LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME II — LA FAMILLE DANS L’ANTIQUITÉ

CONSTITUTION DE LA FAMILLE — XVIII. - LES BARBARES

 

 

LES GAULOIS. - LES GERMAINS. - LES DACES ET LES SARMATES. - LES SCYTHES.

 

LES GAULOIS. — Les Gaulois, dit Strabon, sont habillés de saies, ils laissent croître leurs cheveux et portent des anaxyrides ou braies larges et flottantes et, au lieu de tuniques, des blouses à manches qui leur descendent jusqu’au bas des reins. La laine dont ils se servent pour tisser ces épais savons est rude, mais très longue de poil... Presque tous les Gaulois, aujourd’hui encore, couchent sur la dure et prennent leurs repas assis sur de la paille. Ils se nourrissent de lait, de viandes de diverses sortes, mais surtout de viandes de porc fraîche ou salée... Les maisons des Gaulois, bâties en planches et en claies d’osier, sont spacieuses et ont la forme de rotondes ; une épaisse toiture de chaume les recouvre... A leur franchise, à leur fougue naturelle, les Gaulois joignent une grande légèreté et beaucoup de fanfaronnade, ainsi que la passion de la parure, car ils se couvrent de bijoux d’or, portent des colliers d’or autour du cou, des anneaux d’or autour des bras et des poignets, et leurs chefs s’habillent d’étoffes teintes de couleurs éclatantes et brochées d’or.

Les fouilles exécutées dans un assez grand nombre de tombeaux gaulois, confirment pleinement ce que disent les auteurs anciens du goût qu’avaient nos ancêtres pour la parure. On donne le nom de torques à des bijoux que les Gaulois portaient comme bracelets ou comme colliers. Les bracelets gaulois présentent quelquefois la forme d’une série d’anneaux de différentes grandeurs emboîtés les uns dans les autres. La figure 270 montre un de ces bracelets, qui a été découvert en Bretagne.

Les bijoux gaulois sont presque toujours de forme circulaire, et ils se composent assez souvent d’un certain nombre de fils d’or roulés en spirale. Le musée de Saint-Germain possède de beaux échantillons de ces bijoux en spirale dont la figure 271 nous offre un joli spécimen. Les émaux ont une assez grande importance dans la bijouterie gauloise, et nous aurons à parler plus loin des procédés employés pour leur fabrication. Mais on peut voir un exemple de leur emploi sur la figure 272, qui montre un torque gaulois découvert à Marsal en 1838. Les rosaces qui décorent ce bijou sont enrichies d’émaux avec une feuille d’or au milieu.

Nous n’avons pas à parler ici des armes, qui seront décrites dans un chapitre spécial. Jules César, qui en parle longuement dans sa Guerre des Gaules, nous donne, en passant, quelques renseignements intéressants sur les mœurs des Gaulois. Voici ce qu’il dit sur les habitudes conjugales : Autant les maris ont reçu d’argent de leurs épouses à titre de dot, autant ils mettent de leurs propres biens, après estimation faite, en communauté avec cette dot. On dresse conjointement un état de ce capital, et l’on en réserve les intérêts. Quelque époux qui survive, c’est à lui qu’appartient la part de l’un et de Vautre, avec les intérêts des années antérieures. Les hommes ont sur leurs femmes, comme sur leurs enfants, le droit de vie et de mort ; lorsqu’un père de famille de haute naissance meurt, ses proches s’assemblent, et s’ils ont quelque soupçon sur sa mort, les femmes sont mises à la question des esclaves ; si le crime est prouvé, on les fait périr par le feu et dans les plus horribles tourments.

Le même auteur ajoute un peu plus loin, à propos des cérémonies funèbres : Les funérailles, eu égard à la civilisation des Gaulois, sont magnifiques et somptueuses. Tout ce qu’on croit avoir été cher au défunt pendant sa vie, on le jette dans le bûcher, même les animaux ; et, il y a peu de temps encore, on brûlait avec lui les esclaves et les clients qu’on savait qu’il avait aimés, pour complément des honneurs qu’on lui rendait.

Selon plusieurs écrivains anciens, les Gaulois admettaient que l’homme pouvait, après sa mort, recommencer d’autres existences terrestres. Les Gaulois, dit Diodore de Sicile, ont fait prévaloir chez eux l’opinion de Pythagore, d’après laquelle les âmes des hommes sont immortelles, et chacune d’elles, s’introduisant dans un autre corps, revit pendant un nombre déterminé d’années. C’est pourquoi, pendant les funérailles, ils jettent dans le bûcher des lettres adressées à leurs parents décédés, comme si elles devaient être lues par les morts.

 

LES GERMAINS. — Les Germains, dit Tacite, ne bâtissent point de villes, ils ne souffrent même pas d’habitations réunies ; leurs demeures sont éparses, isolées, selon qu’une fontaine, un champ, un bocage ont déterminé leur choix. Leurs villages ne sont pas, comme les nôtres, formés d’édifices contigus : chacun laisse un espace vide autour de sa maison, soit pour prévenir le danger des incendies, soit par ignorance dans l’art de bâtir. Ils n’emploient ni pierres ni tuiles, ils se servent uniquement de bois brut, sans penser à la décoration ni à l’agrément (fig. 273). Toutefois ils enduisent certaines parties d’une terre fine et luisante dont les veines nuancées imitent la peinture. Ils se creusent aussi des souterrains qu’ils chargent en dessus d’une épaisse couche de fumier. C’est là qu’ils se retirent l’hiver et qu’ils déposent leurs grains. Ils y sentent moins la rigueur du froid, et si l’ennemi fait une incursion, il pille les lieux découverts, tandis que cette proie cachée sous la terre reste ignorée de lui ou le déroute par les recherches mêmes qu’il fait pour la trouver. Ils ont tous pour vêtements un sayon qu’ils attachent avec une agrafe ou, à défaut d’agrafe, avec une épine. A cela près, ils sont nus et passent les journées entières auprès de leur foyer. Les plus riches se distinguent par un habillement, non pas flottant comme chez les Sarmates et les Parthes, mais serré et qui marque toutes les formes (fig. 274). Ils portent aussi des peaux de bêtes, plus grossières vers le Rhin, plus recherchées dans l’intérieur, où le commerce ne fournit pas d’autre parure. Là, on choisit les animaux, et pour embellir leur dépouille on la parsème de taches et on la bigarre avec la peau des monstres que nourrissent les plages inconnues du plus lointain Océan. L’habillement des femmes ne diffère pas de celui des hommes, excepté qu’elles se couvrent le plus ordinairement de tissus de lin relevés par un mélange de pourpre, et que la partie supérieure de leur vêtement ne s’étend point pour former des manches : elles ont les bras nus jusqu’à l’épaule, leur sein même est en partie découvert.

Presque seuls entre les barbares, ils se contentent d’une femme, hormis un petit nombre de grands qui en prennent plusieurs, non par esprit de débauche, mais parce que plusieurs familles ambitionnent leur alliance. Ce n’est pas la femme, c’est le mari qui apporte la dot. Le père et la mère, ainsi que les proches, assistent à l’entrevue et agréent les présents. Ces présents ne sont point de ces frivolités qui charment les femmes, ni rien dont puisse se parer la nouvelle épouse. Ce sont des bœufs, un cheval tout bridé, un bouclier avec la framée et le glaive. En présentant ces dons, on reçoit une épouse. Elle, de son côté, donne aussi à l’époux quelques armes... Très peu d’adultères se commettent dans cette nation si nombreuse, et le châtiment, qui suit de près la faute, est abandonné au mari. On rase la coupable, et, en présence des parents, le mari la chasse de sa maison et la poursuit à coups de verges par toute la bourgade... L’enfance se ressemble dans toutes les maisons, et c’est au milieu d’une sale nudité que grandissent ces corps et ces membres dont la vue nous étonne. Chaque mère allaite elle-même ses enfants, et ne s’en décharge point sur des servantes et des nourrices. Le maître n’est pas élevé plus délicatement que l’esclave ; ils vivent au milieu des mêmes troupeaux, couchent sur la même terre jusqu’à ce que l’âge mette l’homme libre à sa place et que la vertu reconnaisse les siens... Boire des journées et des nuits entières n’est une honte pour personne. L’ivresse produit des querelles fréquentes qui se bornent rarement aux injures, presque toujours elles finissent par des blessures et des meurtres.

Nul faste dans leurs funérailles : seulement on observe de brûler avec un bois particulier le corps des hommes illustres. On n’entasse sur le bûcher ni étoffes ni parfums, on n’y met que les armes du mort ; quelquefois le cheval est brûlé avec son maître. On dresse pour tombeau un tertre de gazon ; ces pompeux monuments, que l’orgueil élève à grands frais, leur sembleraient peser sur la cendre des morts. Ils donnent peu de temps aux lamentations et aux larmes, beaucoup à la douleur et aux regrets : ils croient que c’est aux femmes de pleurer, aux hommes de se souvenir. Voilà ce que j’ai appris sur les mœurs des Germains. (Tacite, Mœurs des Germains.)

 

LES DACES ET LES SARMATES. — Les Daces habitaient les pays riverains du Danube et du Pruth ; les Sarmates occupaient les contrées qu’arrose la Vistule. Il est très difficile de distinguer entre eux ces peuples qui ont combattu ensemble les Romains et qui sont représentés sur les monuments d’une manière à peu près semblable. Ils étaient absolument inconnus des Romains avant la guerre que Trajan a entreprise contre eux, au commencement du IIe siècle de notre ère. Les colonnes Trajane et Antonine, ainsi que les arcs de triomphe dont les bas-reliefs retracent les victoires de l’empereur sur ces Barbares, fournissent quelques documents sur leur costume (fig. 275-276).

Nous les voyons couverts de larges pantalons descendant jusqu’à la cheville et quelquefois chaussés de gros souliers ferrés qui se nouent avec des cordons. Le haut du corps est assez souvent nu, mais plus souvent encore il est couvert d’une tunique en toile et d’un man eau jeté par-dessus (fig. 277-278). On en voit aussi qui portent une longue jupe reliée à une espèce de corsage, avec des manches descendant jusqu’au poignet. Leur bonnet a la forme d’un cône aplati.

La figure 279 représente des femmes et des enfants barbares faits prisonniers et implorant leur grâce de l’empereur. Le petit garçon, comme tous les Barbares, porte un pantalon et une tunique à manches sur laquelle est jeté un manteau. La femme et la petite fille ont aussi un long vêtement pourvu de manches, et la femme porte un grand voile sur la tête.

Strabon, en parlant des populations qui habitent les bords du Danube, nous fournit quelques renseignements curieux sur les mœurs qu’on leur attribuait de son temps. Suivant Posidonius, dit-il, ce sont des populations tranquilles et pieuses qui, par dévotion, s’abstiennent de rien manger qui ait eu vie et se privent, à cause de cela, de la chair même de leurs troupeaux, pour ne se nourrir que de miel, de lait et de fromage. Il existe, selon lui, chez tous ces peuples, des hommes qui se vouent au célibat et qui, revêtus par là comme d’un caractère sacré, sont honorés des populations et protégés contre toute insulte. Strabon conteste l’authenticité de ces récits, qu’il considère comme contraires au caractère bien connu des Thraces, des bêtes et de tous les peuples riverains du Danube. Voyez plutôt, dit-il, le portrait que Ménandre a tracé d’euxet évidemment il n’invente rien, il peint d’après nature — : Nous autres Thraces, tous tant que nous sommes, nous autres Gètes surtoutcar je suis Gète et je me fais gloire de mon origine —, nous ne sommes pas précisément des modèles de continence. Ce que le poète explique un peu plus bas en donnant de cet amour immodéré des femmes les exemples que voici : Chez nous, jamais on ne se marie à moins de dix, onze ou douze femmes, quand on n’en épouse pas davantage. Et si, par hasard, quelqu’un vient à mourir n’en ayant épousé que quatre ou cinq, savez-vous ce que disent les gens du pays ? Le pauvre homme ! mais il n’a point été marié ! Et bien d’autres témoignages, ajoute Strabon, confirment ce que dit ici Ménandre. Or, on l’avouera, il n’est guère vraisemblable que des peuples qui font consister le malheur de la vie à n’avoir pas un grand nombre de femmes, regardent en même temps comme l’homme vertueux, comme le juste par excellence, celui qui se voue au célibat. S’il était vrai d’ailleurs qu’aux yeux des Gètes, les plus fervents adorateurs de la divinité fussent précisément les hommes qui fuient le commerce des femmes, il y aurait là quelque chose de tout à fait contraire aux idées reçues partout, car c’est aux femmes généralement qu’on attribue l’initiative des pratiques religieuses, et ce sont bien elles en effet qui entraînent les hommes dans tous ces excès de zèle à l’égard des dieux, dans ces fêtes, dans ces prières et adorations perpétuelles, tandis qu’il est rare de voir un homme vivant seul se livrer à de semblables pratiques. (Strabon.)

Les figures 280 et 281 représentent des prisonniers barbares dont il est assez difficile de préciser la nationalité, leur costume n’ayant rien qui se rattache directement à un peuple déterminé ; mais comme elles sont tirées d’un monument élevé sous Théodose, on peut croire que ces personnages devaient habiter dans le voisinage du Danube ou sur les bords du Pont-Euxin.

 

LES SCYTHES. — Les monuments nous fournissent quelques renseignements sur les costumes des Scythes ; les Grecs avaient des colonies en Tauride (Crimée), et dans les fouilles exécutées dans cette contrée, on a retrouvé des vases avec des ciselures qui représentent les habitants du pays avec lesquels ils avaient établi des rapports. La figure 282 nous montre un Scythe en train d’arranger la corde de son arc. Son bonnet, qui retombe par derrière de manière à couvrir le cou, est pointu par le haut ; mais cette pointe ne se rabat pas en avant comme dans le bonnet phrygien. Il porte une tunique à manches collantes, serrée à la taille par une ceinture et un pantalon à larges bandes entrant dans des bottes qui montent jusqu’à mi-jambes. Le même costume se retrouve sur la figure 283, sauf qu’un des deux personnages a une coiffure différente : l’autre est pourvu d’un bouclier rectangulaire arrondi dans les angles.

On peut affirmer que, par-dessus les vêtements que nous voyons représentés sur les monuments, les Scythes portaient souvent une peau de bête en guise de manteau ; la rigueur du climat l’exigeait.

Voici d’ailleurs un passage d’Hérodote qui est significatif : Il parait que ces peuples sont des enchanteurs. En effet, s’il faut en croire les Scythes et les Grecs établis en Scythie, chaque homme se change une fois par an en loup pour quelques jours et reprend ensuite sa première forme. Mais les Scythes ont beau dire, ils ne me feront pas croire de pareils contes ; ce n’est pas qu’ils ne les soutiennent et même avec serment. On peut conclure de là que, dans le canton des Neures, dont Hérodote parle ici, on portait des peaux de loups pendant les grands froids et qu’on les quittait ensuite. Les peuplades voisines ont sans doute cru qu’ils devenaient de véritables loups et ont raconté cela aux Grecs de la Tauride.

La plupart des Scythes étaient nomades.

Hérodote nous donne les renseignements suivants sur leurs habitations et leur façon de vivre : Les Scythes sont, de tous les peuples que nous connaissions, ceux qui ont trouvé les moyens les plus sûrs pour conserver les avantages les plus précieux ; mais je ne vois chez eux rien autre chose à admirer. Ces avantages consistent à ne point laisser échapper ceux qui viennent les attaquer et à ne pouvoir pas être joints quand ils ne veulent pas l’être, car ils n’ont ni villes ni forteresses. Ils traînent avec eux leurs maisons ; ils sont habiles à tirer de l’arc étant à cheval. Ils ne vivent point des fruits du labourage, mais du bétail, et n’ont point d’autres maisons que leurs chariots. Comment de pareils peuples ne seraient-ils pas invincibles, et comment serait-il aisé de les joindre pour les combattre ? Ils ont imaginé ce genre de vie, tant parce que la Scythie y est très propre, que parce que leurs rivières la favorisent et leur servent de rempart. Leur pays est un pays de plaines, abondant en pâturages et bien arrosé ; il n’est, en effet, guère moins coupé de rivières que l’Égypte ne l’est de canaux. Telles étaient, suivant l’historien grec, les mœurs des Scythes, qui sont les ancêtres des Cosaques et des Tartares modernes.