LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME II — LA FAMILLE DANS L’ANTIQUITÉ

CONSTITUTION DE LA FAMILLE — XIII. - LE MARIAGE ROMAIN

 

 

LE MARIAGE PLÉBÉIEN. - LE MARIAGE PATRICIEN. - LES FIANÇAILLES. - LES ADIEUX À LA FAMILLE. - LES CHANTS D’HYMEN. - L’ARRIVÉE DU CORTÈGE. - LE RAPT.

 

LE MARIAGE PLÉBÉIEN. — Le mariage par coemption était le plus usité, parmi les plébéiens. Cette cérémonie est un contrat de vente simulé dans lequel les contractants se vendent l’un à l’autre. Les deux familles et cinq témoins, qui doivent être citoyens romains, se rendent devant le tribunal du préteur. On demande au père de la jeune fille s’il consent à ce qu’elle devienne mère de famille avec cet homme, et au futur s’il consent à ce que cette femme soit mère de famille avec lui. Sur leur réponse affirmative, ils échangent une petite pièce de monnaie ; ensuite l’époux prend un javelot et, avec la pointe qu’il lui promène sur la tête, il lui sépare les cheveux en deux parties. Cet usage bizarre est probablement un souvenir de l’enlèvement des Sabines. L’usage où l’on est à Rome, dit Plutarque, de séparer avec la pointe d’un javelot les cheveux de la nouvelle épouse, signifie que les premiers mariages des Romains furent faits par la violence et à la pointe de l’épée. En effet, aussitôt que le mari a exécuté le rite concernant la chevelure, il enlève sa femme, et la famille engage avec lui une lutte simulée dont l’issue est toujours la même.

 

LE MARIAGE PATRICIEN. — Le mode de mariage usité dans les grandes familles patriciennes est la confarréation ; cette forme de mariage, la plus solennelle, a lieu en présence de dix témoins, du grand pontife et du flamine Diale : les enfants qui en sont issus peuvent seuls aspirer aux hautes fonctions sacerdotales. C’est dans la maison du père de la jeune fille que la cérémonie a lieu : un bruit de faisceaux, qui retentit sur la porte, annonce l’arrivée du grand pontife et du flamine Diale. A leur arrivée, on les conduit au sacrarium ou autel sacré de la maison : les époux, la famille et les témoins les suivent. On ouvre le péristyle et la foule se range sous les portiques.

Alors les époux prennent place sur une chaise jumelle, que l’on a recouverte avec la peau d’une brebis ayant servi de victime. Le flamine place la main droite de la jeune fille dans celle du jeune homme et déclare que, désormais, elle participera au culte de son mari, aux choses saintes et à tous ses biens. Ensuite il offre en sacrifice à Junon, déesse qui préside aux mariages, un pain de froment préparé et apporté par la mariée, et fait une libation avec du vin miellé et du lait : puis on amène la victime, dont le fiel est jeté au pied de l’autel, pour rappeler que toute aigreur doit être bannie du mariage. C’est chez le père de la mariée que cette cérémonie a lieu.

Deux époux romains sont figurés sur un beau groupe antique de la collection Gustiniani : les deux personnages passent, mais sans preuves à l’appui, pour représenter Caracalla et Plautille. Ils se regardent en se donnant la main droite. L’homme a la main gauche sur l’épaule de sa femme qui tient la draperie de la même main (Fig. 214).

 

LES FIANÇAILLES. — La cérémonie des fiançailles avait ordinairement lien un an avant celle du mariage. Mais elle était quelquefois beaucoup plus rapprochée, et on ne consultait pour cela que la convenance des parties. Le futur remettait à sa fiancée un anneau de fer sans aucun ornement : cette simplicité avait pour but de rappeler le souvenir de la simplicité primitive. La jeune fille portait cet anneau au quatrième doigt, parce qu’on croyait que de ce doigt partait une veine qui se rendait au cœur.

A l’occasion des fiançailles, la jeune fille renonçait aux jouets de son enfance et déposait ses poupées sur l’autel des aïeux. Le futur époux lui faisait des cadeaux, parmi lesquels il y avait des bijoux emblématiques. C’est à cet usage qu’il faut attribuer les camées et les pierres gravées représentant la légende de l’Amour et Psyché. Le symbolisme de ces pierres est d’ailleurs facile à expliquer. La figure 215, par exemple, représente un Cupidon qui tire les cheveux d’une Psyché ; Psyché étant l’emblème de l’âme humaine, le camée signifie : mon âme est torturée par l’amour.

 

LES ADIEUX À LA FAMILLE. — Quand la cérémonie du mariage est terminée, il faut quitter la maison paternelle. Avant de prendre place en tête du cortège que précèdent les flambeaux, les époux se placent devant la mère de la jeune fille, le mari à droite, la fiancée à gauche, mais à une certaine distance l’un de l’autre. Alors la mère de la mariée se place entre eux, leur met la main sur l’épaule en leur disant de se rapprocher, et commande à sa fille de prendre la main droite de son époux.

A ce moment, trois jeunes garçons, issus de famille patricienne, et ayant encore leur père et leur mère, s’approchent de la mariée, qui aussitôt ramène son voile sur son visage, de manière à avoir la figure entièrement cachée. Deux des jeunes gens prennent la mariée par la main, en feignant de l’arracher des bras de sa mère, et le troisième se tient devant elle avec une torche d’épine blanche, signe du bonheur futur. Puis deux jeunes filles présentent à la mariée une quenouille garnie de laine avec un fuseau et une corbeille d’osier contenant divers objets pour les travaux en usage parmi les femmes. Aussitôt toutes les femmes présentes se mettent à crier le mot : talassio, mot qui est le nom d’un panier à mettre de la laine, pour rappeler à l’épouse ses devoirs de fileuse, et elles accompagnent leur cri d’un battement de main cadencé.

 

LES CHANTS D’HYMEN. — Durant tout le trajet entre la maison paternelle et la nouvelle demeure de l’épouse, la foule et les invités accompagnent le cortége en chantant des hymnes religieux. Il ne faut pas s’attendre à trouver dans ces chants la pudique retenue des sentiments chrétiens, mais il y a une saveur naïve qui nous fait bien comprendre les mœurs antiques.

C’est au moment où Vesper, l’étoile de Vénus, apparaît au ciel que la jeune fiancée quitte sa famille. Les chœurs de jeunes filles, alternant avec les jeunes garçons-, entonnent le chant nuptial, en l’honneur de la brillante étoile dont la lumière a donné le signal du départ :

Chœur des jeunes filles. — Vesper, est-il au ciel un astre plus cruel que toi ? tu ravis une fille aux embrassements de sa mère, de sa mère qu’elle retient vainement dans ses étreintes, et tu livres la chaste vierge à l’amant impétueux. Quelle violence plus cruelle commettrait l’ennemi dans une ville forcée ? Hymen, ô Hyménée ; viens, Hymen, ô Hyménée.

Chœur des jeunes gens. — Vesper, est-il au ciel un astre plus ravissant que toi ? tu sanctionnes par ta clarté l’alliance jurée et d’avance arrêtée entre les parents de l’époux, mais qui se consomme seulement quand a brillé ton flambeau. Quel bienfait des dieux est plus doux que l’heure fortunée de ton retour ? Hymen, ô Hyménée ; viens, Hymen, ô Hyménée.

Chœur des jeunes filles. — Vesper nous a enlevé une de nos compagnes... A ton lever, toujours la garde veille. La nuit protége les voleurs ; mais souvent à ton retour tu les décèles, quand tu reparais changeant de nom.

Chœur des jeunes gens. — Laisse, Vesper, ces jeunes filles feindre contre toi un courroux mensonger. Eh quoi ! si l’objet de leur courroux était aussi l’objet des vœux qu’elles prononcent plus bas ! hymen, ô Hyménée ; viens, Hymen, ô Hyménée. (Catulle, chant nuptial.)

Le refrain ô Hymen, à Hyménée se retrouve dans tous les chants qui ont trait au mariage. Le dieu Hymen a été personnifié ; mais il ne faut pas le confondre avec Cupidon, quoiqu’il ait comme lui les formes juvéniles et qu’ils portent quelquefois les mêmes attributs. Cupidon, le fils de Vénus, représente l’amour sous toutes ses formes et l’union des sexes, tandis que Hymen est le mariage chaste, le mariage qui a pour but la continuité de la race et qui ne peut s’accomplir que devant le foyer domestique. Le flambeau est l’attribut caractéristique du dieu d’hyménée, et le flambeau précède toujours la mariée, ce qui est d’ailleurs nécessaire, puisque c’est seulement quand la nuit arrive qu’elle se met en marche pour la demeure de son époux. Dans les mariages riches, on porte devant la jeune épouse jusqu’à cinq flambeaux, et il est d’usage parmi les Romains d’aller les allumer chez l’édile, parce que ce magistrat est spécialement chargé des bonnes mœurs.

Les époux suivent le flambeau sacré, et, sur tout le parcours, le cortége, surtout quand c’est un riche mariage, se grossit de curieux, d’amis, de connaissances, d’une foule de gens portant des torches de bois de sapin et d’une multitude de gamins faisant des plaisanteries, disant des mots fort libres ; mais le bruit est couvert par les chants religieux en l’honneur d’Hymen, qui se prolongent tout le long de la route :

Quel habitant des cieux est plus digne de l’hommage des mortels ? dieu d’hyménée, ô Hymen ; ô Hymen, dieu d’hyménée.

Le père t’invoque pour les siens ; pour toi la jeune fille dénoue sa ceinture ; et l’époux inquiet recueille d’une oreille avide tes chants joyeux.

C’est toi qui livres aux mains de l’amant fougueux la vierge florissante, ravie au sein de sa mère, dieu d’hyménée, ô Hymen, dieu d’hyménée.

Sans toi, Vénus ne peut goûter des joies que l’honneur avoue ; mais elle le peut sous tes auspices. Qui oserait se comparer à un tel dieu ?

Sans toi, nulle maison ne connaîtrait de postérité, le père ne renaîtrait pas dans sa race ; il y renaît sous tes auspices. Qui oserait se comparer à un tel dieu ?

Privé de tes mystères sacrés, un pays ne pourrait donner des défenseurs à ses frontières : il le peut sous tes auspices. Qui oserait se comparer à un tel dieu ? (Catulle.)

 

L’ARRIVÉE DU CORTÉGE. — C’est à l’arrivée du cortége devant le domicile conjugal que se passe la cérémonie caractéristique du mariage romain. L’époux va se placer devant sa porte, et il feint d’en barrer l’entrée : quand la mariée se présente, il lui dit : Qui es-tu ? — Elle répond : Là où tu seras Caius, je serai Caia. — Ce mot, suivant Plutarque, signifie : Là où tu seras maître et chef de maison, moi aussi je commanderai et je serai maîtresse de maison. On faisait remonter cet usage au temps de Tarquin, dont la belle-fille, Caia Cæcilia, avait laissé la réputation d’une femme exemplaire.

Quand la mariée a fait à son époux la réponse consacrée, on lui présente une torche de pin enflammée et une coupe d’eau, dans laquelle elle mouille aussitôt ses doigts. Le feu est l’emblème du foyer, et l’eau lustrale, que touche la mariée, représente les purifications et les cérémonies pieuses auxquelles elle va désormais participer avec son époux. Ensuite la mariée prend une bandelette de laine blanche qu’elle accroche à la porte pour indiquer qu’elle sera bonne fileuse, ce qui, dans les temps primitifs est synonyme de bonne ménagère, puis elle frotte les jambages de la porte avec un onguent qui écarte les maléfices. Pendant ce temps-là, le marié jette des poignées de noix et des petits hochets aux gamins qui, dans ces circonstances, affluent toujours devant la maison : cet usage, qui est fort ancien, avait pour but de montrer qu’il renonçait à tout ce qui avait amusé son enfance.

 

LE RAPT. — Au moment où le cortége se présente devant la demeure de l’époux, les chants recommencent, mais ils changent de caractère et annoncent l’arrivée de la mariée dans la maison qui va devenir la sienne :

Habitant de la colline d’Hélicon, fils d’Uranie, toi qui livres la tendre vierge à l’époux, dieu d’hyménée, ô Hymen, dieu d’hyménée.

Couronne ton front des fleurs de la marjolaine odorante. Prends ton voile ; et, ceignant d’un brodequin jaune tes pieds blancs comme neige, viens joyeux parmi nous.

Animé par la joie de cette journée, chante de ta voix argentine l’hymne nuptial, frappant la terre de tes pieds, agitant dans ta main ton flambeau résineux.

Conduis dans cette demeure la maîtresse qu’elle attend ; enchaîne à l’amour de son jeune époux son âme passionnée, comme le lierre fidèle étreint de ses mille replis l’arbre qu’il embrasse.

Et vous, chastes vierges, pour qui luira bientôt un pareil jour, chantez aussi, chantez en chœur : Dieu d’hyménée, ô Hymen ; ô Hymen, dieu d’hyménée.

Ouvrez les portes de cette demeure : la vierge s’avance. Voyez comme les flambeaux agitent leur ardente chevelure ; ne tarde plus, le jour fuit, parais, ô jeune épouse !

La pudeur ingénue retarde ses pas, et pourtant, déjà plus obéissante, elle pleure, car il faut venir. Ne tarde plus, le jour fuit, parais, ô jeune épouse !

Enfants, élevez vos flambeaux : j’aperçois un voile qui s’avance. Allez, répétez en mesure : ô Hymen, ô Hyménée ; ô Hymen, ô Hyménée. (Catulle.)

Alors a lieu le rapt qui se passe comme en Grèce : l’époux enlève sa femme et l’emmène dans sa maison, en ayant soin que ses pieds ne touchent pas le seuil de sa porte, qui est consacré à Vesta. Il remet ensuite à sa femme les clefs de la maison et il la mène au foyer de ses pères devant lequel ils récitent en commun des prières : puis les deux époux partagent un gâteau de fleur de farine, cuit sur le feu sacré, et versent la libation devant les aïeux qui sont désormais ceux de la femme aussi bien que ceux de son mari. La noce ne suivait pas immédiatement le mariage comme en Grèce. Elle avait lieu le lendemain, et c’était la mariée qui ordonnait elle-même le festin, car elle était devenue maîtresse de maison.

Une peinture antique, connue sous le nom de noces aldobrandines montre différentes scènes relatives au mariage romain. Au milieu (fig. 216) l’époux, dont la tête est couronnée de feuillage, cause avec sa femme qui est assise sur le même lit et porte encore le grand voile nuptial. Sur Fun des côtés, la mariée (fig. 217) met la main dans le bassin d’eau lustrale destinée à l’aspersion de la chambre, et de l’autre (fig. 218) trois femmes, dont l’une tient une lyre, sont occupées aux apprêts du sacrifice.

Le lit nuptial était généralement très élevé, et on p montait quelquefois par un petit escalier placé du côté des pieds. C’est ce que nous voyons dans une miniature du Virgile du Vatican, qui représente la mort de Didon ; la reine veut être brûlée sur le lit nuptial où elle vase donner la mort et elle a fait disposer le bûcher en conséquence. Toutefois cette forme de lit nuptial appartient à l’époque romaine de la décadence et ne peut en aucune façon nous donner l’idée de ce qu’était un meuble analogue dans l’âge héroïque (fig. 219).