LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME PREMIER — LES PEUPLES DE L’ANTIQUITÉ

L’ÉGYPTE — VII - L’ÉTHIOPIE

 

 

LES ÉTHIOPIENS. - LES VILLES D’ÉTHIOPIE. - LES TEMPLES D’IBSAMBOUL. - LES PEUPLADES SAUVAGES.

 

LES ÉTHIOPIENS. — On admettait autrefois. que le premier centre de la civilisation africaine était à Méroé, et que le peuple égyptien qui avait là son foyer ; aurait graduellement descendu les bords du Nil jusqu’à la mer. Cette opinion est tout à fait abandonnée aujourd’hui, et les monuments semblent prouver que Memphis est le plus ancien foyer connu de la civilisation, qui n’aurait gagné Thèbes que postérieurement et se serait étendu peu à peu, en remontant le Nil dans la direction de l’Éthiopie, dans un sens exactement opposé à celui que l’on supposait. C’est pour cette raison que M. Mariette appelle l’Éthiopie, fille de l’Égypte.

Toutefois, les Éthiopiens avaient la prétention d’être antérieurs aux Égyptiens. Ils affirment, dit Diodore de Sicile, que l’Égypte est une de leurs colonies. Il y a des ressemblances frappantes entre les usages et les lois des deux pays ; on y donne aux rois le titre de dieux ; les funérailles y sont l’objet des plus grands soins, les écritures en usage en Éthiopie sont celles de l’Égypte ; et la connaissance des caractères sacrés, réservée aux prêtres seuls en Égypte, était familière à tous en Éthiopie. Il y avait dans les deux pays des collèges de prêtres organisés de la même manière, et ceux qui étaient consacrés au service des dieux pratiquaient les mêmes règles de sainteté et de pureté, étaient également rasés et habillés de même. Les rois avaient aussi le même costume, et un aspic ornait leur diadème.

Les rapports ont toujours été extrêmement fréquents entre les Éthiopiens et les Égyptiens, et il est souvent difficile de les distinguer sur les monuments. Une bien curieuse peinture égyptienne (fig. 107) nous montre l’arrivée d’une reine ou d’une princesse éthiopienne. Elle est très richement parée et porte une coiffure monumentale ; le char qui la conduit est traîné par deux bœufs accouplés.

 

LES VILLES D’ÉTHIOPIE. — L’Éthiopie, suivant Hérodote, commence après Éléphantine : Immédiatement au-dessus d’Éléphantine, dit l’historien grec, la contrée est habitée par les Éthiopiens : toutefois une moitié de l’île est peuplée d’Égyptiens. Elle touche à un grand lac entouré d’Éthiopiens nomades ; lorsqu’on l’a traversée, on rentre dans le lit du fleuve, qui s’est confondu avec le lac. Là, il faut débarquer et continuer sa route sur la rive, car le Nil est tout semé de rochers qui s’élèvent à pic et d’écueils a fleur d’eau, si bien qu’il est impossible à naviguer. Après ce trajet, qui prend quarante jours, on monte une autre barque, et en douze jours de navigation, on atteint une grande ville dont le nom est Méroé, laquelle est, dit-on, la métropole du reste des Éthiopiens.

Strabon, en parlant de Méroé, lui assigne un emplacement différent de celui d Hérodote ; on croit généralement qu’il y a eu deux villes portant le nom de Méroé, et que celle dont parle Strabon est la plus récente. L’emplacement de l’ancienne Méroé, celle d’Hérodote, a été reconnu ; on y a trouvé les traces d’environ quatre-vingts pyramides, qui sont les plus méridionales qu’on connaisse, et probablement les plus anciennes de l’Éthiopie. Ces pyramides, généralement assez mal conservées, sont disposées en trois groupes. Dans le plus important, elles sont rangées en forme de fer à cheval sur une longueur de 450 mètres. Elles sont caractérisées par un portique ou vestibule, formant comme une pièce d’entrée dont la dimension est variable. La forme de ce portique est celle des pylônes égyptiens (fig. 108 à 110).

Napata est devenu plus tard la résidence des rois d’Éthiopie. Vers la XXe dynastie, les grands prêtres d’Ammon transportèrent le culte du dieu thébain dans cette ville qui prit alors une grande importance.

Plusieurs monuments attestent la civilisation égyptienne, jusqu’à une distance très éloignée de Philæ, où finit l’Égypte proprement dite. Parmi ces monuments, il faut signaler le temple de Wadi-Séboua — dont nous donnons (fig. 111) le pylône ainsi que l’avenue de sphinx qui y conduisait — et les ruines de Naga, de Soleb et de Semneh, qui reproduisent avec quelques variantes les types ordinaires des temples égyptiens.

 

LES TEMPLES D’IBSAMBOUL. - Parmi les édifices de l’ancienne Éthiopie, les deux temples d’Ibsamboul sont de beaucoup les plus célèbres. Ramsès II les fit creuser dans le roc. Le plus petit, consacré à la déesse Hathor, est décoré extérieurement de six colosses, dans lesquels on a reconnu le Pharaon et sa femme, ayant à leurs côtés, l’un ses fils, l’autre ses filles, avec leurs noms. Ces colosses ont une hauteur d’environ 11 mètres (fig. 112). L’intérieur du temple d’Hathor, dit le Guide en Orient, a trois divisions principales : une première salle soutenue par six pilastres carrés, décorés de chapiteaux à tête d’Isis ; un passage transversal avec une petite chambre à chaque extrémité ; et le naos ou sanctuaire. Tous les murs sont décorés de sculptures malheureusement très détériorées.

Nos figures 113 et 114 montrent le plan et la coupe de cet édifice.

Dans le plan (fig. 113), A marque l’entrée, et B la grande salle décorée de piliers à tète d’Isis ; le passage transversal est marqué en C, les deux petites chambres en D et le sanctuaire en E. Les mêmes dispositions se retrouvent sur la coupe (fig. 114).

Le grand temple d’Ibsamboul était consacré au Soleil, adoré sous le nom de Phré ; c’est en parlant de ce monument que Champollion a dit qu’il vaudrait à lui seul le voyage de Nubie (fig. 115 et 116).

Ce second temple, dit le Guide en Orient, un peu plus au sud que le précédent, présente dans toutes ses parties des proportions bien autrement imposantes, La surface du rocher, aplanie et taillée à pic sur 40 mètres de largeur et 30 mètres d’élévation, en forme la façade. Quatre statues colossales de Ramsès II, taillées dans le rocher même, la décorent. Leurs proportions sont celles de figures de 28 à 30 mètres ; quoique assises, elles ont au moins 20 mètres de hauteur. Malgré ces proportions énormes, le travail en est très beau et le visage est doublement remarquable par l’expression et le fini. Une ligne horizontale d’hiéroglyphes, surmontée d’une corniche composée de vingt-deux figures de singes accroupis, et une figure symbolique de Phré, sculptée au-dessus du portail, complètent ce beau frontispice encore presque intact. A la base d’un des colosses du sud, on lit une inscription très curieuse, en grec archaïque, tracée vers l’an 660 avant Jésus-Christ par une troupe de soldats grecs au service du roi Psamétik, envoyée à la poursuite des Égyptiens Automoles qui se réfugiaient en Éthiopie.

L’intérieur (fig. 116) répond au grandiose de la façade. Quatre salles successives, offrant ensemble une profondeur de plus de 60 mètres, composent, avec dix chambres latérales, l’ensemble de cette prodigieuse excavation. La première salle est soutenue par un double rang de huit pilastres, auxquels sont adossés des colosses de 5m,26 de hauteur : La seconde salle n’a que quatre piliers sans statues ; mais, au fond du sanctuaire, on en trouve quatre, plus grandes que nature, qui représentent Ramsès en présence dé la triade Ammon, Ra et Ptah. Le principal sujet des sculptures murales, notamment dans la grande salle, est tiré des expéditions militaires de Ramsès. On y peut remarquer avec quel soin sont distingués, non seulement par les traits et le costume, mais aussi par la couleur, les différents peuples avec lesquels les Égyptiens victorieux se trouvent en contact. Asiatiques, Kouschites et nègres.

 

LES PEUPLADES SAUVAGES. — En dehors de l’étroite vallée du Nil, il n’y avait en Éthiopie que des peuplades absolument sauvages, qu’on peut diviser en deux grandes classes : à l’orient et du côté de la mer Rouge, les Troglodytes ; à l’occident, du côté du Soudan, les nègres. Diodore, de Sicile nous a laissé quelques renseignements sur leurs mœurs.

Les Troglodytes, dit-il, sont appelés nomades par les Grecs, parce qu’il mènent avec leurs troupeaux une vie de pasteurs. Ils sont divisés en tribus qui ont chacune leur chef. Leurs femmes et leurs enfants sont en commun ; à l’exception de la femme unique du chef... Ils refusent aux hommes le titre de parents, mais ils le donnent au taureau, à la vache, au bélier et à la brebis, parce que ce sont ces animaux, et non leurs parents, qui leur fournissent de quoi vivre chaque jour. Livrés au soin de leurs troupeaux, ils vont d’un lieu à un autre, évitant le séjour fixe dans un même endroit. Ils ont le corps nu, à l’exception des hanches qu’ils couvrent de peaux... Les Troglodytes nommés Mugabares ont pour armes des boucliers ronds de cuir de bœuf cru, et des massues garnies de pointes de fer ; les autres tribus portent des arcs et des lances. Ils’ ont une manière particulière d’en-, terrer les morts : ils garrottent le cadavre avec des branches, de manière à attacher le cou aux cuisses et, l’exposant sur une colline, ils lui lancent en riant de grosses pierres, jusqu’à ce que le corps en soit entièrement couvert ; enfin, ils le font surmonter d’une corne de chèvre et se retirent sans avoir donné aucune marque d’affliction. Ils sont souvent en guerre entre eux, pour avoir des pâturages toujours frais. Dans leurs combats, ils se jettent d’abord des pierres, après quoi ils s’attaquent avec des flèches. Un grand nombre sont tués ainsi en peu de temps, car ils sont tous fort adroits à cet exercice, et leur corps nu n’est protégé par aucune arme défensive. Ces combats sont terminés par de vieilles femmes ; qui se jettent au milieu de la mêlée et qui sont fort respectées ; aussi, dés qu’elles paraissent, on cesse de tirer. Ceux que la vieillesse rend incapables de faire paître leurs troupeaux, s’étranglent avec une queue de vache et terminent ainsi leur vie. Si quelqu’un diffère à se donner la mort, chacun peut lui passer une corde autour du cou, et l’étrangler après un avertissement préalable. Leurs lois exigent aussi qu’on fasse mourir les estropiés ou ceux qui sont atteints de maladies incurables c’est pourquoi on ne voit chez les Troglodytes que des hommes bien faits et robustes de corps, puisque aucun d’entre eux ne dépasse soixante ans.

Diodore de Sicile range les nègres parmi les Éthiopiens : Presque tous ces Éthiopiens, et surtout ceux qui sont établis sur les rives du Nil, ont la peau noire, le nez épaté et les cheveux crépus ; leurs mœurs sont sauvages et féroces, comme celles des bêtes auxquelles ils ressemblent, non pas tant par leur caractère que par leurs habitudes. Leur corps est sale et leurs ongles très longs comme ceux des animaux ; ils sont étrangers aux sentiments d’humanité ; quand ils parlent, ils ne font entendre qu’un son de voix aigu ; enfin, ils ne cherchent point à se civiliser comme les autres nations ; leurs mœurs diffèrent entièrement des nôtres. Ils ont pour armes des boucliers en cuir de bœuf, des piques courtes, des lances recourbées ; quelquefois ils se servent d’arcs de bois, de quatre coudées de long, qu’ils bandent avec le pied, après que toutes les flèches sont lancées, ils combattent avec des massues de bois. Ils font aussi porter les armes aux femmes, qui sont obligées de servir pendant un certain temps ; la plupart, d’entre elles portent ordinairement un anneau de cuivre passé dans une des lèvres. Quelques-uns vont tout nus ; il y en a qui s’enveloppent le milieu du corps de ceintures faites de cheveux tressés, la nature du pays ne permettant pas aux brebis d’avoir de la laine.

Ces nègres d’Éthiopie, que Diodore de Sicile nous décrit comme de véritables sauvages, formaient d’ailleurs une multitude de peuplades différentes et généralement ennemies. Quelques-uns cependant étaient arrivés à un certain degré de civilisation relative, et, au lieu d’aller entièrement nus, ils portaient des vêtements (fig. 117).

Les Hylophages, dit Diodore de Sicile, vont avec leurs femmes et leurs enfants chercher leur nourriture dans les champs. Ils montent sur les arbres pour y manger les tendrons des rameaux. Ce genre de vie les a rendus si aptes à grimper, que la chose paraît incroyable ; ils sautent d’un arbre à l’autre comme des oiseaux et montent sans crainte sur les branches les plus faibles ; même s’ils tombaient à terre, ils ne se feraient aucun mal, en raison de leur légèreté. Ils vivent tout nus et, comme ils se servent de leurs femmes en commun, ils élèvent aussi leurs enfants en commun. Ils sont souvent en guerre entre eux. Ils s’arment de bâtons qui leur servent en même temps à repousser les assaillants et à assommer les vaincus.

Les contrées situées à l’occident étaient généralement peu habitées, à cause de l’immensité des déserts : aussi le danger était bien moindre de ce côté. D’ailleurs, les Égyptiens avaient des points de défense dans les oasis ; qui, comme celui d’Ammon, étaient des stations militaires en même temps que religieuses et commerciales.

C’est par la guerre que l’Égypte recrutait les hommes auxquels leur condition de prisonniers imposait les plus rudes travaux : elle les recherchait surtout parmi les peuplades nègres qui habitaient l’intérieur de l’Afrique. La figure 118 nous montre une bande de ces malheureux, qui marchent les bras attachés et sont reliés ensemble au moyen d’une corde passée autour du cou. Au reste, il n’est pas douteux que les tribus nègres, toujours en guerre les unes contre les autres, n’aient vendu elles-mêmes, comme elles le font encore aujourd’hui, leurs prisonniers aux marchands qui voulaient bien les acheter.

Une peinture de Thèbes nous montre une autre scène de nègres. Ceux-ci sont déjà accoutumés à l’esclavage : ils viennent s’aligner devant un scribe, qui note soigneusement ceux qui répondent à l’appel. Une peau de bête, servant de caleçon, et une volumineuse boucle d’oreille forment leur unique vêtement (fig. 119).

Le geste que font ces nègres, en présence du scribe chargé de constater leur présence et de les compter, est digne de remarque. Ils avancent tous le bras droit, légèrement étendu, et placent leur main gauche sur l’épaule droite : c’est la manière de saluer de l’ancienne Égypte, et nous aurons occasion de la retrouver plusieurs fois sur les monuments égyptiens.

Les monuments noirs renseignent, autant que les écrivains anciens, sur les mœurs des populations de l’Afrique centrale. Sur une peinture de Thèbes (fig. 120) nous voyons de tout jeunes enfants et leurs mères. Les enfants sont placés dans une espèce de grand panier que la mère porte sur son dos, et qui est attaché au front au moyen d’une large bande d’étoffe ou de peau. Ces négresses ont toujours les mamelles pendantes et extrêmement pointues ; mais, ce qui est encore plus remarquable, c’est la coiffure dés petits enfants : la tête semble absolument rasée, sauf deux ou trois petites mèches hérissées qui surgissent à la surface, comme autant de plumets.

Toutes ces populations, dont parlent les auteurs anciens, étaient soumises aux Pharaons, et leur condition de peuplades vaincues est attestée sur une foule de monuments. Mais il est souvent difficile de reconnaître exactement à quelle nationalité appartiennent les prisonniers que les artistes égyptiens aimaient à représenter dans la décoration des édifices, lorsqu’ils ne sont pas accompagnés d’une inscription explicative. On en voit souvent qui servent de supports.

Ceux que nous montré la figure 121 ont une coiffure qui parait formée avec des plumes d’oiseaux et ressemble assez à celle que portaient les chefs sauvages, dans certaines, contrées de l’Amérique ou de l’Océanie. On croit que ce sont les habitants du pays de Pount, dont il est souvent question dans les inscriptions et qui habitaient le littoral de la mer Rouge.

La figure 122 nous montre également des prisonniers servant de supports à un vase ; ceux-ci, qui ont les bras liés derrière le dos, appartiennent incontestablement à la race nègre, mais ce sont probablement des chefs de tribus, car au lieu d’être nus, comme sont ordinairement les noirs de l’Afrique dans les représentations, ils sont au contraire assez somptueusement vêtus.

Le type des nègres qui habitent l’intérieur de l’Afrique ne se retrouve pas seulement dans des représentations égyptiennes ; leur front fuyant, leurs lèvres épaisses et leur chevelure laineuse ont aussi vivement frappé les artistes de l’époque grecque et romaine. On les voit souvent représentés dans des objets usuels : la’ lampe de cette époque, que reproduisent nos figures 123 et 124, est très remarquable par l’expression bestiale de la physionomie.