LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME TROISIÈME. — LA TERREUR

 

CHAPITRE V. — HONDSCHOOTE ET WATTIGNIES.

 

 

Malgré toute l’éloquence de Robespierre qui le protégeait, le grand Comité de salut public n’aurait pas réussi à durer contre les dangereuses attaques des jusqu’au-boutistes de gauche et des défaitistes de droite s’il n’avait obtenu de promptes victoires sur l’ennemi.

Bien qu’il fût peu nombreux, neuf puis douze membres, il n’hésita pas pour s’éclairer à déléguer à tous les moments critiques quelques-uns de ses membres sur le théâtre des opérations. Au lendemain de la prise de Valenciennes, il chargea Saint-André et Prieur de la Marne, accompagnés de Lebas du Comité de sûreté générale, d’inspecter en toute hâte le front du Nord-Est pour concerter avec les généraux les mesures urgentes à prendre. Ils obtinrent des généraux de la Moselle et du Rhin, réunis en conférence à Bitche, les 8 et 9 août, l’envoi immédiat d’un renfort de 11.000 hommes à l’armée du Nord. Un nouveau renfort de 20.000 hommes devait suivre. Des prélèvements sur les garnisons de l’intérieur remplacèrent les partants. Les représentants se rendirent ensuite à l’armée du Nord, réorganisèrent en passant la manufacture d’armes de Charleville, visitèrent la forteresse de Péronne qu’ils trouvèrent dans un état lamentable. A leur retour à Paris, le 23 août, ils exposèrent au Comité qu’il fallait changer la tactique, rendre les armées plus mobiles, opérer rapidement et par masses, destituer les états-majors et surveiller étroitement les fournisseurs. Ces civils traçaient du premier coup le programme que Carnot allait mettre à exécution.

Carnot et Prieur de la Côte-d’Or, entrés au Comité le 14 août, seraient restés tous les deux des savants et des ingénieurs distingués sans la Révolution. Carnot, connu par son célèbre Essai sur les machines paru en 1783, détestait le bruit et travaillait en silence. Chargé de missions aux armées dès la Législative, il avait visité les frontières, il connaissait les chefs et le soldat. Grand laborieux, d’une fermeté peu commune et d’une réflexion concentrée, il hérita du bureau militaire que Saint-Just avait déjà créé avant son arrivée. Il agrandit ce bureau, y fit entrer des spécialistes, sans trop regarder à leurs opinions, ne leur demandant que de bien servir, tels que Clarke à qui fut confié le service des cartes et la topographie, Montalembert qui s’occupa surtout de l’artillerie, Le Michaud d’Arçon, particulièrement versé dans l’attaque et la défense des places. Carnot correspondait de sa main avec les généraux. Les plans de campagne, les nominations étaient délibérés au Comité. Des civils comme un Saint-Just, un Saint-André, un Prieur de la Marne, un Robespierre entendaient connaître et discuter les raisons des mesures proposées par le spécialiste Carnot et ne donnaient leur adhésion qu’à bon escient. Carnot donna toute sa confiance à Bouchotte qui la méritait. Bouchotte possédait de grandes qualités d’administrateur, une infatigable activité, une application continuelle et raisonnée (A. Chuquet). Il ne manquait pas d’initiative. Il fut le premier à se servir de la poste pour le transport des troupes, le premier à employer le télégraphe dans la correspondance militaire. Il était honnête, il réprimait les prodigalités, il sut faire des choix souvent heureux. Il est assez difficile d’ailleurs de distinguer dans l’œuvre commune ce qui revient à Bouchotte et ce qui revient à Carnot, mais celui-ci eut le mérite de défendre son collaborateur contre des attaques passionnées qui se renouvelèrent constamment.

Quant à Prieur de la Côte-d’Or, il fut chargé, dès le début, de toute la partie du matériel, c’est-à-dire des fabrications de guerre, canons, fusils, armes blanches, munitions et aussi des hôpitaux et ambulances.

 

Tout manquait : les matières premières, les usines, les ingénieurs, les contremaîtres, les ouvriers. Les arsenaux, laissés à dessein dans l’inaction par les derniers ministres de Louis XVI, étaient vides. On avait sous les armes, au 15 juillet, 479.000 hommes. On allait lever 500.000 réquisitionnaires. On n’avait ni fusils ni équipements à leur donner. On n’en avait même pas assez pour les troupes qui étaient au front. Les croisières anglaises bloquaient nos côtes. Il fallait tirer de notre sol ce que nous achetions jusque-là à l’étranger : le salpêtre qui nous venait de l’Inde, le cuivre d’Espagne, d’Angleterre et de Russie, l’acier de Suède, d’Allemagne et d’Angleterre. Heureusement les membres du Comité aimaient la science non seulement pour ses services immédiats et utilitaires, mais pour sa grandeur et sa beauté propres. Carnot et Prieur de la Côte-d’Or se tournèrent aussitôt vers les savants. Ils appelèrent à leur secours les premiers chimistes, les premiers ingénieurs du temps : Monge, Berthollet, Fourcroy, Chaptal, Périer, Hassenfratz, Vandermonde, etc. Ils ne leur demandèrent pas seulement des conseils, ils les associèrent étroitement à leur œuvre en leur confiant des missions et des responsabilités. A Vandermonde fut confiée la direction de la fabrication des armes blanches. Hassenfratz fut nommé, le 27 brumaire, commissaire aux manufactures d’armes. Chaptal, protégé de Robespierre, fit partie de l’administration des poudres et salpêtres. Fourcroy, élève de Lavoisier, découvrit un procédé pour séparer le cuivre du bronze des cloches. Les cloches devinrent notre mine de cuivre. Monge rédigea un lumineux précis sur l’Art de fabriquer les canons qui servit de mémento à nos métallurgistes, etc. Le Comité mit à la disposition des savants le château du Petit-Meudon et le parc avoisinant pour servir de terrain d’expérience. On y expérimenta en grand secret des poudres au fulminate, des boulets creux, des boulets incendiaires, le télégraphe à signaux inventé par Chappe, les premiers aérostats militaires. Monge organisa à Paris une grande manufacture de fusils et de canons et d’autres manufactures furent créées dans les départements.

Mais il fallait plusieurs mois pour mettre sur pied cette étonnante improvisation. Ce n’est qu’à la fin de 1793 que les fabrications diverses commencèrent à donner des résultats. Les six premiers fusils sortis de la manufacture de Paris furent présentés à la Convention le 3 novembre. En attendant il avait fallu courir au plus pressé, vaincre quand même l’ennemi afin de réveiller le moral ébranlé des troupes et des chefs.

Le Comité était convaincu que la victoire était impossible si l’armée n’était pas tout entière animée d’un esprit républicain. Il ne se borna pas à répandre parmi les soldats des journaux patriotiques, il s’attacha à effacer chez les soldats de ligne toute trace de l’Ancien Régime. Il ordonna que, pour le 15 août au plus tard, ceux-ci quitteraient définitivement leur vieil habit blanc pour prendre l’habit bleu des volontaires. L’armée nouvelle, faite surtout de jeunes soldats, manquait de cohésion. Elle était parfois prise de panique. L’offensive par masses suppléerait à ce qui lui manquait d’endurance et de sang-froid. Les généraux reçurent l’ordre d’attaquer.

Kilmaine, un Irlandais, qui commandait l’armée du Nord depuis la destitution de Lamorlière, manquait de confiance. Il avait abandonné, le 7 août, le camp de César et avait reculé sur Arras, laissant ouverte la route de Paris. L’émotion fut profonde. Le gendre de Pache, Xavier Audouin, avouait aux Jacobins que l’ennemi serait en quatre jours dans la capitale s’il le voulait. Des partis de cavalerie autrichienne parcoururent les départements de l’Aisne et de la Somme, arrivèrent jusqu’à Noyon. Fersen et Mercy-Argenteau pressaient Cobourg de jeter toute sa cavalerie droit sur Paris pour délivrer la reine qui avait été transférée à la Conciergerie le 1er août. Mais Cobourg ne disposait plus de toutes les forces coalisées. Obéissant aux ordres de Pitt, qui lui prescrivaient de s’emparer de Dunkerque comme d’une tête de pont sur le continent, le duc d’York était parti, le 10 août, vers la mer, avec 37.000 hommes, anglais, hanovriens, hollandais. Cette séparation d’York et de Cobourg causée par l’égoïsme fut le salut de la République.

Le Comité de salut public destitua Kilmaine et le remplaça par Houchard, un vieux soldat de fortune tout couvert de blessures, qu’on croyait sûr parce qu’il était de souche plébéienne et qu’il devait son avancement à la Révolution. Carnot installa Houchard, l’encouragea, le guida. Quand il apprit, le 17 août, la marche des Anglais vers Dunkerque, il lança Jourdan à leur poursuite. Jourdan essaya, sans succès de les accrocher le lendemain à Linselles. York se dégageait, passait l’Yser le 21 août par surprise, nous prenait 11 canons à Ostcapelle et sommait Dunkerque de se rendre le 23 août. Mais déjà le commandement de Bergues, Carion, avait fait ouvrir les écluses et inondé les campagnes devant la place. Celle-ci ne put pas être complètement bloquée. Elle reçut des renforts amenés par Jourdan et elle fut courageusement défendue par Souham et Hoche. Houchard avait reçu l’ordre, le 25 août, de profiter de l’éloignement de Cobourg occupé au siège du Quesnoy et d’York occupé au siège de Dunkerque pour couper leurs communications en se jetant sur les Hollandais qui gardaient la Lys. Il n’obéit pas strictement à ses instructions. Il dispersa ses forces au lieu de les concentrer et, quand il se fut emparé de Tourcoing, le 28 août, au lieu de se diriger sur Ypres et Nieuport pour couper aux Anglais leur retraite sur la Belgique, il se porta au secours de Dunkerque par la voie la plus courte, c’est-à-dire par Cassel. Il se jeta ainsi sur le corps d’observation de Freytag disposé aux abords de la Grande Moëre pour protéger York contre une attaque venue du Sud. Bousculé, le 6 septembre, à Ost-capelle et à Rexpoëde, Freytag recula sur Hondschoote dans la nuit du 6 au 7 septembre. Une bataille de deux jours, décousue et confuse, s’engagea autour du village qui fut pris et repris. A dix heures du matin, le 8 septembre, Houchard crut la bataille perdue. Sans le représentant Delbrel il aurait ordonné la retraite. L’attaque recommença. Les représentants Delbrel et Levasseur (de la Sarthe) conduisirent aux côtés des généraux les colonnes d’assaut. Levasseur eut un cheval tué sous lui. A une heure de l’après-midi, Freytag battit en retraite sur Furnes. Houchard aurait dû le poursuivre énergiquement. Il avait en main une division fraîche qui n’avait pas encore été engagée, la division Hédouville. Il perdit l’occasion de détruire l’armée hessoise et hanovrienne qui reculait en désordre. Il ne prit pas Furnes, il ne coupa pas la retraite à l’armée anglaise qui assiégeait Dunkerque. York se hâta de s’échapper par le chemin des dunes en laissant sur place une partie de sa grosse artillerie.

La victoire était incomplète, mais c’était la première que les troupes républicaines remportaient depuis longtemps. Elle effaçait le souvenir d’Aldenhoven, de Neervinden, de Raismes et de Famars. Les carmagnoles retrouvèrent leur fierté et leur foi en la Révolution.

Houchard, malheureusement, continua ses erreurs. Il n’arriva pas à temps pour secourir Le Quesnoy qui capitula le 12 septembre. Delbrel sauva Bouchain et Cambrai en y amenant, de sa propre autorité, des vivres et des renforts. Houchard découragé, au lieu de rassembler toutes ses forces pour tomber sur Cobourg, encore séparé d’York, recula sur Arras et ramena ses troupes au camp de Gavrelle. C’était désobéir à l’ordre d’offensive qu’il avait reçu. Les représentants le dénoncèrent à Paris et le Comité le destitua le 20 septembre. Une perquisition faite dans ses papiers fit découvrir des lettres de généraux ennemis où il était question d’échanges de prisonniers et d’affaires indifférentes. Comme ces lettres étaient conçues en termes polis, il n’en fallut pas davantage pour étayer l’accusation d’intelligences avec l’ennemi et de trahison. Le pauvre Houchard fut envoyé au tribunal révolutionnaire.

Le Comité ne s’en tint pas à la destitution de l’état-major de l’armée du Nord. A quelques jours de distance il frappa les commandants des armées du Rhin et de la Moselle, le premier, Landremont, parce qu’il lui avait écrit, le 12 septembre, qu’il aurait de la peine à défendre les lignes de Wissembourg et que si elles étaient forcées, Strasbourg ne pourrait tenir plus de trois jours ; le second, Schauenbourg, parce qu’il s’était fait battre, le 14 septembre, à Pirmasens, laissant à l’ennemi 20 canons et 2.000 prisonniers. Ces destitutions répétées, ce renouvellement complet de l’état-major des trois principales armées valut au Comité une furieuse attaque qui dura deux jours à la Convention, les 24 et 25 septembre. Déjà Thuriot avait donné sa démission, le 20 septembre, plutôt que d’accepter la destitution de Houchard. Autour de lui s’étaient groupés les représentants rappelés, Duhem, Briez, Bourdon de l’Oise et Goupilleau de Fontenay, Duroy et les anciens membres du Comité de sûreté générale exclus de leurs places le 14 septembre. Les opposants faillirent triompher. La Convention adjoignit l’un d’eux, Briez, au Comité de salut public. Mais Barère, Billaud, Saint-André, Prieur de la Marne firent une belle défense puis Robespierre monta à la tribune. Par dessus la Convention il s’adressa au pays tout entier. Il montra l’immensité de la tâche qui pesait sur les épaules du Comité : Onze armées à diriger, le poids de l’Europe entière à porter, partout des traîtres à démasquer, des émissaires soudoyés par l’or des puissances étrangères à déjouer, des administrations infidèles à surveiller, à poursuivre, partout à aplanir des obstacles et des entraves à l’exécution des plus sages mesures, tous les tyrans à combattre, tous les conspirateurs à intimider, puis il prit l’offensive : Ceux qui nous dénoncent sont dénoncés eux-mêmes au Comité, d’accusateurs qu’ils sont aujourd’hui ils vont devenir accusés. Impitoyable, il les déshabilla : Le premier [c’était Duhem] se déclara le partisan de Custine et de Lamorlière, il fut le persécuteur des patriotes dans une forteresse importante [Lille] et dernièrement encore il a osé ouvrir l’avis d’abandonner un territoire réuni à la République [la Savoie]... Le second [Briez] n’a pas encore réparé la honte dont il s’est couvert en revenant d’une place confiée à sa défense après l’avoir rendue aux Autrichiens [Valenciennes]. Sans doute si de tels hommes parviennent à prouver que le Comité n’est pas composé de bons citoyens, la liberté est perdue, car sans doute ce ne sera pas à eux que l’opinion éclairée donnera sa confiance et remettra les rênes du gouvernement.

Cette virulente improvisation de Robespierre remplie d’un tel dédain pour ses accusateurs les mit en déroute. Briez atterré refusa la nomination qui l’avait porté au Comité de salut public. Celui-ci obtint un vote unanime de confiance et l’approbation de tous ses actes.

Les conséquences de cette grande bataille parlementaire furent considérables. Il est admis maintenant que les représentants en mission qui correspondaient auparavant directement avec la Convention doivent être subordonnés au Comité, que celui-ci qui choisit déjà, depuis le 14 septembre, les membres des autres comités, pourra désormais rappeler les représentants sans jouer son existence. L’opposition est domptée au moins pour un temps. Danton, qui s’était tu pendant ce grand débat, demanda un congé, le 10 octobre, pour aller soigner sa santé à Arcis-sur-Aube.

Les derniers obstacles que les modérés avaient accumulés pour retarder les mesures révolutionnaires sont levés. L’armée révolutionnaire, décrétée en principe le 5 septembre, va s’organiser. Les poursuites contre les chefs girondins, toujours ajournées, vont entrer en action. Amar fait son rapport d’accusation le 3 octobre. Mais surtout la taxe des denrées, promise en principe le 4 septembre, est enfin mise en application par la grande loi du 29 septembre. La Terreur économique marche du même pas que la Terreur politique.

Les conséquences de la victoire parlementaire du 25 septembre se font sentir aussi dans le domaine militaire. Le Comité a maintenant carte blanche pour sans-culottiser les états-majors. Coup sur coup il profite de la liberté qu’il a conquise pour nommer au commandement des trois principales armées trois jeunes généraux de fortune, sortis du rang, qui justifieront tous les trois son attente : Jourdan à l’armée du Nord le 24 septembre, Pichegru, le 28 septembre, à l’armée du Rhin, Hoche enfin, le 22 octobre, à l’armée de la Moselle. Choix beaucoup plus audacieux que celui de Houchard. Celui-ci était un vieux soldat de métier qui avait fait toutes les campagnes de l’Ancien Régime depuis la guerre de Sept Ans. Ceux-là étaient de tout jeunes gens qui n’avaient jamais passé par les écoles, des autodidactes, qui n’avaient pas franchi le grade de sous-officier en 1789 — Jourdan né en 1762, Pichegru en 1761, Hoche en 1768 —. Le Comité fut récompensé de sa hardiesse. Ces jeunes généraux, qui devaient tout à la Révolution, s’identifièrent avec elle. Ils s’appliquèrent à vaincre de tout leur être. Ils étaient à l’âge où les passions sont fortes, où on se lance en avant sans regarder en arrière. Sans eux la tactique d’offensive de Carnot eût été impraticable. Ils n’étaient pas alourdis dans leur élan par les théories d’école, ils devaient tout à la pratique et à l’expérience. Ils déconcertèrent par leur audace et leurs improvisations les vieux généraux compassés et routiniers de la coalition. A une guerre nouvelle il fallait ces hommes nouveaux, à une guerre nationale des chefs qui appartenaient par toutes leurs fibres à la nation.

La victoire incomplète de Hondschoote fut suivie, à bref délai, d’une autre victoire, celle de Wattignies qui fut l’œuvre de Jourdan et de Carnot.

Après la prise du Quesnoy, Cobourg, selon son habitude, avait hésité sur le parti à prendre. Il perdit quinze jours à regrouper ses forces entre la Sambre et l’Escaut, répit heureux dont Carnot profita pour mettre Péronne et Guise à l’abri. Finalement Cobourg se décide, le 28 septembre, à marcher sur Maubeuge avec les Hanovriens et les Hollandais qu’il avait rappelés à lui. Il bouscule facilement la division Desjardins, passe la Sambre le lendemain à Hautmont, coupe les communications de Maubeuge avec Avesnes et investit Maubeuge où les représentants Hentz, Drouet et Bar se sont enfermés avec une forte garnison de 22.000 hommes.

Avec une rapidité admirable Carnot, qui se rend à l’armée de Jourdan, concentre 45.000 hommes à Guise, du 6 au 10 octobre. 4.000 arrivent de Sedan en trois jours ayant marché 65 milles et 8.000 d’Arras ayant couvert la même distance dans le même temps. La concentration est terminée le 11 octobre. Le général Merenvüe, qui commande l’artillerie, est destitué parce qu’il n’a pas amené assez vite les munitions. Jourdan et Carnot se portent aussitôt sur Maubeuge. Ils commandent l’attaque le 15 octobre, une attaque débordante par les ailes pendant que le centre français canonnera l’ennemi. Les Impériaux tiennent bon le premier jour. Dans la nuit, Carnot porte 7.000 hommes de sa gauche à sa droite et le lendemain, à l’aube, il recommence l’attaque sur le village de Wattignies par cette droite renforcée. Il se mit lui-même avec Jourdan à la tête des colonnes d’assaut. Wattignies pris et repris reste finalement en nos mains. Cobourg, le 16 au soir, ordonne la retraite après avoir perdu 2.200 hommes. Maubeuge est délivrée. Son commandant Chancel, qui n’a fait aucune sortie pendant la bataille, est destitué.

La victoire sans doute n’était pas décisive. Cobourg ne fut pas poursuivi. Il put appeler à son secours les Anglais de Furnes et s’établir tranquillement sur la rive gauche de la Sambre pour couvrir Bruxelles. Mais Wattignies était la seconde victoire rangée que remportaient les sans-culottes depuis les défaites du printemps. Maubeuge était la seconde place qu’ils délivraient. Leur confiance en eux-mêmes s’en accrut et Carnot, qui avait fait ses preuves, se trouva consolidé dans son crédit. L’événement justifiait la politique audacieuse du Comité de salut public. On ne lui reprocherait plus de désorganiser l’armée en frappant les vieux généraux et en nommant à leur place des blancs-becs sans expérience.

Au succès de Wattignies le Comité pouvait joindre la prise de Lyon sur les rebelles. Il avait pressé le siège de toutes ses forces parce qu’il avait hâte d’employer contre Toulon l’armée qui y participait. Il s’était impatienté des lenteurs apportées par Dubois-Crancé au bombardement. Dubois-Crancé était noble. Le Comité s’imagina qu’il trahissait. Il le rappela, le 6 octobre, ainsi que son collègue Gauthier parce que, dans leur dernière lettre, ils avaient déclaré qu’ils ne seraient pas assez forts pour empêcher une sortie de Précy, alors qu’il résultait des rapports précédents de l’adjudant général Sandoz que si les muscadins tentaient une sortie, ils ne pourraient la réussir qu’en employant les ballons. Trois jours après l’ordre de rappel, le 9 octobre, les troupes républicaines entraient dans Lyon vaincu. Mais Précy s’échappait avec un millier d’hommes. Le Comité fut convaincu que cette fuite qu’avait annoncée Dubois-Crancé était une preuve de plus que celui-ci était complice des rebelles.

Les bonnes nouvelles affluaient maintenant vers Paris. Le 17 octobre, le lendemain de Wattignies, les Vendéens subissaient une grave défaite à Cholet et passaient sur la rive droite de la Loire à Saint-Florent. Déjà les Piémontais avaient été chassés de la Maurienne et de la vallée de l’Arve à la fin de septembre, et les Espagnols avaient dû évacuer le Roussillon et le Pays basque.

Le Comité pouvait regarder en arrière et mesurer l’œuvre accomplie en deux mois. Il adressa, le 23 octobre, une proclamation aux armées où sonnait déjà un accent de fanfare : Les lâches satellites de la tyrannie ont fui devant vous... Ils ont abandonné Dunkerque et leur artillerie, ils se sont hâtés d’échapper à leur ruine entière en mettant la Sambre entre eux et vos colonnes victorieuses. Le fédéralisme a été frappé dans Lyon. L’armée républicaine est entrée dans Bordeaux pour lui porter le dernier coup. Les Piémontais et les Espagnols sont chassés de notre territoire. Les défenseurs de la République viennent de détruire les rebelles de la Vendée.

Sans doute toutes les difficultés n’étaient pas surmontées. Il restait des points noirs redoutables. Toulon tenait toujours. Wurmser menaçait l’Alsace. Les Vendéens passés au nord de la Loire pour aller au-devant de l’aide anglaise n’étaient pas écrasés. Cobourg sur la Sambre et l’Escaut n’était pas hors de cause.

Mais, somme toute, le Comité, en cette fin d’octobre 1793, n’avait pas tort de regarder l’avenir avec confiance. Il avait réclamé la dictature à la grande séance du 25 septembre pour sauver la patrie. La patrie n’était pas encore sauvée, mais elle était déjà en voie de guérison. Le moral était revenu au malade.