LES TOMBEAUX ÉTRUSQUES, TUMULI, FAÇADES, CAVEAUX, PEINTURES, URNES CINÉRAIRES ; LES TOMBEAUX ROMAINS, SARCOPHAGES, MONUMENTS, COLUMBARIA. - LES CATACOMBES CHRÉTIENNES, CUBICULA, DÉCORATION, EMBLÈMES. LES TOMBEAUX ÉTRUSQUES. — Les tombeaux de l’ancienne Italie présentent une assez grande variété, à cause des rites particuliers aux populations qui se sont établies dans la contrée : Aux temps les plus anciens de l’époque des métaux, dit M. Conestabile (Revue archéologique, octobre et novembre 1874), l’usage de l’incinération prédominait dans les rites et pratiques funéraires de la plupart des populations italiques, ainsi que de certaines tribus gréco-primitives ou pélasgiques, dont les fouilles ont constaté les traces en Italie (pré-étrusques). Les preuves de ces faits nous sont fournies par l’ensemble déjà très abondant des urnes cinéraires qui sont sorties des cimetières d’Albe la Longue (Latium), de Chiusi, de Felsina et d’autres points de l’Italie. Pour les Étrusques, c’est au contraire l’inhumation qui prévalait dans les usages de la nation ; mais à mesure que l’élément étrusque diminue et s’efface devant Rome triomphante, l’habitude de l’incinération reprend le dessus, au point que, au moment où l’Empire s’établit, elle est devenue à peu près générale dans toute l’Italie. D’après l’opinion la plus répandue aujourd’hui parmi les archéologues, l’habitude d’inhumer les morts serait venue de Lydie, dont les Étrusques sont originaires. Malgré les différences qu’on trouve dans les tombeaux étrusques, on peut, au point de vue de l’architecture, les classer en deux grandes catégories : ceux qui ont des constructions en saillie et ceux qui sont adossés aux rochers ; la chambre funéraire est toujours souterraine.
Les constructions coniques sont les plus nombreuses ; on peut en voir la disposition intérieure sur la figure 496, et la forme extérieure sur les figures 497 et 498 Ce sont simplement des tumuli contenant une chambre funéraire souterraine et recouverts extérieurement, par un revêtement en pierre. Il est impossible d’assigner une date, même approximative, à ces monuments. Ils n’appartiennent pas tous à la même époque, et le mode de construction peut aider à reconnaître ceux qui sont plus anciens que les autres. Ainsi le tombeau dit d’Elpénor (fig. 499) parait fort ancien, d’après la manière irrégulière dont les pierres ont été taillés.
Parmi les tombeaux étrusques, on considère comme les plus anciens ceux qui sont creusés dans le flanc des rochers et qui n’ont d’apparent que la façade, comme celui de Castel d’Asso ou de Toscanella. Au reste, il est impossible d’assigner une date à ces monuments, parce que la nature du sol a dû nécessairement influer beaucoup sur la construction. Ainsi les tombeaux qui n’ont d’apparent que la façade sont tous dans .des contrées montagneuses et hérissées de rochers, tandis que les tombeaux qui ont sur le sol une construction conique ou pyramidale sont dans un pays de plaine. A quelque distance de Viterbe, dans un terrain volcanique hérissé de .crevasses et coupe de gorges profondes, on trouve les restes de plusieurs nécropoles étrusques, entre autres, dans les vallées de Toscanella, Sutri, Norchia et Castel d’Asso. Castel d’Asso, qui géographiquement occupe à peu prés le centre de l’ancienne Étrurie, est une des localités les plus sauvages de cette contrée ; elle est coupée de monts abruptes et de précipices. C’est sur les flancs de ces monts que sont creusés les tombeaux, auxquels on assigne généralement la plus haute antiquité, ils sont taillés dans les anfractuosités de la pierre calcaire et présentent extérieurement la forme de petits édicules qui n’ont qu’une façade et adhèrent à la montagne par leur partie postérieure. Mais cette façade simulée n’indique jamais l’entrée véritable du tombeau, qui est toujours placée au-dessous, à la base même du monument.
Cette disposition n’est pas apparente sur la figure 500 ; mais on peut la voir très nettement au bas, de notre gravure, dans le monument qui est représenté sur la figure 501. La base de ces monuments était généralement cachée par des terres rapportées, en sorte qu’il faut toujours creuser pour trouver l’entrée du tombeau, complètement dissimulée au dehors.
La façade extérieure, apparente sur le flanc des rochers, se compose d’une masse rectangulaire, qui, dans l’origine, était quelquefois surmontée d’une pyramide bâtie en pierres disposées par assises horizontales. Cette façade, qui a quelquefois l’apparence de frontons, prend aussi dans d’autres occasions l’aspect d’une porte simulée, en forme de pyramide tronquée, et décorée d’une simple moulure (fig. 501). A l’intérieure, la chambre funèbre est quelquefois de forme ronde, ou ovoïde, comme le montrent les figures 502 à 504, qui représentent la coupe et le plan de ces tombeaux. Les tombeaux de Tarquinie (Corneto) sont creusés dans le sol et présentent une ou plusieurs chambres symétriques, auxquelles on descend par un escalier. Au-dessus de ces souterrains s’élevaient des tumuli aujourd’hui presque tous détruits, bien qu’on ait retrouvé la trace de près de six cents d’entre eux. Ces tumuli étaient composés d’un soubassement circulaire, construit en pierres appareillées, et surmonté d’un cône de terre. Une et quelquefois plusieurs portes conduisaient à la chambre sépulcrale. Le plafond de ces chambres est quelquefois une voûte parabolique dans le genre de celle du trésor de Mycènes ; quelquefois aussi c’est un plafond plat, présentant de larges plates-bandes et divisé, en caissons creusés dans le roc. La figure 505, représentant la chambre sépulcrale à laquelle on a donné le nom de la Tomba di Cardinale, peut donner- une idée de ce genre de constructions. Le plafond de cette chambre repose sur quatre gros piliers carrés ménagés dans le massif de la colline. Les urnes et les sarcophages étaient placés sur une sorte de banquette faisant le tour de la chambre.
La figure 506 est une chambre sépulcrale dont on voit le plan en 507. On y remarque la disposition intérieure de la porte d’entrée, décorée de peintures.
L’ancienne Cœré est un des points de l’Étrurie où l’on trouve les tombeaux les plus intéressants. L’espèce de presqu’île, entourée de profonds ravins, qui formait l’emplacement de l’ancienne ville de Cœré, dit M. Noël des Vergers (l’Étrurie et les Étrusques), se trouve flanquée de deux autres plateaux s’avançant également en promontoires dans la plaine et qui ont servi tous deux de nécropole aux habitants de la cité. L’un (monte abattone) contenait quelques-unes des chambres sépulcrales les plus riches en monuments de tout genre qui aient été ouvertes depuis le commencement de ce siècle ; l’autre (banditaccia) est une véritable ville des morts où les tombes par milliers présentent des voies régulières ; et où les fouilles nombreuses, qui ont formé en partie le musée étrusque du Vatican, sont loin d’avoir épuisé les trésors enfouis dans ses profondeurs.
Les plus anciens tumuli de Cœré ont des chambres intérieures dont la construction affecte la forme pyramidale. Dans l’un d’eux (fig. 508), on a trouvé un lit de bronze sur lequel un squelette était encore couché ; mais il est tombé en poussière dès qu’on y a touché. Toutefois ce mode d’inhumation n’est pas le plus fréquent, et, dans un bien plus grand nombre de cas, l’intérieur d’un tombeau étrusque offre une grande chambre autour de laquelle on a disposé les urnes et les sarcophages, et dont les murailles sont recouvertes de peintures, comme on le voit sur la figure 509, qui représente l’intérieur d’un tombeau à Volaterra.
Les sujets retracés dans les chambres sépulcrales des Étrusques fournissent les notions les plus curieuses sur les mœurs de l’ancienne Étrurie. Les danses, les banquets, les cérémonies profanes ou religieuses sont retracées dans un style archaïque qui dénote une haute antiquité. Quand le corps a été inhumé et non brûlé, il est en général disposé de telle façon que le défunt puisse voir la fête ou le banquet donné en son honneur qui est représenté sur la muraille. Il nous reste à décrire la forme des sarcophages et des urnes funéraires qu’on a trouvés en si grand nombre dans les tombeaux étrusques, et dont la plupart ont pris place dans les grandes collections d’antiquités. Parmi les sarcophages les plus remarquables, il faut citer le précieux monument qui a été découvert dans une des chambres funèbres de Cœré ; il représente (fig. 510) un homme et une femme couchés sur un lit mortuaire. L’homme posé sur ce lit présente un visage allongé, un menton pointu, des pommettes saillantes, des yeux fortement relevés vers les tempes. Ce type semble oriental, et il en est de même de la mitre, des souliers à pointe recourbée et de la décoration du lit, dont les pieds évidés et les palmettes rappellent plusieurs monuments de l’Asie Mineure. Ces raisons avaient paru suffisantes pour faire donner à ce monument le titre de tombeau lydien ; on admet aujourd’hui qu’il est étrusque, et l’on fait remonter sa fabrication au VIIe ou au VIIIe siècle avant notre ère. Mais ses caractères franchement asiatiques viennent à l’appui de ceux gui regardent les Étrusques comme provenant d’une émigration lydienne, venue en Italie à une époque indéterminée.
Il y a une catégorie de sarcophages qui méritent une attention particulière, à cause du sujet qui est sculpté sur le soubassement et qui représente presque toujours un combat. On a cherché (fig. 511) un sujet mythologique dans ce combat tant de fois répété ; quand deux personnages semblent lutter à outrance, on y voit Étéocle et Polynice. Cette interprétation me semble un peu forcée, et j’inclinerais plutôt à croire que ce combat est simplement la représentation de ceux qui avaient lieu après la mort d’un guerrier et qui ont été l’origine des combats de gladiateurs. Quelquefois on voit des figures ailées qui regardent et semblent assister les combattants ces anges se retrouvent dans une foule de monuments étrusques et se rattachent toujours à des idées funèbres (fig. 512).
Outre les sarcophages, il y a des urnes et des vases dans presque tous les tombeaux. Souvent aussi, près du monument funèbre, on voit un lit, ou des meubles ayant appartenu au défunt. Les débris d’un char en bronze découvert dans un tombeau étrusque sont maintenant au musée de Munich. Les candélabres et-les miroirs, qu’on voit en si grand nombre dans nos collections, proviennent tous de monuments funéraires. Quelques tombeaux présentent à l’intérieur une disposition qui reproduit évidemment celle qu’avait la demeure du défunt quand il vivait il devait e retrouver les armes et les ustensiles dont il avait coutume de se servir. Enfin il y a quelques sarcophages ou urnes qui ont la forme de véritables maisons et qui fournissent même sous ce rapport de bien précieux renseignements à l’archéologie (fig. 513 et 514).
Les anciens tombeaux du Latium et de l’Italie centrale devaient présenter une grande analogie avec ceux qu’on a retrouvés dans l’ancienne Étrurie. Seulement on connaît si peu de monuments funèbres se rattachant aux époques primitives qu’il’ est difficile d’en déterminer les caractères spéciaux. Un tombeau consulaire qui se voit dans le jardin d’un couvent de Pallazuola, près d’Albe la Longue, parait remonter à une époque fort ancienne, car il est taillé dans le rocher, comme les tombeaux étrusques, dont il diffère pourtant par la forme. Il pourrait remonter aux premiers temps de la république romaine, mais on n’a aucune donnée historique sur ce monument (fig. 515).
Les plus anciens monuments funéraires se rattachant à l’histoire romaine sont ceux qui se trouvent sur la voie Appienne. Nous signalerons d’abord le tombeau des Scipions, dont il ne reste que le souterrain creusé dans le tuf, car l’édifice qui existait au-dessus a disparu. Mais on y a retrouvé un sarcophage extrêmement célèbre qui, a été transporté au musée du Vatican : c’est celui de Scipion Barbatus, le vainqueur des Samnites. Ce monument, orné d’une frise, avec rosaces et triglyphes, est en péperin, tuf volcanique provenant des montagnes d’Albe. Le goût très pur de l’architecture et des ornements, dit Ampère, nous montre l’avènement de l’art grec tombant pour ainsi dire un une sauvagerie romaine. Par la matière, par la forme des lettres et le style de l’inscription, il nous représente la rudesse des Romains à cette époque. Le tombeau porte une inscription dont voici la traduction : Cornélius Lucius Scipion Barbatus, fils de Gnæus, homme courageux et prudent, dont la beauté égalait la vertu. Il a été parmi vous consul, censeur, édile, il a pris Taurasia, Cisauna, dans le Samnium ; ayant soumis, toute la Lucanie, il a emmené des otages (fig. 516).
Le tombeau circulaire de Cécilia Métella, fille de Quintus Metellus et femme du triumvir Crassus, est situe près de la voie Appienne. Ce mausolée, le mieux conservé de la campagne de Rode, a 26 mètres de diamètre (fig. 517).
À l’extérieur, le monument présente une masse imposante et est formé de morceaux de travertin d’une dimension énorme. Une belle frise en marbre décoré la partie supérieure. Elle est formée de bucranes, ou têtes de bœufs desséchées, et reliées deux à deux par d’amples guirlandes de fleurs et de fruits que surmonte une rosace d’une saillie assez prononcée. Ce système d’ornements court autour du monument, mais s’interrompt sur la face qui regarde la voie Appienne, où il est remplacé par des trophées militaires, destinés sans doute à rappeler les exploits du père et de l’époux de Cécilia Métella. On croit généralement que le dessus de l’édifice était recouvert par une plantation de cyprès, comme il y en avait, d’après le récit de Strabon, sur le mausolée d’Auguste : d’autres croient que le monument était surmonté d’une coupole. Dans tous les cas, il a dit être primitivement orné de colonnes. A l’intérieur, il y a une salle ronde en forme de pain de sucre (fig. 517), dont le sommet est maintenant à découvert. On a trouvé dans ce tombeau le sarcophage de Cécilia Métella que reproduit notre figure 518. Ce sarcophage en marbré est de forme ovale. Il est cannelé et décoré de deux têtes de chevaux en saillie. La base et surtout le couvercle sont enrichis de méandres et de rinceaux d’une grande délicatesse.
Cette forme circulaire que présentent plusieurs tombeaux romains, et que nous avons déjà vue chez les Étrusques, était pourtant moins commune que la forme pyramidale dont le tombeau de Caïus Sextius va nous offrir un exemple. Ce mausolée, dont la figure 519 fait comprendre la disposition intérieure, paraît contemporain d’Auguste. On entre dans la chambre sépulcrale par un corridor étroit et peu élevé : des arabesques étaient peintes autour de la chambre ainsi que sur la voûte qui est construite en plein cintre. Des tombeaux analogues, mais moins importants et moins bien conservés, se retrouvent dans la Gaule romaine. Un monument de forme pyramidale se voit à peu de distance de Vienne en Dauphiné, sur la voie qui suivait le cours du Rhône : on le désigne généralement sous le nom d’aiguille de Vienne (fig. 520). Ce monument, dit le Guide dans la France monumentale, occupe un espace de 6 mètres 40 centimètres en carré, y compris la saillie des piédestaux des colonnes placées aux angles. Sa hauteur, jusqu’au-dessus de l’entablement, est de 6 mètres 65 centimètres ; la pyramide avec son socle ayant près de 10 mètres, la hauteur totale de l’édifice est de 16 mètres ; les colonnes placées aux angles du monument sont engagées un quart dans le mûr ; les bases sont attiques et n’ont pas été achevées ; les chapiteaux, qui devaient être corinthiens, ne sont pas terminés, non plus qu’une grande partie de l’édifice. Quatre arcades en plein cintre laissent voir un plafond très hardi, fait par encorbellement des pierres de l’architrave ; elles sont supportées par les quatre clefs des arcades et recouvertes des pièces de la frise qui traverse le plafond d’un bout à l’autre. La pyramide porte sur le vide du plafond.
L’édifice funéraire le plus important que nous aient laissé les Romains est le Château Saint-Ange. L’empereur Adrien le fit construire pour servir de sépulture à lui et à ses successeurs ; il voulait surpasser tout ce qu’avaient fait l’Égypte, la Grèce et l’Italie. Il le plaça près du Tibre, sur lequel il fit jeter un magnifique pont qui le joignait à la ville. Sur une base carrée d’une vaste surface s’élevaient, en pyramide arrondie, trois ordres d’architecture, le tout en marbre de Paros. Chaque ordre se composait de colonnes de granit et de porphyre, qui formaient de superbes galeries, décorées de statues et de bas-reliefs. L’édifice se terminait par une riche coupole au-dessus de laquelle on voyait une pomme de pin en bronze doré ; qui, suivant la tradition, aurait contenu les cendres de l’empereur. L’entrée du monument était en face le pont du Tibre ; de là on passait dans une galerie haute et couverte, puis on arrivait, par un escalier en limaçon, à la chambre du tombeau, qui se trouvait au milieu du bâtiment. Cette chambre est construite en pierres de taille, voûtée, et pourvue de grandes niches et de bancs pour recevoir les urnes cinéraires et les sarcophages. Constantin a porté le premier coup au mausolée d’Adrien en le, dépouillant de ses trois rangées de colonnes pour en orner l’intérieur de l’église de Saint-Paul hors des Murs. Plus tard, il fut employé comme forteresse contre les Goths, qui l’assiégeaient, et Bélisaire fit briser les statues dont l’édifice était décoré pour en jeter les morceaux .sur les assaillants. On donne le nom de columbaria à des chambres sépulcrales contenant plusieurs rangs de petites niches dans lesquelles on plaçait les urnes renfermant les cendres et les os brûlés qu’on avait recueillis du bûcher. Des inscriptions indiquaient le nom et la profession des personnes ensevelies, et on y ajoutait souvent des expressions affectueuses. Le columbarium des Césars (fig. 521) est un caveau entouré de niches funèbres et dans lequel on descend par un escalier escarpé. Parmi les urnes trouvées dans les tombeaux du même genre ; il y en a une qui contient les cendres d’un chien favori., Des couloirs disposés autour des grands caveaux servaient de sépulture aux esclaves de bas étage.
Les Romains, comme les Grecs, ne mettaient pas les tombeaux dans l’intérieur des villes ; ils les plaçaient le long des routes qui venaient y aboutir. Il y a pourtant quelques exceptions à cette règle, mais elles sont extrêmement rares et s’appliquent à des personnages d’un rang très élevé, qui considéraient comme une distinction suprême le droit de ne pas se conformer à l’usage. La voie Appienne, la plus célèbre et la plus belle des routes qui partaient de Rome, était couverte de tombeaux dont quelques-uns de la plus brande richesse : on trouvé encore aujourd’hui sur une très grande étendue les ruines de ces monuments, qui s’alignaient autrefois le long de la route et qui rappelaient la mémoire d’une foule d’hommes illustres, guerriers, législateurs, hommes d’État, orateurs, etc. La rue des tombeaux, à Pompéi, nous fait encore mieux comprendre cet usage, parce que les monuments qui la bordent sont souvent très bien conservés (fig. 522). Parmi les tombeaux fort nombreux qui sont sur cette voie, le plus beau est celui de Scaurus, que décorent des bas-reliefs bien intéressants représentant des combats de gladiateurs.
Les anciens se promenaient volontiers parmi les tombeaux, près desquels on disposait souvent des bancs pour que l’on pût s’y reposer. Un exemple de cet usage se trouve dans le tombeau de Porcius, qui et en même temps celui de là prêtresse Mammia, sa fille. Ce tombeau, situé près de la porte de Pompéi, renferme un vaste banc demi-circulaire (fig. 523).
La Provence, si riche en monuments de l’époque romaine, possède quelques tombeaux intéressants, parmi lesquels il faut citer le mausolée d’Aix, qu’on voyait autrefois dans la cour du palais de justice de cette ville, mais qui n’existe plus aujourd’hui. Il fut détruit au dernier siècle pour l’agrandissement du palais, et n’est plus connu que par les gravures et par une reproduction en liége qu’on voit au musée de la ville. Il était composé d’un soubassement carré en pierres de taille (fig. 524) surmonté d’une tour ronde à deux étages, et décoré de colonnes. On ne sait pas exactement quelle était la forme du sommet. Des urnes funéraires et une bulle d’or ont été découvertes dans les fouilles de ce monument funèbre. En revanche, le tombeau de saint Remi, près d’Arles, est très bien conservé (fig. 525). Son plan est carré, dit le Guide dans la France monumentale. Il s’élève avec élégance et majesté sur un socle construit en gros quartiers de pierres à 19m3 de hauteur, et forme une sorte de pyramide composée de trois ordonnances : d’abord d’une sorte de stylobate quadrangulaire orné, dans la partie supérieure de ses faces, de quatre bas-reliefs représentant des combats. Au-dessus s’élève une riche ordonnance de portique et de colonnes cannelées et engagées dont les chapiteaux sont corinthiens. La troisième ordonnance, qui couronne l’édifice, forme un petit temple composé de dix colonnes cannelées dont les chapiteaux corinthiens portent un entablement surmonté d’une calotte parabolique. Les tombeaux qui portent à leurs angles des colonnes ou des pilastres, ceux qui sont décorés d’arcatures avec des sujets en haut-relief ou même en ronde bosse, ceux dont la décoration semble reproduire en petit la façade d’un temple, appartiennent généralement à l’époque impériale. Mais, comme le changement de culte n’a pas modifié sensiblement le style des monuments, il est souvent difficile de leur assigner une date positive si on ne trouve pas dans les emblèmes un caractère spécial qui les fasse de suite reconnaître. Il en est résulté souvent des erreurs assez graves d’attribution. Comme monument funèbre de la décadence, on peut citer un tombeau romain situé près de Tarragone, et qu’on désigne ordinairement sous le nom de tombeau des Scipions (fig. 526). Une tradition, qui ne repose sur aucun fondement, veut que ce soit le mausolée élevé par Scipion l’Africain à la mémoire de son oncle et de son père. Il est de forme carrée et porte sur un socle de grandes pierres de taille. Les deux figures très mutilées qui le décorent paraissent, par le costume, remonter environ au IIIe siècle de notre ère. Il est néanmoins difficile d’assigner à ce monument une date positive, mais il est certainement postérieur à l’établissement de l’Empire, car on y a retrouvé des monnaies d’Auguste et divers objets qui sont en complet désaccord avec l’attribution qui lui avait été primitivement donnée par l’opinion publique. Au reste, quoique cet édifice soit assurément un monument funèbre, il n’est pas absolument certain que ce soit un véritable tombeau destiné à contenir les cendres d’un mort : il est même probablement une construction élevée à la mémoire d’une personne enterrée ailleurs. En effet, il arrivait quelquefois qu’un personnage était honoré après sa mort d’un monument qui n’avait d’autre destination que de rappeler le souvenir de son passage dans un pays qui n’était pas le sien, mais où il avait pu se distinguer par quelque action d’éclat, ou mériter l’estime des habitants par la sagesse de son administration. Sur la route de Luxembourg à Trèves, on trouve un monument connu sous le nom de tombeau d’Igel. C’est un obélisque à quatre pans, construit en grès rouge, haut de 26 mètres ; et dont chaque face est divisée en trois parties, un soubassement ou piédestal, un étage décoré de pilastres supportant un entablement complet, et un attique qui sert de base au fronton et au toit qui le surmonte. Cet édifice est, sur toute son étendue, couvert d’inscriptions et de bas-relief, extrêmement curieux. Quelques-uns représentent des transports ou charriages de marchandises, pour rappeler sans doute le commerce auquel s’était livrée la famille des Secondini, à laquelle appartient le monument (fig. 527). Les tombeaux trouvés dans les Vosges ont un caractère particulier. Ils sont taillés dans le grès vosgien et ont la forme d’un prisme triangulaire, quelquefois légèrement courbé en ogive. On en voit un assez grand nombre au musée de Saverne. Quelques-unes de ces stèles sont ornées de feuillages, et elles sont toutes percées en bas par une ouverture ogivale ou semi-circulaire qui communique avec la cavité renfermant les urnes funéraires (fig. 528). Les tombeaux trouvés à Liverdun, en Lorraine, ont amené la découverte d’une multitude d’objets gallo-romains, vases, médailles, objets de toilette, tels que bijoux, colliers, peignes, qui nous initient à la vie intime des anciens. Les sarcophages romains sont souvent décorés de bas-reliefs dont le sujet se rattache presque toujours à la vie future, bien que la scène soit toujours, présentée sous une forme mythologique. Très souvent les centaures sont représentés comme les conducteurs des âmes, qu’ils charment par leur musique. Dans un assez grand nombre de monuments, le grand voyage s’accomplit par mer : ce sont alors les tritons, les hippocampes, les néréides ou les dauphins qui portent en croupe le voyageur qu’ils conduisent aux île Fortunées. Les âmes sont généralement représentées avec des ailes de papillon : quelquefois même elles prennent la formé d’un papillon véritable. Sur un monument funèbre on voit un oiseau qui cherche vainement à saisir avec son bec un papillon qui lui échappe et s’envole ; c’est un emblème de l’âme qui échappe à la mort.
La même idée se représente sous toutes ses formes et la fable de Prométhée, délivré des souffrances qu’il avait endurées est un symbole qu’on rencontre assez souvent sur les sarcophages du IIIe et du IVe siècle. La tête redoutée de Méduse, qui éloigne les maléfices, se présente quelquefois sur les monuments. La Mort, sous la forme d’un squelette ou d’une figure décharnée, si fréquente au moyen âge, est, au contraire, très rare dans l’antiquité. On voit pourtant sur un tombeau de Pompéi un squelette qui pare une femme avec des bandelettes et des rubans, et un cippe du musée de Naples montre un squelette de la bouche duquel s’échappe un papillon. La forme que prend habituellement la Mort est un petit génie qui tient un flambeau renversé. Les attributs bachiques sont également très fréquents sur les sarcophages, parce que la mort est assimilée au sommeil, et que le sommeil le plus doux est celui que cause l’ivresse. Les masques scéniques apparaissent fréquemment aux angles des sarcophages, parce que la vie est assimilée à un rôle que l’homme est appelé à jouer quand il est sur la terre. Comme la vie est un composé de plaisirs et de peines, on voit quelquefois d’un côté un masque comique et de l’autre un masque tragique. La présence des Muses dans les monuments funèbres se rattache également au rôle que le défunt a joué pendant sa vie, car elles sont les inspiratrices du théâtre. Une autre série de monuments se rapporte à la vie de famille et montre le banquet funèbre des époux. Si c’est le tombeau d’un enfant, on exprime la tendresse de ses parents par des oiseaux qui veillent sur un nid et apportent la nourriture à leurs petits, ou par d’autres emblèmes analogues. Quelques tombeaux rappellent les instruments de travail des artisans. C’est ainsi que, dans un petit village près de Capoue, on a trouvé un tombeau élevé par un certain Marcus Hordonius Philargurus Labeo, fabricant de lanternes, à sa femme Flavia Claudia Philumena. Outre le titre bien exprimé de la profession, lanternarius, on trouve encore sur le monument un signe bien caractéristique, une petite lanterne dans son enveloppe (fig. 529). Sur un tombeau découvert à Antibes (fig. 530), on lit une inscription ainsi conçue : Aux mânes de l’enfant Septentrion, âgé de douze ans, qui, sur le théâtre d’Antipolis, dansa deux jours et sut plaire. L’usage d’enterrer les morts et celui de les briller a existé simultanément dans toute l’antiquité. De là vient que, dans les mêmes localités, on trouve souvent des urnes destinées à contenir des cendres, et des sarcophages renfermant des corps. Mais comme les Gaulois ne brûlaient pas les morts, l’habitude de les enterrer a toujours prévalu chez eux, même sous la domination romaine. On avait l’habitude de couvrir le défunt des vêtements et des bijoux qu’il avait en mourant et de placer près de lui les objets dont il avait fait usage pendant sa vie. De là aussi vient la grande quantité d’objets que l’on trouve dans les tombeaux gallo-romains. La figure 531 nous montre la coupe d’un tombeau gallo-romain trouvé près de la ville de Saint-Médard-des-Prés, en Vendée, par M. Benjamin Fillon. On y voit très bien la place qu’occupaient les urnes et les vases funéraires auprès du défunt, dont le corps est couché dans sa bière.
L’usage des vases funèbres se montre en Italie comme en Grèce et en général dans tout le monde antique. Il en est de même des lampes, dont on a retrouvé une très grande quantité dans les tombeaux romains. Le feu était pour les anciens l’emblème de la vie, parce que la flamme remue sans cesse et semble vouloir monter vers le ciel. L’usage des lampes déposées dans les tombeaux se rattache à l’idée de la vie future. Dans les monuments consacrés à la sépulture des grandes familles, un serviteur préposé à la garde du monument avait en même temps pour mission d’entretenir le feu de la lampe funèbre. La forme et la décoration de ces lampes sont d’une grande variété. Nous en signalerons quelques-unes à cause de leur caractère plus particulièrement funèbre. La lampe représentée sur la figure 532 est décorée d’une statuette d’Hercule en Cupidon. Le héros qui avait élevé lui-même le bûcher sur lequel son corps avait été brûlé sur le mont Œta, et qui s’était ensuite élevé au rang des dieux, semblait éminemment propre à décorer un monument funéraire. L’union de l’Amour avec Psyché, symbole de l’âme humaine, suffirait pour expliquer la présence de Cupidon sur les mêmes monuments. Mais, dans une foule de cas, Cupidon et Hercule sont confondus dans un type commun qui réunit les attributs des deux divinités. La figure 533 nous offre un très curieux exemple de cette association : Pour accentuer davantage son caractère d’Hercule, l’artiste lui a donné la peau du lion de Némée, qui vient se croiser sur sa poitrine ; mais les deux grandes ailes sont un attribut de Cupidon, surtout lorsqu il est considéré dans son caractère funèbre. Un grand nombre de lampes qui ne sont ornées d’aucune décoration funèbre ont été également retrouvées dans les tombeaux. On déposait à titre de meubles divers objets qui avaient appartenu au mort, mais qui n’avaient pas pour cela une destination funéraire. On range ordinairement parmi les : lampes funèbres celles qui, par leur forme ; ne semblent pas avoir été d’un emploi journalier. Celle qui est représentée sur la figure 534 n’a pas de poignées.
L’usage de placer une lampe à côté du mort était universelle dans l’antiquité : il a persisté dans les premiers temps du christianisme, puisque nous le retrouvons dans les catacombes. Les lampes se plaçaient quelquefois sur le cercueil qui
contenait le corps ou les cendres du défunt. Pétrone, en parlant d’une femme
qui s’obstine à vouloir rester dans le caveau où on venait de déposer les
restes de son mari, ajoute : Une servante fidèle
l’avait accompagnée dans sa triste retraité, mêlant ses larmes à celles de sa
maîtresse, et ranimant la lampe placée sur le cercueil toutes les fois
qu’elle était prête à s’éteindre. Il arrivait en effet quelquefois que des veuves, ne se contentant pas des signes ordinaires de la douleur, comme de marcher les cheveux épars à la suite du char funèbre, ou de se meurtrir les seins devant tous les assistants, accompagnaient le défunt jusqu’à sa dernière demeure, dont on ne pouvait ensuite les arracher qu’à grand-peine. Ces signes extérieurs de désolation, qu’ils fussent sincères ou simulés, prouvent l’importance que l’antiquité attachait aux rites funèbres, et expliquent pourquoi la privation de funérailles était un châtiment réservé aux criminels. Ceux-ci n’avaient pas droit à la sépulture, et on était obligé de mettre des soldats préposés à la garde des malheureux qui avaient subi la peine capitale, pour empêcher leurs parents ou leurs amis d’enlever le corps et de l’ensevelir ensuite. La privation de sépulture était la conséquence ordinaire du supplice de la croix, que l’on regardait comme infamant. Les récits évangéliques prouvent néanmoins que les amis d’un crucifié obtenaient quelquefois l’autorisation de déposer son corps dans un tombeau. Et le soir étant venu, dit saint Matthieu, un homme riche, nommé Joseph, qui était d’Arimathie, et qui avait aussi été disciple de Jésus, vint vers Pilate et demanda le corps de Jésus ; et Pilate commanda qu’on le lui donnât. Ainsi Joseph prit le corps et l’enveloppa dans un linceul blanc ; et le mit dans son sépulcre qui était neuf et qu’il avait fait tailler pour lui-même dans le roc ; et ayant roulé une grande pierre à l’entrée du sépulcre, il s’en alla. LES CATACOMBES CHRÉTIENNES. — Peu d’années avant la naissance de Jésus-Christ, plusieurs milliers de Juifs furent transportés à Rome par suite des victoires de Pompée. Le terrain où était leur cimetière se trouvait sur les flancs d’une colline près du mont Janicule, et les premiers chrétiens qui vinrent s’établir à Rome, étant absolument confondus avec les Juifs, furent inhumés dans le même terrain. Mais quand les chrétiens furent plus nombreux, ils eurent des cimetières particuliers, dont l’entrée était généralement dans le domaine de l’un d’eux. Le respect que les païens portaient aux morts pouvait transformer ces cimetières en asile les jours de persécution ; mais ils n’étaient point construits en vue de la célébration du service divin, et ils ont toujours été employés comme lieu de sépulture. On y rencontre néanmoins de véritables chapelles ; on offrait d’ailleurs le sacrifice eucharistique sur le tombeau de ceux qui avaient versé leur sang pour la foi. Ces cimetières, qui sont tous creusés sous le sol, sans aucun monument extérieur, ont reçu le nom de catacombes. Les cimetières des anciens chrétiens de Rome, que l’on appelle catacombes, dit M. de Rossi, occupent une zone d’environ deux ou trois kilomètres autour de Rome. Leur étendue est prodigieuse, non pas dans la superficie au sol entamé, mais bien dans la quantité de galeries creusées à différents niveaux ; quelquefois à quatre ou cinq étages les unes sous les autres. Il a été calculé exactement que dans un espace carré ayant cent vingt-cinq pieds romains de côté il n’y a pas moins de sept à huit cents mètres de galeries ; la somme totale de toutes les lignes d’excavation semble monter au chiffre énorme de cinq cent quatre-vingts kilomètres, la longueur de l’Italie. D’après les légendes populaires, et même d’après l’opinion des savants, on a longtemps considéré ces catacombes comme toutes liées entre elles et formant un réseau non interrompu autour de Rome. Mais les conditions géologiques et hydrauliques du sol donnent un démenti formel à cette hypothèse, et ont imposé des limites infranchissables aux nécropoles souterraines, qui sont restées séparées les unes des autres.
La figure 535, qui représente le plan d’une catacombe, montre la disposition de ce genre de cimetière. Des galeries très étroites et remplies de tombeaux se croisent ensemble comme les rues d’une ville et donnent quelquefois accès à des chambres (cubicula) dans lesquelles se trouvaient également des tombeaux.
Le tombeau chrétien des catacombes est une niche juste assez spacieuse pour recevoir un cadavre, et disposée dans les parois latérales d’une longue galerie creusée dans le roc ; chaque paroi reçoit plusieurs niches au-dessus l’une de l’autre, et les galeries elles-mêmes sont superposées, comme le montre la figure 536, qui représente le cimetière Saint-Calixte. La catacombe de Saint-Calixte, la plus vaste de toutes celles qui entourent Rome, a sa porte d’entrée à droite de la voie Appienne. Elle est à plusieurs étages ; on y descend par un large escalier, qui fut probablement construit après Constantin, quand les pèlerins venaient en foule visiter les catacombes : leurs pieuses mains ont gravé sur la muraille de nombreuses inscriptions dont plusieurs sont conservées. Ce sont tantôt des noms propres, tantôt des souhaits. On y voit une crypte où se trouvent les pierres sépulcrales de plusieurs anciens papes, et qui a conservé l’autel sur lequel on célébrait la messe. Un couloir étroit conduit de cette crypte à la chapelle Sainte-Cécile, sanctuaire découvert par M. de Rossi et qui est un des points les plus intéressants des catacombes (fig. 537).
On donne le nom de cubicula aux chambres dans lesquelles sont disposés les tombeaux. Quelques-unes de ces chambres renferment le tombeau d’un martyr ; à l’anniversaire de sa mort (qu’on appelait la naissance dans le langage symbolique de l’Église primitive), cette tombe devenait un autel où les chrétiens se réunissaient pour célébrer les saints mystères. L’air et la lumière arrivaient dans ces chambres au moyen d’une ouverture communiquant avec la surface du sol, comme le montré la figure 538, qui représente une section de chambre dans la catacombe des saints Marcellin et Pierre.
Les figures que nous venons de voir montrent un grand nombre de tombes superposées dans les parois des murs d’une salle. Il y a aussi des caveaux qui semblent avoir appartenu plus spécialement à une, famille, car le nombre des tombes y est beaucoup plus restreint : la figuré 539, qui montre un cubiculum du cimetière de Sainte-Agnès, offre on exemple de ces salles peu, remplies, mais où les fidèles se réunissaient peut-être pour recevoir un enseignement religieux ou pour assister à certaines cérémonies.
La figure 540 nous fait bien comprendre la transition d’une chambre à une autre ; on voit au fond un couloir qui coupe le premier transversalement pour s’engager dans des directions différentes. Cette figure représente la crypte de saint Corneille, pape et martyr : elle fut découverte en 1852 par M. de Rossi avec l’inscription de son tombeau. Sur des peintures byzantines d’une date postérieure, on voit l’image de saint Corneille et de saint Cyprien, qui ne furent pas martyrisés la même année, mais qui le furent le même mois et le même jour. Cette décoration, du reste, paraît avoir été refaite sur une peinture plus ancienne. En effet, un assez grand nombre de tombeaux ont été décorés de peintures, et c’est dans les catacombes de Rome qu’on peut étudier les premiers bégayements de l’art chrétien. La disposition des peintures aussi bien que les sujets, qu’elles représentent offrent, au double point de vue de l’art et de l’histoire, un intérêt tout particulier. La figure 541 montre une décoration sépulcrale peinte entre deux tombes superposées. Le repas des chrétiens (l’agape) est figuré au centre de la composition. A gauche est un trépied portant le pain et le poisson, entre une orante qui lève, les bras dans l’attitude consacrée et un prêtre qui consacre les offrandes : A- droite, Abraham est peint au moment où il va sacrifier son fils Isaac. Enfin, de chaque côté, un fossoyeur debout tient en main son instrument et étend le bras vers la scène peinte au centre. On donné le nom d’arcosolium à un genre particulier de tombeaux qui sont surmontés d’une niche voûtée en demi-cercle. Quelques-uns de ces tombeaux sont ornés d’une décoration assez riche. La figure 542 nous montre un arcosolium du cimetière de Prétextat qui passe pour un des plus anciens, La décoration de cet arcosolium paraît remonter au deuxième siècle de notre ère. Quatre guirlandes s’enroulent autour de la voûte, et au-dessous d’elles se déroule une longue fresque représentant des moissonneurs. Enfin, plus bas et dans l’arc de la voûte, il y avait une scène champêtre au centre de laquelle était peint le Bon Pasteur. Mais cette peinture a été presque entièrement détruite par les chrétiens d’un âge postérieur, qui, désireux de reposer auprès des martyrs ; percèrent la muraille pour y établir une tombe (fig. 542). Sur le bord de la niche où- est cette tombe, on voit une inscription dont le sens est : Que Janvier, Agatopus, Felicissimus, martyrs, rafraîchissent l’âme de ..... Au cimetière de Domitille, le Christ est représenté assis au milieu de ses disciples. Malheureusement la peinture a été fort endommagée par un tombeau qu’on a creusé dans le mur de telle façon qu’il tronque toutes les figures (fig. 543). La voûte de cet arcosolium est décorée de vignes avec de petits génies vendangeurs, analogues à ceux qu’on voit si souvent sur les monuments païens. Mais la vigne n’est pas seulement ici un ornement capricieux ; elle devient un emblème chrétien, et les colombes qu’on voit sur ses rameaux représentent les fidèles que le Saint-Esprit anime de son souffle.
Les emblèmes chrétiens forment une sorte de langue hiératique dont la signification est souvent difficile à comprendre pour un moderne, mais qui avait pour les premiers chrétiens l’avantage de présenter une sorte d’énigme dont leurs ennemis ne pouvaient pénétrer le sens caché. Un fait curieux à observer c’est que les scènes de la Passion n’apparaissent jamais sur les monuments chrétiens antérieurs à Constantin ; et que la plus ancienne représentation connue d’une mise en croix se rapporte à une caricature païenne (fig. 544). Cette caricature, tracée à la pointe sur le stuc d’une muraille dans le palais des Césars, représente un personnage à tête d’une attaché à une croix : on sait en effet que les chrétiens, dont les mystères étaient tenus très secrets, ont été accusés d’adorer un âne. A côté du personnage crucifié est un homme debout, avec une inscription en caractères très irréguliers dont le sens est : Alexamène adore son Dieu. Cette caricature a probablement été faite par un soldat païen qui voulait se moquer de son camarade chrétien, car l’endroit où elle a été trouvée paraît être l’emplacement d’une salle qui servait de corps de garde.
L’ancre, la colombe et l’agneau ont dans le symbolisme chrétien une signification déterminée et dont l’interprétation n’est pas douteuse. Une pierre tombale (fig. 545), tirée de la crypte de Lucine, présente les trois emblèmes réunis. On remarquera que l’ancre est traversée par une barre, ce qui forme une image secrète de la croix, fondement de l’espérance chrétienne. La colombe est un symbole de l’âme chrétienne, et l’agneau indique un membre du troupeau dont Jésus est le chef. C’est parmi les chrétiens d’Alexandrie que l’emblème du poisson a pris naissance. On avait remarqué que si l’on prend l’un après l’autre les lettres initiales de vingt-sept vers sibyllins, elles forment, en les rapprochant, cinq mots grecs signifiant : Jésus-Christ, Fils de Dieu, Sauveur ; en réunissant ensuite la première lettre de chacun de ces mots, on a un mot — ίχθύς — qui signifie poisson. Le poisson est, devenu ainsi un emblème secret de ralliement pour les, chrétiens, et saint Clément d’Alexandrie les engage à le faire graver sur leurs cachets. Une pierre sépulcrale, trouvée dans un cimetière de la voie latine, montre l’emblème du bon pasteur sous celui du poisson (fig. 546).
La figure 547 montre le fond d’une coupe antique de la bibliothèque Vaticane dont la décoration doit être postérieure à Constantin. On y voit le Christ entre saint Pierre et saint Paul. Au-dessous on retrouve le Christ sous la forme d’un agneau placé sur le mont Sion, d’où coulent les quatre fontaines évangéliques unies dans le mystique Jourdain (Jordane). Les Juifs et les Gentils s’avancent vers la montagne, venant de Jérusalem (Jerusale) et de Bethléem (Becte) : ils ont tous pris la forme d’un agneau, suivant un usage assez fréquent parmi les premiers chrétiens, et dont nous retrouverons plus loin une autre application sur le sarcophage de Junius Bassus, représenté figure 550. Les traditions païennes, transformées par le christianisme, s’unissent souvent dans les catacombes aux traditions chrétiennes, et forment ensemble un symbolisme qui parait un peu obscur aujourd’hui, mais qui était familier aux chrétiens des premiers siècles. Nous en avons un exemple dans la figure 548, qui représente une décoration tirée du cimetière de la voie Ardéatine. Orphée, charmant les bêtes féroces par ses accords, occupe le centre de la composition, et dévient l’image du Christ ; auteur de l’harmonie universelle. Parmi les sujets qui composent l’encadrement, on reconnaît aisément, Daniel dans la fosse aux lions, la résurrection de Lazare, Moïse frappant l’eau du rocher, etc.
Les fables les plus populaires du paganisme sont facilement acceptées par les chrétiens, quand ils y trouvent une signification qui peut se rattacher à leur croyance. C’est ainsi que sur un sarcophage découvert dans la crypte de Lucine on voit Ulysse attaché au mât et échappant par là aux sirènes, personnification des séductions dangereuses. Le mât est ici un emblème de l’Église, et le chrétien qui y demeure attaché devient par là inaccessible aux tentations (fig. 549). Cependant le plus souvent les sujets des sarcophages chrétiens sont tirés de l’Ancien ou du Nouveau Testament : nous citerons pour exemple le fameux, sarcophage de Junius Bassus, sur lequel on a lu l’inscription suivante : Junius Bassus, qui vécut quarante-deux ans et deux mois. Dans l’année où il était préfet de la ville, il alla à Dieu, néophyte. Ce personnage, qui mourut l’an 359 est un des premiers grands patriciens qui aient embrassé le christianisme.
Son sarcophage (fig. 550) est en marbre blanc et divisé en compartiments séparés par des pilastres et représentant divers sujets ; on reconnaît dans le registre supérieur le sacrifice d’Isaac, l’arrestation de saint Pierre, la loi donnée aux Apôtres, le Christ emmené par les Juifs, la condamnation par Ponce Pilate, et dans le registre inférieur Job et sa femme, Adam et Ève, l’entrée du Christ à Jérusalem, Daniel dans la fosse aux lions et saint Paul conduit au supplice. Ce que notre gravure n’a pu rendre qu’imparfaitement à cause de son exiguïté et de l’état fruste du monument, ce sont les petits moutons placés sur les frises des cinq arches qui divisent la partie inférieure du monument. Tous ces agneaux ont une signification symbolique : l’un fait jaillir l’eau du rocher, un autre ressuscite Lazare, etc.
A l’époque où le christianisme triomphant peut se montrer ostensiblement, on voit des sarcophages d’une grande richesse décorative (fig. 551 et 552). Leur forme ne diffère pas essentiellement de celle qui était employée pour les sarcophages des païens. Mais, à défaut de sujets se rattachant à leur culte ou à leurs traditions, on voit toujours un emblème où le monogramme du Christ occupe la place d’honneur au milieu du monument. L’usage païen de déposer dans les tombeaux des fioles ou des lampes se retrouve également dans les premiers temps du christianisme. De même que les sarcophages, les lampes chrétiennes se font aisément reconnaître par l’emblème qui les décore (fig. 553 et 554).
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