LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME III — LE TRAVAIL DANS L’ANTIQUITÉ

L’ARCHITECTURE. — II. - L’ARCHITECTURE EN ASIE

 

 

L’ASSYRIE. - LA BABYLONIE. - LA PERSE.

 

L’ASSYRIE. — Au commencement de ce siècle on ne connaissait aucun des grands monuments de l’art assyrien. Les voyageurs qui avaient visité les bords de l’Euphrate et du Tigre en avaient rapporté des cachets, des cylindres et autres petits objets, mais rien ne pouvait faire présager qu’on pourrait, au moyen des monuments de l’art, reconstruire par l’imagination cette civilisation qui occupe une si grande place dans l’histoire. En 1842, M. Botta, consul de France à Mossoul, entreprit de faire des fouilles sur la rive orientale du Tigre, à l’endroit que l’on désignait comme étant l’emplacement de l’ancienne Ninive. Ces fouilles, entreprises sur un monticule recouvert par un village dont les habitants se montraient fortement hostiles, ne donnèrent aucun résultat. M. Botta s’avança du côté de Khorsabad, village situé à seize kilomètres de 1llossoul, et entreprit de nouvelles fouilles qui, cette fois, furent couronnées de succès. On découvrit d’abord une salle dont les parois étaient couvertes de bas-reliefs représentant des combats. On commença alors un puits et on trouva de nombreux bas-reliefs. Enfin, après des obstacles de tous genres, parmi lesquels il faut nommer d’abord l’insalubrité du climat et l’hostilité constante des habitants, on finit par retrouver l’emplacement, l’ensemble d’un vaste palais, entièrement décoré de statues colossales et de nombreux bas-reliefs. Les fouilles entreprises par M. Botta ont été continuées par M. Place, et un Anglais, M. Layard, entreprit également des fouilles près du village de Nimroud, et bientôt après dans le village de Koyounjik. Les sculptures qu’il y a découvertes ont enrichi le musée de Londres, comme celles de Khorsabad avaient enrichi celui de Paris. Ces ruines ont été décrites déjà dans le présent ouvrage ; nous n’avons donc à y revenir ici que pour ajouter quelques détails sur la construction et surtout sur la décoration des palais assyriens.

Ces monuments, dit Batissier dans l’Histoire de l’art monumental, offrent tous le même genre de construction. Ils s’élevaient sur un plancher formé d’un seul rang de briques cuites et portant des inscriptions. Au-dessous de ce plancher il y a une couche de sable fin de six pouces d’épaisseur qui est étendue sur un autre plancher de briques superposées et fortement cimentées avec du bitume. Les murailles sont faites, au rez-de-chaussée, avec de grandes plaques de gypse marmoriforme, semblable à celui qu’on trouve auprès de Mossoul. Il paraît qu’elles étaient reliées entre elles au moyen de clous et de bandes de cuivre dont on a recueilli, sur place, de très nombreux fragments. Au premier étage, le mur était en briques crues ou en argile battue. Il parait certain que le toit était en charpentes, car on a remarqué dans les décombres une notable quantité de bois carbonisé. Enfin, les restes d’un épais enduit d’un beau bleu d’azur donnent à penser que les parois intérieures des chambres étaient ornées de peintures.

La civilisation assyrienne, venue après celle de l’Égypte, lui a nécessairement fait de nombreux emprunts, auxquels le caractère spécial de la nation a pourtant apporté d’importantes modifications. Les monuments de l’Assyrie, comme ceux de l’Égypte, sont décorés dans toutes leurs parties de bas-reliefs et d’ornements, et cette décoration, malgré quelques différences que nous allons signaler, part évidemment du même principe. Voici comment la Grammaire de l’ornement de Owen Jones apprécie les rapports qui existent entre les deux styles. La manière de représenter une rivière, un arbre, une ville assiégée, un groupe de prisonniers, une bataille, un roi dans son char, dit Owen Jones, est presque identique chez l’un et chez l’autre peuple ; la différence qui existe est simplement celle qui résulterait naturellement de la représentation de mœurs de deux peuples différents. La figure 541, qui montre la bordure d’un pavage assyrien de Nimroud, confirme pleinement cette manière de voir. C’est un ornement qui diffère très peu de ceux qu’employaient les Égyptiens, comme on peut s’en convaincre en se reportant aux figures 523 et 524 que nous avons reproduites plus haut. La fleur de lotus alternant avec un fruit en fait tous les frais. Mais, si le détail qui constitue chaque ornement paraît être un emprunt, la combinaison de ces détails entre eux ne ressemble plus autant à l’Égypte, et les pavages représentés sur les figures 542 et 543, bien que composés des mêmes éléments, montrent une disposition d’ensemble très différente.

Une brique émaillée de Khorsabad, reproduite sur notre figure 544, est décorée d’une palmette, genre d’ornement que nous n’avons pas rencontré en Égypte, mais dont nous suivrons le développement quand nous parlerons de l’art décoratif des Grecs. Ici l’ornementation assyrienne pourrait en quelque sorte servir de transition entre celle des Égyptiens et celle des Grecs.

L’ornementation assyrienne procède beaucoup moins que celle de l’Égypte d’un principe imitatif. On trouve quelquefois sur les monuments des colonnes prèles, couronnées par des chapiteaux bizarres, des couvertures de peau terminant les édifices ouverts (fig. 545), mais les formes géométriques prédominent sur celles qui pourraient avoir leur origine dans la plante, et même dans les arbres symboliques, si communs sur les bas-reliefs assyriens, la tige est sillonnée par des formes anguleuses, et la fleur prend un caractère conventionnel, qui laisse rarement deviner le point de départ (fig. 546).

 

LA BABYLONIE. — Les ruines de Babylone ne nous offrent malheureusement pas pour l’étude les mêmes ressources que celles de Ninive. Une immense plaine jonchée de débris marque l’emplacement de la ville sans fournir aucun renseignement sur le style des monuments qui la décoraient. Cette pénurie tient surtout au mode de construction que les Babyloniens avaient été forcés d’adopter. Les Babyloniens, dit Batissier dans son Histoire de l’art monumental, confinés sur un sol d’alluvion, dans un pays limité par deux empires puissants et redoutables, exécutèrent d’immenses travaux pour se garantir des inondations de l’Euphrate et pour se mettre à l’abri des attaques des peuples voisins. En fait de matériaux, ils se servaient rarement de la pierre qu’ils étaient obligés d’aller chercher en Arménie, mais ils employaient surtout des briques faites avec une argile très fine, séchées au soleil ou cuites au four. On les disposait par assises, et d’espace en espace, on plaçait des couches de roseau, et l’on reliait le tout au moyen d’un ciment composé d’asphalte et de plâtre ; la plupart des maisons et des édifices étaient construits de cette façon. »

Cette manière de bâtir atteste l’ingéniosité d’un peuple qui n’avait à sa disposition ni carrière, ni forêt, mais elle ne pouvait présenter ni la solidité, ni l’aspect grandiose des monuments égyptiens, bâtis avec de gros blocs de granit. Nous pouvons supposer que la décoration des monuments de Babylone devait avoir une certaine parenté avec celle des monuments de Ninive, à cause de la proximité des deux peuples et des deux civilisations, mais c’est une supposition qui repose sur des probabilités et non sur des documents. En somme les descriptions que nous ont laissées les historiens grecs sont les seuls renseignement que nous possédions sur l’ancienne Babylone.

Nous avons parlé déjà de la ville et de sa triple enceinte. Quelques voyageurs ont cru reconnaître la tour de Babel, dont il est question dans la Bible, dans un monticule qu’on désigne plutôt aujourd’hui sous le nom de temple de Bélus. C’était une pyramide isolée, s’élevant au milieu d’une enceinte carrée et fermée par des portes d’airain. Cette pyramide, dit Batissier (Histoire de l’art monumental), se composait de huit étages en retraite les uns au-dessus des autres. Des escaliers extérieurs, ou plutôt ménagés dans l’épaisseur (les murs, conduisaient d’assise en assise jusqu’au sommet de l’édifice. A la moitié du chemin on avait ménagé un lieu de repos et des sièges sur lesquels ceux qui montaient pouvaient s’asseoir. L’édifice se terminait supérieurement par une plate-forme surmontée d’une grande chapelle qui était le lieu très saint. Cette description est tirée d’Hérodote, qui y mêle de curieux détails sur les mœurs des prêtres qui desservaient le temple et sur des statues en or qui décoraient la chapelle. Bérose assure que la décoration intérieure offrait l’image d’une foule d’êtres monstrueux et symboliques, exécutés en bas-reliefs d’argile coloriés. On (lit aussi que la plate-forme placée en haut de la pyramide servait d’observatoire aux prêtres chaldéens pour leurs observations astronomiques.

Diodore de Sicile parle, dans sa description de Babylone, d’un pont merveilleux dont il attribue la construction à Sémiramis. Elle construisit, dit-il, dans la partie la plus étroite du fleuve, un pont de cinq stades de longueur, reposant sur des piles enfoncées à une grande profondeur et à un intervalle de douze pieds l’un de l’autre ; les pierres étaient assujetties par des crampons de fer, et les jointures soudées avec du plomb fondu. Les faces de chaque pile exposées au courant de l’eau étaient construites sous forme de saillies anguleuses, qui, coupant les flots et amortissant leur impétuosité, contribuaient à la solidité de la construction. Le pont était recouvert de planches de cèdre et de cyprès, placées sur d’immenses madriers de palmier ; il avait trente pieds de large, et n’était pas le moins beau des ouvrages de Sémiramis. Quinte-Curce parle également de ce pont : Il est, dit-il, au nombre des merveilles de l’Orient ; car l’Euphrate charrie beaucoup de limon ; il a donc fallu en retirer beaucoup de vase pour l’y asseoir sur des fondements solides.

Les quais de Babylone avaient aussi une grande célébrité. Mais ce que les auteurs anciens glorifient le plus, ce sont les fameux jardins suspendus. Voici la description qu’en donne Diodore de Sicile : Il y avait dans la citadelle le jardin suspendu, ouvrage, non pas de Sémiramis, mais d’un roi assyrien postérieur à celle-ci. Il l’avait fait construire pour plaire à une concubine. On raconte que cette femme, originaire de la Perse, regrettant les prés de ses montagnes, avait engagé le roi à lui rappeler, par des plantations artificielles, la Perse, son pays natal. Ce jardin, de forme carrée, avait de chaque côté quatre plèthres ; on y montait par des degrés, sur des terrasses posées les unes sur les autres. Ces terrasses ou plates-formes, sur lesquelles on montait, étaient soutenues par des colonnes, qui, s’élevant graduellement de distance en distance, supportaient toutes le pied des plantations ; la colonne la plus élevée, de cinquante coudées de haut, supportait le sommet du jardin et était de niveau avec les balustrades de l’enceinte. Les murs, solidement construits à grands frais, avaient vingt-deux pieds d’épaisseur, et chaque issue dix pieds de largeur. Les plates-formes des terrasses étaient composées de blocs de pierre dont la longueur, y compris la saillie, était de seize pieds sur quatre de largeur. Ces blocs étaient recouverts d’une couche de roseaux mêlés de beaucoup d’asphalte ; sur cette couche reposait une double rangée de briques cuites, cimentées avec du plâtre ; celles-ci étaient à leur tour recouvertes avec des lames de plomb, afin d’empêcher l’eau de filtrer à travers les atterrissements artificiels et de pénétrer dans les fondations. Sur cette ouverture se trouvait répandue une masse de terre suffisante pour recevoir les racines des plus grands arbres. Ce sol artificiel était rempli d’arbres de toute espèce, capables de charmer la vue par leur dimension et leur beauté. Les colonnes, s’élevant graduellement, laissaient par leurs interstices pénétrer la lumière, et donnaient accès aux appartements royaux, nombreux et diversement ornés. Une seule de ces colonnes était creuse depuis le sommet jusqu’à sa base ; elle contenait des machines hydrauliques qui faisaient monter du fleuve une grande quantité d’eau, sans que personne pût rien voir à l’extérieur. Tel était ce jardin qui, comme nous l’avons dit, fut construit plus tard.

Strabon parle également des jardins suspendus. Ce jardin, dit-il, se compose de plusieurs terrasses voûtées qui s’élèvent les unes au-dessus des autres, soutenues par de gros piliers en forme de cubes. Les piliers sont creux et remplis de terre, de manière à pouvoir contenir les racines des plus grands arbres. Ces piliers, ainsi que les planchers des terrasses et les voûtes, sont en briques cuites, cimentées avec de l’asphalte. On arrive à l’étage supérieur par des gradins, le long desquels on a disposé des limaces (sortes de vis), par lesquelles des hommes commis à cet effet font sans cesse monter l’eau de l’Euphrate dans le jardin.

 

LA PERSE. — L’architecture de l’ancienne Perse est connue depuis plus longtemps que celle de l’Assyrie, dont elle dérive assurément. Nous avons donné déjà le plan ainsi que des vues d’ensemble du palais et des tombes royales de Persépolis (tome I, fig. 158 à 162). Nous nous arrêterons donc seulement ici sur quelques détails de la décoration.

Les colonnes de Persépolis, le plus souvent placées dans des salles hypostyles ou bien disposées en portiques, présentent un type tout à fait spécial (fig. 547). Le chapiteau montre les parties antérieures de deux monstres, et deux des superposés, simulant l’extrémité des poutres, prennent place entre leurs têtes (fig. 548). Dans la base, c’est la feuille qui constitue le, principe ornemental de la décoration (fig. 549).

Malgré les différences qui séparent l’architecture des Perses de celle des Grecs, il est facile de voir que les deux styles marchent parallèlement. Ce n’est pas assurément par les proportions de l’ensemble qu’on pourrait établir un rapport, mais le style ornemental des deux nations n’est pas aussi éloigné l’un de l’autre qu’on serait tenté de le croire au premier -abord. Ainsi il est difficile de ne pas saisir une certaine parenté entre le triglyphe des Grecs et les ornements persépolitains représentés sur les figures 550 et 551.

On reconnaîtra aussi que les figures 552 et 553, quoique d’un caractère oriental plus prononcé, se marient aisément avec les deux types précédents. Quant à la figure 554, elle dérive de principes tout à fait différents et on y pressent presque l’ornementation des Arabes. C’est en effet un ornement sassanide, c’est-à-dire qu’il appartient à une époque intermédiaire entre l’art persan ancien et fart persan du moyen âge.