LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME III — LE TRAVAIL DANS L’ANTIQUITÉ

L’AGRICULTURE. — V. - LÉGUMES ET FRUITS

 

 

LES LÉGUMES. - LES OUTILS DU JARDINAGE. - LA VIGNE. - L’OLIVIER. - LES VERGERS. - LA GREFFE DES ARBRES.

 

LES LÉGUMES. — Les vergers et les potagers, dit Columelle, devront être entourés de haies et se trouver à peu de distance de la métairie, et placés de telle sorte qu’ils puissent recevoir l’écoulement des égouts de la cour, des bains, ainsi que la lie de l’huile qui s’échappe du pressoir, car ces substances sont également profitables aux arbres et aux légumes.

La basse Égypte était spécialement propre à la culture des oignons, qui se plaisent particulièrement dans un sol d’alluvion. Les oignons d’Égypte étaient d’ailleurs très différents de ceux de nos pays, qui excitent le larmoiement et ont une saveur irritante ; ils sont au contraire d’une douceur remarquable. Ces oignons, beaucoup plus gros que les nôtres, formaient une partie de la nourriture du peuple, et on se rappelle combien les Hébreux regrettaient dans. le désert les oignons d’Égypte. Juvénal se moque des Égyptiens qui, dit-il, cultivaient leurs dieux, l’oignon et le poireau, dans leurs jardins. Les melons, d’eau, les pastèques, étaient aussi très cultivés. La figure 59 représente des jardiniers égyptiens qui transportent des plantes d’un point à un autre. D’après le costume qu’ils portent, ces personnages doivent être des hommes de journée travaillant pour le compte de quelque propriétaire aisé.

Au reste, la profession de jardinier devait être très répandue dans l’antiquité, car toutes les grandes villes, et notamment Rome, étaient entourées de jardins où la culture des légumes se faisait sur une très grande échelle. Les lettrés avaient tous la prétention de s’y connaître dans cette partie de l’agriculture. C’est ainsi qu’Horace nous dit sentencieusement : Sachez aussi que le chou cultivé avec trop de soin et trop souvent arrosé ne vaut pas un chou rustique, haletant dans un terrain sec.

Les Romains faisaient une grande consommation de champignons ; nous voyons même, par une épigramme de Martial, que quelquefois leur goût pour ce mets était poussé jusqu’à la gloutonnerie. Dis-moi, quelle est cette fureur ? En présence des nombreux convives que tu as invités, Cécilianus, tu dévores à toi seul tous les champignons. Que puis-je te souhaiter qui soit digne d’un ventre si glouton et d’une telle voracité ? que tu avales un champignon comme celui qu’avala Claude.

 

LES OUTILS DU JARDINAGE. — Dans une petite pièce de l’Anthologie, un jardinier énumère, dans une offrande à Priape, les instruments qu’il emploie : Le boyau qui retourne les plates-bandes arrosées, la serpette dont le fer recourbé abat les tiges exubérantes, le manteau troué, protecteur de la pluie, des chaussures inusables en cuir de bœuf, le plantoir qui s’enfonce droit dans le sol pour qu’il reçoive de jeunes choux, l’arrosoir qui, dans les chaleurs de l’été, rafraîchit incessamment le poireau altéré ; tout cela, Potamon te le consacre, ô Priape protecteur des jardins, en reconnaissance de la richesse qu’il doit au jardinage.

Quelques instruments de jardinage fort anciens ont été retrouvés, mais ils sont en somme peu nombreux. On a découvert dans des fouilles, aux environs de Bologne, en 1871, un certain nombre d’ustensiles de fabrication étrusque. On y voyait entre autres une serpe d’une forme assez grossière, que reproduit notre figure 60.

En général, c’est principalement sur les monuments figurés qu’on voit la forme des instruments aratoires. La bêche que reproduit la figure 61 est tirée d’un tombeau ; elle est munie d’une barre transversale sur laquelle le laboureur posait son pied. Voici ensuite (fig. 62) un outil qui servait aux vignerons pour débarrasser la vigne du bois mort, ou pour dégager la terre autour des racines (dolabella). Les bûcherons se servaient plus spécialement d’un outil représenté sur la colonne Trajane, et que les soldats romains employaient pour faire des barricades (fig. 63, dolabra). Enfin, pour les terrassements, on avait un instrument de la même nature, quoiqu’un peu différent dans sa forme (fig. 64). Celui que nous reproduisons est dans les mains d’un fossoyeur, peint dans une décoration des catacombes de Rome.

 

LA VIGNE. — Les anciens, dit Pline le Naturaliste, ont avec raison placé la vigne au rang des arbres, même relativement à sa grandeur. Nous voyons à Populonium une statue de Jupiter faite d’un cep unique : elle dure depuis plusieurs siècles. Marseille conserve une patère du même bois. A Métaponte, le temple de Junon était soutenu sur des colonnes de vigne. On monte encore aujourd’hui au haut du temple de la Diane d’Éphèse par un escalier fait, dit-on, d’une seule vigne de Chypre : c’est le pays où elles parviennent à la grosseur la plus extraordinaire. Nul bois ne dure plus longtemps. Au reste, je suis porté à croire que ces ouvrages étaient faits de vignes sauvages. Les nôtres, taillées tous les ans, ne peuvent prendre le même accroissement. On attire toute la sève dans les branches à fruit, et si l’on permet à l’arbre de s’étendre en différentes manières, selon le climat et la qualité du terroir, ce n’est que pour avoir du vin. Dans la Campanie, les vignes se marient au peuplier. S’attachant à cet époux et le pressant de leurs bras, elles montent le long des branches, auxquelles elles se nouent et parviennent jusqu’à la tige.

Il y a, suivant Varron, plusieurs espèces de vignobles : L’espèce rampante, qui n’a pas besoin d’échalas et qu’on rencontre en Espagne ; et l’espèce à haute tige, si commune en Italie, et dont les ceps sont isolés et maintenus en direction verticale par des échalas, ou assujettis ensemble par le haut à l’aide de traverses. C’est ce qu’on appelle marier la vigne. On emploie comme traverses, ou des perches, ou des roseaux, ou des cordes, ou la vigne elle-même. Le premier de ces moyens est en usage à Falerne, le second à Arpinum, le troisième à Brindes et le quatrième à Milan. On procède à cette opération par lignes directes ou par lignes croisées. Cette dernière manière est la plus ordinaire en Italie.

Les agronomes anciens s’étendent longuement sur la vendange et les soins qu’elle réclamé. Quand tu auras cueilli tous les raisins, dit le vieil Hésiode, apporte-les dans ta demeure, expose-les au soleil dix jours et dix nuits. Conserve-les à l’ombre pendant cinq jours, et le sixième, renferme dans les vases les présents, du joyeux Bacchus.

Caton s’inquiète surtout des préparatifs : Au moment de la vendange, dit-il, prenez toutes les dispositions nécessaires : faites laver les vases, enduire de poix les fûts et autres ustensiles ; pendant les jours pluvieux, on préparera et on raccommodera les corbeilles. Coupez les raisins demi-mûrs pour faire du vin précoce, qui servira de boisson aux ouvriers lorsque le moment en sera venu. Distribuez dans les futailles tout le raisin intact et sec que vous aurez coupé chaque jour.

Varron donne aussi quelques détails sur le même sujet : On doit commencer, dit-il, par le côté du vignoble le plus exposé au soleil. On fait ensuite un triage du raisin à manger en grappe et de celui dont on fait du vin. Le premier choix va droit au pressoir et de là au tonneau. Le raisin de table est mis à part dans des paniers, puis renfermé dans des vases de terre qu’on dépose au fond d’une futaille où le marc est resté. On le garde aussi dans des amphores enduites de poix, que l’on descend au fond d’un réservoir d’eau ; ou bien on le fait sécher dans l’aire avant qu’il entre au garde-manger.

Hérodote dit que les Égyptiens boivent un vin qu’ils fabriquent avec de l’orge, car, ajoute-t-il, il n’y a point de vigne dans cette contrée. Cette assertion de l’historien grec concerne seulement la partie de l’Égypte qu’il avait visitée, car les monuments figurés prouvent que la vigne a été cultivée dès la plus haute antiquité dans la haute et la moyenne Égypte. La figure 65 représente une treille disposée en berceau.

Quand le raisin était cueilli, on portait au pressoir les corbeilles où on l’avait déposé (fig. 66 et 67). Plusieurs monuments montrent des faunes vignerons piétinant des grappes de raisin dans une cuve (fig. 68). Le procédé qui consiste à fouler le raisin avec les pieds est celui qui paraît avoir été le plus usité dans l’antiquité. C’est celui qu’on employait en Grèce et en Italie.

Les monuments égyptiens nous fournissent quelques détails plus circonstanciés sur la fabrication du vin. Dans la Thébaïde, par exemple, à mesure que les paniers étaient remplis de raisin, on les portait vers une auge plate dans laquelle était rassemblé le produit de la vendange. Des hommes disposés par groupes se tenaient debout dans l’auge pour fouler le raisin, dont ils exprimaient le jus en faisant avec leurs pieds des mouvements vifs et fréquents. Pour faciliter cette opération, les vignerons se tenaient à des cordes pendantes d’une traverse horizontale placée au-dessus de leurs têtes. Cette traverse était soutenue soit par des arbres comme nous le voyons dans la figure 69, soit par deux poteaux terminés en fourche, soit enfin par un système particulier, qu’on comprendra aisément en jetant un coup d’œil sur la figure 70. Aussitôt que le vin avait exprimé tout son jus, on le plaçait dans les amphores. Dans d’autres parties de l’Égypte, on se servait d’un procédé plus bizarre, qui est figuré dans les hypogées de Beni-Hassan. Le raisin, placé dans un sac, était pressé au moyen de deux bâtons fixés aux extrémités et tournés en sens contraire ; un vase placé au-dessous du sac recevait le jus qui en tombait, comme on le voit sur la figure 71.

Une peinture de Pompéi (fig. 72) nous montre aussi un pressoir à vin d’une espèce toute particulière, qui était probablement employé dans la Campanie. Ce pressoir est formé de deux piliers perpendiculaires et de deux traverses horizontales placées à la base et à l’extrémité supérieure, formant une espèce de cadre dans lequel sont trois autres traverses, dont la plus basse écrase le raisin. Des coins de bois sont mis entre chaque traverse mobile, et leur extrémité la plus grosse se trouve alternativement portée d’un côté ou de l’autre. Sur chacun des côtés un petit génie frappe à grands coups de maillet sur la tête des coins qui avancent ainsi entre les traverses et les forcent à presser les grappes placées au-dessous. Le vin coule à grands flots dans un vase, et un autre petit génie placé à côté fait cuire le vin, selon l’usage antique, en le remuant avec une spatule en bois.

Quand le raisin était écrasé, il fallait, porter quelque part le vin qu’on en avait extrait. Nous avons vu un peu plus haut, sur la figure 70, que les Égyptiens le mettaient aussitôt dans des amphores. Il fallait alors transporter les amphores à la maison, et ce transport s’effectuait par le procédé que nous voyons employé dans la figure 73.

Avant de mettre le vin dans les amphores, les Romains le mettaient dans un récipient d’une espèce particulière, qui était placé sur un chariot et qui est représenté sur une peinture de Pompéi. La figure 74 montre en effet une outre immense posée sur un brancard et supportée par quatre roues. La voiture est sans doute arrivée à destination, car deux hommes sont occupés à transporter dans des amphores le vin contenu dans la grande outre ; il s’écoule par un tuyau de cuir garni d’un robinet et qui est placé derrière la grande outre, dont il forme comme la queue. Sur le devant, le haut de l’outre se relève en forme de col allongé et fermé par une ligature : c’est par cet orifice que le vin avait été introduit. Pendant ce temps-là, les chevaux, à demi dételés, attendent paisiblement la fin de l’opération pour s’atteler de nouveau à l’outre devenue légère.

Horace nous indique comment il faut en user avec la précieuse liqueur : Puisque j’ai parlé de vin, sachez comment il faut le traiter. Un bon vin de Massique, exposé la nuit au vent frais d’un ciel serein, se dépouille admirablement de toute odeur irritante... Honte et malheur sur le malappris qui se sert encore de la chausse, oubliant que la maudite laine emporte à la fois et la lie et le bouquet de ce vin déshonoré.

Plus d’un dégustateur habile ajoute au gros vin de Sorrente un résidu des vins de Falerne ; il jette en même temps dans l’amphore, pour la clarifier, un jaune d’actif de pigeon qui entraîne aussitôt le résidu au fond du vase et le dégage de toutes ses impuretés.

Quel plaisir trouves-tu donc, Tucca, à mêler de la piquette au vieux Falerne ? dit aussi Martial. Quel bien t’ont donc fait les vins les plus détestables ? ou quel mal t’ont fait les meilleurs ? On te pardonnerait de nous assassiner, mais assassiner ce Falerne et joindre un cruel poison au vin de la Campanie, c’est un abominable forfait. Tes convives ont pu mériter la mort, mais une si précieuse amphore ne la méritait pas.

 

L’OLIVIER. — La mythologie nous enseigne que ce fut Minerve qui enseigna aux Athéniens l’art de cultiver l’olivier ; on peut en conclure que cette culture était fort ancienne en Attique. Voici ce que Pline le Naturaliste nous apprend au sujet de l’olivier : Théophraste, dit-il, l’un des plus célèbres auteurs de la Grèce, a écrit, vers l’an 440 de Rome, que l’olivier ne croissait pas au delà de quarante milles de la mer. Fénestella, de son côté, assure que, sous le règne de Tarquin l’Ancien, l’an de Rome 173, cet arbre n’existait ni en Italie, ni en Espagne, ni en Afrique. Aujourd’hui, l’olivier a franchi même les Alpes ; il est parvenu jusqu’au centre des Gaules et des Espagnes. Il est certain que l’an 505, sous le consulat de L. Junius et d’Appius Claudius, petit-fils de Caïus, les douze livres d’huile se vendaient un as. L’an 680, M. Seïus, fils de Lucius, édile curule, fournit au peuple romain les dix livres d’huile à un as pendant toute l’année. On en sera moins étonné quand on saura que, vingt-deux ans après, sous le troisième consulat de Pompée, les provinces furent approvisionnées d’huile par l’Italie. Hésiode, qui plaçait l’agriculture au premier rang des sciences utiles, affirme que jamais l’homme qui a planté un olivier n’en a recueilli le fruit, tant cet arbre est lent à croître ! Aujourd’hui, nous formons des pépinières d’oliviers, et lès plants qu’on en tire produisent dès la seconde année.

Varron nous apprend que quand l’olive se trouve à portée et qu’on peut y atteindre sans le secours d’une échelle, il vaut mieux la cueillir que la gauler, parce que, dit-il, l’olive froissée se dessèche et rend moins d’huile. Nous voyons néanmoins, par les monuments, qu’on employait indistinctement les deux procédés, car la figure 75 représente là cueillette des olives faite par deux personnages assis qui prennent e fruit avec leurs mains, tandis que sur la figure 76 nous voyons deux cultivateurs qui font tomber avec la gaule les fruits qu’un troisième ramasse quand ils sont à terre.

Le vieux Caton fait au sujet de la récolte des olives quelques recommandations : Cueillez l’olive aussitôt qu’elle est mûre et ne la laissez que le moins possible sur la terre et sur le plancher, car elle y pourrit. Ceux qui font la récolte désirent qu’il y ait beaucoup d’olives tombées, afin d’aller plus vite en besogne. Les pressureurs souhaitent qu’elles séjournent longtemps sur le plancher, afin qu’elles blettissent et s’expriment avec plus de facilité..... L’olive qui a séjourné longtemps sur la terre ou sur le plancher donne une huile moins abondante et moins délicate.

Quand l’huile était sortie du pressoir, on employait pour la mettre dans les amphores le même procédé qu’on employait pour le vin (fig. 77). Toutefois les amphores à huile que nous voyons sur les monuments égyptiens n’ont pas tout à fait la même forme que celles qui contenaient du vin ; elles étaient assez généralement aplaties à la base (fig. 78, 79 et 80).

Notons également que l’huile dont se servaient les Égyptiens n’était pas la même que celle qu’employaient les Grecs et les Romains, attendu qu’elle n’était pas faite avec des olives ; il n’est même pas certain que l’olivier ait jamais été cultivé en Égypte. Hérodote nous donne quelques détails sur la plante dont on se servait pour avoir de l’huile : Les Égyptiens qui habitent dans les marais se servent d’une huile exprimée du fruit du sillicyprion ; ils l’appellent kiki. Voici comment ils la font ils sèment sur les bords des différentes branches du fleuve et sur ceux des étangs du sillicyprion. En Grèce, cette plante vient d’elle-même et sans culture ; en Égypte, on la sème, et elle porte une grande quantité de fruits d’une odeur forte. Lorsqu’on les a recueillis, les uns les broient et en retirent l’huile par expression, les autres les font bouillir après les avoir fait rôtir ; l’huile se détache et on la ramasse. C’est une liqueur grasse qui n’est pas moins bonne pour les lampes que l’huile d’olive ; mais elle a une odeur forte et désagréable.

 

LES VERGERS. — Columelle donne des renseignements assez précis sur la culture des arbres fruitiers dans l’antiquité : Faites des fossés, dit-il, un an avant de disposer les arbres fruitiers ; plus vous les ferez larges et ouverts, plus les fruits que vous recueillerez seront beaux et abondants. Ces fossés auront la forme des fours, dont le fond, est plus large que l’ouverture, afin que les racines puissent s’étendre davantage et que l’ouverture étant étroite, le froid de l’hiver et la chaleur de l’été y pénètrent plus difficilement. Plantez les arbres à de grands intervalles, afin qu’en grandissant ils trouvent un espace suffisant pour étendre leurs rameaux. En effet, si vous les plantez trop prés les uns des autres, vous ne pourrez rien semer au-dessous, et ces arbres eux-mêmes ne seront guère productifs, à moins que vous ne les éclaircissiez.

La plupart des arbres fruitiers que nous cultivons aujourd’hui étaient connus des anciens. Le cerisier, le pêcher, le pommier, le poirier, mais surtout, le figuier, le grenadier, l’amandier, etc., ont occupé tour à tour les agronomes anciens, qui ont donné sur la culture de ces arbres une foule de détails qui ne peuvent trouver leur place ici. La figure 81 représente la récolte des fruits dans un verger.

Les hommes de l’âge héroïque ne connaissaient pas ce que nous appelons aujourd’hui les jardins d’agrément. Un jardin était toujours planté d’arbres fruitiers. Homère nous a donné dans l’Odyssée une description du jardin d’Alcinoüs. Non loin de la cour et des portes du palais, dit-il, est un jardin entouré d’une haie vive. Là s’élèvent de grands arbres d’une végétation vigoureuse, des poiriers, des grenadiers, des orangers, des figuiers d’une rare espèce et des oliviers toujours verts. Ces arbres ne manquent jamais de donner des fruits, ni l’hiver, ni l’été. Sans cesse au souffle du zéphyr, quand les uns commencent à pousser les autres sont déjà mûrs. La poire est remplacée par une poire nouvelle, l’orange succède à l’orange, la grappe fait place à d’autres grappes et la figue nouvelle parait à côté de la figue qu’on va cueillir. Dans une même vigne chargée de raisins, les uns mûrissent aux rayons du soleil, on vendange les autres, d’autres sont foulés dans le pressoir. On voit des grappes en fleurs près de celles qui sont déjà remplies d’un jus délicieux. A la suite de cette vigne, un potager soigneusement cultivé fournit chaque saison des légumes de toute espèce. Là sont aussi deux fontaines ; l’une, par mille canaux, arrose le verger, et l’autre répand ses eaux près des portes du palais, dans un bassin spacieux où viennent puiser les citoyens de la ville.

Si le poète fait régner en ce lieu un printemps perpétuel, on n’en peut pas moins conclure de sa description que c’est principalement au point de vue du rapport et de l’utilité qu’on faisait les jardins à cette époque.

Une petite invocation à Priape, le dieu des jardins, puisée dans l’Anthologie grecque, donne une énumération des fruits qu’on cultivait le plus généralement : Une grenade avec son enveloppe dorée, des figues dont la peau se ride, une grappe de raisin aux grains rosés, une pomme parfumée avec son léger duvet, une noix sortant de son écale verte, un concombre velouté couché à terre sur des feuilles, une olive presque déjà mûre dans sa tunique d’or, voilà ce que t’offre, ô Priape, le jardinier Lamon, en invoquant, pour ses arbres et pour lui, la force et la santé.

Quand les fruits étaient cueillis, on les déposait dans le fruitier, dont Varron explique la disposition : Quand on veut faire construire un fruitier, il faut avoir soin d’en ouvrir les fenêtres au nord et de laisser un libre accès aux vents qui soufflent de ce côté. Il importe toutefois de les garnir de volets, car le vent continu finit par ôter aux fruits leur suc et les rendre insipides. Pour plus de fraîcheur encore, on recouvre en stuc les voûtes, les murailles et même les planchers de ces fruiteries.

 

LA GREFFE DES ARBRES. — Columelle donne les renseignements suivants sur l’emploi de la greffe dans les métairies romaines : On peut greffer tel rejeton qu’on veut sur quelque arbre que ce soit, pourvu que l’écorce du rejeton ne soit pas différente de celle de l’arbre ; on peut le faire sans scrupule, si l’espèce à laquelle appartient le rejeton produit des fruits dans le même temps que l’arbre greffé. Les anciens nous ont enseigné trois espèces de greffe : l’une par laquelle l’arbre étant coupé et fendu reçoit dans l’intérieur de son bois des scions coupés sur un autre arbre ; la seconde, par laquelle l’arbre reçoit la greffe entre son écorce et son bois : ces deux sortes de greffe se font dans le printemps. La troisième est celle par laquelle l’arbre à greffer reçoit entre l’écorce et le bois des bourgeons avec une petite partie de leur écorce. Cette façon de greffer, que les cultivateurs appellent enter en écusson (emplastration) se fait en été.