LA VIE PRIVÉE DES ANCIENS

TOME PREMIER — LES PEUPLES DE L’ANTIQUITÉ

L’ÉGYPTE — VI - LA THÉBAÏDE

 

 

LA NÉCROPOLE DES CROCODILES. - LES BORDS DU NIL EN AVANT DE THÈBES. - DESCRIPTION DE THÈBES. - LES TOMBES ROYALES, A THÈBES. - LE RAMESSÉUM DE THÈBES. - LES COLOSSES DE MEMNON. – MÉDINET-ABOU - LOUQSOR ET KARNAK. - LES DERNIÈRES VILLES DE LA THÉBAÏDE. - L’ÎLE DE PHILÆ.

 

LA NÉCROPOLE DES CROCODILES. — Un peu avant d’arriver à Lycopolis, on trouve les grottes qui servaient de nécropoles aux crocodiles. C’est assurément là un des points les plus curieux des mœurs de l’ancienne Égypte. La véritable entrée de ces nécropoles, réservées exclusivement aux crocodiles, dit le Guide en Orient, n’a pas été découverte. On descend, par un puits de 4 mètres de profondeur, dans un labyrinthe de cavernes naturelles où il faut souvent ramper pendant plusieurs minutes. Elles sont remplies de milliers de crocodiles de toutes les grandeurs, embaumés et enveloppés de bandelettes. Les petits crocodiles sont réunis par paquets de vingt-cinq. Quelques-uns des grands crocodiles mesurent 7 mètres de longueur. On trouve également un grand nombre d’œufs de crocodiles. Cette visite est assez fatigante, à cause de la chaleur et des milliers de chauves-souris qui viennent se heurter contre les voyageurs.

Nous donnons (fig. 90) la représentation d’un crocodile enveloppé de ses bandelettes. On pourra ainsi se faire une idée de la manière dont les Égyptiens emmaillotaient ces animaux.

Les raisons pour lesquelles le crocodile recevait les honneurs de l’embaumement n’ont pas encore été bien nettement déterminées ; mais il est certain que, dans quelques localités, le crocodile était considéré comme un animal sacré, tandis qu’il était fort méprisé dans d’autres. Une partie des Égyptiens, dit Hérodote, regarde ces animaux comme sacrés, mais d’autres leur font la guerre. Ceux qui habitent aux environs de Thèbes et du lac Mœris ont pour eux beaucoup de vénération. Les uns et les autres en choisissent un qu’ils élèvent et qu’ils instruisent à se laisser toucher avec la main. On lui met des pendants d’or ou de pierre factice et on lui attache aux pieds de devant de petites chaînes ou bracelets. On le nourrit avec la chair des victimes, et on lui donne d’autres aliments prescrits. Tant qu’il vit, on en prend le plus grand soin ; quand, il meurt, on l’embaume et on le met dans une caisse sacrée. Ceux d’Éléphantine et des environs ne regardent point les crocodiles comme sacrés et même ils ne se font aucun scrupule d’en manger.

Non seulement le crocodile n’était pas considéré comme un animal sacré par tous les Égyptiens, mais il était même pour quelques-uns l’emblème du principe malfaisant. Plusieurs monuments nous montrent le dieu Horus, vainqueur des crocodiles sur lesquels il est monté, et auxquels il fait retourner la tête. Le crocodile, dit M. de Rougé, ne peut pas retourner, la tête ; c’était, chez les Égyptiens, le symbole de la chose impossible. Le dieu, rajeuni, foulé aux pieds cet emblème ; il a triomphé de la mort, il a fait retourner la tête aux crocodiles, qui étaient aussi la figure des ténèbres.

Ces anomalies n’ont rien de surprenant, si on se rappelle que l’unité de l’Égypte a été lente à se constituer, et que les peuplades qui formaient la population primitive adoraient la Divinité sous des emblèmes différents. Celles qui avaient adopté le crocodile pour emblème ont été probablement englobées par les autres, en sorte que cet emblème, tout en continuant à être vénéré dans certaines localités, fut abandonné dans d’autres.

 

LES BORDS DU NIL EN AVANT DE THÈBES. — Les grottes d’Al-Armana sont fort intéressantes pour l’histoire religieuse de l’Égypte. Aucune des images habituelles dans les scènes funéraires ne se trouve ici ; et une seule divinité s’y montre sous un aspect unique, celui d’un disque solaire. Les peintures qui décorent ces grottes se rattachent à l’histoire d’un pharaon qui a voulu substituer le culte d’un dieu unique à celui des divinités de l’Égypte, et, dont la tentative monothéiste a été suivie d’une violente réaction ; car le nom de ce pharaon a été effacé avec colère dans la liste des rois consignés aux archives des temples.

Lycopolis (aujourd’hui Siout), ville consacrée à Anubis, le dieu à tête de chacal, offre peu de ruines. Mais la chaîne libyque renferme en cet endroit des hypogées intéressants.

Antœopolis, où l’on honorait spécialement Horus, le dieu à tête d’épervier, montre encore les traces de son temple et des hypogées d’époques grecque et romaine.

Après avoir passé cette ville, on trouvait Panopolis et Ptolémaïs, villes qui, au temps de Strabon, avaient une grande importance, mais qui n’ont pas laissé de ruines ; puis on arrivait à une ville sainte, Abydos.

Abydos, sanctuaire d’Osiris qui, suivant la tradition, avait là son tombeau, a été une ville presque aussi importante que Thèbes. Ses ruines comprennent un temple où M. Mariette a reconnu le Memnonium mentionné par Strabon, et les restes d’un temple d’Osiris et d’un autre temple bâti par Ramsès II. C’est en ce lieu qu’on a retrouvé la fameuse table d’Abydos, document contenant des noms de rois, et d’après lequel Champollion a posé la première base des dynasties égyptiennes.

Peu après avoir dépassé ce sanctuaire, on arrivait à Tentyris (aujourd’hui Denderah). On y voit un temple dont l’origine peut remonter aux anciennes dynasties égyptiennes, mais qui a été entièrement rebâti sous les Ptolémées. Ce magnifique édifice, d’une conservation remarquable, a été déblayé par M. Mariette, qui a fait un ouvrage spécial pour expliquer les hiéroglyphes dont il est couvert : il était dédié à la déesse Hathor.

Avant d’arriver à Thèbes, on trouvait encore Coptos. Cette ville, qui eut une certaine importance, se révolta, contre les Romains l’an 26 de notre ère. Elle fut prise et détruite de fond en comble par Dioclétien. Elle avait été, sous les Romains, l’entrepôt du commerce avec les Indes, et le point de départ de la route menant à Bérénice, port sur la mer Rouge, fondé par Ptolémée Philadelphe et qui garda pendant plusieurs siècles une grande prospérité. Il y avait de ce côté des mines d’émeraude exploitées dans, l’antiquité et qui furent longtemps une source de richesses pour l’Égypte.

 

DESCRIPTION DE THÈBES. — On n’a aucun document sur la fondation de Thèbes, une des villes les plus importantes de l’antiquité. On sait seulement que les pharaons de la XIe et de la XIIe dynasties possédaient un royaume indépendant de Memphis, et que Thèbes était leur résidence. C’est donc environ 2500 ans avant notre ère que Thèbes apparaît dans l’histoire comme une grande ville, car, dès la XIIIe dynastie, elle était devenue la capitale reconnue de toute l’Égypte. Sa prépondérance dans l’ancienne Égypte dura jusque vers l’an 1110 ; à cette époque Thèbes semble s’effacer dans l’histoire ; puis, 600 ans plus tard, Cambyse dépouille ses temples des richesses que les siècles y avaient amoncelées. Ici commence pour Thèbes une irrémédiable décadence. Sous les Ptolémées, ce n’est plus qu’un souvenir grandiose et respecté, et Strabon, parlant des ruines éparses sur une longueur de 80 stades, mentionne à peine les villages répandus sur l’emplacement de l’ancienne cité des pharaons.

Enfin le christianisme arrive, les derniers temples sont détruits et les statues renversées ; des monastères viennent s’établir au milieu des décombres, et des ermites poursuivis par d’étranges apparitions .fréquentent seuls les vallées pleines d’antiques tombeaux.

Thèbes, la ville aux cent portes, qui s’étendait sur les deux rives du Nil, la ville sainte d’Ammon, a laissé des monuments épars dont les restes grandioses sont aujourd’hui occupés par quatre villages. Ce sont, sur la rive droite du Nil : Louqsor et Karnak ; sur la rive gauche, Médinet-Abou et Kourna. La disposition de ces villages est marquée sur le plan ci-contre (fig. 91).

En commençant par la rive occidentale et par le nord, on trouve d’abord Kourna, qui possède un temple élevé par Séti Ier à la mémoire de son père, Ramsès III. Ce temple est bâti à l’entrée de la gorge de Biban-el-Molouk, où sont les tombeaux des rois.

 

LES TOMBES ROYALES, A THÈBES. — Le vallon où se trouvent les tombeaux des pharaons a reçu des Arabes le nom de Biban-el-Molouk.

L’emplacement de ce vallon figure sur notre plan général de Thèbes (fig. 91), un peu au-dessus du village de Kourna ; une route, qui suit la direction du nord-ouest et se contourne au fond d’une gorge étroite et profonde, marque l’endroit où sont les tombes qui s’enfoncent à droite et à gauche dans les parois du rocher. La figure 92 nous montre l’entrée d’une de ces tombes qui présentent toutes une conformation analogue. Le bandeau de la porte est orné d’un bas-relief qui est en quelque sorte la préface de la décoration intérieure. On y voit un grand disque, image du soleil couchant, accompagné d’emblèmes funéraires, parmi lesquels apparaît toujours le scarabée, symbole d’immortalité, Les déesses des funérailles occupent chaque côté du disque, Isis, du côté, de l’occident, et Nephtys ; du côté de l’orient.

Dès qu’on a franchi la porte d’entrée, on se trouve sur une galerie  qui pénètre dans l’inférieur de la montagne, sur un plan plus ou moins incliné, mais qui va toujours en descendant.

La figure 93 nous montre la disposition d’une de ces tombes.

De distance en distance, dit le Guide en Orient, on rencontre de petites chambrés carrées ou des salles oblongues, dont la voûte est soutenue par des piliers, jusqu’à ce que l’on arrive à la pièce principale oit était déposé le sarcophage : L’un de ces hypogées, le plus grand, n’a pas moins de 125 mètres de longueur et, dans toute cette étendue, il n’est pas une seule partie des parois, aussi bien des galeries que des chambres ou des salles, qui ne soit couverte de peintures ou de bas-reliefs. Une remarque que l’on doit à Champollion, et que les études ultérieures ont de plus en plus confirmée, c’est que l’étendue des tombes est toujours en rapport avec l’étendue des règnes. Chaque roi, dès son avènement au trône, faisait travailler à l’hypogée où devaient être déposés ses restes. S’il régnait longtemps, les travaux se déployaient sur une large échelle ; les chambres et les salles se multipliaient ; la peinture et là sculpture étaient exécutées avec tout le fini et la perfection dont étaient susceptibles les artistes égyptiens ; si le règne était court, au contraire, les travaux ne pouvaient avoir que peu de développement, et il arrivait même que les peintures et les sculptures, restaient à l’état d’ébauche.

Le sarcophage, dont l’emplacement est indiqué sur notre plan (fig. 93), est ordinairement décoré d’inscriptions et d’emblèmes funèbres ; la figure 94 nous en offre un exemple. Au milieu, on, voit un disque solaire flanqué de deux grandes ailes et de deux uræus. Une divinité, placée à chaque angle du sarcophage, étend son aile protectrice sur la demeure du défunt.

Parmi les tombes royales, il y en a quelques-unes qui sont particulièrement remarquables, soit par les souvenirs qui s’y rattachent, soit par la manière dont elles sont décorées. Il faut signaler entre autre le tombeau de Ramsès-Meïamoun et celui à la décoration duquel nous avons emprunté précédemment, les figures 18 et 19. Enfin, outre les tombeaux des rois, on trouve aux environs une multitude d’hypogées qui étaient les cimetières de la population thébaine.

Pendant plus de quinze siècles, Thèbes fut la plus grande ville du monde et le sanctuaire le plus vénéré de l’ancienne Égypte. Thèbes était divisée en deux parties, par le fleuve saint qui la traversait dans toute sa longueur. Les cimetières de la, ville étaient placés sur la rive gauche, dans les vallons de la chaîne libyque. Ces immenses nécropoles, où les rois divinisés, les plus grands fonctionnaires avaient de splendides tombeaux, où une population énorme se faisait inhumer, étaient en même temps des lieux vénérés que visitaient les pèlerins de tous les points de l’Égypte. Aussi, à Thèbes, les convois se faisaient généralement par eau ; en conduisant le mort à sa dernière demeure, on promenait sa momie sur le fleuve saint, au milieu des cérémonies pieuses. On comprend l’animation que présentait le fleuve au moment de ces grandes processions nautiques, qui avaient lieu dans toute l’Égypte, mais qui, à Thèbes, se faisaient avec plus de pompe que partout ailleurs.

 

LE RAMESSÉUM DE THÈBES. — Entre Kourna et Médinet-Abou, le long des rochers qu’on voit sur notre plan général de Thèbes (fig. 91), sont les restes d’un édifice dans lequel les membres de la Commission d’Égypte avaient cru reconnaître le tombeau d’Osymandias, décrit par Diodore de Sicile. On le désigne aujourd’hui sous le nom de Ramesséum, et les inscriptions démontrent qu’il a été élevé par Ramsès II. Le palais dans son ensemble, dit le Guide en Orient, se composait d’une entrée monumentale, d’une vaste cour ornée d’une double ligne de colonnes formant galerie, de deux grandes salles successives soutenues par de nombreuses colonnes, et enfin d’une suite d’appartements formant l’extrémité de l’édifice. La disposition en était tout à fait régulière et le grand axe, sur lequel se succédaient la cotir, les salles et les chambres, avait une longueur totale de 467 mètres environ. Un dromos ajoutait sans doute à l’aspect grandiose du palais, et l’intérieur en était orné à profusion de sculptures et de statues colossales. Les statues ont été brisées, les murs et les colonnes en partie renversés, les peintures et les sculptures mutilées ou détruites ; et cependant ce qui subsiste encore permet de se rendre compte de ce que fut le monument dans sa magnificence.

 

LES COLOSSES DE MEMNON. — C’est près des ruines de Médinet-Abou qu’on trouve les fameux colosses d’Aménophis III, si connus sous le nom de colosses de Memnon.

Un tremblement de terre, survenu l’an 27 de l’ère chrétienne, brisa celui des deux colosses qui est situé vers le nord et en détacha la partie supérieure. C’est du moins ce que rapporte Strabon, car Pausanias attribue à Cambyse la destruction du colosse de Memnon.

Cette attribution à Memnon d’une statue représentant un pharaon nous vient des Grecs ; frappés des sons qui s’échappaient de la statue mutilée au moment où le soleil se levait, ils avaient donné à ce fait une raison mythologique. Memnon, fils de l’Aurore et roi d’Éthiopie, venu à Troie au secours de Priam, avait été tué par Achille. Les Grecs voyant une statue placée à l’entrée de son royaume et rendant des sons dès que l’Aurore paraissait, en conclurent qu’elle représentait Memnon saluant sa mère chaque matin.

Aussi la statue, principalement à partir de Néron, reçut un nombre considérable de visiteurs poussés, les uns par l’idée d’une sorte de pèlerinage pieux, les autres par la simple curiosité. Le socle et les jambes sont couverts de noms estropiés et d’inscriptions grecques et latines attestant le phénomène. Le temps a rendu la plupart de ces inscriptions complètement illisibles ; cependant soixante-douze d’entre elles ont été traduites et publiées. Ta mère, la déesse Aurore aux doigts de rose, dit une inscription contemporaine d’Antonin, ô célèbre Memnon, t’a rendu vocal pour moi qui désirais t’entendre. La douzième année de l’illustre Antonin, deux fois, ô être divin, j’ai entendu ta voix, lorsque le soleil quittait les flots majestueux de l’Océan. Jadis le fils de Saturne te fit roi de l’Orient ; maintenant tu n’es plus qu’une pierre, et c’est de cette pierre que sort ta voix. Gemellus a écrit ces vers à son tour, étant venu ici avec sa chère épouse Rufilla et ses enfants.

Parmi les nombreux visiteurs de la statue, on compté une foule de personnages illustres, entre autres l’empereur Hadrien et sa femme. L’empereur Septime-Sévère voulut faire restaurer le colosse mutilé, mais, à partir de ce moment, il ne fit plus entendre sa voix. On attribue généralement le bruit qu il produisait, avant. cette restauration, aux fissures par lesquelles s’échappait l’humidité de la nuit quand le soleil commençait à échauffer le bloc : ces fissures ayant été bouchées, le bruit cessa tout naturellement.

 

MÉDINET-ABOU. — Les constructions antiques de Médinet-Abou forment trois groupes principaux : le petit temple, le pavillon royal de Ramsès et le grand temple. Le petit temple, marqué B sur notre plan (fig. 96), a été commencé par Touthmès Ier (XVIIIe dynastie vers 1660) et achevé par ses successeurs. Il est précédé d’un portique D, élevé sous Antonin-le Pieux, et accompagné d’un pylône qui date des Ptolémées. Tout le reste de l’édifice est de l’époque pharaonique : des inscriptions montrent que les diverses pièces du temple ont été appropriées au culte chrétien dans les premiers siècles.

L’édifice marqué C est celui qu’on désigne sous le nom de pavillon de Ramsès (fig. 97). Cette construction, dit le Guide en Orient, était primitivement isolée : le mur qui la rattache aujourd’hui au temple de Touthmès a été élevé plus tard. Deux tours rectangulaires, à murs inclinés, en forment l’entrée. Après avoir franchi cet intervalle, on arrive à un bâtiment élevé de plusieurs étages ; c’est le pavillon proprement dit. Une porte au rez-de-chaussée donnait accès dans l’intérieur. Des appartements dont se composait le pavillon, quelques-uns subsistent encore : ce qu’ils offrent de plus digne d’attention, ce sont les peintures de .leurs murailles, unique échantillon que nous possédions aujourd’hui de la décoration intérieure d’un palais égyptien. Dans, une salle du second étage, dont le plafond est orné de losanges et d’un encadrement disposé avec goût, on voit représentées des scènes de harem. Le roi est assis dans un fauteuil de forme élégante ; une femme est debout devant lui et lui présente un fruit ; le maître la prend d’une main par le bras et de l’autre fait un geste caressant. Dans d’autres groupes, le roi joue aux échecs, ou bien des esclaves agitent un large éventail au-dessus de sa tête. Sur les murs extérieurs du pavillon, les tableaux ont un autre caractère : ce sont des scènes guerrières. Le roi frappe ses ennemis en présence de son protecteur céleste ; Ammon-Râ ; les peuples vaincus sont représentés sous leurs traits et avec leurs costumes caractéristiques, en même temps que leur nom est inscrit dans des cartouches. La partie supérieure du pavillon se termine par des créneaux.

Le grand temple, qui est l’édifice le plus important de Médinet-Abou, est également l’œuvre de Ramsès III : il est dédié à Ammon. Le premier pylône, assez délabré, donne accès à une vaste cour, bordée d’un côté par des piliers cariatides, de l’autre par de grosses colonnes circulaires. On traverse un second pylône et on se trouve dans la cour A (fig. 96), qui est une des plus belles et des mieux conservées qu’il y ait en Égypte. Elle est également décorée de colonnes et de piliers cariatides, mais le portique a le rare avantage d’avoir conservé ses plafonds qui sont peints en bleu et semés d’étoiles ; les parois sont en outre couvertes de tableaux historiques, et religieux. On y voit entre autres sujets le roi Ramsès, entouré de son cortége triomphal, et couronné comme souverain des deux régions, la hante et la basse Égypte. Un autre corps de bâtiment, E, fait suite à cette cour, mais il n’offre guère qu’un amas de décombres.

Les murs extérieurs du grand temple sont couverts de bas-reliefs, qui représentent une histoire militaire de Ramsès III, et forment un des plus curieux documents sur l’Égypte. Le premier tableau montre le pharaon partant pour la guerre sur un char richement décoré. La défaite des ennemis forme le sujet du second tableau et, dans le troisième, on voit les prisonniers amenés devant le pharaon près duquel un scribe inscrit sur un registre le nombre des mains coupées aux morts sur le champ de bataille, conformément à un usage militaire de l’ancienne Égypte : le nombre des mains inscrites est ici de 12.535. Dans le tableau suivant, le roi harangue ses troupes ; puis on voit une expédition maritime et une grande bataille navale ; enfin, le pharaon victorieux rentre triomphalement à Thèbes.

Des cartouches indiquent le nom des peuples vaincus, et, comme la fin de la campagne tombe vers l’an 1229 avant notre ère, cette date doit avoir précédé de très peu l’époque où les bas-reliefs ont été exécutés. Dans son chant de victoire, le pharaon parle ainsi : Je suis assis sur le trône d’Horus. Semblable au soleil, j’ai protégé de mon bras les pays étrangers et les frontières d’Égypte, pour en repousser les Neuf-Peuples. J’ai pris leur pays, et de leurs frontières j’ai fait les miennes. Leurs princes me rendent hommage. J’ai accompli les desseins du Seigneur absolu, mon vénérable père divin, le maître des dieux. Poussez des cris de joie, habitants de l’Égypte, jusqu’à la hauteur du ciel ; je suis le roi de la haute et de la basse Égypte sur le trône de Toum, qui m’a donné le sceptre de l’Égypte pour vaincre sur terre et sur mer, dans toutes les contrées.

 

LOUQSOR ET KARNAK. — Les villages arabes de Louqsor et de Karnak ont donné leurs noms aux vastes ruines qui sont sur la rive orientale du Nil à Thèbes. C’est en face du temple de Louqsor qu’était placé l’obélisque qui décore aujourd’hui la place de la Concorde, à Paris. Cet obélisque, élevé par Ramsès Il, ainsi que celui qui était à côté, reposait sur un socle quadrangulaire orné de sculptures représentant le dieu Nil faisant des offrandes à Ammon. Il est, comme tous les obélisques, couvert d’inscriptions. Voici, d’après M. Paul Pierret, la traduction de la colonne médiale de la face ouest (côté des Champs-Élysées) :  L’Horus-Soleil, taureau fort, aimant la vérité, souverain du Nord et du Sud, protecteur de l’Égypte et oppresseur des barbares, l’Horus d’or, riche d’années, grand parmi les forts, le roi Ra-user-ma (prénom de Ramsès II), chef des chefs, a été engendré par Toum, de sa propre chair, seul avec lui, pour être constitué roi de la terre, éternellement, et pour alimenter d’offrandes le temple d’Ammon. C’est le fils du Soleil, Ramsès-meri-Amon, éternellement vivant, qui a fait cet obélisque.

M. Mariette fait de Louqsor le tableau suivant :

Submergé sous les maisons modernes qui l’ont envahi comme une marée montante, le temple de Louqsor n’offre, au visiteur qu’un intérêt médiocre. Son plan est très irrégulier, ce qui est dû à cette circonstance qu’originairement le temple était bâti sur  le bord du fleuve et à pic sur un quai qui en suivait les détours. Comme date, le temple de Louqsor remonte au règne d’Aménophis III. La haute colonnade qui domine lé fleuve est du règne d’Horus ; Ramsès II fit élever les deux obélisques, les colosses qui les accompagnent et le pylône qui les suit. A l’intérieur, on trouve les noms de Tahraka, de Psamétik, d’Alexandre, auquel est due, sinon la construction, au moins l’ornementation d’une partie du sanctuaire.

Une grande avenue bordée de sphinx conduit de Louqsor à Karnak. Les sphinx qui bordent les avenues ne sont pas tous de la même espèce. Il y en .a qui ont des corps de lion’ avec des têtes de bélier ; ils portent les pattes de devant étendues et celles de derrière repliées sous le corps (fig. 98) ; leur coiffure part du dessus de la tête et retombe sur le dos, la poitrine et les épaules. D’autres ont le corps d’un lion avec la rte d’une femme. Enfin, il y en a qui ne sont plus des animaux chimériques et offrent la représentation de béliers véritables. Au-dessous de leur cou et en avant de la poitrine, on voit quelquefois une petite divinité en forme de gaine et portant des emblèmes sacrés.

Le nombre des sphinx qui bordaient les avenues varie, en général, de trente à soixante, mais la grande avenue qui menait du temple de Karnak à celui de Louqsor, et qui avait 2.000 mètres de longueur, paraît avoir été bordée par environ six cents sphinx. On peut se figurer l’effet que devaient produire les grandes processions, quand elles parcouraient solennellement ces avenues et passaient entre les pylônes décorés de mâts aux banderoles flottantes.

Avant d’aborder les ruines de Karnak, les plus importantes qu’il y ait en Égypte, il faut dire an mot des pylônes. Le pylône simple est un massif de maçonnerie dont les faces sont construites en talus, et dans lequel s’ouvre une grande porte rectangulaire. La corniche, souvent très élevée, est formée d’une large gorge avançant dans sa partie supérieure et ayant pour base une grosse moulure. Un disque solaire avec les deux ailes étendues occupe le milieu de cette corniche, et la face du pylône est quelquefois décorée de personnages, comme le montre la figure 99, ci-contre.

La porte d’entrée des temples forme ordinairement un double pylône, c’est-à-dire qu’elle est accompagnée à droite et à gauche de deux massifs de maçonnerie qui présentent la forme de pyramides tronquées. Comme la porte est beaucoup plus basse, elle paraît ainsi flanquée de deux tours.

On verra plus loin des doubles pylônes, dans la figure 102 et surtout dans la ligure 111, où l’entrée du temple est précédée de son avenue de sphinx.

Karnak, appelé la Demeure d’Ammon, est un vaste ensemble de ruines comprenant des monuments élevés à plusieurs époques en l’honneur de la grande divinité de Thèbes.

Quand on quitte Louqsor par le côté du nord, on trouve la grande avenue des sphinx, qui fait un léger coude, en formant un carrefour d’où part une autre avenue ; à partir de ce coude les sphinx se transforment en béliers ; on arrive à un temple D (fig. 100) ; dédié au dieu Khons, et construit sous la XXe dynastie (entre 1288 et 1200 avant notre ère). A gauche de ce temple et directement au-dessous de la lettre D, est une chapelle, consacrée à la déesse Hathor par Ptolémée Évergète II (vers 130 ans avant J.-C.).

En continuant vers le nord, on trouve en A l’entrée du grand temple, tournée du côté du Nil qui en est éloigné d’un kilomètre environ. Un énorme pylône, qui se développe sur une largeur de 113 mètres et est précédé de deux colosses, forme la porte du temple à laquelle on arrivait par une avenue de sphinx. Dès qu’on a franchi l’entrée, on se trouve dans une vaste cour enrichie de portiques ; celui du sud est interrompu par une chapelle qui se projette à la fois en dedans et en dehors de .la cour. Cette chapelle, qui partout ailleurs semblerait un grand temple, parait ici peu considérable à cause de l’immensité des constructions qui l’entourent. Au milieu de la cour et dans le grand axe de l’édifice, sont des colonnes qui paraissent avoir porté des symboles religieux, tels que le bélier, l’ibis, l’épervier, le chacal, etc. Au fond, un second pylône précédé de deux colosses, dont un est encore debout, mène à la grande salle hypostyle par une porte qui a plus de 20 mètres de hauteur.

La partie principale du temple était la salle hypostyle, grande pièce dont le plafond était soutenu par des colonnes et au fond de laquelle était la porte conduisant au sanctuaire. Quand la commission de savants, qui accompagnait le général Bonaparte en Égypte, visita pour la première fois la grande salle hypostyle du temple de Karnak, elle fut comme pétrifiée par l’aspect grandiose du monument. Une simple description, dit le rapport, mettra le lecteur à portée de juger de l’effet que cette vaste salle hypostyle doit produire. C’est un rectangle de 50 mètres de long et de 100 mètres de large ; ainsi l’une de ses dimensions est exactement double de l’autre. L’espace qu’il renferme et qui est entièrement couvert a plus de 5.000 mètres carrés. Il faut se figurer que .l’une de nos plus grandes églises, telles que Notre-Dame de Paris, pourrait s’y placer tout entière. Les proportions des colonnes employées dans la salle hypostyle ont forcé d’établir les terrasses à des hauteurs différentes. On peut considérer cette salle comme partagée en trois portions, d’égale longueur, mais de largeurs inégales. La partie intermédiaire, qui renferme les plus grosses colonnes, forme une sorte d’avenue entre les deux distributions latérales. Toutes les descriptions, tous les plans, sont insuffisants pour donner une idée exacte de cette construction ; car, bien que Von puisse en fixer les mesures et comparer les colonnes, qui la décorent à celles d’édifices plus connus, il y a toujours des effets qui tiennent aux localités et que ni les dessins ni les discours ne peuvent rendre. Il faut se représenter une avenue formée de deux rangées de six colonnes, qui ont chacune 3m,57 de diamètre et plus de 10 mètres de circonférence. Ce sont, sans contredit, les plus grosses colonnes qui aient Jamais été employées dans l’intérieur des édifices : elles ont 21 mètres depuis le sol jusqu’à la partie supérieure du de. Le chapiteau seul â 3 mètres et un tiers de hauteur ; son plus grand diamètre en a 7, ce qui fait un contour de 21 mètres, comprenant une surface de 83 mètres carrés.

Les murs extérieurs de la salle hypostyle sont décorés de bas-reliefs qui retracent les campagnes des Pharaons ; c’est là qu’est gravé le fameux poème de Pentaour, dont nous avons donné des extraits plus haut. Au fond de la salle, un troisième pylône conduit à un corridor où se trouvaient deux obélisques, dont un est encore debout. Après ce corridor, on arrive, en traversant un quatrième pylône, à la salle dite, des Cariatides, après laquelle se trouve un ensemble de constructions auxquelles on a donné le nom d’appartements de granit : c’est la partie la plus ancienne du temple et celle où était le sanctuaire.

Un espace libre vient ensuite aboutir à l’édifice connu sous le nom de palais de Touthmès III, à l’angle duquel un B est marqué sur le plan (fig. 100). Cet édifice, quoique en grande partie détruit, contient plusieurs salles dont quelques-unes offrent un grand intérêt archéologique. C’est dans une de ces salles, dite Chambre des Ancêtres, qu’a été trouvé un bas-relief du Louvre, où l’on voit le roi Touthmès faisant des offrandes à cinquante-sept de ses prédécesseurs au trône d’Égypte, assis sur quatre rangs. Comme chacun de ces rois est accompagné de son cartouche, ce bas-relief est un document infiniment précieux pour l’histoire.

Tel est, dans son ensemble, cet immense édifice qui constitue la ruine la plais imposante de l’Égypte. Quant à sa décoration, elle ne diffère pas essentiellement de celle des autres temples égyptiens, et la figure 101 peut en donner une idée : mais il ne faut pas oublier que, dans leur état actuel, la plupart des salles, dans presque tous les monuments, sont remplies de décombres.

Une vaste enceinte en briques crues entourait non seulement le grand temple de Karnak, mais encore les constructions qui s’y rattachent, parmi lesquelles on a retrouvé un bassin, indiqué en G sur le plan (fig. 100), et des constructions de diverses époques autour du point E. En dehors de l’enceinte : on trouve encore, en F, des ruines de l’époque pharaonique et, en K, les restes d’un édifice qui parait avoir été bâti, au moins en partie, sous Ptolémée Philadelphe.

Des portes monumentales, des colosses et une quantité de fragments sont partout disséminés dans l’espace qui sépare les ruines.

Quant â la ville même de Thèbes, il est difficile de connaître exactement sa disposition : les traces des rues ont disparu et il n’est rien resté de ses maisons particulières.

Tous les historiens anciens ont parlé des magnificences de Thèbes. Il n’est entré dans aucune ville du monde, dit Diodore de Sicile, autant d’offrandes magnifiques en or, en argent et en ivoire ; elle était remplie d’une multitude de Statues colossales et d’obélisques d’un seul morceau de pierre. A cette magnificence se joignait encore la richesse des offrandes qui étaient consacrées aux dieux et qui excitaient l’admiration non seulement par leur somptuosité, mais encore par l’excellence du travail-Les édifices ont subsisté jusqu’à ces derniers temps ; mais l’or, l’argent, l’ivoire et les pierres précieuses ont été enlevés à l’époque où Cambyse incendia les temples de l’Égypte. Ce fut vers ce temps que les Perses, transportant ces trésors en Asie Gt emmenant même avec eux des ouvriers égyptiens, firent bâtir les fameux palais de Persépolis, de. Suze et de quelques autres villes de la Médie.

Dans son Histoire des usages funèbres, M. E. Feydeau fait sur l’ancienne ville de Thèbes, un essai de reconstitution extrêmement coloré et tout à fait conforme à ce qu’on peut se figurer d’après,es peintures des monuments égyptiens :

Nous apercevons d’abord auprès du Nil, dans les parties les plus basses du sol, de vastes jardins cultivés, avec leur clôture en palissade, leurs avenues de palmiers bien alignées, leurs figuiers et leurs grenadiers en espaliers, leurs berceaux de vigne, leurs treilles nombreuses, leurs larges bassins de pierre dans les eaux desquels s’ébattent des oiseaux aquatiques, leurs kiosques de bois peint chargés de balcons à balustrade, leurs carrés de légumes, de fleurs et de plantes bulbeuses, incessamment parcourus par des serviteurs qui les arrosent à l’aide de longues jarres. En arrière, sont pittoresquement groupés les vastes greniers dans lesquels viennent s’entasser les trésors de. la riche Égypte, et les maisons des habitants, trouées de fenêtres carrées, à volets peints et mobiles, s’ouvrant à des hauteurs inégales, de chaque côté des rues perdendicu1aires au fleuve, qui s’allongent, comme des serpents, jusqu’aux sables du désert. En dirigeant nos regards sous les lamés, çà et là relevées, de ces volets de roseau, Trous apercevons des peintures à fresque qui, décorent les chambres intérieures ; des nattes de jonc tressé ; souples comme des étoffes, étendues sur les parquets ; des sièges à dossier renversé, en bois de cèdre incrusté de dorures ; des pliants en bois léger ; des marchepieds recouverts d’étoffes brillantes ; des tables rondes chargées de cassettes et de coffrets ; des trépieds supportant de longues jarres de terre poreuse ; des lits émaillés et dorés, garnis de coussins épais en soie brodée ; des peaux d’animaux sauvages ; de riches tentures rehaussées de vives couleurs. Presque toutes les habitations se ressemblent, sinon en dimensions, du moins en dispositions intérieures. C’est toujours un pavillon élevé, surmonté d’une terrasse, et flanqué sur les côtés de deux corps de logis, espèces de galeries à jour, soutenues par d’élégantes colonnettes. Et toutes ces habitations, modestes et splendides, accotées les unes aux antres, projetant leur ombre sur les rues, figurent, prises en bloc, les deux talus d’un immense fossé, tant leurs contours symétriques leur ensemble massif et leur carrure leur donnent d’uniformité.

 

LES DERNIÈRES VILLES DE LA THÉBAÏDE. — Hermonthis possédait un temple construit, sous le règne de la dernière Cléopâtre, en souvenir de la naissance du fils qu’elle avait eu de Jules César.

Latopolis (Esneh). — Dans l’état actuel, dit M. Mariette, on ne voit du temple d’Esneh que sa grande salle antérieure. La façade et toutes les colonnes de cette salle sont de l’époque romaine. On y lit les cartouches de Claude, de Domitien, de Commode ; de Septime Sévère, de Caracalla, et de Geta. Le fond de la salle est d’époque grecque et annonce une partie construite par Ptolémée Épiphane.

Eleithya (El-Kab) possède des ruines remarquables et surtout des hypogées célèbres par leurs bas-reliefs peints, où l’on voit des scènes relatives aux travaux agricoles, à la pêche et à la navigation.

Apollinopolis magna (Edfou) est un des points les plus importants de l’Égypte par ses ruines. Le temple principal, quoique d’un style absolument égyptien, ne remonte pas au delà des Ptolémées. Le grand pylône du temple domine toute la plaine et se voit de très loin (fig. 102). Les bas-reliefs qui décorent l’édifice se rapportent pour la plupart à des sujets religieux, mais il y en a aussi quelques-uns traitant de motifs guerriers, et ces compositions, destinées à glorifier les Ptolémées, rappellent exactement celles qui, plusieurs siècles auparavant, célébraient les grandes actions des Pharaons.

Il ne reste rien de l’ancienne ville, et les masures des fellahs se mêlent partout aux décombres des anciens édifices. L’intérieur même du temple a été complètement envahi par les sables (fig. 103) ; néanmoins, M. Mariette est parvenu à le déblayer en grande partie et les fouilles qu’il y a exécutées ont amené des découvertes importantes pour la science.

Silsilis (Gebel) est un lieu où le Nil, resserré entre deux montagnes, recevait un culte particulier. On y trouve gravés sur des rochers, dit M. Mariette, des hymnes au fleuve qui ne manquent pas d’une certaine grandeur. Il y avait, là plusieurs chapelles, et d’immenses excavations remplies de bas-reliefs. Les vastes carrières de Silsilis, exploitées par tes anciens Égyptiens, ont fourni les matériaux pour une foule de monuments importants.

Un peu après Silsilis, on trouve Ombos, dont les ruines couvrent une assez grande étendue de terrain. Les temples, d’une origine probablement fort ancienne, ont été reconstruits entièrement sous la domination des Ptolémées. Il y en avait deux, mais le plus petit parait avoir été simplement une annexe du plus gland. Les ruines que nous donnons (fig. 104) appartiennent au portique du grand temple, dont les colonnes ont plus de 6 mètres de circonférence’ et comptent parmi les plus grosses qu’on ait rencontrées en Égypte. Une particularité du temple d’Ombos, c’est qu’il était divisé, dans le sens de sa largeur, en deux parties distinctes, ayant chacune un portique et un sanctuaire particulier. C’étaient en réalité deux temples accolés.

L’emplacement de l’ancienne ville est aujourd’hui entièrement recouvert par le sable.

Syène (Assouan), dont le nom symbolique représente un aplomb d’architecte ou de maçon, possédait un puits fameux dans lequel, disait-on, les rayons du soleil tombaient d’aplomb le jour du solstice d’été. Le nom de cette ville, déterminé par le fil à plomb, devait être en relation avec quelque fait astronomique, car M.  Mariette a découvert à Assouan un temple consacré à Isis-Sothis, divinisation de la constellation Sirius. Or, Sirius était considéré comme le régulateur de l’année égyptienne, comme le point de départ du nouvel an, qui commençait au lever, héliaque de l’astre. On sait que les anciens faisaient passer .à Syène un de leurs principaux parallèles et qu’ils déterminaient, d’après le méridien de cette ville, le premier degré et par conséquent la circonférence de la terre dans le voisinage des tropiques. Ils croyaient là ville située sous le tropique même, tandis qu’elle se trouve de près d’un degré plus au nord[1].

Éléphantine. — Il y a soixante-dix ans, on voyait à Éléphantine un temple déjà à moitié démoli, que les auteurs du grand ouvrage de la Commission d’Égypte ont nommé le temple du Nord ; un autre temple, d’admirables proportions, qu’on appelait le temple du Sud et que par les dessins exécutés alors nous savons être d’Aménophis III ; une porte monumentale de granit ; enfin, un quai à pic sur le fleuve et précédé du côté nord par un nilomètre[2].

Il ne reste à Éléphantine que le quai en grès, ouvrage d’époque romaine, placé en avant de l’ancienne ville du côté qui regarde Assouan. Cette belle construction, dit le Guide en Orient, a de 150 à 200 mètres de longueur, et s’élève de 15 mètres au-dessus des basses eaux. Un escalier d’environ quatre-vingt-dix marches, coupé par un large palier, y descend à l’endroit où le Nil fait un coude. Il se terminait, à sa partie inférieure, par une porte qu’on ne voit plus que dans les basses eaux ; à sa partie supérieure, il aboutissait à une petite salle décorée de sculptures et qui a été démolie en même temps que les restes des deux temples. Sur la paroi de cet escalier qui est baigné par le Nil, on voit des échelles graduées qui servaient à mesurer la croissance du fleuve. C’est sans aucun doute le nilomètre mentionné par Strabon. On y lit des inscriptions où sont notées plusieurs inondations remarquables, depuis le règne d’Auguste jusqu’à celui de Septime Sévère.

 

L’ILE DE PHILÆ. — Philæ était une île sainte, universellement vénérée, à ce point que l’ancien culte d’Isis y a survécu, dit-on, quelque temps encore après les édits de l’empereur Théodose.

L’île de Philæ a moins de 400 mètres dans sa longueur sur une largeur de 135 mètres. Elle n’est jamais inondée même par les plus fortes crues du fleuve. A la pointe méridionale de l’île, on voit d’abord un rocher de granit, d’où l’œil peut embrasser l’ensemble des ruines dont l’île est littéralement couverte. En suivant la côte méridionale on trouve en A (fig. 105) les restes d’un petit temple      élevé par Nectaneb, moins d’un demi-siècle avant la conquête d’Alexandre : il en reste une douzaine de colonnes. Si l’on remonte ensuite en suivant la côte, on trouve en F des débris de constructions de l’époque romaine, qui nous conduisent en B, où se trouvent les pylônes du grand temple. Le premier de ces pylônes passe pour avoir été élevé par Nectaneb, à la même, époque que le petit temple, mais toute la partie D du grand temple se rattache aux Ptolémées. Parmi les salles qui composaient ce temple, on a retrouvé  celle où était renfermée la bibliothèque. Au-dessus de la porte est une inscription en caractères hiéroglyphiques dont voici le sens : Ceci est la bibliothèque de la déesse Saf, la grande gardienne des livres d’Isis, qui dispense la vie. Cette salle est une de celles qui sont indiquées en E sur le plan (fig. 105).

Sur la rive orientale de l’île on voit un arc de triomphe élevé sous Dioclétien, et les restes d’un temple G qui date des Césars. L’île presque entière était entourée d’un quai dont le principal débarcadère était au nord-est.

Les monuments retrouvés à Philæ appartiennent à une époque relativement récente, ce qui ferait supposer que cette île n’a pas eu, dans une haute antiquité, le caractère de sainteté qui l’a rendue si célèbre dans les derniers temps du paganisme. Il n’en est pas de même de Bigheh, île rocheuse qui lui fait face. En effet, on a retrouvé à Bigheh un assez grand nombre d’inscriptions fort anciennes et une statue de granit qui remonte à la XVIIIe dynastie, tandis qu’aucun des monuments de Philæ n’est de beaucoup antérieur à la domination des Grecs en Asie.

C’est sous les derniers Pharaons seulement que Philæ est devenu un lieu de pèlerinage pour ceux qui voulaient honorer Isis. Quand les édits de Théodose ordonnèrent la destruction de tous les monuments religieux de l’Égypte, les temples de Philæ furent épargnés, sans doute à cause de leur éloignement. Les chrétiens étaient alors dans toute leur ferveur primitive, et les grottes de la Thébaïde étaient peuplées de pieux ermites, considérant comme œuvre du diable tous ces colosses de granit, dont le sens mystique était oublié et qui se dressaient devant eux, la nuit, comme des apparitions. Mais Isis conservait encore des adorateurs dans l’île de Philæ ; ce ne fut que vers le milieu du vie siècle qu’ils en furent définitivement chassés, et qu’on perdit jusqu’au souvenir de l’ancien culte.

L’Égypte était renommée dans toute l’antiquité par sa piété envers les dieux ; il est donc curieux de voir comment les derniers Égyptiens du monde antique prévoyaient l’avenir réservé à leur pays, quand il aurait renoncé au culte qu’il pratiquait depuis tant de siècles. Les livres hermétiques, écrits cent ans environ avant la destruction des temples par les empereurs chrétiens, mais au moment où l’ancienne religion se désorganisait, renferment sur ce sujet un passage intéressant, dans lequel l’auteur prend un ton prophétique et s’élève à une véritable éloquence : Cependant, comme les sages doivent tout prévoir, il est une chose qu’il faut que vous sachiez : un temps viendra où il semblera que les. Égyptiens ont en vain observé le culte des dieux avec tant de piété, et que toutes leurs saintes invocations ont été stériles et inexaucées. La divinité quittera la terre et remontera au ciel, abandonnant l’Égypte, son antique séjour, et la laissant veuve de religion, privée de la présence des dieux. Des étrangers remplissant le pays et la terre, non seulement on négligera les choses saintes, mais ce qui est plus dur encore, la religion, la piété, le culte des dieux seront proscrits et punis par les lois... Ô Égypte, Égypte, il ne restera de tes religions que de vagues récits que la postérité ne croira plus, des mots gravés sur la pierre et racontant ta piété. Le Scythe, ou l’Indien, ou quelque autre voisin barbare, habitera l’Égypte. Le divin remontera au ciel, et l’Égypte sera déserte et veuve d’hommes et de dieux... Je m’adresse à toi, fleuve très saint, et je t’annonce l’avenir. Des flots de sang souillant tes eaux divines déborderont tes rives, le nombre des morts surpassera celui des vivants, et s’il reste quelques habitants, Égyptiens seulement par le langage, ils seront étrangers par les mœurs. Tu pleures, Asclépios ? Il y aura des choses plus tristes encore : l’Égypte elle-même tombera dans l’apostasie, le pire des maux. Elle, autrefois la terre sainte, aimée des dieux pour sa dévotion à leur culte, elle sera la perversion des saints ; cette école de piété deviendra le modèle de toutes les violences ![3]

 

 

 



[1] Guide en Orient.

[2] Guide en Orient.

[3] Hermès Trismégiste, traduction de Louis Ménart.