LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME II — LA FAMILLE DANS L’ANTIQUITÉ

CONSTITUTION DE LA FAMILLE — III. - LES MORTS EN ÉGYPTE

 

 

LES CÉRÉMONIES FUNÈBRES. - LE CULTE DES MORTS. - L’EMBAUMEMENT. - LE CARTONNAGE DES MOMIES. - CONVOI D’UN SCRIBE ROYAL. - LES CONVOIS SUR LE NIL. - LA POLICE DES TOMBEAUX.

 

LES CÉRÉMONIES FUNÈBRES. — Pendant le deuil, les Égyptiens laissaient croître leur barbe et leurs cheveux, en signe d’abandon et de désolation ; car en tout autre temps ils étaient rasés. Les parents, pendant le temps qui précédait l’embaumement du corps, restaient autour du défunt en gémissant et en se frappant la poitrine. Les femmes se souillaient le visage avec de la fange et parcouraient la ville en chantant des hymnes à la louange du mort. Leurs chants lugubres étaient accompagnés par le son des tambourins sur lesquels elles frappaient. En même temps qu’elles font entendre leurs complaintes, elles agitent des rameaux verts (fig. 74). La verdure, les branchages, les fleurs et les fruits, jouent un très grand rôle dans les funérailles des Égyptiens, parce que tout ce qui tient à la végétation était à leurs yeux un symbole de résurrection. En effet, quand la plante a perdu sa verdure, on la voit reverdir ; quand la fleur est fanée et le fruit tombé, on voit la plante porter de nouvelles fleurs et de nouveaux fruits.

Les repas funèbres accompagnaient toujours les cérémonies qui avaient lieu à la mort d’un membre de a famille. Ces repas et la toilette spéciale qu’on faisait aux convives, avant qu’ils fussent appelés à prendre part, forment le sujet de diverses représentations assez curieuses. La toilette consistait principalement dans la pose du collier et des cônes funéraires.

La pose du collier est représentée sur la figure 75 ; et il est bon de noter que sur plusieurs monuments retraçant des scènes funèbres on voit des colliers, identiquement pareils à celui-ci, ce qui semblerait prouver que cette forme appartient à un type consacré par l’usage. La figure 76 montre un personnage sur la tête duquel on est en train de poser le cône funéraire. Dans le groupe placé à côté, les personnages, dont la tête est déjà surmontée du cône, tiennent en main la fleur du lotus, emblème d’immortalité.

Des scènes dans le genre de celles qu’on vient de voir se retrouvent avec quelques variantes (fig. 77).

 

LE CULTE DES MORTS. — Si nous avons peu de renseignements sur la vie intime des Egyptiens, une foule de monuments nous fournissent de précieuses indications sur leurs usages funèbres, car ce peuple semble n’avoir vu dans la vie qu’une préparation à la mort. La croyance absolue à la résurrection des corps a donné lieu à de nombreuses pratiques qui ont toujours pour but de maintenir l’intégrité absolue du corps, jusqu’au moment où l’âme reviendra prendre possession de son enveloppe terrestre.

Dans les monuments figurés, l’âme apparaît sous la forme d’un épervier à tête humaine que l’on voit voler au-dessus du défunt couché sur son lit funèbre (fig. 78). La raison de cet emblème est que l’épervier représente le soleil dans le symbolisme égyptien, et que l’âme devait comme le soleil renaître après avoir disparu de la terre.

La momie était pour les Égyptiens l’objet d’un véritable culte : de nombreuses représentations en font témoignage. La figure 79 représente une veuve devant la momie de son mari. Pour cette veuve, le personnage contenu dans la momie est toujours vivant : il est insensible et sans mouvement jusqu’au jour de la résurrection, mais il reprendra son corps, et il doit le retrouver intact. La fleur de lotus symbole d’immortalité, est placée au-dessus de sa tête, et tous les soins que sa famille prend de sa dépouille terrestre ont pour but de conserver son corps tel qu’il l’a laissé, afin qu’il puisse un jour l’animer d’une vie nouvelle.

Tous les emblèmes représentés sur les momies et les sarcophages ont trait à la même croyance, qui était admise non seulement dans l’Égypte, mais encore en Éthiopie et dans toute la vallée du Nil. La figure 80 est tirée d’un monument découvert en Nubie. Le personnage qu’elle représente lève ses deux bras en l’air et on voit à ses côtés des signes astronomiques faisant allusion aux espaces célestes que le défunt doit parcourir à l’image du soleil. Mais quand on approche de la tête, les emblèmes changent de caractère, et on trouve le scarabée, l’animal qui riait de la pourriture, et qui, pour les Égyptiens, représente l’idée de la résurrection.

Le respect que les Égyptiens avaient pour la momie de leurs parents a donné lieu à un usage très singulier. Lorsqu’on contractait une dette, on donnait habituellement un gage au prêteur, et le gage le plus sacré, le plus solennel était la momie des parents. Celui qui, après l’avoir prêtée, ne la retirait pas, était noté d’infamie et condamné à être lui-même privé de sépulture, ce qui constituait, aux yeux d’un Égyptien, la plus redoutable des pénalités. Quelquefois les petits-fils, devenus plus riches, acquittaient les dettes de leurs aïeux et, après avoir obtenu la levée de la condamnation, leur faisaient de magnifiques funérailles (Diodore de Sicile). Ainsi le corps embaumé, précisément parce qu’il était l’objet le plus cher à la famille, acquérait une sorte de valeur de négoce et pouvait en Les prescriptions religieuses ordonnaient l’embaumement des corps, et quelques savants ont vu là une mesure hygiénique, à laquelle le sacerdoce avait donné une consécration religieuse. Le christianisme triomphant proscrivit les anciennes coutumes comme entachées de paganisme. Champollion-Figeac et d’autres savants ont attribué à l’abandon des antiques usages relatifs à l’embaumement ces terribles épidémies qui, pendant le moyen âge et les temps modernes, ont si souvent ravagé l’Égypte et se sont répandues de là sur d’autres pays.

 

L’EMBAUMEMENT. — Hérodote nous a laissé des détails assez circonstanciés sur la manière dont les Égyptiens s’y prenaient dépouillée de ses bandelettes pour embaumer les corps. Les embaumeurs, dit-il, travaillent chez eux et ils procèdent de la manière suivante à l’embaumement le plus précieux. D’abord ils tirent la cervelle par les narines, en partie avec un ferrement recourbé, en partie par le moyen de drogues qu’ils introduisent dans la tête (fig. 81). Ils font ensuite une incision dans le flanc avec une pierre d’Ethiopie tranchante (fig. 82). Ils tirent par cette ouverture les intestins, les nettoient et les passent au vin de palmier ; ils les passent encore dans des aromates broyés ; ensuite ils remplissent le ventre de myrrhe pure broyée, de cannelle et d’autres parfums, l’encens excepté ; puis ils le recousent. Lorsque cela est fini, ils salent le corps, en le couvrant de natron pendant soixante-dix jours. Il n’est pas permis de le laisser séjourner plus longtemps dans le sel. Ces soixante-dix jours écoulés, ils lavent le corps, et l’enveloppent entièrement de bandes de toile de coton enduites de commi (gomme) ; dont les Égyptiens se servent ordinairement comme de colle. Les parents retirent ensuite le corps ; ils font faire en bois un étui de forme humaine, ils y renferment le mort et le mettent dans une salle destinée à cet usage ; ils le placent droit contre la muraille. Telle est la manière la plus magnifique d’embaumer les morts.

Ceux qui veulent éviter la dépense choisissent cette autre sorte : on remplit des seringues d’une liqueur onctueuse qu’on a tirée du cèdre ; on en injecte le ventre du mort, sans y faire aucune incision, et sans en tirer les intestins. Quand on a introduit cette liqueur, on bouche l’orifice, pour empêcher la liqueur injectée de sortir ; ensuite l’on sale le corps pendant le temps prescrit. Le dernier jour on fait sortir du ventre la liqueur injectée : elle a tant de force qu’elle dissout le ventricule et les entrailles et les entraîne avec elle. Le natron consume les chairs, et il ne reste du corps que la peau et les os. Cette opération finie, ils rendent le corps sans y faire autre chose.

La troisième espèce d’embaumement n’est que pour les pauvres. On injecte le corps avec la liqueur nommée surmaïa ; on met le corps dans le natron pendant soixante-dix jours, et on le rend ensuite à ceux qui l’ont apporté.

Après les soixante-dix jours d’immersion dans le natron, on procédait à l’ensevelissement du corps. On commençait par envelopper chaque doigt séparément dans une étroite bandelette. Ensuite on les réunissait dans une bandelette plus large qui enveloppait toute la main. La même opération se faisait pour les bras et pour les membres inférieurs. Puis on passait à la tête, qui était la partie la plus soignée. On se servait de la toile la plus fine et quelquefois de très belle mousseline de manière qu’elle adhérât absolument dans toutes ses parties. On enveloppait le corps dans toute sa longueur ; cette dernière enveloppe, artistement cousue, était enfin déposée dans le cercueil (fig. 83).

Au-dessous des bandelettes, ou entre leurs diverses couches, on trouve des bijoux, des pièces d’étoffes diverses, des manuscrits, ou des petits objets ayant appartenu au défunt et qu’il a affectionnés. Les doigts ont souvent des bagues ; il y a des colliers autour du cou (fig. 84). Des petites figurines, enveloppées de bandelettes, sont quelquefois placées entre les jambes. Des objets du même genre se trouvent encore plus souvent en dehors des bandelettes et dans l’intérieur du cercueil. On y mettait entre autres des objets de toilette, de grosses tresses de cheveux, de volumineuses perruques, des chaussures, etc. Quelquefois aussi ce sont des instruments relatifs à la profession que le défunt a exercée pendant sa vie. Ainsi dans les momies des scribes on trouve la palette d’écrivain avec ses godets, les calames ou plumes avec le canif pour les tailler ; dans celles des marchands on trouve la coudée ou les mesures diverses ; dans celles des enfants des joujoux avec lesquels ils pouvaient s’amuser au jour de la résurrection.

Sous les Ptolémées on attachait aux caisses des momies des étiquettes portant le nom et l’âge du défunt. C’étaient des planchettes de formes quadrangulaires et percées de trous par lesquels passait une cordelette qui les reliait à la momie.

 

LE CARTONNAGE DES MOMIES. — Quand la momie était suffisamment préparée et entourée de ses bandelettes, on la recouvrait d’une pâte molle (fig. 85 et 86) qui s’adaptait exactement en se desséchant et formait l’étui où le corps était renfermé. Cet étui était couvert entièrement de sujets symboliques ; on y incrustait des yeux d’émail, et les cheveux des femmes étaient reproduits avec leurs nattes, telles qu’elles les avaient portées de leur vivant. Pour les personnages considérables, ce premier cercueil, contenant la véritable momie, était contenu lui-même dans un second, et celui-ci dans un troisième. Tous ces cercueils sont couverts de peintures et d’inscriptions (fig. 87).

Les masques des cercueils sont dorés ou peints. Les cercueils du roi Auten, dit M. de Rougé, montrent que, dès la plus haute antiquité, quelques-uns de ces masques furent dorés et ornés d’yeux incrustés en émail. L’usage des masques composés d’une feuille d’or remonte au moins à la XVIIIe dynastie. Les masques en cartonnage doré furent usités dans tous les temps. Les masques dans lesquels on a donné à la peau une couleur rose sont beaucoup plus récents ; plusieurs masques de femmes de cette couleur sont coiffés d’ornements étrangers à l’Égypte ce sont des monuments gréco-égyptiens, ainsi que les masques en cartonnage doré du même style. Des portraits peints remplacèrent les masques à l’époque romaine.

Les peintures qui recouvrent les boites de momies se rapportent toujours à la vie future. Les divinités bienfaisantes étendent leurs ailes devant la poitrine du défunt en signe de protection et des petites figurines représentent des scènes du rituel funéraire.

Dans le cartonnage de momie représenté sur la figure 88, l’oiseau sacré est reproduit deux fois, l’une au-dessus de l’autre, et dans la même posture, c’est-à-dire la tète tournée du côté gauche. On remarquera aussi l’énorme coiffure du personnage et sa barbe postiche dont les tresses sont enroulées comme une natte. Il est remarquable que les Égyptiens, dont le menton était complètement rasé, ne manquent jamais de représenter cette barbe postiche dans les monuments funéraires. Une suite de riches colliers est également figurée sur le cou et les épaules du défunt, qui doit être un Pharaon, puisqu’on voit sur sa poitrine les cieux uræus portant sur leur tète la couronne de la haute Égypte. Des hiéroglyphes, des emblèmes solaires, des images de divinités et des figures d’adorants complètent cette représentation. Les cartonnages de momies diffèrent entre eux parce que les emblèmes de résurrection, qu’on y rencontre toujours, n’occupent pas la même place mais le principe décoratif qui guide le peintre se rattache invariablement à la même idée.

Pour ceux qui ont des sépultures privées, dit Diodore de Sicile, le corps est déposé dans un endroit réservé. Ceux qui n’en ont pas construisent dans leur maison une cellule neuve et y placent le cercueil debout contre le mur. En effet, la momie restait quelque temps dans l’habitation avant d’aller prendre sa place dans les nécropoles. La famille et les amis venaient lui faire des offrandes, consistant en vases, en paniers de fruits, et en objets divers qu’on mettait devant elle. La figure 89 nous montre deux momies placées sur un traîneau qu’on tire avec des cordes, jusqu’à la petite chapelle où aura lieu la cérémonie funèbre. C’est là que la momie reçoit les honneurs qui lui sont dus et que le prêtre vient brûler devant elle des parfums.

Sur quelques monuments, la momie déjà placée dans sa chapelle funéraire a devant elle une table d’offrandes ; on verse des parfums et on brille de l’encens en son honneur ; tandis que des femmes échevelées donnent tous les signes extérieurs de la douleur la plus profonde.

 

CONVOI D’UN SCRIBE ROYAL. — Les funérailles d’un scribe royal, peintes sur les murs de son tombeau, dans la nécropole de Thèbes, peuvent nous donner l’idée d’une cérémonie funèbre sous la XVIIIe dynastie.

En tête de la procession, un serviteur soutient d’une main une table à offrandes chargée de fruits et de pains sacrés ; de l’autre main il tient un bouquet de fleurs de lotus. Deux hommes, dont les épaules sont chargées d’amphores, marchent après lui : le premier porte un cône funéraire dans la main droite ; le second tient en laisse un veau tacheté et porte dans l’autre main trois petits oiseaux perchés sur un juchoir. Immédiatement après celui-ci vient un groupe de personnages dont le premier et le troisième soutiennent des tables, tandis que celui qui se trouve au milieu a un pliant placé en sautoir autour de la poitrine, une peau de panthère pend à son bras. Les objets sacrés dont il est chargé montrent qu’il appartient à la caste des prêtres : il tient une petite table sur laquelle sont placées des fioles à encens. Les deux autres tables sont chargées de vases de diverses formes, et laissent pendre, la première une paire de sandales, l’autre une tablette de bois (fig. 90 et 91).

Le groupe suivant (fig. 92) est composé d’hommes vêtus de la tunique courte et d’une pièce d’étoffe blanche à franges, qui est posée sur l’épaule et retombe de chaque côté au-dessous de la ceinture. Ces personnages, qui sont tous costumés de la même manière et qui marchent du même pas lent et régulier, soutiennent des coffrets de différentes formes placés sur des supports, d’où pendent divers objets avant appartenu au défunt, des poignards, des sandales, un éventail de plumes de paon, des tablettes pour écrire, un arc, un carquois.

Le défilé des meubles est extrêmement curieux. La première pièce que l’on voit emporter est une table à offrandes (fig. 93) chargée de fruits et recouverte de palmes. Un prêtre, portant une peau de léopard, insigne de sa dignité, tient un pliant, et les hommes qui marchent derrière lui emportent une chaise et un lit de repos (fig. 94). Les meubles qui avaient servi au défunt devaient l’accompagner jusqu’à sa dernière demeure, afin qu’au jour du réveil il ne manquât de rien et pût retrouver autour de lui tous les objets qui lui avaient été familiers pendant sa vie. C’est ainsi que des serviteurs portent (fig. 95) un char au timon duquel sont suspendus deux carquois assez longs et probablement destinés à renfermer des javelines. Voici maintenant un autre char, celui probablement que le défunt affectionnait le plus, car il est traîné par deux chevaux accouplés, et dirigé par le cocher, qui le suit à pas lents, en tenant les rênes (fig. 96). Des hommes portant sur leur tête des coffrets marchent à côté du char, qu’ils semblent escorter.

Une table d’où pend un large éventail à plumes apparaît ensuite : elle est chargée de trois vases d’or et d’une cuillère (fig. 97). Deux autres tables chargées de la même manière viennent après celle-ci ; derrière elles on porte des coffrets où sont enfermés des objets que le défunt avait aimés pendant sa vie, ou des présents que des parents ou amis lui font à l’occasion de ses funérailles.

Une grande caisse en marqueterie, dont la base pose sur un petit traîneau porté par quatre hommes, renferme probablement des objets sacrés, car elle est accompagnée de chaque côté d’un prêtre vêtu d’une longue robe et qui lève la main en signe d’adoration, Les porteurs de la caisse sont suivis par deux serviteurs tenant chacun sur son épaule une figure d’Osiris, image des ancêtres (fig. 98).

Un buste de grande dimension ouvre ensuite une série nouvelle : ce buste, dont la face et les cheveux sont entièrement dorés dans la peinture, doit représenter le père du défunt, si ce n’est le défunt lui-même. Le serviteur qui le porte tient en même temps à son bras un énorme collier auquel est suspendu un scarabée, gage d’immortalité (fig. 99).

Les objets qui viennent ensuite composaient sans doute le trésor du défunt ou, tout au moins, la partie la plus riche de son mobilier. Ce sont des vases d’or, un étui pour renfermer l’arc et les flèches, une masse d’armes, un fouet et un pédum, signes de la puissance, puis des sceptres, de riches colliers et des vautours d’or aux ailes déployées (fig. 100).

Après les vautours d’or, on tire à l’aide d’une corde un traîneau portant une barque sacrée, escortée de serviteurs tenant des caisses sur l’une desquelles est représenté l’œil mystique d’Horus. Ce grand œil, qui paraît souvent dans les représentations égyptiennes (fig. 101), figure ici comme gage d’immortalité. Mythologiquement, le rôle d’Horus apparaît surtout dans sa lutte contre Typhon, principe du mal et de l’obscurité. Comme soleil levant, Horus est naturellement vainqueur des ténèbres, et comme fils du dieu bon par excellence, Osiris, il est vainqueur du mal ; mais cette lutte n’a pas été sans péril, puisqu’il y a perdu un œil. Le souvenir de cette blessure a donné lieu à un emblème très fréquent et qui est bien de circonstance ici, puisque l’obscurité dans laquelle le mort semble à jamais plongé sera remplacée aussi par l’éblouissante lumière de la vie nouvelle.

On porte encore quelques images d’Osiris, la dernière sous la forme de l’épervier sacré (fig. 102), puis le cortége change complètement de caractère et devient plus intime et moins honorifique. Après quelques caisses de verdure (fig. 103) suspendues à des gaules que des hommes portent sur leurs épaules, nous voyons apparaître le groupe des pleureuses. Enveloppées de l’épaule à la cheville dans de longues robes blanches, elles ont les bras nus et les cheveux ceints d’un bandeau (fig. 104). La dernière se retourne en invoquant le mort et en chantant sa louange.

Les chants funèbres des Égyptiens avaient toujours la forme d’hymnes religieux en l’honneur du défunt. Rosellini en a copié un dans la tombe d’un prêtre d’Ammon, qui était mort frappé d’apoplexie pendant l’exercice de son sacerdoce. Comme ces chants étaient tous conçus dans le même esprit, celui-ci peut nous donner une idée des autres : Oh ! oh ! au grand et principal oblateur des libations. Oh ! le principal prêtre oblateur d’Ammon. Oh ! il a vécu en parfaite justice, et il est mort dans la quatre-vingt-huitième année de son âge, en voyant Ammon, pendant que son bras faisait son oblation, et dans le temps qu’il servait Ammon... et qu’il présentait la royale offrande à son seigneur... Oh ! oh ! des milliers de biens en offrandes à lui, Osirien, prêtre d’Ammon, Aménémoph, homme véridique.

Le petit traîneau qu’on voit ensuite (fig. 105), précédé de gens qui le tirent à l’aide d’une corde, renferme une espèce de sac peint en bleu, dont le contenu a exercé la sagacité des archéologues, mais est jusqu’ici demeuré inconnu. Des prêtres tenant un vase à libation, un aspersoir et une cuillère à encens, suivent ce traîneau et précèdent le catafalque, dont un prêtre qui se retourne semble vouloir régler la marche avec le mouvement de ses mains (fig. 106).

Le catafalque est dressé sur une barque, emblème du voyage que le défunt va accomplir, et la barque repose elle-même sur un traîneau. De grandes fleurs de lotus, symbole de vie éternelle, décorent les angles de ce monument funèbre, de chaque côté duquel on voit les images d’Isis et de Nephtis, emblèmes du commencement et de la fin (fig. 107 et 108).

Ce char en forme de barque posée sur un traîneau ne se trouve pas partout, mais il est fréquent sur les monuments. La barque devait être préférée au chariot ordinaire, dans un pays oit les communications se faisaient le plus ordinairement par la navigation du fleuve. Ces barques imitaient dans leur forme générale celles qui sillonnaient le Nil ; mais elles étaient fabriquées pour la circonstance et n’étaient nullement destinées à une navigation qu’elles eussent même probablement été incapables d’accomplir. Au lieu d’être portée sur un traîneau, la barque est quelquefois posée sur un char à roues, mais ce mode de transport était extrêmement rare.

Le cortège se termine par les parents et amis du défunt, qui portent tous de longues robes blanches (fig. 109). Les uns se frappent la poitrine, et d’autres tiennent à la main de longs bâtons, insignes de la hante position qu’ils occupent.

Les cérémonies n’étaient pas toutes aussi pompeuses que celle qui vient d’être décrite, mais elles présentaient en général un caractère analogue. Dans ses études sur le rituel, E. de Rougé décrit ainsi une vignette qui ouvre le livre des morts.

Les parents et les pleureuses ouvrent la marche ; on traire ensuite les coffrets funéraires et la barque où la momie repose dans son cercueil. Un prêtre conduit une génisse devant la momie, et huit autres personnages portent des enseignes sacrées. Un veau bondit devant sa mère, symbole de la nouvelle naissance qui doit donner la vie éternelle au défunt. Les sacrifices et les morceaux d’offrandes sont accumulés en sa faveur ; le prêtre lit le formulaire sur un volume déployé entre ses mains ; la momie, debout entre les bras d’Anubis, reçoit un flot de libation purifiante, ce qui se rapporte au chapitre XIV.

 

LES CONVOIS SUR LE NIL. — Les convois se faisaient quelquefois par eau, car le cimetière était souvent placé sur une rive du fleuve et la ville sur l’autre. En outre, les environs des grandes cités étaient extrêmement peuplées, et ceux qui les habitaient étaient souvent obligés de descendre le fleuve pour amener la momie de leurs parents jusqu’à sa dernière -demeure.

Enfin il y avait un grand nombre de dévots, qui voulaient être transportés, après leur mort dans des lieux qui avaient une réputation de sainteté et qui étaient des rendez-vous de pèlerins. Le Nil était en tout temps sillonné par ces flottilles funèbres qui remontaient ou descendaient le fleuve. Dans les peintures qui décorent les hypogées, les représentations de processions funéraires sur le Nil sont aussi fréquentes que celles qui ont lieu sur la terre ferme.

Les cérémonies qui s’accomplissaient à ces funérailles nautiques étaient d’ailleurs les mêmes, bien que la mise en scène en fût forcément différente. Nous y retrouvons tout le luxe habituel aux familles opulentes. Le mobilier avec les offrandes, les amis et la famille, les prêtres et les pleureuses, tout se retrouve ici comme précédemment ; seulement les personnages sont placés sur des bateaux (fig. 110). On remarquera seulement les grandes fleurs de lotus qui décorent la tente où est abritée la momie et qui, dans le symbolisme égyptien, sont un gage d’immortalité (fig. 111).

Le même emblème apparaît dans les barques funèbres, comme nous le voyons aussi sur la figure 112. Les pleureuses gémissent en se tournant vers une autre barque sur laquelle est la momie. Elles sont placées sur une terrasse, tandis que les rameurs occupent les côtés latéraux de la barque. Accroupies ou debout, elles pleurent et gesticulent en regardant la barque funèbre qui emporte le défunt. La plupart de ces femmes sont enveloppées de longues robes, d’autres ont le buste découvert, mais toutes ont la chevelure pendante derrière le dos.

Enfin la figure 113 va nous montrer un convoi nautique d’apparence plus modeste, car il y avait plusieurs classes d’enterrement dont le tarif était fixé par une administration analogue à celle des pompes funèbres.

 

LA POLICE DES TOMBEAUX. — Les tombeaux des particuliers étaient placés sous la garde d’une catégorie de prêtres nommés colchites. Ces colchites avaient pour mission de célébrer les rites funéraires en l’honneur des morts qui leur avaient été confiés, et dont le tombeau était généralement à eux appartenant et faisant partie de leur habitation. Le fait est prouvé par des contrats de vente où un colchite, achetant une maison à un autre colchite, stipule qu’il devient en même temps possesseur des tombeaux qui y sont et qu’il sera par conséquent chargé des cérémonies funèbres. Les noms des morts sont soigneusement enregistrés dans ces sortes de contrats, parce que les cérémonies que les familles demandaient pour chacun d’eux étaient fort bien payées et constituaient un revenu considérable.

Une plainte en violation de tombeau a été adressée par un colchite, sous le règne de Philométor ; l’original de cette plainte, conservé parmi les manuscrits du musée égyptien au Louvre, est ainsi conçu :

A Denis, un des amis, hipparque des hommes et archiphylacite (préfet de police) du Peri-Thèbes ; de la part d’Osoroëris, fils d’Horus, colchite d’entre ceux des Meumonia. Je porte à ta connaissance que l’an XLIV, lorsque le stratège Lochus est venu à Diospolis la Grande, certaines personnes ont envahi l’un des tombeaux qui m’appartiennent dans le Peri-Thèbes ; l’ayant ouvert, ils ont dépouillé quelques-uns des corps qui y étaient ensevelis, et en même temps ont emporté les effets que j’y avais mis, montant à la somme de dix talents de cuivre (environ sept cents francs). Il est arrivé aussi que, comme la porte fut laissée toute grande ouverte, des corps en bon état ont beaucoup souffert de la part des loups, qui les ont en partie dévorés. Puisque j’intente action contre Poëris et..... et Phtonis, son frère, je demande qu’il soit cité devant toi, et qu’après mûr examen, on rende la décision convenable.

Sois heureux ![1]

Il est à remarquer que le plaignant s’adresse ici au chef de la gendarmerie, dont les agents devaient prévenir ou empêcher le délit. Mais en même temps la plainte nous informe des raisons pour lesquelles ils n’avaient pas pu l’empêcher : en effet, quand le gouverneur visitait la province confiée à son administration, il passait en revue les troupes cantonnées dans le nome, et les voleurs ont profité de leur absence pour faire leur coup. Il y a au reste dans cette plainte deux choses distinctes : le plaignant a bien pu retrouver les objets soustraits si les voleurs ont été arrêtés, il a pu réclamer une indemnité pour le dégât matériel, mais les loups qui sont entrés en ont commis un bien autrement grave aux yeux des familles des défunts, et le pauvre colchite, responsable des corps qui lui avaient été confiés, a dû recevoir de graves réclamations pour cette mutilation qui blessait si profondément le sentiment religieux du pays.

Les gardiens des tombeaux formaient dans les grandes villes, à Thèbes par exemple, des compagnies qui exploitaient les enterrements par quartiers. Ces compagnies empiétaient quelquefois les unes sur les autres, et il existe des papyrus contenant les pièces de procès relatifs à ces empiétements de terrains. Dans les contrats relatifs à ces terrains, on mettait non seulement les noms des parties contractantes, et ceux des propriétaires limitrophes, mais encore on énonçait minutieusement l’emplacement et l’orientation du terrain cédé. Le musée du Louvre possède plusieurs de ces contrats.

Les richesses immenses que renfermaient les hypogées étaient bien faites pour tenter les voleurs, et les papyrus nous révèlent les enquêtes judiciaires qui ont eu lieu à propos de ces spoliations. Le catalogue du musée de Boulaq nous fournit aussi un renseignement bien curieux clans la description suivante : Une stèle de bois, couverte de stuc doré, a été trouvée avec ce cercueil dans la chambre souterraine qui a fourni au musée un si riche ensemble de monuments funéraires. L’or de cette stèle, comme celui qui couvrait le visage des cercueils des momies, a été soigneusement gratté. Mais, chose singulière, l’outil qui profanait sans scrupule la figure et les titres de Tat-ankh s’est arrêté subitement devant l’image d’Osiris, qu’il a laissée intacte. C’est ce respect craintif du violateur de la tombe pour le dieu de l’enfer égyptien qui nous autorise à penser que les profanations dont cette tombe a été l’objet remontent à l’antiquité.

 

 

 



[1] Théodule Devéria, Catalogues des manuscrits égyptiens, p. 235.