LE PHARAON DIVINISÉ. - ATTRIBUTS DES PHARAONS : LA COURONNE, L’ASPIC SACRÉ, LE VAUTOUR, LE LION ET LE SPHINX. - LE PHARAON EN GUERRE. - LE PHARAON TRIOMPHANT. - EMBLÈMES DES PTOLÉMÉES. LE PHARAON DIVINISÉ. — Dans aucun pays du monde, l’idolâtrie pour la personne royale n’a été poussée aussi loin qu’en Égypte. Un Pharaon n’est pas un simple chef politique, auquel la loi du pays ordonne d’obéir, il est de tous points assimilé à la divinité et reçoit un véritable culte. Pour les Égyptiens, ce qui se passe sur la terre n’est que la reproduction exacte des phénomènes célestes. Par cela seul qu’un Pharaon monte sur le trône, il est assimilé au soleil levant, personnifié dans Horus. Aussi l’épervier, oiseau consacré à Horus, figure sur la bannière royale, et c’est pour la même raison que le roi est appelé fils d’Ammon, qui est le Soleil. Quand Alexandre traversa le désert pour aller dans le temple d’Ammon se faire proclamer dieu et fils d’Ammon, il ne fit qu’accomplir une cérémonie qui, aux yeux des Égyptiens, légitimait son droit à porter la couronne. Diodore de Sicile a raconté l’entrevue du roi avec le chef des prêtres d’Ammon. Lorsque Alexandre fut introduit dans le temple et qu’il aperçut la statue du dieu, le prophète, homme très âgé ; s’avança vers lui et lui dit : Salut, ô mon fils, recevez ce nom de la part du dieu. — Je l’accepte, ô mon père, répondit Alexandre, et désormais je me ferai appeler ton fils si tu me donnes l’empire de toute la terre. Le prêtre entra alors dans le sanctuaire et, au moment oit les hommes désignés pour porter la statué du dieu se mirent en mouvement, sur l’ordre d’une voix mystérieuse, il assura Alexandre que. le dieu lui accordait sa demande... Alexandre se réjouit de la réponse de l’oracle, consacra au dieu de magnifiques offrandes et retourna en Égypte. Les monuments figurés sont d’accord avec les, textes pour nous montrer le Pharaon avec les attributs divins. Une statuette du Musée de Turin représente (fig. 9) Ammon assis : le dieu est figuré sous sa forme humaine et nettement caractérisé par sa coiffure. Le jeune Pharaon ; debout près de son père, tient en main la croix ansée, symbole de la vie divine.
Sur une peinture d’un temple de la Nubie, on voit la déesse Anouké (fig. 10), que les Grecs ont identifiée avec Vesta, nourrissant de son lait divin un Pharaon adolescent qui porte également la croix ansée. Anouké est le personnage féminin d’une triade de la Thébaïde méridionale. Le principe est toujours le même dans une province ou dans une autre et notre figure montre clairement le jeune roi suçant le lait divin.
Le caractère de divinité attribué au Pharaon est prouvé par les inscriptions et reconnu par tous des égyptologues. La divinité du roi commence sur la terre et se perpétue au delà du tombeau. Chaque fois qu’un Pharaon meurt, le panthéon égyptien s’enrichit d’une divinité nouvelle à laquelle ses successeurs offriront des sacrifices. Diodore de Sicile a parlé d’un prétendu jugement que le peuple prononçait sur les actes du roi défunt. Il y a eu erreur de la part de l’historien grec : si les cartouches de certains rois ont été martelés par leurs successeurs ; c’est que ces rois ont été considérés comme ayant exercé le pouvoir souverain sans y avoir droit ; en sorte que les honneurs divins, qu’ils s’étaient arrogés de leur vivant, n’impliquaient de leur part qu’une rébellion et un sacrilège ; on pourrait,donc assimiler ces usurpateurs aux antipapes de la chrétienté. Mais quand il s’agit d’un véritable Pharaon, ses actes, quelqu’ils soient, sont en dehors de tout contrôle, par la raison que le Pharaon résumé en sa personne Vidée de suprême justice, en même temps que l’idée de suprême puissance. ATTRIBUTS DES PHARAONS. — Les Pharaons portent en général les mêmes attributs que la divinité. Un curieux bas-relief du temple de Philae montre comment les dieux d’Égypte associent le roi à leur toute-puissance. Le Pharaon est debout, les bras pendants, entre deux personnages divins et sa coiffure est caractérisée par le serpent uræus, symbole de la royauté. Les deux divinités versent, au-dessus de sa tête, l’eau consacrée et lui donnent ainsi l’initiation royale. Le dieu à tête d’épervier, placé à gauche, est Osiris, qualifié dans la légende de Dieu grand, Seigneur suprême, ordinairement peint en bleu. Le dieu à tête d’ibis, qui est à droite, est Thoth, qualifié Seigneur des divines Écritures. Les vases que tiennent les deux divinités laissent couler de l’eau dont les jets se croisent pour retomber de chaque côté du Pharaon ; mais, en retombant ainsi, l’eau se transforme en une série alternée de croix ansées, symbole de la vie divine, et de sceptres royaux. La figure 11 nous montre un Pharaon dans son rôle de chef du sacerdoce : il porte sur la tête le disque solaire, les deux grandes plumes qui caractérisent Ammon et la natte qui descend autour de son oreille simulant la corne de bélier.
L’emblème du Pharaon est le sphinx, et les avenues de sphinx, qui précèdent le temple, représentent l’image des rois qui ont exercé le pouvoir, au nom de la divinité dont ils sont fils et à laquelle ils sont assimilés. Le sphinx, c’est-à-dire l’animal qui est pourvu d’un corps de lion uni à une tête d’homme, était aux yeux des Égyptiens le symbole, de la force unie à l’intelligence ; c’est pour cela que le sphinx est consacré à la représentation des rois. Quelquefois la tête humaine est remplacée dans les sphinx par une tête de bélier, emblème du dieu Ammon. Il y a des sphinx de toutes grandeurs : généralement les temples étaient précédés d’une avenue de sphinx, comme on en voit à Thèbes. Nos musées renferment un grand nombre de petits sphinx en bronze qui servaient aux oblations religieuses ; ils sont quelquefois pourvus de bras supportant des offrandes. Le sphinx en granit rose du Louvre (inscrit sous le n° 23) porte les cartouches d’un Pharaon, fils de Ramsès II. C’est ce Pharaon, suivant l’opinion de M. de Rougé, qui fût l’adversaire de Moïse et dont l’armée fut engloutie sous les flots de la mer Rouge. Le lion a été, en même temps que le sphinx, adopté comme emblème royal : c’est à ce titre que nous le voyons figurer sur les enseignes militaires (fig. 12 et 13). C’est surtout vers la XVIIIe dynastie que cet emblème aurait été fréquent. Sur les bagues de cette époque, — dit M. Pierret dans son Dictionnaire d’archéologie égyptienne, — il n’est pas rare de voir les cartouches accompagnés de la représentation d’un lion passant ou terrassant son ennemi. Aménophis III porte le titre de Lion des rois. Dans la salle historique du musée égyptien au Louvre (vitrine H), il y a une bague en or, portant le nom de Touthmès III, qui offre la représentation d’un lion terrassant un homme. Dans les scènes militaires des hypogées, on voit fréquemment un lion marcher à côté du char royal. Notre figure 14, montre un Pharaon dans son palanquin somptueusement décoré de tous les attributs divins ou royaux : on y voit le lion, le sphinx, l’épervier, le disque solaire ainsi que les déesses ouvrant leurs ailes protectrices.
La corne de bélier, attribut du dieu Ammon, devait naturellement se retrouver dans la coiffure des rois d’Égypte, considérés comme fils d’Ammon et portant par conséquent les attributs du dieu. Nous la trouvons notamment dans une figure colossale du speos, d’Ibsamboul, qui représente Ramsès-Meïamoun (fig. 15). Cette coiffure est évidemment symbolique, et il est permis de douter que le personnage historique ait jamais été affublé de la porte ; mais elle a cela de particulier que les cornes apparaissent simultanément dans deux dispositions différentes. Comme le montre la figure 15, deux grandes cornes de bouc partent du milieu de la tête et supportent le disque solaire, en même temps que la couronne de la haute Égypte. Une autre corne, celle d’un véritable bélier cette fois, part au-dessus de l’oreille qu’elle contourne. La parenté du roi avec le dieu de Thèbes, Ammon, est donc très nettement exprimée, dans cette figure. Ajoutons que, si la corne de bélier se montre dans des coiffures symboliques, on la voit également dans des coiffures réelles, par exemple (fig. 16), dans celle du Pharaon que Rosellini appelle Amenessès. Seulement, au lieu d’une corne réelle, c’est un simple ornement qui en simule l’enroulement. Le même attribut se retrouve dans la coiffure de la femme de ce Pharaon (fig. 17), ce qui montre que les reines pouvaient aussi bien que leurs époux se rattacher directement à Ammon.
La couronne est, de même que le sceptre, un insigne que portent également les dieux et les Pharaons qui en sont la personnification terrestre. Il y a deux espèces de couronnes qui impliquent la domination sur la haute ou sur la basse Égypte. La mitre blanche et conique indique la souveraineté sur le Midi ou la haute Égypte. La couronne rouge, au contraire, qui est l’insigne du pouvoir souverain dans le Nord ou le basse Égypte, est évasée et munie d’un enroulement appelé lituus.
La couronne de la basse Égypte, telle que nous venons de la décrire, est représentée sur une magnifique harpe, qu’on voit dans lei tombeau des rois à Thèbes (fig. 18). L’importance de cette peinture et de celle que nous donnons ci-dessous (fig. 19) ont fait donner à la salle qui les contient le nom de salle des harpes. Sur la première figure, le harpiste est vêtu d’une robe à fond noir et à raies blanches. Le corps de la harpe a un fond jaune avec des compartiments et des ornements en chevrons ronges, bleus, verts et jaunes ; la partie supérieure est recourbée fortement et couronnée de onze fiches correspondant aux onze cordes de la harpe. Le bas de l’instrument se termine par une tête royale ou divine (car les insignes sont identiques), caractérisée par la couronne de la basse Égypte.
La seconde harpe (fig. 19), qui est peinte dans la même salle, nous montre également une tête couronnée ; mais ici la couronne est double, c’est-à-dire que la mitre blanche et conique, telle que la représente notre figure 20 ci-dessous, est encastrée dails la couronne rouge, et tronquée de la figure 18 ; de manière à lie former qu’une seule coiffure. Cette double couronne prend alors le nom de pschent et implique la domination sur le Nord comme sur le Midi. Le pschent, autrement dit le double diadème de la souveraineté des deux régions, était la coiffure que portait le Pharaon dans les grandes solennités. Cet insigne royal avait une forme et une couleur particulières ; à l’avènement de chaque monarque, il y avait une cérémonie importante, qui datait des premiers temps de la constitution du royaume, et dans laquelle on proclamait aux quatre coins du monde que le Pharaon venait de poser sur sa tête la couronne de la haute et de la basse Égypte. Mais si le monarque, qui avait toute l’Égypte sous sa domination, avait seul le droit de porter le pschent, il lui arrivait également de ne porter qu’une des deux couronnes. On voit fréquemment le pschent sur la tête d Osiris. Enfin on donne le nom de couronne atew à une coiffure sacrée composée de la mitre blanche, de deux plumes d’autruche, de cornes de bélier, de l’uræus, et parfois compliquée d’autres ornements. Les rois portaient leurs couronnes les jours de cérémonies ; mais, dans les scènes de bataille, on les voit presque toujours coiffés du casque de guerre. Dans les cérémonies religieuses, ils ont quelquefois pour coiffure une bande de linge rayée, descendant de chaque côté sur le devant de la poitrine et terminée en arrière par une sorte de queue attachée avec un ruban. C’est cette coiffure que l’on voit au sphinx, qui la porte comme emblème royal. La figure 9 nous en a montré un exemple, mais la bande de linge rayée se portait aussi quelquefois sur le côté comme on le voit sur la figure 21. Quoique cette coiffure soit plus spécialement affectée aux Pharaons dans l’exercice de leurs fonctions sacerdotales, on voit aussi le roi portant le casque dans quelques cérémonies religieuses ayant trait à ses victoires.
Voici un Pharaon faisant une offrande à une divinité (fig. 22). La coiffure qu’il porte est le casque des rois dans les combats de Thèbes. A chaque bras il a deux bracelets, et la peau d’une tête de lion pend à sa ceinture. De la main droite il tient un petit vase pour verser la libation et, de l’autre, il porte deux cassolettes à parfums. Devant lui on voit l’offrande composée de fruits, de coquillages, de fleurs, de gâteaux, d’oies, de corps de veaux qui ont les pieds liés, etc. Il est suivi d’une femme qui tient un sistre et des calices de lotus. Son costume, assez remarquable parce qu’il est rare dans les temples, consiste en une robe longue et transparente et en un voile qui descend sur ses épaules. L’aspic est l’emblème qu’on voit le plus communément sur le front des Pharaons. Cet aspic ou serpent sacré est généralement désigné sous le nom d’uræus. C’est peut-être l’insigne le plus caractéristique des dieux et des rois (fig. 23 à 30), car il ne faut jamais oublier qu’en Égypte le dieu est considéré comme roi, et le Pharaon est honoré comme son fils et sa manifestation visible. L’uræus est un petit serpent d’une forme conventionnelle qui dresse toujours la tête en avant ; sa gorge est démesurément grosse et sa queue se replie habituellement sous le reste de son corps. Une phrase de Plutarque nous fait savoir pourquoi l’aspic est considéré comme un insigne divin : L’aspic ne vieillit pas, et, quoique privé des organes du mouvement, il se meut avec la plus grande facilité. Les Égyptiens ont vu là un emblème de l’éternelle jeunesse du soleil et de sa marche dans les cieux : les Pharaons, étant fils du soleil et assimilés à cet astre, doivent naturellement en porter les insignes. On peut remarquer que cet emblème apparaît sur le front des Pharaons, même lorsqu’ils portent le casque de guerre, comme Ramsès X (fig. 26). On le voit même deux fois sur cette figure, car, outre le serpent qui se dresse au-devant du front, on en distingue un autre au-dessus de l’oreille, et ce dernier porte la couronne de la basse Égypte. Il n’est pas rare, en effet, de voir deux serpents dans la coiffure royale, mais ils ne présentent pas toujours la même disposition. La figure 28 nous montre les deux serpents dressés ensemble sur le front : l’un des deux porte la couronne de la basse Égypte ; l’autre, celle de la haute Égypte. Les reines d’Égypte portaient également l’aspic sacré à leur front (fig. 29). Mais un emblème beaucoup plus caractéristique pour la coiffure des reines est le vautour. Cet insigne royal vient encore d’une assimilation à la divinité. En effet, Maut, l’épouse du dieu thébain Ammon, appelée à Thèbes la Mère, a le vautour pour emblème. Les Égyptiens croyaient que le vautour était toujours femelle et qu’il n’y avait pas de mâle dans cette espèce d’animal. Le vautour a été dès lors considéré comme l’emblème de la maternité et, dans les triades égyptiennes, il a été consacré à la divinité féminine qui prend le rôle de mère. C’est pour cela que, dans la triade thébaine, la déesse Maut, associée à Ammon et mère de Khons, a le vautour pour attribut. Les ailes de vautour caractérisent également Isis, comme mère d’Horus et associée à Osiris. Enfin la déesse Nekehb, qui symbolise la région du sud, prend également le vautour pour attribut. Il n’est pas surprenant, dès lors, que le vautour soit figuré non seulement dans la représentation des divinités du sexe féminin, mais encore dans la coiffure des reines qui, comme leurs époux, veulent être assimilées à la divinité. Cette coiffure apparaît sur des monuments d’une date fort ancienne, et notamment sur un bas-relief peint, représentant Ahmès ou Amessès, femme de Touthmès Ier. La tête de l’oiseau sacré s’avance au-dessus du front, comme la tête de l’aspic dans d’autres monuments ; les plumes de la queue forment le chignon et les ailes retombent, en passant derrière l’oreille ; quelquefois jusqu’à l’épaule (fig. 32). La reine Tsiré, femme de Séti Ier porte une coiffure analogue, mais l’aile est plus petite et la patte de l’oiseau, s’échappant par derrière, forme une espèce d’ornement à l’extrémité duquel est attaché un anneau (fig. 31). Sur certains monuments, le vautour apparaît conjointement avec l’aspic (fig. 33). Nous voyons même (fig. 34), les emblèmes symboliques se multiplier au point de rendre fort improbable l’existence réelle d’une semblable coiffure.
La figure 35 est dans le même cas ; en revanche, nous voyons, réunis la plupart des symboles pharaoniques tout en haut de la coiffure, le vautour de Maut, emblème de la maternité divine, porte la couronne de la haute Égypte et est accompagné de deux uræus, sur, chacun desquels semble voltiger lé disque du soleil. Ces emblèmes reposent sur une espèce de chapiteau, placé sur le dos d’un autre, vautour coiffant directement la reine.
Le reste du costume royal ne différait pas essentiellement de celui des autres grands dignitaires de l’Égypte : toutefois le tablier était orné de têtes de lions et autres devises en cuir colorié ; quelquefois aussi le bord était formé par une rangée d’aspics, emblème de la royauté. LE PHARAON EN GUERRE. — Le Pharaon, comme fils d’Ammon, chef naturel du sacerdoce, est par la même raison généralissime des guerriers. Dans l’époque héroïque de l’histoire d’Égypte quand les Pharaons portent leurs armes victorieuses dans toutes le, contrées connues, ils combattent au nom de leur père le Soleil. Ce dernier est représenté, dans les monuments, planant sous la forme de l’oiseau divin qui, dans ses serres puissantes, tient un symbole de victoire. Cet emblème apparaît dans maintes circonstances. Voici, par exemple (fig. 36), le fragment d’un bas-relief de Médinet-Abou, à Thèbes. Il s’agit d’une descente frite sur la coite d’Égypte : le Pharaon debout, piétinant sur les ennemis qu’il a déjà tués, achève la déroute de ceux qui restent dans les navires et qu’il extermine avec ses flèches. Sa taille démesurément grande, fait reconnaître le souverain de l’Égypte ; on tient derrière lui le flabellum, insigne royal, et l’oiseau symbolique plane sur sa tête en étendant ses ailes en signe de protection.
C’est leur père Ammon que les Pharaons invoquent dans les moments difficiles, comme on le voit dans le fameux poème de Pentaour, dont M. de Rougé a donné la traduction. Les scènes militaires sculptées et peintes sur les monuments de Thèbes et ailleurs pourraient, en quelque sorte, servir d’illustration à ce poème quelques citations suffiront pour montrer le lien qui unit le roi d’Égypte au grand dieu Ammon, personnification du Soleil. Dans le poème de Pentaour, le Pharaon, dans sa marche victorieuse à travers l’Asie, se trouve tout à coup trahi ou abandonné par ses soldats au milieu d’une armée innombrable : Sa Majesté, à la vie saine et forte, se levant comme le dieu Mouth, prit la parure des combats ; couvert de ses armes, il était semblable à Baal dans l’heure de sa puissance... Lançant son char, il entra dans l’armée du vil Kheta ; il était seul, aucun autre avec lui... Il se trouva environné par deux mille cinq cents chars, et sur son passage se précipitèrent les guerriers les plus rapides du vil Kheta et des peuples nombreux qui l’accompagnaient... Chacun de leurs chars portait trois hommes, et le roi n’avait avec lui ni princes, ni généraux ni ses capitaines des archers ou des chars. Un bas-relief sculpté sur un des murs extérieurs du palais de Karnak, à Thèbes, nous montre une scène qui n’est pas sans analogie avec celle que dépeint le poème (fig. 37). Toutefois le Pharaon n’est point ici environné des chars ennemis, mais la quantité d’ennemis, au milieu desquels il s’est engagé et dont les corps jonchent le sol, est vraiment innombrable. Il est en train de frapper leur chef avec son sabre recourbé, et le char sur lequel il est monté va rouler sur les cadavres amoncelés. Comme dans la figure précédente, l’oiseau protecteur plane à ses côtés et le protège de ses ailes. Mais l’emblème est plus frappant encore, car le casque du roi est surmonté ici du disque solaire flanqué de deux uræus. C’est donc bien réellement le fils du Soleil que nous voyons domptant les ennemis par la force de son bras et la toute-puissante protection de son père.
De même, dans le poème de Pentaour, le roi, se voyant tout seul et entouré d’ennemis innombrables, commence à douter de lui-même et invoque Ammon, son père, le grand dieu de Thèbes ; il lui rappelle qu’il a marché d’après ses ordres et lui a élevé des temples magnifiques : Mes archers et mes cavaliers, dit-il, m’ont abandonné ! Pas un d’eux n’est là pour combattre avec moi. Quel est donc le dessein de môn père Ammon ?... N’ai-je pas marché d’après ta parole ? Ta bouche n’a-t-elle pas guidé mes expéditions et tes conseils ne m’ont-ils pas dirigé ?... N’ai-je pas célébré en ton honneur des fêtes éclatantes, et n’ai-je pas rempli ta maison de mon butin ?... Je t’ai immolé trente mille boeufs... Je t’ai construit des temples avec des blocs de pierre et j’ai dressé pour toi des arbres éternels. J’ai amené des obélisques d’Éléphantine et c’est moi qui ai fait apporter des pierres éternelles... Je t’invoque, ô mon père ! Je suis au milieu d’une foule de peuples inconnus et personne n’est avec moi. Mes archers et mes cavaliers m’ont abandonné quand je criais vers eux. Mais je préfère Ammon à des milliards d’archers, à des millions de cavaliers, à des myriades de jeunes héros, fussent-ils tous réunis ensemble. Les desseins des hommes ne sont rien ; Ammon l’emportera sur eux. — Le dieu l’entend et ranime le courage du Pharaon : Je suis près de toi, je suis ton père, le Soleil ; ma main est avec toi, et je vaux mieux pour toi que des millions d’hommes réunis ensemble. C’est moi qui suis le Seigneur des forces, aimant le courage ; j’ai trouvé ton coeur ferme et mon coeur s’est réjoui. Ma volonté s’accomplira... Je serai sur eux comme Baal dans sa fureur. Les deux mille cinq cents chars, quand je serai au milieu d’eux, seront brisés devant tes chevaux... Ils ne sauront plus lancer les flèches et ne trouveront plus de coeur pour tenir la lance. Je vais les faire sauter dans les eaux, comme s’y jette le crocodile ; ils seront précipités les uns sur les autres et se tueront entre eux. Le roi alors s’élance sur les Khetas qui, devant son audace, reculent épouvantés. Il frappe à droite et à gauche et s’ouvre un passage à travers les cadavres qu’il a amoncelés. Cependant les Khetas, voyant qu’il est bien réellement seul, reviennent à la charge et l’environnent pour l’accabler par le nombre. L’écuyer qui conduit le char du roi sent son coeur faiblir en voyant la mort inévitable, et il dit à Ramsès : Mon bon maître, roi généreux, seul protecteur de l’Égypte au jour du combat, nous restons seuls au milieu de nos ennemis ; arrête-toi, et sauvons le souffle de nos vies. Le roi repousse les conseils pusillanimes de son écuyer et ne veut écouter que son courage. Six fois il lance son char au milieu des cohortes, ennemies et il abat tout ce qui veut s’opposer à son passage ; enfin il parvient à rejoindre ses gardes qui l’avaient abandonné, et il leur reproche leur lâcheté. Ses généraux et ses principaux officiers viennent pour saluer le héros, et contemplent avec admiration les cadavres dont la plaine est remplie. Mais lui ne répond qu’en les accablant sous son mépris et en se glorifiant lui-même : J’ai montré ma valeur et ni les fantassins ni les cavaliers ne sont venus avec moi. Le monde entier a donné passage aux efforts de mon bras, et j’étais seul, aucun avec moi, ni les princes, ni les chefs des archers ou de la cavalerie... Les guerriers se sont arrêtés ; ils sont retournés en arrière ; en voyant mes exploits, leurs myriades ont pris la fuite et leurs pieds ne pouvaient plus s’arrêter dans leur course. Lés traits lancés par mes mains dispersaient leurs guerriers aussitôt qu’ils arrivaient à moi. Le roi leur dit ensuite que ses chevaux seuls sont restés près de lui à l’heure du danger, et qu’ils en seront récompensés. — C’est eux qu’à trouvés ma main quand j’étais seul au milieu des ennemis... Je veux qu’on leur serve des grains devant le dieu Ra (le Soleil), chaque jour, lorsque je serai dans mon palais ; parce qu’ils se sont trouvés au milieu de l’armée ennemie.
Un bas-relief de Karnak montre le Pharaon seul sur son char et poursuivant les ennemis jusqu’au pied d’une citadelle dans laquelle ils cherchent vainement un refuge (fig. 38). A leur barbe et à leur costume ces ennemis paraissent être des Asiatiques. Il est à remarquer que, dans ce bas-relief comme dans tous ceux où le Pharaon parait en personne, on ne voit point de cocher à côté de lui pour tenir les rênes de ses chevaux et diriger leur course. Mais c’est là une convention admise par les artistes pour caractériser la toute-puissance du roi, car les chars égyptiens, comme ceux des Grecs de l’âge héroïque, portent toujours un cocher près du guerrier qui combat, et souvent même le cocher est chargé de tenir le bouclier qui doit les abriter tous les deux. Pentaour décrit ensuite les ennemis qui se soumettent au vainqueur et viennent en suppliant implorer sa merci : Fils du Soleil, que l’Égypte et le peuple de Kheta soient esclaves sous tes pieds. Ra t’a accordé leur domination... Tu peux massacrer tes esclaves, ils sont en ton pouvoir ; aucun d’eux ne résistera. Tu es arrivé d’hier et tu en as tué un nombre infini. Tu viens aujourd’hui, ne continue pas le massacre... Nous sommes couchés à terre, ô roi vaillant ! l’honneur des guerriers, accorde-nous les souffles de la vie ! Une scène analogue est représentée sur les bas-reliefs de Thèbes. On voit le héros descendu de son char et tenant encore les rênes de ses chevaux. Il reçoit la soumission des vaincus qui se sont retirés dans une forêt. Quelques-uns d’entre eux implorent sa clémence ; d’autres sont occupés à abattre un arbre, qu’ils coupent par le pied à coups de hache, tandis que deux hommes le retiennent avec des cordes, Pour diriger sa chute. Un officier égyptien, ayant dans ses mains un arc brisé, est placé au-devant des vaincus et implore pour eux la clémence du héros (fig. 39).
LE PHARAON TRIOMPHANT. – Les princes du sang royal et les fils des plus grands dignitaires de l’Égypte accompagnaient partout le roi et portaient ses insignes. Leur poste, pendant le couronnement, les triomphes et les grandes cérémonies, était toujours auprès de la personne royale. Les uns portaient le flabellum aux côtés du roi, d’autres supportaient le siège sur lequel le Pharaon était conduit au temple. L’agrafe, et surtout le collier d’honneur que les rois donnaient à leurs principaux officiers, sont des insignes qui les font reconnaître. Mais le grand bâton implique partout le signe du commandement à tous les degrés et se trouve représenté sur une foule de monuments. Un de ces bâtons, qui fait partie du Musée de Boulaq, a conservé la large feuille d’or en spirale qui le décorait habituellement. Le flabellum est un insigne que les grands dignitaires portaient aux cotés du Pharaon dans les cérémonies du couronnement, les marches triomphales et les autres grandes solennités. Il y avait deux sortes de flabellum : l’un était une espèce de chasse-mouches composé de plumes d’autruche adaptées à un manche très richement orné ; l’autre servait comme éventail, ou plutôt encore comme ombrelle. Le flabellum se voit très souvent sur les barques sacrées. Le Musée de Boulaq (n° 835 du catalogue) possède un flabellum. Le manche et le couronnement sont de bois et recouverts d’une feuille d’or. On retrouve encore au pourtour du couronnement les trous dans lesquels étaient placées les plumes d’autruche qui formaient l’éventail proprement dit.
Dans les monuments figurés, le Pharaon est toujours reconnaissable la taille démesurée que l’artiste lui a donnée, par rapport aux autres personnages. C’est ainsi qu’on le voit à Thèbes (fig. 40), promené sur un char attelé de deux chevaux richement caparaçonnés, et dont la tête est surmontée de plumes d’autruche. Une grande étoffe à larges raies recouvre le corps entier des chevaux. Le roi est vêtu d’une tunique rayée ; sa tête est coiffée d’un casque et son cou paré d’un riche collier. La suite du Pharaon est figurée par divers personnages beaucoup plus petits que lui ; trois de ces personnages portent le flabellum, et deux autres, en costume .d’archers, tiennent les brides des chevaux. Quand, après une guerre heureuse, le Pharaon rentré dans la capitale, il est conduit triomphalement au temple d’Ammon, où il doit remercier le dieu des victoires qu’il vient de remporter. Cette cérémonie vraiment imposante est représentée au grand complet sur les sculptures de Médinet-Abou, à Thèbes. Deux rangées de personnages qui, dans la cérémonie que ce bas-relief rappelle, marchaient parallèlement, sont ici figurées l’une au-dessus de l’autre. Les trois premières figures de la rangée supérieure sont des soldats qui portent des lances dans la main droite et qui ont leurs boucliers passés dans le bras ; de la main gauche, ils tiennent des espèces de massues. Huit figures, vêtues de longues robes et groupées deux par deux, les précèdent, et tiennent aux trains des emblèmes sacrés ; quatre d’entre elles portent en outre des espèces de haches d’armes ; leurs têtes sont ornées de plumes, emblème de la victoire ; deux autres figures, dont l’une porte un carquois et l’autre tient clans la main droite une tige de lotus avec sa fleur, sont en avant et, marchent précédées de deux personnages qui paraissent guider cette première colonne du cortège. Au-dessous sont huit hommes portant des gradins probablement destinés à servir pour monter sur la chaise triomphale et pour en descendre. Huit personnages qui les précèdent ont la tête ornée de plumes et sont couverts de robes transparentes ; ils portent les haches des sacrifices et des guidons à tige de lotus surmontés de plumes. Quatre figures placées en avant ont la tête nue et tiennent également des lotus et des plumes ; elles sont un peu courbées et, dans l’attitude qui convient à des personnes pénétrées du respect et de la vénération que leur inspire la cérémonie à laquelle elles prennent part[1]. Le Pharaon auquel sont rendus ces honneurs occupe le milieu du bas-relief ; il est à remarquer qu’il n’est pas monté sur un char comme nous l’avons vu au moment de l’action, mais, assis sur un trône et placé sous un riche dais, il est porté sur les épaules de douze personnages qui marchent deux par, deux. Les insignes qui l’accompagnent sont ceux qui, dans les monuments religieux, servent d’attribut aux personnages divins. D’une main, le Pharaon tient la crosse, emblème que porte Osiris dans les scènes du jugement de l’âme, et de l’autre il tient la croix ansée. Deux divinités protectrices, debout derrière le héros, l’enveloppent de leurs grandes ailes ; ses pieds reposent sur un coussin, moelleux et le dais qui l’abrite est décoré d’aspics sacrés dressant leur tête surmontée du disque solaire. Le lion, le sphinx et l’épervier, placés sur les côtés du palanquin, sont autant d’emblèmes qui affirment le caractère divin attribué au Pharaon (fig. 41).
Comme nous l’avons déjà dit, les princes du sang et les fils des plus grands dignitaires avaient seuls le privilège de porter le palanquin où est assis le Pharaon, ou de tenir à ses côtés le flabellum ; les plumes d’autruche et autres emblèmes royaux. Sur notre figure 41, d’autres personnages, probablement d’un rang moins élevé, puisqu’ils sont représentés plus petits, portent les armes du héros. Dans ce même cortége d’où nous avons tiré le groupe reproduit ci-dessus, on voit en avant du roi deux prêtres qui se retournent pour contempler le héros et brûlent des parfums devant lui. Devant le prêtre, placé sur la rangée inférieure, marche un personnage qui est probablement le chef des scribes. Il est chargé d’une espèce de grand portefeuille attaché en bandoulière autour de son corps, et dont il a tiré un papyrus qu’il déroule en proclamant les hauts faits et la gloire. du prince. Devant le scribe marchent quatre hommes vêtus de longues robes et couronnés de plumes : ils tiennent à la main droite le crochet, marque distinctive de leur dignité, et un bâton à fleurs de lotus, surmonté d’une longue plume ; ils ont dans la main gauche des haches d’armes. Six soldats semblablement vêtus sont au-dessous d’eux : les uns portent des haches d’armes et des plumes, les autres des bâtons et des tiges de lotus. Tout ce cortège est précédé de deux prêtres enveloppés dans de longues robes, et dont la tête est ornée de plumes. Quatre figures qui marchent en sens contraire du cortège paraissent venir à la rencontre du triomphateur pour le revoir et l’introduire dans le temple. Des scènes du genre de celle que nous venons de décrire se voient sur plusieurs monuments : elles diffèrent entre elles par certains détails, mais le cérémonial observé est toujours le même. Dans notre figure 42, le Pharaon n’est pas placé sous un dais : il est assis sur un riche fauteuil que les grands dignitaires portent sur les épaules. Le prêtre fait également fumer l’encens en l’honneur du roi, mais les personnages qui portent le flabellum sont plus visibles ici que dans les figures précédentes.
Sur, les champs de bataille, le roi a fait un grand carnage de ses ennemis, mais on ne peut pas toujours tuer et d’ailleurs les prisonniers sont une richesse, car on les fait travailler ait profit du roi. Aussi le Pharaon laisse volontiers à ceux qui se rendent les sources de leur vie et il les ramène captifs dans ses États. Le fils d’Ammon se rappelle alors qu’il doit la victoire au Soleil, son père, et il lui fait hommage de ses prisonniers. Cette scène est figurée sur plusieurs monuments : nous avons choisi pour exemple un bas-relief de Karnak, à Thèbes (fig. 43).
Le Pharaon s’avance vers le dieu dont l’image est représentée assise et auquel il semble adresser la parole ; l’oiseau sacré déploie au-dessus de sa tête ses ailes protectrices. Des cordes, que le Pharaon tient dans sa main gauche, servent à lier deux colonnes de captifs que leur costume fait reconnaître pour des Asiatiques et qui marchent à la file. Tous ces captifs ont les bras attachés dans des positions extrêmement gênantes ; dans d’autres monuments, la corde est enroulée autour du cou des prisonniers. Il y a ici deux rangées de captifs : quelquefois on en voit trois et même quatre rangées, dont le Pharaon fait toujours hommage au dieu son père. Aussi, dans le poème de Pentaour, Ammon félicite son fils victorieux : Salut à toi, notre, fils chéri, Ramsès. Nous t’accordons des périodes d’années innombrables. Reste à jamais sur le trône de ton père Ammon, et que les barbares soient écrasés sous tes sandales. EMBLÈMES DES PTOLÉMÉES. — L’habile politique d’Alexandre et de ses successeurs à l’égard des habitants de l’ancienne Égypte consista surtout à maintenir intactes les traditions qui leur étaient chères. Aussi, loin de changer les emblèmes religieux ou royaux, les Ptolémées s’empressèrent-ils de les adopter pour leur compte. Tous les attributs que nous avons signalés à propos des Pharaons se retrouvent également sur la représentation des Ptolémées. On peut dire la même chose pour les reines d’Égypte.
Ainsi, la figure 44, tirée du temple de Philae, nous montre, sur la tête d’Arsinoé, femme de Ptolémée Philadelphe, le vautour sacré que nous avons déjà vu dans la coiffure des reines au temps des Pharaons. Nous voyons de même (fig. 45), dans le temple de Denderah, le serpent sacré des Pharaons, au front de Cléopâtre, la fameuse reine d’Égypte qui fut aimée de Marc-Antoine. Cependant, si les, emblèmes des Pharaons ont été adoptés en général par les Ptolémées, surtout dans les représentations qui décorent les édifices de l’intérieur. du pays, nous retrouvons les insignes des rois grecs sur les monnaies, les pierres gravées et, en général, sur toutes les représentations exécutées à Alexandrie, et destinées la partie grecque du pays. La figure 46 nous montre la couronne radiée, imitant les rayons du soleil, et le voile de Junon apparaît, ainsi que le diadème des, reines, sur la figure 47. Les Ptolémées étaient rois grecs à Alexandrie) et dans les villes grecques du littoral ; mais, dès qu’ils touchaient aux sanctuaires vénérés de Memphis ou de Thèbes, ils reprenaient les insignes des Pharaons, et les Égyptiens pouvaient se figurer qu’ils étaient encore gouvernés parles princes de leurs dynasties nationales. Le casque grec apparaît sur une admirable pierre gravée antique (fig. 48), où l’on voit le profil de Ptolémée à côté de celui, de la reine. Il n’y a absolument rien d’égyptien dans cette représentation. Le roi porte un casque très richement orné, mais qui ne diffère pas de ceux que portaient les princes macédoniens qui formèrent les royaumes d’Asie avec les débris de l’empire d’Alexandre. Cette belle pierre gravée fait partie de la collection impériale de Russie. Le cabinet de Vienne possède un camée qui n’est pas moins célèbre et qui est conçu clans un style analogue : il représenté Ptolémée II Philadelphe et la reine Arsinoé. Les deux têtes sont accolées de la même façon et le roi porte également un casque grec ; mais la reine, au lien d’une couronne, est coiffée d’un diadème. Il faut également signaler un emblème assez curieux qu’on ne voit -jamais dans la coiffure des Pharaons et qui se montre quelquefois dans celle des Ptolémées : c’est la tête d’éléphant. La figure 49, qui représente la reine Cléopâtre Coccé, femme de Ptolémée VII, nous en offre un exemple. On remarquera que la trompe de l’éléphant se relève au-dessus du front, dans un mouvement analogue à celui du serpent sacré dans les personnages royaux de l’ancienne Égypte. Le second fils de Cléopâtre Coccé, qui a régné en Égypte sous le nom de Ptolémée IX, porte également pour coiffure la dépouille d’un éléphant. Cette coiffure se montre aussi dans quelques images personnifiées de la ville d’Alexandrie, comme nous le verrons plus loin (fig. 61). Les éléphants n’étaient pas rares en Égypte sous la domination grecque, et les Ptolémées en chassaient sur les confins de l’Abyssinie. Dans l’île de Philæ on voit une image du dieu Nil, apportant un éléphant dont le roi veut faire hommage à la déesse Isis ; mais l’éléphant n’entrait pour rien dans la mythologie égyptienne au temps des Pharaons, et il est probable que l’ivoire qu’on employait se tirait alors d’Assyrie. Une inscription raconte que le roi Touthmès III a pris cent vingt éléphants, dans une chasse qu’il fit aux environs de Ninive. Les successeurs d’Alexandre employèrent les’ éléphants dans leurs armées, et cet animal paraît souvent dans les fêtes que les Ptolémées donnaient au peuple d’Alexandrie. Ce ne serait pourtant pas là une raison suffisante pour justifier un emblème royal. Mais les Ptolémées avaient considérablement étendu leurs États : ils étaient maîtres de la Libye et de l’Éthiopie et étendaient leurs possessions jusque dans les contrées de l’Afrique centrale où l’on chasse l’éléphant. L’emblème que nous signalons est probablement un signe visible de leur domination sur ces pays lointains. Tous les princes grecs qui ont régné sur l’Égypte après Alexandre le Grand ont pris lei nom de Ptolémée, qui était celui du lieutenant d’Alexandre fondateur de la dynastie. Ils sont distingués par des surnoms tels que Soter, Philadelphe, Evergète, Épiphane, Philométor, etc. La série numismatique des Ptolémées a fourni plusieurs jolies monnaies dont nos figures 50 à 55 reproduisent quelques types. Le sujet gravé au revers de ces monnaies est habituellement emprunté aux usages grecs et n’a rien qui caractérise spécialement l’Égypte. Ces emblèmes représentent généralement soit l’aigle de Jupiter, soit une corne d’abondance, etc. L’Égypte était arrivée à un degré inouï de prospérité sous l’habile administration des princes macédoniens. Théocrite, qui vivait à la cour de Ptolémée Philadelphe, nous a laissé un brillant tableau du bonheur de l’Égypte à cette époque : Aucun pays, dit-il, n’égale la fécondité et les richesses du sol de l’Égypte quand le Nil débordé vient amollir la glèbe desséchée ; nul prince ne commande à un plus grand nombre de villes peuplées d’habitants industrieux. Qui pourrait compter les cités florissantes sur lesquelles le puissant Ptolémée règne en souverain ? Trois fois dix mille villes, trois fois mille, trois fois cent, trois fois dix et encore trois fois trois, voilà son empire. Il range encore sous son sceptre une partie de la Phénicie, de l’Arabie, de la Syrie, de la Libye et des noirs Éthiopiens. Il dicte des lois à toute la Pamphylie, aux braves Ciliciens, aux Lyciens, aux belliqueux Cariens et aux habitants des Cyclades. Ses vaisseaux invincibles fendent au loin les mers, car les mers, la terre et les fleuves rapides rendent hommage au puissant Ptolémée. Autour de lui sont réunis une cavalerie nombreuse et d’innombrables fantassins étincelants de fer, et qui font retentir leurs brillantes armures. Son opulence efface celle de tous les rois ; chaque jour d’immenses richesses affluent de toutes parts dans son palais. Les peuples cultivent en paix les arts et les moissons ; Jamais, sous son règne, une horde ennemie n’osera traverser le Nil et porter le tumulte de la guerre dans les villages d’Égypte. Jamais le pirate, s’élançant de ses vaisseaux sur le rivage, ne viendra à main armée enlever les troupeaux de l’Égyptien : Le blond Ptolémée, prompt à brandir sa lance meurtrière, veille à la sûreté de ses États, Ptolémée qui, non content de conserver comme il sied à un grand roi l’héritage de ses pères, l’agrandit encore par de nouvelles conquêtes. Cependant ses richesses ne restent point oisives ; elles ne restent point inutilement amoncelées dans son palais. Elles brillent dans les temples des dieux ornés des plus précieuses offrandes qu’il joint aux prémices de tous ses tributs. Sa munificence étonne les rois les plus puissants, il enrichit les cités et ses dignes amis. Aucun poète admis aux combats sacrés de Bacchus ne fit entendre une docte harmonie qu’il ne reçût une récompense égale à ses talents ; et les interprètes des Muses, pour le payer de ses nobles faveurs, célèbrent à l’envi la grandeur de Ptolémée. Quoique ce tableau soit évidemment tracé parla main d’un courtisan, il n’a cependant rien d’outré. C’est à cette prospérité que fait allusion notre figure 56 ; elle représente l’abondance personnifiée par une femme qui tient en main un bouquet d’épis et de fleurs de lotus, et appuie son autre bras sûr le sphinx, emblème des rois d’Égypte. Cette association, d’une figure de style grec avec des attributs égyptiens se trouve encore sur d’autres monuments. L’Égypte elle-même a été personnifiée (fig. 57) par une femme portant le costume grée, mais tenant à la main le sistre d’Isis, tandis que l’ibis sacré vient se poser sur son pied. Sur d’autres monnaies, les emblèmes sont grecs aussi bien que l’exécution. Ainsi, les figures 58 et 59 nous montrent le Nil sous la forme d’un personnage à demi-nu, tenant une corne d’abondance et caractérisé seulement par les animaux du fleuve. |