NAPOLÉON DANS SA JEUNESSE

 

1769-1793

§ 15. — AUXONNE ET VALENCE - FÉVRIER 1791 - AVRIL 1791 - SEPTEMBRE OU OCTOBRE 1791.

 

 

En revenant à Auxonne avec son frère Louis[1] dont il entreprenait l'éducation, Napoléon devait être préoccupé de l'accueil que lui ferait son colonel. Son congé était expiré depuis plusieurs mois et quelque confiance que dussent lui inspirer les certificats dont il était porteur, il fallait bien qu'on fût en pleine époque révolutionnaire pour qu'il pensât seulement à les invoquer. Une saute de vent, une révolte d'un ministre contre la tyrannie des municipalités, simplement une tentative pour rétablir la discipline, et son absence pouvait lui coûter cher. Il n'a pourtant nullement l'air de s'en alarmer. Chemin faisant, il s'arrête à Valence pour y renouveler connaissance avec d'anciens amis, et nul souci de l'avenir ne se fait jour dans la lettre que, le 8 février, d'un petit village appelé Serve, il écrit à Fesch[2]. Il y donne des nouvelles, parle de politique, fournit des indications aux patriotes de Corse : voilà tout.

 

Serve, près Saint-Vallier en Dauphiné, le 8 février 1791.

Je suis dans la cabane d'un pauvre d'où je me plais à t'écrire après m'être longtemps entretenu avec ces braves gens... Il est quatre heures du soir, le temps est frais quoique doux ; je me suis amusé à marcher ; la neige ne tombe pas, mais n'est pas loin... J'ai trouvé partout les paysans très fermes sur leurs étriers. Surtout en Dauphiné : ils sont tous disposés à périr pour le maintien de la Constitution.

J'ai vu à Valence un peuple résolu, des soldats patriotes et des officiers aristocrates ; exception cependant, puisque le président du club est un capitaine nommé Du Cerbeau. C'est un capitaine du régiment de Forez en résidence à Valence.

Les femmes sont partout royalistes. Ce n'est pas étonnant. La liberté est une femme plus jolie qu'elles qui les éclipse.

Tous les curés du Dauphiné ont prêté le serment civique ; l'on se moque des cris des évêques.

Il ne faut pas tant plaindre notre Département ; je connais les personnes qui composent celui de Valence ; elles ne valent pas les nôtres.

Le club est ici composé de 200 personnes ; quand ils tiennent leurs sessions publiques, ils s'assemblent dans une église. Les femmes y vont alors.

Ce qu'on appelle la bonne société est aux trois quarts aristocrate : c'est-à-dire qu'ils se couvrent du masque des partisans de la constitution anglaise.

Il est vrai que Peretti a menacé Mirabeau d'un coup de couteau ; cela ne fait pas honneur à la nation.

Il faudrait que la Société patriotique fit présent d'un habillement complet corse à Mirabeau, c'est-à-dire d'une barrette, veste, culotte et caleçon, cartouchière, stylet, pistolet et fusil ; cela ferait un bon effet.

Dimanche prochain, le département de la Drôme nommera son évêque. Il est probable que ce sera un curé de Valence.

Je n'entends rien de nouveau, ainsi il faut que tout soit tranquille.

La société patriotique de Valence a envoyé une députation pour tâcher de concilier Avignon avec Carpentras. Cette députation se joindra aux députations de Loriol, de Romans, de Montélimar., etc., etc.

Je vous embrasse, mon cher Fesch, la voiture passe. Je vais la joindre. Nous coucherons à Saint-Vallier.

BUONAPARTE.

Le même soir, il s'arrête à Saint-Vallier où il griffonne des Réflexions sur l'Amour[3], qui prouvent la même liberté d'esprit : néanmoins, il ne séjourne pas à Chalons, où il aurait à remettre au négociant James la lettre dont Joseph l'a chargé pour lui, et c'est ce dont il s'excuse aussitôt après son arrivée à Auxonne, par ce billet[4] :

Si je suis passé à Chalons il y a quelques jours, sans m'être procuré le plaisir de vous voir et de présenter mes hommages à mademoiselle votre sœur, c'est que je n'ai été instruit de votre séjour qu'au moment que je montais en voiture. Je me suis vu nécessité à remettre à la première occasion à m'acquitter de la commission de mon frère qui espère venir lui-même l'année prochaine député à l'Assemblée nationale renouveler votre connaissance et faire celle de madame votre mère et de mademoiselle votre sœur. En attendant je me flatte que vous voudrez bien vous ressouvenir de moi si vous passiez de ces côtés-ci. Le frère de votre ami doit un peu être le vôtre. C'est avec ces sentiments, monsieur, etc. Mes respects à monsieur votre père.

Il arriva à Auxonne vraisemblablement le 11 ou le 12 février, et il se trouva bien de ne point s'être inquiété ; sur les attestations délivrées par le district et la municipalité d'Ajaccio, son colonel ne se contenta pas de l'excuser, il demanda au ministre qu'on lui rappelât ses appointements durant les trois mois et demi qu'il avait été absent. C'est ce qui résulte de cette lettre en date du 10 mars[5] :

Le sieur de Buonaparte, lieutenant en second au Régiment de la Fère, obtint, à la suite de son semestre de l'année dernière, une prolongation de congé de quatre mois qui lui fut accordée d'après des certificats qui annonçaient qu'il se trouvait dans la nécessité de prendre les eaux d'Orezza.

Cette prolongation avait son terme au 15 octobre, et comme il n'est rentré à son corps qu'à la fin du mois de janvier dernier, il est dans le cas de perdre trois mois et demi d'appointements.

Pour en obtenir le recouvrement, il produit des certificats des membres du directoire et de la municipalité d'Ajaccio qui constatent que deux fois il a essayé de repasser en France et qu'il a été retenu dans ce poste indispensablement jusqu'au mois de janvier, ce qui a déterminé ses chefs à apostiller son mémoire de réclamation.

Ces trois mois et demi d'appointements forment un objet de 233 livres 6 sols 8 deniers dont on ordonnera le rappel si telle est l'intention du ministre.

A peine installé avec son frère dans deux petites pièces d'une maison sise rue Vauban, qui appartenait alors à la famille Bauffre, vint plus tard à un M. Phal Blando et fut en dernier lieu acquise par la ville qui y transféra le collège[6], il s'occupa de faire imprimer sa Lettre à Matteo Buttafuoco, dont le club d'Ajaccio avait voté la publication. Il ne trouva pas d'imprimeur à Auxonne même, mais, à Dôle, M. J.-B. Joly se chargea du petit pamphlet dont Napoléon venait à pied, avec son frère Louis, corriger les épreuves[7]. Il retournait de la même façon à sa garnison, où il arrivait avant midi, ayant fait ainsi huit lieues de poste.

Napoléon devait compter que, sur ses compatriotes, sur Paoli d'abord, sa Lettre ferait grand effet. Il se hâta donc, dès le 14 mars, d'en adresser plusieurs exemplaires au général, et il saisit cette occasion pour lui demander les documents nécessaires pour terminer son histoire de Corse. Il comptait la publier bientôt et à ce sujet était entré en affaires avec plusieurs imprimeurs ; au refus de M. Daclin[8], de Besançon, il avait même presque conclu marché pour l'impression avec M. Joly[9], qui était venu à cet effet à Auxonne et qui l'avait trouvé dans une chambre nue, avec pour tous meubles, un mauvais lit sans rideaux, une table placée dans l'embrasure d'une fenêtre et chargée de livres, et de papiers et deux chaises. A côté était un petit cabinet où Louis couchait sur un matelas. Ce logis misérable, Napoléon l'emplissait de ses rêves, mais la lettre suivante qu'il reçut de Paoli vint lui porter un coup sensible.

Bastia, 2 avril 1791.

Très estimé seigneur Buonaparte.

Avec votre lettre du 16 mars, j'ai reçu les imprimés que vous m'avez envoyés. Ne vous donnez pas la peine de démentir les impostures de Buttafuoco ; cet homme ne peut avoir de crédit auprès d'un peuple qui a toujours estimé l'honneur et qui maintenant a recouvré sa liberté. Prononcer son nom, c'est lui faire plaisir. Il ne peut plus aspirer à d'autre célébrité qu'à celle que chercha l'incendiaire du temple d'Ephèse. Il écrit et parle pour faire croire qu'il est de quelque conséquence. Ses propres parents ont honte de lui. Laissez-le au mépris et à l'indifférence publique.

Je ne puis à présent ouvrir mes caisses et chercher mes écrits. D'autre part, l'histoire ne s'écrit pas dans les années de jeunesse. Permettez que je vous recommande de former le plan sous l'idée que vous a donnée l'abbé Reynald (sic), et entre temps vous pourrez vous appliquer à recueillir des anecdotes et les faits plus saillants. Notre histoire doit relever son importance par la qualité des caractères qui y ont figuré. Par elle-même, elle n'est d'aucune conséquence pour le lecteur, parce que ses succès et ses revers sont trop petits et quasi indifférents au grand monde. Je vous remercie ensuite de la partialité que mes détracteurs vous obligent trop souvent à montrer en ma faveur. J'en serai toujours reconnaissant. Mais si vous voulez humilier mes ennemis, vous n'avez qu'à leur dire que je suis arrivé à un certain âge trop voisin du désintéressement forcé des vanités humaines et que je suis le premier à dire que l'on a dit de moi trop de bien et trop de mal. Du mérite qui pourrait m'être attribué, l'on en doit la meilleure partie aux patriotes zélés et à mes amis acharnés dans la bonne cause. Mes ennemis pourront m'accuser d'erreurs et de mégardes dans mon administration. Je ne suis pas coupable si la nature ne m'a pas doué de talents proportionnés à la tâche qui m'est échue malgré moi. Pourtant ils me font tort en mettant en doute la sincérité de mon zèle pour la liberté. Je n'ai point de mérite d'avoir été désintéressé au service de la Patrie. L'argent que j'aurais reçu d'elle et celui que je n'ai pas voulu recevoir de la générosité d'autrui, je savais bien qu'il était mieux employé pour mon honneur que si j'avais construit des palais et augmenté mon petit patrimoine. Je ne suis content que parce que je n'ai pas de reproches à me faire et parce que, dans peu d'années, l'envie et la partialité cesseront d'agiter les malintentionnés et mes amis me verront à l'abri de toutes les vicissitudes et il n'en viendra pas beaucoup qui devront dire : Plut à Dieu qu'il eût été moins connu des autres et plus connu de moi-même. Probe diu viximus. Puissent les futurs patriotes pousser si avant leurs mérites que l'on ne parle plus de moi que comme d'un homme qui a eu de bonnes intentions.

Mille compliments à l'abbé Reynald. Je vous salue de cœur.

Votre très affectionné serviteur.

PASQUALE DE PAOLI[10].

Donc, désaveu de la Lettre à Matteo Buttafuoco, refus de communiquer aucun document, déclaration que Napoléon est trop jeune pour écrire l'histoire, peu ou point de compliments, mais, par contre, une verbeuse apologie personnelle, voilà ce qu'il obtenait de Paoli. Il insista, fit écrire de nouveau par son frère Joseph pour solliciter les fameux documents, mais il ne fut pas plus heureux. Paoli répondit à Joseph[11] : J'ai reçu la brochure de votre frère : elle aurait fait plus grande impression si elle avait dit moins et si elle avait montré moins de partialité. J'ai autre chose à penser maintenant qu'à rechercher des écrits et à les lui faire copier. Je ne suis pas bien de santé et difficilement pourrai-je guérir parce que je ne puis résister à la fatigue. Je n'ai que faire dans les affaires et pourtant si quelque requête est présentée à un tribunal quelconque, j'en ai le double et, si je ne réponds pas, je ne fais que des mécontents et des ennemis à la bonne cause comme si elle était identifiée à ma personne. On est perdu si l'on ne prend pas une plus juste idée des choses ou un peu plus de charité pour un pauvre individu.

Cette fois encore, le refus était catégorique et il n'y avait guère à espérer que Paoli changeât d'avis.

Napoléon, cependant, en attendant cette réponse, avait continué assidûment ses lectures et ses extraits. La tâche qu'il avait assumée en entreprenant l'éducation de son jeune frère l'occupait aussi, et au milieu de ses obligations de services et d'études, il n'avait guère de temps à donner au monde. De quelle façon, avec quel fraternel amour, il regardait Louis, une lettre qu'il écrit à Joseph à cette date en témoignera mieux qu'une déclaration très souvent citée et qui peut sembler suspecte[12]. Voici cette lettre[13] :

Dimanche, jour de Pâques 24 (avril 1791).

Fesch à qui j'ai écrit plus longuement pourra te donner quelques renseignements sur le chemin que vous devez suivre pour ultimer l'affaire de la Pépinière. Il serait temps que tu t'en occupasses sérieusement. Lorsque tu auras fait tout ce que tu dois faire à Bastia, je (m'occuperai) d'ultimer le tout en sollicitant à l'Assemblée nationale.

Louis a écrit cinq ou six lettres ; je ne sais pas ce qu'il y baragouine.

Il étudie à force, apprend à écrire le français ; je lui montre les mathématiques et la géographie. Il lit l'histoire. Il fera un excellent sujet. — Toutes les femmes de ce pays-ci en sont amoureuses. Il a pris un petit ton français, propre, leste ; il entre dans une société, salue avec grâce, fait les questions d'usage avec un sérieux et une dignité de trente ans. Je n'ai pas de peine à voir que ce sera le meilleur sujet de nous quatre. Il est vrai qu'aucun de nous n'aura eu une aussi jolie éducation.

Tu ne trouveras peut-être pas ses progrès fort rapides dans l'écriture, mais tu songeras que jusqu'ici son maître ne lui a encore appris qu'à tailler ses plumes, à écrire en gros. Tu seras plus satisfait de son orthographe. C'est un charmant sujet, travailleur par inclination autant que par amour-propre et puis pétri de sentiment... C'est un homme de quarante ans qui en a l'application et le jugement. — Il ne lui manque que l'acquis. C'est dommage que je crains qu'il n'y ait pas d'examen. Alors, il faudrait qu'il retourne en Corse et son éducation serait manquée entièrement.

Le trésorier Conti aura besoin d'un commis ou deux pour faire sa besogne. Ne pourrait-il pas prendre Lucien. Le trésorier du district de Saint-Jean-de-Losne a trois commis.

L'on devra établir à Ajaccio un bureau pour l'Enregistrement et les Domaines, mais c'est les Domaines qui devront nommer aux places.

Ton adresse aux [.....][14] a été trouvée meilleure que je ne le craignais. Elle a fait très bon effet.

Adieu.

Il est vraisemblable que, en outre, dans son régiment, Napoléon s'occupait de politique, mais il avait peu à faire pour convertir à ses idées les bas officiers. Ceux de La Fère avaient été des premiers à se signaler par leur zèle pour la Constitution et l'on en a la preuve dans la lettre écrite par eux aux officiers et soldats de la garde nationale d'Auxonne partant pour la confédération de Dijon[15]. Il entretenait sans doute ces idées, comme il le fit à Valence, en allant lire aux soldats les journaux patriotiques, mais le club d'Auxonne[16] n'était pas encore en activité et le séjour de Napoléon dans cette garnison devait être trop bref pour qu'il pût influer sur la société populaire.

On procédait en effet à une nouvelle organisation du corps de l'artillerie, en vertu du règlement rendu le 1er avril 1791, conformément au décret des 2 et 15 décembre 1790, et cette organisation allait nécessiter des mutations nombreuses entre officiers. Napoléon craignait d'avoir à quitter Auxonne, où il avait rencontré de précieuses ressources pour l'éducation de son jeune frère, et, cherchant à parer le coup qui le menaçait, il écrit, le 3 juin, à M. Le Sancquer, premier commis à la Guerre, qui avait connu son père, la lettre suivante :

Monsieur[17],

Etranger à Paris, sans aucune connaissance, ce n'est que dans vous que j'espère.

L'amitié que vous vouliez bien avoir pour mon père me fait espérer que vous voudrez bien vous employer pour moi.

Dans le travail des corps, il me paraît qu'on me fait changer de régiment ; cela m'afflige sur tous les points de vue, tandis qu'il est des officiers qui me suivent immédiatement qui changeraient sans répugnance. J'ai un frère avec moi qui se destine au corps : je me suis chargé de son instruction, ce qui deviendrait impossible dans un autre régiment.

Si le travail avait déjà paru, je ne vous importunerais pas. Je sais qu'alors il ne reste plus qu'à obéir ; mais dans l'état des choses, je me flatte que vous daignerez vous intéresser à moi.

Je conserverai de votre bonté un souvenir reconnaissant.

Avec respect.

Cette lettre demeura inutile, car le mouvement était signé. Napoléon s'y trouvait compris comme lieutenant en premier et était désigné pour le régiment de Grenoble, devenu quatrième de l'arme, en garnison à Valence. Il lui fallut se procurer les effets d'uniforme et d'équipement de son nouveau grade, et cela lui fit quelques dettes — les seules qu'il ait connues — qu'il régla dès qu'il eût reçu ses appointements[18]. Ce ne fut que dans les premiers jours de juin, ainsi que le prouvent les dates de ses extraits de lectures, que Napoléon rejoignit sa nouvelle garnison. Il devait y retrouver d'excellents amis, mais ce ne fut pas sans regret qu'il se sépara du régiment de la Fère où il servait depuis cinq ans et où il laissait des intimités précieuses : Gassendi et Marescot entre autres dont il devait faire des grands officiers de son empire ; Des Mazis et Lelieur de Ville-sur-Arce[19], auxquels il devait procurer dans sa maison d'agréables sinécures.

Mais, après avoir surmonté cette contrariété, il ne tarda point à s'habituer de nouveau à Valence et à s'y plaire. D'abord il avait retrouvé sa chambre chez Mlle Bou, laquelle s'occupait maternellement du jeune Louis[20]. Puis, il avait revu dans la société plusieurs personnes qu'il avait connues à son premier séjour et celles-ci lui firent faire de nouvelles liaisons : c'est ainsi que, par son ami le commissaire des guerres Sucy, il se trouva en intimité avec Bachasson de Montalivet[21] qu'il appela plus tard de lui-même aux plus hautes fonctions : préfet, directeur général, ministre, comte de l'Empire et le reste ; les honneurs qu'il lui prodigua peuvent compter peu ; mais ce qui compte, le voici. Au retour de Russie, à propos de l'affaire Malet et des conspirations royalistes, l'Empereur se laissa aller à des paroles blessantes pour Montalivet qui, déposant son portefeuille dans le salon même, déclara qu'il rompait à jamais des liens qu'il ne pouvait plus conserver avec dignité et se retira. Rentré au ministère, il avait annoncé sa résolution à Mme de Montalivet et faisait ses préparatifs de départ, lorsqu'un chambellan de l'Empereur se fit annoncer et rendit au ministre de l'Intérieur ces paroles que Napoléon lui-même avait recommandé qu'il répétât textuellement : Je prie mon ami Montalivet de venir me voir. Le ministre ne put résister à une telle invitation et dès qu'il arriva aux Tuileries, l'Empereur vint à lui et lui prenant les deux mains : N'est-ce pas, mon cher Montalivet, que nous oublions ce qui vient de se passer. — Il m'est resté toujours tendrement attaché, disait-il à Sainte-Hélène.

L'abbé de Saint-Ruf venait de mourir, Mme du Colombier et sa fille avaient quitté Valence, mais le cabinet de lecture d'Aurel était toujours ouvert et c'était même dans ce modeste local et dans le petit café de Mlle Bou, que s'étaient tenues les premières séances de la Société des amis de la Constitution. Dès son arrivée, Napoléon ne manqua pas de s'y faire inscrire. Il y prononça un discours qui lui valut dit-on, de tels applaudissements[22] qu'il fut question de porter l'orateur à la présidence.

On peut penser que ce discours fut prononcé à l'occasion de la fuite du Roi et du nouveau serment qui venait d'être demandé à l'armée[23]. Ce serment, que Napoléon prêta avec conviction, rendit plus profonde encore la scission entre les officiers patriotes et les royalistes. Parmi ceux-ci, se distinguaient MM. de Romain, de Boisbaudry, Duprat et d'Hédouville qui ne tardèrent pas à émigrer, tandis que, au nombre des autres, il fallait compter Bonaparte lequel réunissait chaque jour les sous-officiers de sa compagnie pour leur lire les journaux patriotiques, Berthou de la Motte qui avait contribué à l'arrestation de Mesdames à Arnay-le-Duc, Vaubois, Gouvion, Champeaux, Faultrier, d'Anthouard, Villantroys, Ducos de la Hitte, Pernetti, Fouler, tous promis aux plus belles destinées militaires.

Ces officiers ne manquaient aucune des fêtes patriotiques. Le 3 juillet, ils assistaient à la réunion de. vingt-deux sociétés des amis de la Constitution qui se tenait à Valence à l'occasion de la fuite du Roi ; le 14 juillet, avec toutes les autorités civiles, ils prêtaient au Champ de Mars le serment civique. Ils étaient tout à l'enthousiasme : on en a la preuve dans cette lettre écrite par Napoléon à son ami M. Naudin, commissaire des guerres à Auxonne.

Valence, 27 juillet[24].

Monsieur,

Tranquille sur le sort de mon pays et la gloire de mon ami[25], je n'ai plus de sollicitude que pour la mère patrie : c'est à en conférer avec vous que je vais employer les moments qui me restent de la journée : s'endormir la cervelle pleine des grandes choses publiques et le cœur ému des personnes que l'on estime et que l'on a un regret sincère d'avoir quittées, c'est une volupté que les grands épicuriens seuls connaissent.

Aura-t-on guerre ?... se demande-t-on depuis plusieurs mois. J'ai toujours été pour la négative. Jugez mes raisons.

L'Europe est partagée par des souverains qui commandent à des hommes et par des souverains qui commandent à des bœufs ou à des chevaux.

Les premiers comprennent parfaitement la Révolution. Ils en sont épouvantés, ils feraient volontiers des sacrifices pécuniaires pour l'anéantir, mais ils n'oseront jamais lever le masque de peur que le feu ne prenne pas chez eux... Voilà l'histoire de l'Angleterre, la Hollande, etc.

Quant aux souverains qui commandent à des chevaux, ils ne peuvent saisir l'ensemble de la Constitution, ils la méprisent. Ils croient que ce chaos d'idées incohérentes entraînera la ruine de l'Empire français... A leur dire, vous croiriez que nos braves patriotes vont s'entr'égorger, de leur sang purifier la terre des crimes commis contre les Rois et ensuite plier la tête plus bas que jamais sous le despote mitré, sous le fakir cloîtré et surtout sous le brigand à parchemins. Ceux-ci ne feront donc aucun mouvement. Ils attendent le moment de la guerre civile, qui selon eux et leurs plats ministres, est infaillible.

Ce pays est plein de zèle et de feu... Dans une assemblée composée de vingt-deux sociétés des trois départements, l'on fit il y a quinze jours la pétition que le Roi fût jugé.

Mes respects à Mme Renaud et à M. et Mme Goy. J'ai porté un toast aux patriotes d'Auxonne lors du banquet du 14. Ce régiment ci est très sûr : les soldats, sergents et la moitié des officiers. Il y a deux places vacantes de capitaine.

Respect et amitié.

V. S.

BUONAPARTE.

Le sang méridional qui coule dans mes veines va avec la rapidité du Rhône. Pardonnez donc si vous prenez de la peine à lire mon griffonnage.

La politique, on l'a déjà dit, n'avait point arrêté, à Auxonne, le cours de ses études. Elles sont bien poussées dans le même sens que deux ans auparavant, mais elles paraissent moins désintéressées des événements et des temps. Les polémiques du dehors y influent et la sérénité est moindre. Il lit bien le Voyage de Coxe en Suisse[26], les Mémoires de Duclos[27], l'Histoire de Florence[28], l'Essai sur les mœurs[29] mais ce qui l'inquiète davantage, c'est la constitution civile du clergé, à propos de laquelle il analyse l'Histoire de la Sorbonne[30] et l'Esprit de Gerson[31] ; c'est la question de la noblesse qu'il étudie avec Dulaure[32]. Le résumé de ses opinions à cette date se trouve en ce court écrit qu'on peut intituler République ou Monarchie[33] et qui est évidemment provoqué par les polémiques qui ont suivi la fuite et la suspension de Louis XVI.

Ses idées morales sont restées telles qu'en 1787 : on en a la preuve formelle par ses Impressions de voyage[34] et surtout par le Dialogue sur l'amour[35]. Quant à ses théories sociales, il les expose lui-même en une série de compositions qui jettent le jour le plus complet sur son esprit.

C'est durant son séjour à Valence que Napoléon compose ou du moins rédige, en vue d'un concours ouvert pour l'année 1791 par l'académie de Lyon, un discours sur cette question : Déterminer les vérités et les sentiments qu'il importe le plus d'inculquer aux hommes pour leur bonheur.

On peut penser que ce fut l'abbé Raynal qui, à Marseille, lui donna l'idée de concourir, car c'était Raynal qui, dès 1780, avait fondé le prix de 1.200 livres que l'Académie devait décerner.

En 1780, la question à traiter était sur les avantages ou les inconvénients résultant de la découverte de l'Amérique, mais vainement avait-elle été proposée en 1783, 1785, 1787, 1789 ; il ne s'était trouvé personne pour répondre. Consulté par M. de la Tourette sur le sort qu'il fallait donner à ses 1.200 livres, l'abbé Raynal avait proposé une question sur la traite des noirs, mais l'Académie y fît des objections et ce fut elle qui découvrit ce sujet des Vérités et des Sentiments qu'elle estima de nature à ne pas la compromettre. Pour se préparer à concourir, Napoléon avait, comme on le verra, recueilli dans ses Cahiers d'expressions[36] (Cahiers 19 et 20), des mots étranges, sonores, inusités, des termes scientifiques ou étrangers que, selon l'usage du temps, il comptait semer sur son discours. C'est là même ce qui en fournit la date d'une façon assurée, la rédaction du Discours étant certainement postérieure à la lecture de Roland furieux dont Napoléon prit ses extraits à partir d'août 1791. De plus, en vue de ce discours, Napoléon avait écrit des notes sur le discours de Rousseau : De l'origine et des fondements de l'inégalité parmi les hommes, et sur des points, il l'avait réfuté[37] ; enfin, pour coordonner ses propres idées, il en avait jeté d'abord une sorte de sommaire[38]. Puis il avait écrit ce Discours dont la plus grande partie est restée jusqu'ici inédite[39].

On peut dire que ce Discours est l'œuvre capitale de Napoléon à vingt-deux ans. Il contient ses idées sur l'hérédité, sur l'égalité des partages, sur la formation des sociétés, sur tout ce qui agite l'humanité depuis des siècles et l'agitera toujours. Il renferme sur l'homme de génie et sur l'ambition des pages qui prendront place entre les plus célèbres qu'on puisse citer de Napoléon et, peut-être, après qu'on les aura lues, le jugement porté par la commission d'examen de l'académie de Lyon étonnera-t-il quelque peu[40]. Cette commission composée de MM. de Campigneules, Jacquet, Mathon de la Cour, Vasselier et de Savy, tous hommes célèbres sans doute, à Lyon, en leur temps, mais dont la renommée littéraire est restée purement locale, car on ne sait d'eux nul livre imprimé, cette commission avait seize manuscrits à examiner. Celui de Napoléon portait le n° 15. Il fut déclaré au-dessous du médiocre. Le spirituel[41] Vasselier dit : Le n° 15 est un songe très prononcé. L'illustre de Campigneules jugea : Le n° 15 n'arrêtera pas longtemps les regards des commissaires. C'est peut-être l'ouvrage d'un homme sensible ; mais il est trop mal ordonné, trop disparate, trop décousu et trop mal écrit pour fixer l'attention. Par délibération en date du 29 novembre 1791, l'Académie adoptant le rapport de ses commissaires, renvoya le prix à deux ans et accorda simplement une mention honorable au manuscrit portant le n° 8. C'était l'œuvre de Daunou[42]. Ce fut ce même Daunou qui, ayant repris son travail, emporta le prix en 1793. De Napoléon, il ne fut jamais question, quoi qu'en aient dit Las Cases et O'Meara. Mais les jugements académiques ne sont pas sans appel[43].

Les concours des académies do province étaient pour l'ordinaire fermés à la séance solennelle du 25 août. Napoléon remit son mémoire le dernier — puisqu'il porte le numéro 15 (le seizième ayant été accepté après la clôture du concours) — et, aussitôt après, c'est-à-dire dans les derniers jours d'août, se disposa à profiter d'un semestre qu'il avait obtenu pour retourner en Corse. Son colonel, M. de Campagnol, fort royaliste et surtout d'une piété exaltée[44], qui néanmoins sur l'invitation de certains de ses officiers s'était fait recevoir de la Société des amis de la Constitution[45], aurait, dit-on, refusé tout congé à Napoléon, et celui-ci, pour obtenir l'autorisation qu'il désirait, serait allé trouver à Pommiers, dans le département de l'Isère, le baron du Teil, qui, comme inspecteur général d'artillerie, avait la place de Valence dans son commandement : ce serait du Teil qui, malgré le colonel et malgré les règlements, aurait accordé un congé de trois mois[46] : on ne fournit de cette assertion aucune preuve quelconque. Napoléon eut son semestre à la date du 1er septembre, comme il était d'usage pour les officiers corses ; et il était déjà arrivé à sa destination lorsque parvint au régiment la circulaire de Du Portail, ministre de la Guerre, en date du 8 septembre, ordonnant de suspendre, à cause des bruits de guerre, le départ des semestriers ; par suite, Napoléon n'eut pas besoin de l'intervention de personne pour triompher de mauvaises volontés qui n'existaient pas.

 

 

 



[1] Né le 2 septembre 1778, Louis avait donc douze ans et demi.

[2] Nasica, p. 161.

[3] Ci-après n° XXXIX.

[4] Iung, II, 70, sans indication de source. — Iung dit la lettre du 16 février 1791.

[5] Iung, II, 72.

[6] Pichard, 2e éd., p. 15.

[7] Coston, I, 147. Je n'ai jamais vu d'exemplaire de l'édition originale de la Lettre à Matteo Buttafuoco. Elle ne fut tirée, dit Coston, qu'à cent exemplaires qui presque tous durent être envoyés en Corse. Néanmoins, il parait que M. Amanton, ancien conseiller de préfecture à Dijon, possédait un exemplaire avec ex dono, où deux fautes d'impression étaient corrigées de la main de l'auteur. La Lettre à Matteo Buttafuoco, restée oubliée durant tout l'Empire, fut republiée en 1821, d'abord en fin du tome V des Œuvres de Napoléon Bonaparte (Edition Panckoucke) avec pagination particulière ; puis, la même année, par le même éditeur, en suite du Souper de Beaucaire. Dans une préface non signée en tête de cette dernière brochure, il est dit que la Lettre a été imprimée sur l'exemplaire même appartenant à M. Joly.

[8] M. Clément, depuis député du Doubs et questeur de la Chambre, racontait que dînant à Besançon chez M. Daclin, principal imprimeur de la ville, il avait vu entrer un jeune officier d'artillerie, fort maigre, très brun, aux yeux perçants, au visage sérieux, à l'accent légèrement italien. Il portait, avec son uniforme, une culotte de drap et des bas de soie noire. Vous m'excuserez, dit-il au maître de la maison, de vous déranger en ce moment, mais je ne fais que passer et ne suis pas maître de mon temps. M. Daclin lui proposa de partager le repas : il n'accepta qu'un verre de vin et d'eau, resta silencieux pendant le reste du diner, après lequel il passa dans le cabinet de M. Daclin. Celui-ci revint bientôt après et raconta à ses hôtes que ce jeune officier nommé Bonaparte était venu lui proposer de publier une histoire de la Corse, mais qu'il l'avait refusé ne voyant aucune garantie de couvrir ses frais. (Mémoires inédits du baron de Trémont.)

[9] Dans la préface déjà citée, on fait raconter par M. Joly que l'histoire de la Corse était en deux volumes : je crois qu'il faut lire en deux lettres. Il ne se trouve en effet dans des papiers de Napoléon aucune trace d'un ouvrage aussi volumineux.

[10] Inédit. Fonds Libri.

[11] Lettre inédite en langue italienne, en date de Rostino, le 15 août 1791, faisant partie des Archives Levie-Ramolino.

[12] Coston et, à sa suite, la plupart des auteurs qui ont écrit sur la jeunesse de Napoléon ont cité, sans en indiquer la source, une déclaration faite, dit-on, à Caulaincourt par Napoléon à propos de Louis qu'ils ont trouvée singulièrement éloquente. Or, j'ai recherché qui pouvait avoir publié d'abord cette prosopopée. Je l'ai retrouvée dans Napoléon en Belgique et en Hollande, 1811, par Charlotte de Sor. Paris, Gustave Barba, 1839, 2 vol. in-8°, t. II, p. 191 ; et l'on sait si les livres de Mme Charlotte de Sor sont pour inspirer confiance ! Quoi qu'il en soit, voici cette page : Oui, reprit-il (Napoléon) avec une expression d'indicible amertume, je trouvais le moyen d'envoyer de l'argent pour payer la pension de mon jeune frère... Savez-vous comment j'y parvenais ? C'était en ne mettant jamais les pieds au café ni dans le monde ; c'était en mangeant du pain sec à mon déjeuner, en brossant mes habits moi-même pour qu'ils me durassent plus longtemps propres... Pour ne pas faire tache parmi mes camarades, je vivais comme un ours, toujours seul dans petite chambre, avec mes livres... Mes seuls amis alors !... Et ces livres, pour me les procurer, par quelles dures économies faites sur le nécessaire, achetais-je cette jouissance ?... Quand, à force d'abstinence, j'avais amassé deux 011 trois écus de six livres, je m'acheminais avec une joie d'enfant vers la boutique d'un vieux bouquiniste qui demeurait près de l'évêché... Souvent, j'allais visiter ses rayons en faisant le péché d'envie... je convoitais longtemps avant que ma bourse me permit d'acheter !... Telles ont été pour moi les débauches et les joies de ma jeunesse !...

[13] Inédit. Archives Levie-Ramolino.

[14] Il s'agit ici de l'Adresse à toutes les sociétés des amis de la Constitution par le club d'Ajaccio en date du 27 mars qui se trouve dans le numéro 23 du Journal des amis de la Constitution (mardi 3 mai l'an deuxième) et qui a les honneurs de l'impression. En voici le texte : Amis de la Constitution... jetons des faisceaux de lumière sur les nuages accumulés par les ennemis du bien public. Incapables désormais de pouvoir résister de front à un peuple immense et libre, c'est en le divisant, c'est en l'aveuglant qu'ils prétendent en triompher.

A les entendre, les fureurs de la guerre civile dévorent tel département. Tel autre est en combustion ; l'anarchie qui règne dans tous doit bientôt nous faire regretter le calme perfide du despotisme. C'est ainsi qu'ils voudraient nous épouvanter par notre ombre, faire frémir l'habitant du nord par le récit mensonger des troubles qui se produisent au midi.

... Nous devons vous dénoncer leurs calomnies en vous assurant qu'il règne dans notre département la tranquillité la plus entière, que le peuple connaît l'esprit de la liberté et sait la distinguer de la licence. Il est enthousiaste de cette Constitution dont il attend avec impatience le complément.

Lorsque les agents du pouvoir ministériel que vous avez détruits vinrent nous ravit-une liberté que nous avions acquise après quarante ans de combats continuels, ils nous trouvèrent encore les armes à la-main. Français du continent, que vous a-t-elle coûté cette liberté précieuse ? Comparez vos efforts avec les nôtres et vous les trouverez bien faibles et de courte durée. Mais aussi, toute votre chaleur est concentrée, votre force est immense : préparez-vous pour la défense de la liberté aux mêmes efforts que nous employâmes jadis pour son acquisition. Elit quel sera le prince audacieux qui osera croire vous pouvoir encore façonner au joug ? Sa vie ne saurait y suffire. Vivons pour la liberté et, s'il le faut, mourons pour elle.

[15] Procès-verbal de la confédération des gardes nationales des quatre départements formant ci-devant la province de Bourgogne et pays adjacents faite sous les murs de Dijon le 18 mai 1790. Dijon, 1790, in-8°, p. 37.

[16] La première fois que la Société d'Auxonne parait dans le Journal des Débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, c'est le 29 mars 1792. (Correspondance, n° 42, 18 avril 1792.)

[17] Iung, II, 78.

[18] Coston, I, 161, dit que Napoléon laissa à Auxonne un billet de 100 livres entre les mains d'un marchand de drap pour fourniture d'étoiles ; un autre de 15 livres envers un fourbisseur pour le prix d'une épée de rencontre à poignée de cuivre dore, et une reconnaissance de la livraison d'une petite fourniture de bois, Pichard, loc. cit., p. 79, dit qu'il devait à M. Louvrier, fournisseur à Auxonne 300 et quelques livres, prix de son nouvel uniforme et qu'il les lui envoya quelque temps après et non, comme on l'a dit, seulement quand il fut consul.

[19] Marmont (Mémoires, I, 17) dit que d'Auxonne, Napoléon venait souvent avec Lelieur de Ville-sur-Arce à Dijon pour voir Marmont, cousin germain de Ville-sur-Arce. Il fit de même un voyage en Bourgogne, ce qu'il appelait son voyage sentimental à Nuits — ce qui a donné lieu à Walter Scott de penser que Napoléon avait voulu écrire un voyage à la façon de Sterne. L'Empereur, à Sainte-Hélène, a raconté son souper à Nuits chez Gassendi, sa réception chez une dame Maret ou Muret (Mémorial, V, 166), les lances qu'il avait rompues pour ses idées. Ces idées, quand il était empereur, il n'aimait point trop qu'on les lui rappelât : un jour, au conseil d'État, Gassendi dans la discussion s'appuie d'une théorie des économistes ; l'Empereur l'arrête : Mais, mon cher, qui vous a rendu si savant ? Où avez-vous pris de tels principes ? Gassendi répond que c'est de lui, Napoléon, qu'il tient cette opinion. Comment ! de moi ? s'écrie l'Empereur.... Allons, mon cher, vous vous serez endormi dans vos bureaux et vous y aurez rêvé tout cela. (Mémorial, IV, 292.) Gassendi n'avait point rêvé, mais il avait trop bonne mémoire. Au surplus, cela ne lui nuisit point. (Voir Jules Arnoux, Le général Gassendi, Digne, 1891, in-8°.)

[20] On est en droit de se demander si Napoléon, à l'exemple de la plupart des officiers et des patriotes ne s'était point fait recevoir maçon, soit à la loge de la Sagesse, O.*.dc Valence dont le vén.*. était de Planta, ancien officier de cavalerie, soit à la Parfaite union, O.*. de Bastia dont le vén.*. était Le Changeur père. Il passait pour avoir reçu au moins les premiers grades et on en a pour preuve la réception qui lui fut faite par les maçons de Nancy à son retour de Rastadt, mais, de certitude à ce sujet, nul n'en a et les écrivains maçonniques ne sont rien moins qu'affirmatifs.

[21] Notice sur le comte Jean-Pierre Bachasson de Montalivet, par le comte Camille Bachasson de Montalivet. Paris, 1867, in-8°. Voici comment Chaptal, Mémoires, 183, raconte le fait : La préfecture de la Manche étant venue à vaquer, le Premier Consul ordonne à Chaptal, alors ministre de l'Intérieur, d'écrire à Montalivet pour lui offrir cette préfecture. Montalivet se rend à Paris, à Malmaison où il passe toute la journée. Napoléon l'accable de questions relatives à son séjour, à Valence, ce qu'ils y ont fait, les personnes qu'ils y ont connues. Il lui demande avec intérêt des nouvelles d'une limonadière chez laquelle ils allaient prendre le café. Sur la réponse qu'elle vivait encore : Je crains de n'avoir pas payé exactement toutes les tasses de café que j'ai prises chez elle. Voilà cinquante louis que vous lui ferez passer de ma part.

[22] Souvenirs d'un officier royaliste, II, 142.

[23] Je jure d'employer les armes remises entre mes mains à la défense de la Patrie et de maintenir contre ses ennemis du dedans et du dehors la Constitution décrétée par l'Assemblée nationale, de mourir plutôt que de souffrir l'invasion du territoire français par des troupes étrangères et de n'obéir qu'aux ordres qui me seront donnés en vertu des décrets de l'Assemblée nationale.

[24] Publiée Histoire parlementaire de la Révolution, par Buchez et Roux, XVII, 56.

[25] Paoli, sans doute.

[26] Pièce XLI.

[27] Pièce XLII.

[28] Pièce XLV.

[29] Pièce XLVII.

[30] Pièce XL.

[31] Pièce XLIV.

[32] Pièce XLIII.

[33] Pièce XLVIII.

[34] Pièce XXXIX.

[35] Pièce XLIX.

[36] Pièce XLVII.

[37] Pièce L.

[38] Pièce LI.

[39] Pièce LII.

[40] Histoire de l'Académie de Lyon, par J.-B. Dumas, Lyon, 1840, 2 vol. in-8°, I, 144. F. Bouillier, L'Institut et les Académies de Province, p. 138. Coston, II, 150.

[41] Coston, II, 150.

[42] Documents biographiques par P. C. F. Daunou, par Taillandier. Paris, 1847, in-8°, p. 27.

[43] Quantité de légendes sont en circulation à propos de ce discours que l'on croyait perdu à jamais, sauf le fragment publié en 1826 chez Baudouin frères par le général Gourgaud. On a dit que Talleyrand était parvenu à se procurer le manuscrit original dans les archives de l'académie de Lyon et l'avait présenté à l'Empereur qui l'avait jeté au feu. On a dit que ç'avait été M. Bureaux de Buzy, préfet du Rhône, qui avait été l'auteur de la soustraction et peu s'en est fallu qu'on n'ajoutât que c'était par ordre de l'Empereur. D'autre part, à lire l'avertissement en tête de l'édition Gourgaud, on croirait qu'on a là, sauf une ligne, le discours entier, d'après une copie que Louis aurait prise et qui depuis se serait multipliée. Or, la partie du discours publiée en 1826, et réimprimée depuis par tous les auteurs qui ont écrit sur la vie de Napoléon forme à peine la moitié du discours complet et la partie, inédite jusqu'ici, semblera sans nul doute de beaucoup la plus personnelle, la plus intéressante, la plus élevée de style et de pensée.

[44] Souvenir de M. de R., II, 139.

[45] Coston, I, 170.

[46] Coston, I, 179. On ajoute, ce qui est encore moins probable, que Napoléon ne prévint peint son colonel du congé qu'il avait obtenu.