Au reste, les levées en niasse n’avaient lieu que dans les circonstances extraordinaires ; ainsi tout le monde était appelé aux armes pour la guerre cananéenne, et les tribus déjà établies devaient aider celles dont les possessions n’étaient pas encore conquises. Pour les entreprises d’une moindre importance, on levait un certain contingent de chaque tribu, mais la loi ne nous dit pas quelle était la règle qu’on suivait dans ce cas ; probablement on tirait au sort. Du temps de Moïse et jusqu’à l’époque de David et de Salomon, l’armée n’était encore qu’imparfaitement organisée et ne se composait que de fantassins. Elle était divisée en bandes de mille et de cent hommes, dont chacune avait son chef. Les hommes d’une même tribu marchaient ensemble sous le même drapeau. Le commandement suprême appartenait au chef de la république, qui formait avec les douze chefs de tribus le conseil de guerre. Dans des affaires moins graves le commandement pouvait être confié à une autre personne ; ainsi par exemple, Moïse, dans la guerre contre les Madianites, donne le commandement au prêtre Pinehas. L’ouverture de la guerre s’annonçait au son des trompettes. Avant l’entrée en campagne un prêtre devait prononcer un discours pour encourager les troupes et pour leur promettre le secours de la divinité. Quelques dispositions que donne le Deutéronome sur la police des troupes montrent que la propreté et les bonnes mœurs devaient régner dans le camp des Hébreux. Quant au butin de guerre, s’il en faut juger par ce que Moïse ordonna dans la guerre des Madianites, on le divisait en deux portions ; une moitié appartenait aux troupes, en déduisant 1 pour 500 pour les prêtres ; l’autre moitié appartenait à la nation, qui en donnait la cinquantième partie aux lévites. Cependant le butin des villes frappées d’anathème et notamment des villes cananéennes était voué à la destruction ; le métal seul était employé au profit du temple.

 

LES ARMÉES ASSYRIENNES. — Les guerriers assyriens se servaient de boucliers ronds, et généralement formés de cercles concentriques, qui apparaissent quelquefois à l’œil. A l’extérieur, les boucliers étaient revêtus d’une lame unique, ou plus probablement d’une peau. Le vêtement habituel aux soldats était une tunique à poils longs, qui paraît avoir été faite avec des peaux de chèvre. Par-dessus cette tunique, on voit une espèce de cuirasse qui semble formée de cordelettes nattées. Le casque est une sorte de calotte souvent munie d’une corne. L’épée, l’arc, la masse d’armes, la lance ou le javelot formaient les armes offensives. L’épée était courte, large, aiguë et à deux tranchants. Elle se portait sur le flanc gauche, mais elle était maintenue presque horizontalement par la large courroie dans laquelle elle était passée. Le manche n’a pas de garde, et le fourreau est souvent orné, à son extrémité inférieure, de petits lions couchés dans le sens de l’épée et d’une saillie assez prononcée. Cette épée, à en juger par les monuments, n’était pas d’un usage très fréquent, car on la voit toujours au fourreau, même pendant la bataille.

La lance était à peu près de la longueur d’un homme, elle était pourvue d’un manche lisse et servait à la fois comme arme d’haste et comme arme de jet. La masse d’armes ne diffère pas beaucoup d’un sceptre : elle avait à l’extrémité du manche une courroie formant anneau,.dans laquelle on engageait la main pour manier l’arme avec plus de sûreté. Mais de toutes les armes assyriennes, celle que l’on voit employée le plus communément est l’arc : il était d’une grandeur moyenne et, en dehors du champ de bataillé, il était passé sur l’épaule et y demeurait appendu. Le carquois était maintenu au moyen d’une cordelette ou d’une tresse.

Tous ces caractères sont bien déterminés sur la figure 321, où l’on voit, en même temps que l’équipement des soldats assyriens, leur disposition au moment du combat. Les premiers sont armés d’une lance et parent avec leurs boucliers ronds les flèches que leur a décochées l’ennemi. Ils mettent un genou en terre, ce qui permet aux archers placés derrière eux d’envoyer leurs flèches par-dessus leurs têtes.

Les soldats se ralliaient au son de la trompette. La figure 322, tirée d’un bas-relief du Musée britannique, montre un archer assyrien portant le carquois sur l’épaule et sonnant de la trompette.

Les chars étaient fort en usage, et ils se rapprochent beaucoup pour la forme de ceux dont se servaient les Grecs dans l’âge héroïque. Les Assyriens avaient aussi des machines pour les sièges : la plus fréquemment représentée est un chariot formé de claies et contenant des soldats que l’on poussait vers les murailles de la place assiégée. Une grosse pique sort par une fente pratiquée sur le devant du chariot et servait sans doute à enfoncer les portes. Souvent aussi, pour attaquer une place, on se servait de moyens incendiaires : les soldats plaçaient pour cela des matières inflammables au bout de leurs lances. Les monuments en représentent qui essayent de brûler une porte au moyen de ce procédé.

La figure 323 montre des guerriers assyriens combattant l’ennemi. Nous avons déjà vu des scènes de ce genre dans le premier volume de cet ouvrage et le lecteur peut se reporter aux figures 135 et 136.

Au reste la mise en scène des bas-reliefs assyriens est empreinte d’une influence égyptienne très prononcée. Il y a pourtant certaines différences qu’il est utile de signaler, parce qu’elles se rattachent au prestige attaché à la personne royale. Ainsi les monuments égyptiens montrent toujours le Pharaon d’une taille démesurément grande : les ennemis qu’il combat semblent des pygmées à côté de lui, et la disproportion est si grande que la lutte même semble impossible. C’est lui tout seul qui remporte la victoire, sans aucune aide, car les soldats qui viennent après lui sont aussi petits que les ennemis qu’il a terrassés. Pour mieux accentuer leur idée, les artistes égyptiens ont soin que le roi soit absolument seul sur son char de bataille, se souciant fort peu du cocher, qui est cependant nécessaire pour guider les chevaux pendant que le monarque ajuste ses flèches invincibles.

La figure 324 va nous donner une idée complète de la manière dont le roi se comporte en Asie. L’oiseau sacré plane sur la tête du monarque, qui ajuste ses flèches, tandis que le cocher placé à ses côtés tient les rênes des chevaux ; et ce cocher est de même taille que le roi. D’autres chars et d’autres combattants sont autour de lui, frappant des coups analogues, et l’oiseau emblématique fait seul reconnaître le roi sur la tête duquel il plane. Des morts dont la tête est coupée apparaissent çà et là sur le champ du bas-relief. Un fait qu’il est bon de noter dans cette représentation c’est que le roi combat nu-tête et qu’il n’est pas coiffé de la mitre conique.

Les bas-reliefs assyriens représentant des citadelles nous montrent des créneaux et des tours. Dans celles de la figure 325 des espèces de cornes, dont il est très difficile d’expliquer l’emploi, couronnent la forteresse. Nous ne connaissons pas de description écrite d’une citadelle assyrienne. Mais si les écrivains nous font défaut, les monuments abondent, au moins pour ce qui concerne Ninive. Il faut, bien entendu, faire abstraction de la disproportion des personnages et de l’absence de perspective qui frappe tout d’abord dans la figure 326, mais on y voit très bien le système de tours qui était alors admis dans toutes les constructions militaires.

Si imparfaite que soit cette représentation au point de vue plastique, il est aisé, en la comparant à la précédente, de se figurer à peu près quel aspect pouvait présenter une citadelle en Assyrie. On remarquera que les assaillants, contrairement à l’usage des sculpteurs assyriens, sont de taille très inégale, et il yen a deux qui sont de stature gigantesque. Nous avons déjà vu dans les monuments égyptiens que les Pharaons se distinguent des autres personnages par l’énormité de leur stature. Il est probable que les deux héros qu’on voit ici sont des rois ou tout au moins des personnages puissants, dont le sculpteur a voulu exprimer l’importance en employant le procédé habituel aux artistes égyptiens.

On voit aussi dans cette figure l’emploi de machines de guerre qui vont frapper la muraille. Mais cette machine est beaucoup plus nettement déterminée sur la figure 327. C’est un char à six roues, portant en avant une grosse poutre probablement garnie de métal, qui vient se heurter contre la tour dont elle produit l’écroulement.

Il faut distinguer les enceintes fortifiées et les citadelles. Pour ce qui est des enceintes fortifiées, voici la description qu’Hérodote nous a laissée des murailles de Babylone. La ville de Babylone est située dans une vaste plaine ; elle forme un carré parfait dont chaque côté est de cent vingt stades ; l’enceinte totale est par conséquent de quatre cent quatre-vingts stades. Telle est la grandeur de Babylone, bâtie d’ailleurs avec une magnificence qui l’emporte beaucoup sur toutes les autres villes que nous connaissons. Elle est entourée d’abord d’un fossé profond, très large et rempli d’eau, ensuite d’un mur dont l’épaisseur est de cinquante coudées royales et la hauteur de deux cents. La coudée royale est de trois doigts plus longue que la coudée ordinaire. Il faut dire ici comment fut employée la terre retirée du fossé et de quelle manière on construisit le mur. A mesure que l’on creusait le fossé, la terre qui en sortait était immédiatement façonnée en briques ; et lorsqu’on en avait disposé un nombre convenable, on les faisait cuire au four. On bâtissait ensuite avec ces briques enduites d’une couche d’asphalte chaud, au lieu de simple chaux délayée, en les disposant par assises, et entre chaque troisième assise, on introduisait un lit de tiges de roseaux. On construisit par ce procédé, d’abord les parois du fossé, et ensuite le mur, en continuant d’employer le même genre de construction. Élevés au sommet du mur et sur ses bords, deux rangs de tourelles à un seul étage, contiguës et tournées l’une vers l’autre, laissaient entre elles l’espace nécessaire pour le passage d’un char attelé de quatre chevaux. Dans le pourtour de la muraille on comptait cent portes, toutes en airain, avec les jambages et les linteaux de même métal. L’asphalte qui servit à la construction de ces murailles était tiré de la ville d’Is, située à huit journées de marche de Babylone, sur une rivière du même nom. Cette rivière, peu considérable, qui se jette dans l’Euphrate, roule avec ses eaux une quantité de morceaux d’asphalte. C’est ainsi que Babylone fut entourée de murs.

La férocité est le trait dominant des Assyriens et il n’y a pas de pays où dans aucun temps la guerre ait eu des conséquences aussi terribles. C’est en vain que les ennemis vaincus implorent le roi victorieux, surtout quand ce sont des rebelles. Quelques inscriptions, dont nous empruntons la traduction à M. Maspero, vont nous montrer les suites inévitables de toute guerre en Assyrie. J’en tuai, dit un roi d’Assyrie, un sur deux... Je construisis un mur devant les grandes portes de la ville ; je fis écorcher les chefs de la révolte, et je recouvris ce mur avec leur peau. Je fis assembler leurs têtes en forme de couronnes et leurs cadavres transpercés en forme de guirlandes.

Les grands taureaux de pierre que nous voyons dans les musées ont assisté à de sanglantes boucheries, car c’est en face de ces témoins muets qu’on égorgeait les victimes. C’est ce que nous apprend le petit-fils de Sennachérib : Ces hommes, dont la bouche avait tramé des complots perfides contre moi et contre Assour, mon seigneur, j’ai arraché leur langue et j’ai accompli leur perte. Le reste du peuple fut exposé vivant devant les grands taureaux de pierre que Sennachérib, le père de mon père, avait élevés, et moi, je les ai jetés dans le fossé, j’ai coupé leurs membres, je les ai fait manger par des chiens, des bêtes fauves, des oiseaux de proie, les animaux du ciel et des eaux. En accomplissant ces choses, j’ai réjoui le cœur des grands dieux, messeigneurs.

L’usage des mains coupées aux prisonniers, que nous avons déjà constaté en Égypte, se retrouve naturellement chez les Assyriens. Sur la terre mouillée, dit un roi d’Assyrie, les harnais, les armes prises dans mes attaques, nageaient tous clans le sang des ennemis comme dans un fleuve ; car les chars de bataille qui enlèvent hommes et bêtes avaient dans leurs courses écrasé les corps sanglants et les membres. J’entassai les cadavres de leurs soldats comme des trophées, et je leur coupai les extrémités. Je mutilai ceux que je pris vivants, comme des brins de paille, et, pour punition, je leur coupai les mains.

Le transportement d’une population en masse était l’issue inévitable d’une guerre. J’emmenai captifs les hommes de Bet-Vakin, dit un roi d’Assyrie, et leurs dieux, et les serviteurs du roi d’Élam. Je n’y laissai pas le moindre reste debout, et je les embarquai dans des vaisseaux, et les menai sur les bords opposés ; je fis diriger leurs pas vers l’Assyrie, je détruisis, les villes de ces districts, je les démolis, je les réduisis en cendres, je les changeai en déserts et en monceaux de ruines.

Pour comprendre ces grandes émigrations, ces peuples entiers emmenés en captivité et transportés en masse dans des contrées lointaines, il fait se rappeler les scènes de désolation rapportées dans la Bible, ou bien encore les paroles concises des scribes assyriens que nous révèlent les inscriptions. Aidé par le feu, le massacre, les combats et les tours de siège, j’occupai les villes ; j’en fis sortir 200.000 personnes, grandes et petites, mâles et femelles, des chevaux, des ânes, des mulets, des chameaux, des bœufs, des moutons sans nombre, et je les pris comme capture. C’est une scène de ce genre qui est représentée sur la figure d’après un bas-relief assyrien.

 

LES MÈDES ET LES PERSES. — Un discours que Xénophon place dans la bouche de Cyrus montre comment ce prince entendait les approvisionnements d’une armée en marche, et prouve en même temps qu’il y avait chez les Perses un corps spécial chargé à peu près des mêmes offices que le génie dans nos armées modernes. Ce discours fournit en outre plusieurs renseignements précieux sur l’organisation des armées dans l’ancien Orient. Depuis longtemps, braves alliés, dit Cyrus, nos âmes, nos corps, nos armes, sont, grâce aux dieux, dans le meilleur état ; ne songeons maintenant qu’à nous pourvoir de vivres à peu près pour vingt jours, tant pour nous que pour les bêtes de charge qui nous suivront ; car, à mon compte, nous mettrons plus de quinze journées à traverser un pays où nous ne trouverons point de subsistances, parce que nous en avons enlevé, nous, une partie et les ennemis autant qu’il leur a été possible. Alunissons-nous donc de provisions de bouche : elles sont nécessaires pour combattre et pour vivre. A l’égard du vin, que chacun n’en prenne qu’autant qu’il lui en faut pour s’accoutumer à ne boire que de l’eau pendant nos repas : ce changement nous sera peu sensible ; car ceux d’entre nous qui vivent de farine la délayent dans l’eau, pour en faire une pâte ; le pain dont les autres se nourrissent est de même pétri avec de l’eau : c’est avec l’eau qu’on fait cuire tout ce qu’on mange. Pourvu que nous buvions un peu de vin à la fin, du repas, nous ne nous trouverons pas mal de ce régime. On retranchera ensuite une portion de ce vin, jusqu’à ce que nous ayons l’habitude de ne boire que de l’eau. Tout changement qui s’opère peu à peu devient supportable pour tous les tempéraments.

Emportez, au lieu de lits, un poids égal en choses nécessaires à la vie ; il n’y a jamais de superflu en ce genre. Ne craignez pas de dormir moins tranquillement parce que vous n’aurez ni lits ni couvertures ; si cela vous arrive, c’est à moi que vous vous en prendrez ; en santé comme en maladie, il suffit d’être bien vêtu. Il faut s’approvisionner de viandes salées et de haut goût ; ce sont celles qui excitent l’appétit et se conservent longtemps. Lorsque nous arriverons dans des lieux non pillés, d’où nous pourrons tirer du blé, il faudra nous pourvoir de moulins à bras pour le broyer : de tous les instruments à faire du pain c’est le moins pesant.

N’oublions pas non plus les médicaments pour les maladies ; ils ne chargent pas beaucoup, et dans l’occasion ils serviront infiniment. Munissons-nous aussi de courroies pour attacher une infinité de choses que portent les hommes et les chevaux : qu’elles se rompent ou s’usent sans qu’on puisse les remplacer, on reste les bras croisés. Ceux qui ont appris à faire des javelots feront bien d’emporter leur doloire ; il est bon aussi de se munir d’une lime ; en aiguisant sa pique, on aiguise son courage ; on rougirait d’être lâche lorsqu’on a des armes affilées. Il faut encore avoir beaucoup de bois de charronnage, pour raccommoder les chars et les chariots. Aux matériaux on joindra les outils indispensables ; car on n’a pas des ouvriers partout : et cependant il en faut beaucoup pour le travail de chaque jour. On mettra sur chaque chariot une faucille et un hoyau ; sur chaque bête de charge, une hache et une faux ; ces instruments sont toujours utiles aux particuliers, et souvent à l’armée entière.

Vous, commandants des hoplites, informez-vous si vos soldats ont une provision suffisante de vivres ; ne négligeons rien de ce qui leur est nécessaire ; ce serait nous négliger nous-mêmes. Vous, chefs des bagages, examinez si l’on a chargé sur les bêtes de somme tout ce que j’ai ordonné ; et contraignez ceux qui n’ont point obéi. Vous, intendants des pionniers, vous avez la liste des acontistes, des archers, des frondeurs, que j’ai réformés : à ceux qui servent dans les acontistes, donnez une hache propre à couper du bois, aux archers un hoyau, aux frondeurs une serpe ; faites-les marcher, avec ces instruments, par petites troupes, à la tête des équipages, afin qu’au besoin vous aplanissiez les chemins difficiles, et que je sache où vous prendre lorsque vous me serez nécessaires.

J’emmènerai des armuriers, des charrons, des cordonniers, tous de l’âge où l’on porte des armes et munis de leurs outils ; ainsi l’armée ne manquera d’aucune des choses qui dépendent de leur métier. Ils feront un corps séparé des soldats, et auront un lieu fixe où ils travailleront pour qui voudra les employer en payant. Si quelque marchand ‘veut faire le commerce à la suite de l’armée, qu’il garde ses provisions durant le nombre de jours que je viens de fixer ; s’il vend avant l’expiration de ce terme, ses marchandises seront saisies ; mais il pourra, le terme passé, les débiter comme il le jugera à propos. Au reste, les marchands les mieux approvisionnés seront honorés et récompensés des alliés et dé moi. Si quelqu’un d’entre eux n’a pas de fonds suffisants pour faire ses achats, qu’il amène avec lui. des gens qui le connaissent et me garantissent qu’il nous suivra, je l’aiderai de ce que je possède. Voilà ce que, j’avais à dire : que ceux qui trouvent que je n’ai pas tout prévu m’avertissent. Allez rassembler les bagages ; pour moi, je vais offrir un sacrifice pour mon départ : dès que j’aurai rempli ce devoir religieux, je donnerai le signal. Que les soldats pourvus de tout ce que j’ai ordonné se rendent auprès de leurs officiers dans le lieu indiqué, et vous, commandants, lorsque vos rangs seront formés, venez me trouver, pour apprendre quels postes vous occuperez.

Les Perses, de même que les Assyriens, et tous les peuples orientaux, se servaient de chars de guerre, mais dont la forme était différente de celle des chars assyriens. Xénophon attribue cette transformation à Cyrus : Il se procura, dit-il, des chariots, tant parmi ceux pris sur l’ennemi que par d’autres voies ; mais il abolit l’usage des chars tels qu’étaient jadis ceux des Troyens, et tels que sont encore ceux des Cyrénéens. Jusque-là les Mèdes, les Syriens, les Arabes et tous les peuples asiatiques n’en avaient point d’autres. Comme ils étaient montés par les plus braves, Cyrus avait remarqué que des gens qui étaient l’élite de l’armée ne servaient qu’à escarmoucher, et contribuaient peu au gain de la bataille : d’ailleurs trois cents chars pour trois cents combattants exigeaient douze cents chevaux et trois cents cochers, choisis entre ceux qui méritaient le plus de confiance ; encore ces trois cents hommes ne causaient aucun dommage à l’ennemi. Cyrus, en abolissant l’usage de ces chars, en fit construire d’une forme nouvelle plus convenable pour la guerre. Les roues en étaient fortes, par là moins sujettes à se briser ; l’essieu Ion-, car ce qui a de l’étendue est moins sujet à renverser : le siége, d’un bois épais, s’élevait en forme de tour, mais ne couvrait le cocher que jusqu’à la hauteur du coude, afin qu’il eût la facilité de conduire ses chevaux ; chaque cocher, armé de toutes pièces, n’avait que les yeux découverts ; aux deux bouts de l’essieu étaient placées deux faux de fer, longues d’environ deux coudées, et deux autres par-dessous dont la pointe tournée contre terre devait percer à travers les bataillons ennemis. Cette nouvelle construction, dont Cyrus fut l’inventeur, est encore en usage dans les pays soumis au roi de Perse.

Nous avons parlé ailleurs de la maison royale de Perse, des doryphores qui étaient les gardes du palais et des dix mille immortels qui formaient l’élite de l’armée (tome I). Mais Hérodote nous a laissé une description détaillée des soldats de toutes sortes et de toutes nations qui vinrent envahir la Grèce à la suite du roi Xerxès : Le total de l’armée de terre, dit Hérodote, monta à dix-sept cent mille hommes ; on le supputa comme il suit : on rassembla sur un point dix mille hommes, en les serrant le plus que l’on put ; autour d’eux, on traça un cercle ; ce cercle tracé, les dix mille hommes en sortirent, et sur ce cercle même on bâtit un mur à hauteur d’appui. Lorsqu’on l’eut terminé, on fit entrer dans l’enceinte une autre troupe, et l’on continua jusqu à ce que, de cette manière, tous les hommes fussent comptés ; leur dénombrement fini, on les organisa par nations.

Voici ceux qui firent partie de cette expédition. Les Perses étaient ainsi équipés : ils portaient autour de leurs têtes des tiares, comme ils les appellent, feutres sans apprêt ; sur le corps des cuirasses à manches, composées de plusieurs pièces de fer, semblables par leur aspect à des écailles ; autour des jambes des hauts-de-chausses ; enfin au lieu de boucliers, des écus d’osier, au-dessous desquels étaient suspendus leurs carquois. Ils avaient de courts javelots, de grands arcs, des flèches de roseau, des glaives attachés à la ceinture, s’appuyant sur la cuisse droite. Otanès, père d’Amestris, femme de Xerxès, les commandait ; les Grecs autrefois leur donnaient le nom de Céphènes, eux-mêmes se nommaient Artéens et leurs voisins les appelaient ainsi. Lorsque Persée, fils de Jupiter et de Danaé, arriva chez Céphée, fils de Bélus, il épousa sa fille Andromède et il en eut un fils auquel il donna le nom de Perse et qu’il laissa dans ce pays, car il se trouva que Céphée n’avait point d’enfant mâle ; c’est de ce Perse que le peuple a pris le nom qu’il a porté depuis.

Les Mèdes avaient le même équipement. car c’est là l’équipement des Mèdes, et non celui des Perses. Leur chef était Tigrane, de la famille des Achéménides. Tout le monde jadis les appelait Ariens ; mais Médée étant venue d’Athènes en leur contrée, ils changèrent eux-mêmes leur nom : c’est du moins ce que les Mèdes rapportent. Les Cissiens étaient équipés autrement que les Perses ; au lieu de feutres, ils portaient des mitres. Leur chef était Anaphe, fils d’Otanès. Les Hyrcaniens, armés comme les Perses, étaient commandés par Mégapane, qui, après ces événements, fut gouverneur de Babylone.

Les Assyriens portaient des casques d’airain entrelacés d’une façon barbare et qu’il est impossible de décrire ; leurs boucliers, leurs javelines, leurs glaives étaient assez semblables à ceux des Égyptiens ; ils avaient en outre des massues de bois garnies de fer et des cuirasses de lin. Les Grecs les nommaient Syriens, et les barbares Assyriens ; dans leurs rangs marchaient les Chaldéens ; ils avaient pour chef Otaspe, fils d’Artachée.

Les Bactriens étaient ceux dont la coiffure se rapprochait le plus de celle des Mèdes ; ils avaient des arcs faits de roseaux de leur pays et de courtes javelines. Les Saces, de race scythique, portaient sur leurs têtes des tiares raides et droites terminées en pointes ; ils avaient des hauts-de-chausses, des arcs indigènes, des glaives, et en outre des haches que l’on appelle sagaris. Ce sont des Scythes-Armyrgiens et on les appelait Saces, car les Perses donnent le nom de Saces à tous les scythes. Hystaspe, fils de Darius et d’Atossa, fille de Cyrus, était à la tète des Bactriens et des Saces.

Les Indiens portaient des vêtements de coton ; ils avaient des arcs de bambou et des flèches de roseau, avec des pointes de fer. Pharnazathre, fils d’Artabathe, les commandait.

Les Ariens étaient armés d’arcs médiques, et du reste, comme les Bactriens. Leur chef était Sisamne, fils d’Hydarne. Les Parthes, les Corasmiens, les Sogdes, les Gandoriens et les Dadices, avaient le même équipement que les Bactriens. Ils étaient commandés, les Parthes et les Corasmiens, par Artabaze, fils de Pharnace ; les Sogdes, par Azane, fils d’Actée ; les Gandoriens et les Dadices, par un fils d’Artabane, nommé Artyphie.

Les Caspiens marchaient vêtus de poil de chèvre, armés d’arcs de roseaux de leur pays, et de cimeterres ; tel était leur équipement. Ariomarde, frère d’Artyphie, les commandait. Les Saranges se faisaient remarquer à cause de la teinture de leurs vêtements ; ils portaient des brodequins montant jusqu’au genou ; leurs arcs et leurs javelines étaient médiques. Phérendate, fils de Mégabaze, les commandait. Les Partyices, vêtus de même, portaient des arcs indigènes et des glaives ; leur chef était Artynte, fils d’Itamatre.

Les Uties, les Myces, les Paricaniens, étaient équipés comme les Pactyices et commandés, les Uties, les Myces, par Artamène, fils de Darius, les Paricaniens, par Siromitre, fils d’Œobaze.

Les Arabes portaient des manteaux assujettis par des ceintures, et à leur droite de longs arcs recourbés. Les Éthiopiens, revêtus de peaux de panthères et de lions, avaient des arcs faits avec des rameaux de palmier, longs de quatre coudées, sur lesquels ils posaient de courtes flèches de roseau dont la pointe, au lieu de fer, était un caillou aiguisé. Ils avaient en outre des javelines, armées de cornes de gazelles aiguisées, et des massues garnies. Ils marchaient au combat le corps frotté moitié de plâtre, moitié de vermillon. Arsame, fils de Darius et d’Artystone, fille de Cyrus, commandait les Arabes et les Éthiopiens qui demeurent au-dessus de l’Égypte. Les Éthiopiens de l’Orient (car les uns et les autres faisaient partie de l’armée) étaient incorporés avec les indiens ; ils ne diffèrent en rien des autres par l’apparence et les habitudes, seulement ils n’ont ni le même langage ni la même chevelure ; car les Éthiopiens du levant ont les cheveux droits, et ceux de la Libye sont les plus crépus de tous les mortels. Les Éthiopiens d’Asie étaient donc, pour la plupart, équipés comme les Indiens, mais ils se coiffaient de peaux de fronts de chevaux, écorchés avec oreilles et crinières ; ces crinières pendantes leur tenaient lieu d’aigrettes, et les oreilles des chevaux étaient dressées au-dessus ; ils étendaient devant eux des peaux de grues en guise de boucliers.

Les Libyens marchaient vêtus de cuir, armés de javelots durcis au feu ; leur chef était Massage, fils d’Oaris.

Les Paphlagoniens portaient des casques de mailles, de petits boucliers, de longues lances, et en outre des épieux et des glaives ; ils étaient chaussés de brodequins montant jusqu’à mi-jambe. Les Ligyes, les Matianes, les Mariandyniens, les Syriens, étaient équipés comme les Paphlagoniens. Les Syriens sont ceux que IesPerses appellent Capdociens. Les Paphlagoniens et les Matianes avaient pour chef Dotus, fils de Mégasidre ; Gobryas, fils de Darius et d’Artystone, commandait les Mariandyniens, les Ligyes et les Syriens.

Les Phrygiens avaient à peu près le même équipement que les Paphlagoniens ; la différence était légère. Les Macédoniens rapportent qu’on les appela Briges, aussi longtemps qu’ils furent Européens, et habitèrent avec eux la Macédoine. Ils émigrèrent en Asie, et, changeant de contrée, ils changèrent leur nom en celui de Phrygiens. Les Arméniens, colons de ces derniers, étaient équipés comme eux. Artochme, gendre de Darius, commandait les uns et les autres.

L’armement des Lydiens était celui qui se rapprochait le plus de l’armement des Grecs ; les Lydiens autrefois s’appelaient Méoniens ; ils changèrent de nom et prirent celui de Lydus, fils d’Atys. Les Mysiens portaient des casques d’une espèce particulière et de petits boucliers ; ils se servaient d’épieux durcis au feu ; ce sont des colons de la Lydie.

Les Thraces étaient coiffés de peaux de renard ; ils portaient des tuniques et, par-dessus, des manteaux bariolés ; autour des pieds et des jambes, ils avaient des brodequins de peau de cerf ; ils se servaient de javelines, de petits boucliers et d’épées courtes.

Les Chalybiens avaient de petits boucliers de peaux de bœuf non préparées ; chacun d’eux tenait à la main deux dards de fabrique lycienne. Ils étaient coiffés de casques d’airain, sur le devant desquels s’élevaient des cornes, et des oreilles de bœuf en airain, surmontées d’une aigrette. Leur chaussure était un rouleau d’étoffe teinte en pourpre.

Les Milyens portaient de courtes javelines et des vêtements agrafés. Quelques-uns des leurs avaient l’arc lycien et sur leurs têtes des casques de cuir. Les Moschiens portaient des casques de bois, de petits boucliers, de courtes javelines à longue pointe. Les Tibarènes, les Macrons, les Mosynèces, étaient équipés de même que les Moschiens.

Les Mares portaient des casques entrelacés à la manière de leur pays ; de petits boucliers de cuir et des épieux. Les Colchiens, des casques de bois, de petits boucliers de peaux lion préparées, et de courtes javelines ; ils avaient en outre des glaives.

Les nations insulaires qui étaient venues de la mer Rouge et des îles où le roi envoie les bannis, avaient des vêtements et des armes, à peu près comme les Mèdes. Ils étaient commandés par Mardonte, fils de Bagée, qui, dans la seconde année, périt à la bataille de Mycale, où il était l’un des généraux.

Les monuments graphiques font malheureusement défaut pour appuyer ce récit d’Hérodote. Cependant la figure 329, tirée de la grande mosaïque de Pompéi, montre un guerrier persan que le roi de Macédoine vient de transpercer avec sa lance, et qui a son cheval tué sous lui. Son costume est très riche : on y retrouve la mentonnière que nous avons déjà signalée tome II (fig. 303 et 304). Son bonnet est jaune et son manteau rouge ; le vêtement de dessous est brodé de différentes couleurs. Le pantalon collant est enrichi de galons d’or, et couvert de griffons blancs aux ailes d’or. Les chaussures sont blanches avec des cordons rouges. Ce guerrier est en train de saisir la lance qui vient de le frapper et qu’il cherche à arracher ; son épée, qui est restée dans le fourreau, a une poignée d’ivoire en forme d’oiseau et elle est soutenue par un baudrier rouge et vert. Son cheval noir est couvert d’une housse rouge avec des têtes de griffons aux angles et des ornements blancs.

L’écuyer du roi a comme les autres la tête enveloppée de jaune, et porte un manteau rouge bordé de blanc. Sa lèvre est ombragée d’une petite moustache, mais la barbe est complètement rasée, disposition qui paraît contraire à tous les usages de l’Orient, mais qui n’est pas isolée ici, car on la retrouve encore mieux caractérisée sur la figure 330, qui représente un officier de la maison du roi. Celui-ci porte, comme le souverain, le collier à serpents, dont les deux têtes se rejoignent sur sa poitrine. Son bonnet est jaune avec bandeau vert, et sa tunique rougeâtre avec des dessins blancs.

Les figures 331 et 332 représentent également des gens de la suite du roi, toujours caractérisés par le menton enveloppé.

Les Grecs d’Asie au service du roi de Perse conservaient leur costume national,-suivant un usage qu’on retrouve chez tous les peuples de l’antiquité qui ont employé des soldats auxiliaires. Un bas-relief découvert en Asie Mineure nous montre un guerrier qui porte le casque et l’équipement des soldats grecs ; mais sa lance est à deux pointes, et, au lieu de l’épée droite, il tient un petit sabre dont la courbure très prononcée rappelle les armes employées en Orient (fig. 333).

Nous avons peu de renseignements sur les forteresses des Perses. On sait pourtant que les angles des murailles étaient toujours garnies de tours. La figure 334 montre des restes de fortifications ; il paraît résulter de ce document que les créneaux employés en Asie Mineure n’avaient pas la même forme que ceux des Assyriens.