LA RÉVOLUTION FRANÇAISE

TOME TROISIÈME. — LA TERREUR

 

CHAPITRE IV. — LA POUSSEE HÉBERTISTE ET L’INAUGURATION DE LA TERREUR.

 

 

Appuyé sur les bureaux de la guerre et les agents que Bouchotte envoie aux armées pour surveiller les généraux et parfois les représentants, fort de sa clientèle de réfugiés politiques qu’une paix prématurée livrerait à leurs anciens maîtres, Hébert est avant tout pour la guerre à outrance, jusqu’à la victoire complète. Il ne peut pas concevoir une politique de paix qui ne serait pas en même temps une politique de restauration monarchique. Cloots, qui veut reculer les limites de la France jusqu’au Rhin, le seconde de toutes ses forces et le Batave fait chorus au Père Duchesne.

Hérault de Séchelles, qui dirige avec Barère au Comité de salut public la partie diplomatique, pense comme Clootz son ami. Il envoie à Mulhouse, le 18 août, un agent secret, Catus, pour préparer la réunion à la France de cette petite république manufacturière alliée aux treize cantons. Il s’intéresse particulièrement à la Savoie qu’il a été chargé d’organiser après l’annexion et d’où il a ramené sa maîtresse, la brune Adèle de Bellegarde. La Savoie est de nouveau envahie par les Piémontais. Hérault propose, le 25 août, d’y envoyer deux représentants, Dumas et Simond, qui refouleront l’ennemi et rassureront les habitants sur la loyauté de la France. Mais les modérés de la Convention, tous ceux qui ont applaudi aux tentatives de Danton pour transiger avec les tyrans, font grise mine à la proposition. Duhem, qui vient d’être rappelé de sa mission du Nord, la combat en jetant le soupçon sur le civisme des Savoyards. Gossuin appuie Duhem. En vain Simond, qui est savoyard, rappelle que ses compatriotes ont formé six bataillons de volontaires qui se battent bien. En vain Tallien s’écrie que la France se déshonorerait en abandonnant les Savoyards qui se sont donnés à elle. L’Assemblée reste froide. Il faut que Prieur de la Marne et Barère interviennent pour que la Convention consente à secourir le Mont-Blanc.

Les Hébertistes ne doutent pas, après ce débat, qu’il n’y ait à la Convention un fort parti de pacifistes, c’est-à-dire de royalistes déguisés. Ils leur imputent les lenteurs du procès de Custine, l’absolution de Reubell et de Merlin de Thionville qui ont capitulé dans Mayence, les persécutions qu’éprouvent en Vendée Rossignol, un instant destitué par Bourdon de l’Oise et Goupilleau de Fontenay, les tracasseries dont certains représentants abreuvent les agents de Bouchotte.

Sans doute Robespierre a pris la défense de Rossignol et a fait l’éloge des services rendus par les commissaires du Conseil exécutif envoyés aux armées (23 août), mais les hébertistes se croient assez forts pour prendre l’offensive contre leurs adversaires. Le Père Duchesne ne se borne plus à attaquer Danton et ses amis, les traîtres qui siègent à la Montagne, c’est ainsi qu’il les désigne. Il veut restaurer le pouvoir des ministres et les rendre, eux et leurs agents, indépendants de l’Assemblée, des représentants en mission et des Comités. Montagnards, écrit-il dans son n° 275, tant que les Comités usurperont tous les pouvoirs, nous n’aurons jamais de gouvernement, ou nous en aurons un détestable. Pourquoi les rois ont-ils fait tant de mal sur la terre, c’est que rien ne s’opposait à leur volonté pas plus qu’à celle de vos Comités... Nous n’aurons jamais de liberté, notre Constitution ne sera qu’une chimère tant que les ministres ne seront que des galopins aux ordres des derniers balayeurs de la Convention. Hardiment Hébert demande qu’on mette immédiatement en vigueur la partie de la Constitution qui prescrit l’élection des ministres. Il avait sur le cœur l’échec qu’il venait d’éprouver, le 20 août, quand la Convention avait nommé Paré, l’ancien clerc de Danton, au ministère de l’Intérieur. Il prendrait sa revanche quand le peuple choisirait les ministres ! Robespierre eut toutes les peines du monde à empêcher les Jacobins de suivre Hébert et de demander avec lui le renouvellement du Conseil exécutif par une votation populaire.

Les hébertistes poussèrent leur campagne. Ils se plaignirent du maintien des nobles dans leurs emplois, des persécutions des patriotes dans certaines régions comme à Nancy (affaire Mauger), de la protection que le Comité de sûreté générale accordait aux aristocrates, des retards qu’il apportait à faire juger les Girondins et Marie-Antoinette ; ils montrèrent le royalisme dominant dans les spectacles de Paris où on jouait au milieu des applaudissements des pièces comme Paméla, où on entendait l’éloge de la noblesse et du gouvernement anglais, et comme Adèle de Sacy, où on voyait une reine et son fils lâchement retenus dans une prison et ensuite délivrés et rétablis dans leurs droits et honneurs. Le Comité interdit les deux pièces suspectes.

Par suite de la sécheresse qui avait arrêté les moulins, la disette avait reparu à la fin d’août. Les colères grondaient. Hébert ne s’en prenait plus seulement aux accapareurs, mais à toute la classe des négociants dans un article à rendre jaloux ses rivaux les Enragés.

La patrie, f..., les négociants n’en ont point. Tant qu’ils ont cru que la Révolution leur serait utile, ils l’ont soutenue, ils ont prêté la main aux sans-culottes pour détruire la noblesse et les parlements, mais c’était pour se mettre à la place des aristocrates. Aussi, depuis qu’il n’existe plus de citoyens actifs, depuis que le malheureux sans-culotte jouit des mêmes droits que le riche maltôtier, tous ces j... f... nous ont tourné casaque et ils emploient le vert et le sec pour détruire la République. Ils ont accaparé toutes les subsistances pour les revendre au poids de l’or ou pour nous amener la disette... (n° 279).

 

Par surcroît, des provinces arrivaient de mauvaises nouvelles. Les royalistes et les tièdes s’agitaient pour entraver la levée en masse : attroupements en Seine-et-Marne à la fin d’août, fermentation à Rennes, révolte dans le district de Saint-Pol (27 août), émeute à Abbeville pour délivrer les suspects (27 août), complots à Rouen, mutinerie du 5e régiment de dragons à Laon (28 août), attroupement d’insoumis et de déserteurs en Haute-Garonne et dans l’Ariège (30 août), etc.

Les hébertistes ne se bornent plus à morigéner la Convention et le gouvernement. Ils préparent une nouvelle journée. L’heure est venue, pensent-ils, de prendre le pouvoir à leur tour.

Hébert propose aux Jacobins, le 28 août, de faire une adresse à la Convention pour réclamer l’épuration des états-majors, la destitution des nobles, des mesures de salut public. On associera au pétitionnement les 48 sections et les sociétés populaires parisiennes. Il est très applaudi. Le fédéré Boy s’emporte en menaces contre la Convention. Il est rappelé à l’ordre, mais les tribunes l’acclament. L’ancien orateur des fédérés, Royer, appuie la pétition qui est décidée en principe.

Le lendemain Billaud-Varenne, qui revient de l’armée du Nord, dénonce le désarroi qui a suivi la perte du camp de Famars. Il critique devant la Convention l’inaction gouvernementale. Il propose d’instituer une Commission qui sera chargée de veiller à l’exécution des lois et d’envoyer les coupables à l’échafaud. En vain Robespierre essaie de parer le coup que Billaud vient de porter au Comité de salut public. La Commission proposée rivaliserait forcément avec le Comité, elle le paralyserait, elle serait une source de troubles et de conflits. Il est à craindre que cette Commission ne s’occupe plutôt d’inimitiés personnelles que de surveillance loyale et ne devienne ainsi un véritable Comité de dénonciation. Ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’aperçois qu’il existe un système perfide de paralyser le Comité de salut public en paraissant l’aider dans ses travaux ! L’Assemblée reste froide et même murmure. Danton vient au secours de Robespierre qui l’a défendu trois jours plus tôt aux Jacobins. Déjà le Comité de salut public presse le Conseil exécutif. Si vous créez une Commission, elle pressera le Comité, peut-être au lieu d’une action nouvelle n’aurez-vous créé qu’une nouvelle inquisition. Mais, ceci dit, Danton, fidèle à sa tactique accoutumée, offre une transaction. Qu’on adjoigne plutôt au Comité trois nouveaux membres. Sa motion est renvoyée au Comité. Celui-ci ne se presse pas de présenter la liste des trois nouveaux membres qu’on veut lui adjoindre, car il n’aurait pu se dispenser d’y comprendre Billaud. Il fait le mort.

Mais les hébertistes s’emparent des Jacobins et, pour ressaisir la popularité qui le fuit, Danton se met à hurler avec eux. Il proclame, le 30 août, devant le club que la Convention fera avec le peuple une troisième Révolution, s’il le faut, pour terminer enfin cette régénération de laquelle il attend son bonheur retardé jusqu’à présent par les monstres qui l’ont trahi. Puis Royer évoque l’exemple de Marat. Pourquoi n’a-t-on pas écouté ses conseils ? On n’écoute pas davantage ceux qui parlent aujourd’hui. Faut-il donc être mort pour avoir raison ! Qu’on place la Terreur à l’ordre du jour ! C’est le seul moyen de donner l’éveil au peuple et de le forcer à se sauver lui-même ! Royer fut chargé de proposer une nouvelle rédaction (c’était la quatrième) de la pétition dont Hébert avait pris l’initiative.

Robespierre fit des efforts désespérés pour prévenir la journée qui s’annonçait. Mais les événements travaillaient pour les hébertistes. Le 2 septembre, un commissaire du Conseil exécutif qui revenait du Midi, Soulès, apporte la nouvelle que les Anglais sont entrés dans Toulon le 26 août. Aussitôt Billaud-Varenne monte à la tribune pour mettre sur la sellette le Comité de salut public qui a gardé la nouvelle secrète. Le soir même aux Jacobins, les hébertistes font accorder l’affiliation à la société des républicaines révolutionnaires, malgré les liaisons de leur présidente Claire Lacombe avec Théophile Leclerc. Hébert fait décider en outre que le club se réunira le lendemain à neuf heures pour se rendre à la Convention avec les sections et les sociétés populaires.

Robespierre gagna deux jours encore. Les Jacobins ne parurent pas à la Convention ni le 3 ni le 4 septembre. Mais le 4, la nouvelle de l’entrée des Anglais dans Toulon devint officielle. Le matin, les hébertistes mirent leurs troupes en mouvement. Serruriers et ouvriers du bâtiment s’assemblent dans les rues du Temple et Sainte-Avoye et vont à la Commune réclamer une augmentation de salaires. Leur orateur interroge Pache : Y a-t-il des subsistances à Paris ? S’il y en a, mettez-en sur le carreau, s’il n’y en a pas, dites-nous-en la cause. Le peuple est levé, les sans-culottes qui ont fait la Révolution vous offrent leurs bras, leur temps et leur vie ! Pour calmer les manifestants ou pour dégager sa responsabilité, Chaumette court à la Convention. Il en rapporte le décret par lequel elle vient de s’engager à établir sous huit jours la taxe de toutes les denrées et marchandises de première nécessité, autrement dit le maximum général. L’effet produit est nul. Ce ne sont pas des promesses qu’il nous faut, c’est du pain et tout de suite, crie la foule qui a grossi. Alors Chaumette monte sur une table : Et, moi aussi, j’ai été pauvre et par conséquent je sais ce que c’est que les pauvres ! C’est ici la guerre ouverte des riches contre les pauvres, ils veulent nous écraser, eh bien ! il faut les prévenir, il faut les écraser nous-mêmes, nous avons la force en main ! Et Chaumette invite la Commune à réclamer à la Convention l’organisation immédiate d’une armée révolutionnaire à l’effet de se transporter dans les campagnes où le blé est en réquisition, assurer les levées, favoriser les arrivages, arrêter les manœuvres des riches égoïstes et les livrer à la vengeance des lois. Hébert invite les ouvriers à cesser demain leur travail pour se rendre en masse avec le peuple à l’Assemblée : Qu’il l’entoure comme il a fait au 10 août, au 2 septembre et au 31 mai et qu’il n’abandonne pas ce poste jusqu’à ce que la représentation nationale ait adopté les moyens qui sont propres pour nous sauver. Que l’armée révolutionnaire parte à l’instant même où le décret aura été rendu, mais surtout, que la guillotine suive chaque rayon, chaque colonne de cette armée ! La plupart des sections siégèrent fort tard pendant la nuit et l’une d’elles, celle des sans-culottes, se déclara en insurrection contre les riches.

Pour réussir le 10 août le 31 mai qui se préparait, il fallait entraîner les Jacobins comme on l’avait fait à la veille de ces grandes journées. En vain Robespierre, secondé par Renaudin, mit-il en garde le club contre une émeute qui comblerait de joie les aristocrates. En vain dénonça-t-il un complot d’affamer Paris et de le plonger dans le sang. En vain prit-il l’engagement au nom du Comité de salut public de pourvoir aux besoins du peuple et de réprimer les accaparements. Son appel au calme ne fut pas entendu. Royer s’en prit au Comité qui renfermait des hommes pervers. Barère avait tenu une marche tortueuse dans la Révolution. Robespierre eut beau défendre Barère, faible, mais actif et utile. Royer continua ses attaques et fit honte aux Jacobins de leur timidité : Qu’avez-vous fait depuis huit jours ? Rien. Montrez-vous tels que vous étiez dans ces jours difficiles où vous sauvâtes la liberté. Changez de tactique, je vous en conjure, agissez et ne parlez plus ! Il fut frénétiquement applaudi. Robespierre se tut. Il était impossible d’arrêter le mouvement. Le lendemain, 5 septembre, un long cortège précédé de Pache et de Chaumette, s’ébranla de l’Hôtel de Ville à la Convention. Les manifestants portaient des pancartes où on lisait : Guerre aux tyrans ! Guerre aux aristocrates ! Guerre aux accapareurs !

L’Assemblée, qui s’attendait à cette visite, venait de voter sans débat, sur le rapport de Merlin de Douai, la division du tribunal révolutionnaire en quatre sections qui fonctionneraient simultanément. Pache expliqua, au nom de la Commune et des sections, que le peuple était fatigué de la disette qui avait pour cause l’égoïsme des possédants et les manœuvres des accapareurs. Chaumette lut la pétition. Elle réclamait la formation de l’armée révolutionnaire qui avait déjà été décrétée après le 2 juin et que l’intrigue et la frayeur des coupables avaient fait ajourner. La guillotine devrait accompagner l’armée. Robespierre, qui présidait, répondit à Chaumette que le peuple pouvait compter sur la sollicitude de la Convention. Que les bons citoyens se serrent autour d’elle ! conclut-il comme si elle était menacée.

Billaud-Varenne renchérit sur les demandes des pétitionnaires. Il réclama l’arrestation des suspects. Il reprit sa motion antérieure pour créer une Commission de surveillance de l’exécution des lois. Si les révolutions traînent en longueur, c’est qu’on ne prend jamais que des demi-mesures ! En vain Saint-André, pour gagner du temps, annonce que le Comité va délibérer sur les mesures proposées. Billaud-Varenne l’interrompt rudement : Il serait bien étonnant que nous nous amusassions à délibérer. Il faut agir ! En vain Basire essaie de venir au secours du Comité en mettant en garde contre les meneurs des sections qui pourraient bien n’être que des agents de trouble aux mains de l’aristocratie, comme à Lyon, à Marseille, à Toulon. On l’interrompt par des murmures et Danton, désireux de se refaire une popularité, s’élance à la tribune. Il faut mettre à profit, dit-il, l’élan sublime du peuple dont les vœux sont dictés par le génie national. Il faut décréter sur-le-champ l’armée révolutionnaire, sans attendre de rapport. Pour déjouer les menées aristocratiques dont avait parlé Basire, il proposait de payer une indemnité de quarante sous par séance aux sans-culottes qui se rendraient aux assemblées de sections qui seraient réduites à deux par semaine. Il proposait encore d’attribuer un crédit de cent millions aux fabrications d’armes et qu’un mouvement accéléré fût imprimé au tribunal révolutionnaire. Toutes ces mesures furent votées.

Billaud-Varenne infatigable revint sur l’arrestation des suspects et fit voter que les membres des comités révolutionnaires chargés de les surveiller recevraient désormais un traitement. Il fit encore voter la mise en accusation des anciens ministres Clavière et Lebrun devant le tribunal révolutionnaire et la longue et tumultueuse séance fut enfin levée après que Billaud eut été élevé à la présidence de l’Assemblée en remplacement de Robespierre dont le mandat expirait.

Le lendemain, le Comité de salut public résigné demandait à la Convention de lui adjoindre trois nouveaux membres : Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et Granet. Gaston se plaignit que le Comité ne poussait pas avec assez d’énergie le siège de Lyon. Danton lui reprocha de trop ménager l’argent : Adaptez une manivelle à la grande roue et donnez ainsi un grand mouvement à la machine politique. Pour cela employez les grands moyens que l’amour de la patrie suggère, sinon vous n’êtes pas dignes des fonctions qui vous sont confiées. Gaston enthousiasmé proposa que Danton, qui avait la tête révolutionnaire, fût adjoint aussi au Comité. La Convention en décida ainsi. Mais Billaud-Varenne et Collot furent seuls à accepter leur nomination. Danton et Granet refusèrent. Le refus de Danton, qu’il motiva par le désir de prouver son désintéressement à ses accusateurs, était chose grave, car Danton était alors ce que serait aujourd’hui un ministrable puissant qui refuserait le pouvoir. Il devenait, même malgré lui, un centre d’opposition. Même quand il paraissait soutenir le Comité de salut public, ce concours éveillait des défiances (Jaurès). Mais il est possible que Danton ait refusé pour un autre motif. Il avait pris une part aussi importante que Billaud aux graves résolutions votées le 5 septembre. Pourquoi donc le Comité de salut public n’avait-il pas proposé son nom à la Convention comme il avait proposé celui de Billaud ? Danton dut se dire que le Comité ne désirait pas son concours.

Par Collot d’Herbois et par Billaud-Varenne l’hébertisme est désormais représenté au gouvernement. Cela ne va pas sans avantages. Le Comité est maintenant en contact avec les Cordeliers et les petits clubs qui gravitent dans leur influence. Il craindra moins d’être débordé et submergé par la marée populaire qu’il va s’efforcer d’endiguer et de canaliser.

Le premier article du programme hébertiste, celui dont tout le reste découlait, c’est la guerre jusqu’au bout. Le 6 septembre, l’Anglais Matthews, que Danton avait employé à des négociations secrètes avec Grenville, est mis en arrestation à son retour de Londres. Le journaliste officieux Ducher, protégé de Barère, fait dans le Moniteur une campagne contre les pacifistes et le Comité décide, le 24 septembre, de n’entretenir d’ambassadeurs réguliers qu’auprès des deux peuples libres, les Américains et les Suisses, et de ne conserver que des agents secrets dans les autres puissances. Pour bien montrer qu’il était résolu à couper court à toute communication, même officieuse, avec l’ennemi, il décide encore de ne traiter avec aucun agent ou ministre étranger qui n’aurait pas un caractère positif auprès de la République française.

Adoptant le programme de guerre à outrance de l’hébertisme, le Comité était obligé d’adopter aussi les moyens de le réaliser. Jusque-là la Terreur avait été intermittente. Les suspects, qu’on arrêtait au petit bonheur, étaient relâchés presque aussitôt. Désormais la Terreur devient permanente. Merlin de Douai lui donne son code par la loi des suspects qu’il fait voter le 17 septembre.

Jusque-là on n’avait pas défini les suspects. La loi comble cette lacune. Sont réputés gens suspects : 1° ceux qui, soit par leur conduite, soit par leurs relations, soit par leurs propos ou leurs écrits, se sont montrés partisans de la tyrannie ou du fédéralisme et ennemis de la liberté ; 2° ceux qui ne pourront pas justifier, de la manière prescrite par le décret du 21 mars, de leurs moyens d’exister et de l’acquit de leurs devoirs civiques ; 3° ceux à qui il a été refusé des certificats de civisme ; 4° les fonctionnaires publics suspendus ou destitués de leurs fonctions par la Convention nationale ou par ses commissaires et non réintégrés... ; 5° ceux des ci-devant nobles, ensemble les maris, femmes, pères, mères, fils ou filles, frères ou sœurs et agents d’émigrés qui n’ont pas constamment manifesté leur attachement à la Révolution ; 6° ceux qui ont émigré dans l’intervalle du 1er juillet 1789 à la publication du décret du 30 mars 1792, quoiqu’ils soient rentrés en France dans le délai fixé par ce décret ou précédemment. Ce texte, si élastique, faisait planer une terrible menace non seulement sur les suspects véritables, mais sur tous ceux qui pouvaient gêner le gouvernement, même sur les indifférents et les timides puisqu’il englobait jusqu’aux citoyens qui n’avaient eu que le tort de ne pas remplir leurs devoirs électoraux. Il enveloppait les fonctionnaires dans la mesure puisque à la révolution des infidèles ou des tièdes succéderait instantanément leur réclusion.

 

Les comités révolutionnaires allaient avoir de la besogne. Mais le Comité de sûreté générale qui, de haut, dirige leur action, est suspect aux Jacobins qui lui reprochent ses complaisances pour les fournisseurs, les jolies solliciteuses, les aristocrates, les banquiers étrangers. Le 13 septembre, après un vif débat, la Convention décrète que le Comité de sûreté générale sera renouvelé et que désormais ce serait le Comité de salut public qui présenterait la liste de ses membres. Il fut décidé en outre que tous les autres comités seraient renouvelés de la même manière par les soins du Comité de salut public. Mesure décisive. Le Comité de salut public est investi désormais d’une prééminence, d’un droit de regard et de surveillance sur tous les autres comités qui étaient jusque-là ses égaux. Il possède maintenant la réalité du pouvoir, puisqu’il peut composer les autres comités à son gré, les épurer, les dominer.

Ainsi la poussée hébertiste n’a pas eu pour seul résultat de mettre la Terreur à l’ordre du jour, d’organiser la surveillance et la répression en permanence par la loi des suspects, d’obtenir le vote des taxes (du maximum) réclamées par les sans-culottes, d’organiser l’armée révolutionnaire pour arracher les subsistances aux cultivateurs, mais encore elle a donné au gouvernement révolutionnaire une impulsion vigoureuse.

Le Comité de salut public, qui se heurtait auparavant à la défiance, à la jalousie, à l’opposition sourde ou ouverte d’une partie de la Convention, a vu ses pouvoirs singulièrement fortifiés. Barère a fait rétablir, le 11 septembre, le droit pour les ministres d’envoyer des agents dans les départements et aux armées. En outre, le 13 septembre, un décret a chargé les sociétés populaires de signaler au Comité tous les agents infidèles ou suspects d’incivisme particulièrement ceux employés à la vente ou pour la fourniture aux armées, afin que de semblables agents n’usurpent pas plus longtemps les indemnités et les places qui n’appartiennent qu’aux vrais républicains. Les clubs deviennent par là un rouage gouvernemental. On peut dire que la dictature du Comité commence, mais on se tromperait gravement si on croyait que cette dictature va s’établir sans nouvelles secousses. L’opposition modérantiste refoulée par l’hébertisme a dû reculer, elle n’est pas vaincue.