MONSEIGNEUR DUPANLOUP ET M. LAGRANGE SON HISTORIEN

DEUXIÈME PARTIE. — LE TROISIÈME VOLUME

 

COUP D'ŒIL GÉNÉRAL.

 

 

D'un pied boiteux et longtemps entravé, ce pauvre volume a enfin réussi, en y mettant une année entière, à rejoindre ses deux aînés et à parfaire le trio, qui n'est pas celui des trois Grâces, encore moins celui des trois Vertus théologales ; la Charité au moins y manque, et c'est Némésis qui la remplace.

On en a désespéré longtemps. L'histoire de ce mal venu, de ses marches tortueuses et de ses arrêts forcés, de ses efforts acharnés pour toucher un but qui sera pour lui un naufrage plus qu'un port, formerait une odyssée peu poétique et pourtant assez curieuse.

Comme tous les mal conçus, qui ont toujours de la difficulté à se produire au grand jour des vivants, les deux premiers volumes eux-mêmes avaient eu de la peine à naître. Les personnalités ecclésiastiques le plus en droit de commander à M. Lagrange avaient dit et répété à cet enflammé : Trop tôt ! Ne jetez pas au milieu de querelles mal éteintes ce brandon de discorde ! à ce brouillon taquin, se dissimulant sous la peau d'un modéré et d'un pacifique : Ne vous faites donc pas agent provocateur, et gardez-vous de susciter une guerre qui ne saurait tourner au triomphe de votre héros, et dont vous ne sortiriez pas vous-même sans quelques meurtrissures ! Rien n'y avait fait ! Qui pourrait arrêter ce fougueux et cet emporté ? Quelle bouche assez puissante pour jeter un non procedes efficace à cet océan déchaîné ?

Donc, les deux volumes parurent, et toutes les trompettes du Correspondant et du Figaro, tous les fifres orléanais saluèrent leur venue. L'abbé Lagrange voulait mieux : une recommandation de ceux même qui s'étaient efforcés d'empêcher l'éclosion d'une œuvre qu'ils savaient devoir être, au lieu d'un livre d'édification, un livre de parti. A force d'instances longtemps repoussées, d'importunités fatigantes, il n'obtint qu'un article de la Semaine religieuse de Paris, qu'il s'empressa de faire reproduire, le même jour, 12 janvier, par les Annales orléanaises.

Mais, à Orléans, sa joie fut courte et incomplète. L'article de la Semaine parisienne contenait cette phrase : Si riche et si admirablement douée que fût la nature de l'évêque d'Orléans, elle avait des défauts ; ses qualités, poussées à l'extrême, rompaient quelquefois l'équilibre. En quelque circonstance mémorable (le concile), Mgr Dupanloup s'est trompé, et il a mis au service de son erreur la même impétuosité, le même élan qu'il mettait au service des plus belles causes. Nul n'y contredit.

Tous y contredirent, au contraire, parmi les admirateurs fanatiques de l'évêque d'Orléans ; et la secte cria à la trahison. Quelques ecclésiastiques, des laïques, des dames même adressèrent en haut lieu des insultes vengeresses, et plusieurs se refusèrent à recevoir désormais les Annales. Pour atténuer le jugement parisien ou en réduire les échos, le Journal du Loiret, suivant les habitudes de mutilation du lieu, supprima, dans sa reproduction de l'article de Paris, la phrase accusatrice, la phrase insultante, comme on disait, à la mémoire du grand évêque.

Je n'avais encore publié que mes deux premiers articles. Bien que très clairement visé par quelques mots de protestation de la Semaine parisienne, et par une invitation à changer de voie, je ne crus devoir, si encouragé en sens contraire par toutes les autorités que j'ai dites, ni renoncer à ma critique, ni entrer dans le programme, trop exclusivement louangeur, où l'on voulait m'enfermer. Je laissais la louange à M. l'abbé Lagrange, chez qui on la trouvera débordante et excessive ; et, après avoir payé, dès mon premier article, le juste et intégral tribut d'admiration que je pouvais devoir à la mémoire de Mgr Dupanloup, je repris, à la suite de son maladroit et fougueux biographe, l'examen des principaux actes d'une vie qui me semble toujours, à tout prendre, avoir eu une influence plus funeste qu'heureuse. Après quoi, j'attendis en paix, quoique demeurant sous les armes, ce troisième volume annoncé depuis des mois, et qu'on disait condamné de très haut à ne paraître jamais ou du moins de longtemps. Quelles interventions puissantes lui ont fait une meilleure fortune ? Est-ce, sinon de la même bouche, au moins du même siège d'où était parti d'abord le on ne passe pas qu'est venu le congé de paraître ? J'en pourrais dire plus long là-dessus ; mais ce n'est encore ni le lieu, ni le temps[1].

D'ailleurs, la pitié me fait un devoir de ménager un peu l'abbé Lagrange. Tout n'a pas été joie pour lui, en mettant, après un si long et si dur travail, ce cher fils au monde. Il a eu des malheurs de plus d'une sorte. A Rome, il n'a pu obtenir ce précieux parchemin qui l'eût mis, lui et son héros, à l'abri de toute critique sous forme de livre aussi bien que de journal. A Paris, on a refusé à son front glorieux ce laurier académique qui l'eût vengé de toutes mes précédentes attaques à sa littérature, et l'eût rendu désormais pour moi un écrivain sacré et inviolable. On dit bien qu'à défaut du parchemin pontifical et du laurier académique, il rêve certain manteau romain sous lequel il draperait si fièrement ses épaules un peu meurtries ; mais, en attendant, il demeure accessible à mes prises, et je prétends bien user de mon droit hautement reconnu pour lui infliger la petite fustigation qu'il mérite.

Je doute fort qu'il ait à s'applaudir beaucoup de m'avoir fait interdire mon premier champ de bataille, les colonnes de l'Univers, et de m'avoir réduit au champ clos du volume. Egalement juge du camp dans les deux cas, le public prononcera, j'espère, qu'il n'en est que plus complètement battu, parce que, cette fois, n'engageant que ma personne et ayant plus d'espace devant moi, je pourrai agrandir le champ de bataille et développer plus librement ma stratégie.

Mais, d'abord, quel préjugé en ma faveur que cette crainte de la polémique du journal, plus retentissante et plus exposée aux regards de tous ! Ils ont donc porté juste et rude, ces neuf articles que vous avez cherché misérablement à dénigrer dans vos journaux et à faire passer pour des traits lancés par une main impuissante ! Tels réellement, votre intérêt était de les abandonner à leur cours inoffensif !

Les voilà, ces libéraux, ces grands parleurs de liberté dans l'attaque et la défense, qui, sitôt qu'on les égratigne, vous veulent mettre des menottes, et au moindre mot contradictoire vous passent le bâillon ! Liberté pour eux ; mais, pour les autres, pas d'autre liberté que de les applaudir ! Tel était Mgr Dupanloup, tel est son historien.

Tout cela n'a pas suffi à M. l'abbé Lagrange. Pour échapper à une défense nécessaire et aux plus légitimes représailles, il nous oppose son troisième volume remparé de onze lettres épiscopales[2]. La première, imprimée à la place privilégiée et en caractères d'honneur, est la seule qui ait été écrite à l'occasion de ce volume et qui en déclare la valeur. Les dix autres se réfèrent aux deux premiers, sauf une, qui, touchant déjà au troisième, dont le sujet était facile à deviner, les embrasse tous les trois, héros et historien compris, dans la même apologie. C'est la plus ardente de toutes, la plus tranchante sur toutes les questions, la plus sévère et j'ose dire la plus injuste pour tous les contradicteurs. Quatre ont été écrites par des disciples ou prosélytes de Mgr Dupanloup, dont on ne saurait trop louer la reconnaissance, même lorsqu'elle s'épanche en louanges excessives. Un seul trait m'y répugne : c'est le souvenir de saint Augustin et de sainte Monique rappelé à propos de Mgr Dupanloup et de sa mère ! Comment M. l'abbé Lagrange n'a-t-il pas supprimé ce trait, qu'une heureuse ignorance explique chez son éminent auteur, mais qu'une maladresse insigne a seule conservé chez l'historien rapporteur ? Sans doute, aucune naissance n'exempte tout à fait un fils des obligations du quatrième commandement ; mais il est telle naissance qui, au nom d'une moralité plus haute, interdit lee culte filial ; et le fils fût-il un Augustin, jamais, dans ce cas, il ne pourra et ne devra traiter sa mère en Monique ! Je n'ai relevé ce trait que parce qu'on l'a voulu tourner contre moi, en me reprochant de n'avoir rien dit des rapports si touchants et si édifiants, me disait-on, de Mgr Dupanloup avec sa mère. J'en savais trop sur ce point pour suivre M. l'abbé Lagrange dans ses intempérances si peu convenables. Si l'on m'y forçait, j'en dirais bien davantage, car tout m'est connu, et je montrerais le scandale là où l'on a introduit frauduleusement l'édification ! — Est-ce à cela que M. Lagrange, dans sa lettre à M. Eugène Veuillot, ose faire allusion, lorsqu'il parle d'une infamie dont la place est aux vitrines de Léo Taxil, pas ailleurs ? L'imprudent ! Veut-il que je reproduise les actes qu'il avait eu l'audace déjà de mentionner, mais en insinuant un sens faux ?

Quelques-unes de ces lettres, toutes en éloges exagérés et sans les réserves nécessaires, ne provoquent pourtant

à aucune polémique, pas plus qu'une oraison funèbre quelconque. Telle la lettre du cardinal Haynald, qui pourtant, je le sais, dans l'intimité, et dans une intimité en quelque sorte officielle, parlait de Mgr Dupanloup avec plus de sévérité que personne. Telle cette autre, où l'on nous dit que, depuis Bossuet, personne n'a été comparable à Mgr Dupanloup, en qui revivait encore Fénelon ! L'on sourit et l'on passe !

Deux abordent et prétendent dirimer les deux grandes thèses qui dominent tout, en effet, dans la vie de Mgr Dupanloup : la thèse libérale et la thèse conciliaire ; et une troisième lettre, qui se borne à la thèse libérale, après avoir salué l'armée intelligente et généreuse des catholiques libéraux, accuse l'Univers d'avoir, par des attaques regrettables, affaibli son autorité et compromis ses succès ; puis, confondant le gouvernement de l'Église, auquel l'Univers ne s'est jamais mêlé, avec la lutte quotidienne pour sa défense, elle l'accuse encore, suivant un mot d'ordre parti de Mgr Dupanloup, d'avoir usurpé sur le Pape et les Évêques, et violé les règles qui président à la discipline des combats ; et enfin, sans songer à une rétorsion possible, sans reconnaître le droit de défense dont on pousse à user par ces accusations même, on nous déclare que nous devons au moins à une sainte mémoire le respect du silence !

Les deux lettres qui tranchent plus absolument toutes questions en faveur de Mgr Dupanloup, répondent, sur la question du libéralisme, par la distinction du fait et du droit[3], synonymes de la thèse et de l'hypothèse, et soutiennent que l'évêque d'Orléans s'en est tenu à l'hypothèse ou au fait, sans ignorer la thèse ou le droit de l'Église, mais droit qu'il ne pouvait invoquer devant ceux qui le repoussaient d'avance. Dès lors, sans admiration enthousiaste pour les libertés modernes, mais les acceptant loyalement comme une nécessité sociale, il s'est placé sur ce terrain, non interdit, au moins toléré, pour y chercher l'accord entre l'Eglise et les sociétés, pour revendiquer les droits de l'une au nom des libertés proclamées par les autres. Et le Pape et les Evêques lui ont donné raison, comme le prouvent le fameux Bref et les fameuses 600 lettres. Que faites-vous, nous demande-t-on alors, de l'autorité du Vicaire de Jésus-Christ et de l'autorité de l'épiscopat ? Nous répondrons !

Quant au concile, Mgr Dupanloup n'a fait qu'user de son droit, et n'a agi que par obéissance à son devoir. Avant, ce n'est pas lui qui a commencé, qui a provoqué ; pendant, il n'a pas combattu l'infaillibilité même, mais la seule opportunité d'une définition ; après, il s'est soumis, comme tous ses collègues, d'autant plus aisément qu'aucun d'eux (!) n'avait contesté la doctrine définie ; il s'est soumis avec plus de mérite qu'aucun, ayant, plus qu'aucun, méprisé ses intérêts et sacrifié à sa conscience une immense popularité. Il y a là une grandeur d'âme et une générosité devant lesquelles la postérité s'inclinera avec respect !

Je ne m'inclinerai pas, et je ne crois pas qu'il soit bon que personne s'incline ; mais j'espère bien n'avoir pas franchi la barrière de respect que m'opposaient ces onze lettres. Toutefois, je les discuterai librement, car elles ne sont pas des actes épiscopaux ; elles ne sont que des actes de publicistes respectables et autorisés, il est vrai, mais dont il est permis, obligatoire même, suivant moi, de contester les conclusions, pour empêcher la prescription de ce qui me semble l'erreur dans cette postérité à laquelle on fait appel. D'ailleurs, je ne serai pas seul, et à des évêques on sait bien que je puis opposer des évêques, qui ont pour eux l'avantage incontesté du grand nombre, et qui, pour la valeur personnelle, sans vouloir faire de comparaison offensante, n'ont rien à envier à leurs collègues d'une autre opinion et d'une autre conduite. Si j'ai analysé ces lettres, c'est que l'une d'entre elles, la première, est l'analyse du livre de l'abbé Lagrange, et qu'avec au moins une autre, elle est comme le mot d'ordre de tous les admirateurs et défenseurs exclusifs de Mgr Dupanloup, et comme le programme imposé à tous aussi bien qu'à son historien. Je puis donc désormais les écarter respectueusement, et m'en tenir au beaucoup moins gênant abbé Lagrange, qui n'a fait que les développer.

Imprimé depuis plusieurs mois avant d'être livré au public, ce troisième volume a été soumis à bien des manipulations. Certaines parties en paraissent avoir été tout d'abord clichées ; puis il a fallu refaire et mettre tout d'accord par divers procédés, notamment par quelques cartons qui brisent la pagination au point que la table et le texte ne concordent plus ensemble.

Au point de vue littéraire, ce volume ne vaut pas mieux que ses aînés. Mêmes défauts de plan, de composition et de proportion. Sur le concile, son grand objet, à peine quatre-vingts pages, tandis que près de cent cinquante sont accordées au député et au sénateur, et pas loin de cent, en trois chapitres, à des redites sur la piété de Mgr Dupanloup et son mérite comme directeur des âmes. Ces trois chapitres, outre qu'ils font un peu double emploi avec les premiers volumes et n'apprennent pas beaucoup plus au lecteur, renferment, sans aucun doute, en fait de citations, des choses heureuses et belles, mais bien plus de communes et d'ordinaires qu'on trouverait partout. Puis, que de longueurs, de verbosité, comme toujours, par exemple dans la lettre à Montalembert, qui vaudrait mieux si elle était réduite de moitié, et qui pourtant ne contient rien, hélas ! de ce qu'il aurait fallu dire à cet illustre pour le préserver des ombres de la dernière heure !

Mais quel besoin avait M. Lagrange de montrer, à travers ces détails qui auraient dû être de pure édification, sa face courroucée ? Ah ! nous crie-t-il, vous le croyiez irrité de tous ces traits que vous lui lanciez, de ces amertumes dont vous l'abreuviez, vous qui, jusqu'à la fin, voulûtes être ses ennemis ! Oh ! que vous le connaissiez peu !

N'y a-t il pas là une vraie interversion de rôles ? Louis Veuillot et ses amis ne seraient-ils pas en droit de renvoyer l'apostrophe à l'abbé Lagrange et à son héros ? Et les lecteurs de la correspondance si gaie, si sereine, si resplendissante de paix et de joie chrétiennes de Louis Veuillot n'y trouveraient-ils pas qu'on le connaissait moins à Orléans qu'il ne connaissait lui-même l'auteur de tant d'écrits où ne manquent ni le dard ni le fiel ! Et pourtant il ne connaissait pas cette correspondance intime, pire que les écrits publics, que nous ouvre l'indiscret et maladroit abbé Lagrange, et] où ne se montrent ni le charitable ni le saint !

Ici, sur le tard, l'abbé Lagrange met pourtant une restriction à son apothéose, la seule, je crois, dans ces trois gros volumes idolâtres : A-t-il, dans sa vie si laborieuse et si militante, dominé toujours et immédiatement cet amour ardent du bien, au point d'.éviter toute impatience, toute vivacité de langage ? Non, il n'a pas eu cette perfection surhumaine... Mais quelle noblesse, quelle humilité à reconnaître son tort, à demander pardon..... quelle application constante à se surveiller ! Restriction, on le voit, bien timide, bien anodine, et encore noyée dans l'éloge dominant ; mais combien en désaccord, dans cette atténuation même, avec ce que nous avons vu et ce que nous verrons ! Mgr Dupanloup écrivait bien : Fuir, fuir les disputes ! et il les provoquait toujours ! Beaucoup supporter ! et il ne supportait aucun contradicteur ! Garder le silence pour Dieu ! et il ne se pouvait retenir de lancer injure et condamnation à quiconque osait discuter contre lui !

Voilà, dans ce troisième volume, un avant-goût de ce miel qu'on avait tant annoncé, de cette modération qu'on nous a tant vantée après coup pour nous engager et nous forcer à désarmer nous-même. En réalité, sous ce rapport, ce volume est pire que les deux autres. Sans doute, l'abbé Lagrange y fait des efforts pour se contenir ; mais, en vertu même de cette compression forcée, son fiel éclate de temps en temps en jets plus amers. A vrai dire, sa modération prétendue est toute en réticences et en prétermissions qui, d'abord, faussent la vérité en la laissant incomplète, et qui, ensuite et surtout, invitent à tout deviner et provoquent à deviner le pire[4].

Mais il est temps de sortir de ces généralités et d'entrer dans l'examen de ce volume. Je reprends le plan annoncé à la fin de mon dernier article du 18 février dernier : Mgr Dupanloup avant, pendant et après le concile : plan, en effet, qui peut tout embrasser.

 

 

 



[1] On lit dans une Lettre de Rome du 11 octobre (Univers, 15 octobre) : Il n'a pas tenu à Léon XIII que le troisième volume de la Vie de Mgr Dupanloup ne fût pas publié, et je peux vous donner sur ce point quelques détails qui ne seront pas démentis. Le dernier voyage ad limina du regretté cardinal de Bonnechose avait pour objet principal d'appeler l'attention du Saint-Père sur le danger d'une publication qui allait raviver tant de fâcheux souvenirs. Le cardinal revint à Paris porteur d'un ordre formel d'ajourner indéfiniment la publication du dernier volume. Après six mois de suspension, où l'ouvrage fut remanié de fond en comble, les amis de M. Lagrange se permirent de représenter au Saint-Père qu'il y avait iniquité à frustrer un auteur du fruit de son travail, en laissant un ouvrage inachevé. Cette considération de haute délicatesse fut peut-être celle qui détermina le Saint-Père à accorder, non pas une autorisation, encore moins une approbation, mais une tolérance attristée à l'apparition d'un ouvrage dent il prévoyait les inconvénients. Il ne semble pas qu'il y ait là de quoi justifier l'attitude des amis de l'œuvre, encore moins les demandes de récompenses, qui toutes d'ailleurs ont été repoussées.

[2] En sus de ces onze lettres, M. Lagrange a dû en recevoir une douzième, dont, m'assure-t-on, il promène la lecture triomphale. Comment ne l'a-t-il pas citée, pour parfaire le nombre sacré ? Aurait-il craint que les onze fussent médiocrement flattés de l'adjonction de ce Mathias à leur collège ? Ou bien lui-même, si fervent disciple pourtant du grand apôtre des classiques, aurait-il trouvé ce douzième trop amoureux de la belle et pure antiquité personnifiée dans Calpurnius ?

[3] Distinction qui ne devrait plus être employée, après qu'elle a fait le fond de la tactique du jansénisme, et qu'elle a été son mot d'ordre dans sa guerre insidieuse contre la vérité.

[4] A Orléans même, tous ne jugent pas favorablement le livre de M. Lagrange. C'est un pieux roman, œuvre d'une pieuse reconnaissance, a dit publiquement M. l'abbé Bougaud ; et plus confidentiellement : Pauvre abbé Lagrange, voilà son évêque à bas, et par sa faute !