AUTOUR DE SAINTE-HÉLÈNE

PREMIÈRE SÉRIE

 

LE CAS DU GÉNÉRAL GOURGAUD.

PIÈCES JUSTIFICATIVES.

 

 

GROUPE V. — TENTATIVES POUR JUSTIFIER LE GÉNÉRAL GOURGAUD.

 

PIÈCE N° XIV.

DOCUMENTS PUBLIÉS PAR LES ÉDITEURS DU JOURNAL[1].

 

A

LE GÉNÉRAL GOURGAUD A L'IMPÉRATRICE MARIE-LOUISE.

MADAME,

Si Votre Majesté daigne se rappeler l'entretien que j'ai eu avec elle en 1814, à Grosbois, lorsque, la voyant, malheureusement pour la dernière fois, je lui lis le récit de tout ce qu'avait éprouvé l'Empereur à Fontainebleau, j'ose espérer qu'elle me pardonnera le triste devoir qu. je remplis en ce moment, en lui faisant connaître que l'Empereur Napoléon se meurt dans les tourments de la plus affreuse et de la plus longue agonie. Oui, Madame, celui que les lois divines et humaines unissent à vous par les liens les plus sacrés, celui que vous avez vu recevoir les hommages de presque tous les souverains de l'Europe, celui sur le sort duquel je vous ai vu répandre tant de larmes lorsqu'il s'éloignait de vous, périt de la mort la plus cruelle, captif sur un rocher, au milieu des mers, à deux mille lieues de ses chères affections, seul, sans amis, sans parents, sans nouvelles de sa femme, de son fils, sans aucune consolation.

Depuis mon départ de ce roc fatal, j'espérais pouvoir aller vous faire le récit de ses souffrances, bien certain de tout ce que votre Ame généreuse était capable d'entreprendre. Mon espoir a été déçu ! J'ai appris qu'un individu pouvant vous rappeler l'Empereur, vous peindre sa situation, vous dire la vérité, ne pouvait vous approcher, en un mot, que vous étiez au milieu de votre cour, comme au milieu d'une prison. L'Empereur en avait jugé ainsi. Dans ses moments d'angoisses, lorsque, pour lui donner quelques consolations, nous lui parlions de vous, souvent.il nous a répondu : Soyez bien persuadés que, si l'Impératrice ne fait aucun grand effort pour alléger mes maux, c'est qu'on la tient environnée d'espions qui l'empêchent de rien savoir de tout ce qu'on me fait souffrir, car Marie-Louise est la vertu même.

Privé donc du bonheur de me rendre près de vous, j'ai cherché, depuis mon arrivée ici, à vous faire parvenir ces nouvelles ; ce n'est qu'a présent qu'une occasion sûre vient de m'être offerte et je me hâte d'en profiter pour vous faire parvenir cette lettre, plein d'espoir et de confiance dans la générosité de votre caractère et la bonté de votre cœur.

Le supplice de l'Empereur peut durer encore longtemps, il est temps de le sauver. Le moment présent semble être bien favorable. Les souverains vont se réunir au congrès d'Aix-la-Chapelle ; les passions paraissent calmées. Napoléon est loin d'être à craindre, il est si malheureux que les âmes nobles ne peuvent que s'intéresser à son sort. Dans de telles circonstances, que Votre Majesté daigne réfléchir à l'effet que produirait une grande démarche de votre part, celle, par exemple, d'aller à ce congrès, d'y solliciter la fin du supplice de l'Empereur, de supplier votre auguste père de joindre ses efforts aux vôtres pour obtenir que Napoléon lui soit confié, si la politique ne permet pas encore de lui rendre la liberté.

Lors même qu'une telle démarche ne réussirait pas en entier, le sort de l'Empereur en serait bien amélioré : quelles consolations n'éprouverait-il pas en vous voyant agir ? Et vous, Madame, quel serait votre bonheur, combien d'éloges, de bénédictions, vous attirerait une telle conduite, que vous prescrivent la religion, votre honneur, votre devoir, conduite que vos plus grands ennemis seuls peuvent vous engager ne pas suivre ! On dirait : Les souverains de l'Europe, après avoir vaincu le Grand Napoléon, l'ont abandonné à ses plus cruels ennemis ; ceux-ci le faisaient mourir du supplice le plus long et le plus barbare : la durée de son agonie le réduisait à demander des bourreaux plus prompts. Il paraissait oublié et sans secours, mais Marie-Louise lui restait et la vie lui a été rendue [et cette auguste fille des Césars, digne fille rejeton de Marie-Thérèse, a sauvé son mari ! Que dirait de vous l'histoire, Madame, si, après avoir été unie à Napoléon heureux, vous l'abandonniez quand il est malheureux, vous refusiez de le secourir, de diminuer ses souffrances lorsque cela vous est si facile ?][2]

[Grand Dieu ! Si Napoléon meurt sur son rocher sans même avoir la pensée consolante qu'il ne s'était pas trompé sur vous, sans que vous ayez fait tous vos efforts pour le sauver, de combien de regrets, de remords vous serez alors tourmentée ? Que pourriez-vous répondre à ce juge souverain devant qui le rang, la grandeur ne sont rien ?][3]

Ah ! madame, au nom de ce que vous avez de plus cher au monde, de votre réputation, de votre devoir, de votre avenir, faites tout pour sauver l'Empereur... l'ombre de Marie-Thérèse l'ordonne.

Pardonnez-moi, Madame, pardonnez-moi d'oser vous parler ainsi, je me laisse aller aux sentiments dont je suis pénétré pour vous, je vomirais vous voir la première de toutes les femmes.

Que Votre Majesté daigne se rappelé que lors du voyage de [Hollande][4] Amsterdam, où j'étais resté malade, j'allais périr faute de soins [au milieu d'étrangers][5], lorsque Votre Majesté, en ayant été instruite, m'envoya son médecin avec ordre de me prodiguer tous les secours de son art. Vous m'avez sauvé la vie, Madame ; ce souvenir ne s'effacera jamais de mon cœur et je crois ne pouvoir mieux vous témoigner ma reconnaissance qu'en ayant le courage de vous écrire cette lettre.

Daignez me permettre de mettre aux pieds de Votre Majesté les hommages du plus profond respect avec lequel je suis, etc.

Londres, ce 25 août 1818.

Le général baron GOURGAUD.

 

B

LE GÉNÉRAL GOURGAUD À SA MAJESTÉ L'EMPEREUR ALEXANDRE.

(minute).

SIRE,

Plusieurs journaux ont assuré que Votre Majesté Impériale, touchée de l'affreuse situation du malheureux Napoléon, en a fait un objet de considération dans l'auguste assemblée des monarques réunis à Aix-la-Chapelle. La facilité avec laquelle ce bruit s'est accrédité est peut-être le témoignage le moins équivoque que les peuples puissent donner à Votre Majesté Impériale de sa grande âme : le même motif doit me tenir lieu d'excuse pour la liberté que je prends d'adresser cette lettre à Votre Majesté Impériale.

Arrivé depuis quelques mois de Sainte-Hélène, après en avoir partagé trois ans la captivité, je crois, dans une pareille circonstance, faire connaître à Votre Majesté Impériale ce que peu de personnes ont été si a même d'observer que moi.

Sire, il est trop vrai, celui qu'après de si grands succès le sort des armes ; mis a la merci de ses ennemis n'est pas traité par eux comme devrait l'être un grand homme trahi par la fortune ; il ne l'est pas même comme un obscur prisonnier de guerre a le droit de l'attendre d'un peuple civilisé ; on l'accable de rigueurs inutiles à la sûreté de sa détention et dont le but ne parait être que de le priver de tout ce qui, en donnant quelque ressort à son âme, quelque exercice à ses facultés physiques, pourrait l'empêcher de succomber à ses maux. On l'a placé sous la garde d'un homme dont l'unique occupation est d'inventer chaque jour quelque restriction ou quelque humiliation nouvelle. Enfin. Sire, c'est à coups d'épingles qu'on fait mourir, pendant qu'on le tient dans les l'ers, celui que, pour le vaincre, l'Europe entière coalisée n'a pas eu trop de ses armées !

Un état si pénible pour celui qui le souffre, si barbare pour celui qui le cause, si révoltant pour ceux qui, un jour, l'apprendront de l'histoire, ne peut pas durer longtemps encore. La santé de Napoléon s'épuise et se consume : il marche à grands pas vers le tombeau : loin de s'en plaindre, il s'en réjouit, et s'il pouvait se résoudre à implorer une grâce de ses ennemis, il ne leur demanderait qu'une mort plus prompte.

Telle est, Sire, la vérité : je ne me permettrai pas d'y joindre une seule réflexion, j'ai rempli, en l'exposant à Votre Majesté Impériale, un devoir sacré.

Au milieu de tous mes malheurs, la seule pensée consolante qui me soutienne est d'avoir toujours été fidèle à l'honneur, mais je me trouverais heureux si Votre Majesté Impériale, qui se connaît si bien en sentiments généreux, daigne ne pas me croire indigne de son estime.

Je suis avec respect, etc.

Le général baron GOURGAUD.

Londres, 2 octobre 1818.

 

C

LE GÉNÉRAL GOURGAUD À SA MAJESTÉ L'EMPEREUR D'AUTRICHE.

(minute).

SIRE,

Votre Majesté a su que j'étais du petit nombre de ceux qui, ayant été attachés à la personne de l'Empereur Napoléon, n'ont pas voulu s'en séparer dans son infortune et l'ont accompagné à Sainte-Hélène ; peut-être Votre Majesté a-t-elle été informée de mon retour en Europe depuis quelques mois. Les motifs de ce retour ont été dans le public le sujet d'interprétations bien diverses ; la vérité est que, bien que le délabrement de ma santé depuis mon arrivée à Sainte-Hélène me fit envisager une mort prompte en y prolongeant mon séjour, cette raison n'eût jamais eu assez de force pour me déterminer a partir, si, par suite de manœuvres et d'intrigues, on n'était parvenu à indisposer l'Empereur contre moi. La réclusion, l'isolement absolu dans lequel nous vivions tenaient sans cesse en fermentation des humeurs qui ne pouvaient jamais s'exhaler au dehors. J'avais tout quitté pour l'Empereur (parents, fortune, patrie), je lui aurais fait sans murmurer le sacrifice de ma vie, mais il voulut plus..., il fallut nous séparer et j'eus l'extrême douleur de penser que celui a qui j'avais consacré toute mon existence, celui que je quittais pour me trouver sans fortune, sans état, sans patrie, ne voyait peut-être en moi qu'un homme que le mécontentement a aigri, ou que la constance de ses malheurs a lassé !

Malgré le désir d'exposer a Votre Majesté les raisons de ma conduite, osant me flatter qu'elles ne me rendront pas indigne de son estime, je n'aurais jamais osé prendre la liberté de lui écrire si des considérations bien plus importantes que celles qui me sont personnelles ne m'en faisaient une obligation.

Les vertus de Votre Majesté Impériale, ses principes religieux ne permettent pas de supposer, quelles que puissent être les raisons qui dirigent sa politique, que celui qu'elle a honoré de la main de sa fille soit devenu tellement étranger à Votre Majesté Impériale que sa vie ou sa mort soient devenues des objets indifférents pour elle, ni qu'elle puisse consentir à avancer le terme de ses jours. Libre enfin de parler, je trahirais le plus sacré des devoirs et les intentions de Sa Majesté Impériale en lui taisant la vérité ou même en la lui disant tout entière.

Sire, l'Empereur Napoléon se meurt dans les horreurs de la plus affreuse agonie. La persécution dirigée contre lui attaque à la fois le moral et le physique. Il succombera bientôt, cela est sur. Lui-même le désire, il voit avec joie les symptômes de dépérissement devenir de jour en jour plus nombreux ; il ne dort plus. Le défaut total d'exercice auquel il s'est condamné, plutôt que de souscrire aux humiliations qu'on a voulu lui imposer, fait à sa constitution un mal incurable. Son médecin a annoncé [dernièrement][6] que sa vie était en danger ; encore un peu de temps et il ne restera de Napoléon que le souvenir de ses faits et de ses malheurs.

Peut-être, Sire, serait-il encore temps de le sauver ; l'air de l'Europe pourrait le rendre à la vie, mais, si l'on diffère seulement d'un an, celle ressource même sera superflue.

Napoléon aura une lueur d'espérance lorsqu'il apprendra que Votre Majesté se rend au congrès d'Aix-la-Chapelle, car il rend justice à ses vertus. Combien de fois l'ai-je entendu déplorer la fatalité qui l'a empêché de se remettre entre ses mains, de la faire seule arbitre de son sort ; il se flattera que Votre Majesté, dans celle auguste assemblée, réclamera des adoucissements à son sort, qu'elle diminuera la durée de son supplice ; il le croira d'autant plus que les sentiments nobles et généreux de l'empereur Alexandre lui ôteront la crainte qu'il y mette obstacle. Ce n'est pas une existence politique qu'il ambitionne, il y a renoncé pour toujours ; c'est la quantité d'air vital indispensable à son existence physique.

Sire, bien des détails, bien des développements n'ont pu entrer dans cette lettre ; si Votre Majesté Impériale daigne le permettre, je me rendrai auprès d'elle et n'attends pour cela que ses ordres. Ce voyage n'aura d'autre but que de l'instruire plus particulièrement de ce qu'elle désirerait apprendre et je n'en demande d'autre récompense que celle de mettre moi-même aux pieds de Votre Majesté l'hommage du plus profond respect avec lequel je suis, etc.

Le général baron GOURGAUD.

Londres, le 25 octobre 1818.

 

D

LE GÉNÉRAL GOURGAUD AU PRINCE EUGÈNE.

(minute sans date.)

J'aurais, aussitôt mon arrivée eu Angleterre, eu l'honneur d'écrire à Votre Altesse Impériale, si je n'avais craint de la compromettre en confiant ma lettre à la poste. J'ai attendu jusqu'à présent, qu'une occasion vint se présenter ; je suis heureux qu'elle me permette de joindre a l'hommage de mes sentiments pour Votre Altesse Impériale celui de l'ouvrage qu'après l'avoir presque entièrement écrit sous la dictée de Sa Majesté à Sainte-Hélène, je viens de publier. Nos ennemis y trouvent la réfutation de toutes leurs assertions, parce qu'ils ont voulu obscurcir la gloire des armées françaises et de leur héroïque chef.

J'ai également l'honneur de renfermer dans cette lettre les copies de celles que j'ai écrites à Marie-Louise, à François et à Alexandre pour leur faire connaître l'état dans lequel se trouve le malheureux Napoléon et tâcher d'en obtenir au moins quelque adoucissement a ses maux ; depuis que je suis ici. je n'ai rien négligé de ce qui peut tendre à ce but, et si le succès ne répond pas à mes efforts, ce ne sera pas faute de zèle, ce ne sera pas non plus sans la consolation d'avoir contribué à entraîner l'esprit public en sa faveur.

On peut dire aujourd'hui que la grande majorité des Anglais se prononce contre la conduite de leur gouvernement à l'égard de leur illustre prisonnier.

Pour moi, après avoir perdu fortune, étal et la possibilité tic revoir ma patrie, je viens de faire à mon attachement à l'Empereur le dernier sacrifice qui me reste à lui faire, celui de mon unique refuge contre la persécution ; je crains que la publication de ma lettre a Marie, qui vient d'être insérée dans tous les journaux, n'aigrisse tellement le gouvernement contre moi qu'il ne profite de l'Alien Bill pour m'expulser du territoire anglais. Le peu d'amis que j'ai m'ont conseillé de me tenir extrêmement sur mes gardes ; au milieu de tant de peines présentes et de tant d'inquiétudes sur l'avenir, je ne forme qu'un seul vœu, celui d'aller rejoindre Votre Altesse Impériale.

Je n'ai pas besoin de lui dire si elle trouvera devant moi un cœur reconnaissant et un dévouement à toute épreuve ; la conduite de ma vie entière en est le plus sûr garant ; j'ose donc prier Votre Altesse Impériale de me l'aire savoir si mon désir est indiscret ou si l'accomplissement en est impossible. Si elle daigne l'agréer, je mettrai à me rendre auprès d'elle tout l'empressement qui ne sera pas contraire a l'utilité dont je pourrais être ici à Sa .Majesté et aux ordres que Votre Altesse Impériale voudra bien me l'aire parvenir.

Je la prie, en attendant, de me permettre de mettre à ses pieds l'hommage de mon respect.

Le général baron GOURGAUD[7].

 

PIÈCES RELATIVES À LA MISSION ATTRIBUÉE AU GÉNÉRAL GOURGAUD.

 

PIÈCE N° XV

PROJET DE DEPART DU GÉNÉRAL GOURGAUD AU MOIS DE SEPTEMBRE 1817.

 

A

SIR HUDSON LOWE À LORD BATHURST[8].

5 août 1817.

Le général Bonaparte et l'un de ses officiers, le baron Gourgaud, sont à présent dans de très mauvais termes. Ils ne se sont pas vus ni parlé depuis cette quinzaine. Le général Gourgaud m'a adressé une lettre, requérant d'être envoyé au Cap, mais il a été avisé par les Bertrand de la retirer. Le général Bonaparte a dit qu'il ne serait pas surpris que Gourgaud mit fin à ses jours. Ce dernier est depuis longtemps profondément mécontent de sa situation dans la suite du général Bonaparte et en même temps il est mis hors de sens à la pensée de la disgrâce qui suivra, à son idée, l'abandon qu'il fera de lui. Il est jaloux de l'influence exercée sur le général Bonaparte par le général Montholon et qui a été constamment exercée à son préjudice. Le général Gourgaud qui a l'habitude d'exprimer ses sentiments avec plus d'indépendance qu'aucun des membres de la suite du général Bonaparte, a fortement désapprouvé la lettre écrite par le général Bonaparte au comte Las Cases, disant que ce dernier ne méritait pas l'éloge fuit de lui. Le comte Montholon qui était dans de pires termes avec le comte Las Cases que ne fut jamais le général Gourgaud, a répété ces remarques au général Bonaparte, et, à ce que je pense, a ajouté quelque chose de plus de son cru. L'irritation produite par cela et par diverses autres causes a été excessive et Gourgaud a dit qu'il ne voulait pas quitter l'ile sans s'être mesuré le sabre en main avec le comte Montholon ou l'avoir souffleté.

 

B

LORD BATHURST À SIR HUDSON LOWE

Bureau des colonies, 13 décembre 1817.

MONSIEUR,

J'ai eu l'honneur de recevoir votre lettre du 5 septembre, on renfermant une adressée par le général Gourgaud à sa mère, dans laquelle il exprime son vif désir d'obtenir la permission de retourner en Europe et d'y résider avec sa famille.

La convenance avec laquelle cet officier s'est conduit pendant toute la durée de sa résidence à Sainte-Hélène me fait désirer de lui prouver, par toute l'indulgence praticable. le sentiment que j'entretiens d'une ligne de conduite si différente de celle des autres personnes de la suite du général Bonaparte, et j'ai saisi la première occasion pour informer Mme Gourgaud que j'étais prêt, autant qu'il dépendait de moi, a donner toute facilité a l'exécution du dessein de son fils.

Je suis conduit à croire, par la réponse de Mme Gourgaud, que ses désirs coïncident entièrement avec ceux de son fils et que sa seule crainte est qu'on puisse l'empêcher à son retour de résider en France, auquel cas le désir de sa famille serait de résider en Angleterre.

Je n'ai pour le moment aucun moyen de savoir quels peuvent être les sentiments du gouvernement français relativement au séjour du général Gourgaud en France, mais je ne vois pas d'objection sérieuse à ce qu'il réside dans ce pays-ci avec sa famille. Je vous donne donc sans difficulté pour instructions de lui permettre de retourner en Angleterre par la voie du Cap de Bonne-Espérance, et de lui faire connaître que, dans le cas où sa conduite continuerait d'être caractérisée par la convenance qui l'a distinguée jusqu'ici, nulle objection ne serait faite a sa résidence en Angleterre, si le gouvernement français, auquel on adressera une demande à cet égard, refusait de l'admettre en France. J'ai l'honneur, etc.

Signé : BATHURST.

 

PIÈCE N° XVI

EXTRAITS DES DÉPÊCHES DU COMTE BALMAIN CONTENANT LE DÉTAIL DE SES RELATIONS AVEC LE GÉNÉRAL GOURGAUD DEPUIS DU MOIS DE JUILLET 1817 JUSQU'EN JANVIER 1818.

 

A

Sainte-Hélène, le 23 juillet 1817, n. st.[9]

Monsieur le comte, je crois devoir informer Votre Excellence que, depuis ma dernière explication avec le gouverneur, j'ai de nouveau rencontré le général Gourgaud près de Longwood. Comme je n'étais pas seul et que le général Bingham me suivait a quelques pas, rien ne m'obligeait cette fois à me retirer et je continuai ma promenade avec ces messieurs.

Gourgaud me parla de ma visite à Bertrand. Le Conqueror est arrivé, me dit-il, pouvons-nous espérer de voir les commissaires ?

Je lui déclarai tout uniment que j'en avais écrit au gouverneur selon la coutume à Sainte-Hélène, mais qu'il formait des difficultés sur cette affaire et que je devais me soumettre à sa décision.

— Comment, reprit-il, pas même un petit bonjour à Mme Bertrand ?

— Non, répondis-je, tant que Longwood et Plantation House seront en guerre, que la porte de Bonaparte sera fermée à sir Hudson Lowe, pas même un petit bonjour à Mme Bertrand. Faites la paix avec lui ; c'est un brave homme ; il n'est pas méchant ; il désire se rapprocher de vous. Vous serez de ses diners, de sa société. On ira chez vous de lois à autre et le temps vous paraîtra moins long.

— Ah ! Monsieur, dit Gourgaud, il a pris de fausses directions au commencement. Le mal est sans remède.

Ici finit notre entretien. J'en ai rendu compte au ministère impérial parce que la circonstance est assez délicate et que le gouverneur met de l'importance aux plus petites choses.

J'ai l'honneur d'être, etc.[10]

 

B

Sainte-Hélène, le 10 septembre 1817.

Conversation de Balmain avec sir Hudson Lowe.

... Le gouverneur — Ma position vis-à-vis de vous est vraiment embarrassante. C'est tout ce que je puis dire : la vôtre n'est pas agréable, mais à Longwood notre position est la même. Je ne vois jamais Bonaparte et cela doit vous consoler.

— Quant à mes rencontres avec Gourgaud que vous me reprochez dans cette note[11], veuillez m'expliquer votre intention, vos désirs ; établissez de suite un règlement là-dessus, je vous promets de m'y conformer, mais je vous préviens qu'il me cherche partout et j'avoue de bonne foi que je n'aime pas il me détourner de son chemin. C'est humiliant. Il serait plus naturel, ce me semble de défendre à ces messieurs de nous suivre.

Le gouverneur. — Otez-vous de l'esprit que j'aie songé à vous ou faire un reproche. Vous êtes parfaitement en règle avec moi et Gourgaud est un brave homme, un franc militaire. Ce n'est pas lui que je trains. Mais, si je n'y prends pas garde, on vous décochera Bertrand ou Montholon et je n'ai pas d'eux la même opinion. Ce sont des intrigants.

— Ce que Gourgaud m'a communiqué ne peut vous intéresser. Il m'a parlé de son service, de ses campagnes, de la bataille de Waterloo. Je lui débitai tout au long des minuties...

 

C

Sainte-Hélène, le 1er octobre 1817.

Monsieur le comte, lorsque Bonaparte apprit que les commissaires des puissances alliées ne pouvaient, même comme particuliers, le voir par le canal de Bertrand, que le gouverneur s'y opposait à toute force, sa mauvaise humeur le prit à un tel point que personne n'osait l'aborder. Il fut dix jours sans sortir de sa chambre, dînant seul, ne s'occupant à rien et brusquant ses entours. Gourgaud surtout en essuya de rudes bourrasques et ne parlait alors que de se tuer, de se détruire.

L'Empereur, me disait-il, est méconnaissable. Quand il était à la télé de ses armées, on le servait avec plaisir. Aujourd'hui, les malheurs lui ont aigri l'esprit. C'est un autre homme. Aujourd'hui, cet orage a passé. Bonaparte s'est consolé de ce contre-temps et n'y pense plus...

 

D

Sainte-Hélène, ce 14 octobre 1817.

... MM. Gourgaud et Montholon m'ont assuré que Bonaparte souffrait beaucoup et que le manque total d'exercice lui altérait le tempérament. Pourquoi, leur demandai-je, ne sort-il jamais, ne monte-t-il pas à cheval ? Tachez donc de l'y engager. — Chaque fois, me dirent-ils, que Bertrand, nous ou d'autres lui en parlent, il répond avec colère : Laissez-moi donc tranquille. Puisqu'on veut nie tuer, qu'on me tue et que cela finisse...

 

E

Sainte-Hélène, le 2 novembre 1817[12].

... Le général Gourgaud, que j'ai vu ce malin à la promenade, m'a assuré que Bonaparte devenait mélancolique et tombait par degrés dans une complète apathie : Il ne travaille plus, me dit-il, à son histoire. Il a tout abandonné et passe sa vie à niaiser ou ne rien taire. Il lui en coule même de se raser. Depuis cinq semaines, il dine seul, s'isole entièrement et ne parle que de sa mort. Hier, il nous fit un tableau de son infortune qui me déchira le cœur. J'eus peine à retenir mes larmes...

Sainte-Hélène, le 23 janvier 1818. ... Etant malade depuis environ quinze jours, je n'ai vu personne ni rien appris de nouveau. On m'a dit seulement que Gourgaud, ne pouvant s'accorder avec Montholon, a demandé à Bonaparte la permission de retourner en Europe et que celui-ci a répondu : Ce n'est pas la peine, mon ami, patientez un peu. Encore douze mois et vous m'enterrerez2[13].

 

PIÈCE N° XVII

INSTRUCTIONS QUE LE COMTE DE MONTHOLON PRÉTEND AVOIR ÉTÉ DICTÉES PAR L'EMPEREUR DANS LA NUIT DU 10 AU 11 FÉVRIER 1818[14].

 

Ceci devra servir de bases à toutes communications verbales ou écrites.

J'ai toujours regardé la paix générale comme la première condition de la régénération de l'Europe.

Comme consul, ma première pensée a été d'ouvrir des négociations pour la paix.

Je n'ai point a me reprocher d'avoir rompu la paix d'Amiens, ni aucun des traités que j'ai signés.

Comme empereur, toutes mes victoires ont été l'occasion du renouvellement de mes intentions pacifiques. Après Austerlitz, après Friedland, après Wagram, enfin avant de franchir le Niémen, j'ai offert la paix au roi d'Angleterre.

Toutes nies complètes, je les destinais a des arrangements conciliateurs entre tant d'intérêts rivaux, lors de la négocia, lion pour la paix générale. Mes dépêches à mes ambassadeurs ne peuvent laisser aucun doute à ce sujet, notamment la correspondance du duc de Bassano avec lord Castlereagh et ma correspondance personnelle avec mon ambassadeur à Varsovie pendant mon séjour à Dresde, avant la campagne de Russie ; il est facile de se la procurer.

Si j'avais eu une autre ambition que celle d'employer l'ascendant de mes armes a la réorganisation de l'Europe dans l'intérêt des nations qu'elle renferme, je n'aurais pas hésité a ratifier par ma signature le projet de pacte secret que m'expédia de Saint-Pétersbourg le due de Vicence avec la signature ne varietur de l'empereur Alexandre, puisque ce traité m'assurait le partage, du monde et plaçait sur ma tète la couronne de l'Empire d'Occident. On doit pouvoir s'en procurer la copie dans les archives des Affaires étrangères ou dans les papiers personnels du duc de Vicence.

Je n'ai jamais fait la guerre par esprit de conquête ; j'ai accepté les guerres que le ministère anglais a soulevées contre la Révolution française.

J'ai fait beaucoup de mal à l'Angleterre ; je lui en aurais fait beaucoup plus encore si la guerre avait duré plus longtemps, mais, toujours, j'ai eu une haute estime de la nation anglaise. Malgré le martyre que ses ministres m'imposent, mon estime reste au peuple anglais.

Si Fox avait vécu, la paix eut été durable entre la France et l'Angleterre, car j'ai toujours reconnu à l'Angleterre le sceptre des mers, je voulais seulement qu'un vaisseau français fût respecté sur mer comme un fourgon anglais le serait dans les Etats soumis a mon sceptre : réciprocité entière dans les rapports de ces deux grands peuples entre eux.

Quand j'ai reçu de la nation française le mandat de la gouverner, j'ai compris la nécessité de mettre son organisation sociale en harmonie avec celle des autres nations de l'Europe, afin de fermer le gouffre des révolutions et d'opérer la réorganisation de tous en me servant des rois pour satisfaire les besoins légitimes des peuples. Ce système, exécuté avec fermeté, modération et bonne foi, devait avoir pour résultat infaillible d'accroître la splendeur et la sécurité de la royauté, tout en donnant aux libertés publiques toute satisfaction : seulement, son application devait être plus ou moins libérale suivant le degré de développement de l'intelligence et de la civilisation des peuples auxquels il s'appliquerait.

Jamais pensée plus vaste et, tout à la fois, plus royale et plus populaire, ne fut conçue pour la réconciliation des deux grands intérêts devenus ennemis par les effets de la Révolution française : les vieilles royautés et les peuples.

L'oligarchie anglaise s'est laissée aveugler par quelques émigrés incorrigibles ; elle ne m'a pas compris. Elle le regrettera, si elle persiste à vouloir imposer au peuple français le joug d'une dynastie qui renie toute une ère de gloire immortelle et d'affranchissement du servage féodal.

La Pologne et Constantinople m'ont toujours apparu comme deux intérêts français, ha Pologne, parce que, aussi longtemps que ce royaume ne sera pas rétabli, l'Europe occidentale serait sans frontières du côté de l'Asie ; Constantinople parce que c'est le marais qui empêche de tourner la droite française.

Cependant, ni la question polonaise, ni la question de Constantinople n'étaient insolubles, du moment où je ne voulais pas en faire des annexes de mon empire et que tout ce que je désirais était simplement d'en faire des barrières de sécurité réciproques, comme le Congrès de Vienne lorsqu'il a créé le royaume hollando-belge.

J'ai la conscience de n'avoir jamais trahi la foi jurée à Tilsitt et à Erfurth. Je rends à l'empereur Alexandre la justice de croire qu'il a été dominé par des circonstances plus fortes que sa volonté personnelle et j'accepte, comme étant d'un frère, les assurances qui m'ont été transmises, de sa part, par le comte Balmain, ainsi que l'hospitalité qu'il m'offre dans ses Etats, en exprimant le regret que je ne la lui ai pas demandée au lieu de me lier à la foi britannique.

Ceci bien établi, répondre aux trois questions posées par cet agent par ordre de l'empereur Alexandre :

1° L'occupation du duché d'Oldembourg n'a pas eu lieu par mon ordre. C'est l'initiative dit prince d'Eckmühl qui était, par sa nature, homme nie police et de vigueur et qui, sachant que ce duché était l'entrepôt et l'embouchure de l'écoulement des marchandises anglaises en Allemagne, malgré ses quatre vingt mille soldats et ses douaniers, en prit de l'humeur et se persuada qu'il me plairait en occupant militairement le littoral d'Oldembourg par ses troupes légères. Il savait bien que je me refuserais a autoriser ce manque d'égards vis-à-vis d'une princesse du sang impérial de Russie, mais il espérait que j'accepterais un t'ait accompli, lorsque j'aurais acquis la preuve de son utilité par l'immense valeur des produits anglais saisis dans le pays d'Oldembourg.

Le maréchal Davout se persuadait que la couronne de Pologne serait un jour sa récompense, parce que je lui avais donné 200.000 francs de rente en Pologne et son ambition interne le poussait à tous les actes qui pouvaient amener une complication dans mes rapports avec le cabinet de Saint-Pétersbourg. Je désapprouvai sévèrement la violation du territoire d'Oldembourg, et j'étais décidé, malgré les grands avantages qu'en retirerait évidemment l'industrie française, à ordonner le retrait de mes troupes, lorsque je fus arrêté par le ton de menace de la note remise a cette occasion par le cabinet de Saint-Pétersbourg, qui demandait l'évacuation immédiate et la cession de Dantzick comme port russe ou ville libre pour le commerce russe, comme réparation de l'occupation du territoire oldembourgeois. C'était évidemment vouloir rompre tout rapport de bonne entente. Du moment où l'honneur français entrait en cause, je ne pouvais plus désapprouver le maréchal Davout, quoi qu'il m'en coûtât.

Si l'intervention de la Russie avait été celle d'un cabinet ami, je lui aurais donné satisfaction complète. Que me faisait, au bout du compte, qu'il entrât quelques marchandises anglaises par le Oldembourg puisqu'il m'était facile de les saisir à la sortie de ce petit pays ? Et puis, moi-même, n'en faisais-je pas entrer en France au moyen des licences ?

 

Sur la deuxième question, répondre :

Que j'ai prouvé à l'empereur Alexandre ma répugnance a lui faire la guerre et la sincérité de la foi fraternelle que je lui avais jurée à Erfurth, quand je lui ai envoyé le comte de Narbonne. mon aide de camp, pour lui tendre encore une main amie et lui proposer une entrevue qui rétablirait la lionne harmonie entre nous, (le n'est pas ma faute s'il n'a voulu recevoir ni Lauriston, ni Narbonne. Ce n'est pas davantage ma faute si la mission de l'aide de camp Balacheff n'a pas eu la paix pour résultat. Il est faux que je lui aie dit : Il est trop tard, le gant est jeté ! puisque, loin de là, j'ai offert de neutraliser Wilma pour y traiter personnellement de la paix avec l'empereur Alexandre, en lui faisant dire que. du moment où il me ferait donner l'assurance qu'il était disposé à rentrer dans le système continental, il n'y avait plus de questions sérieuses de discussions et que mon armée se retirerait derrière le Niémen, si l'armée russe se relirait derrière la Dwina. Pouvais-je faire plus ?

Il est vrai qu'après avoir passé le Niémen à la tète de quatre cent mille hommes, j'ai dit dans mon intérieur : Il est trop tard, le gant est jeté et ramassé. Mais, du moment où j'avais reçu et écoulé le messager de l'empereur, la paix devenait possible et elle aurait été rétablie sans qu'une goutte de sang eût été versée, si l'empereur Alexandre l'avait voulue franchement, ou, pour mieux dire, s'il avait pu la vouloir contrairement à la volonté de ses boyards qui. eux, voulaient la guerre à tout prix, parce qu'ils étaient ruinés par le système continental et qu'ils voulaient, coûte que coûte, vendre leur suif, leur chanvre et leur cuivre à l'Angleterre.

En résumé, j'ai fait, malgré moi, la guerre à la Russie. Je savais mieux que personne que l'Espagne était un chancre dévorant qu'il me fallait guérir avant de me lancer dans une lutte terrible dont le premier coup serait donné à cinq cents lieues de mes frontières.

La Pologne et ses ressources n'étaient que de la poésie dans les premiers mois de 1812. L'empereur Alexandre le sait aussi bien que moi et il ne peut me croire assez idiot pour avoir compté sérieusement sur l'aide d'une armée polonaise.

Sans doute je comptais sur la bonne foi de l'empereur François. Les liens de famille m'ont toujours paru sacrés, et, encore aujourd'hui, je ne puis pas me décider à croire qu'on puisse les rompre sans déshonneur et sans manquer à ce qu'il y a déplus saint pour l'homme. Mais je ne complais sur la Russie qu'autant que je serais vainqueur. Et certes, je n'avais pas la folie de croire, comme Charles XII, que je vaincrais la Russie sans d'immenses efforts. Je connaissais la valeur de l'armée russe ; la guerre de 1807 m'avait prouvé, du reste, qu'il n'y avait rien à espérer de l'influence des idées françaises sur ces peuplades à demi civilisées. Je ne pouvais pas oublier que, lorsque je parlais de liberté aux serfs polonais, ils me répondaient : Oui, nous en voulons bien : mais qui nous nourrira ? qui nous logera ? qui nous habillera ? etc. J'aime le soldat polonais, mais j'aime avant tout la France et je n'aurais pas fait la guerre de Russie uniquement pour servir les intérêts de la noblesse polonaise et pour faire un Poniatowski roi de Pologne. Sans doute, la Pologne est la barrière naturelle de l'Europe occidentale contre la Russie. Le rétablissement du royaume de Pologne avec la Galicie, le littoral de la Baltique. était dans ma pensée l'œuvre de ma diplomatie. L'empereur peut se rappeler que ce fut le sujet de nos conversations à Erfurth et qu'il m'offrit alors d'échanger les provinces polonaises contre Constantinople. Dans cette combinaison, la Syrie et l'Egypte auraient remplacé pour la France la perle de ses colonies. Constantinople, qui était en 1811 une difficulté énorme, en est à peine une aujourd'hui.

J'aurais été fou si j'avais fait la guerre de 1812 pour faire une chose que je pouvais avoir comme résultat facile de négociations amicales.

 

Sur la troisième question :

Je désirais franchement épouser la grande-duchesse. Si le comte Balmain dit vrai, on a indignement trompé la religion de l'empereur Alexandre et la mienne dans toute cette affaire. Il est vrai que j'ai consulté un conseil privé, mais cela n'a eu lieu que pour sauver les apparences du refus que dictait l'impératrice mère et qui déjà commençait à être l'objet des confidences des salons diplomatiques ; et seulement quand j'avais perdu l'espoir de ce mariage que mon amitié pour l'empereur Alexandre et ma politique me conseillaient également et que je désirais fort.

En résumé : 1° Si l'empereur Alexandre a franchement reconnu que le règne des Bourbons- est un état de chose forcé et que ma dynastie est la véritable garantie de l'intérêt royal comme de celui des peuples, il peut compter sur la sincérité de mon alliance.

2° Si un traité de commerce est le chaînon nécessaire d'un entendement avec l'Angleterre, dire que j'ai toujours été d'opinion d'une réciprocité complète et que. si nous ne nous sommes pas entendus, c'est la faute de l'Angleterre : que d'ailleurs les circonstances ne sont plus les mêmes.

 

PIÈCE N° XVIII

EXTRAITS DES DÉPÊCHES DU COMTE BALMAIN AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR UNE COMMUNICATION QUE L'EMPEREUR EUT DÉSIRÉ FAIRE À L'EMPEREUR ALEXANDRE[15].

 

A

Sainte-Hélène, le 13 janvier 1818, n. st.

... On a dit en Europe que lord Amherst avait remis au Prince Régent une lettre de Bonaparte. Cela est faux. Il n'y a eu de lettre envoyée de Longwood que celle à lord Liverpool dont il est fait mention dans mon rapport S. I. n° 22. L'Empereur, me dit Bertrand à ce sujet, a l'âme fière, élevée. Il est entier dans ses opinions et ayant à se plaindre du Prince Régent, il ne s'abaissera pas à lui écrire. C'est à l'empereur Alexandre, si l'occasion s'en présentait, qu'il ferait un tableau de nos malheurs, car il aime ce prince ; il a grande confiance en son secours et lui reconnaît de belles qualités. Bertrand voulait m'insinuer qu'on me chargerait volontiers d'une lettre pour notre auguste maître, mais je feignis de ne pas deviner sa pensée et je gardai un silence qui les dérouta...

 

B

Sainte-Hélène, le 10 avril 1818, n. st.[16]

... Ces jours derniers, le comte Bertrand me fit une étrange proposition. En me parlant des souffrances et malheurs de Bonaparte, il me dit tout à coup : L'Empereur, accablé d'ennuis, traité inhumainement sur ce rocher, abandonné de l'univers entier, veut écrire à l'empereur Alexandre, son seul appui. Chargez-vous de sa lettre, je vous en conjure. Et il fit un mouvement pour la tirer de sa poche.

Non, lui répondis-je, cela m'est impossible. Ce serait manquer à mon devoir.

Nullement, reprit-il, car l'Empereur Napoléon fait à l'empereur Alexandre des révélations importantes. Il ne s'agit pas uniquement de protéger tin grand homme opprimé, mais de servir la Russie. On y lira cet écrit avec plaisir, empressement. On en sera ravi. Ne pas l'envoyer à votre cour est négliger, perdre de vue ses intérêts ou plutôt les sacrifier aux Anglais. Je vous observe en outre qu'on a fait de vous un port rail qui va pousser votre fortune.

Je vous promets, lui dis-je, de rapporter fidèlement à ma cour ce que vous me dites de vive voix. Mais je ne puis me charger d'aucune lettre. Je n'en ai pas le droit et. si je le faisais, on me désavouerait.

Bah ! s'écria-t-il, on vous désavouera à Sainte-Hélène pour la forme et, en Russie, on vous récompensera. J'en suis sûr. Enfin, pensez-y mûrement.

Et là-dessus il me quitta.

F. M.

 

C

Sainte-Hélène, le 11 juillet 1818.

Par le Northumberland, de la Compagnie des Indes.

... Napoléon est indigné que l'Autriche eût rappelé son commissaire. Il m'a fait dire par Montholon qu'il se réjouissait de me conserver prés de lui ; que j'exerçais sur ce rocher un contrôle indirect et tacite, essentiel à sa sûreté ; qu'il espérait de la magnanimité de notre auguste maître qu'il n'abandonnerait pas un prince malheureux ; qu'il le conjurait, par le souvenir d'une ancienne amitié, de l'arracher à cet affreux exil, de lui en désigner un autre moins insalubre : qu'étant l'arbitre de l'Europe, il le pouvait aisément et que la postérité la plus reculée admirerait sa conduite noble, sublime, envers un homme qui a porté la guerre dans le sein de son empire. En même temps, il permit à Montholon de me communiquer divers écrits curieux et intéressants, entre autres :

1° Les anecdotes de son mariage avec Marie-Louise (cette pièce a été insérée dans les journaux anglais ou le sera incessamment).

2° Une relation de la bataille de Waterloo (celle que le général Gourgaud veut publier en France n'est pas la véritable).

3° Une revue des campagnes du Grand Frédéric (c'est le héros de Napoléon).

4° La Campagne de 1814 et les particularités secrètes de son retour à Paris en 1815.

Pour recueillir et copier tous ces écrits, il faudrait être plus libre que je ne le suis, et de voir les Français à Longwood, et de les recevoir chez moi.

 

D

Sainte-Hélène, le 14 août 1818, n. st.

... Ces jours derniers, le comte Montholon me sollicita avec toutes les instances possibles de me charger d'une lettre de Napoléon à notre auguste maître. Votre devoir, me dit-il, vous y oblige strictement et vous y trouverez aussi votre avantage. Je ne lui répondis pas un mot. Le baron Stürmer, reprit-il, s'est mal conduit à Longwood. Étant commissaire de famille, il pouvait y jouer un beau rôle. On ne lui demandait que des nouvelles de Marie-Louise et il a refuse d'en donner. Il est parti sans argent. L'Empereur désirait lui prêter cent mille francs ou lui remettre des mémoires historiques qu'il eût vendu 6 à 7.000 £. Mais il nous témoignait peu de confiance et s'est fait grand tort à lui-même. On devine aisément ce que M. de Montholon voulait m'insinuer en parlant du baron Stürmer. C'est, ajouta-t-il, en abandonnant le profit de nos rédactions à des voyageurs, officiers, marchands, capitaines de Store Ships, que tout passe et s'imprime en Europe. Les Observations sur le discours de Lord Bathurst y sont arrivées ainsi et nous avons maintenant un manuscrit précieux qu'on veut mettre au jour. Le voulez-vous ? On vous l'offre de bon cœur. Je l'assurai en plaisantant que. si j'étais en possession des écrits de Napoléon, je les enverrais de suite à l'empereur Alexandre.

 

E

EXTRAIT D'UNE DÉPÊCHE DU COMTE BALMAIN AU COMTE DE LIEVEN AMBASSADEUR A LONDRES.

 

Sainte-Hélène, 18 août 1818[17].

... Le mauvais état de mes nerfs m'a forcé, monsieur le comte, de faire une courte absence de l'Ile. L'air vif de la mer et un peu de distraction me feront beaucoup de bien... Le ministère impérial connaissant aujourd'hui la position des Français et le véritable état des choses à Sainte-Hélène, ma correspondance ne souffrira presque pus de cette tournée. De faits intéressants, il s'en présente rarement et je n'ose même penser à voir Napoléon, il y aurait de quoi tuer le gouverneur, tant ses relations avec lui sont hostiles. C'est même une dès raisons qui m'a en partie décidé à faire ce voyage. Depuis le départ de Stürmer et d'O'Meara, les Français croient leurs affaires désespérées et sont toujours à mes trousses pour me faire prendre la lettre de Napoléon à notre auguste maître. J'ai beau refuser de m'en charger, les assurer que je n'ose me mêler de rien, ils reviennent sans cesse à la charge. Vous êtes, me disent-ils, essentiel à notre repos. Vous êtes, sur ce rocher, la seule opinion publique Sans vous, on ne rougirait de rien, on ferait des horreurs. Je sais même que Napoléon, désespérant de me faire accepter sa lettre par ses entours, veut écrire de sa propre main et m'en prier. — Or il est bon, dans cette effervescence des esprits à Longwood et Plantation House, que je m'éloigne pour quelques semaines et ma santé m'en offre un excellent motif. Lorsque je reviendrai, les esprits seront un peu calmés et ce voyage ainsi n'aura pas été tout à fait inutile au service. Ma situation devient de jour en jour plus difficile et plus délicate. — Si on était mécontent à Pétersbourg de mon voyage, ce qui n'est guère probable, veuillez, monsieur le comte, être mon défenseur et faire valoir toutes ces raisons...

 

PIÈCE N° XIX

INSTRUCTION DE NAPOLÉON POUR GOURGAUD AU MOMENT DE SON DÉPART DE SAINTE-HÉLÈNE[18].

 

Aussitôt qu'il sera arrivé en Europe, il écrira cinq ou six lettres à sept ou huit jours à Joseph à Philadelphie, sous l'adresse de M..., négociant, et à M. Nego ou Noyon. Il alternera ces lettres, il lui dira la position vraie où nous sommes, sans charger dans un sens ou un autre. Il lui enverra copie de toutes les pièces, soit déclarations, soit lettres de M... et dira qu'il est important qu'on soit informe dans les journaux américains comme on est. S'il prévoit son séjour au Cap long et qu'il soit libre, il écrira au cardinal Fesch, sous le couvert du duc de Torlonia, banquier A Home, il lui écrira également à son arrivée en Europe : il serait bon qu'il écrive a Lucien, à Rome, à l'Impératrice duchesse de l'arme. S'il débarque en Italie, il fera bien d'aller de suite à Home, où Fesch et Lucien lui donneront des conseils pour qu'il se rende près la famille de Sa Majesté. Il pourrait être porteur d'une petite lettre relative à Mme Gu. Bertrand pourrait écrire deux mots à Eugène relativement à nos intérêts. Ces petits billets peuvent être placés dans des semelles de chaussures. Il les mettrait en mains propres. Du Cap, il pourrait écrire à Eugène et à Fesch et demander qu'on envoyé des livres des derniers temps. Il prendra de mes cheveux qu'il portera à l'Impératrice[19].

 

PIÈCE N° XX

COMMUNICATIONS REÇUES DU GÉNÉRAL GOURGAUD APRÈS SON DÉPART DE LONGWOOD[20].

EXTRAITS DES Récits de la captivité

 

13 février. — Gourgaud nous a quittés aujourd'hui. Il a été conduit à Plantation par le lieutenant Jackson que le gouverneur a désigné pour lui servir de garde jusqu'à son embarquement.

20 février. — Le comte Balmain nous a donné aujourd'hui des nouvelles de Gourgaud : il est logé à Bayle-Cottage, avec M. Jackson, qui ne le quitte ni jour ni nuit ; mais il voit journellement les commissaires comme société. Il a demandé O'Meara comme médecin, mais ne l'a pas encore obtenu.

29 février. — Cipriani est mort cette nuit : le grand maréchal et moi avons accompagné ce matin ses dépouilles mortelles au' cimetière de Plantation House. Le gouverneur a refusé à Gourgaud de se joindre à nous[21].

4 mars. — Gourgaud est venu jusqu'à Deadwood avec le lieutenant Jackson, mais nous n'avons pu lui parler, quoiqu'il ait fait comprendre par signes qu'il avait quelque chose d'important à nous dire[22].

6 mars. — Le gouverneur a enfin cédé pour la permission qu'O'Meara voie Gourgaud. L'Empereur s'en est réjoui ; mais l'humeur remplaça la joie quand, au retour d'O'Meara, il apprit que le lieutenant Jackson ne les avait pas laissés seuls un instant[23].

7 mars. — Miss Schrewbury (sic) nous apporte une lettre de Gourgaud pour l'Empereur. C'est le compte rendu de ses conversations avec le comte de Balmain et le baron Stürmer. Il va partir directement pour l'Angleterre[24].

11 mars. — Lettre de Gourgaud à Bertrand par l'entremise du gouverneur. Il lui demande de venir le voir. Bertrand s'y refuse, si le gouverneur exige que ce soit en présence d'un officier anglais[25].

12 mars. — Le gouverneur exige de Gourgaud son engagement écrit et d'honneur qu'il n'est chargé de publier aucune accusation contre lui ou contre son gouvernement[26].

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Fritz, le domestique de Gourgaud, a réussi à nous apporter des lettres cette nuit ; mais, en rentrant chez son maître, il a été arrêté et l'on a fouillé tous les effets, malles, etc., de Gourgaud[27].

28 décembre. — Dès son arrivée à Londres, le général Gourgaud avait écrit au grand maréchal une lettre d'un grand intérêt politique et, peu après, il nous donna un nouveau témoignage de ses efforts par la lettre suivante qu'il écrivit à l'impératrice Marie-Louise et dont il nous fil passer la copie. Ces deux lettres nous sont parvenues dans le courant de décembre, elles donnèrent à l'Empereur quelques moments d'une détente morale dont il avait bien grand besoin.

(Suit le texte de la lettre à Marie-Louise en date du 20 août 1818[28].)

Vers août 1820[29]. — Voir au texte, Le cas du Général Gourgaud.

7 avril 1821[30]. — L'Empereur s'est fait apporter par le grand maréchal un testament qu'il avait fait depuis longtemps et qu'il lui avait confié. Il l'a fait brûler devant lui. Voici la note au crayon que j'ai trouvée dans les papiers de l'Empereur et que j'ai lieu de croire se rapporter à ce testament.

En admettant l'authenticité du document tel qu'il est publié dans l'édition anglaise, on constate qu'il est postérieur au départ de Gourgaud, puisque Cipriani, mort le 27 février 1818, n'y figure point et que les prêtres, arrivés le 20 septembre 1819, y figurent ainsi que Coursot et Chandelier. Montholon a donc voulu, en introduisant le nom de Gourgaud dans l'édition française, donner la preuve que, postérieurement à mars 1818, et vraisemblablement dans le courant de 1820, l'Empereur s'était intéressé à lui. Cette interpolation, saisie sur le vif, suffit, elle seule, à frapper de nullité tous les passages de l'édition française où Montholon a inséré le nom de Gourgaud.

 

 

 



[1] A l'exception des protocoles d'Aix-la-Chapelle qui sont, comme il ressort de leur texte même, la conséquence directe des rapports du général Gourgaud, toutes les pièces ci-dessus publiées et qui établissent d'une façon indéniable quelles furent les confidences et quelles en ont été les suites, toutes ces pièces sont comprises entre février et mai 1818. Les pièces publiées pour rétablir la vérité méconnue par moi sont officiellement en date des 25 août, 2 et 25 octobre, c'est-à-dire postérieures de trois mois pour le moins aux révélations du général Gourgaud. C'est là la réflexion qui s'imposa à M. Goulburn en 1818, comme elle doit s'imposer au lecteur de 1908.

[2] Biffé.

[3] Rayé en travers.

[4] Biffé.

[5] Biffé.

[6] Biffé.

[7] A qui peut-on faire penser que le général Gourgaud écrivant à Son Altesse Impériale le Prince Eugène ait désigné par leurs simples prénoms : Marie ou Marie-Louise, Alexandre ou François, l'Impératrice, et les empereurs de Russie et d'Autriche ? Il y eût eu là une de ces aberrations qui exaspéraient l'Empereur, et une violation du protocole que le Prince Eugène n'eût point tolérée. Rien que par là, la pièce est suspecte.

[8] FORSYTH, éd. angl., II, 188.

[9] Pub. Arch. russes, 1869, p. 1953.

[10] Pub. Arch. russes, 1869, p. 1955.

[11] Voir au texte, la partie de la note relative aux rencontres avec Gourgaud et les réfutations de Balmain.

[12] Pub. Arch. russes, 1870, p. 655.

[13] A la date du 11 janvier Montholon écrit : Communication importante du comte Balmain transmise par le général Gourgaud. Rêves d'un retour en Europe et d'une hospitalité royale en Russie. (II, 246).

[14] MONTHOLON, Récits, II, 251 (édition française). Il est remarquable allusion n'est faite dans l'édition anglaise à cotte pièce d'une si grande importance. Et ce n'est point pour abréger que Montholon agit ainsi. Les quatre volumes de l'édition anglaise renferment une série de dictées de l'Empereur d'une étendue extrême, et certaines d'un intérêt médiocre : Tome I. Le Roi Louis et la Hollande. — Sur les Bourbons. Tome II. Première campagne d'Italie. — Consulat. — Prisons d'Etat. — Politique des gouvernements étrangers. — Affaires de Rome et Concordat de Fontainebleau. — Corse. — Russie. — Egypte. — Paul Ier. — Kléber. Tome III. Retour de l'Ile d'Elbe. — Position de la France vis-à-vis des puissances étrangères. Tome IV. Fragments sur les campagnes d'Autriche, de Prusse et de Russie. — Sur l'Armée. — Projet de Constitution. — Sur l'Expédition d'Egypte. Certaines de ces dictées font double emploi avec les publications antérieures et ne semblent avoir été reproduites que pour grossir les volumes. On est donc en droit de penser que ces Instructions — en admettant qu'elles ne soient pas apocryphes — ont été retrouvées par Montholon, entre la publication de l'édition anglaise et la publication française. De même est-il remarquable que nul passage des rapports de Balmain ne semble se rapporter aux trois questions qui, sciences instructions, auraient été posées par lui.

Si l'on veut admettre que ces instructions émanent de l'Empereur, on ne saurait les prendre que comme suggérées par des illusions bien étranges, puisque l'Empereur pose qu'il accepte comme étant d'un frère les assurances qui lui ont été transmises de la part de l'empereur Alexandre par le comte Balmain ainsi que l'hospitalité qu'il lui offre dans ses Etats ; puisqu'il prend comme un fait que l'empereur Alexandre le rétablira sur le trône et qu'il lui offre son alliance. Tout en regardant ces instructions comme une rêverie qui ne ferait point honneur à l'Empereur, on ne saurait en tous cas les tenir que comme une dictée de premier jet, échappée dans la fièvre, où le prisonnier de l'Europe s'est retrouvé le maître qui lui dictait des lois et dont l'alliance était la plus précieuse garantie des empires.

[15] Extraits des Archives russes, année 1869.

[16] On doit se souvenir que Gourgaud a quitté Longwood le 13 février et s'est embarqué pour l'Europe le 14 mars. La première tentative dont Balmain rende compte est donc postérieure d'un mois au départ de Gourgaud.

[17] Affaires étrangères, Pétersbourg.

[18] Journal, Appendice, pièce 22, II, 531.

[19] 1° L'Empereur n'avait aucun besoin de donner à Gourgaud, pour écrire à Joseph, des adresses qui n'ont aucune précision et qui ne visent que des êtres imaginaires.

2° Il résulte de la lettre de Joseph au cardinal Fesch en date du 18 juillet 1818, de la lettre du même à l'Empereur en date du 9 mai 1820 que toutes les communications qui lui sont venues de Sainte-Hélène ont passé par Rousseau et Archambault qui l'ont rejoint en juin 1817, par Balcombe, par Las Cases et par O'Meara. Si donc Gourgaud a reçu une mission, il ne l'a point remplie. Mais la Lettre de Bertrand adressée à Joseph le 15 mars 1818 — soit le lendemain du départ de Gourgaud (Mém. du Roi Joseph, X, 231) — prouve qu'il n'eut point de mission près de Joseph.

3° Jamais l'Empereur n'a dit Fesch en parlant du cardinal Fesch. Jamais il n'a omis de donner leurs titres aux princes de sa famille. Comment l'eût-il fait dans un tel document ?

4° Comment l'Empereur eût-il imaginé que Gourgaud venant du Cap, pût débarquer en Italie ?

5° De quelle utilité pouvait être cette correspondance par les semelles de souliers avec Eugène, lorsque l'Empereur faisait passer à Eugène tous les ordres qu'il voulait — et on en a la preuve certaine, en ce qui touche Gourgaud, par l'ordre de lui faire toucher une pension de 12000 francs — et cela jusqu'au moment au moins où, sur les communications de Gourgaud, O'Meara fui enlevé de Longwood ?

Il y a là toute une série d'improbabilités qui vicient radicalement un document, dont le premier et capital défaut est de ne présenter aucune utilité et d'être totalement oiseux.

[20] Récits, II, 260. Les éditeurs du Journal qui ont adopté la fable de la mission et qui y ont donné pour base le document cité plus haut, trouvé, disent-ils, dans les papiers du général Gourgaud, n'ont point fait état des Instructions dictées par l'Empereur à Montholon au sujet de la prétendue mission près de l'empereur de Russie : par contre, ils se sont prévalus (préface, t. I, p. 15, note 2), des extraits des Récits de la Captivité que nous donnons ici. Il est à remarquer qu'aucune de ces allégations — à l'exception de colle qui viserait une communication reçue vers août 1820 (II, 119), — ne figure dans l'édition anglaise.

[21] Récits, II, 260. Cf. Journal, II, 477 en contradiction absolue avec Montholon.

[22] Récits, II, 263. Cf. Journal, II, 478. Le gouverneur lui permet (à Jackson) de m'accompagner à Deadwood pour dessiner, de là, Longwood.

[23] Récits, II, 263. Cf. Journal, II, 479. 7 mars. J'écris à O'Meara pour le piler de venir me voir... Dimanche, 8 mars. A deux heures, arrive O'Meara... Ainsi, deux jours avant que Gourgaud eût vu O'Meara, l'Empereur était instruit de sa conférence avec lui. Ce que Gourgaud voulait dire à O'Meara, c'était d'ailleurs ce qu'il dit à Jackson (V. ci-dessus. Pièce V, E, rapport du lieutenant Jackson, Annexe 2).

[24] Récits, II, 263. Le nom de miss Schrewbury — de quelque façon qu'on écrive ce nom si peu anglais, Shrewsbury à la bonne heure, c'est le titre des Talbot — ne se trouve ni dans le Journal de Gourgaud, ni dans celui d'O'Meara, ni dans le Mémorial de Las Cases, ni nulle part ailleurs dans les Récits de la Captivité. Balmain, Stürmer, Montchenu, Hudson Lowe, Henry, Jackson l'ignorent. Miss Schrewbury porte une lettre de Gourgaud pour l'Empereur, puis elle rentre dans le néant. On comprend qu'elle ait été foudroyée, cette personne qui aurait redit à Napoléon les confidences faites par Gourgaud à Stürmer et à Balmain — compris celles sur Mme de Montholon.

[25] Récits, II, 263. Voir ci-dessus, Pièce V. E Lettre de Gourgaud à Bertrand, Annexe 1 et rapport de Jackson annexe 2.

[26] Récits, II, p. 263. Cf. Journal, II, 480 et 481.

[27] Récits, II, 261. Cf. Journal, II, 481. Mon domestique se soûle en ville et on saisit sa malle pour savoir comment il a gagné les 200 £ qu'elle contient.

[28] Récits, II, p. 317. Montholon étant, pour cette partie de la captivité, l'unique témoin du côté français dont les souvenirs aient été publiés, on ne saurait ni contrôler, ni contester ses dires. Le journal tenu par le général Gourgaud démontrerait seul s'il a écrit au grand maréchal dès son arrivée à Londres. On a vu ce qu'il fallait penser de la lettre à Marie-Louise écrite trois mois après que les confidences du général Gourgaud avaient produit leur effet. Cela n'empêche point les éditeurs du Journal d'écrire : Faut il ajouter que celui-ci (Gourgaud), dès son débarquement en Angleterre (8 mai), n'eut rien de plus pressé que de remplir les intentions de l'Empereur ; Il écrivit à Marie-Louise (25 août), au prince Eugène (minute sans date, présumée de novembre), à l'empereur d'Autriche (minute datée au 25 octobre), à l'empereur de Russie (minute datée du 2 octobre), et ces démarches auxquelles on attribua l'envoi à Sainte-Hélène de deux prêtres et du docteur Antommarchi (demande formulée par l'Empereur le 22 mars — accueillie le 10 août par le gouvernement anglais), eurent pour le premier résultat d'adoucir un peu les derniers jours de l'illustre captif.

Ainsi, ce n'est pas assez de la mission que Montholon attribue à Gourgaud dans les Hé cils ; ce n'est pas assez de la mission que Montholon attribue à Gourgaud par les papiers dont il lui fait hommage et que les Editeurs du Journal ont retrouvés dans ses archives, il faut encore là mission que les Rédacteurs de la Biographie des Contemporains avaient, dès 1822, attribuée à Gourgaud. Cela en fait trois, dont Gourgaud n'a point rempli une seule — et cela par une raison excellente : qu'il n'en avait reçu aucune.

[29] Récits, Ed. française, II, 501.

[30] Récits, Ed. française, II, 501.