LES PÊCHEURS. - LES ENGINS DE LA PÊCHE. - LES VIVIERS. LES PÊCHEURS. — La pêche a été, comme la chasse, un moyen d’alimentation pour les premiers hommes, et, si on en voulait rechercher l’origine, il faudrait sans doute remonter aussi haut que l’espèce humaine. Les tribus, qui sont plus tard devenues les cités, s’établissaient au bord des rivières. Les plus anciennes civilisations se sont développées au bord des fleuves, où les hommes trouvaient plus de facilités qu’ailleurs pour s’alimenter. Le Nil était extrêmement poissonneux, et quand il débordait, les habitants des villages bénéficiaient du poisson qu’il laissait partout, en même temps que son limon fécondait le sol. En effet, les canaux, les viviers, les étangs, étaient organisés pour garder le poisson que le fleuve avait amené, parce qu’on fermait toutes les issues après l’inondation. Il y avait partout des poissonneries dont le revenu était énorme. L’Égypte faisait une consommation très considérable de poissons, car, outre celui qu’on servait journellement à table, il en fallait des provisions pour l’alimentation des animaux sacrés conservés dans les temples, qui possédaient pour cet usage de vastes réservoirs. La Grèce n’a pas de grands fleuves, mais elle a des îles et des côtes profondément dentelées. La pêche y était abondante, et une foule de malheureux trouvaient en elle un moyen de subsistance assuré. Il y a eu des populations entières qui ne vivaient que de
poissons. Diodore de Sicile cite les ichthyophages, qui habitaient au bord de
la mer Rouge, et il donne sur eux les renseignements suivants : Leurs habitations, dit-il, sont
établies dans le voisinage de la mer, dans des rochers remplis de cavernes,
de précipices et de défilés, communiquant entre eux par des passages
tortueux. Ils ont tiré parti de ces dispositions de la côte, enfermant avec
des quartiers de roche toutes les issues de leurs cavernes, dans lesquelles
les poissons sont pris comme dans un filet. Car, à la marée montante qui
arrive deux fois par jour, la mer recouvre tous les rochers de la côte et les
flots portent avec eux une immense quantité de poissons de toute espèce, qui
s’arrêtent sur le rivage et s’engagent dans les cavités des rochers où ils
s Une statue du Vatican, dont il existe des variantes dans diverses collections, nous montre un vieux pêcheur debout et tenant un panier ou un pot dans sa main gauche. Il est entièrement nu, sauf une petite draperie serrée autour des reins qui ne cache guère les parties viriles et qu’on croit avoir été destinée à serrer le ventre et peut-être à contenir de petits objets à l’usage des pêcheurs (fig. 19). Quant à l’habitation des pêcheurs ; Théocrite l’a décrite dans une de ses idylles : Dans une cabane, dont le toit était de jonc et le mur de feuillage, deux vieux pêcheurs étaient couchés sur un lit d’algues desséchées. Autour d’eux étaient épars les instruments de leurs rudes travaux, des paniers, des lignes, des hameçons, des filets encore couverts de mousse des lacets des nasses d’osier, une outre et une vieille barque posée sur des rouleaux ; une natte de jonc, leurs habits et leurs bonnets antiques formaient un oreiller sous leurs têtes. Tels étaient les outils, telles étaient les richesses des deux pêcheurs. Pas un vase, pas même un chien fidèle. LES ENGINS DE LA PÊCHE. — Les outils dont se sert le pêcheur sont décrits dans plusieurs pièces de l’Anthologie grecque : Un hameçon bien recourbé, de longues perches, une ligne, les paniers où l’on met les poissons, cette nasse, invention des laborieux pêcheurs, un rude trident, arme neptunienne, et les paires de rames de ses bateaux, le pêcheur Diophante les a offerts et consacrés au dieu de la pêche, comme il le devait en souvenir du métier qu’il exerça longtemps. Voici une autre pièce de l’Anthologie ; celle-ci a trait à une offrande faite par un vieux pêcheur qui lie peut plus travailler : Des roseaux attachés bout à bout, la rame qui fend les flots, des hameçons aux pointes perçantes, un plomb et sa corde, le liège indicateur de la nasse, deux paniers suspendus à sa corde de jonc, la pierre d’où jaillit l’étincelle, et une ancre, appui des :vaisseaux dans la tourmente, voilà l’offrande consacrée à Mercure par Pison le pêcheur, dont la main tremble et que ses travaux ont épuisé.
D’après Hérodote, c’est à l’aide du hameçon qu’on s’emparait du crocodile : Il y a, dit l’historien grec, différentes manières de prendre le crocodile. Je ne parlerai que de celle qui me paraît mériter le plus d’être rapportée. On attache une partie du dos d’un porc à un hameçon, qu’on laisse aller au milieu du fleuve afin d’amorcer le crocodile. On se place sur le bord de la rivière et l’on prend un cochon de lait en vie qu’on bat pour le faire crier. Le crocodile s’approche du côté où il entend ces cris, et rencontrant en chemin le morceau de porc, il l’avale. Le pêcheur le tire à lui, et la première chose qu’il fait après l’avoir mis à terre, c’est de lui couvrir les yeux de fange. Par ce moyen, il en vient facilement à bout ; autrement il aurait beaucoup de peine. Le trident, qui est devenu l’emblème de Neptune, était à l’origine un instrument de pêche qui paraît même avoir été assez fréquemment employé dans l’antiquité. Le trident était une espèce de fourche à trois dents, quelquefois ces fourches n’avaient que deux dents et on les appelle alors bidents. La manière de s’en servir était d’ailleurs exactement la même. Les Égyptiens employaient le bident pour prendre certains poissons d’un assez fort volume qu’il fallait saisir au passage dans le moment où ils remontaient le fleuve. Ce genre de pêche, qui demandait beaucoup de temps et d’adresse, devait être par cela même peu lucratif, et il est probable que le peuple ne s’y adonnait guère. Aussi, la figure qui nous montre la pêche au bident représente un personnage dont le rang élevé est caractérisé par son énorme stature (fig. 22).
C’est toujours à l’Égypte qu’il faut s’adresser pour trouver les plus anciens types des instruments dont nous nous servons. Pour les filets de la pèche, notamment, les Grecs et les Romains ont apporté bien peu de modifications à ceux dont se servaient les Égyptiens. Ceux-ci en employaient d’ailleurs de plusieurs sortes. Les plus grands étaient de forme oblongue avec des montants en bois, et un morceau de plomb était placé au fond. Quelquefois le filet était lancé d’un bateau ; mais les monuments représentent bien plus souvent des pêcheurs placés sur le rivage et tirant avec effort des cordes attachées au bout d’un grand filet. Pour prendre le poisson dans les eaux peu profondes, on se servait d’un filet beaucoup plus petit et qui pouvait être manié par un homme seul. Ceux-là étaient garnis de chaque côté d’une perche, et le pêcheur en tenait une dans chaque main. Il épiait ainsi le moment où les petits poissons traversent l’eau en troupes nombreuses et le lançait alors pour prendre une grande quantité de poissons à la fois. Les Grecs et les Romains étaient très grands amateurs de poissons, et la pêche au filet s’exerçait sur une très grande échelle pour satisfaire ce goût, qui devenait parfois extrêmement dispendieux, comme le prouve l’histoire suivante racontée par Pline : Asinius Celer, personnage consulaire, grand amateur de rougets, en acheta un sous le règne de Caligula, au prix de 8.000 sesterces (1.168 francs). Cette prodigalité reporte la pensée sur ceux qui, dans leurs doléances sur le luxe, se plaignaient qu’un cuisinier coûtât plus cher qu’un cheval. Mais aujourd’hui un poisson coûte le prix d’un cuisinier, un cuisinier le prix d’un triomphe. Maintenant, il n’y a guère d’homme plus estimé que celui qui sait le mieux ruiner son maître. Licinius Mucianus a rapporté qu’un rouget de 80 livres avait été pris dans la mer Rouge. Combien nos gastronomes l’auraient-ils payé s’il avait été pêché dans la mer qui baigne nos villas suburbaines ? Horace, qui avait assurément quelque droit à être rangé parmi les gourmets, a raillé les faux connaisseurs qui estiment le poisson en proportion de sa rareté ou de sa dimension inusitée : Et ce loup de mer à la gueule béante, es-tu de ces délicats qui discernent à coup sûr s’il a été pêché dans le Tibre ou dans la mer, à l’embouchure de la rivière, ou bien entre les deux ponts ! Maladroit ! Tu fais cas d’un barbeau de trois, livres et n’en peux tâter sans le mettre en pièces. Que tu es bien la dupe de l’apparence... Un gros barbeau, mais un petit bar, voilà ta fête, justement parce que les petits bars sont aussi rares que les barbeaux de trois livres. Heureusement l’estomac à jeun n’y met pas tant de recherche. La gourmandise des Romains dépassait toutes bornes, et il n’est pas d’extravagance dont un homme riche ne fût capable pour satisfaire sa passion pour les mets extraordinaires. On peut en juger par cette autre histoire que nous empruntons à Athénée : Il y avait à Rome, dit-il, sous l’empereur Tibère, un homme voluptueux et très riche, nommé Apicius. C’est de son nom que plusieurs sortes de gâteaux ont été appelés apiciens. Son ventre lui coûtait par an des sommes énormes. Il demeurait ordinairement à Minturnes, ville de Campanie, où il mangeait des squilles qu’il payait fort cher. On en. pêche là de si grosses que ni celles de Smyrne, ni les écrevisses d’Alexandrie n’en approchent pas. On lui dit un jour qu’on pêchait des squilles monstrueuses en Afrique ; il s’embarque sans tarder d’un seul jour. Après avoir essuyé une furieuse tempête, il arrive à la côte où le bruit de son voyage l’avait déjà devancé. Avant qu’il ait mis pied à terre, les pêcheurs viennent à son bord, lui apportent ce qu’ils ont de plus beau. — N’en avez-vous pas de plus grosses ? leur dit-il. — Non, il ne s’en pêche pas de plus belles que celles que nous apportons. Se rappelant aussitôt les squilles de Minturnes, il ordonne à son pilote de retourner en Italie, sans approcher davantage de la côté où ils étaient...
LES VIVIERS. — Certaines côtes, notamment du côté de l’Égypte, étaient si poissonneuses que les habitants y créèrent des étangs artificiels, qui donnèrent probablement aux Romains l’idée de leurs viviers. Diodore nous a transmis sur ce sujet quelques détails intéressants : Sur le rivage du golfe Arabique (mer Rouge), dit-il, la pêche est si abondante que les habitants peuvent à peine consommer tous les poissons qu’ils prennent. Ils placent, le long des bords de la mer, un grand nombre de roseaux tellement rapprochés et entrelacés, qu’on les prendrait pour un filet tendu. Dans cette espèce de palissade sont pratiquées, à de courtes distances, des portes de treillage qui, munies de gonds, tournent facilement dans les deux sens. Les flots envahissant, à la marée montante, le rivage, ouvrent ces portes et les referment pendant le reflux. Ainsi, tous les jours, au moment de la marée, les poissons, arrivant avec le courant, passent par ces portes et sont retentis dans ce filet de roseaux, lorsque les eaux s’écoulent. Aussi, y voit-on quelquefois des monceaux de poissons palpitants que ramassent avec soin ceux qui se livrent à cette industrie ; ils en retirent des vivres abondants et de grands profits. Comme le pays est plat et très bas, quelques habitants creusent des fossés de plusieurs stades de longueur, depuis la mer jusqu’à leurs demeures. Aux extrémités, ils placent des portés d’osier qu’ils ouvrent à marée haute et qu’ils ferment à la marée basse. Les eaux de la mer se retirent et les poissons restent dans ces fossés, où on les conserve pour les consommer selon les besoins des habitants. Varron nous donne sur les viviers les renseignements que voici : On distingue deux espèces de viviers, les viviers d’eau douce et ceux d’eau salée. Les premiers, formant chez les gens du peuple et dans les fermes ordinaires une industrie assez lucrative, ne sont alimentés que par l’eau que fournissent les Nymphes. Les viviers d’eau salée, au contraire, sont créés par les nobles, pour le faste plus que pour l’utilité. C’est Neptune qui y apporte de l’eau et des poissons. Ils contribuent à vider la bourse du maître, plutôt qu’à la remplir Lucullus avait fait ouvrir une montagne près de Naples, dans le seul but d’introduire dans ses viviers l’eau de la mer, que chaque marée y apportait et remportait. Sa passion pour ses viviers de Baïes était portée à ce point qu’il avait donné carte blanche à son architecte pour la construction d’un canal souterrain communiquant de ses viviers à la mer, afin que la marée, au moyen d’une écluse, pût, deux fois par jour, depuis le premier quartier jusqu’à la nouvelle lune, y entrer et en sortir après les avoir rafraîchis. Les Romains avaient également des parcs d’huîtres. Voici ce qu’en dit Pline le Naturaliste : Les parcs d’huîtres ont été établis pour la première fois par Sergius Orata à Baïes, du temps de l’orateur L. Crassus, avant la guerre des Marses, et il les établit non dans un but gastronomique, mais pour gagner de l’argent. Il fut encore le premier à donner la prééminence aux huîtres du lac Lucrin ; car les mêmes espèces d’animaux aquatiques sont meilleures en certains lieux que dans d’autres, par exemple le turbot de Ravenne, la murène de Sicile, Pélops de Rhodes, et ainsi du reste, pour ne pas dresser ici une liste culinaire. Les rivages de la Bretagne n’étaient pas encore asservis quand Sergius Orata faisait la réputation des huîtres du Lucrin ; plus tard on a jugé que c’était la peine d’aller chercher des huîtres à Brindes, au bout de l’Italie, et, pour qu’il n’y eût pas de rivalité entre les deux saveurs, on a imaginé récemment d’alimenter dans le lac Lucrin les huîtres de Brindes, affamées par ce long trajet. |