NAPOLÉON ET SA FAMILLE

VOLUME VIII. — 1812-1813

 

XXVIII. — LES ROIS NAPOLÉONIENS EN FRANCE.

 

 

Août 1813-janvier 1814.

JOSEPH. — JÉRÔME. — JOSEPH. — LOUIS. — JOSEPH.

 

A Mortefontaine, Joseph n'a point trouvé Julie : elle achève sa saison de Vichy et n'arrive que deux jours après sen mari. Plus maîtresse de soi et plus capable de se dominer, elle s'est donné, vis-à-vis de l'Empereur, une attitude qui contraste singulièrement avec les sentiments qu'elle exprimait tout à l'heure à Miot de Mélito. A ce tyran qu'on n'aborde qu'en tremblant, elle s'est déclarée bien touchée de la bonté qu'il a eue de lui faire faire la communication, par son ministre de la Guerre, des dispositions qu'il a arrêtées relativement à ses armées d'Espagne. C'est, a-t-elle écrit, une preuve nouvelle de son affection pour nous. Sans doute a-t-elle marqué, mais avec quelle adresse et quelle légèreté de main, le sacrifice que fera le roi en se conformant aux intentions de Sa Majesté, après les difficultés qui s'étaient élevées entre lui et le maréchal Soult ; mais elle est tellement sûre de l'entier dévouement du roi pour la personne de l'Empereur qu'elle n'hésite pas à croire qu'il se conformera entièrement à ses vues. Elle est entrée pleinement dans son rôle en sollicitant la bonté qui appartient au cœur de l'Empereur en faveur des Espagnols qui ont accompagné le roi, des personnes qui sont à son service, des militaires qui forment sa garde. Permettez-moi, Sire, a-t-elle dit enfin, de vous demander la continuation de, vos bontés ; nous la méritons par les sentiments de reconnaissance et d'attachement que nous portons à Votre Majesté.

Moins impulsive et plus adroite igue Joseph, Julie s'est établie ainsi la médiatrice entre les deux frères qu'elle a su déjà réconcilier tant de fois ; elle porte, là comme ailleurs, avec son air de douceur et de soumission, cette ténacité dont elle ne se départ, jamais, cette aménité qui triomphe des colères, cette abnégation de la fidélité de Joseph et ce dévouement à sa personne qui l'éclairent sur les moyens de le tourner. Quoique vivant très retirée, ce qui convient à ses goûts, ne se mêlant apparemment de rien qui soit politique, et s'écartant par système des intrigues de la Cour impériale, elle a été la seule dans l'Empire et dans la Famille, à n'avoir fait depuis dix ans que ce qui lui a plu, à avoir gardé sur l'Empereur une sorte d'autorité, à avoir conservé ses amis, fussent-ils factieux, à avoir imposé ses parents, fussent-ils hostiles à a France, et à s'être établie sur un bort pied avec Marie-Louise :

Sans doute n'y a-t-il pas d'intimité, mais Julie s'est sentie portée vers la nouvelle impératrice par l'antipathie qu'elle éprouvait contre l'ancienne ; elle s'est point jetée à sa tête ; elle a su, pour contenter à la fois la vanité de son mari et ses propres goûts de retraite, trouver d'honnêtes prétextes, pour s'abstenir des fêtes et des cérémonies où la reine d'Espagne n'eût point reçu tous les honneurs que réclamait le roi catholique et où Mlle Clary fût, contre son gré, sortie de son milieu d'habitude ; mais elle a su inspirer une sorte d'intérêt pour sa faiblesse, sa mauvaise santé, l'abandon où elle vit, et la dignité qu'elle y porte. Marie-Louise s'ennuyait à Saint-Cloud, cherchait les distractions honnêtes que lui permettrait la jalousie de l'Empereur, et elle a saisi avec empressement l'occasion qui lui était offerte d'admirer Mortefontaine, deux jours durant, ce coin de France à ce point pittoresque que l'art du jardinier n'est-pas ; parvenu à y gâter la nature. Elle y a trouvé réunis, par les soins intelligents de Julie, ce qu'elle préfère à tout : des chevaux de miracle sur qui elle a fait de grandes promenades ; des gâteaux inédits, car pour cette occasion, Carême a exécuté pour la première fois des génoises à la reine, qui sont restées estimables, enfin un spectacle gai, comme elle n'en a ni aux Tuileries, ni à Saint-Cloud, des farces de Vaudeville : Amour et mystère et Gaspard l'avisé. Cela s'est passé le 8 juin, à la veille du départ de Julie pour Vichy, et, sans qu'il en résulte une présomption d'intimité avec Marie-Louise, du moins doit-on en conclure que la reine a su faire ce qu'il faut pour ménager la bonne volonté de l'impératrice.

Mais Joseph est en ce moment le moins traitable ; si l'Empereur est irrité et offensé, lui est dépité et rancunier, à la façon corse. Il en veut à son frère des échecs qu'il a subis, des sottises qu'il a commises, du trône qu'il a perdu, de la morne tranquillité qui lui est ordonnée, de Clarke qui l'a brimé, de Clausel qui ne l'a pas rejoint, de Soult qui l'a remplacé, il lui en veut de tout et encore d'autre chose, d'être l'Empereur, par exemple. En admettant, comme le rapporte Rœderer, qu'il daigne confesser son insuffisance sur certains points subalternes et accessoires du métier militaire, il' ne met pas un instant en doute que ce ne soit la jalousie de son frère, les ordres du ministre de la Guerre, l'insubordination des généraux, les obstacles qu'on a mis de tous côtés à ses desseins politiques qui aient causé son retour. De désastre, il n'y en a pas, il n'y en eut jamais : Il laisse l'armée plus forte du double que celle qu'il avait à Vitoria. Sa confiance en son génie politique, administratif, diplomatique, financier, militaire, n'est pas un instant ébranlé ; il est méconnu, il est persécuté, mais est satisfait de lui-même — et c'est assez.

Toutefois, sa dignité royale lui interdit de tolérer les entraves qu'on mettrait à sa liberté, de même, que de supporter les propos qu'on oserait tenir contre lui, et elle le met en droit de commander à tous, comme si, en France, il était souverain. Dès le jour de son arrivée, il mande impérieusement Rœderer à Mortefontaine, et c'est pour se plaindre qu'on retienne ses armes de chasse — à quoi nul n'a jamais pensé ; qu'un secrétaire de l'archichancelier ait parlé contre lui — ce dont Rœderer n'a point de peine à justifier M. Lavallée ; qu'on ne s'occupe pas des réfugiés espagnols — alors que l'Empereur y consacre 200.000 francs par mois et qu'il a désigné le comte Otto pour en faire la répartition de concert avec M. Azanza, duc de Santa-Fé ; mais ce sont là des escarmouches ; voici la bataille : Joseph entend que Rœderer rapporte à l'Empereur que, pendant l'absence de Sa Majesté, le roi trouve fort convenable de rester à Mortefontaine dans un scrupuleux incognito, mais qu.il s'afflige que l'Empereur n'ait pas jugé suffisant de lui faire connaître que tel était son désir et qu'il ait manifesté par un ordre précis un mécontentement que le roi croit n'avoir pas tout à fait mérité, ayant au moins donné aux troupes l'exemple d'une bravoure et d'un dévouement dignes de son nom et de son rang. Sous les phrases dont Rœderer enveloppe ces réclamations, n'y a-t-il point toute la révolte et l'apologie entière, le refus de rester à Mortefontaine contraint et forcé et la déclaration de guerre ou peu s'en faut ?

Rœderer y ajoute, comme de Joseph, l'admiration pour le grand spectacle que Sa Majesté offre en ce moment au monde et à la postérité, les vœux pour le succès de ses négociations et la gloire de ses armes ; du patriotisme par-dessus. Ayant rencontré dans un appartement le portrait du prince de Suède, le roi s'en trouva choqué, écrit Rœderer, et s'exprima sur la défection de cet infidèle français comme il convenait à un prince de votre sang ! Sans doute, Joseph choisit-il le moment où la princesse de Suède était absente, car il est poli et hospitalier. Enfin, il fait assurer l'Empereur qu'il attend avec confiance son retour et il me semble, conclut Rœderer, qu'il ne manque à ses bonnes dispositions que ce que peut y ajouter votre présence.

Rœderer est un bon ami ; il s'entend à mettre de l'huile dans les rouages et, depuis l'an VIII, il a pris assez d'habitude des deux frères pour avoir expérimenté tous les, moyens de les rapprocher ; mais, lorsque Joseph parle ou écrit lui-même, ce n'est plus le même langage. Voici approcher le 15 août ; il faut bien que le roi fasse son compliment. Nulle démarche ne saurait lui coûter davantage et l'on sent son agitation au style incorrect, à l'écriture heurtée, aux mots suspendus, à l'absence des formes : Sire, écrit-il, Votre Majesté Impériale et Royale recevra cette lettre au moment où beaucoup d'autres parleront de leurs vœux et de leurs félicitations au sujet de sa fête. Votre Majesté accueilla elle (sic) avec quelque intérêt !! Je désire sincèrement soit bien convaincue que jamais personne n'a fait et ne fera de vœux plus sincères pour son bonheur et sa gloire. En contraste, il faut mettre la lettre qu'écrit Julie, celle qu'elle fait écrire par les infantes, Zénaïde et Charlotte : Julie s'empresse de déposer aux pieds de l'Empereur les sentiments de reconnaissance et d'amour dont elle est pénétrée pour lui ; cet hommage est celui du cœur. — Daignez aussi, dit-elle, accueillir avec les vœux que je fais pour la conservation des jours de Votre Majesté, la prière que je lui adresse de me continuer sa bienveillance : je tâcherai, Sire, de m'en rendre toujours digne. Et elle est, avec le plus profond respect, de Sa Majesté, la très humble et très obéissante servante et très affectionnée sœur.

Elle fait mieux : pour le 15 août, elle qui hait à la mort tout déplacement qui n'a pas sa santé pour objet, elle va passer vingt-quatre heures à Saint-Cloud auprès de l'Impératrice ; toutefois, sans l'accompagner à Paris, ni participer aux fêtes officielles, car elle ne se montre point, ne se compromet pas, et se garde des démarches publiques. Tout, en sa conduite, est prudence et calcul, et elle chemine à pas menus, à travers les difficultés et les embûches, glissant sa mince taille souffreteuse avec des airs d'humilité dont on ne se méfie pas, car elle garde, au dedans d'elle, l'ironie qu'inspire à son esprit de bossue le spectacle des choses.

 

Ce Mortefontaine est à ce moment un étrange théâtre. Le cadre est curieux par lui-même et sans autre analogue que, peut-être, Malmaison. L'ancien château que, vers 1740, construisit M. Le Pelletier de Mortefontaine sur les terres faisant partie de la châtellenie de Montméliant vendue en 1599 à François Hotman par l'abbé de Saint-Denis, subsiste tel que Joseph l'a acquis, en l'an VII, des héritiers de Duruey, trésorier des Affaires étrangères. C'est une grande bâtisse, renflée au centre d'un avant-corps à fronton sans style, flanquée aux deux ailes de pavillons à toiture séparée, celui de droite moins élevé d'un étage que celui de gauche. Sur le sous-sol où il y a caves et calorifères, un rez-de-chaussée avec antichambre, salle à manger, salle de billard, petit et grand salon, bibliothèque et trois pièces à feu ; en entresol, dans un des pavillons, un appartement séparé de six pièces ; au premier étage, salon, bibliothèque, salle d'armes, dix chambres de maître ; à l'étage du comble, très élevé, quatorze chambres de maître et quatre chambres de domestiques mansardées.

Rien là de princier ; Joseph, avant de reconstruire le château s'est attaché aux communs : d'abord, les pavillons d'entrée, à droite et à gauche de la cour d'honneur ; puis, attenant au bâtiment principal, une immense orangerie qui, comme à Saint-Cloud, conduit à une salle de spectacle, à parterre, loges grillées, premières et paradis, avec des loges pour les acteurs et des magasins pour les décors ; puis, des bâtiments sans fin : cuisines, garde-manger, écuries, remises avec vingt-chambres au-dessus, mais rien été changé au château lui-même, resté l'habitation d'un particulier riche, au milieu du dernier siècle, — par suite, assez délabré et pas du tout à la moderne.

De même, dans le Petit parc qui s'étend sur trente-sept hectares, M. de Saint-Même, intendant des bâtiments, a respecté presque religieusement les dispositions de M. Mortefontaine, l'un des premiers qui, avec M. de Girardin, aient déshonoré les jardins français par l'anglomanie pittoresque. Il s'est plu à tordre les allées, à irrégulariser les miroirs, à supprimer la symétrie des couverts, à semer dans les lointains des fabriques de tous les styles. Joseph y a raffiné. Il a construit une volière en colonnade qui suit l'orangerie ; il a élevé sur la glacière un pavillon à trois étages qui rappelle à la fois les Panoramas du boulevard et la façade des Variétés ; il a édifié un temple dans une perspective qui veut être à la Poussin — c'est La Borde qui l'assure ; il a dédié des autels champêtres à des divinités ignorées, des obélisques à des gloires inédites, des tombeaux de marbre noir à des mânes innommées. Dans le pare encore, pour l'utilité, des maisons (le jardiniers, des granges, des maisons rustiques, tout un village enjolivé et faisant des points de vue.

Mais ce Petit parc est de la première acquisition, ainsi que le Grand parc et les étangs[1] : c'est la terre de Mortefontaine telle que l'avaient laissée les Duruey, déjà singulièrement agrandie, il est vrai, de biens nationaux parles héritiers du guillotiné ; mais, à peine propriétaire, dès l'an VII, Joseph s'est arrondi et, depuis lors, pas un mois sans achat : au citoyen Leduc, pièces de terre à Plaillv ; au citoyen Brochet de Vérigny, la remise de Maubuisson et les débris du domaine de Bertrandfosse ; au citoyen Cucul, terres à Vémars ; au citoyen Ronial, maison, grange, jardins à Mortefontaine ; au citoyen Legrand, moulin à Neuf-Moulin avec cent arpents, terres et prés ; aux héritiers Magnier, terres à Charlepont ; au citoyen Lhoste-Beaulieu, cinquante arpents à Mortefontaine ; au citoyen Cartier, terres à Mortefontaine ; au citoyen Brimeur, terres à Plailly, au sénateur Cambiaso, le domaine de Survilliers — 244 hectares pour 226.000 francs — château, communs, ferme, moulin, terres et bois. Et l'Empire venant, des maisons, des terres, des bois, des prés, des héritiers Delaviers, des conjoints La Basque, des conjoints Saugeon, du sieur Haine, du sieur Moreau, des héritiers Perrel, du sieur Brimeur, du sieur Fieffé, des héritiers Porlier-Pagnon, de Mme veuve Séguin, des héritiers Frénot, du sieur Foulon, du sieur Legrand — sans compter l'État, auquel en vertu d'une loi du 16 septembre 4807, il échange, contre 70 hectares de bois en Halatte, 87 hectares en forêt d'Ermenonville et de Saint-Laurent. Moyennant les échanges et contre-échanges que ménage M. Bouchant, lequel administre avec une compétence et un dévouement admirables et fait profiter Joseph de la popularité que lui valent l'ancienneté de sa famille en ces pays, les fonctions que ses ancêtres ont remplies, celles auxquelles l'ont. appelé ses concitoyens, le domaine de Mortefontaine auquel ont été joints ceux de Survit-tiers, de Saint-Vitz et de Saint-Sulpice, les fermes de La Grange, de Mortefontaine, de Vémars, de Moussy-le-Neuf, de Neuf-Moulin, de Montméliant, de Prunelay, de Long, de Beaumarchais, de Plailly et de Charlepont s'étend à présent sur 6.315 arpents — 3.158 hectares — et forme le plus bel ensemble pour l'agrément, pour la chasse et pour la pêche.

Toutefois, on sent la hâte et le disparate. Malgré la diplomatie de Houchard, certains propriétaires ont refusé de se laisser tenter. L'achat de domaines où des châteaux et des maisons s'offraient pour loger les invités, tous les habitués et familiers, surtout la parenté Clary, a empêché Joseph, constamment absent d'ailleurs depuis 1806, de bâtir un palais digne d'un tel cadre. Mortefontaine n'a gagné que pour la chasse à s'étendre sur des cantons où la nature est pauvre, le terrain plat, la vue bornée ; du côté d'Ermenonville, où le pittoresque doit si peu à l'art des jardins, il n'y a eu rien à gagner et M. de Girardin n'était point homme à vendre son domaine, sauf à l'Empereur, et si celui-ci le lui eût payé trois millions. Il en avait été question en 1811 et Joseph eût alors cédé Mortefontaine pour six millions ; c'était, disait-il, le prix qu'il lui en coûtait : cela est de tous points vraisemblable.

 

Dans ce décor, la société la plus étrange et la plus cosmopolite. De Français, d'abord ; la famille de Julie, si nombreuse et si bien reniée : les cousines Lejéans, dont une a été Mme Maurice Mathieu et dont l'autre est Mme Clément de Ris ; les neveux Clary, fils et gendres d'Étienne qui vit en Provence, Marius Clary et Henri Tascher que Joseph veut faire rentrer au service de France ; puis les fils et les filles de Mme Antoine de Saint-Joseph ; au premier rang, Mme Salligny, dont le mari, capitaine des gardes à Naples, fut créé par Joseph, duc de San Germano ; elle se partage entre Mortefontaine et Paris, où, dans quelques mois (15 novembre), elle va convoler avec Decrès, ministre de la Marine, que l'Empereur vient de faire duc d'Empire, mais elle laisse à demeure sa fille, Moïna, ainsi nommée par Joseph de l'héroïne de son roman de jadis. L'autre Mlle Antoine, la duchesse d'Albufera, est bien moins assidue : entre Joseph et Suchet, les choses ont été si mal que le roi, non sans quelque apparence de raison, accuse le maréchal d'avoir contribué à sa chute. On voit peu le personnage le plus important de la famille, Nicolas, le frère de la reine. Il a trop d'affaires : si, depuis l'an VIII, il a quitté Marseille, laissant à des commis avec qui il correspond chaque jour, cette maison de commerce d'où, à la façon des grands marchands de Venise et de Gênes, il trafiquait de toutes choses sur les côtes de la Méditerranée, depuis la mer Noire jusqu'au détroit de Gibraltar ; s'il n'est plus, comme il fut avant le Consulat, le banquier et l'homme d'affaires de Fesch, de Madame et de Bonaparte lui-même, il n'a point renoncé à faire valoir son argent, celui de ses parents, de Joseph, de Bernadotte et des autres. Il a chaque jour les agents de change prenant ses ordres ; chaque jour, une correspondance immense avec les places de l'étranger, Londres, Hambourg, la Russie, l'Autriche, même les États-Unis. Il vit entre sa mère qu'il conserva jusqu'en 1815, sa jeune femme, Mlle Rouyer, qu'il a épousée en 1809, et ses jeunes enfants. D'ailleurs, il a ses terres : la Grange-la-Prévôté, près de Corbeil, qu'il a rachetée de son beau-frère Bernadotte, et le Lieutel, près de Montfort-l'Amaury ; mais, s'il ne vient guère à Mortefontaine pour son plaisir, nulle affaire d'argent n'y est traitée sans lui. Il est l'homme sur qui tout repose, qui tient tous les fils, et sur qui chacun compte — même le roi, même le prince, même les maréchaux, les généraux et les sénateurs de la famille. Il en est la puissance : il a l'argent.

Par contre, la sœur de Nicolas, la princesse de Suède, ne sort pas de Mortefontaine. Napoléon a vainement cherché à se servir d'elle près de Bernadotte, se flattant qu'elle aurait conservé assez d'influence sur son mari pour qu'il tint compte des avis qu'elle lui ferait passer et qui pourraient le détourner de sa voie : mais Désirée a la rancune tenace, et, outre qu'elle n'a jamais pardonné à Napoléon son infidélité ancienne, elle lui reproche à présent de l'avoir privée de son délicieux Chiappe, exilé sous prétexte de sous-préfecture à Alba-Pompeia. Chiappe, juste alors, a reçu l'autorisation de rentrer à Paris et s'est empressé à Mortefontaine, ce qui peut bien paraître une satisfaction donnée à la princesse de Suède, mais trouvera-t-elle jamais que ce soit assez faire pour elle ? Pour Bernadotte, s'il continue à correspondre avec Désirée, c'est qu'il attend d'elle des renseignements qui profitent à lui, non certes à son rival.

Or, à Mortefontaine, qui sait écouter et retenir est merveilleusement placé : sans doute n'y rencontre-t-on ni ministres, ni grands dignitaires, ni président du Sénat ; sans doute n'a-t-on nul secours à attendre des Espagnols venus à la suite de Joseph — le patriarche des Indes, Azanza, Almenara, les chambellans, officiers du palais, aides de camp, officiers d'ordonnance qui animent de leurs uniformes voyants et surdorés les allées du pare, — mais, en cette maison où la plus vertueuse des femmes tient sa cour familiale, ayant à sa droite l'abbé Lécuy, le distributeur de ses aumônes, à sa gauche Mme Damery, gouvernante de ses filles[2], passent et repassent les personnages les plus suspects au point de vue des mœurs, du patriotisme et du loyalisme.

En tête, ce sénateur Jaucourt, premier chambellan du roi, qui fait la navette entre Mortefontaine et la rue Saint-Florentin où Talleyrand attend son heure : avec lui, sa femme, divorcée du duc de la Châtre, que ses bontés pour M. de Jaucourt n'ont point empêchée d'être sensible à d'autres désirs. Après elle, Mme Louis de Girardin, née Navailles, qui divorça du duc d'Aiguillon et dont le mari est divorcé de Mlle Berthelot de Baye, laquelle est remariée au général Hoguereau ; mais elle se contente de l'amour et ne donne pas dans la politique ; tandis qu'il n'en est pas de même de Mme Dessoles — Mlle Picot de Dampierre, — dont le mari, comblé par l'Empereur, recevant tout lorsqu'il s'agit de faveurs civiles, mais repoussant tout lorsqu'il faut faire la guerre et servir militairement, sera des premiers à se lancer dans les conspirations et y rencontrera d'abord Jaucourt. Stanislas de Girardin n'est plus là l'Empereur l'ayant nommé préfet de la Seine-Inférieure le 21 mars 1812, et c'est tant pis, car il est homme d'esprit et de bon sens et il est patriote ; mais, en dehors du jeune Balincourt qui vient d'être nommé chambellan de Julie et qui prendra son parti si vite qu'il l'avait sûrement préparé, il y a constamment attaché, depuis l'an V, à Joseph et à sa fortune, et Faipoult qui, l'ayant-connu à Gènes quand il y préparait la révolution, a subi depuis lors des épreuves où son intégrité a été soupçonnée ; mais au moins celui-là est intelligent ; de plus, il tient à quantité de gens, sait beaucoup de choses et peut être utile en bien des cas.

Avec tous ces gens qui n'ont autre chose à faire qu'à causer et qui, eux, vont et viennent à leur fantaisie, comment Désirée n'apprendrait-elle pas chaque jour des nouvelles ?

 

Cela fait pour Joseph un entourage qui, sans être étonnamment distrayant, permettrait de passer le temps avec agrément. Il y a bien, pour lui déplaire, les sollicitations des Espagnols qui, ayant été de sa maison, se croient un droit à être nourris et qui parfois trouvent à s'introduire : Joseph, en de telles occasions, a des colères, des violences, même des gestes assez peu dignes d'un roi catholique. On prétend qu'à la suite, il en coûta cher aux Français des garnisons de Lérida, Méquinenza et Monzon. Toutefois les précautions sont si bien prises que le cas est rare. L'existence pour l'ordinaire est celle de gens de château, oisifs et riches. On déjeune dans quelque fabrique du parc ; on chasse, on pêche, on navigue, on na parle point d'affaires ; on dîne, on joue au billard et on se couche. Ce roi se porte bien et il engraisse — mais il s'ennuie. Aussi, malgré les ordres qui lui ont été signifiés, vient-il à Paris : il désire, paraît-il, voir, quelques représentations théâtrales ; surtout, il prend des distractions extraconjugales. La marquise de Monte-Hermoso n'a point trouvé gîte à Mortefontaine et il va la rejoindre.

Le 23 août, Miot, compagnon habituel de ses escapades, reçoit, à Mortefontaine, du ministre de la Police, un billet l'invitant à passer chez lui. Il le communique au roi qui s'inquiète, et il part pour Paris. L'Empereur, dit Savary à Miot, a été instruit que son frère faisait, dans le plus strict incognito, des courses à Paris ; ces courses déplaisent beaucoup, peuvent donner lieu à quelque rencontre fâcheuse et, dans les circonstances où l'on se trouve, un éclat qui pourrait faire soupçonner le refroidissement qui malheureusement existe entre les deux frères serait nuisible : à l'un et à l'autre. Savary propose donc que, si le roi a ses motifs personnels de venir à Paris, il en instruise la police afin de prendre des précautions pour écarter les dangers auxquels il s'expose dans ces voyages mystérieux. Débat entre Savary et Miot, lequel promet de tout rapporter au roi, Joseph furieux, déclare qu'il renonce à tout voyage à Paris plutôt que de se soumettre aux conditions qu'on veut lui imposer.

En même temps que par Miot, Savary a abordé Joseph par Rœderer, qui a d'abord donné son opinion par écrit, puis est venu à Mortefontaine le 26, le surlendemain du jour où Miot a été reçu par Savary. Joseph ne lui parle de rien, mais la reine. Elle demande si l'Empereur est aussi animé contre le roi que Savary veut le faire croire ; si l'Empereur a littéralement défendu que le roi allât à Paris, si Savary n'outrepasse point ses instructions. Rœderer atténue, excuse, se dérobe et, de même que fit Cambacérès, laisse dans un vague complaisant tout ce qui aurait dû être signifié à Joseph, l'ordre de l'Empereur et le châtiment en vérité bien léger qu'il a prescrit ; il prend simplement la liberté de demander à la reine si le roi, étant sur son trône, mais, absent de ses États, aurait trouvé bon que le roi de Westphalie eût une cour à Madrid. Pour ça, non, répond-elle ; il n'y souffrirait ni le roi de Westphalie, ni le roi de Naples, ni Lucien. Julie admet donc fort bien qu'en l'absence de l'Empereur, Joseph subisse Mortefontaine, mais, à quoi elle s'attache, c'est à obtenir la certitude que le roi ne sera pas obligé d'y passer l'hiver ; il s'y ennuierait et, à elle, l'humidité serait funeste. Quant aux voyages, dont elle parle légèrement, Rœderer comprend, malgré la délicatesse de ses paroles, qu'elle les regarde comme plus indifférents pour l'Empereur que pour elle-même.

On aurait pu penser que ces divers avertissements auraient porté ; que l'arrivée, à la mi-septembre, de la reine de Westphalie accompagnée d'une cour brillante, les parties de campagne que sa présence entraîna, les espèces de fêtes dont elle fut l'occasion, auraient retenu Joseph dans ses châteaux ; mais ce ne fut .pas pour longtemps : car, le 5 octobre, le duc de Rovigo, rencontrant Rœderer à Saint-Cloud, lui dit qu'il était obligé d'avoir avec lui un entretien sérieux au sujet de Mortefontaine, et, dès le G, Rœderer, empêché par la séance du Sénat de quitter Paris, rendait compte à Joseph, par une lettre qu'il avait pris la précaution de communiquer d'abord à Savary, de la conversation qu'il avait eue avec lui. Le ministre lui a dit qu'il était informé que le roi continuait à faire des voyages à Paris, et descendait dans la maison du cardinal Fesch ; il a invité Rœderer à se rendre à Mortefontaine pour obtenir du roi qu'il renonçât. à ces voyages, positivement contraires à la volonté de l'Empereur par qui ils ont été prévus dans les instructions, et sur lesquels, ajoute Rœderer, j'ai cru entrevoir que Sa Majesté a prescrit des mesures rigoureuses. Savary ajoute qu'il n'a pas averti l'Empereur des premiers voyages du roi, mais qu'à présent il y est obligé, qu'il en écrit des ce soir, ainsi que de la mission qu'il confie à Rœderer ; que, si le roi revenait à Paris, lui, Savary, ne croirait pas pouvoir se dispenser de se rendre en personne à la maison où le roi descendrait. Et, comme Rœderer s'efforce de justifier ces voyages, disant qu'ils ont un objet de pur amusement ou de distraction parfaitement étranger aux affaires publiques, Savary répond qu'il n'est pas autorisé à distinguer entre les motifs ; et les objets qui pouvaient déterminer les voyages du roi, qu'il lui est seulement prescrit de les empêcher, et qu'il est très résolu à le faire.

Joseph, en recevant cette lettre de Rœderer, en est vivement offensé, trouvant mauvais qu'il eût écrit au lieu de venir, et il expédie au sénateur, ministre et secrétaire d'État du grand-duché de Berg, son aide de camp Desprès pour lui témoigner son mécontentement de ce qu'il n'avait pas rempli en personne la commission dont il avait été chargé. Rœderer s'excuse sur les affaires du grand-duché et sur les séances du Sénat qui ont pris tout son temps, et, le 15, il arrive à Mortefontaine où il a avec le roi un entretien qui dure trois heures. Il commence par lui dire que sa lettre, ayant été mise sous les yeux de Savary, exprime l'opinion même du ministre de la Police et qu'elle est en fait l'ouvrage de celui-ci. Le roi contesté la fréquence des voyages qu'on lui reproche ; il n'a été vu ni reconnu de personne ; il n'a vu personne avec qui il soit possible d'avoir des échanges d'idées politiques ; l'Empereur n'a pu donner l'ordre qu'on l'empêchât dans le plus sévère incognito, passer quelquefois une heure à Paris pour son amusement ; cette défense ne lui a jamais été notifiée ; elle l'aurait été si elle existait ; elle n'existe pas parce qu'il n'a pu être dans l'intention de l'Empereur de lui imposer une privation inutile et humiliante ; l'Empereur lui a prescrit la résidence à Mortefontaine et l'incognito, comme une bienséance, non comme une peine. Il entend s'imposer dans les plus étroites limites, la réserve de l'incognito, s'interdire tout ce qui pourrait en sortir, mais non supposer que l'Empereur lui eût imposé l'exil ou la prison. Et, après une discussion très animée, Joseph, restant sur ses positions, conclut ainsi : Si je me rencontre avec un ministre, un sénateur, un conseiller d'État, un homme public, j'aurai tort ; si on me reconnaît à un spectacle, dans un lieu public, j'aurai tort ; si la police même est instruite de mon voyage autrement que par des moyens de surveillance spéciale, j'aurai tort ; je veux suivre toutes les intentions de l'Empereur, mais non me croire, sur la parole d'autrui, l'objet de sa malveillance, parce que je ne la mérite ni par mes sentiments ni par ma conduite.

Rœderer, dûment autorisé, rend compte le 16 à l'Empereur de la conversation qu'il vient d'avoir, et l'Empereur, tant est grande sa faiblesse vis-à-vis de son frère qu'il est incapable de tenir la main aux mesures énergiques qu'il a dû prendre vis-à-vis de lui et qui seules pourraient donner quelque satisfaction à l'opinion, l'Empereur désavoue Savary qui a simplement exécuté, en les atténuant même, les ordres qu'il avait reçus : et il le reprend comme d'une injure qui, adressée à un prince de la Famille, l'atteint presque lui-même : La démarche que vous avez fait faire auprès du roi d'Espagne est inconvenante sous tous les points de vue, lui écrit-il d'Erfurt le 23 octobre. Puisque vous connaissiez l'objet de ses voyages à Paris, vous deviez paraître les ignorer. Il y a dans cette conduite peu de tact de votre part. L'art de la police est de ne pas voir ce qu'il est inutile qu'elle voie. Cambacérès et Clarke avaient donc eu raison en dissimulant à Joseph les ordres de l'Empereur : ils savaient ce que duraient ses rancunes et connaissaient les ressources de sa faiblesse. Le gendarme Savary qui n'avait point eu ces finesses en était pour sa leçon.

 

Pourtant, cela dit, point d'autre communication à Joseph : cependant l'Empereur est en pleine retraite vers le Rhin avec ce qui reste de l'armée. Pourra-t-il même l'atteindre ? Le roi, qui s'inquiète à bon droit de n'avoir aucune nouvelle ni de l'Empereur, ni de Jérôme, de ne connaître les événements de Leipzig que par les bruit publics, envoie le 1er novembre Miot près de Savary. Le ministre ne dissimule pas les malheurs de Leipzig, mais il ne croit pas le mal aussi grand qu'on le représente. L'Empereur est à Gotha et se retire sur Fulde où l'on suppose qu'il arrivera avant l'ennemi ; Francfort est couvert par 25.000 hommes aux ordres de Kellermann ; Jérôme a évacué Cassel ; des partis ennemis se sont montrés près de Hanau. Miot rapporte ces nouvelles désespérantes à Joseph qui, presque en même temps, apprend la victoire remportée à Hanau, l'arrivée de l'Empereur à Mayence, son prochain retour à Saint-Cloud.

***

Napoléon y arrive en effet le 8 novembre. Le 11, c'est Jérôme qui fait son entrée, et certes sa venue n'est point pour faciliter les rapports entre Napoléon et Joseph. Quoi que fasse celui-ci, il s'établit toujours une solidarité de l'un à l'autre ; chacun d'eux est néfaste, et si, par une étrange illusion, l'Empereur cherche, trouve même, sinon des excuses, au moins des atténuations aux folies criminelles de Joseph, s'il trouve au contraire des aggravations aux sottises —sans grande conséquence — de Jérôme, le public ne distingue pas, et confond dans la même réprobation les deux artisans de la ruine nationale. Au moins, n'est-ce pas là ce qui préoccupe Napoléon, bien plutôt les formes d'opposition que Joseph affecte dans ses propos et même dans ses actes, et l'embarras que peut causer quelque jour son affectation à rester roi d'Espagne ; et, s'ajoutant à Joseph, c'est Jérôme, ouvertement révolté contre les ordres qu'il a reçus, traînant après lui des prétentions dont on a 'déjà quelques exemples par la conduite que la reine a tenue.

 

Catherine, en effet, a médiocrement réussi en France : elle n'était pas une humble telle que Julie, ni une résignée telle qu'Hortense. Elle portait dans la vie une superbe qui tenait à l'orgueil qu'elle tirait de sa naissance et à l'opinion qu'un amour exalté, quoique peu récompensé, lui avait donné de son mari. Glorieuse de la race dont elle sortait, la moins flexible qui fût, elle ne subissait de contradiction que de son père, devant qui tremblaient ses sujets comme sa famille, ou de Jérôme parce qu'elle l'aimait et qu'elle faisait siennes ses volontés : mais, recevoir d'un autre, quel qu'il fût, des instructions ou des ordres, l'indignait et la mettait hors d'elle-même. Sortie de l'espèce de misère où son père l'avait tenue, associée à l'homme le plus prodigue d'argent, le plus inconscient, le plus vain, le plus désordonné en ses goûts et ses raffinements de luxe, et, en même temps, le plus connaisseur en toutes choses qui s'y rapportaient, elle avait naturellement modelé sa forme de vie sur la vie qu'on menait  autour d'elle, écouté toutes ses fantaisies, épuisé toutes les recherches puisqu'ainsi elle s'imaginait plaire à son mari et que, d'ailleurs, en ce royaume ruiné qui, chaque soir, était à la veille de la banqueroute, on trouvait, chaque matin, tout l'argent qu'il fallait pour payer les somptuosités de la Cour. Elle s'était, elle aussi, mise au régime des dettes, régime dont il suffit de prendre l'habitude pour s'en accommoder fort bien. Plus elle était trompée moins elle en pouvait douter, plus elle cherchait à se rendre belle et désirable pour le détestable amant qu'elle adorait. Grosse comme elle était, tant que, dans la graisse, s'étaient noyées les parties fines et vraiment délicates d'un corps que l'embonpoint avait déformé, elle était faite pour la représentation, la pompe, la grande toilette, mais cela ne la contentait pas. Elle eût voulu être maigre, alerte, vive, spirituelle, comme ces noiraudes de Gènes qui avaient fait les beaux jours — et surtout les belles nuits — de sa cour, comme ces Parisiennes, fleurs du ruisseau, qui s'entendaient si bien à obtenir les bontés du roi. Pour chercher un piquant qui lui échappait toujours, elle se plaisait aux costumes de travestisse-nient qui lui seyaient fort peu, mais dont elle attendait toujours l'aumône d'Un désir. Ainsi, ne pouvait : elle entendre qu'on se fût travesti quelque part sans aspirer à être, parée comme on l'avait été. A l'hiver de 1813, bien qu'il ne dût pas y avoir de bals costumés à Cassel, elle m'ait voulu que Leroy lui envoyât les costumes qu'on avait portés aux Tuileries lors du Carnaval de 1812, dans le- quadrille dit de l'Empire, et elle s'était réjouie en s'habillant, pour elle seule, en femme des environs de Naples et en femme de Corfou : divertissement médiocre qui ne lui avait coûté que 2.286 francs. Sans qu'elle fût, loin de là, la plus élégante et la mieux habillée des femmes de la Famille, elle était celle qui, sans doute — après les Impératrices — commandait les robes les plus chères, et, même arrivé à Meudon, elle ne s'en est pas privée.

 

Il est vrai que, de Meudon, elle est venue fort souvent à Paris ; elle a assisté le 30 mars à la prestation de serment de l'Impératrice régente ; elle a figuré aux dîners de famille ; elle a fait quelques visites à l'Empereur et à l'Impératrice. Mon devoir et mon inclination m'y portent, écrit-elle à son père, — mais c'est pour le cabinet noir. Plus souvent elle est allée dîner chez Madame qui la comblait d'amitiés, ou déjeuner chez Fesch, dont le palais tout de guingois, horreur des architectes, faisait son admiration. Néanmoins, on ne venait point assez à son gré la voir à Meudon. Elle racolait du monde, entre autres Mme de Genlis, mais, était-ce pour la distraire ? Je sors très peu, écrivait-elle, et je ne vois presque personne. Aussi s'ennuyait-elle royalement : Meudon est un séjour désagréable, le temps est détestable ; et pour chercher mieux, à la fin de mai, elle avait quitté sans regret, et était allée passer huit jours à Pont-sur-Seine, chez Madame.

Madame la reçoit à merveille. Elle est très bonne femme et comme elle me témoigne beaucoup d'amitié, je ne puis, écrit-elle, que m'être trouvée fort bien chez elle. N'est-ce pas dire que, pour ce qui n'est point l'amitié, la villégiature fut morose ? Aussi ne prolonge-t-on pas. La reine touche barre à peine à Meudon et repart pour Mortefontaine, avançant son voyage afin de s'y trouver avec Marie-Louise. A Mortefontaine, une vie mieux à son goût, grands goûters, promenades, fêtes champêtres ; mais, Julie partant le juin pour Vichy, il faut revenir à la solitude de Meudon. Il y pleut toujours, l'air y est trop vif, l'ennui y est de règle. La reine y prend les eaux de Forges en espérance d'une grossesse future, elle y monte à cheval cl, s'il faut que, pour maigrir, elle se ronge, elle en a toutes les occasions : La raison elle-même me dicte la patience, écrit-elle ; mais, en m'âme temps, je vous avouerai franchement qu'elle a quelquefois de la peine à prendre le dessus et qu'il me faut bien du courage pour supporter l'isolement dans lequel je vis, car la position de ce château force à la solitude la plus complète ; peu de gins sont tentés de gravir une montagne escarpée pour venir me voir : ce n'est donc rien d'agréable, mais la seule nécessité qui me retient ici.

Elle y reste peu pourtant, mais le peu qu'elle y reste comte cher à l'Empereur. Un détail permet de juger la dépense et les façons des domestiques : Le blanchissage du linge pour le service de la maison de la reine, lequel est fourni par la Maison de l'Empereur, se monte à 600 francs par mois. Le préfet du Palais avait calculé que, vu l'absence que la reine a faite pendant .dix jours, ce blanchissage, devait se monter pour le moins à 100 francs de moins : il s'est fort récrié quand la femme chargée de la lingerie l'a fait monter à 700 francs. En ayant témoigné son mécontentement, la femme lui a écrit une lettre très impertinente, au point que le préfet la lui a renvoyée avec menace, en cas de récidive, d'en porter les plaintes au général comte Caffarelli. Les deux méthodes se trouvent là en présence : l'ordre méticuleux dans la Maison de l'Empereur et le gaspillage de règle dans la maison de Jérôme. Cela-ne peut manquer d'amener des querelles et d'aller jusqu'à l'Empereur, lorsqu'il réglera ses comptes avec cette minutie qui s'inquiète de tous les détails.

De plus, l'Empereur qui est, jour par jour, instruit de ce qui s'est passé dans la résidence de l'Impératrice et du Roi de Rome, ne saurait voir avec plaisir que la reine en use comme d'un terrain commun, traverse le parc à Ionie heure, sans entrer au château pour prendre, en l'absence de Marie-Louise qui est à Mayence, des nouvelles du petit Roi. Passe encore pour le Bas parc, mais c'est tout de même dans le Petit parc, et lorsque, une fois, le 1er août, elle s'arrête pour voir le Roi, c'est à l'heure de sa promenade qu'on doit interrompre tout exprès.

Après le 15 août, où la reine assiste aux cérémonies du jour, de nouveau, voyage à Mortefontaine. Cela non plus n'est pas pour plaire. Sans doute l'Empereur n'a pas prohibé que Joseph la reçût, mais il ne l'a point nommée parmi les personnes qu'il pouvait recevoir, et ce groupement de souverains détrônés et mécontents doit l'offusquer ; Catherine n'en a cure. Elle prend ses habitudes à Mortefontaine ; on y est gai, on y voit du monde, on pêche, on chasse, on déjeune dans les fabriques du parc, tout comme on faisait à Napoléonshôhe et à Catharinenthal. La société même, si étrangement mêlée, et où elle amène encore à sa suite un élément d'étrangeté, car, partout où elle se déplace, c'est avec toute sa cour, a des façons cosmopolites qui amusent. Le contraste en est rendu plus grand avec la triste solitude de Meudon, devenue plus triste encore par le temps froid et pluvieux qu'il y fait ; aussi, n'a-t-elle qu'une idée, retourner à Mortefontaine où, gentiment, Joseph l'attire avec qui elle voudra, avec liberté entière pour ses promenades du matin et ses courses à cheval. Et comme Catherine est à la recherche d'une terre qui serait à elle et où elle s'installerait plus à son goût qu'à Meudon, Joseph lui demande un jour pour aller jusqu'au Plessis et peut-être jusqu'à une campagne beaucoup plus susceptible de rivaliser un jour avec Ermenonville qui l'avait enthousiasmée, mais que M. de Girardin ne voulait pas vendre.

Ce séjour de la reine à Mortefontaine est agréable à tout le monde. Malgré les tristes circonstances où nous nous trouvions, dit Miot, sa présence jeta quelque charme parmi nous. Elle était belle et aimable. Elle cherchait à plaire et y réussissait. Pourtant, au milieu des divertissements qu'on lui offrait, des visites qu'elle faisait autour de Mortefontaine, car, sur les indications de Jérôme, elle ne cessait de s'occuper de la Leyre qu'il voulait acheter, elle recevait de tristes nouvelles de Cassel, et, craignant d'en apprendre qui fussent pires, elle vivait au jour le jour. Dieu veuille que cette triste position finisse bientôt, elle est cruelle, affreuse pour tout le monde, écrivait-elle à Madame le 24 septembre, et, le 26, à son père : Je suis, en attendant, toujours à Mortefontaine où l'amitié qu'on me témoigne m'aide à supporter mes peines.

A sa rentrée à Meudon, elle apprend la première évacuation de Cassel, le départ du roi, obligé, dit-elle, de faire sa retraite avec un habit sur le corps. Cela l'exaspère contre l'Empereur. Si, depuis la reprise des hostilités, écrit-elle à son père, il eût voulu accorder des forces suffisantes au roi qui le lui avait demandé à Dresde, celui-ci ne se serait pas trouvé dans le cas d'abandonner son royaume. Le roi, depuis longtemps, a prédit à l'Empereur tout ce qui, vient d'arriver et lui a fait connaître le mauvais esprit qui règne dans le pays et qui a fait de cette guerre une guerre d'opinion et de fanatisme, ce malheureux peuple ayant été exaspéré par la manière dont le Gouvernement français l'a traité.

Cette animosité qui la domine n'est point passagère : c'est l'Empereur qui est coupable de tous les maux .qui ont accablé la Westphalie, de toutes les injustices qu'a subies le roi, de toutes les disgrâces dont elle-même fut l'objet. Le roi a fait à son frère tous les sacrifices, il a couru des dangers qui font frémir et on cherchait à répandre le bruit dans le public qu'une terreur panique avait fait abandonner Cassel ! Ayant occasion d'écrire sans craindre les indiscrets, elle vide sa poche à fiel ; elle reprend depuis son départ que l'Empereur, dit-elle, avait ordonné ; elle raconte le message qu'elle a reçu en chemin, l'arrêt auquel elle fut contrainte à Compiègne, l'invitation qui l'appela à Trianon, la disposition qui la confina dans ce séjour inhabitable de Meudon. L'Empereur a refusé qu'elle accompagnât l'Impératrice à Mayence, où le roi aurait pu venir. Elle lui a écrit de nouveau pour le supplier de lui accorder une maison à Paris puisque sa santé souffrait de ce séjour-ci, il ne lui a pas répondu. Je me trouvais par là, explique-t-elle, dans la nécessité de passer l'hiver ici, ce qui est impraticable, et si les circonstances forçaient le roi à revenir en France, il se trouverait lui-même sans asile. Tous ses frères y ont des possessions, soit des maisons à Paris ou des terres, et mon mari est le seul qui n'aurait où aller. Il n'a pas voulu acheter d'hôtel, parce que, s'il devait venir en France durant la guerre, il ne voudrait pas habiter Paris en l'absence de l'Empereur ; il s'est donc décidé à acheter une terre ou plutôt un château dans les environs de Paris et de Saint-Denis où j'irai me confiner aussitôt qu'il sera arrangé. Lorsque je l'aurai vu, ajoute-t-elle, je vous en ferai la description.

 

Ainsi, durant qu'elle courait autour de Mortefontaine, à la recherche d'une habitation, Jérôme achetait, sans le voir, et sans que sa femme l'eût vu, un château d'importance, le château de Stains, renommé pour la beauté de son parc, coupé de champs et de prairies, et traversé par le Crould ; la terre des de Thou et des Harlay, où les propriétaires, MM. de Catelan, ont réuni toutes les espèces d'oiseaux aquatiques les plus rares, des cerfs et des biches à tôle et à pieds blancs, les seuls qui existent en France, et un troupeau de moutons mérinos pure race pour lequel ont, été bâties des bergeries pouvant contenir plus de 3.000 hôtes.

Le château a été acheté moyennant 300.000 francs, par les soins et sous le nom du baron de Sorsum et de M. Idelinger, et ce fut seulement un mois après que Jérôme en était devenu propriétaire, le 22 octobre, que Catherine trouva opportun de s'adresser à l'Empereur pour lui demander de sceller de son consentement une grâce que le roi venait de lui accorder. Depuis longtemps, lui écrit-elle, je désirais posséder en France un petit pied-à-terre qui pût être le prétexte de quelques visites dans ce pays et dont le bonheur de voir Votre Majesté et l'Impératrice est le véritable motif. Le roi vient d'accéder à ce désir en m'accordant quelques fonds pour acheter une maison dans les environs de Saint-Denis, située à Stains et appartenant à MM. de Catelan. Quelle que fût la proximité de ce séjour de Paris, il ne suffirait pas au désir que j'ai de voir souvent l'Impératrice dont les bontés sont aujourd'hui ma seule consolation. J'ose donc la supplier de me désigner une maison à Paris dont le séjour m'est ordonné par les médecins. Et elle termine par des considérations sur le froid qu'il fait à Meudon et les peines morales de tout genre qu'elle y éprouve.

Il a de quoi faire éclater l'Empereur. S'il a trouvé que la reine en usait vraiment sans gêne et que, en France, elle oubliait qu'elle n'était pas dans son royaume ; si ces voyages répétés et ce bruit que faisaient Catherine et cette cour qu'elle traînait après et ce mode majeur de pompes souveraines lui ont déplu, à présent ces attitudes de désobéissance lui paraissent intolérables. Aussi, le 4 novembre, à Mayence, il donne mission au duc de Bassano d'écrire à Reinhard, chargé de transmettre ses ordres à Jérôme : La reine, par la conduite qu'elle tient à Paris a déplu à l'Empereur. Le roi préviendra des désagréments et de nouveaux chagrins en faisant venir la reine auprès de lui. Sa Majesté a su récemment et n'a pu l'apprendre qu'avec mécontentement, que la reine s'occupe avec des gens d'affaire d'acheter pour le roi des maisons de plaisance aux environs de Paris et notamment le château de Stains. D'après le Statut de Famille, un prince, monté sur un trône étranger, ne peut rien posséder en France sans la permission de l'Empereur. Les projets du roi sont donc irréguliers. Es sont d'ailleurs l'objet de la risée publique. On comprend difficilement comment un roi, dans sa position, et lorsque la France n'est occupée que de sacrifices pour sauvegarder l'honneur national, se livre à des projets qui lui sont personnels.

Sans doute eût-on pu discuter l'interprétation que l'Empereur donnait au Statut de Famille. Il n'avait empêché ni Joseph de posséder Mortefontaine, ni Louis de posséder l'hôtel de la rue Cerutti et Saint-Leu : ce n'était pas le Statut de Famille qu'il avait invoqué, lorsque, au traité de Bayonne, il avait contraint Murat de lui céder l'Élysée, Neuilly et La Motte Saint-Héraye ; mais cet affichage d'indépendance par la reine l'excédait. Qu'eût-il dit s'il avait su que Jérôme venait d'acheter, en Indre-et-Loire, une terre d'une bien autre importance : le château de Villandry, bâti au XIVe siècle, complété au XVIe, mis à la moderne au avine ? Par une ingénieuse combinaison des gens d'affaires, ce marché et celui de Stains avaient été conclus moyennant 950.000 francs, alors que l'on comptait sur 40.000 livres de revenu utile. Cela d'ailleurs n'eût fait que confirmer les rapports du commissaire général de police à Mayence annonçant les gains de cinq à six millions opérés, au compte du roi, sur les domaines et les capitaux de la Couronne de Westphalie, convertis clandestinement en espèces, par un nommé Moutard, qui, comme intendant de la liste civile, avait remplacé La Flèche après sa débâcle.

Mais ces millions, placés à la Banque de France à un compte M, par l'intermédiaire des banquiers Perregaux, ne paraissaient point et ne faisaient pas scandale, tandis que Stains pouvait le faire. Le roi a fait acheter la terre de Stains, écrit l'Empereur à l'archichancelier. Cette démarche est, je crois, contraire aux Statuts de la Famille ; je désire que vous le vérifiiez. Il me semble qu'il y a un article qui dit qu'aucune acquisition ne peut être faite en France sans nia permission par un prince qui occupe un trône étranger. Si je ne me trompe pas à cet égard, ordonnez au grand juge de faire venir le notaire qui a fait l'acte, de lui faire connaitre les dispositions des statuts et de faire annuler la vente. J'ai ordonné au roi de Westphalie de se rendre Aix-la-Chapelle. Je suis indigné de ce que, lorsque tous les particuliers sacrifient leurs intérêts pour la défense de la patrie, un roi, qui perd son trône. ait assez peu de tact pour choisir ce moment pour acheter des terres et avoir l'air de ne penser qu'à ses intérêts particuliers. J'ai fait connaître au roi de Westphalie que mon intention était que la reine allât le rejoindre.

C'est à Reinhard qu'est revenue cette agréable commission. Le 8 novembre, il s'est transporté à Aix-la-Chapelle et, tout de suite, s'est rendu chez le comte de Furstenstein, Car toute affaire doit passer par le ministre des Relations extérieures. Reinhard s'est borné à énoncer les deux points essentiels : résidence du roi dans un château du Rhin, rappel de la reine. Furstenstein a répondu à Reinhard qu'il eût à venir le lendemain au lever du roi. Mais, ce lendemain, point de lever. Le ministre de France est, condamné à une attente interminable dans les salons de service et s'énerve du manque prémédité d'égards. A une heure seulement, il parvient à se faire annoncer au roi auquel il signifie les ordres de l'Empereur. Jérôme répond que, quant à la résidence, son capitaine des gardes, le général Wolff, parti de Mayence soixante heures après la dépêche du duc de Bassano, lui a porté des propositions différentes, les seules dont il lui plaise de tenir compte. Il ne veut pas de châteaux aux bords du Rhin, mais aux environs de Paris, tout au plus Laëken, cela, à la bonne heure. Reinhard répond par le mécontentement de l'Empereur, l'annulation de l'achat de Stains, le Statut de Famille. — Le Statut de Famille n'a pas empêché le roi d'Espagne d'habiter Mortefontaine, riposte Jérôme. — Il l'a acquis de l'agrément de l'Empereur et l'habite sans voir personne et dans le plus grand incognito, répond Reinhard. — Sans voir personne ! s'écrie Jérôme. Le roi d'Espagne va seulement coucher toutes les nuits à Paris et ce n'est pas pour conjurer, c'est pour s'amuser. Jamais, je ne ferai venir la reine à Aix-la-Chapelle. Cinq cents Cosaques peuvent arriver par Düsseldorf. Rien ne les en empêche. La place de la reine n'est pas aux avant-postes. Reinhard répond que les Cosaques n'arriveront pas plus à Düsseldorf qu'à Laëken. — Oui, c'est comme quand on était à Dresde. On disait qu'ils ne passeraient pas l'Elbe. Si l'Empereur veut que je fasse venir la reine, pourquoi ne fait-il pas venir l'Impératrice ?Parce que, répond Reinhard, l'Impératrice est chez elle et que la reine est chez l'Empereur, qu'elle en reçoit l'hospitalité et qu'elle ne peut la recevoir malgré lui. — Eh bien ! reprend Jérôme, je lui ordonnerai d'aller chez elle, je la suivrai, mais ce sera moi qui commanderai à ma femme. Je sais que je suis sous la puissance du plus fort, mais on sait que j'ai du caractère ; je m'exposerai plutôt à un esclandre et il faudra que celui qu'on enverra soit bien ferme sur ses étriers. Que l'Empereur attende encore quinze jours et il verra ce qu'il peut se promettre des autres membres de sa famille. Je vois des traîtres, comme ce roi de Suède, affermis sur leur trône, et moi, seul resté constamment fidèle, je perds le mien. On m'a fait des propositions pour rester à Cassel. L'Empereur le sait. Il l'a dit au général Wolff. Je pourrais passer le Rhin aujourd'hui, je pourrais retourner dans mes Etats, j'y serais bien reçu !

Et, s'emportant de plus en plus : Au surplus, dit-il, c'est une affaire, de famille entre l'Empereur et moi et, si l'Empereur vous charge de me dire quelque chose, adressez-vous au comte de Furstenstein. Reinhard répond que c'est au roi qu'il est chargé de faire connaitre les volontés de l'Empereur ; que le roi ne voudra pas faire intervenir un tiers ; que, dans ce qu'il a dit, rien n'a pu motiver la colère que fait éclater le roi. Oui, dit Jérôme, j'ai le cœur plein d'amertume et je ne le montre qu'à vous. Je sais qu'en cc moment on traite de mon royaume, qu'on en traite sans moi et que peut-être on l'a déjà cédé. Reinhard demande comment le roi le sait. L'Empereur l'a dit, ou a peu près, au général Wolff et je le sais encore par d'autres sources. Comment l'Empereur justifiera-t-il aux yeux de l'Europe ce procédé envers un souverain et frère si fidèlement dévoué ? Et puis des révoltes ; il est toujours roi, toujours souverain. Souverain, répond Reinhard, Votre Majesté ne l'est pas ici. — Oui, je le suis ici et même plus qu'à Cassel, répond-il. La conférence finit sur des mots si aigres qu'à la suite, Reinhard prend la résolution de ne plus aller à la Cour que lorsque le roi le fera appeler.

La conclusion à tirer pourtant est que le roi renonce en ce moment à se rendre à Paris ; mais il se prévaut des concessions prétendues que l'Empereur aurait annoncées au général Wolff ; il parle du château de Pont où l'Empereur lui aurait permis de se rendre lorsqu'il le demanderait. Cette retraite, dit-il, conviendrait à la reine et beaucoup moins à moi qui préfère Aix-la-Chapelle ; pour appeler la reine près de moi, c'est le château de Laëken qui réunit toutes les convenances.

Reinhard n'a eu qu'à rendre compte. Les instructions qu'il a reçues sont impératives et, du ton que l'Empereur a pris, l'on ne peut guère croire qu'il les ait modifiées sans même donner avis à son ministre. Le roi pourtant, sur des renseignements à coup sûr peu autorisés, se dit en mesure de les contredire : tantôt, ce sont les propositions qu'il a reçues de l'Empereur, par le général Wolff ; tantôt un mot que l'Empereur aurait dit à un de ses courriers qu'il aurait rencontré à Verdun. Il en tire le droit d'aller à Pont ; il compte naturellement d'ailleurs y mener sa maîtresse, la seule dame à la suite de Sa Majesté. Il est vrai que la princesse de Löwenstein est suivie du prince, pauvre prince, pauvre mari, pauvre officier, mais incomparable chambellan, et d'une complaisance ! Elle n'en est pas moins la seule femme, ce qui lui fait une position singulière. D'hommes, il y a quantité, mais un seul influent, Furstentein, qui est en rivalité, même en lutte semi-courtoise, avec la maîtresse, la dit très méchante, très intéressée, bien difficile à renverser, tant elle a porté d'adresse dans sa conduite pour suivre le but qu'elle est parvenue à atteindre.

Après l'audience qu'il a eue, les ordres qu'il a signifiés, Reinhard est convaincu que le roi attendra les nouvelles décisions de l'Empereur. Or, le 11, il reçoit de Furstenstein ce billet : J'ai l'honneur de prévenir Votre Excellence que le roi, mon maître, se mettra en route cette nuit pour se rendre au château de Pont-sur-Seine appartenant à Madame Mère, ce lieu ayant été jugé convenable pour la résidence du roi par Sa Majesté l'Empereur. Reinhard répond par une protestation motivée : Nulle instruction nouvelle n'a infirmé, ni même atténué les ordres que le duc de Bassano lui a expédiés le 4 novembre ; les volontés de l'Empereur sont positives sur deux points, le premier, que le roi s'établisse dans un château des départements de la Sarre, de la Roër ou du Rhin-et-Moselle ; le second, qu'il y fasse venir la reine. L'Empereur a ajouté que, si le roi ne s'y conformait pas, il serait obligé de prendre des mesures pour en assurer l'exécution. Reinhard n'avait d'autre devoir que de faire bien entendre au roi que telles étaient les volontés de son frère. Il ne peut s'écarter de ce devoir, quelles que soient les communications directes que le roi a pu recevoir depuis. Il dégage donc sa responsabilité et rendra compte à son gouvernement de la détermination que le roi a prise.

Sur cette lettre, Jérôme daigne recevoir le ministre, qui lui signifie encore une fois la volonté formelle de l'Empereur et ne lui ménage point les vérités dures à entendre. Le roi lui dit que personne ne lui a jamais parlé ainsi et qu'il ne l'aurait supporté de personne d'autre. Il n'en persiste pas moins dans sa résolution, et se prépare à partir dans la nuit pour Pont, avec la princesse de Löwenstein et le comte de Furstenstein. A ce moment, coup de théâtre : arrivée d'un courrier apportant la nouvelle que l'Empereur a assigné le château de Compiègne pour la résidence du roi. Ainsi tiennent-les résolutions de l'Empereur lorsqu'il s'agit de ses frères. Il donne des ordres et les serviteurs qui exécutent ces ordres — Savary hier, Reinhard aujourd'hui — sont désavoués, repris ou disgraciés.

 

C'est Catherine qui est intervenue et qui a arraché cette grâce de l'Empereur. Elle le raconte le 14 à son père : Lorsque l'Empereur est arrivé à Saint-Cloud, je m'y suis présentée sur-le-champ. Sa première parole a été de nie parler du parti que les circonstances vous ont forcé de prendre et cela d'une manière à me faire voir sa disposition d'humeur sur ce qui se passe. Le lendemain, il s'est radouci et m'a parlé de vous avec beaucoup d'éloges. Ayant appris qu'il ne voulait. pas absolument que le roi vint ici, mais qu'il voulait absolument qu'il restât dans les départements qui bordent le Rhin, j'ai pris mon courage à deux mains et je lui ai demandé une entrevue que l'Impératrice a eu beaucoup de peine à obtenir. Enfin, elle y a réussi et j'ai pu lui exposer, dans une conversation qui a duré une heure et demie et qui a été très vive de part et d'autre, toute la position du roi d'après les sacrifices qu'il a portés, la nécessité de le rapprocher de Paris, en lui permettant au moins de venir à Stains, enfin de nous donner des moyens d'existence en assurant au roi le million de prince français. Il m'a refusé que le roi vînt il Paris ou à Stains pour des raisons politiques qui ne tiennent pas à nous personnellement, mais il m'a accordé Compiègne et c'est là que je compte m'établir et trouver le roi dès demain. Quant au million de prince français, il n'y a encore rien de stipulé et je ne sais encore quand cet article le sera. En attendant, il faudra vivre de l'air du temps.

Le 14, en effet, à huit heures du matin, Jérôme, avec seulement deux voitures suivant son carrosse, arrive à Compiègne où M. de Guerchy, maréchal des logis du Palais, a été envoyé pour le recevoir et l'établir dans le palais. Il est logé dans l'appartement du Roi de Rome. Dans la nuit arrive la reine, qui, après avoir assisté à Saint-Cloud au dîner de famille, est revenue à Meudon prendre les personnes de sa suite et s'est hâtée ensuite vers Compiègne. La Cour se complète le lendemain et les jours suivants ; la maîtresse y est déjà : c'est le personnage important. La reine a sa grande maîtresse, six dames du Palais, un chevalier d'honneur, deux écuyers, un secrétaire des commandements ; le roi cinq ministres, le capitaine de ses gardes, quatre aides de camp, trois officiers d'ordonnance, cinq secrétaires à titres divers, deux écuyers, trois chambellans, un maréchal de la Cour, deux préfets du Palais, un fourrier, quatre médecins, douze pages avec leur sous-gouverneur, et, pour ces cinquante-huit princes, comtes, barons ou chevaliers, il y a quatre fois autant d'employés, d'huissiers, de valets de chambre, de gens de livrée, de cochers et de chevaux, car bien qu'on ait vendu quantité de chevaux à Cologne, au point d'y donner pour 1.900 francs les six admirables brunswickois blancs de grand gala, les mêmes qui au théâtre de Cassel traînaient le char de Trajan, il en est resté sur toutes les routes et, peu à peu ; ils affluent à Compiègne, emplissent les écuries du Palais, débordent dans la ville.

 

Ce ne serait rien encore que le château mis au pillage, les vols organisés par des valets de pied du roi, de complicité avec un nommé Kieffer, emballeur de la reine, mais outre que, de Mortefontaine, Joseph, avec sa cour espagnole, vient rendre visite à son frère westphalien — ce qui n'est pas pour plaire à l'Empereur — Jérôme ne s'occupe pas seulement de faire la cour à la princesse de Löwenstein, de jouer à la paume, de chasser dans le parc, de destituer son intendant de Paris, d'élever ou d'abaisser, selon sa fantaisie du moment, tel ou tel chambellan : il imagine d'ouvrir, par son beau-père, une négociation avec les souverain alliés.

Dès le 5 novembre, Catherine a été employée à tâter le terrain. Mon mari, a-t-elle écrit au roi de Wurtemberg, n'a pu, comme les princes de la Confédération, faire ce que le sang, l'honneur et la reconnaissance lui interdisaient également... Mais il serait bien dur de penser qu'il en sera la première victime, lorsque la paix générale aura rendu à chacun la tranquillité ou au moins une partie de son ancienne existence. Quatre jours après l'arrivée de Jérôme à Compiègne, le 18 novembre, Catherine revient à la charge et s'exprime plus nettement : Je me persuade, écrit-elle, que, s'il est encore quelque justice en ce monde, vous aurez aussi quelque influence à la paix générale et qu'alors vous n'oublierez pas le roi, un gendre qui a toujours eu pour vous les plus aimables procédés. Enfin, le 7 décembre, alors qu'elle n'a rien à refuser à son mari (on le verra bien dans neuf mois), elle risque la démarche décisive : Je vous ai dit plusieurs fois, mon cher père, écrit-elle, combien j'étais pour mon compte éloignée de toute idée ambitieuse, mais puis-je voir sans un mortel chagrin que le roi soit condamné, à la lieur de son tige, à une telle inaction ? La paix qu'on nous fait espérer doit assurer l'existence de tous les souverains et, sans doute, après les sacrifices que vous avez faits à la cause des Alliés, vous avez des droits à obtenir que celle de vos proches ne soit pas oubliée. Si la politique admet quelques principes de justice, on ne pourra savoir mauvais gré au roi d'une conduite que lui imposaient les sentiments d'honneur qui le distinguent et je ne pourrais me persuader qu'on voulût le rendre victime de l'impossibilité où il se trouvait d'agir comme tous les autres membres de la Confédération du Rhin. Jérôme, le lendemain, précise et affirme ses prétentions : Le royaume de Westphalie, écrit-il à son beau-père, a été formé avec le concours de la Russie et de la Prusse. Il a été reconnu par toutes les puissances actuellement en guerre avec la France ; tous les actes émanant de leur autorité le reconnaissent comme existant et, en effet, je ne vois pas, dans la guerre des Alliés contre la France, en quoi ma qualité de prince français poilerait influer sur la conservation de mon royaume, même dans le cas où la paix donnerait lieu à des changements dans la constitution politique de l'Allemagne, auxquels je n'hésiterais pas à souscrire. Je me flatte que ma manière franche de penser et d'agir, assez connue de tous les souverains de l'Europe, doit être pour eux la garantie de la sincérité de mon adhésion à tout ce qui, pourra être jugé nécessaire pour le maintien de l'indépendance de l'Allemagne, qui, par cela, pourrait, pour la France même, devenir plus intéressante. Je ne me dissimule point que les plans et les combinaisons que les Alliés ont conçus pour atteindre ce but seraient susceptibles d'apporter quelques changements dans les limites actuelles de mon royaume et je ne balance point à déclarer à Votre Majesté que j'y souscrirais également, comptant assez sur leur justice pour croire que des indemnités convenables seraient offertes.

Aussitôt que le roi de Wurtemberg aura répondu par l'entremise de M. de Linsingen, Jérôme enverra officiellement son ministre des Finances, Malchus, comte de Marienrode, pour traiter de ses affaires auprès du Congrès.

Catherine dit que c'est avec la connaissance et l'agrément de l'Empereur que le roi a fait cette démarche. Cela est-il bien sûr ? L'Empereur, depuis le jour où. Jérôme est arrivé à Compiègne, n'a pas voulu le voir et la lettre qu'il lui a fait porter par le duc Charles de Plaisance est la dernière qu'il lui ait écrite. On n'a aucun indice que Catherine soit venue à Paris, ni qu'elle ait été reçue par l'Empereur ; on ne trouve aucune trace que l'Empereur ait chargé son ministre des Relations extérieures d'une communication d'une telle espèce. Le 2 décembre, les bases de Francfort ont été officiellement acceptées, pour la négociation de la paix, par le duc de Vicence, nommé ministre des Relations extérieures le 20 novembre. Par le paragraphe 5, la France a renoncé à toute souveraineté en Allemagne ; par là même, ne peut-on croire qu'elle-a abandonné toute prétention de maintenir la Westphalie sous un sceptre napoléonien. Or, la lettre de Jérôme est en date du 8 décembre. Cette lettre a été rédigée avec le plus grand mystère. On m'a fait travailler ce matin, écrit, le 8, Cousin de Marinville à son père, à l'objet le plus secret et qui exige le plus de confiance. Le canal qu'ont indiqué Jérôme et Catherine pour passer les réponses est tout allemand : M. de Linsingen, secrétaire de la légation de Westphalie à Paris, ayant quantité de parents de son nom dans l'armée prussienne. Au cas où le Congrès se fût réuni en décembre, l'Empereur eût-il plutôt admis qu'en juillet précédent ou qu'en janvier suivant l'idée que Jérôme y fût représenté et stipulât pour lui-même, que ce ne fût point son plénipotentiaire qui débattit les intérêts de Jérôme, comme ceux de Joseph, d'Eugène et d'Elisa ? Pour admettre que la démarche ait pu être faite avec la connaissance et l'agrément de l'Empereur, il conviendrait qu'on rapportât de cette autorisation une autre preuve qu'une simple allégation qu'infirment toutes les vraisemblances. Jusqu'à ce que cette preuve ait été fournie, on doit se demander si cette démarche faite malgré l'Empereur, ne se trouvait pas faite contre lui.

 

Au reste, de Jérôme, l'Empereur ne voulait rien savoir. Pourvu que le roi de Westphalie restât à Compiègne et qu'il ne fit point parler de lui à Paris, Napoléon se passait aussi volontiers de ses services militaires que de ses avis politiques ; si, par son incurable faiblesse vis-à-vis des siens et vis-à-vis des femmes, il avait cédé sur Compiègne, il n'avait oublié ni les deux fuites de Cassel, ni la révolte à Aix-la-Chapelle, ni l'achat de Stains. II ne lui pardonnait rien et, le laissant là où il lui avait permis de résider, il témoignait assez fortement sa mansuétude fraternelle sans avoir à sacrifier une chance quelconque de paix pour le vain espoir de conserver à Jérôme son problématique royaume.

Ce qui se passait à ce moment même air sujet de l'Espagne apporte d'ailleurs à l'appui une preuve surérogatoire.

***

Entre Joseph et l'Empereur, une difficulté nouvelle a en effet surgi qui, en mettant à nu le caractère et les prétentions de Joseph, a montré une fois de plus ce qu'il fallait penser de sa modération, de son absence d'ambition, de son goût de retraite, et de tous les couplets champêtres dont il se plaisait à orner ses lettres menaçantes.

A son arrivée à Paris, l'Empereur avait trouvé une lettre que Soult lui avait écrite de Saint-Jean de Luz, le 3 novembre. Soult, rappelant une conversation que l'Empereur avait eue avec lui, dans une de ses promenades autour de Dresde, au sujet, des affaires d'Espagne et du prince Ferdinand, ouvrait l'avis que le moment était arrivé où l'Empereur pouvait employer le seul moyen d'en finir qui se fût constamment présenté à lui depuis 1809, le renvoi du prince des Asturies dans ses royaumes. Il rapportait l'agitation qui régnait en Espagne, l'accroissement continuel de la méfiance entre Espagnols et Anglais ; la destitution et l'éloignement par Wellington des généraux espagnols qui s'étaient montrés le plus habiles et le plus patriotes, tels que Castaños et O'Donnel ; il disait les lettres interceptées, les témoignages recueillis, les discours de la nouvelle assemblée des Cortès, les émeutes à Cadix, l'anarchie en Galice, de brigandage en Castille. Toutes ces circonstances réunies, disait-il, m'ont fait penser qu'il ne faudrait peut-être qu'un prétexte pour porter la nation espagnole à tourner ses armes contre les Anglais et à devenir l'alliée de Votre Majesté. Pour cela, il suffirait que le prince des Asturies formât une alliance de famille avec l'Empereur et que celui-ci le rendit à la nation et le lui présentât ; dès lors, l'armée anglaise n'avait plus, pour sa propre sûreté, qu'à rentrer en Portugal ; elle ne pouvait opérer ce mouvement sans subir de telles pertes qu'elle n'aurait peut-être plus la possibilité de se maintenir dans la Péninsule. L'Empereur serait donc à même de' porter sur un autre théâtre ses armées d'Espagne ou de donner à-cette guerre telle direction qu'il jugerait convenable. Soult ajoutait d'autres considérations sur les voies et moyens à suivre, mais il insistait surtout sur l'alliance de famille à contracter avec le prince Ferdinand, sur l'apparente liberté qu'il conviendrait de lui laisser, sur les garanties qu'il faudrait prendre vis-à-vis de lui et finissait en s'excusant de représenter un moyen que l'Empereur. lui-même avait imaginé de terminer par une mesure politique, les affaires d'Espagne et de rendre les armées qui y étaient employées entièrement disponibles pour la guerre du Nord.

L'Empereur a saisi aussitôt cette ouverture qui correspond si bien à ses propres idées : sur l'utilité d'une alliance de famille, il ne saurait à présent former des illusions : pourtant, ce qui a si mal tourné avec les Lorraine-Habsbourg peut réussir avec les Bourbons ; d'ailleurs, ce n'est point un père, mais un mari qu'il s'agira d'amener à la politique française. L'Empereur ne saurait penser, comme jadis, à donner à Ferdinand une Tascher, une La Rochefoucauld, une fille de Lucien, mais il a la tille aînée de Joseph et une certaine lettre que, le 29 septembre, Rœderer écrivait à son ami le général Dumas, ne lui est-elle pas récemment tombée sous les yeux ? La princesse Zénaïde, disait Rœderer, est une petite personne toute ronde, toute formée, très bien élevée, parlant avec beaucoup de raison et d'aplomb. On ne voit pas ce qui pourrait faire différer de lui donner un mari. Sans doute n'a-t-elle pas treize ans et l'époux qu'on lui destinerait en a-t-il vingt-neuf, mais cela n'est point pour arrêter dans une famille corse. Madame avait quatorze ans à peine lorsqu'elle, s'est mariée.

Peut-être l'Empereur en dit-il quelque chose à Julie qui, le 10 novembre, est venue de Mortefontaine au Luxembourg et à Saint-Cloud et qui, le 11, a convoqué chez elle Rœderer, non sans une raison. Le 12, après le lever, l'Empereur retient Rœderer et, sans lui ouvrir sa pensée au sujet de l'Espagne, sans lui dévoiler le projet sur lequel il s'est mis d'accord avec Bassano, qui le préconise depuis le retour de Russie, il jette néanmoins dans la conversation des bribes d'information dont il pense bien que Rœderer fera son profit. D'abord il demande quelle est la conduite de Joseph à Mortefontaine et il se relâche de sa sévérité de juillet. Qu'il vienne à Paris tant qu'il voudra, dit-il, pour voir des filles ou Mme de Monte-Hermoso ; j'ai désapprouvé le ministre de la Police sur l'obstacle qu'il a voulu y mettre. Puis, il entre dans le vif par cette question. Mais, du reste, qu'est-ce qu'il veut ? Songe-t-il encore à régner ? et comme Rœderer répond, Sire, je le crois. — Veut-il encore le trône d'Espagne ? demande-t-il — Sire, dit Rœderer, il pense, à ce que je présume, qu'il lui serait encore possible de négocier. — Chimère ! riposte l'Empereur. Ils ne veulent pas de lui, ils le regardent comme incapable. Ils ne veulent pas d'un roi qui est toujours avec les femmes à jouer à cache-cache ou à colin-maillard. Ce sont ses amis eux-mêmes qui disent cela de lui... Le roi dépend des femmes, de ses maisons, de ses meubles. Il me disait sérieusement au Prado qu'il fallait éviter que rues grenadiers allassent déranger son palais... J'ai sacrifié des milliers, des cent milliers d'hommes pour le faire régner en Espagne. C'est une de rues fautes d'avoir cru nies frères nécessaires pour assurer ma dynastie. Ma dynastie est assurée sans eux. Elle se sera faite au milieu des orages, par la force des choses. L'Impératrice suffit pour l'assurer. Elle a plus de sagesse et de politique qu'eux tous... Aujourd'hui, je ne donnerais pas un cheveu pour avoir Joseph en Espagne plutôt que Ferdinand. Les Espagnols seront toujours unis à la France par leur intérêt, Ferdinand ne me sera pas plus opposé que le roi. C'est là l'essentiel.

Ce qui montre combien Rœderer connaît Joseph, c'est qu'il répond : Sire, peut-être le roi ne désire pas précisément la couronne d'Espagne, mais une couronne. A cela, Napoléon ne répond pas. Quelle couronne donnerait-il, lui qui est si peu sûr de garder la sienne ? Il revient à Vitoria, à la campagne, à l'ignorance et aux bévues du roi, puis il pose la question : Que va faire Joseph ? Rœderer distingue trois cas : L'Empereur à Paris et en paix ; l'Empereur absent et en guerre ; l'Empereur mort et la Régence ouverte. Oh ! dans ce cas, dit l'Empereur, il ferait du trouble, je m'y attends. Voyez l'histoire ; ç'a toujours été ainsi. Le cas à prévoir, c'est mon absence. Tout a été tranquille cette année ; j'ai été bien servi par tout le monde. L'Impératrice est une femme plus politique que tous mes frères. Cette jeune femme aurait pris dans l'occasion son parti très bien... Mais, si j'avais ici le roi et ses grands amis, les Clément de Ris et autres, ils me mettraient tout sens dessus dessous. Et, d'accord avec Rœderer, il pense que, en son absence, il faudrait occuper le roi — et l'occuper loin de Paris. Il envisage l'idée de le faire gouverneur de Rome, gouverneur de Turin, mais il passe. Il a dit ce qu'il désire que Rœderer rapporte à Mortefontaine.

Le même jour, 12 novembre, il donne des ordres h Bassano pour que La Forest, l'ancien ambassadeur près de Joseph, retiré à son château de Fréchines, aux environ de Blois, se rende incognito, avec un seul domestique et dans une voiture aussi modeste que possible, au château de Valençay où il portera une lettre au prince des Asturies. Cette lettre débute ainsi : Les circonstances actuelles de la politique de mon empire nie portent à désirer la fin des affaires d'Espagne. L'Angleterre y fermente l'anarchie, le jacobinisme et, l'anéantissement de la monarchie et de la noblesse pour établir une république. Je ne puis qu'être sensible à la destruction d'une nation si voisine de mes États et avec laquelle j'ai tant d'intérêts maritimes communs. Je désire donc ôter tout prétexte à l'influence anglaise et rétablir les liens d'amitié et de bon voisinage qui ont existé si longtemps entre les deux nations. En dehors des conditions politiques de l'accord : évacuation réciproque des territoires, retour du prince Ferdinand à Madrid, restitution des prisonniers, retraite des Anglais, pension à Charles IV, amnistie aux Espagnols attachés à Joseph, maintien de l'empire colonial et interdiction d'en céder quelque partie que ce soit aux Anglais, les instructions dressées pour M. de La Forest lui prescrivent de proposer au prince Ferdinand la main de la princesse Zénaïde ; toutefois, il ne devra articuler cette clause qu'après les autres, lorsque le moment lui paraîtra opportun et que Ferdinand, pour être mis en possession de son royaume, n'aura plus à faire que ce léger effort : de conclure un mariage tel qu'il le sollicite depuis cinq ans avec une insistance écœurante.

 

L'on est tenté de penser que si Julie avait été pressentie par l'Empereur, que si tel avait été l'objet des voyages assez fréquents qu'elle fit à Paris et où, à chaque fois, elle vit l'Empereur pour l'engager, a-t-on dit, à se prononcer sur la position de son mari dont la position et le titre qu'il portait devenaient chaque jour plus embarrassants, elle n'avait pas rapporté à Joseph tout ce qu'elle apprenait, comptant sans doute que l'amour paternel le ferait passer sur le déchirement d'abandonner sa couronne. L'Empereur pourtant s'imaginait que soi-LW :1-e était préparé au sacrifice. Par Rœderer, il lui avait fait passer des mots aimables. Je ne l'ai pas encore vu, avait-il dit, le 17 novembre, j'ai tant à faire. Pour lui plaire, il avait fait offrir des secours à Azanza qu'il avait su dans le besoin. Ils ont de la noblesse, avait-il dit, ces Espagnols ; ils ne demandent pas comme les Italiens. Mais Rœderer avait prié Julie de garder pour elle ce qui ne serait pas bon à dire au roi, et Julie, comme elle l'écrit le 23, n'avait parlé au roi que de ce qui pouvait lui faire plaisir.

Alors donc que l'Empereur devait penser que, lorsqu'il dévoilerait la négociation engagée avec Ferdinand, Joseph n'y mettrait point des obstacles, Joseph, par le fait de la courtisanerie et de l'amour conjugal qui lui avaient également ménagé ce qui pouvait lui déplaire, se trouvait, vraisemblablement, au moins dans une demi-ignorance de ce qui était presque accompli.

Le 27 novembre, l'Empereur se détermine à lui faire adresser un billet contenant l'invitation de se rendre à Paris pour être reçu par lui le lendemain au soir. Le 28, Joseph, accompagné de Miot, arrive à huit heures du soir chez Rœderer, rue du faubourg Saint-Honoré, 99. Au bout de peu de temps, le comte de Flahaut, aide de camp de l'Empereur, vient le prendre et le conduit aux Tuileries, où, par un escalier secret, il l'introduit dans le cabinet de Napoléon.

L'entretien dure longtemps. Sans revenir en rien sur les revers que Joseph a essuyés en Espagne, sans faire aucun reproche sur le passé, l'Empereur s'en tient uniquement au présent et à l'avenir : Ma position actuelle, dit-il au roi, ne me permet plus de penser à aucune domination étrangère et je m'estimerai heureux si je puis, par la paix, conserver le territoire de l'ancienne France. Tout, autour de moi, menace ruine en ce moment. Mes armées sont anéanties et les pertes qu'elles ont éprouvées ne peuvent se réparer qu'avec une extrême difficulté. La Hollande nous échappe sans retour ; l'Italie est chancelante ; le roi de Naples me donne les plus justes, inquiétudes ; il s'arrange avec les Anglais. Le duc de Campo-Chiaro et le marquis de Gallo se sont emparés de son esprit. Le premier est vendu aux Anglais, l'autre aux Autrichiens. Si sa défection n'est pas prononcée, du moins il n'y a aucune coopération à espérer du côté de Naples. Les secours qui devaient être fournis au vice-roi n'arrivent pas et il en a un besoin extrême ; les Autrichiens le pressent et les Italiens qu'il commande hésitent. Dévoués dans la prospérité, outrant les expressions du zèle et de l'affection tant qu'ils m'ont vu heureux et puissant, ils se tournent avec le vent de la fortune et sont prêts à me manquer tout à fait. La Belgique, les provinces du Rhin, laissent aussi percer des signes de mécontentement et ne répondent que faiblement aux vues du gouvernement. La frontière d'Espagne est envahie par l'ennemi. Dans une semblable crise, comment penser à des trônes étrangers ? Comment proposer à la France, qui peut à peine se défendre, des sacrifices pour toute autre cause que sa conservation, puisqu'on peut à peine en espérer ceux qui sont indispensablement nécessaires pour préserver son propre territoire ? Il faut donc renoncer à l'Espagne. Il faut que vous vous replaciez au rang de prince français ou, si vous ne croyez pas pouvoir descendre, il faut vous éloigner entièrement et embrasser le parti d'une retraite -absolue. Je rendrai l'Espagne à Ferdinand ; je le donnerai aux Espagnols à la seule condition de respecter la frontière de la France et de se placer entre les Anglais et nous. J'espère, après cette grande concession, pouvoir retirer sans danger l'armée que j'ai sur les Pyrénées pour la porter en Italie contre les Autrichiens. Tout est bon pour obtenir ce résultat.

 

Si cette conclusion peut surprendre, parce qu'on ignore à quelle combinaison stratégique, la plus hardie que Napoléon ait jamais conçue, elle se rapporte, le tableau qu'il a tracé de la situation est d'une exactitude absolue, d'une vérité frappante. Devant d'autres, l'Empereur affecte des illusions ; il montre ici qu'il n'en a aucune. Nul, fût-il le plus adverse, n'eut résumé avec cette précision tous les périls de l'heure présente. Joseph aurait pour premier devoir d'accepter la proposition que lui fait son frère, de se replacer au rang de prince français et de courir au poste où il croirait se rendre utile. Ainsi donnerait-il une preuve d'abnégation qui devrait lui conter d'autant moins qu'il céderait simplement ce qui est irrémédiablement perdu ; mais Joseph n'admet point que l'Empereur ne lui doive pas une couronne, que la France ne doive pas s'épuiser toute pour la lui garder. Il chicane, il se défend, il allègue les intérêts de l'Empire, parle de ses propres sacrifices ; bref, il refuse son consentement, et, quittant les Tuileries, il revient chez Rœderer d'où il repart pour Mortefontaine.

De là le 30 novembre, il écrit à l'Empereur : Sire, la réflexion n'a fait que fortifier ma première pensée. Le rétablissement des Bourbons en Espagne aura les plus funestes conséquences, et pour l'Espagne, et pour la France. Le prince Ferdinand, en arrivant en Espagne, ne peut rien pour la France, il peut tout contre elle. Son arrivée excitera d'abord quelques troubles ; mais les Anglais s'en empareront et, dès qu'il lui auront fait tourner ses armes contre la France, il aura alors avec lui, et les partisans des Anglais, et les partisans de la France, ceux que nous aurons abandonnés, ceux qui tiennent au système de voir leur pays gouverné par une branche de la Maison de France, système si heureusement professé à Bayonne, et qui, depuis un siècle, a fait la tranquillité de la Péninsule ; tout homme de bien et de sens qui connaît le caractère de la nation espagnole et la situation des hommes et des choses dans la Péninsule ne peut pas douter de ces vérités... Quant à moi, Sire, que Votre Majesté daigne un moment se supposer à ma place, elle sentira facilement quelle doit être ma conduite. Appelé, il y a dix ans, au trône de Lombardie, ayant occupé celui de Naples avec quelque bonheur, celui d'Espagne au milieu des traverses de tout genre, et, Malgré elles, ayant pu me concilier l'estime de la nation ; persuadé comme je le suis que, tant que la dynastie de Votre Majesté régnera en France, l'Espagne ne peut être heureuse que par moi ou par un prince de son sang, je ne saurais m'ôter à moi-même les seuls biens qui me restent, les témoignages d'une conscience sans reproche et le sentiment de ma propre dignité. Je ne puis donc que présenter ces réflexions à Votre Majesté Impériale et Royale et, dérobant au grand jour un front dépouillé, attendre dans le sein de ma famille lés coups dont il plaira encore au destin de frapper l'Espagne et moi, elles bienfaits qu'il nous est encore permis d'espérer de votre génie et de la grandeur du peuple français.

Un légitime, Stuart ou Bourbon, le chevalier de Saint-Georges ou le comte de Lille eût-il autrement parlé ? Il eût fait seulement intervenir la Providence, et Joseph n'y eût point manqué, n'était qu'il parle à son frère ; mais, s'il n'évoque point un droit divin, au moins atteste-t-il son droit natif et l'estime de la nation qu'il s'est concilié. Tout l'homme est ici — au moins le politique : pour le général on l'a vu à l'œuvre — et, dès lors, que reste-t-il des protestations qu'il allait abdiquer, qu'il entendait se retirer, qu'il trouvait odieux le fardeau de la royauté, n'aspirait qu'à sa chaumière de Mortefontaine, à la vie champêtre et bourgeoise : quelques amis, des livres et des fleurs ? L'ennemi en France, aux Pyrénées et sur le Rhin, l'Empire envahi par toutes les frontières, il réclame encore que la nation française le replace sur son trône, il prend l'air de l'exiger, et coiffé de ses trois couronnes imaginaires, il ordonne à son cadet de lui retrouver un royaume.

Le surlendemain du jour où il a écrit cette lettre, le 2 décembre, Joseph convoque Rœderer à Mortefontaine. Le temps est affreux, mais les affaires pressent et elles sont importantes. Rœderer rentre à Paris dans la nuit du 3, par une tempête effroyable, et, dès le matin, il se présente au lever de l'Empereur, auquel il expose les prétentions de son frère. Joseph compte qu'une négociation peut être engagée à son sujet avec les puissances coalisées et que la médiation de Bernadotte, qui lui est acquise, peut .singulièrement y influer. il réclame en outre certaines distinctions d'étiquette, car il a été choqué de la façon dont il a été reçu par l'Empereur — cela n'a point du tout été royal — et, au cas fort improbable où il condescendrait à n'être plus. que le premier prince du sang, il tient à conserver certaines distinctions extérieures qui affirment son rang. Ce n'est là d'ailleurs qu'un pis aller qu'il envisage à peine : il a droit, s'il cède l'Espagne, à une compensation territoriale, et cette compensation, il l'exige. L'Angleterre, répond l'Empereur, veut le rétablissement de Ferdinand VII comme condition préliminaire à tout traité. L'Autriche et la Russie veulent la même chose et aussi comme condition antérieure à toute négociation. Le prince de Suède est, à l'égard de la France, dans des forts qui ne permettent pas qu'un prince français entre en contact avec lui. Enfin, le prince de Suède n'a pas la moindre autorité sur les alliés, ni la moindre considération près de la cour d'Autriche. La cour de Vienne est fort mal pour lui. L'Empereur regarde comme un malheur d'être obligé de remettre sur le trône un membre d'une famille contre laquelle il a tant fait, mais il se soumet à ce malheur parce qu'il le juge inévitable. Il croit le sort de sa dynastie tellement assuré aujourd'hui par son mariage et par l'existence d'un fils en qui coule un sang doublement impérial et doublement royal, qu'il n'a rien à redouter du rétablissement d'un Bourbon sur un trône, au moins appauvri, ni de sa domination sur un peuple dont les intérêts sont d'accord avec ceux de la France. Il regarde l'abandon de l'Espagne comme la volonté véritable de la Nation française qu'il distingue des clameurs des oisifs de la capitale. L'Empereur regarde une renonciation pure et simple au trône d'Espagne qui serait remise par son frire entre ses mains comme le gage le plus signalé de son amour pour la France et de son affection pour lui. Et comme Rœderer énonce que : Si le roi était bien convaincu que la situation de la France et la ferme volonté des Alliés fissent dépendre la paix de sa renonciation à l'Espagne, il la ferait, mais que, s'il pouvait convenir à sa situation et ri la politique de l'Empereur que Joseph assista comme plénipotentiaire à un congrès de pacification, il s'honorerait de faire son sacrifice, l'Empereur répond : Si le roi avait questionné le premier militaire qui lui a tombé sous la main et s'était bien pénétré des faits qui sont dans les gazelles, il m'aurait déjà envoyé sa renonciation. Quant aux prétentions diplomatiques de Joseph, il les passe. Bon cela, quand on était victorieux, mais on ne saturait à présent, comme à Lunéville, à Amiens, à Paris, lors du Concordat, choisir pour négocier celui auquel jadis ou confiait tout juste le soin de signer et de recevoir les présents. Sur les questions d'étiquette, l'Empereur qui, dit-il s'est conformé strictement à l'ancienne étiquette de France, ne se rendra pas intraitable, mais où il l'est — et les circonstances bien plus que lui-même — c'est sur l'article des compensations. Quant à des indemnités en Italie, s'écrie-t-il, où les prendre ? Puis-je ôter à Murat son royaume ? C'est à peine si je puis le rappeler à ses devoirs envers la France et envers moi ! Comment serais-je obéi si j'allais lui demander de descendre du trône au profit de Joseph ? Quant aux États romains, je serai obligé de les rendre au Pape et j'y suis décidé. Quant à la Toscane, qui est à Élisa, quant au Piémont qui est à la France, quant à la Lombardie, où Eugène a tant de peine à se maintenir, puis-je savoir ce qu'on m'en laissera ? Sais-je même si on m'en laissera quelque chose ? Pour garder la France avec ses limites naturelles, il me faudra remporter bien des victoires ; pour obtenir quelque chose au delà des Alpes, il m'en faudrait remporter bien plus encore ! Et, si on me laissait un territoire en Italie, pourrais-je, pour Joseph, l'ôter à Eugène, ce fils si dévoué, si brave, qui a passé sa vie au feu pour moi et pour la France et qui ne m'a jamais donné un seul sujet de plainte ? Où donc Joseph veut-il que je pruine des indemnités ? il n'a qu'un rôle, un seul, celui d'être un frère fidèle, un solide appui de ma femme et de mon fils si je suis absent, plus solide si je suis mort, et de contribuer à sauver le trône de France, seule ressource désormais des Bonaparte. Il sera prince français, traité comme mon frère, comme l'oncle de mon fils, partageant par conséquent tous les honneurs impériaux. S'il agit ainsi, il aura ma faveur, l'estime publique, une situation grande encore et il contribuera à sauver notre existence à tous. S'il s'agite au contraire, et il en est bien capable, car il ne sait supporter ni le travail ni l'oisiveté, il sera arrêté et ira finir son règne à Vincennes. S'il le fait après ma mort, Dieu décidera ! Mais, probablement, il contribuera à renverser le trône de mon fils, le seul auprès duquel il puisse trouver la dignité, l'aisance et un reste de grandeur. Se résumant, l'Empereur pose nettement l'alternative : Ou Joseph sera, à Paris et à la Cour, sur le pied de prince français, ou il se retirera pour vivre en simple particulier à quarante lieues de Paris.

Telle est l'obstination de Joseph dans ses chimères ambitieuses, tel son aveuglement sur la situation véritable de la France et des Bonaparte, qu'il n'accepte ni l'un ni l'autre, s'obstine à rester roi, roi catholique, roi des Espagnes et des Indes. Il y a encore des pourparlers, durant ce mois de décembre. Julie s'entremet, fait des visites à l'Empereur, lui mène ses filles, l'assure des bonnes dispositions de son mari, peut-être lui porte encore une lettre. Rœderer va et vient des Tuileries à Mortefontaine sans rien obtenir. On prétend qu'un matin il arriva avec le refus définitif de Joseph au moment où Napoléon, tout en déjeunant jouait avec son fils. Le malheureux, il veut régner, dit l'Empereur ; il ne voit pas que cet enfant ne règnera pas plus que lui.

Il fallait pourtant finir avec les Espagnols. Ils se passeraient bien, avait dit l'Empereur, de la signature du roi Joseph pour remettre Ferdinand sur le trône. Le 11 décembre le traité fut conclu à Valençay par le duc de San Carlos au nom des princes d'Espagne et La Forest au nom de l'Empereur. Le mariage du prince avec Zénaïde n'y avait point été formellement inséré. Le prince avait affirmé seulement qu'il n'en contracterait pas d'autre s'il était libre, mais il avait ajouté que c'était une chose dont il n'était possible de parler qu'à Madrid. Cela renvoyait un peu loin, mais que faire ? Ou ne pouvait insister sur le mariage de la fille sans l'aveu du père, qui, étant le seul roi catholique, ne pouvait se soucier pour gendre de son rival et. remplaçant ; quant à l'avenir, même Ferdinand étant de bonne foi, n'était-on pas en droit de douter que le traité fût agréé par les Cortès, que le prince, revenant de France, fût autant populaire que prisonnier en France et que, pour des causes à l'infini, son règne fût plus calme que celui du roi intrus ? L'infante Zénaïde, qui n'avait point connu les royaumes du roi son père, ne devait pas davantage régner sur les Espagnes. Elle voyait pourtant la cour espagnole à Mortefontaine. L'Empereur en effet n'avait pas poussé à bout ses menaces et, las de mener, en même temps que contre l'Europe, la guerre contre ses frères, il avait laissé à Joseph les joies, à présent presque inoffensive, de sa royauté in partibus.

***

Ce n'est point assez que le roi d'Espagne et le roi de Westphalie, voici le roi de Hollande. Joseph et Jérôme sont ridicules, réclamant en France, à défaut de leurs couronnes, les honneurs royaux, mais au moins pourraient-ils alléguer qu'ils ne les ont jamais abdiquées et que, momentanément privés de l'exercice de leur souveraineté, ils ne peuvent, sans manifester un doute au sujet de la fortune de l'Empereur, abandonner des droits que l'Empereur leur a conférés ; Louis, voici trois ans révolus, a volontairement signé son abdication et abandonné son trône : or, dès que l'Empereur éprouve des revers, Louis retire sa signature et réclame sa couronne. Il a employé à cet usage l'année 1813 entière, du 1er janvier au 31 décembre, et son activité politique en a été développée au pond qu'elle semble avoir atténué, cette année-là la plupart des délires qui, pour l'ordinaire, se partagent son cerveau. Ce délire-ci, étant le plus fort, couvre les autres.

Le 1er janvier, il a adressé de Gratz à son frère Napoléon, sous le couvert de Madame et par le canal de l'ambassade de France à Vienne, la lettre la plus extraordinaire qu'on pût lire. Profondément affligé, a-t-il écrit, des souffrances et des pertes de la Grande Armée après des succès qui ont porté les armes françaises jusqu'au pôle, pouvant aisément juger combien vous êtes pressé, combien il est urgent de réunir tous les moyens de défense possibles, au moment enfin où une lutte terrible va continuer et se prépare encore plus furieuse, convaincu qu'il n'y eut jamais pour la France, pour votre nom, pour vous, de moment plus critique, je viens, Sire, offrir au pays dans lequel je suis né, à vous, à mon nom, lé peu de santé qui-me, reste et tous les services dont je suis capable, pourvu que je puisse le faire avec honneur.

Voilà qui va bien et l'on est tenté tout aussitôt d'en porter louange à Louis, mais comment entend-il se consacrer à la France ? Sire, dit-il, j'appartiens à la Hollande à laquelle vous m'avez donné vous-même malgré moi. Je n'ai quitté mon royaume qu'après avoir résisté à ma position autant qu'il était humainement possible à un homme né Français et votre frère. Aujourd'hui, la Hollande et les affaires du commerce deviennent d'une importance secondaire ; il est possible qu'il soit dans votre intention de ramener à vous votre frère et qu'il vous importe de vous assurer là Hollande par elle-même. Dans ce cas, Sire, veuillez rétablir un royaume qui fut votre ouvrage et je suis tout prêt à faire tous mes efforts pour aider la France et Votre Majesté dans la grande lutte qui sans doute va continuer plus ardemment que jamais.

 

Telle est la forme des services qu'il s'est proposé de rendre à l'Empereur. Avant même d'avoir reçu une réponse, Louis a communiqué les motifs qui l'ont fait agir au comte de Bissingen, gouverneur de Styrie, pour qu'il les rapportât à l'empereur d'Autriche et, celui-ci avant fait remercier, Louis profite de l'ouverture pour adresser le 18, à l'empereur François, une longue lettre contenant la verbeuse apologie de sa conduite depuis 1810, l'énumération des persécutions qu'il a subies, le détail des intrigues qu'on a mises en 'jeu pour l'empêcher d'approcher, l'empereur d'Autriche. L'on ne m'a laissé tranquille qu'en apparence, écrit-il. Je suis bien persuadé que l'on m'a placé sous la surveillance de voyageurs et d'agents officieux qui n'ont pas manqué de répandre dans le public tous les propos, tous les soupçons capables de me rendre insupportable mon séjour chez vous et qui auraient pu finir par le rendre incommode à Votre Majesté elle-même. Quant à la démarche qu'il vient de faire : Ou elle n'en aura aucun, ou elle aura un bon résultat, ou, dit-il, elle ramènera l'attention sur moi et me procurera de nouveaux désagréments, de nouvelles persécutions, parce que peut-être l'on croira y voir ou feindra y voir un changement de système de résolution de ma part, et dès lors on tentera de nouveau de me faire sortir de ma retraite ; et il réclame l'intérêt de l'empereur moins pour lui-même que pour la Hollande.

A coup sûr, prendre l'empereur d'Autriche pour confident, lui faire part de ses griefs contre Napoléon, à cette fin de janvier 1813, alors que la retraite de Schwarzenberg a rendu clair à tous les yeux que l'Autriche se sépare effectivement de l'alliance française, invoquer la protection de l'empereur d'Autriche en faveur de la Hollande, devenue une portion de l'Empire français, constitue vis-à-vis de la France et vis-à-vis de Napoléon une hostilité et une trahison. Mais Louis, quoiqu'il ait abdiqué, n'en agit pas moins en souverain, et, s'il oublie qu'il est né français et qu'il a été prince français, il se souvient qu'il est roi de Hollande.

Toutefois, comme tout chez lui est contradiction, et que son temps se passe à rattraper maladroitement les démarches que son impulsivité lui a fait risquer, peut-être faut-il voir d'abord, dans sa lettre à l'empereur d'Autriche, une façon d'échapper à l'offre qu'il a d'abord faite à son frère de ses services, la crainte qu'on ne le prenne au mot et qu'on né le force à sortir de sa retraite. C'est une manière de se réserver, en même temps que d'affirmer ses droits.

Napoléon s'est ému à l'exorde de la lettre que Louis lui a écrite. Il croit sincèrement que son frère lui revient et qu'il aura seulement à traiter avec lui des questions de forme. Il lui répond le 16 janvier[3] : Mon frère, je reçois votre lettre du 1er janvier et je vois avec plaisir les sentiments qui vous animent. Je vous ai déjà fait connaître que vos devoirs envers moi, la Pairie et vos enfants exigeaient votre retour en France. Vos enfants grandissent et ont besoin de leur père. Revenez donc sans plus de retard et je vous recevrai, non comme un frère que vous avez offensé, mais comme un frère qui vous a élevé. Quant aux idées que vous avez de la situation de mes affaires, elles sont fausses : j'ai un million d'hommes sur pied et deux cents millions dans mes coffres pour maintenir l'intégrité du territoire de la Confédération et de celui de mes alliés et faire réussir le projet que j'ai conçu pour le bonheur de mes peuples. La Hollande est française à jamais ; elle est l'émanation de notre territoire ; embouchure de nos rivières, elle ne peut plus être heureuse qu'avec la France et elle le sent bien. En restant en France, vous ne vous séparez pas de la Hollande, mais, si vous entendez, par vous en séparer, renoncer à la gouverner, c'est vous-même qui l'avez quittée en abdiquant...

Louis qui a imprimé cette lettre n'en donne pas davantage ; il n'aime ni à publier les vérités que sort frère lui a dites, ni à montrer avec quelle indifférence il a reçu l'appel que faisait Napoléon à son patriotisme et à son dévouement. Au surplus, n'est-ce pas l'Empereur seulement, mais Madame : Mon cher fils, écrit Madame le 16 février, vos lettres du 1er et du 2 janvier m'ont été remises par l'Empereur. Il m'a communiqué en n'élue temps celles que vous m'adressiez pour lui. Je ne peux pas vous dire combien j'en ai éprouvé de satisfaction et de contentement. Je bénis le ciel, du fond de mon âme, de vous avoir inspiré cette démarche dans la circonstance, actuelle ; elle fait honneur à votre cœur autant qu'à votre esprit et je vous en aimerais davantage si ma tendresse pour vous était susceptible d'augmentation. Mais ce n'est pas assez, mon cher fils, d'avoir fait un premier pas, il faut ne pas se rebuter et couronner l'œuvre. L'Empereur m'a fait lecture de la réponse qu'il vous a faite. Autant que je peux en juger, à part l'article de la Hollande, vous devez en être content. Il finit par vous engager, fortement à venir le rejoindre à Paris et je joins mes instances aux siennes pour vous prier de ne pas vous refuser cette fois à son invitation. Je vous le demande au nom de tout ce que vous avez de plus cher et comme la plus grande preuve que vous puissiez me donner de votre attachement. Je vous l'ordonne, s'il est nécessaire, comme-votre mère.

Si je pouvais confier au papier je les motifs puissants qui vous appellent à Paris, e suis sûre que vous n'hésiteriez pas un instant à quitter votre exil et à vous rendre au sein de Votre famille ; mais c'est assez de vous dire que votre présence ici est de toute urgence et beaucoup plus nécessaire que vous ne pouvez l'imaginer de loin. Mettez de côté toutes les-raisons qui pourraient encore vous tenir loin de nous : n'écoutez que la voix de la nature ; rendez-vous à votre famille qui a besoin de vous dans ce moment. La circonstance, d'ailleurs, ne peut pas être plus favorable pour vous : votre retour dans cette crise excitera la même admiration dans l'Europe qu'a excitée : votre fermeté de caractère depuis trois ans. Le public applaudira à votre noble dévouement. Et, après avoir tenté de prendre par l'amour-propre ce fils qu'elle connaît bien, Madame évoque l'amour paternel et l'amour filial auxquels elle se flatte qu'il cédera à la fin ; mais-Louis est intraitable : Pourquoi, ma chère maman, répond-il, me faire toujours redire les mêmes choses ? Je ne puis rester qu'en Hollande devenue malgré moi mon pays depuis 1806. Je consentirais à redevenir Français si mon frère voulait rendre la Hollande à mon fils et consentir à ce que je devinsse simple particulier. Que puis-je faire ? Aller en France, y voir des Hollandais infidèles et paraitre remercier par ma présence mon frère de ce qu'il m'a ôté, ainsi qu'à mes enfants, le trône qu'il avait tant contribué à me faire obtenir ? S'il ne peut ou ne veut convenir que j'ai été forcé d'abdiquer et soutient que j'ai quitté mon royaume par ma seule volonté, peut-il disconvenir que mon fils au moins n'a pas abdiqué ? n'avait rien fait pour qu'on le déshéritait ainsi que son père ! Non ! ma chère maman, je souffrirais mille fois plus qu'en restant à l'étranger ; je souffrirais plutôt mille morts que de faire ce qui est contre nia conscience et mon devoir. Ne m'en parlez plus.

 

Ainsi doit-on croire que toute la première partie de la lettre du 1er janvier était une comédie et que, s'il s'attendrissait sur les désastres de Russie, c'est uniquement qu'il en espérait son trône de hollande. Au surplus, l'accès passé, il n'a plus l'air, six mois durant, de penser à son trône. Il reste à Gratz où il dédie des vers au Clair de lune et chante Louise J... Il se met en correspondance avec des gens de lettres tels que Charles Nodier. Il fait, sous le voile de l'anonyme, remettre au secrétaire perpétuel de la deuxième classe de l'Institut une somme de mille francs destinée à former un prix pour celui qui, au jugement de cette compagnie, aura le mieux traité la question exposée dans le programme suivant : Quelles sont les difficultés réelles qui s'opposent à l'introduction du rythme des Grecs et des Latins dans la poésie française ? Pourquoi ne peut-on faire des vers français sans rimes ? Supposé que le défaut de fixité de la prosodie française soit une des raisons principales, est-ce un obstacle invincible ? Et comment peut-on parvenir à établir à cet égard des principes sûrs, clairs et faciles ? Quelles sont les tentatives, les recherches et les ouvrages remarquables qu'on a faits jusqu'ici sur cet objet ? En donner l'analyse, faire voir jusqu'à quel point on est avancé dans cet examen intéressant ; par quelles raisons enfin, si la réussite est impossible, les autres langues modernes y sont-elles parvenues ?

A cette rédaction il est impossible de méconnaître Louis et l'on peut juger quel intérêt il prend à la question. C'est là le point de départ de cette prétendue réforme du vers français, à quoi, par la suite, il consacrera la plus grande part de son temps : lorsque, en 1815, sur le rapport du comte Daru, l'Académie française aura attribué le prix à l'abbé Scoppa, Louis protestera, parce que son opinion n'aura pas prévalu, et, quatre années plus tard, en 1819, il publiera en réponse son Mémoire sur la Versification.

Cet acharnement à fabriquer des vers, qu'il s'imagine faire mieux s'il n'a point à y trouver des rimes, et qui le conduit à s'instituer comme on disait le législateur du Parnasse, est peut-être redoublé par sa rivalité poétique avec Lucien, que son poème va immortaliser. Pour le moment, c'est le sujet qu'il traite dans sa correspondance avec son frère — correspondance à la vérité intermittente, car les lettres sont retenues par le Cabinet noir ou elles mettent six mois pour parvenir.

 

En juin, Louis est allé prendre les eaux à Neuhaus ; en juillet, il revient à Gratz et, le 8, il se décide à faire des démarches pour la Hollande, à Prague où l'on annonçait l'ouverture d'un congrès. Par là il se pose nettement en ennemi de l'Empereur, et, bien que ses démarches n'aient eu aucun résultat, et qu'il n'ait pas jugé utile de transcrire dans ses mémoires des lettres qui ne sont que la répétition de sa protestation, il suffit, pour qu'on le juge, que celles-ci aient été écrites et celles-là tentées.

Néanmoins, malgré l'invitation que l'empereur François lui avait fait adresser de rester en tous cas dans son empire partout où il le voudrait, Louis, au moment oh l'Autriche prenait parti contre Napoléon, ne put, dit-il, supporter l'idée qu'en France on le crût avec les ennemis de son pays. En réalité, ce fut Fouché qui, passant par Gratz pour aller prendre le gouvernement des Provinces Illyriennes, s'y arrêta une journée pour conférer avec lui et qui le détermina à un départ nécessaire. Prenant le nom de comte Hamst, il quitta Gratz le 2 août et, renonçant à des idées d'établissement en Turquie, en Bosnie, à Naples même, il prit route vers la Suisse.

D'Ischl le 4 août, il écrivit à l'Empereur une .lettre qu'il remit, en traversant -Munich, au ministre de France, M. de Mercy-Argenteau. Il disait à l'Empereur qu'il était au moment de se rendre dans une retraite sûre et définitive, en Bosnie, lorsqu'il avait su les malheurs d'Espagne ; il avait appris que, de ce côté, les ennemis étaient sur les frontières ; il avait vu que la guerre était imminente, que l'Empereur allait avoir un million d'hommes à combattre ; il ne s'était pas cru le maître de se soustraire à la crise imminente et terrible qui se préparait. Je suis peu de chose, disait-il, mais ce que je suis, je le dois à la Hollande et, après, à la France et à vous. Je vais donc en Suisse pour pouvoir être appelé par vous quand vous croirez pouvoir le faire, sans m'ôter l'espoir de rentrer en Hollande à la paix générale, ni d'une manière contraire au serinent que je lui ai prêté ; car, comme il est cependant impossible que vous ayez voulu faire de moi et de mes enfants des êtres provisoires, il est impossible que Votre Majesté ne veuille pas leur rétablissement et le rétablissement de la-Hollande, quand toutes les affaires relatives au commerce et à la navigation seront terminées. Enfin, Sire, si je puis jamais être utile à la France et à Votre Majesté, elle saura mieux que moi la manière qui convient à celui-de vos frères qui est devenu roi de Hollande...

Ainsi, le marchandage continue, il s'accentue même. Louis rentrera en France et offrira ses services à la France, à la condition que l'Empereur lui garantira la Hollande lors de la paix générale. Ainsi écrit-il à sa mère le 9 août, en arrivant à Saint-Gall qu'il est venu en Suisse, afin de se trouver dans un pays non susceptible d'être en guerre avec la France, si la guerre recommence, et aussi pour donner à son frère plus de facilité pour le rétablir en Hollande dans le cas que la paix ait lieu. Et, tant est grande son inconscience ; il ajoute : Je félicite mon frère (Joseph) d'être sorti d'un pays où il devait tant souffrir, mais je suis bien affligé des maux qui l'y ont contraint et dont il a été témoin. C'est que Joseph a été roi par la grâce de l'Empereur et malgré les Espagnols, tandis que lui est roi par le vœu des Hollandais et malgré l'Empereur : il s'est convaincu qu'il est national et que ses sujets l'appellent.

 

Toutefois, comme l'Empereur ne lui rend pas encore la Hollande, il reste en Suisse ; il se promène dans le canton d'Appenzell, il va prendre les eaux à Schinznach (fin août) et, au début de septembre, s'installe à Bâle. De là il retourne à Yverdon consulter, faire une cure d'eaux sulfureuses. Au milieu de ces voyages, des vers : l'Absence, les Regrets, les Vœux, les Doutes ; il a découvert une muse nouvelle, Caroline M... ; il s'est mis en correspondance réglée avec Mme de Montolieu, et l'a chargée de proposer à l'éditeur Arthus Bertrand d'entreprendre une édition française de Marie. Il n'a point l'air de se douter que certaines de ses productions ont en ce moment bien plus de retentissement que n'en auront jamais ses romans : Imprimés avec emphase par l'Autriche après la déclaration de guerre pour noircir le caractère de son frère et accroître l'animosité qui éclatait de tous côtés contre lui, ses libelles, comme dit l'Empereur — protestations, lettres, déclarations — ont fait le tour de l'Europe. N'est-ce pas Louis pourtant qui, en les adressant à l'empereur de Russie et à l'empereur d'Autriche, en a provoqué la publicité et ne peut-on penser que l'édition en a été préparée par ses soins ?

 

A la suite de la bataille de Leipzig, le roi de Naples passe en Suisse ; il traverse Bâle ; il y voit Louis. Il lui conseille de rentrer en Hollande par le secours des alliés. Louis lui répond qu'il ne le fera jamais, parce qu'on ne voudra pas que la hollande reste entièrement neutre et que, pour aucun trône du monde, il ne voudrait faire la guerre à son pays.

Cependant, après le départ du roi de Naples, il réfléchit mûrement sur la situation singulière dans laquelle il se trouvait. Il sentait fort bien — c'est lui qui le dit — que le moment était favorable pour tenter de rentrer en Hollande. Il expédia donc un officier de sa garde à Mayence avec ordre d'y attendre l'Empereur, et de lui remettre une lettre. Par cette lettre, il réclamait l'évacuation de la Hollande par les troupes françaises, le libre passage pour lui-même à travers la France et le départ, à sa suite, de tous les Hollandais qui se trouvaient à Paris. Comme il ne doute pas que ses propositions ne soient acceptées avec plaisir, il a écrit à plusieurs personnes en Hollande pour leur annoncer qu'il était probable qu'on l'y reverrait incessamment ; il a envoyé à Van Capellen, auquel il n'a point écrit depuis la rupture en 1812, son secrétaire, porteur d'une lettre l'invitant dans les termes les plus pressants à le rejoindre sans perdre de temps. Il lui a dit qu'il ne refuserait certainement pas d'écouter la voix de son ancien roi ; que, dans un temps comme celui-ci, toute considération devait faire place à ce qu'exigeait l'intérêt de la patrie, etc., etc. Van Capellen, présumant que le roi voulait l'envoyer plaider sa cause près des souverains alliés réunis à Francfort, répond négativement, mais Louis n'a pas plus attendu sa réponse que celle de l'Empereur ; il est entré en France comme en terre conquise et, le 3 novembre, il est arrivé à Pont-sur-Seine, où il s'est établi au château de Madame.

L'Empereur, cependant, n'a pas pris les choses comme Louis s'y attendait. Dès le 5, il écrit à Cambacérès : Je vous envoie une lettre du roi Louis qui me parait une folie. Je suppose que ce prince n'est pas venu à Paris. S'il y vient comme prince français, mon intention est d'oublier toutes ses sottises, tout ce qu'il a imprimé et de l'y recevoir. S'il vient comme roi de Hollande et qu'il veuille persister dans cette chimère, il ne doit pas être reçu. S'il avait fait la sottise de venir, on ne doit lui faire aucune visite et il faut qu'il reste incognito chez Madame, à Pont. L'Impératrice surtout ne doit pas le voir.

A la réflexion, l'arrivée de Louis, sa prétention d'être un sauveur, le ton dont il a fait ses propositions, la sommation qu'il adresse de lui rendre ses États, tout ce qui prouve l'idée fixe et accuse la folie, paraît à l'Empereur une bravade et une rébellion. Il est affreux, écrit-il à Cambacérès, qu'il choisisse ce moment pour venir m'insulter et déchirer mon cœur en m'obligeant à un acte de sévérité ; c'est dans ma destinée de me voir constamment trahi par l'ingratitude des hommes que j'ai le plus comblé de bienfaits, surtout par celui-ci pour l'éducation duquel je me suis privé à l'âge de vingt ans de tout, même du nécessaire. La blessure est profonde ; pourtant, l'Empereur, sans se laisser entraîner par la colère, maintient ses propositions. Si Louis vient comme prince français se ranger autour du trône, il trouvera, en son frère, accueil et oubli du passé. Il devra alors l'écrire à l'Empereur et, aussitôt que sa lettre sera aux mains de Cambacérès, il pourra être présenté à l'Impératrice et entrer en possession de son apanage. Mais, s'il vient pour réclamer la Hollande, comme sa lettre le fait croire, et avec ce système insensé qui lui a été suggéré par l'Autriche et par les ennemis de la France, de deux choses l'une : ou Madame, qui n'a rendu à l'Empereur aucun service auprès de ses fils, obtiendra de lui qu'il s'éloigne et qu'on n'en entende plus parler ; ou, si, après cette démarche de Madame, il est resté à Paris, sans avoir déclaré qu'il vient comme prince français, quarante-huit heures après, l'archichancelier se rendra chez lui avec le vice-grand-électeur, le grand juge et le secrétaire de la Famille impériale et lui fera sommation de se soumettre aux lois de l'Empire, de rester en France comme prince français et de reconnaître le Sénatus-consulte de réunion de la Hollande ; car la Hollande est française, elle l'est pour toujours ; la loi de l'État l'a constituée ainsi ; il n'est aucun effort qui puisse l'enlever à la France. Procès-verbal sera alors dressé, et, immédiatement après, Louis sera arrêté et conduit incognito au château de Compiègne.

Cette procédure reste inutile. Louis, sur les réponses qu'il a reçues et qui l'ont étrangement déconcerté, quitte Pont et retourne en Suisse où il s'établit à Soleure. Là raconte-t-il, il trouve des lettres de Berthier et de Caulaincourt rapportées par l'officier qu'il a envoyé à Mayence, avec cette réponse verbale de l'Empereur : J'aime mieux que la Hollande retourne sous le pouvoir de la Maison d'Orange que sous celui de mon frère : s'il a cent mille hommes à m'opposer, il peut essayer de me l'enlever.

 

Ce qu'il n'a pu faire de l'agrément de Napoléon, Louis prétend le faire contre sa volonté. On signale un de ses secrétaires, Allemand de nation, allant et venant de Suisse en Hollande, répandant à son passage à Pontarlier les nouvelles les plus alarmantes. Ce secrétaire porte des lettres aux personnages que Louis estime le plus influents ; revenu à Soleure, il est renvoyé, le 25 novembre, avec une lettre que Louis adresse aux magistrats d'Amsterdam, constitués en gouvernement provisoire ; par laquelle il proteste contre les prétentions de la Maison d'Orange, fait l'apologie de sa conduite comme roi et expose le mode de gouvernement qu'il se propose d'instituer. Dans ce factum, certains passages sont d'une naïveté presque touchante. Louis se met en scène, racontant ses scrupules et s'attendrissant sur son avenir : Depuis trois ans et demi, écrit-il, je suis isolé, errant dans les pays étrangers ; j'ai renoncé à mon pays natal, à tout absolument, pour rester fidèle au système que j'ai cru devoir être le plus utile à votre pays, mais si ma nouvelle patrie depuis huit ans m'échappe, je me trouve sans pays, sans ami, sans aucun bien ; cependant, dans les circonstances majeures de l'Europe, tout me presse de prendre un parti et de ne plus être le jouet des événements, de devenir entièrement libre de nies actions, d'achever (le remplir tous mes devoirs envers votre pays.

Il ne reçoit pas de réponse, car, si ses anciens sujets rendent justice à ses bonnes intentions, ils ne l'ont jamais pris au sérieux et ils n'auraient garde de mettre en péril, pour lui plaire, la paix et l'indépendance qu'ils se nattent de conquérir ; Louis, que ce silence décontenance, n'a plus qu'à collectionner les certificats de bonne conduite que lui décernent lés pamphlétaires armés contre l'Empereur. Il en reçoit de Bucholz et de Kotzebue ; il en reçoit d'écrivains anonymes, ce qui lui permettra d'écrire de lui-même : L'opinion publique paraissait lui être favorable. On peut en citer pour preuve les ouvrages périodiques publiés dans ce temps en Allemagne. On l'y comptait en effet comme un précieux allié contre la France et l'Empereur.

Le silence que les Hollandais gardent vis-à-vis de lui, l'attitude qu'adoptent tous ceux sur lesquels il comptait davantage, qui ont été ses ministres et ses principaux serviteurs et qui prennent à présent la tête du mouvement orangiste, ne l'ont pas instruit et n'ont pu, tant elles sont tenaces, lui enlever ses illusions. Le 7 décembre, il écrit encore de Soleure au nouveau ministre des Relations extérieures, le duc de Vicence : Ce que je craignais et voulais éviter à la Hollande est arrivé et il n'est plus temps de faire ce que j'avais projeté alors. Depuis, vous êtes devenu ministre des Affaires étrangères et nommé pour le Congrès de Manheim. Dans cette nouvelle circonstance, je m'adresse encore à l'Empereur, malgré ses refus précédents, pour lui demander de consentir que j'envoie des députés en Hollande pour connaître les volontés de la nation et, en même temps, je demande que la voix de la Hollande ne soit pas portée au Congrès par le prince d'Orange, mais par moi. Je ne puis croire que l'Empereur préfère une autre maison à celle de son nom, arrivée sur le trône par son influence. La Hollande étant évacuée et en fermentation, il me semble qu'il ne peut plus y avoir d'obstacle en France pour moi. Intimement convaincu que ma demande est dans les intérêts de la France et de la paix, je vous demande votre intérêt et votre appui auprès de l'Empereur.

 

Cependant, les armées alliées se rapprochent : Louis est résolu à rentrer chez lui. Il voulait, a-t-il raconté, se retirer à Saint-Leu pour jamais ; il espérait qu'on l'y laisserait tranquille ; il s'occupait d'obtenir quelque certitude à cet égard, lorsque les Alliés forcèrent le territoire suisse. Après avoir échangé une sorte de correspondance avec M. Auguste de Talleyrand, ambassadeur de l'Empereur, il se décida à partir. Mais, avant, il a rédigé, à la date du 22 décembre, une protestation dont, à la vérité, il n'a pu obtenir l'insertion dans aucun journal, mais dont, au moins, il a remis des copies manuscrites à diverses personnes qu'il connaissait, le jeune Mollerus, son ancien auditeur qui se trouvait en Suisse, Mme de Montolieu, si justement célèbre par ses écrits et son amabilité, et M. de Crouzaz, habitant de Lausanne, aussi distingué par ses lumières que par son caractère. Cette protestation, à publicité restreinte, était conforme à peu de choses près, dit-il, à la lettre écrite aux magistrats d'Amsterdam ; mais, par un hasard fâcheux, Mme de Montolieu, malgré son amabilité, n'en a pas fait part au public.

Le 24 décembre, à sept heures du soir, Louis arrive à Lyon, sous le nom de M. de Taverny, voyageant dans une seule voilure et accompagné d'un petit nombre de domestiques ; il descend chez le cardinal, passe deux jours avec lui et, repartant le 27, il est à Paris, chez sa mère, le 1er janvier. Il écrit à l'Empereur, qui, s'il faut l'en croire, ne lui répond pas, mais qui, le 3, lui envoie le duo de Vicence : Il lui dit, de la part de l'Empereur, que, s'il venait comme prince français, il était le bienvenu, mais qu'on ne pouvait le recevoir comme roi de Hollande. Il répond au ministre : Tant que la Hollande est occupée par les ennemis, je ne prétends pas au titre de roi et il m'est indifférent qu'on m'en donne un autre. Je viens uniquement, comme Français, partager les dangers du moment et nie rendre utile autant que je le puis. Si la Hollande retombait sous la puissance de l'Empereur et qu'il ne me la rendit pas, ma conscience comme roi me défendrait de rester en France et j'en sortirais de nouveau. Si, au contraire, à la paix, la Hollande devait être cédée à un autre prince que l'Empereur et que ma renonciation devienne nécessaire pour sanctionner cette partie du traité, je ne la refuserai pas.

Outre que cela est faux, cela est trop subtil pour' l'Empereur qui, par une lettre du janvier, pose une fois de plus la question : Louis est-il venu comme Français ou comme Hollandais ? D'abord il lui signifie son déplaisir qu'il soit arrivé à Paris sans en avoir demandé la permission : Vous n'êtes plus roi de Hollande, lui dit-il, depuis que vous avez renoncé et que j'ai réuni ce pays à la France. Le territoire de l'Empire est envahi et j'ai toute l'Europe armée contre moi... Si vous persistez dans vos idées de roi et de Hollandais, éloignez-vous de quarante lieues de Paris. Je ne veux plus de position mixte, de rôle tiers. Si vous acceptez, écrivez-moi une lettre que je puisse faire imprimer.

Tout cela vainement ; vainement, Berthier d'abord, puis Caulaincourt viennent lui signifier l'ordre de quitter Paris, de s'en aller à quarante lieues s'il ne veut pas paraître comme prince français, comme connétable de l'Empire. Il refuse d'obéir, parce que, dit-il, personne n'avait le droit de l'empêcher de rester chez lui ; proposition hardie, puisqu'il se proclamait Hollandais dans l'Empire français, qu'il était logé chez Madame Mère et que rien au monde ne l'eût fait habiter le palais de la rue Cerutti ou le château de Saint-Leu — que d'ailleurs il avait tous deux donnés à Hortense.

***

Pourtant il paraissait impossible que cette étrange situation se prolongeât indéfiniment. Ces rois que, chacun à son tour, l'Empereur avait dû menacer de faire arrêter, profitaient de l'impunité pour le braver et méconnaître des ordres qu'inspirait le souci le plus juste des intérêts de la France ; ils restaient oisifs, au milieu de leur cour étrangère, durant que la nation entière était appelée aux armes ;'ils fournissaient au public le spectacle de leurs folles prétentions, de leur nullité et de leur vanité ; dans l'écroulement de l'Empire, ifs ne songeaient qu'à leurs chimères de trônes, prêts, pour en conserver l'apparence, à tous les pactes avec les Coalisés. Passe pour Louis, un infirme et un fou ; passe encore pour Jérôme dont on ne pouvait attendre que des sottises, mais Joseph !

L'Empereur, malgré tout, conservait dans les talents de son frère aîné une confiance d'autant plus étrange que, depuis dix-sept ans, il avait pu le juger à l'œuvre. Il le voyait à des moments tel qu'il était ; il s'exprimait alors sur lui aussi durement que l'eût pu faire le critique le plus sévère ; puis, quelques mois passés ou quelques jours, il revenait par une pente fatale ù son ancienne faiblesse et, comme s'il avait oublié tous les périls où l'avait conduit sa condescendance fraternelle, il offrait de nouveau à Joseph les moyens de développer son génie, c'est-à-dire, au fait, de mettre en jeu son intrigue, sa duplicité et la nullité de son caractère.

Six mois s'étaient écoulés depuis Vitoria, c'était la plus langue disgrâce que Joseph eût subie, ou plutôt la plus longue brouille qu'il y eût eue entre les frères, car il n'eût, depuis deux mois, dépendu que de Joseph d'obtenir ce qu'il eût souhaité en France pourvu qu'il abandonnât ses fantaisies espagnoles. Maintenant l'Empereur croyait avoir vraiment besoin de lui. Il allait être obligé d'aller, sur le sol français envahi, combattre l'ennemi, à la tête d'une dérisoire armée dont on savait à peine si elle existait ; il laisserait le gouvernement à un conseil de Régence présidé par une femme de vingt-trois ans, dirigé par un vieillard sans caractère et où siégeaient des traîtres ; la fermentation dans le Corps Législatif annonçait le réveil des factions et l'on devait se demander si ces députés, si empressés à profiter de l'invasion pour réclamer d'oiseuses libertés, recevaient leur mot d'ordre d'Hartwell ou de Francfort.

Sentant son inaptitude aux intrigues parlementaires, se rendant compte que, même s'il dissolvait ou renvoyait le Corps Législatif, il aurait affaire au sénat qu'il ne pouvait ni dissoudre ni renvoyer, qui en certaines circonstances était appelé à jouer un rôle majeur et où certains symptômes annonçaient l'éveil des opposants de la première heure, Napoléon avait besoin à Paris, à la Cour, au Conseil de Régence, surtout au Sénat, d'un homme dévoué, manœuvrier, capable de donner un avis, et de filer un plan. Pour cela, à défaut de Lucien, dont il mettait hors de pair l'habileté, l'éloquence, l'esprit de décision et de politique dans une assemblée, il avait Joseph, qui, s'il n'avait pas marqué aux Cinq-Cents comme orateur, y avait pris des habitudes et même une influence de couloir, et qui, au Sénat, s'était rendu, avant 1806, assez populaire pour y être inquiétant. Chargé, vu sa dignité de grand électeur, de le présider, il y avait retrouvé ou s'y était fait des amis qu'on pouvait croire fidèles : Jaucourt, son premier chambellan, Dupuy, mari d'une des dames de Julie, Rœderer, Clément de Ris. Des idéologues auxquels il se rattachait par quelques côtés, des économistes qu'il flattait par d'autres, des littérateurs dont Moïna et l'Institut le faisaient confrère, pouvaient lui former un parti, lui assurer une influence, le renseigner tout au moins et le mettre à portée de prévenir tics intrigues redoutables. L'Empereur ne pouvait compter que sur lui ; il ne pouvait attendre que de lui un appui opportun. D'ailleurs son apparence d'opposition ne pouvait durer, il fallait ou qu'il disparût de l'Empire ou qu'il servît l'Empereur.

 

Madame, qui s'employait avec un zèle admirable à grouper autour de Napoléon toutes les forces vives qu'elle croyait trouver dans la Famille, avait rencontré en Julie une alliée qui, comprenant à quel point la position de son mari était ridicule et pouvait à quelque moment devenir déshonorante, s'était mise d'accord avec l'Empereur sur les termes où il se restreignait pour que Joseph attestât sa soumission. Le 27 décembre, Julie, qui avait été à Paris, reparut h Mortefontaine, accompagnée de Madame. L'Empereur renonçait à recevoir l'abdication ou la renonciation de Joseph comme roi d'Espagne : Que Joseph se rendit sur-le-champ à Paris, comme prince français, qu'il descendit au Luxembourg ; que, par une lettre faite pour être publiée, il annonçât à l'Empereur que, comme son premier sujet, il venait se ranger aux pieds du trône, et tout serait oublié. C'était trop encore. Il fallut à Joseph deux jours pour rédiger une lettre telle qu'elle allait directement contre les volontés de Napoléon : Sire, écrivait Joseph, la violation du territoire suisse a ouvert la France à l'ennemi. Dans de pareilles circonstances, je désire que Votre Majesté soit convaincue que mon cœur est tout français. Ramené en France par les événements, je serais heureux de pouvoir lui être de quelque utilité, et je suis prêt à tout entreprendre pour lui prouver mon dévouement. Je sais aussi, Sire, ce que je dois à l'Espagne ; je vois mes devoirs et je désire les remplir tous. Je ne connais de droits que pour les sacrifier au bien général de l'humanité, heureux si, par leur sacrifice, je puis contribuer à la pacification de l'Europe. Je désire que Votre Majesté trouve bon de charger un de ses ministres de s'entendre sur cet objet avec M. le duc de Santa-Fé, mon ministre des Relations extérieures. Ainsi, à la date du 29 décembre 1813, Joseph, toujours roi d'Espagne, consentait seulement à traiter des conditions dans lesquelles il consentirait à échanger sa couronne contre quelque agréable compensation, et, malgré qu'il eût le désir d'être à la France de quelque utilité ; il ne renonçait pas plus à être roi qu'il n'acceptait d'être prince français. On n'avait donc rien gagné sur lui depuis un mois.

Telle que fût la lettre, Madame et Julie repartirent pour la porter à l'Empereur, car Joseph, prétextant qu'il était malade et hors d'état de faire le voyage, se soustrayait à l'obligation qui lui était imposée de venir à Paris et de s'établir au Luxembourg.

L'Empereur ne répondit pas : il se trouvait engagé au milieu des difficultés qu'avait fait prévoir l'opposition du Corps Législatif et qui en avaient motivé l'ajournement. Des bruits alarmants étaient répandus de tous côtés. On allait jusqu'à annoncer que le gouvernement était dans un péril imminent. Joseph, auquel ces nouvelles avaient été rapportées, écrivit alors à l'Empereur une lettre très courte[4] dans laquelle il lui mandait qu'ayant été instruit par le Moniteur des événements qui avaient eu lieu à Paris, il offrait de se rendre immédiatement près de Sa Majesté Impériale et d'arriver au Luxembourg le jour même. Cette lettre expédiée par un courrier fut remise à l'Empereur qui fit dire seulement qu'il y répondrait.

On ne saurait croire que, si courte fût-elle, cette lettre ne contint que ces offres de Joseph : l'Empereur n'eût point manqué de les agréer aussitôt, si elles avaient été telles ou si elles n'avaient pas été accompagnées de prétentions espagnoles. Toutefois, Napoléon marquait un si vif désir de s'arranger qu'il multipliait les avances. Le 1er janvier, sans répondre directement à la lettre qu'il avait reçue la veille, il écrivait à Joseph pour le remercier des vœux qu'il lui avait adressés, et comme Zénaïde, en approchant d'une cheminée, avait enflammé sa robe et eût été brûlée vive, sans son père qui, en éteignant le feu, avait été blessé à la main, il ajoutait : Je vois avec satisfaction que l'accident arrivé à ma nièce n'a pas eu de suites fâcheuses, et il envoyait pour leurs étrennes, à chacune des Infantes, un portrait de l'Impératrice par Isabey sur une tabatière de porcelaine de Sèvres montée en or.

Ce n'était point là ce qu'attendait Joseph. Depuis que l'Empereur avait ajourné le Corps Législatif, il mourait d'impatience. Il expédia Miot à Paris pour recueillir des nouvelles, voir toutes les personnes de qui il pourrait tirer quelques lumières sur l'état des affaires en général et sur ce qui le concernait personnellement ; il le chargea en outre de remettre à Louis une lettre où il affirmait encore et précisait, à cette date du 2 janvier, ses prétentions royales. Après avoir raconté à son frère — sans exactitude — les péripéties de cette sorte de négociation engagée depuis le 27 novembre et les avoir présentées dans un ordre que la moindre comparaison des dates suffit à renverser, il concluait : Le fait est que je puis tout sacrifier à l'Empereur, hormis l'honneur. L'honneur ne nie permet pas de nie montrer autrement que comme roi d'Espagne tant que je n'aurai pas abdiqué, ce que je ne puis et ne veux faire que pour la paix générale, et après avoir assuré ce que je dois aux Espagnols, et par un traité dans les mêmes formes que celui qui me donna la couronne d'Espagne, traité dont a été négociateur à Bayonne le duc de Cadore. Qu'on me traite en roi ou qu'on me laisse dans mon obscurité.

 

Pour ses prétentions royales, Joseph est assuré de trouver de l'écho chez Louis comme chez Jérôme. Tous trois ont la même opinion de leurs couronnes ; obéissent aux mêmes vanités, se montrent également intraitables sur leurs droits ; mais, tandis que Jérôme n'a autour de lui que quelques courtisans la plupart Français, malgré leurs noms allemands, et que Louis serait fort embarrassé de montrer un seul Hollandais qui se soit attaché à sa fortune, Joseph a entraîné dans son désastre des Espagnols en quantité qui se trouvent maintenant en France sans emploi, sans argent et sans moyens d'existence, et il est intéressé, même par le cœur, à ne pas les abandonner. Napoléon ne peut lui dire que, par le traité singulièrement aléatoire qui a été signé le mois précédent à Valençay, il a stipulé une amnistie eu leur faveur : il ne saurait guère conserver d'illusions sur la valeur d'un tel engagement et il est obligé de conserver le secret sur ce traité dont l'approbation par les insurgés est au moins douteuse. Il consacre à secourir les réfugiés une somme mensuelle de 200.000 francs, mais Joseph voudrait quelque chose de mieux. Quoi ? Il serait fort embarrassé de le dire ; le duc de Santa-Fé qu'il a pris pour porte-parole est incapable de le formuler, et Caulaincourt, le nouveau ministre des Relations extérieures que l'Empereur a autorisé à en conférer avec Santa-Fé, cherche vainement quelle suite pourrait avoir, pour le bien des Espagnols, un échange de vues avec le ci-devant ministre d'un roi sans États qui n'est plus reconnu même par l'Empereur. Comment cette négociation peut-elle s'entamer et quel but peut-elle avoir ? dit Caulaincourt aux envoyés de Joseph, Miot et Regnaud. Comment s'ouvrir à M. de Santa-Fé sur la véritable situation des affaires, sur l'impuissance où nous sommes maintenant d'exercer aucune influence près du roi que nous allons renvoyer en Espagne ? Et, en supposant que, par le traité qu'on se propose de faire avec lui[5], il soit amené à quelque concession en faveur du parti français, quelle garantie aurons-nous de l'exécution d'une clause à laquelle il ne consentira qu'avec une répugnance infinie et avec l'espoir d'y échapper ? Le roi, ajoute Caulaincourt, ne doit pas non plus voir dans la condescendance de l'Empereur à céder sur ce point une reconnaissance de ses droits comme roi d'Espagne. Sur cette dernière question, la volonté de l'Empereur n'a point changé et ne changera point. Sans doute il désire voir auprès de lui son frère, mais, s'il y venait autrement que comme prince français et premier sujet de l'Empire, il compliquerait étrangement la position du Gouvernement au dehors et à l'intérieur. On croirait que l'Empereur veut toujours reconquérir l'Espagne ; ou ferait de la présence du roi en cette qualité un argument contre les vues pacifiques de Sa Majesté Impériale. Si, au contraire, le roi vient à Paris comme grand électeur, comme prince français, il annonce par ce fait seul sa disposition à tout sacrifier pour faciliter la paix ; il se présente à la nation, à son frère, comme renonçant, pour elle et pour lui, à la couronne qu'il porte encore.

Du ministère des Relations extérieures, l'envoyé de Joseph se rend au palais de Madame Mère où il voit Louis, qui, comme à son ordinaire, est bien plus raisonnable dans les conseils qu'il donne que dans les résolutions qu'il prend. Son avis est très net : il faut que Joseph vienne auprès de l'Empereur sans attendre aucune explication.

Quant à l'Empereur, Miot ne saurait l'aborder. Ce jour-là même, 4 janvier, Napoléon vient de donner à son frère une preuve, qu'on ne saurait contester, des sentiments qu'il lui garde. Dictant ses instructions pour le duc de Vicence qui va tenter de traiter avec les Alliés, il a stipulé pour Joseph cette compensation que celui-ci a si impérieusement réclamée : Si l'Italie devait être partagée, a-t-il dit, la Toscane devrait être donnée au roi Joseph ; vœu platonique peut-être, mais qui montre l'inlassable générosité de l'Empereur s'exerçant d'une façon d'autant plus méritoire qu'il en garde le secret. En annonçant à Joseph qu'il demande pour lui la Toscane, Napoléon prendrait l'air de lui offrir une satisfaction, et l'amènerait par lit, sans doute, à se désister de l'Espagne et à se rendre à ses raisonnements ; mais il n'a nulle certitude — guère d'espoir sans doute — que Caulaincourt l'obtienne. Il ne veut point annoncer un présent qu'il n'est point sûr d'offrir : il garde vis-à-vis de tous le silence sur ce bienfait nouveau, et, n'attendant aucune gratitude de qui que ce soit, il fait pour lui-même ce qu'il estime qu'il doit faire, et il laisse le reste aux dieux.

Ce n'est point pour des motifs de cette sorte que, le 6, Joseph se décide à rentrer à Paris. D'abord, il a été fort enrhumé à Mortefontaine, il y a froid et l'hiver lui en déplaît. Puis, Miot, rentré dans la nuit du 4 au 5, lui a représenté que ses lettres ne permettaient pas qu'on vît, dans sa retraite à Mortefontaine, de la modestie ou de l'indifférence philosophique ; qu'on. y verrait plutôt le moyen d'échapper aux dangers du moment ; que, en tardant davantage à rentrer à Paris, il perdait tout le mérite de la démarche qu'il serait bien obligé de faire quelque jour ; surtout, qu'il ne serait pas à portée de débattre ses intérêts, de réclamer dans une nouvelle souveraineté le sacrifice qu'il avait fait d'une couronne. Pour cela, il lui fallait être à Paris, où seulement on lui tiendrait compte de sa générosité et de son désintéressement au milieu du péril.

Ce sont là — avec l'absence de calorifère — les raisons qui l'ont déterminé et qui, le 6, l'ont amené au Luxembourg. De là il écrit à l'Empereur une nouvelle lettre oh, sans s'expliquer, ni sur sa renonciation à l'Espagne, ni sur son retour comme prince français, il maintient ses prétentions royales et fait valoir seulement sa générosité bénévole d'apporter à l'Empereur et à la France son désirable concours. Il envoie cette lettre sous cachet. volant au prince de Neuchâtel pour mettre l'Empereur dans le cas de connaître positivement le fond de sa pensée. J'attends, écrit-il, la réponse de Sa Majesté ou la lettre de Votre Altesse pour m'établir définitivement ici ou retourner à Mortefontaine.

Le 7, l'Empereur lui répond : Mon frère, j'ai reçu votre lettre. Il y a trop d'esprit pour la position où je me trouve. Voici en deux mots la question. La France est envahie ; l'Europe tout entière en armes contre la France, mais surtout contre moi. Vous n'êtes plus roi d'Espagne ; je n'ai pas besoin de votre renonciation parce que je ne veux pas de l'Espagne pour moi, ni je n'en veux pas disposer ; mais je ne veux pas non plus me mêler des affaires de ce pays que pour y vivre en paix et rendre mon armée disponible. Que voulez-vous faire ? Voulez-vous, comme prince français, venir vous ranger près du trône ? Vous avez mon amitié, votre apanage et serez mon sujet en votre qualité de prince du sang. Il faut alors faire comme moi, avouer votre rôle, m'écrire une lettre simple que je puisse imprimer, recevoir toutes les autorités et vous montrer zélé pour moi et pour le Roi de Rome, ami de la Régence de l'Impératrice. Cela ne vous est-il pas possible ? N'avez-vous pas assez de bon jugement pour cela ? Il faut vous retirer à quarante lieues de Paris, dans un château de province, obscurément. Vous y vivrez tranquillement, si je vis. Vous y serez tué ou arrêté, si je meurs. Vous serez inutile à moi, à la Famille, à vos filles, à la France ; mais vous ne me serez pas nuisible et vous ne me gênerez pas. Choisissez promptement et prenez votre parti. Tout sentiment de cœur [    ] est inutile et hors de saison.

Berthier, qui peut-être a été chargé de cette lettre, vient au moins au Luxembourg dans la journée, porteur de paroles de l'Empereur. Après deux heures d'entretien, les affaires paraissent encore plus brouillées. Joseph déclare à Miot qu'il est décidé à tout abandonner et à se retirer définitivement. Il est lié, dit-il, envers les Espagnols qui ont embrassé son parti et abdiquer le titre de roi serait abandonner lâchement leurs intérêts. On peut se demander sans doute en quoi il importe aux Espagnols que Joseph, n'étant plus roi d'Espagne, en conserve de titre, mais il importe essentiellement à Joseph, et, de fait, c'est sur ce point d'étiquette que porte toute sa résistance, comme le prouve une lettre que Caulaincourt adresse ce même jour au duc de Santa-Fé : Miot a eu en effet l'idée ingénieuse de vaincre les scrupules de Joseph en lui faisant consulter ses ministres espagnols et en tenant avec eux, en présence de la reine dont le bon sens lui est connu et dont l'appui lui est assuré, un .conseil où il reproduit tous les arguments que, depuis un mois, il présente vainement au roi. A la fin, grâce au concours des Espagnols, il lui arrache une lettre qui donne à l'Empereur satisfaction, sinon sur tous les points, au moins sur les essentiels.

Sire, écrit Joseph, l'envahissement de la France impose à tout Français l'obligation de voler à sa défense et c'est surtout à ceux qu'elle a élevés à un si haut rang qu'appartient la noble prérogative de voler les premiers à la défense du Trône et de la Patrie. Premier prince français et, en cette qualité, son premier sujet, permettez-moi, Sire, de vous prier d'accepter l'offre de mon bras et de mes conseils. De quelque manière que vous jugiez devoir les diriger, je m'estimerai heureux si je puis contribuer à rendre à cette France à qui je dois tout, la tranquillité et le bonheur dont l'Europe entière a besoin. Dans les circonstances actuelles, je ne vois que les dangers de la Patrie ; tout bon Français doit faire abnégation de tout autre sentiment. Vous sauverez encore la France, Sire, si tous les Français mettent à servir votre trône le même dévouement que celui avec lequel je vous offre mes services.

Passant sur les réserves qui eussent encore prêté à discussion, l'Empereur, qui veut un finir, se déclare content et, par une nouvelle lettre, il assure Joseph de sa satisfaction et de son amitié. Joseph v répond aussitôt : Votre Majesté me parle de son amitié et j'avoue que je n'y comptais plus. Je respecte trop Votre Majesté et j'aime trop son amitié pour ne pas m'y livrer avec mon abandon d'autrefois. Et il s'empresse de demander d'abord que le duc de Santa-Fé ou tout autre Espagnol soit chargé de la répartition des secours aux réfugiés espagnols ; puis, qu'il lui soit permis de garder avec lui des officiers français et espagnols qui, lui ayant montré un dévouement particulier, ne sauraient être abandonnés par lui sans le rendre le plus ingrat et le plus insensible des hommes.

L'Empereur, sans accorder tout entière la seconde demande, admet la conversation : le 9, il reçoit son frère et il a avec lui un entretien qui dure plus trois heures. Joseph a pu consentir à perdre le titre de roi d'Espagne, mais, quant au titre de roi et au traitement de Majesté, rien ne saurait l'y faire renoncer : cela est indélébile. Après le sacre, dira-t-on, ou tout le moins le couronnement. Joseph n'a été ni sacré ni couronné, mais il aurait pu rétro et, pour lui, c'est tout comme. L'Empereur consent à lui donner cette satisfaction. Il sera annoncé désormais sous le nom de roi Joseph et la reine sous celui de reine Julie, avec des honneurs et de la manière usitée pour les princes français. C'est l'étiquette imaginée jadis pour la reine Hortense et ce précédent, si disparates que soient les circonstances, se présente à souhait pour aplanir les difficultés. Reste le costume qui, dans ce cas particulier, se trouve prendre une importance. Joseph, lors de son voyage à Paris en 1811, a cherché tous les moyens de se soustraire à l'obligation de paraître en prince français. Cela au moins n'est que pour les grands jours. A l'ordinaire, Joseph, se modelant sur Napoléon, porte l'uniforme des grenadiers à pied ou des chevau-légers de sa garde. Il ne saurait continuer à s'habiller en Espagnol. L'Empereur l'autorise donc à prendre l'uniforme des grenadiers de la Garde impériale tel qu'il le porte, mais il suggère qu'il ne doit. se décorer d'aucun autre ordre que du français. En même temps, il prend des mesures pour former à nouveau, avec des Français, les maisons princières du roi et de la reine et il fixe un jour où Joseph recevra les personnes de la Cour et du gouvernement.

Les choses ainsi réglées, Joseph, malgré le titre royal dont il est paré, rentre dans le rang. L'Empereur se fait l'illusion de penser que, désormais, les souverains coalisés ne lui attribueront plus des desseins sur l'Espagne, qu'ils reconnaîtront qu'il a loyalement abdiqué le Grand Empire, qu'ils en tiendront compte à la France dans les conditions de la paix — comme si leur inimitié pouvait être conjurée par quoi que ce fût. En échange de cette chimère, il livre à Joseph ce dont il l'a écarté depuis une année, au prix de tant de sacrifices : la Régence et l'Empire. Il ne saurait laisser dans l'oisiveté le premier prince du sang, dès qu'il est venu offrir son bras et ses conseils. Napoléon est payé pour savoir ce que valent les uns et ce que pèse l'autre : mais comment aurait-il assez de mémoire pour s'en souvenir, assez de fermeté pour les écarter, assez de retenue dans ses sentiments fraternels pour ne pas retomber dans une confiance qui lui a coûté si cher, alors que c'est lui-même, en réalité, qui est allé au-devant de joseph et qui lui a demandé son concours ?

 

 

 



[1] Voyez Napoléon et sa famille, I.

[2] Cette Mme Damery laquelle l'Empereur avait conféré le 8 avril 1817 un titre de baronne avec une dotation de 4.000 francs de rente, fut le 31 octobre 1837 nommée surintendante des Maisons d'éducation de la Légion d'Honneur.

[3] Cette lettre a été incomplètement publiée par le roi Louis et la minute en a été retirée des Archives sous le Second Empire.

[4] Il est fâcheux qu'on ne connaisse cette lettre que par l'analyse qu'en donne Miot et par l'allusion qu'y fait Joseph dans sa lettre à Louis du 2 janvier : elle serait une des pièces probantes du procès.

[5] Ce traité dont Caulaincourt parle au futur, parce que, si l'on en a révélé le principe, on en tenu jusque-là les clauses secrètes, a été signé le 11 décembre et les ratifications en devaient être échangées dans le délai d'un mois, mais il fallait au traité l'approbation de la Junte et des Cortès, et le duc de San Carlos envoyé par Ferdinand VII n'a pu l'obtenir. En attendant qu'on l'eût, on a retenu Ferdinand à Valençay. Le 11 mars, on signera un troisième article additionnel pour porter à cent vingt jours de cette date le terme pour l'échange des ratifications ; mais Napoléon, constatant la vanité de ce traité, laissera Ferdinand quitter Valençay pour rentrer dans son royaume, et les ratifications ne seront jamais échangées.