LA GRAVURE PRÉHISTORIQUE. - LES PIERRES GRAVÉES. - LES MÉDAILLES. - LA GRAVURE AU TRAIT. LA GRAVURE PRÉHISTORIQUE. — Un grand intérêt s’attache toujours aux premiers tâtonnements de l’homme dans les arts graphiques. Ceux qui sont antérieurs à tout document historique ne peuvent naturellement se subordonner à aucun ordre chronologique ; c’est à l’histoire naturelle et surtout à la géologie qu’il appartient de les classer par périodes, auxquelles toutefois il serait impossible d’assigner une date même approximative. Ces essais grossiers prouvent que les arts graphiques ont été pratiqués dans les plus anciennes sociétés, dans des époques où l’homme, étranger à toute civilisation, vivait en quelque sorte de la vie animale. Le centre de la France et notamment le Périgord sont les contrées où l’on a trouvé les plus curieuses tentatives dans ce genre.
La figure 675 représente une esquisse dessinée ou plutôt gravée au trait sur une plaque d’ivoire et représentant un mammouth que les longs poils de sa crinière empêchent de confondre avec un éléphant ordinaire. Malgré la, grossièreté du travail, on distingue parfaitement l’œil si caractéristique, et la longue trompe de l’animal. Les fragments de mammouth se trouvent en très grand nombre dans le nord de la Sibérie, ce qui semblerait prouver que le travail que nous avons sous les yeux a dû être exécuté à une époque où le climat de l’Europe occidentale était analogue à celui des régions arctiques.
Ce qui confirme encore cette hypothèse, c’est le manche de poignard que représente la figure 676. Cette poignée, qui est en bois de renne, représente elle-même un renne sculpté dans une position toute particulière ; les jambes de derrière sont étendues le long de la lame, celles de devant sont ramenées sous le ventre pour ne pas blesser la main ; enfin la tête est renversée, le museau est tourné vers le ciel et les bois de l’animal sont couchés ale façon à ne pas gêner la préhension. Ce monument date d’une époque où la France devait ressembler passablement à la Laponie, puisque le renne y vivait.
Voici maintenant (fig. 677) une figure de cerf gravée sur un fragment de bois de cerf. La forme de la ramure, très différente de celle du renne, ne permet pas de se tromper sur l’identité de l’animal. Des figures d’aurochs et d’élans, mais mal caractérisées, ont été également retrouvées sur divers fragments. L’homme apparaît aussi quelquefois, mais beaucoup plus rarement, sur les monuments de cette catégorie. Sur un fragment que l’on croit avoir été un bâton de commandement (fig. 678) on voit une forme humaine, grêle, fluette, et qui d’ailleurs semble pourvue d’une queue comme les animaux. Elle est placée entre deux têtes de chevaux mieux caractérisées et l’on voit derrière un animal qui pourrait être un long poisson ou un serpent. Sur un autre fragment on voit également un personnage qui n’est guère mieux conformé que le précédent et qui est à côté d’un aurochs. Si imparfaits que soient ces grossiers essais et bien qu’ils ne se rattachent qu’indirectement à l’histoire générale de l’antiquité, il était impossible de ne pas les signaler ici.
LES PIERRES GRAVÉES. — On distingue deux sortes de pierres gravées : les intailles qui sont gravées en creux, et les camées qui sont gravées en relief. Les pierres gravées égyptiennes sont des intailles. La plupart ont la forme de scarabées : l’insecte était formé par la partie convexe, et l’inscription ou le sujet gravé se trouvait sur la partie plane qui tenait lieu du ventre. Il y avait aussi un très grand nombre de cachets portant des gravures en creux. Nous en avons donné plusieurs représentations (tome II, fig. 492 à 497). Les cylindres babyloniens forment aussi une série très importante. Les sujets gravés sur les cylindres babyloniens se rattachent tous à des dogmes religieux dont nous n’avons encore qu`une connaissance très imparfaite. Certains symboles pourtant paraissent se rapprocher singulièrement de ceux de la Perse, ce qui ferait supposer que ceux-ci ont eu, en grande partie, leur source en Assyrie. L’analogie est surtout frappante pour les dessins gravés sur le cylindre que nous avons fait reproduire. Nous donnons dans la figure 679 le développement du cylindre dont la figure 680 nous montre la forme générale.
Les deux personnages que nous voyons ici paraissent être des prêtres d’Ormuz luttant contre un taureau barbu considéré ici comme le principe du mal. La lutte d’Ormuz et d’Ahriman ou du bien et du mal fait en effet le sujet d’une foule de représentations. Habituellement les bons esprits serviteurs d’Ormuz sont figurés sons la forme de personnages couronnés ou ailés, et les mauvais esprits, serviteurs d’Ahriman, prennent, au contraire, la forme d’animaux fantastiques, tels que les taureaux barbus ou les griffons. Parmi les Grecs, la gravure sur pierre fine, quoique pratiquée très anciennement, paraît avoir atteint son apogée vers l’époque macédonienne. Pyrgotèle, qui vivait sous Alexandre le Grand, est le premier graveur qui ait atteint dans son art une véritable illustration. Alexandre le Grand, dit Pline, défendit à tout autre que Pyrgotèle, le plus habile dans cet art, de graver son portrait sur pierre précieuse. Après Pyrgotèle, Apollonidès et Cromos y excellèrent, comme aussi Dioscoride, qui grava de cette façon l’effigie très ressemblante du dieu Auguste, effigie que les empereurs depuis employèrent comme cachet. Le cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale possède une superbe intaille que l’on attribue à Dioscoride ; elle représente Mécène. Parmi les autres pierres gravées de la même collection qui portent un nom d’auteur, il faut citer un superbe camée, représentant le triomphe à Amphitrite et signé du graveur Glycon (fig. 681). La déesse est escortée par les amours et conduite par un taureau marin qui se termine en queue de poisson, ce qui le distingue du taureau d’Europe. Celui-ci, au reste, est également représenté sur un camée célèbre que nous avons reproduit ailleurs (tome I, fig. 432). Nous possédons une pierre très célèbre signée du graveur Hyllus et représentant un taureau dionysiaque, ainsi qu’un superbe portrait de Julie, fille de Titus, aigue-marine portant le nom du graveur Evodus. Bien qu’on donne généralement le nom de camées aux pierres gravées en relief, ce nom s’applique plus particulièrement à celles qui ont des couches de différentes couleurs. En effet, dans la gravure des camées, bien que cet art, qui est une branche de la sculpture, ait pour but essentiel la forme et le relief, la couleur joue un rôle assez important. Le graveur qui sait tirer parti des couleurs de la pierre peut les adapter de telle façon, qu’il est quelquefois difficile de décider si c’est un effet de l’art ou un jeu de la nature. Quelquefois une figure taillée sur une couche blanche se détache sur un fond coloré ; quelquefois aussi les accidents les plus étonnants semblent naître des couleurs diverses de la pierre. Une tête peut avoir la barbe, les cheveux, la draperie d’une coloration différente : c’est ainsi que le fameux camée d’Auguste et celui de Germanicus, au cabinet des médailles de la Bibliothèque nationale, ont, indépendamment de leur sculpture, un charme particulier qui résulte de la diversité des teintes. Au surplus, la couleur des pierres employées n’était pas indifférente et les graveurs se servaient de préférence des matières dont la teinte leur semblait en rapport avec le sujet qu’ils voulaient traiter. Ainsi ils gravaient Proserpine sur une pierre noire, Neptune et les Tritons sur l’aigue-marine, Bacchus sur l’améthyste, Marsyas écorché sur le jaspe rouge. Les sujets avaient souvent aussi une signification en rapport avec certains usages. Ainsi les scènes relatives à l’histoire de l’Amour et Psyché étaient surtout employées comme cadeaux de fiançailles, tandis que celles qui ont trait à la légende de Proserpine ravie à sa mère semblaient plus convenables pour des personnes affligées. Le supplice de Marsyas, emblème de l’inexorable justice des dieux, était un sujet cher aux gens de lois, tandis que les représentations de combats étaient préférées par les soldats. Quelques camées étaient simplement la reproduction d’un ouvrage célèbre. La centauresse et son petit (fig. 682) paraît appartenir à cette catégorie. Enfin les beaux camées romains de l’époque impériale (voir tome I, fig. 488 à 495) sont de pompeuses allégories en faveur du souverain. L’art du graveur en pierres fines a marché parallèlement avec celui du sculpteur et sa décadence est complète à partir des princes syriens. LES MÉDAILLES. — L’art de graver les médailles est une branche de la sculpture, car une médaille n’est en réalité qu’un bas-relief de dimension très restreinte. Pendant très longtemps les monnaies n’ont représenté que des emblèmes extrêmement simples, tels que la tortue sur les monnaies d’Égine (tome I, fig. 437), un bouclier ou une amphore sur les monnaies de Béotie (tome I, fig. 407), une abeille ou une biche sur les monnaies d’Éphèse (tome I, fig. 267), etc. C’est seulement quand l’usage s’introduisit de, représenter des tètes de divinités ou des personnages entiers que l’art du graveur parvint à son grand développement, qui a suivi d’ailleurs une marche très irrégulière. Ainsi certaines médailles de la Grande Grèce, celles que l’on nomme incuses, portent le même type des deux côtés, seulement la gravure apparaît en creux sur une des faces et en relief sur l’autre. II y a des médailles qui portent d’un côté une figure ou une scène très complète et qui gardent de l’autre un emblème d’une forme extrêmement primitive. Enfin il y en a dont les deux faces sont décorées d’un chef-d’œuvre entièrement différent comme disposition, quoique d’une égale valeur au point de vue de l’art. Des écoles d’où il sortit des graveurs d’un très grand talent se formèrent dans différentes villes, mais, par un phénomène bien remarquable et qui est particulier à la gravure en médaille, les villes dont les ateliers monétaires ont produit les plus grands chefs-d’œuvre ne sont pas toujours celles où se sont produits les plus grands sculpteurs ou les plus grands peintres. D’admirables monnaies ont été exécutées dans des villes qui n’ont eu aucune importance dans l’histoire des arts, tandis que certaines cités, comme Athènes, ont eu des écoles de sculpture très florissantes et n’ont eu que des monnaies insignifiantes sous le rapport de l’art. On donne de ce fait plusieurs raisons. D’abord les villes commerçantes tenaient quelquefois à conserver des vieux types très imparfaits, mais qui avaient cours dans les pays avec lesquels elles trafiquaient, ensuite le respect traditionnel qui s’attachait souvent à une antique idole ou à un emblème vénéré empêchait qu’on voulut en altérer la forme. Les villes de la Sicile et de la Grande Grèce sont celles auxquelles on doit les plus belles monnaies. Nous avons fait reproduire les principales dans la première partie de ce travail (tome I, fig. 556 à 600). L’habitude qui s’introduisit, dit Ottfried Muller, de reproduire sur les monnaies le souvenir des victoires remportées, de la célébration des jeux en l’honneur des dieux, et généralement toutes les circonstances qui se prêtaient à une représentation mythologique, contribuèrent considérablement au progrès de l’art ; c’est ainsi que souvent, dans le champ le plus rétréci et le plus borné, une scène plastique pleine de pensées et d’allusions ingénieuses s’offre à nos regards. Avec la période macédonienne commence un style nouveau pour la gravure. L’image du souverain commence à remplacer en maint endroit celle des divinités locales, et l’art, qui y gagne comme sentiment de vie et de réalité, perd comme pureté de formes et comme beauté plastique. En général, les monnaies des Ptolémées sont inférieures à celles des Séleucides, qui elles-mêmes le cèdent, sous le rapport de l’art, à celles des rois de Macédoine. A Rome, les monnaies consulaires sont extrêmement intéressantes comme documents historiques, mais la plus belle période de l’art en Italie est celle qui s’étend depuis Auguste jusqu’aux princes syriens. De superbes médaillons, qui ne paraissent point avoir été mis en circulation avec une valeur légale, relatent l’histoire officielle des empereurs, leurs victoires, les jeux et fêtes publiques par lesquels on a célébré leur avènement. Les pays conquis représentés allégoriquement, les édifices publics exprimés toujours d’une façon très sommaire, les combats ou les cérémonies religieuses occupent le revers des médailles ou monnaies de cette époque, tandis que le profil de l’empereur apparaît sur la face principale. La décadence de la gravure commence avec les princes syriens et est complète sous Théodose. Le dessin, qui, au début, est sec et incorrect, devient tellement informe qu’il est impossible, autrement que par 1a légende, de distinguer un personnage d’un autre. La manière grossière avec laquelle les emblèmes sont traités ajoute encore à la barbarie incroyable de ces représentations. LA GRAVURE AU TRAIT. — Outre les différents genres de gravure dont nous avons déjà parlé, il en est un que tous les peuples anciens paraissent avoir pratiqué, c’est la gravure au trait sur le métal. Cette gravure n’est pas, comme la gravure en taille-douce des modernes, accompagnée de hachures intérieures : elle n’a aucun modelé et se compose simplement d’un contour extérieur tracé sur le métal avec une pointe et accusant la forme extérieure des ornements, des feuillages, des animaux, ou des personnages que l’artiste veut représenter. Ces gravures décorent tantôt des surfaces plates, tantôt des surfaces courbes ; mais les anciens n’ont jamais songé à en tirer des épreuves sur papier, comme l’ont fait les artistes modernes depuis la Renaissance.
Les Étrusques nous ont laissé un très grand nombre de pièces métalliques, telles que vases, miroirs, cistes, objets de tout genre, qui sont enrichis de gravures au trait. Ce procédé leur était tellement familier, que non seulement ils l’ont appliqué aux métaux, mais ils l’ont employé également pour les vases de terre. Au reste les Grecs ont fait de même pour les vases peints d’ancien style, car le contour était dessiné au trait à l’aide d’une pointe, et c’est dans ce contour que l’on posait à plat la couleur rouge ou noire avec laquelle les personnages sont coloriés. Les bandes d’animaux tels que ceux qui sont figurés sur les figures 685, 684, 685, 686, 687, 688, se retrouvent également et sans aucune différence apparente sur les vases en métal et sur ceux en terré de la mémé époque.
C’est principalement dans la gravure des miroirs que les Grecs et les Étrusques nous ont laissé des chefs-d’œuvre, et la figure 689 montre un miroir d’une disposition exquise et d’une délicatesse de forme incomparable.
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