LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME II — LA FAMILLE DANS L’ANTIQUITÉ

L’HABITATION. — I. - L’HABITATION ÉGYPTIENNE

 

 

LA MAISON SOUS LES PHARAONS. - LES MEUBLES. - LES JARDINS. - LA MAISON SOUS LES PTOLÉMÉES.

 

LA MAISON SOUS LES PHARAONS. — Les premiers habitants de l’Égypte, dit Diodore de Sicile, se construisaient des habitations avec des roseaux. Les traces de cet usage se trouvent encore chez les pâtres égyptiens qui, même aujourd’hui, ne connaissent d’autres habitations que les cabanes de roseaux dont ils se contentent. Il est certain que, dans l’ancienne Égypte, non seulement les bergers, mais encore tout le menu peuple, habitait non pas de véritables maisons, mais de simples abris composés de quatre murs, avec un toit de branches de palmier épaissi avec de la terre glaise.

Ces anciennes demeures étaient, autant que possible, bâties sur un lieu un peu plus élevé que le reste de la plaine, afin d’éviter les inondations qui les auraient réduites en boue, et tout le talent du constructeur consistait à mêler les roseaux au limon assez habilement pour que celui-ci résistât à l’action envahissante des eaux. Toutefois, ces cabanes doivent avoir existé principalement dans la basse Égypte, car la vallée supérieure du Nil offrait, par les grottes naturelles percées dans le flanc des montagnes, de nombreux abris, qui ont dû être de très bonne heure imités artificiellement.

Dans la classe aisée, les maisons étaient bâties en briques crues, peintes de diverses couleurs. Mais, en Égypte, les maisons annonçaient rarement à l’extérieur une grande apparence de luxe.

Les auteurs de la tradition classique, dit M. Mariette, nous ont appris que les Égyptiens faisaient peu de cas des demeures qu’ils habitaient pendant la vie, et qu’au contraire ils entouraient de tous leurs soins les maisons éternelles où ils devaient reposer après leur mort. L’étude des monuments est d’accord avec le témoignage des écrivains grecs et latins. Les maisons des villes étaient petites, étroites, bâties en bois et briques crues ; les tombeaux ont bravé les siècles. Le mobilier funéraire répondait au luxe des tombes. Meubles, statues, stèles, amulettes, on entassait autour du mort tant d’objets divers que le fouilleur est quelquefois étonné. Au contraire, ce que nous connaissons des villes égyptiennes nous autorise à penser qu’il en était de ces villes comme de toutes les cités modernes de l’Orient, où la vie en plein air dispense la grande masse des habitants de cette recherche du luxe, qui est un des besoins de notre civilisation.

Cependant, les magnifiques meubles dont on trouve les représentations sur les peintures des hypogées semblent indiquer des palais souvent somptueux, et il devait y avoir, dans tous les cas, une grande richesse décorative dans certains intérieurs, car autrement ces meubles auraient fait un singulier effet. Ce que les auteurs anciens nous disent de l’extrême simplicité des maisons égyptiennes nous paraît devoir s’appliquer surtout à la façade.

Cette façade, quoique fort simple, n’est pas dépourvue d’élégance. La figure 572 nous en offre un modèle. On remarquera que l’ouverture des fenêtres affecte en général la forme d’une pyramide tronquée ; les volets ont deux battants. En haut de la maison, on voit une terrasse abritée par un toit léger que supportent de petites colonnes ; on allait là pour prendre le frais.

Quelquefois cette terrasse n’était pas couverte, et un système de ventilation était établi sur le toit qui est toujours plat. C’est ce que nous montre la figure 573 ; derrière la maison représentée sur cette figure, on voit apparaître des palmiers dont la hauteur dépasse celle du toit.

L’extérieur des maisons présente quelquefois un pavillon assez élevé, ayant de chaque côté un corps de bâtiment composé de deux galeries l’une sur l’autre. Ces galeries, soutenues par des piliers à chapiteaux, constituaient de véritables salles ouvertes, dans lesquelles la famille pouvait prendre le repas en plein air. Les portes étaient à un ou deux battants et tournaient sur des gonds de métal. On les fermait avec un verrou ou une barre transversale. Les fenêtres du rez-de-chaussée sont généralement grillées ; celles du premier étage sont fort petites et présentent deux vantaux de différentes couleurs, Chaque maison était accompagnée d’un grenier ouvert sur le côté et d’une terrasse découverte : il y a presque toujours un jardin qui montre des bosquets de verdure, des berceaux de vignes et des arbres fruitiers.

Le plan des maisons de ville et de campagne, dit M. Pierret, variait selon le caprice des constructeurs. Quelques-unes des premières comprenaient une série de chambres disposées sur les trois côtés d’une cour plantée d’arbres. D’autres consistaient en deux séries de chambres à gauche et à droite d’un corridor que précédait une cour donnant sur la rue ; d’autres en une série de chambres rayonnant autour d’une sorte d’impluvium pavé en pierres, avec quelques arbres, une tente ou une fontaine au milieu. Quelquefois, un escalier conduisait de la rue aux chambres. Parfois, plusieurs petites maisons étaient reliées ensemble, le long d’une rue, par une cour commune. Les habitations n’avaient, d’ordinaire, qu’un rez-de-chaussée surmonté d’un ou deux étages au plus, avec une galerie-terrasse pour la sieste. C’est au premier étage qu’on recevait et qu’on couchait. Les maisons des riches couvraient un large espace : quelques-unes donnaient directement sur la rue ou en étaient séparées par une courte allée. Quelques maisons, plus grandes, étaient isolées avec deux ou trois entrées, et précédées d’un portique que soutenaient deux colonnes ornées de bannerons ; de plus vastes portiques avaient une double rangée de colonnes alternant avec des statues. D’autres maisons avaient un escalier conduisant à une plate-forme élevée, avec une entrée entre deux pylônes, comme les temples ; une rangée d’arbres courait parallèlement au front de la maison.

C’est aux Égyptiens que les Grecs et les Romains ont emprunté les modèles de la plupart de leurs clefs, de leurs serrures et en général de toutes les fermetures. Une peinture de Thèbes, représentant une porte égyptienne, montre les deux verrous attachés à des battants séparés et, en haut comme en bas, se rencontrant en sens opposé. (Fig. 574.)

Les gonds des portes n’étaient pas exactement faits comme les nôtres. La porte s’ouvrait à l’aide d’un pivot, fixé en haut et en bas, de manière à tourner dans une crapaudine. Ce système, que la figure 575 explique suffisamment, remplaçait les charnières que nous plaçons sur le côté.

 

LES MEUBLES. — Les meubles en bois retrouvés en Égypte sont assez rares, mais on en voit de nombreuses représentations dans les peintures qui décorent les tombeaux, si riches en sujets de la vie privée. On voit des personnages des deux sexes réunis pour boire, manger ou écouter de la musique : quelques-uns sont assis sur des chaises de bois, ou des tabourets recouverts de riches tissus ; ces siéges portent sur des pieds d’animaux sculptés et dorés.

Les meubles en bois commun, dit Champollion-Figeac, en bois rares ou exotiques, en métaux ornés de dorures ou ciselés ; les étoffes unies, brochées, brodées, teintes et peintes, en lin, en coton ou en soie, produits des manufactures nationales ou étrangères, contribuaient à l’agrément des maisons égyptiennes et aux commodités de la vie intérieure. Les lits, garnis de matelas, avaient extérieurement la forme d’un lion, d’un chacal, d’un taureau ou d’un sphinx debout sur leurs quatre pieds ; la tête de quadrupède, plus élevée, servait de dossier pour le chevet, et l’imitation minutieuse de ses divers membres donnait l’occasion d’ajouter au bois, outre les couleurs, l’or et l’émail. On fabriquait avec le même soin les marchepieds, les lits de repos à dossier et à chevet, les divans, les canapés, les armoires à deux portes, les buffets, tablettes, cassettes et coffrets, et tous les objets de cette nature nécessaires au service d’une famille.

Les siéges que nous présentent les monuments figurés de l’Égypte peuvent se diviser en deux classes bien distinctes : ceux qui proviennent de la forme minérale ou géométrique, et ceux qui se rattachent à la forme animale. La caisse ou la pierre taillée en cube est la forme la plus simple et peut-être la plus ancienne. Un pavé cubique, sur lequel on pose un coussin pour le rendre plus doux, voilà le principe. On en trouve ainsi, dépourvu de toute espèce d’ornement, dans les nécropoles de Thèbes. Habituellement ils sont accompagnés d’un commencement de dossier fort bas ; la couverture pliée, qui sert de coussin, se relève légèrement à la partie postérieure du siège et passe par-dessus pour retomber en arrière un peu plus bas que la partie plate sur laquelle l’homme est assis.

Cette forme absolument élémentaire se maintient pourtant dans une époque plus avancée, ou du moins elle s’applique aux sièges sur lesquels reposent des grands personnages, aussi bien qu’à ceux des pauvres gens. Les Égyptiens se plaisaient à ces formes primordiales, qui ne se contournent jamais et expriment nettement leur destination. Quand le siége est destiné à des divinités ou à des personnages opulents, il se couvre d’une riche décoration, mais il reste absolument le même clans ses lignes générales. Les nécropoles de l’Égypte en fournissent de nombreux exemples dans les peintures qui les décorent.

Cette sorte de siége, nous l’avons dit, est une simple caisse dépourvue de ce que nous appelons les pieds (fig. 576). Mais elle est susceptible de se couvrir d’ornements, et nous la voyons en effet plus ou moins richement décorée suivant l’importance du personnage qui en use. Cette décoration consiste tantôt en petits carreaux, en losanges, en écailles de poissons, en fleurs de lotus, eu personnages. Tout le système ornemental des Égyptiens y passe. Nous devons noter cependant une subdivision très curieuse et qui revient très fréquemment : elle consiste à inscrire dans le carré formé par la caisse un autre carré qui en forme le quart. Soit que cette subdivision soit dépourvue d’ornements, soit qu’elle en soit chargée (fig. 577), elle est généralement apparente, et, dans ce dernier cas, le décor n’est pas le même dans le petit carré que dans le grand où il est inscrit. On voit pourtant des sièges qui n’ont pas cette subdivision, mais ils sont beaucoup moins fréquents sur les monuments (fig. 578).

La seconde espèce de chaise qu’on trouve dans les monuments égyptiens, et qui n’est, à vrai dire, qu’un diminutif des lits en usage dans le même pays, est empruntée à la forme animale. Consciencieux dans tout ce qu’ils font, les Égyptiens ont soin que les pieds de devant d’une chaise aient toujours la forme des membres antérieurs de l’animal, tandis que les pieds de derrière ressemblent aux membres postérieurs (fig. 579 à 580). Les siéges prennent par là une solidité apparente qui charme l’œil par la pondération des lignes : car la partie postérieure de la chaise étant destinée à supporter un poids très supérieur à l’autre partie, semble aussi plus solide, à cause de la cuisse de l’animal, qui est presque toujours très apparente et contribue à donner au meuble une tournure gracieuse.

On remarquera que le pied de devant de ces chaises se rejette légèrement en arrière par le bas, comme pour imiter la marche de l’animal. Le dossier, assez élevé, presque vertical dans sa partie postérieure et légèrement incliné clans sa partie antérieure pour faciliter le mouvement en arrière du dos. La figure 579 nous montre une variété de ce type, mais avec le dos plus renversé et le pied de devant tout droit. Dans cette figure comme dans la suivante, il est bon d’observer que le pied de la chaise ne porte pas directement sur la patte d’animal placé à la base, mais celle-ci est elle-même posée sur une espèce de petit socle.

La figure 581 appartient encore à la même espèce de chaise. Celle-ci représente un siége qui est garni de son coussin ; il a les pieds joints par une traverse et reposant directement sur le sol. Il y a aussi un rudiment de bras que nous n’avions pas trouvé aux précédents.

Nous avons remarqué que les chaises qui ont la forme d’une caisse sont presque toujours pourvues d’un dossier très bas. Il s’élève au contraire jusqu’à la hauteur de l’épaule dans celles qui ont des pattes d’animaux.

Nous signalerons en passant une espèce particulière de siége dont le type semble appartenir surtout à l’Éthiopie. Celui-ci affecte la forme d’un animal sur lequel on aurait en quelque sorte placé une selle de cheval. La tête de l’animal parait sur le devant et la queue se relève par derrière. La figure 582 nous en offre un exemple et on en retrouve plusieurs absolument semblables dans les monuments de la Nubie.

Tous les siéges dont nous venons de parler sont représentés sur des peintures égyptiennes, et la fréquente répétition des mêmes types permet d’affirmer que cette forme était fort en usage dans la demeure des souverains et des grands personnages pendant les XVIIIe et XIXe dynasties, c’est-à-dire à l’époque où l’on place généralement le départ des Israélites d’Égypte. Quelques meubles réels ont été aussi retrouvés dans les tombeaux ; ceux-ci sont probablement dune date plus récente. Leur décoration est dans tous les cas beaucoup moins riche et ce ne sont assurément pas des meubles royaux. Ils sont d’ailleurs d’une forme tout à fait différente et d’un aspect en général plus trapu, bien que quelques-uns d’entre eux reposent également sur des pattes d’animaux.

Nous avons au Louvre un curieux fauteuil orné d’incrustations en ivoire : il était pourvu d’un fond tressé dont on possède encore les débris. Il y a aussi divers fragments qui ont dû appartenir à des meubles extrêmement riches : on peut citer entre autres un bâton orné de cylindres en faïence bleue et en bois doré qui sont placés alternativement.

Le British Museum, si riche en antiquités égyptiennes, nous montre aussi plusieurs chaises ou fauteuils (fig. 583, 584 et 585). Il y a entre autres un siége en ébène rehaussé d’ornements en ivoire. D’autres chaises à dossier, d’un caractère plus massif, ont dû appartenir à des personnages moins opulents. On y rencontre aussi quelques véritables fauteuils pourvus de bras qui montent jusqu’àl’aissel1edupersonnageassis. Mais cette sorte de fauteuil à bras est loin d’être d’une allure aussi riche que les fauteuils bien rembourrés, que nous allons voir bientôt. Les fauteuils à bras, dit Champollion-Figeac, garnis et recouverts de riches étoffes, étaient ornés de sculptures très variées, religieuses ou historiques. Des figures de peuples vaincus soutenaient le siége comme symbole de leur servitude. Un tabouret était semblable pour l’étoffe et les ornements au fauteuil dont il était l’accessoire. Pour des sièges pliants en bois, les pieds avaient la forme du cou et de la tète du cygne. D’autres fauteuils étaient en bois de cèdre, incrustés d’ivoire et d’ébène, et les siéges en jonc solidement tressés.

Rien n’égale la richesse des fauteuils représentés dans les peintures qui décorent le tombeau de Ramsès III à Thèbes (fig. 586 à 589). Ce sont de grands et moelleux siéges recouverts d’un épais coussin décoré d’étoiles. Dans le fauteuil dont les pieds ont la forme d’un pliant, on voit des prisonniers qui donnent à la décoration un aspect étrange (fig. 586).

Ces prisonniers ont les coudes liés aux bras du pliant. Autour du cou, ils ont un cordon terminé par une fleur de lotus, la plante sacrée des Égyptiens. Au-dessous du siège et entre les deux bras supérieurs du pliant est une tête de sanglier vue de face.

Voici maintenant un fauteuil dont les pieds sont complètement droits et décorés d’ornements en écaille (fig. 587). Ces pieds ont la forme d’un gros cylindre et se rétrécissent par le bas. La base même du pied est une espèce de colonnette étroite posée sur un socle en forme d’escalier avec un chapiteau analogue. Des fleurs de lotus décorent l’espace compris entre les deux pieds du siège.

La figure 588 nous présente un fauteuil royal du même caractère que les précédents, mais dont les pieds reprennent les formes animales que nous avons signalées précédemment dans les sièges égyptiens. Ces deux pieds sont joints par des traverses et l’espace qui les sépare est, comme dans la figure précédente, enrichi de fleurs de lotus.

Ces fauteuils à coussins étoilés, qu’on voit représentés dans les tombes royales de Thèbes, peuvent nous donner une idée du luxe qui régnait à la cour des Pharaons : car tous ces meubles étaient à l’unisson, et la décoration de l’appartement était assurément du même style. Si l’on considère l’énorme antiquité de la civilisation égyptienne, et le degré de perfection où l’industrie était arrivée, à une époque qui marque pour nous le commencement de la période historique, on comprendra l’importance que l’Égypte a dû exercer sur les nations postérieures, et l’admiration qu’elle inspirait aux Grecs qui, au temps de la plus brillante époque de Thèbes, étaient encore plongés dans une barbarie complète. Quant à Rome, il n’en faut même pas parler ; sa fondation est postérieure de plusieurs siècles à l’époque où se fabriquaient les meubles que nous sommes en train d’examiner.

Les collections égyptiennes possèdent aussi des pliants et des tabourets. Les pliants dont les pieds sont formés de têtes d’oie comme on le voit (fig. 590) ne diffèrent pas sensiblement de ceux qui sont en usage chez nous. Les tabourets étaient généralement recouverts avec du cuir. On en faisait à quatre ou trois pieds. Les tabourets à quatre pieds sont souvent assez riches (fig. 591) : le montant, qui est toujours droit, est quelquefois en ébène incrusté d’ivoire ; souvent aussi, il est doré ou enrichi de faïences.

Les artisans de l’antiquité se servaient habituellement pour leur travail de tabourets à trois pieds, légèrement creusés, et d’une apparence rude et solide. Ces siéges grossiers, qui étaient à la fois un meuble et un instrument de travail, se transmettaient de père en fils et devaient servir à plusieurs générations. Leur usage remonte à la plus haute antiquité, puisque nous les trouvons en Égypte (fig. 592) ; on remarquera que les montants sont recourbés et non pas droits. La même forme de siège, avec de très légères variantes, était employée par les artisans grecs et romains.

Les peintures égyptiennes nous montrent assez fréquemment des lits funèbres, où l’on voit un mort attendant sa résurrection. Il est probable que ces lits ne différaient point essentiellement de ceux dont on faisait usage à la même époque pour dormir ou se reposer. Car, d’après les croyances des Égyptiens, le mort devait retrouver dans son tombeau les meubles dont il avait l’habitude de se servir lorsqu’il était sur la terre.

Le support des lits, soit en bois, soit en métal, imitait toujours à ses extrémités les formes d’un animal. C’était souvent un lion ; quelquefois les pieds de devant sont ceux d’un lion et ceux de derrière ceux d’une gazelle. La queue se relève assez souvent et on suppose qu’elle devait servir à accrocher quelque filet destiné à préserver le dormeur de la piqûre des mouches et des autres insectes si communs en Égypte (fig. 593).

Dans cette figure l’imitation de l’animal est aussi complète que possible. Au-dessous de l’oreiller, on voit le cou du lion qui se redresse et la tête forme le haut du support : aux pieds du lit, la jambe postérieure de l’animal est fortement rejetée en arrière pour exprimer la marche, et la queue se relève. Il est à remarquer que la plupart des lits égyptiens présentent une disposition contraire ; c’est-à-dire que le plus souvent l’oreiller porte sur la jambe de derrière de l’animal dont le membre antérieur se trouve au pied du lit. On peut voir cette disposition dans la figure 594.

Ici le coussin qui recouvre le lit retombe derrière le dossier. Par une disposition analogue à celle que nous avons déjà signalée pour les siéges, la patte d’animal qui forme le pied du lit repose, non pas directement sur le sol, mais sur un petit dé cubique.

Il y avait des lits qui étaient d’une hauteur suffisante pour qu’on fût obligé d’avoir un escabeau pour y monter : une peinture du tombeau des rois à Thèbes nous montre un de ces lits entièrement recouvert d’une housse bleue qui retombe par-dessus le rebord du lit. L’oreiller est placé au milieu et il est probable que lorsqu’on voulait s’étendre, on enlevait la housse placée à l’extrémité du lit pour y placer l’oreiller (fig. 595).

Sur une peinture du tombeau de Ramsès II à Thèbes, on voit un lit en forme de divan, dont la base, qui paraît être en bois, est décorée de figures jaunes se détachant sur un fond bleu clair. Le coussin est une étoffe violette enrichie d’étoiles brodées (fig. 596). Les pauvres se servaient comme lits de grandes nattes de jonc sur lesquelles ils s’étendaient.

La figure 597 nous montre un meuble d’une forme particulière qui pourrait être une table aussi bien qu’un lit. Il est pourvu de têtes de lions à ses angles et repose également sur des pieds d’animaux. Mais les tables de cette forme étaient fort peu usitées dans l’ancienne Égypte, et elles n’auraient guère pu servir que comme supports. Nous croyons plutôt qu’il faut voir là une espèce de lit de repos, sur lequel on posait probablement un coussin pour s’y étendre pendant les grandes chaleurs du jour.

 

LES TABLES. - Les tables dont se servaient les Égyptiens étaient de forme ovale ou rectangulaire et reposaient sur trois ou quatre pieds (fig. 598). Plusieurs de ces tables sont ornées de dessins ou d’hiéroglyphes. La plupart du temps elles étaient en bois ; néanmoins il y en avait aussi en métal, et même en pierre, ces dernières servant probablement de buffets destinés à demeurer dans un poste fixe.

En général, la table ne paraît pas avoir eu dans le mobilier égyptien l’importance qu’elle a acquise chez nous. Mais on voit aussi un assez grand nombre de petites tables rondes qui portent sur un pied unique. Ce sont ces petites tables sur lesquelles on posait les rafraîchissements et autres mets pendant les réunions de famille, ou même dans les festins (fig. 599). Leur exiguïté peut paraître singulière, mais elle tient à. la manière dont les Égyptiens prenaient leurs repas.

En effet, Athénée nous apprend que chez eux on ne dressait pas de table pour les repas, ruais que les plats étaient apportés à la ronde, à chacun des convives qui le tenait dans sa main. Cet usage singulier est confirmé par les monuments ; dans lesquels on ne voit jamais les convives attablés, tandis qu’on en voit fréquemment qui ont à la main une coupe ou un plat.

Ces petites tables rondes sont simplement formées d’un disque rond, portant sur un pied qui prend quelquefois la forme d’un captif, comme le montre la figure 600.

Les effets se resserraient dans des coffrets de différentes grandeurs. La plupart de ces coffrets sont pourvus d’un couvercle légèrement incliné et recourbé dans sa partie supérieure, sur laquelle était placé un bouton destiné à le soulever. La figure 601 nous montre un de ces coffrets, muni de son couvercle. C’est la forme qu’on trouve le plus souvent aux coffrets égyptiens, et elle est bien particulière à cette contrée, car on ne la rencontre chez aucun autre peuple de l’antiquité. La forme du couvercle et son inclinaison sont très caractéristiques. Quelquefois le couvercle se fermait en glissant dans une rainure pratiquée dans le coffre, comme on le voit sur beaucoup de nos boites à couleur ou de nos boites à jeu, mais plus souvent il s’enlevait simplement au lieu de glisser, et on le posait à terre quand on voulait prendre quelque chose dans le coffre (fig. 602). Quelques-uns avaient des pieds, mais d’autres en étaient dépourvus et reposaient simplement sur le sol.

Il y avait aussi des coffrets dont le couvercle était simplement plat et d’autres s’élevaient en formant un angle comme les toits penchés d’une maison. Dans ceux-ci, le couvercle était divisé en deux parties, dont une seule était susceptible de s’ouvrir, et était pour cela fixée au coffret par une espèce de charnière ou de gond, analogue à ceux dont on se servait pour ouvrir les portes des maisons.

La forme de ces coffrets rappelle de loin celle des temples grecs, au moins pour la conformation du toit ; les deux versants inclinés de manière à dessiner un angle obtus, font sur les petits côtés un véritable fronton.

La plupart des coffrets étaient ornés extérieurement par de la marqueterie ou des placages de bois précieux (fig. 603). Quelques-uns aussi étaient décorés de peintures. Ceux qui étaient destinés à des usages funéraires portaient ordinairement des inscriptions, ou bien étaient ornés de sujets religieux, qui représentent le plus souvent des offrandes faites à la divinité par les divers membres de la famille du défunt.

Plusieurs de ces coffrets ont été découverts à Thèbes, et l’un d’eux, qui est maintenant au British Museum, est particulièrement remarquable par la belle conservation des couleurs qui le décorent. Le coffret est d’ébène et enrichi à ses angles et sur le couvercle de petites plaques rouges et bleues alternant avec de l’ivoire.

Les pieds sur lesquels reposent les coffrets constituent ordinairement l’ornementation adoptée pour les angles. Cependant il y a des coffres posés sur de véritables tables avec la tête et les pattes du lion, et le haut est quelquefois décoré avec des oiseaux (fig. 604). Ceux-ci sont d’assez grands meubles, qui faisaient probablement dans l’appartement l’office de nos armoires.

Outre ces grands coffrets, il y en avait de beaucoup plus petits, servant généralement à resserrer des objets de toilette. Ceux-ci sont d’une forme extrêmement variée et leur décoration ornementale est en général très riche. Il y en a qui sont demi-circulaires et dont l’intérieur est divisé en plusieurs compartiments (fig. 605), d’autres qui ont la forme d’un étui, dont les deux parties sont insérées l’une dans l’autre. Des figures sont peintes sur quelques-uns, mais leur décoration reproduit plus habituellement les faisceaux de joncs et les feuillages qu’on voit sur les colonnes, ou bien tes feuilles de palmier ou de papyrus.

 

JARDINS. — Un vaste jardin, dit Champollion-Figeac, était une dépendance ordinaire d’une habitation égyptienne complète. Il était carré ; une palissade en bois formait sa clôture ; un côté longeait le Nil, ou un de ses canaux, et une rangée d’arbres taillés en cônes s’élevait entre le Nil et la palissade. L’entrée était de ce côté, et une double rangée de palmiers et d’arbres de forme pyramidale ombrageait une large allée qui régnait sur les quatre faces. Le milieu était occupé par une vaste tonne en treilles, et le reste du sol par des carrés garnis d’arbres et de fleurs, par quatre pièces d’eau régulièrement disposées, qu’habitaient aussi des oiseaux aquatiques ; par un petit pavillon à jour, espèce de siège ombragé ; enfin, au fond du jardin, entre le berceau de vignes et la grande allée, était un kiosque à plusieurs chambres : la première, fermée et éclairés par des balcons à balustres ; les trois autres, qui étaient à jour, renfermaient de l’eau, des fruits et des offrandes. Quelquefois ces kiosques étaient construits en rotondes à balustre surmontées d’une voûte surbaissée.

La figure 606 nous montre l’intérieur d’un jardin égyptien ; si tous n’étaient pas absolument pareils à celui-ci, ils s’en écartaient peu quant à l’ensemble, et un type analogue apparaît sur divers monuments.

Ce qui frappe tout d’abord dans cette peinture, c’est l’absence de perspective ; néanmoins on y voit clairement un grand bassin long en forme de canal, bordé de chaque côté par une rangée de palmiers. Tous les jardins étaient pourvus d’un bassin qui servait en même temps de vivier : les nombreux canaux d’irrigation, qui allaient porter partout les eaux du Nil, donnaient aux propriétaires une grande facilité pour avoir des pièces d’eau.

Les Égyptiens étaient passionnés pour les fleurs et ils ne se contentaient pas de celles qui poussaient naturellement dans leur pays, mais ils en faisaient encore venir des contrées lointaines. Aussi les plantes rares ou extraordinaires figurent parmi les tributs que les peuples vaincus apportent aux vainqueurs. C’est ainsi que la figure 607 nous montre un arbre exotique tout garni de ses feuilles et dont les racines sont enveloppées de terre et placée dans une espèce de caisse. Le tout mis dans une coiffe soigneusement suspendue par des cordes à une barre de bois portée par deux hommes. Il est donc certain que cet arbre était destiné à être replanté et acclimaté, sans doute, parce qu’on le considérait comme une plante utile ou curieuse.

 

LA MAISON SOUS LES PTOLÉMÉES. - La destruction ou, si l’on veut, la transformation d’Alexandrie, a été si complète, que les documents sur l’habitation égyptienne à l’époque ptolémaïque sont encore plus rares que ceux qui concernent la période pharaonique. A défaut de reproductions graphiques, nous aurons recours aux renseignements fournis par les auteurs, mais il faut d’abord rappeler que ce n’est pas le style égyptien proprement dit, hais le style grec de la période macédonienne qui a toujours prévalu à Alexandrie. Dans la fameuse fête qu’il donna à Alexandrie, Ptolémée Philométor fit construire un pavillon dont Athénée nous a laissé la description. On avait élevé, dit-il, sur les deux faces de la longueur, cinq colonnes de bois, hautes de cinquante coudées ; mais il y avait une colonne de moins sur la largeur. Sur ces colonnes étaient des architraves formant un carré qui soutenait toute la couverture de la salle proprement dite où l’on mangeait. On y avait tendu, au milieu, un ciel couleur pourpre, bordé d’une bande blanche : aux deux côtés, de droite et de gauche, s’élevaient de grosses pièces de bois couvertes d’une tenture chamarrée en blanc, représentant des tours. On avait tendu dans les intervalles de faux lambris peints. Quatre des colonnes avaient la forme d’un palmier et celles qui étaient dans les intervalles ressemblaient à un thyrse. En dehors de ces colonnes régnait sur trois côtés un péristyle qui formait avec les colonnes une galerie étroite et voûtée : c’est là que restaient les gens de ceux qui étaient admis aux festins, et le dedans était tout garni d’une tenture de couleur pourpre. On avait suspendu au milieu, dans les différents intervalles, des peaux d’animaux aussi singulières par leur variété qu’étonnantes par leur grandeur. En dehors et tout autour du péristyle, on avait placé en plein air des lauriers, des myrtes et autres arbres convenables aux circonstances et dont le feuillage formait une couverture continue. Tout le sol était jonché de fleurs odoriférantes que l’Égypte produit abondamment et en toute saison. Voilà pourquoi ce festin, fait au milieu de l’hiver, parut si extraordinaire aux étrangers. En effet on n’aurait jamais pu trouver dans une autre ville, pour faire des couronnes, toutes les fleurs qu’on fournit à foison aux convives et dont le sol du pavillon était jonché. Il y avait, sur les jambes de force qui soutenaient le pavillon, cent animaux en marbre, de la main des plus habiles artistes. Dans les intervalles on voyait des tableaux de l’école de Sicyone. On y avait aussi alternativement placé nombre d’autres objets choisis, des tuniques de drap d’or et des tentures les plus brillantes, dont quelques-unes représentaient dans leurs tissus même des figures de rois ; d’autres des sujets tirés de la fable. Au-dessus étaient rangés par ordre et alternativement des boucliers d’or et d’argent. On avait pratiqué, dans les parties supérieures, des enfoncements où étaient divers personnages de tragédie, de comédie, de pièces satiriques, revêtus des vrais habits convenables pour leurs rôles respectifs, de sorte qu’ils se trouvaient, sur chaque côté, vis-à-vis les uns des autres. Au milieu des autres côtés, on avait laissé des cavités pour y placer des trépieds de Delphes avec leurs supports. Des deux côtés du pavillon il y avait intérieurement cent lits d’or, à pieds de sphinx, couverts de tapis de pourpre en laine de la première qualité. Les soubassements de ces lits étaient d’un art et d’un goût exquis. Le sol des intervalles des lits était couvert de tapis de Perse dont le tissu représentait des animaux. Deux cents tables à trois pieds étaient dressées devant les convives, deux pour chaque lit, sur leur gradin qui était d’argent. Il y avait en vue, au fond de la salle, cent cuvettes d’argent avec leur aiguière. En face, on avait dressé une autre table pour poser les calices et tout ce qui était nécessaire pour le service. Or toutes ces choses étaient d’or et enrichies de pierreries d’un travail admirable. (Athénée).