NAPOLÉON DANS SA JEUNESSE

 

1769-1793

§ 9 bis. — FIN DU SÉJOUR À VALENCE (AOÛT-SEPTEMBRE 1786).

 

 

Il est inutile de démontrer que, en 1786, Napoléon n'a pu, comme on l'a dit, ni connaître l'abbé Raynal[1], lequel n'est revenu en France qu'en 1787, ni lui soumettre une histoire de Corse qui était au plus dans son esprit à l'état de projet.

Mais il est un point qu'il importe d'examiner On a dit que Napoléon avait été appelé, de Valence à Lyon, avec son bataillon, le 12 août 1786, pour réprimer une révolte occasionnée par la levée du droit de Banvin et où se mêlait surtout une question de salaires ; que le détachement dont il faisait partie arriva à Lyon, le 15, et que Bonaparte fut logé dans la maison de veuve Blanc à la montée de Montribloud, à, l'extrémité de la commune de Vaise[2].

Napoléon se serait, ajoute-t-on, trouvé si bien à Lyon qu'il aurait écrit, le 20 septembre, à son oncle Fesch à Ajaccio : Je quitte Lyon avec plus de peine encore que Valence, je me trouvais si bien dans cette ville qu'il me semble que j'aurais voulu y passer ma vie, mais il faut suivre sa destinée et surtout se plier aux exigences de son état. Un soldat ne doit pas s'attacher à autre chose qu'à son drapeau[3].

Enfin, le 21 septembre, Napoléon aurait pris avec son régiment la route de Douai où il devait désormais tenir garnison et il y serait arrivé le 17 octobre. On a même publié l'itinéraire qu'il aurait suivi[4].

 

Or, depuis le 1er septembre, Bonaparte était parti de Valence en semestre pour Ajaccio. Parti de Valence pour semestre à Ajaccio 1er septembre 1786, écrit-il dans Époques de ma vie.

En admettant donc qu'il ait pu aller à Lyon et qu'il y soit arrivé comme on le dit le 15 août, il en est reparti pour Valence deux ou trois jours au moins avant le 1er septembre. Cette date de son congé, il la connaissait depuis près d'un an, puisqu'il l'écrivait à M. Amielh le 25 novembre 1785. Il savait pertinemment[5] que les Corses avaient le privilège de partir en congé un mois avant les autres officiers et il n'eût point été si fou que d'y renoncer alors que, depuis sept ans et neuf mois, il n'avait revu ni sa patrie ni sa famille. Ces dates, c'est lui-même qui les précise : « Je suis donc, dit-il, arrivé dans ma patrie sept ans et neuf mois après mon départ, âgé de dix-sept ans un mois. » Cela met au 15 septembre : Il a donc mis quinze jours à faire le voyage : n'a-t-il pas dû en effet s'arrêter à Aix, probablement à Marseille — on trouve sur son cahier le nom de M. Allard fils, négociant à Marseille, place des Augustins, — enfin attendre une occasion pour Ajaccio ?

En tout cas, il était à Ajaccio le 15 septembre. Il n'a donc pu ni écrire de Lyon à Fesch, le 20 septembre, une lettre, d'ailleurs si peu conforme à ce qu'on doit attendre de lui alors qu'il va enfin retrouver les siens ; ni faire la route de Lyon à Douai avec le régiment de La Fère ; ni passer cinq mois à Douai[6], d'octobre 1786 à février 1787.

 

 

 



[1] Iung, I. 162, d'après Coston I, 98 avec l'indication Mss. Archives de la guerre.

[2] Honoré Vieux, Napoléon à Lyon, p. 4 à 11.

[3] Cette lettre republiée par M. Iung (I, 166) faisait, dit M. Vieux, partie de la collection d'autographes de M. Deschiens, de Versailles. On serait aise en vérité de la voir.

[4] Coston, II, 78, republié par Iung, I, 337, et récemment dans l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux.

[5] Lettre du général d'Anthouard à M. de Coston, citée par le baron de Coston, Lettres de Louis Bonaparte, p. 15.

[6] Iung, I, 170 : d'après Coston, I, 106.