LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME IV — LES INSTITUTIONS DE L’ANTIQUITÉ

INSTITUTIONS CIVILES. — I. - LE GOUVERNEMENT

 

 

LA  MONARCHIE EN ÉGYPTE. - LA MONARCHIE EN ASIE. - LES ROIS GRECS. - LE GOUVERNEMENT D’ATHÈNES. - LE GOUVERNEMENT DE SPARTE. - LE GOUVERNEMENT À ROME.

 

LA MONARCHIE EN ÉGYPTE. — Pendant l’énorme durée de la période des Pharaons, la forme du gouvernement égyptien a toujours été une monarchie absolue. Placé au sommet de la hiérarchie sociale, le Pharaon, homme et dieu tout à la fois, exerce un pouvoir sans contrôle dont rien ne balance l’autorité souveraine. Des révolutions intérieures ou des guerres extérieures ont plusieurs fois changé la personne du monarque et substitué une dynastie à une autre, mais ces compétitions diverses ne paraissent pas avoir transformé la forme du gouvernement et modifié la manière dont s’exerçait l’autorité souveraine. Chef du sacerdoce, en même temps que chef de l’armée et chef du peuple, le Pharaon offre aux dieux nationaux des sacrifices pour la prospérité de l’Égypte, et comme il est lui-même un de ces dieux, il en offre quelquefois à sa propre image et à son propre nom.

Une hiérarchie savamment constituée, avant pour auxiliaire une bureaucratie nombreuse, venait en aide au monarque pour les actes administratifs. Le territoire de l’Égypte, dit M. Lenormant dans son Manuel d’histoire ancienne, était divisé, sous le rapport de l’administration, en un certain nombre de districts auxquels les Grecs donnèrent le nom de nomes. Le chef-lieu du nome était le sanctuaire de telle ou telle divinité et chaque temple principal formait, avec le territoire qui en dépendait, un nome particulier qui se distinguait des autres par son culte et par ses cérémonies. C’est ce que dit Hérodote et ce que confirment les monuments. Le nombre des nomes ou préfectures était sous la domination grecque des Ptolémées de trente-six, dix dans la haute Égypte, seize dans l’Égypte moyenne et dix dans la basse Égypte. Au temps des Pharaons, on ne distinguait que deux régions, la supérieure et l’inférieure et chacune comprenait vingt-deux nomes, en tout par conséquent quarante-quatre. Un gouverneur, auquel se rattachait toute une administration, s’occupait de la direction de chaque nome et avait sous ses ordres des sous-gouverneurs dont chacun résidait dans un district particulier.

La division du peuple en classes parait avoir existé de tout temps en Égypte, mais les historiens grecs ont beaucoup exagéré l’importance et surtout les délimitations de ces classes, qui ne peuvent en aucune façon être assimilées aux castes de l’Inde. Non seulement un Égyptien pouvait passer d’une classe dans une autre, mais encore on voit des personnages appartenir à la fois au sacerdoce et la classe des guerriers. Le plus souvent les fils héritaient de la fonction de leur père, ou exerçaient la même profession ; mais cet usage n’était aucunement une règle absolue, et on voit fréquemment les personnages d’une même famille appartenir à une classe différente.

La classe sacerdotale jouissait de très grands privilèges ; non seulement les prêtres remplissaient les plus hautes fonctions, mais encore les meilleures terres appartenaient aux temples et elles étaient exemptes d’impôts. La classe des guerriers était aussi très richement dotée et le service militaire était considéré comme une distinction et un privilège. Ce fut quand les auxiliaires étrangers remplacèrent la milice nationale que la décadence arriva. En dehors de ces deux classes privilégiées, la population comprenait diverses corporations, comme les pasteurs, les marins du Nil, ou les gens de métiers. Mais les auteurs grecs ne sont pas d’accord sur le nombre de classes dont elle était composée et on manque de renseignements sur leur organisation particulière.

 

LA MONARCHIE EN ASIE. — La forme du gouvernement a varié chez les Hébreux. Les premiers législateurs comme Moïse avaient une autorité très grande, mais qui ne constituait pas à proprement parler une forme déterminée de gouvernement. La période très obscure des juges semble aussi indiquer des chefs dont l’autorité était à la fois religieuse et militaire. Mais, à partir des rois, on voit se dessiner très nettement deux partis ; l’un, qu’on pourrait appeler celui des politiques, auquel ont presque toujours appartenu les rois, s’efforçait de nouer des relations commerciales ou autres avec les nations voisines et sacrifiait assez volontiers le rigorisme des croyances religieuses au désir qu’ils avaient de développer l’activité de la nation par des alliances ou des rapports de bon voisinage. Au contraire, le sacerdoce et surtout les prophètes représentant le parti religieux et intolérant repoussaient comme dangereuse et immorale toute alliance avec des nations infidèles, et ne voulaient d’autre aide que celle de Dieu pour tirer la nation des situations dangereuses où elle s’est trouvée Si souvent. Toute l’histoire politique des Juifs repose sur la lutte permanente qui existait entre le pouvoir politique et le pouvoir religieux.

En Assyrie le pouvoir religieux et politique appartenait tout entier au roi, qui était un chef omnipotent, mais non un personnage divin, comme le Pharaon en Égypte. Le roi, si altier qu’il puisse être avec ses sujets, est toujours très humble lorsqu’il s’adresse à la divinité, à laquelle d’ailleurs il ne songe nullement à s’assimiler. La mitre conique et le parasol sont les insignes ordinaires du roi d’Assyrie, comme le montre la figure 65. Quand il est dans l’intérieur de son palais, le roi est toujours entouré de musiciens et d’eunuques (fig. 66).

Le personnage que montre la figure 67 est un des grands officiers de la couronne. Il est couvert d’une robe qui descend jusqu’aux pieds et se termine en bas par une frange de gros glands. Elle laisse complètement libre une partie de la poitrine ainsi que le bras, qui est seulement couvert de deux riches bracelets. L’autre main est posée sur le pommeau de l’épée, ce qui indique la fonction militaire du personnage. Le rôle des eunuques dans le palais s’explique de lui-même, mais on comprend plus difficilement l’importance qu’ils paraissent avoir eu dans la maison militaire du roi. Il paraît pourtant bien certain qu’ils occupaient une fonction déterminée parmi les guerriers qui accompagnaient le roi. Les bas-reliefs en font foi ; sur la figure 68 nous voyons un eunuque archer et sur la figure 69 un eunuque portant l’épée au côté.

Les vastes provinces qui composaient l’empire d’Assyrie n’étaient pas toutes administrées de la même manière. Les unes, qui formaient l’ancienne Assyrie, étaient gouvernées par des agents relevant directement de l’autorité royale ; les autres, c’est-à-dire les pays conquis, appartenaient généralement à des princes nationaux, tributaires du roi en temps de paix et obligés en temps de guerre de lui fournir des troupes, mais leurs fonctions étaient héréditaires. Ils faisaient moins l’office clé préfets que celui de grands vassaux. Les rébellions assez fréquentes que le roi d’Assyrie avait à réprimer étaient punies avec une extrême dureté ; mais quand un des princes rebelles avait péri dans les supplices, son fils lui succédait paisiblement et il était rare que le roi d’Assyrie songeât à modifier la forme du gouvernement ou les usages nationaux.

L’organisation de l’empire des Perses était à peu près la même que celle de l’Assyrie. Les satrapes ou gouverneurs de provinces étaient de deux sortes : les uns étaient les chargés d’affaires du roi, les autres, considérés comme vassaux, devaient seulement le tribut annuel au monarque et les soldats pendant la guerre. Quelques-uns de ces vassaux portaient le titre de rois et le souverain de l’empire était appelé grand roi, ou roi des rois. Plusieurs bas-reliefs de Persépolis représentent le grand roi. Son attitude est toujours la même ; il est assis sur son trône et porte dans la main droite un long sceptre et dans la gauche un bouquet de plantes symboliques. Quelquefois le personnage placé derrière lui est un eunuque ou une femme, élevant le chasse-mouche au-dessus de la tête du roi (tome II, fig. 613) ; quelquefois aussi c’est un des grands officiers de la couronne qui se tient debout derrière le fauteuil royal et porte en main la plante sacrée (fig. 70). Le trône du roi est assez élevé et ses jambes, disposées d’une manière hiératique, sont toujours placées sur un tabouret.

 

LES ROIS GRECS. — Il faut distinguer soigneusement les rois de l’âge héroïque, les tyrans ou rois de la période républicaine et les monarques souvent très puissants de l’époque macédonienne. Dans l’âge héroïque, les rois, que les poèmes homériques appellent pasteurs des peuples, n’ont pas un pouvoir bien nettement déterminé parce qu’il n’existe pas de loi écrite qui puisse en fixer la limite et les attributions. On les voit présider aux assemblées du peuple, commander les armées, offrir les sacrifices aux dieux, régler les cérémonies publiques. Ils portent le sceptre, qui dans l’antiquité est toujours l’attribut de la souveraine puissance, et que les femmes de haute condition ont en main, bien qu’elles n’exercent aucune autorité effective (fig. 71-72). Le roi marche toujours le premier à la guerre, et dans les banquets il a droit aux meilleurs morceaux. Son pouvoir incontesté est entouré de respects, comme celui des patriarches dans l’ancien Orient ; mais le roi est souvent l’ami et le compagnon des hommes qu’il commande, et on ne voit jamais en Grèce l’étiquette et la hiérarchie des monarchies orientales.

Dans la période suivante, le tyran prend un tout autre caractère. Celui-ci est presque toujours un chef populaire, un parvenu qui s’est rendu maître de la citadelle et qui de là peut imposer ses volontés à la cité. Au reste, le terme de tyran n’est pas toujours pris en mauvaise part clans l’antiquité, comme il l’est de nos jours ; il y a des bons et des mauvais tyrans. Un tyran n’est pas, pour les Grecs, un homme qui abuse de son autorité pour satisfaire ses vices aux dépens de la justice, c’est simplement un homme dont l’autorité n’est pas légitime ou consacrée par le temps et par les lois du pays. Il exerce le pouvoir parce que la faction dont il est le chef est devenue prépondérante, et s’il est renversé, ses partisans et ses amis partageront son exil et sa mauvaise fortune, comme ils en ont partagé la bonne. Tel a été, par exemple, le règne de Pisistrate à Athènes. Le pouvoir des tyrans étant toujours sorti de circonstances exceptionnelles est nécessairement regardé comme passager par tous ceux qui n’appartiennent pas à son parti. Et il est de fait que bien peu de tyrans ont pu établir leur dynastie d’une manière durable. L’époque des tyrans correspond, en effet, au moment où les cités viennent d’établir leur autonomie et sont toujours divisées par les intérêts contraires de la classe riche et de la classe populaire, c’est-à-dire la faction aristocratique et la faction démocratique.

La monarchie issue de la conquête macédonienne apparaît dans l’histoire comme un compromis et une sorte de fusion entre les mœurs de l’Orient et celles de l’Occident. Les Séleucides, les Ptolémées, les rois de Macédoine ou de Pergame ont un pouvoir qui n’est guère moins absolu que celui des anciens monarques de l’Asie, mais ils n’ont pas autour d’eux la même hiérarchie de satrapes et de grands personnages dévoués à la couronne et agissant en son nom. Les cités grecques soumises à leur domination conservent encore une partie de leur autonomie. Même sous la domination romaine, on les voit pourvues d’un sénat ou d’une assemblée délibérante, assez humble il est vrai dans ses rapports avec le souverain, mais encore entourée de respects et conservant, au moins dans la forme, une sorte d’autorité sur les citoyens dont elle émane. Ces citoyens sont des Grecs, qui tiennent en dehors d’eux les indigènes et les Asiatiques, et qui semblent installés en Orient comme dans un pays conquis. Mais les mœurs (les vaincus s’imposent peu à peu aux nouveaux maîtres du sol ; quand l’empire romain s’installe à Byzance, il prend complètement les allures orientales, et Constantinople finit par ne plus rien avoir des antiques mœurs de l’Occident.

 

LE GOUVERNEMENT D’ATHÈNES. — La population d’Athènes était formée de trois catégories distinctes et ne jouissant pas des mêmes droits : les citoyens, les étrangers domiciliés ou métèques et les esclaves. Les citoyens étaient seuls appelés au service militaire et pouvaient seuls remplir des fonctions publiques et participer à la confection des lois de l’État. Les étrangers résidant avec leurs familles, c’est-à-dire les métèques, étaient autorisés, moyennant une redevance, à exercer leur industrie dans la ville, mais sans pouvoir prétendre à aucune influence politique. On considérait leur présence comme une grande source de richesse publique, en sorte qu’ils n’étaient nullement molestés ; ils relevaient d’ailleurs d’un tribunal spécial et ne pouvaient en aucune façon être assimilés aux citoyens.

Les esclaves étaient infiniment plus nombreux que les citoyens et les métèques réunis. Il y en avait de deux sortes : les uns, d’origine grecque, avaient été réduits à cette condition par la misère ; le sort des armes ou toute autre circonstance, et pouvaient changer de maîtres ou se racheter dès qu’ils en avaient les moyens. Les autres, enlevés à quelque contrée barbare, comme la Thrace, la Phrygie, la Carie, appartenaient à un maître en toute propriété. Les Athéniens esclaves étaient traités avec beaucoup plus de douceur que ceux des autres villes de l’antiquité. A Athènes, dit Xénophon, les esclaves et les étrangers domiciliés vivent dans une licence incroyable, il n’est point permis de les frapper, un esclave vous disputera le pas. Voici la raison de cet usage : Si la coutume autorisait un homme libre à frapper un esclave, un étranger ou un affranchi, le, citoyen, pris bien souvent pour un esclave, serait victime de la méprise. En effet, il n’y a rien, soit dans le maintien, soit dans l’habillement, qui distingue le citoyen de l’étranger ou de l’esclave.

Il ne faut pas se méprendre sur le terme de démocratie, qui n’avait pas du tout aux yeux des Athéniens le sens que nous lui donnons aujourd’hui. Chez aucun peuple de l’antiquité, la nation entière n’a été appelée à exercer des droits politiques, comme nous le voyons dans les sociétés modernes. Les citoyens, qui dans l’Attique comptaient à peine pour le dixième de la population, formaient en quelque sorte une caste privilégiée, et absolument fermée à tous ceux qui vivaient groupés autour d’elle. Il fallait, pour avoir le titre de citoyen, être né de père et de mère portant tous les deux ce titre, et celui qui était issu d’un père athénien, et d’une mère née dans une autre ville de la Grèce ne pouvait y prétendre. Les enfants provenant de ces unions mixtes n’étaient même pas admis dans les gymnases de la ville, et ils allaient s’exercer dans un endroit spécial placé en dehors de l’enceinte. Il ne faut donc pas du tout confondre les cités antiques avec nos villes modernes, où toit homme né dans l’enceinte de la ville possède les mêmes droits municipaux ou politiques. Cité et ville, dit Fustel de Coulanges dans la Cité antique, n’étaient pas des mots synonymes chez les anciens. La cité était l’association religieuse et politique des familles et des tribus ; la ville était le lieu de réunion, le domicile et surtout le sanctuaire de cette association. Le terme de citoyen et celui d’habitant de la ville étaient donc absolument distincts. Les citoyens formaient en quelque sorte une grande famille, dont chaque membre avait les mêmes traditions, et dont l’ensemble produisait un tout compacte et inaccessible à ce qui lui était étranger. Il en était de même pour la plupart des cités grecques ; mais comme parmi les citoyens il y avait des riches et des pauvres, leurs intérêts divers faisaient naître des luttes continuelles. Durant cette période, toutes les fois que surgit une guerre civile, on voit d’un côté les riches et les pauvres de l’autre.

On appelait le gouvernement aristocratique quand la faction des riches était au pouvoir, et démocratique lorsque c’était celle des pauvres. Mais même sous le régime démocratique, ceux qui arrivaient au pouvoir étaient toujours des riches, favorisant, il est vrai, la faction des pauvres, mais ayant par eux-mêmes une grande fortune personnelle. En effet, les hautes fonctions n’étaient pas rétribuées ; elles étaient même extrêmement coûteuses pour ceux qui les occupaient. Il fallait donner des fêtes au peuple, et concourir dans une certaine mesure à l’équipement des navires et à ‘l’entretien de l’armée. Ceux qui avaient mission de gouverner étaient responsables sur leur fortune personnelle non seulement des erreurs qu’on pouvait trouver dans les comptes, mais encore des dépenses occasionnées par une guerre malheureuse ou par une mesure maladroite. Tout membre du gouvernement était exposé à subir un procès ruineux après sa gestion, et cependant les ambitions se heurtaient partout en vue d’arriver au pouvoir, d’où on pouvait sortir très riche, comme on pouvait y perdre son patrimoine. La fureur qui porte aujourd’hui les joueurs vers les grandes entreprises financières les portait alors vers les grandes entreprises politiques et on mettait la même ardeur à favoriser l’arrivée au pouvoir d’une faction qu’on en met à présent dans les spéculations de la Bourse.

Pendant les quatre derniers jours de l’année, les citoyens s’assemblaient pour l’élection des magistrats. La principale magistrature était celle des archontes, qui étaient chargés non seulement d’exercer la police, mais encore de recevoir les dénonciations publiques et les plaintes des citoyens opprimés. Il y avait neuf archontes ; le premier d’entre eux était l’éponyme, et son nom paraissait à la tête des actes et des décrets faits pendant l’année de son exercice. A l’expiration de leurs charges, les archontes entraient dans l’Aréopage, tribunal chargé des causes criminelles. Après l’élection des archontes, on faisait celle des stratèges ou généraux d’armée, celle des hipparques ou généraux de cavalerie, celle des officiers préposés à la perception et à la garde des deniers publics, etc. Une chambre des comptes, renouvelée tous les ans, était chargée de contrôler les dépenses, et tous les magistrats, quel que fût leur rang, étaient tenus de comparaître devant elle. Il y avait aussi des fonctions qui se tiraient au sort parmi un nombre déterminé d’élus. On croyait ainsi faire nommer les magistrats par les dieux eux-mêmes, qui feraient nécessairement sortir le plus digne du fond de l’urne. L’homme que le sort a désigné, dit Platon, est cher à la divinité et nous trouvons juste qu’il commande. Pour toutes les magistratures qui touchent aux choses sacrées, laissant à la divinité le choix de ceux qui lui sont agréables, nous nous en remettons au sort.

Le peuple d’Athènes était divisé en tribus, qui étaient primitivement au nombre de quatre ; mais, à l’époque romaine, il y en avait treize.

 

LE GOUVERNEMENT DE SPARTE. — Malgré son apparente fixité et son respect traditionnel pour les lois de Lycurgue, le gouvernement de Sparte a été, comme celui de toutes les cités grecques, sujet à de fréquentes variations. Là comme ailleurs la population était divisée en plusieurs classes dont les droits ou les devoirs politiques n’étaient pas égaux. On distinguait les Spartiates proprement dits, tous astreints à un service militaire très rigoureux, et dont le nombre ne paraît pas avoir jamais dépassé dix mille. Ils constituaient une véritable aristocratie. Les Lacédémoniens, disséminés dans les différentes villes de la Laconie, mais dont le plus grand nombre habitaient la ville même de Sparte ou Lacédémone, composaient les assemblées du peuple et étaient admis à délibérer dans les grandes occasions. Enfin les esclaves, qui formaient plus des neuf dixièmes de la population, n’avaient aucun droit politique et étaient traités beaucoup plus durement que dans aucune autre partie de la Grèce.

Le gouvernement participait à la fois de la monarchie et de la république. Il se composait de deux rois héréditaires, ayant le pas sur tous les autres citoyens et le commandement des armées. Leur pouvoir était balancé pari un sénat électif de vingt-huit membres, qui ne pouvaient en faire partie qu’après l’âge de soixante ans révolus. Enfin les éphores, au nombre de deux ou de cinq, avaient pour mission de surveiller les deux rois et le sénat en contrôlant leurs actes et en examinant les résultats. Mais les éphores, qui à l’origine n’étaient que des inspecteurs, finirent. par augmenter sensiblement leur autorité, et devinrent même, en certaines occasions, la partie la plus importante du gouvernement.

 

LE GOUVERNEMENT À ROME. — Aussi loin qu’on veuille remonter dans les annales romaines, on trouve la population divisée en patriciens, qui constituent la noblesse, et en plébéiens, qui forment la masse du peuple. Les compagnons de Romulus, c’est-à-dire les véritables fondateurs de Rome, s’étaient organisés en tribus, divisées elles-mêmes en curies, décuries et gentes. C’est de leur sein que furent tirés les sénateurs et les chevaliers. Ces groupes d’hommes, ayant tous une même origine, formèrent l’ordre patricien et leurs assemblées étaient les comices par curies. Mais comme Rome fut dès l’origine un asile ouvert à. tous les vagabonds, une population très nombreuse, unie à la précédente par les rapports du patronage et de la clientèle, vivait autour des patriciens, qui lui donnaient asile, mais ne lui accordaient aucun droit politique. Ce fut l’origine des plébéiens : comme ils devenaient tous les jours plus nombreux, ils furent organisés en tribus distribuées géographiquement, c’est-à-dire par régions disposées suivant le lieu et le nombre de ceux qui composaient la tribu. Les assemblées dans lesquelles les plébéiens nommaient leurs magistrats étaient les comices par tribus. Les Italiens admis postérieurement au droit de cité reçurent une organisation analogue. La division du peuple par tribus subsista jusqu’à la fin de l’empire, mais les tribus avaient cessé d’avoir des droits politiques.

La lutte qui s’établit entre les patriciens et les plébéiens remplit les premiers siècles de l’histoire romaine, et quand ils arrivent à fusionner, c’est-à-dire quand toutes les fonctions publiques sont devenues accessibles aux plébéiens qui ont acquis le droit de s’unir par le mariage aux familles patriciennes, l’empire est bien près de succéder à la république. La distinction entre les Romains et la population de l’Italie, qui est peu à peu conquise, est d’abord très sensible ; mais après les guerres puniques, quand la puissance romaine commence à s’étendre de tous les côtés, elle tend à diminuer, et au commencement de l’empire, l’Italie forme, par rapport aux autres pays annexés, comme une sorte de terre privilégiée. A la fin de l’empire toute distinction a cessé entre les différentes nations que Rome a réunies sous la même dépendance, et le sentiment de la patrie disparaît à ce point que des barbares, étrangers au monde romain par le sol où ils sont nés aussi bien que par leurs aïeux, deviennent généraux d’armée, consuls ou même empereurs. Le christianisme, en substituant aux anciens cultes de la cité une religion universelle, contribua beaucoup à ce résultat, et quand vinrent les invasions barbares, les luttes religieuses entre les ariens et les catholiques, et les décisions des conciles au sujet des hérésies qui surgissaient de toutes parts, absorbaient tellement l’opinion publique qu’on ne voit pas trace de sentiment national dans les guerres que se livrent les chefs militaires, en se partageant les bribes du monde ancien qui s’écroule.

A côté et en dehors de cette société, on trouve l’esclavage, qui se recrute sans cesse par les guerres extérieures ou par la misère au dedans. Vers la fin de la république, les esclaves, qui n’ont aucun droit politique, s’aperçoivent de leur nombre, et l’insurrection qui a illustré Spartacus révèle au monde romain un danger qu’il ne connaissait pas. On triomphe de tout par la force ; mais quand, sous l’empire, le travail esclave s’est substitué partout au travail libre, la classe moyenne est ruinée et cesse peu à peu d’exister. La décadence se produit dans toutes les directions, et l’industrie, qui n’est plus stimulée par un espoir rémunérateur pour tous, s’abaisse insensiblement. L’extension de l’esclavage doit être comptée en première ligne parmi les causes qui ont amené la dépopulation, la démoralisation, et finalement la chute du monde antique.

Ce qu’il y a eu de plus fixe et en même temps de plus caractéristique dans les institutions romaines, c’est le sénat. Le sénat primitif de Romulus se composait seulement de cent membres choisis exclusivement parmi les patriciens. Ce nombre, porté à trois cents sous Tarquin l’Ancien, s’éleva jusqu’à neuf cents sous Jules César. Après l’expulsion des rois, l’élection des sénateurs appartint aux consuls et aux tribuns militaires, ensuite aux censeurs. Ceux qui avaient exercé de grandes magistratures électives, comme le consulat, entraient généralement au sénat. Sous l’empire, le souverain nommait les sénateurs selon son bon plaisir.

En dehors du sénat, toutes les grandes fonctions étaient électives, et la durée de leur administration était assez courte. A l’exception des tribuns du peuple, dont le pouvoir fut toujours indépendant, tous les magistrats de la république étaient subordonnés aux deux consuls, dont le pouvoir durait une année. Les consuls commandaient aux armées, préparaient les lois, convoquaient et présidaient le sénat. Bien que leur fonction soit limitée à une année, le pouvoir des consuls était quelquefois prolongé pour l’année suivante Marius a été réélu consul cinq années de suite. Le préteur était un magistrat chargé de l’administration de la justice, quand le consul était à la guerre, ce qui arrivait souvent. Les deux censeurs avaient dans leurs attributions les opérations du cens et la surveillance des mœurs. Les questeurs administraient les finances. Toutes ces fonctions appartenaient dans l’origine à la classe des patriciens qui avait seule le droit de les élire. Il n’en était pas de même des tribuns du peuple, qui étaient élus par les plébéiens et chargés de défendre leurs intérêts. Ils avaient le pouvoir d’assembler le peuple, de lui proposer des lois, de convoquer le sénat, et de s’opposer par un veto à toutes les décisions du sénat et des magistrats. Toutes les luttes du forum, qui tiennent tant de place dans l’histoire de la république, viennent de l’antagonisme qui s’était élevé entre les fonctions des patriciens et les privilèges des tribuns. Les fonctions et les insignes particuliers attachés à chacun de ces personnages ont été décrits et représentés dans le présent ouvrage (tome Ier).

Sous la république, les censeurs et les édiles avaient la surveillance des aqueducs, comme celle des autres édifices publics ; mais sous l’empire, on créa, sous le nom de curatores aquarum, des officiers spécialement chargés du service des eaux que les canaux et les aqueducs amenaient dans la ville pour la consommation des habitants et surtout pour les bains qui avaient tant d’importance dans les cités romaines. Ces magistrats se faisaient accompagner, hors de la ville, par deux licteurs et ils avaient sous leurs ordres de nombreux agents qui étaient compris sous la dénomination générale d’aquarii. Parmi ces agents, outre les architectes et les ouvriers qu’ils dirigeaient, on distinguait les villici, ou inspecteurs des cours d’eau, les castellarii, ou inspecteurs des réservoirs, les circuitores, qui allaient d’un poste à l’autre pour surveiller les travaux, et les tectores, ou gardiens des substructions. On estime que les aqueducs de Rome portaient par vingt-quatre heures une masse d’eau de 3.720.750 mètres cubes, sur laquelle 4.320.520 mètres étaient distribués dans la ville et le reste alimentait les campagnes environnantes. Il existe dans les pays qui furent compris dans l’ancien empire romain de magnifiques restes d’aqueducs ; le plus célèbre parmi ceux que possède la France est le pont du Gard, dont nous avons donné une vue d’ensemble tome Ier, figure 68, et dont la figure 73 reproduit encore un fragment.

En dehors de ces magistratures régulières, on nommait quelquefois, mais seulement dans les grandes crises où l’existence même de l’État était compromise, un dictateur, qui, pendant un temps très limité, était investi du pouvoir suprême. L’empire ne fut qu’une dictature établie indéfiniment, et le terme d’empereur, qui n’était primitivement qu’un titre honorifique décerné par l’armée à un général victorieux, devint synonyme de maître absolu de tous les pays réunis sous la domination romaine. Aussi les monuments nous montrent toujours l’empereur soit avec la toge des magistrats civils, soit avec le costume de général en chef des armées (fig. 74). Sous les successeurs de Septime Sévère, le faste oriental remplaça l’ancienne simplicité ; Héliogabale adopta des vêtements de soie ; Dioclétien, le diadème persan et les chaussures brodées de perles. Nous avons montré dans la première partie de cet ouvrage les emblèmes impériaux et nous avons décrit les usages qui se rattachent à l’apothéose.